Avec une équipe de bénévoles, Infor Santé Liège pilote un projet expérimental de «bain de langage» dans une dizaine d’écoles en milieu populaire. Objectif: procurer aux enfants une stimulation au niveau du langage. L’initiative est lauréate du Prix 2001 de l’asbl Pirogue.
Des enfants des classes maternelles, un choix de livres, de belles histoires, voilà une matinée de bonheur orchestrée par «Saparlipapote». L’objectif de cette action, orchestrée par Infor Santé Liège, est d’offrir aux jeunes enfants un bain de langage, dans une relation privilégiée avec l’adulte et un cadre ludique. C’est ainsi que régulièrement une équipe de bénévoles investit l’une des dix-neuf classes de première ou deuxième maternelles qui participent à l’opération. Ils s’installent, choisissent un livre, le racontent.
Le livre, support essentiel, permet à l’enfant un repérage stable et constant du texte et de la durée de l’histoire. Le petit groupe d’enfants manipule les livres, les retourne, les feuillette, se raconte les histoires à sa manière.
Deux types de langage enfantin
«Saparlipapote» est né suite au constat d’un médecin conseil inquiet de l’augmentation constante des dossiers logopédiques décrivant un retard de langage d’origine articulatoire. Infor Santé a jugé utile d’envisager ce problème par la prévention pour éviter de le médicaliser, alors qu’un peu de stimulation, pourrait aider à le résoudre spontanément. Ainsi est née l’action «bain de langage» dans une dizaine d’écoles de la région implantées dans des quartiers populaires: Liège, Ans, Bressoux, Herstal, Seraing, Ougrée, Tilleur, Jemeppe, Huy et Comblain-au-Pont.
Infor Santé veut aussi sensibiliser les parents pour qu’ils prennent conscience de l’importance des activités ludiques partagées avec leurs enfants dès le plus jeune âge et, particulièrement, de l’importance des activités privilégiant le langage du récit.
En effet, deux types de langage environnent l’enfant. Le premier, le langage factuel, est lié au déroulement des actes quotidiens. Chacun l’utilise pour accompagner les faits et gestes de la vie: c’est un commentaire continu, sans début ni fin. Il s’agit souvent d’un langage répétitif et lacunaire qui, pour être compris, nécessite la connaissance du contexte: en effet, les phrases sont souvent incomplètes et trouvent leur référent dans une situation concrète, hors langage. Le second est le langage du récit que l’enfant repère très tôt et qui le captive. La langue du récit n’accompagne pas les événements, mais les relate à distance avec le pouvoir de bouleverser leur développement.
Un monde magique et fabuleux
La première caractéristique du langage du récit est le découpage dans le temps: le début fait attendre la fin et, entre les deux, les différents éléments de l’histoire racontée sous sa forme pure alternent tour à tour selon un rythme artificiel. Le texte n’est pas interrompu par un référent extérieur: le récit n’est référent qu’à lui-même. Les répétitions qu’il contient diffèrent des variations autour d’une situation du langage factuel. Elles ont aussi une cohérence interne et apparaissent comme un jeu et une poétique autoférente. On sait d’ailleurs que les enfants sont très exigeants quant à la répétition des termes exacts d’une histoire…
Les observations portant sur les moments que les très petits enfants consacrent aux moments de lecture et aux jeux avec les livres démontrent qu’ils sont véritablement captivés par la langue du récit, avec ses caractères fixes qui s’opposent au langage courant. Ils entrent alors dans un monde magique, littéralement fabuleux. Cet intérêt se constitue sans rupture de continuité lorsqu’ils entendent des comptines ou lorsqu’ils manipulent les feuilles des premiers albums.
Le récit peut être oral. Mais la césure importante en ce qui concerne l’acquisition de la langue et le développement de la pensée s’opère entre la langue factuelle (celle du commentaire) et la langue du récit. C’est le jeu entre ces deux langages qui est constitutif de l’acquisition du langage chez l’enfant et, avec celle-ci, plus largement, de la constitution d’un espace psychique intérieur pour l’imaginaire.
Le livre, le langage et la pensée
La constitution de cet espace intérieur est fondamentale pour le développement de l’enfant: là s’exerce sa capacité à jouer en lui-même avec les situations et les personnes qui l’entourent et sa capacité à jouer seul dans sa pensée. Il peut ainsi acquérir une liberté suffisante pour mieux se dégager de ses conflits intérieurs. L’enfant qui commence à parler ne s’y trompe pas: il va repérer très vite l’importance de deux aspects du langage, leur interaction et ce double monnayage du temps par les mots, à partir des événements et des êtres qui l’entourent. Très tôt, grâce à ses babils, il va jouer mentalement avec cette deuxième forme de langage qui l’enchante. Il va jouer ainsi avec les refrains, les comptines, les historiettes ajoutés au commentaire parlé des actes quotidiens. Tout adulte suffisamment attentif va partager cette soif dévorante de connaissances et particulièrement tout ce qui passe par la parole.
Il faut remarquer ici qu’il n’existe pas de langage du récit – cette ébauche de toute langue littéraire – sans un support institutionnalisé et concret. A l’origine, celui-ci est représenté par les personnes qui racontent, leurs gestes, leurs mimiques, leur regard, le rythme et la mélodie qu’elles donnent au récit. Et puis bien sûr, on l’a dit, l’objet-livre est un support essentiel. Le jeune enfant perçoit très vite et avec une grande acuité qu’il existe des liens entre cet objet et le langage et la pensée: c’est un ensemble très stimulant pour lui. Il perçoit la lecture et l’appropriation des images et du graphisme comme des choses à la fois proches et inaccessibles.
Plaisir de lire et de raconter
Face à cette appropriation si particulière des livres par les enfants qui apprennent à parler, l’adulte se sent parfois découragé: il lui arrive de se demander si cet enfant, qui n’est pas le sien, l’écoute vraiment et s’il sert à quelque chose de continuer l’expérience. Le remède à ce découragement est d’une grande simplicité: il réside dans le plaisir de lire et de raconter une histoire que ressent l’adulte lui-même, dans le plaisir de raconter cette histoire-là plutôt qu’une autre, à tels enfants parmi d’autres.
L’attitude des petits enfants en phase d’acquisition du langage est d’ailleurs une aide précieuse: le plus souvent, en effet, ils choisissent leurs albums avec autorité, contrairement aux plus de cinq ou six ans qui entrent dans la phase conformiste de l’enfance, sont plus inhibés et cherchent à deviner le désir des adultes. Le désir de partager le plaisir du texte avec l’enfant avant qu’il ne parle couramment existe largement aussi quand il s’agit de comptines.
Après avoir pris contact avec divers intervenants, l’équipe de «Saparlipapote» a décidé de cibler les enfants de première maternelle (3 ans) voire de deuxième maternelle quand les classes sont organisées à l’intérieur d’un cycle. Elle a choisi aussi d’agir sur un public régulier, en retournant plusieurs fois dans la même classe durant une année scolaire. L’équipe a accordé la priorité aux écoles situées en milieux populaires. Enfin, elle accorde une grande importance aux contacts avec les parents qui amènent souvent leur enfant jusque dans la classe.
24 bénévoles, 19 classes
Durant l’année scolaire 2000-2001, «Saparlipapote» a fonctionné de manière «pilote» avec deux classes. Une très bonne collaboration s’est établie avec la direction de l’école, les enseignantes et l’association de parents. C’est cette collaboration qui a permis de façonner le projet dans sa forme actuelle: «Saparlipapote» aujourd’hui, ce sont 24 bénévoles qui travaillent avec 19 classes réparties dans une dizaine d’écoles. Pratiquement, les bénévoles se rendent une fois par semaine dans l’école. Les institutrices leur confient les enfants par petits groupes de deux ou trois pour une période de 20 à 30 minutes. L’activité se déroule en dehors de la classe et s’appuie sur le support du livre, de la marionnette, des comptines. Une interaction s’établit ainsi entre l’enfant et l’adulte.
Chaque bénévole travaille avec une classe en lien très étroit avec l’institutrice. C’est elle qui constitue les petits groupes de trois. Le principe est que tous les enfants de la classe puissent bénéficier de cette activité au moins cinq ou six fois sur l’année. Le jour et le moment de l’animation sont choisis en concertation avec l’institutrice, généralement au tout début de la matinée.
Afin d’impliquer le plus possible les parents dans le projet, une rencontre est organisée durant l’année. Elle a lieu un matin, de 8 h. à 10 h. et les parents sont invités à prolonger leur présence au moment où ils amènent leur enfant à l’école. A cette occasion, une responsable de la bibliothèque du quartier est présente dans la classe et elle propose des livres adaptés aux enfants de 3 – 4 ans.
Un projet longuement mûri…
Faut-il le préciser, l’équipe apporte beaucoup de soin au choix des livres. Elle est attentive aux valeurs véhiculées par les albums. Elle a aussi le souci de choisir des ouvrages marqués par l’ouverture d’esprit, des ouvrages qui ne reproduisent pas les inégalités, sont ouverts aux autres cultures, aux autres façons de penser, à d’autres habitudes…
Le projet a été élaboré avec l’aide de plusieurs personnes ressources:
Monsieur Michel Defourny , maître de conférence à l’Université de Liège, spécialiste de la littérature pour la jeunesse. Il participe au projet français ACESS (actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations) et il est l’initiateur avec Madame Christiane Toussaint , responsable du service provincial de la diffusion et de l’animation culturelle de la province du Luxembourg, de Lis avec moi, dit bébé .
Le Docteur Anne Van Hout , neuropédiatre aux Cliniques universitaires Saint-Luc.
Madame Michelle Lateur de l’asbl «A.LI.SE», formatrice et animatrice au service de littérature de la jeunesse de la Ligue des Familles.
Madame Anne-Marie Terwagne de l’asbl «Autrement dit», psychologue, spécialisée en écrit, lecture et littérature. Ce sont ces contacts qui ont incité Infor Santé à privilégier le support «livre».
Lauréat du Prix 2001 de l’asbl Pirogue
Longuement mûri, le projet fait aussi l’objet d’un encadrement vigilant. «Saparlipapote» est suivi par Anne-Marie Terwagne. Elle assure la formation et la supervision des bénévoles: à cette fin, des rencontres d’échanges sont organisées trois à quatre fois par an. Le pilotage du projet est assuré par deux groupes: une équipe de professionnels et une équipe de responsables bénévoles.
Tel quel, «Saparlipapote» fonctionne à la satisfaction générale. Les demandes d’écoles affluent. L’initiative a également retenu l’attention de l’asbl Pirogue qui en a fait un de ses trois lauréats pour 2001. Cette asbl, qui fonctionne depuis 1996, distingue et récompense des actions menées en faveur de la petite enfance à risque. Un jury de six personnes (neuropsychiatre, psychologue et assistants sociaux) distingue des projets qui œuvrent pour la prévention de l’exclusion sociale et contre sa transmission intergénérationnelle. Sont ainsi récompensées tant des recherches théoriques que des actions de terrain.
Formation et évaluation
Le montant de ce prix va permettre à l’équipe de mettre l’accent sur deux points qui lui paraissent essentiels: une sensibilisation des parents par la mise au point de différents moyens et supports à construire et une évaluation plus structurée du projet en cours.
Par ailleurs, le groupe souhaite travailler l’évaluation du projet de manière plus systématique afin de confirmer son bien-fondé. Il est important, par exemple, de traiter les observations relevées par les bénévoles, les institutrices, etc.
En conclusion, il est important de dire que ce projet participe à l’égalité des chances pour tous les enfants en aidant chacun d’eux à grandir, à être capable plus tard de se prendre en charge et de devenir un adulte responsable. Il vise à mettre l’enfant au cœur de l’activité puisqu’il le traite comme un être unique, écouté par un adulte qui lui accorde toute son attention.
Personnes de contact: Nicole Elias, Infor Santé. Tél.: 04 – 230 16 14. Fax: 04 – 221 74 09. Courriel: nicole.elias@mc.be et Docteur Catherine Colle, Médecin conseil. Tél.: 04 – 221 73 74. Fax: 04 – 221 74 09. Courriel: catherine.colle@mc.be