Octobre 2021 Par Michel DEMARTEAU Chantal VANDOORNE Réflexions

Epidémie dans les maisons de repos, inondations catastrophiques, en situation de crise les acteurs de la promotion de la santé sont interpellés pour des actions dans l’urgence. Même des citoyens engagés s’interrogent sur l’utilité réelle de ce secteur ! Les conséquences directes et indirectes de la pression exercée par l’anthropocène sur la planète doivent-elles nous faire abandonner toute réflexion et action en matière de prévention et de promotion de la santé ? Certainement pas, il faut continuer, comme on le fait sans relâche depuis une quarantaine d’années, à plaider pour une autre vision de la santé tout en y intégrant davantage les préoccupations pour l’environnement et les troubles climatiques extrêmes.

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Introduction

Convaincus que la promotion de la santé répond aux mêmes enjeux et utilise les mêmes outils conceptuels et opérationnels que ceux de la transition socio-écologique, nous avions préparé avec Chantal Vandoorne et des collègues français du secteur de l’environnement un module de formation « Inégalités sociales de santé et transition socio-écologique » pour la 18ème Université d’été francophone en santé publique à Besançon (FNES, 2021).

Ce module n’a pu avoir lieu faute d’inscriptions suffisantes. Modalités d’enseignement à distance trop contraignantes, sentiment de répétition du discours sur les inégalités sociales et sur la promotion de la santé, difficultés de perception de la pertinence du lien entre santé, environnement et inégalités sociales, ou encore doute sur les possibilités opérationnelles de la promotion de la santé ?

La préparation de cette formation nous fournit cependant l’occasion de repréciser trois axes de réflexion à propos des concepts de transition socio-écologique, de promotion de la santé, d’inégalités sociales de santé. Le premier concerne la place de l’environnement dans les déterminants des inégalités sociales de santé. Le second se penche sur la proximité des démarches de transition socio-écologique et de promotion de la santé. Le troisième s’interroge sur les synergies à créer avec les secteurs de l’environnement et de la sécurité civile, comme nouveaux défis pour la promotion de la santé.

Même dans un contexte d’urgence climatique, il reste essentiel (et urgent) de construire avec les publics les plus précaires des solutions soutenant leur émancipation et leur pouvoir d’agir sur les déterminants sociaux et environnementaux de leur santé.

Inégalités sociales et environnementales de santé

Faut-il répéter les liens établis entre le changement climatique, les inégalités sociales et la santé ?

Les documents internationaux qui établissent ces liens ne manquent pas tant au niveau du GIEC (climat.be 2021, Smith 2014) que de l’OMS (WHO 2021) : inondations, vagues de chaleur, maladies infectieuses… Partout dans le monde et chez nous, les populations les plus précaires sont les plus soumises aux aléas du changement climatique. (Dupuis 2013)

Prenons cependant des exemples proches de nous.

Eric Deffet (2021), journaliste au Soir, présente une carte des revenus médians par quartier à Verviers réalisée par le Centre Jacky Morael à partir des données de Statbel, dans un article du 29 juillet « Les quartiers ravagés par les inondations sont souvent les plus pauvres ». Il fait la relation avec les quartiers du bord de la Vesdre les plus touchés par l’inondation.

De même, il est éclairant de faire la relation entre la cartographie des revenus médians dans les quartiers les plus urbanisés de Bruxelles (Wayens et al 2016) ou encore de la perception de la qualité du logement et de l’environnement (Wayens 2016) avec la carte sur les ilots de fraicheur (ou plutôt de l’absence d’ilots de fraicheurs !) proposée par Bruxelles Environnement (2021).

La crise pandémique Covid-19 nous a aussi montré à suffisance les liens entre pauvreté et contamination, hospitalisation ou encore adhésion vaccinale (UIPES 2020, OSH 2020).

Transition socio-écologique et promotion de la santé

Pour présenter les concepts de transition écologique et de transition socio-écologique, citons la DREAL-BFC (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bourgogne – Franche Comté) partenaire du module.

« […] la notion de transition écologique est née d’un mouvement citoyen en Angleterre, initié notamment par l’agronome Rob Hobkins, et qui a pris rapidement une ampleur internationale.

Il s’agit d’un processus de transformations de la société par le renouvellement de nos façons de consommer, de produire, de travailler, d’urbaniser, de se déplacer, mais plus largement de tous les aspects de nos modes de vie dans l’optique de répondre aux enjeux environnementaux, mais aussi sociaux. 

Afin d’articuler la lutte contre la pauvreté et celle pour le climat, la biodiversité, la préservation des ressources, le bien-être, etc., c’est le concept de « transition socio-écologique » qui est proposé par le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD). La logique est ascendante : elle n’est plus de poursuivre des objectifs fixés à l’avance par les pouvoirs publics, mais de co-construire de multiples chemins de transition à partir des citoyens, des associations, des entreprises, et toutes les composantes de la société civile.

La transition socio-écologique se construit alors « de proche en proche par des expérimentations qui s’appuient sur le lien social et souvent sur des formes d’économie plus collaborative, de pair en pair, poursuivant des finalités écologiques. Ces expérimentations émanent de valeurs et d’alternatives concrètes qui se nourrissent les unes les autres pour donner sens à l’action » (CGDD 2017, p. 6). »

De cette introduction et surtout de la lecture des deux rapports français du CGDD (Commissariat général au développement durable) de 2015 et 2017, la proximité avec la démarche de la promotion de la santé est claire : émancipation et pouvoir d’agir des personnes et des communautés en particulier les plus précaires, multi-déterminisme des facteurs qui influencent l’environnement comme la santé, inégalités sociales face à l’environnement comme face à la santé, actions par les milieux de vie et les territoires locaux, villes en transition en miroir des villes en santé (Réseau français des villes santé 2014)… les enjeux et les stratégies sont semblables.

Lydie Laigle (2015), en nous invitant à analyser les rapports entre la cohésion sociétale et la transition écologique, évoque des fondements qui sont familiers aux acteurs de la promotion de la santé. Elle mentionne les relations inégalitaires des êtres humains aux transformations de l’environnement et elle fait appel aux éthiques de la justice de Rawls. Elle insiste sur les capabilités des individus et des collectifs de s’adosser sur des relations d’expériences à leur milieu pour en mobiliser les ressources et susciter des innovations sociales et des formes alternatives de coopération. Favoriser la résilience et la réduction des risques semble une voie prometteuse. Elle pourrait l’être à condition de rester attentif au risque d’aggraver les inégalités sociales par des approches qui amplifient la responsabilité individuelle. La résilience doit être une opportunité de construire d’autres rapports nature-société, de déployer des pratiques émancipatrices. L’action publique doit alors dépasser les politiques normatives d’assistance et de compensation pour soutenir les initiatives d’adaptation localisées, éthiques et coopératives, et les capacités citoyennes d’agir.

D’autres références peuvent être mobilisées dans le sens de cette proximité. Citons par exemple l’article de Jacques Morel « Déclaration pour une santé planétaire » en mai 2020. Il y présente la déclaration de Rotorua de l’UIEPS en 2019 et les liens entre la promotion de la santé et le changement climatique.

Mais si les défis et les démarches sont communs, pourquoi n’y-a-t-il pas une mise en commun des ressources ? C’était le dernier axe de réflexion du module.  

Comment faire pour que les politiques territoriales et les interventions de proximité mises en place pour prévenir et corriger les iniquités en matière de santé comme en matière d’environnement avancent de manière moins sectorisée ?  Pourquoi ne pas concevoir et construire des interventions de proximité de réduction des inégalités sociales et environnementales de santé en lien avec les enjeux de la transition, en attachant une attention aux synergies entre acteurs et aux dynamiques qui accroissent le pouvoir de dire et d’agir des citoyens ?

Les « nouveaux » défis de la promotion de la santé

Le premier défi est celui de la contribution de la promotion de la santé à la transition socio-écologique.

La promotion de la santé travaille déjà dans une perspective de transition socio-écologique en particulier dans le domaine de l’alimentation durable et inclusive comme le montre le projet Interreg AD-In.

La proximité avec le secteur de l’ERE (Education Relative à l’Environnement) ne date pas non plus d’hier (Partoune 2006). L’asbl Réseau Idée a aussi invité à plusieurs reprises des opérateurs de la promotion de la santé et propose de nombreuses références relatives à la santé.

positive company workers playing with jigsaw puzzle during team building activity

Mais ne faudrait-il pas aller plus loin ? Plus loin dans la concertation, la coordination et surtout la coopération !  

Nous préconisons un rapprochement structurel des acteurs « promotion – éducation – santé – environnement ». Attention, il ne s’agit pas de se cantonner au domaine actuel « santé environnement » (Luong 2017) qui n’envisage le plus souvent que l’impact « médical » des nuisances directes liées à l’environnement comme les pollutions par le bruit, l’eau ou encore l’air, domaine attribué d’ailleurs institutionnellement au Ministre en charge de l’environnement.

Non, il s’agit de refonder simultanément les bases conceptuelles et opérationnelle des secteurs de la santé et de l’environnement pour en faire un véritable outil d’une politique croisée de la transition sociale, sanitaire et écologique.

Prenons l’exemple prometteur du Plan wallon alimentation activité physique et santé publié en 2018,et pointons ses atouts et ses faiblesses

Parmi ses atouts : une démarche de co-construction multi-acteurs avec des représentants des secteurs de la santé, de l’enseignement, de l’environnement, mais aussi de la recherche ou de l’économie et donc des objectifs partagés ; une conception élargie de l’alimentation et de l’activité physique s’inscrivant dans la transition sociétale comme l’alimentation durable ou l’activité physique et la mobilité ; des références explicites à la transformation des modes de vie, la diminution des inégalités sociales de santé, le numérique, la participation citoyenne et la mobilisation de toutes les politiques.

Sa principale faiblesse : un plan porté en responsabilité par un seul secteur et un seul budget en limitant drastiquement la portée effective.

Pourtant un objectif commun et des moyens y afférent peuvent multiplier l’impact d’une politique au bénéfice de la population. Prenons l’exemple de l’objectif opérationnel 3.5.1 du WALAPSanté : « Renforcer l’accès à des espaces publics proches, de bonne qualité et multifonctions comme par exemple des espaces verts, de récréation, de détente, de repos et des équipements sportifs. ». La réalisation de cet objectif pourrait (devrait) être une option à proposer aux habitants au moment de la reconstruction des zones sinistrées par les inondations.  Elle peut dégager des gains appréciables et directs en matière de santé, d’environnement, de qualité de vie, mais aussi à moyen terme de lutte contre le changement climatique et ses aléas. Elle nécessite néanmoins un accompagnement des acteurs locaux et des citoyens dans la conception et l’utilisation de ces espaces à des fins de santé, de cohésion sociale et de sécurité.

Il faut clairement et rapidement aller plus loin dans la démarche de co-opération : inscrire la promotion de la santé dans le cadre de la transition socio-écologique, identifier voire désigner des relais institués dans les différents secteurs, dégager des ressources budgétaires communes, identifier un lieu, une instance de prospective et de monitoring commune. Tous les efforts doivent être rassemblés pour faire face à la crise climatique dans son ensemble de manière préventive, sans attendre les catastrophes futures.

Urgence et promotion de la santé

Cependant cette vision stratégique du futur de la promotion de la santé au sein de la transition socio-écologique ne suffit pas ! Nous ne sommes plus dans la perspective d’une transition douce. Sans devenir collapsologues et craindre l’effondrement, nous pouvons, nous devons envisager des événements problématiques plus fréquent et plus graves.

Crise sanitaire et inondations ont montré la nécessité de clarifier l’apport de la promotion de la santé au cœur de l’urgence et de la crise. Quel rôle alors pour les professionnels de la promotion de la santé au-delà de leur engagement dans la transition de la société ? C’est le second défi.

Il faut répondre aux critiques des gestionnaires de crise même si elles sont parfois infondées… A chacun son métier. Ce n’est pas parce que nous avons des pompiers capables de faire face à un incendie qu’il ne faut pas développer des actions de prévention sur la sécurité passive des bâtiments, sur les alarmes, sur les mesures individuelles de précaution.  Augmenter le nombre de pompiers est une stratégie, comme de leur demander d’assurer toutes les facettes de la gestion du risque y compris celles de la prévention. Mais polyvalence ne signifie pas nécessairement expertises et compétences.

Le secteur de la promotion de la santé répond présent au cours de la crise COVID-19 (CLPS 2020). S’inspirant des stratégies de la promotion de la santé, les acteurs de promotion de la santé ont renforcé le développement des aptitudes individuelles, celles du pouvoir d’agir en particulier, travaillé avec les communautés de professionnels et d’habitants. Mais ne faut-il pas investir d’autres outils et d’autres stratégies ? Serait-il judicieux de s’inspirer des expertises développées dans des champs plus spécifiques de la prévention : la prévention des accidents domestiques, la prévention et la protection au travail, l’analyse et de la réduction du risque.

Pourrait-on créer un dialogue constructif et non substitutif dans le champ de la prévention et de l’éducation avec les gestionnaires du risque environnemental et ceux de la sécurité civile ? L’expérience et les ressources du secteur de la promotion et de l’éducation pour la santé seraient des atouts pour développer des mesures d’éducation pour faire face au risque climatique comme l’inondation ou la vague de chaleur, comme on le fait dans certains pays en matière de risque sismique ou cyclonique.

Références

  • AD-in. Projet transfrontalier Interreg. Blog (ad-in.eu), consulté le 29 août 2021.
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  • Climat.be. « Conséquences sur la santé »,  Santé (climat.be), consulté le 29 août 2021.
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  • Commissariat général au développement durable. « Société résiliente, transition écologique et cohésion sociale : études de quelques initiatives de transition en France, premiers enseignements. », Etudes et documents n°124, mai 2015.
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  • Deffet E. « Les quartiers ravagés par les inondations sont souvent les plus pauvres », Le Soir, 29 juillet 2021.
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  • Dupuis P. « Inégaux devant les caprices du climat. », Education Santé, Juillet 2013.
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  • FNES. Université d’été francophone en santé publique. Programme 2021. Université d’été 2021 – 18ème édition : programme & inscriptions – FNES
  • Luong J. « Santé environnementale : inégalités et inconnues. », Education santé, juillet 2017.
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