Ca y est, je m’installe dans mon nouvel appartement !
De l’espace, de l’espace… bien plus d’espace que dans le placard à balais qui me tenait lieu de logement jusque-là. Pour commencer, je veux une GRANDE armoire pour ranger mes vêtements. Avant, je devais tout entasser dans une minuscule commode, adaptée à la taille du susmentionné placard à balais.
Comme j’aime bricoler, eh bien j’ai décidé de la construire moi-même, cette armoire. Je commence par m’acheter le manuel ‘Je construis mon armoire’, avec tous les trucs et astuces: choix du bois, quels clous utiliser, les meilleurs gonds, comment raboter une planche, etc. Et puis, je me suis offert une magnifique et très (très) chère boîte à outils. L’investissement indispensable !
Je fais toutes les acquisitions nécessaires, et me voilà à pied d’œuvre, au milieu de cette montagne de matériel. Je m’empare d’une scie pour couper la planche, et…
Mon projet, ici, est de construire une armoire. Et si je construis cette armoire, c’est avec pour objectifs finaux d’embellir mon lieu de vie et de ranger mes effets.
Je vais passer par différentes étapes pour réaliser ce projet, et je vais utiliser des outils (scie, marteau, etc.). Mon projet n’est donc pas d’utiliser un marteau (par exemple): c’est de construire l’armoire.
Avec les outils pédagogiques en promotion de la santé (vous savez, ceux qui sont répertoriés sur www.pipsa.be), c’est exactement la même chose! Ces outils pédagogiques sont là pour soutenir la réalisation des projets en promotion de la santé, mais ne sont pas le projet en lui-même.
Des outils pas comme les autres
«La spécificité de l’outil de promotion de la santé, par rapport à un autre outil, est sa capacité à stimuler l’une des 5 stratégies recommandées par la Charte d’Ottawa. Il envisage ensuite une variété de facteurs de risque et de déterminants de santé, préférant l’approche globale de la santé à l’approche thématique. De plus, les aptitudes individuelles qui y sont travaillées permettent la mise en place d’actions qui dépassent l’individu et initient une action sur l’environnement naturel ou humain.» (1)
Mes amis Paulin et Paulette Tartempion déménagent à leur tour. Eux aussi quittent un placard à balais pour un grand appartement. Chouette, je vais leur construire une armoire, que je leur offrirai pour leur pendaison de crémaillère ! Maintenant que je sais en fabriquer !
Une armoire faite main, un cadeau précieux, original, qui demande du temps et de la patience: ils ne peuvent qu’adorer.
Je prends subrepticement les mesures de leur appartement. J’apprends (par le neveu du beau-frère du nouveau copain de la cousine de la mère de Paulin, via un réseau social) qu’ils aiment le bois foncé. Je me mets au travail et le matin de leur crémaillère – tadaaaam : je viens leur livrer une armoire faite sur mesure de mes blanches mains. Elle sera en place d’honneur dans leur salon.
Paulette me remercie, peut-être pas aussi chaleureusement que je l’attendais. Sans doute est-elle fatiguée par le déménagement (oui, c’est fatiguant, un déménagement).
Le soir, à la fête, point d’armoire dans leur appartement. Paulin me glisse avec un grand sourire que l’armoire est parfaite pour la cave : il y a rangé toutes les affaires de camping. Dans le salon, je vois une armoire OKkaa, le modèle «Øpodøkö»… Un truc en bois clair, pas du tout personnalisé, qui serait parfait pour le matériel de camping dans la cave.
Grumuuul !
Ginette me raconte que Paulette, pour la date de la crémaillère, s’était donné comme défi de monter sa première armoire OKkaa et qu’elle est super fière d’y être arrivée seule… «C’est vrai qu’elle n’est pas douée pour le bricolage, la pauvre.» Elle s’est acheté le «kit du débutant» chez OKkaa, une mini-boîte à outil, ainsi que le manuel J’apprends à monter des meubles OKkaa.
Ginette me précise que j’ai bien de la chance : «Moi, j’ai construit une table basse à mes voisins l’hiver passé. Ils l’ont brûlée illico presto. L’hiver était froid, et le gaz de chauffage cher, disaient-ils. Ma belle table basse, ils ne savent pas ce qui est bon pour eux!»
Je ne vous l’ai pas dit, mais figurez-vous que je travaille dans le secteur de la santé. Oui, dans la promotion de la santé même. Et j’utilise des outils pédagogiques, assez souvent! Toute cette histoire, ça m’a interpellée.
Quoi, avec mes beaux outils, j’ai construit une belle armoire pour les Tartempion. Et ils n’en font pas la pièce maîtresse de l’ameublement de leur salon ! Mon beau projet pour eux tombe à l’eau.
En fait, Paulette ne voulait pas une belle armoire dans son salon. Elle voulait une armoire qu’elle avait construite elle-même, même si (à mon avis), elle est moins belle.
Ceci dit, après, Paulette a repeint l’armoire avec une patine superbe, et elle l’a ornée avec des poèmes qu’elle a écrits, moi qui n’ai aucun sens littéraire, ça m’a épatée, j’aurais été incapable d’écrire d’aussi beaux textes.
Et si c’était comme ça, avec nos outils et nos projets en promotion de la santé ?
Admettons que Paulette ne sache pas bricoler en raison d’une inégalité sociale: dans sa famille, il est impensable qu’une femme touche un marteau et bricole, car c’est un rôle d’homme.
Ou encore : elle a toujours voulu, mais dans son entourage, personne ne sait et comme sa famille était isolée, elle n’a pas eu de personnes ressources auprès desquelles apprendre.
Ou encore : en raison de problèmes financiers, elle n’a jamais pu s’acheter le matériel nécessaire pour bricoler (et depuis tout ce temps, elle rangeait ses affaires dans des boîtes en carton).
Dans ce cas, ma manière de procéder était-elle adaptée ? Si j’avais décidé de construire l’armoire avec elle, est-ce que ça allait permettre de lutter contre les raisons qui l’on empêchée jusqu’ici de construire une armoire ? Est-ce que ma boîte à outils (de compétition) allait convenir ?
Des questionnements
Toutes ces réflexions m’ont amenée aux questionnements suivants.
Avant d’utiliser l’outil : quel est mon projet ? Quels sont mes objectifs ?
En ce moment, en équipe on réfléchit beaucoup aux ISS (« Inégalités sociales de santé »). Alors du coup, je me demande aussi : en quoi mon projet permet-il de lutter contre les ISS ? (pour réfléchir à ça, avec l’équipe, on a trouvé un outil indispensable : la Lentille ISS (2). Au fond, c’est quoi les inégalités sociales de santé ?
Les inégalités sociales de santé (ISS) et un nouvel outil pour les aborder
Il n’existe pas d’unanimité quant à la définition des inégalités sociales de santé. On s’entend, toutefois, pour dire qu’elles renvoient à toute relation entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale. Les études sont concluantes : qu’il s’agisse de morbidité, d’espérance de vie ou de qualité de vie, il existe une corrélation entre l’état de santé d’un individu et divers indicateurs de position sociale: revenu, niveau d’instruction, profession, lieu de résidence. (3)
La scie pour les réduire ou le marteau pour mieux les fixer ?
Les fiches Inégalités sociales de santé sont le fruit de nos réflexions, ainsi que des ateliers menés lors de la journée des 10 ans de PIPSa. À destination des personnes amenées à effectuer des animations sur des thèmes «santé», elles proposent des axes de réflexion et des pistes pour travailler en promotion de la sante en tenant compte des ISS.
La première précise le cadre de travail, les notions-clés, les questions que le professionnel a avantage à se poser, et s’intéresse également aux représentations de santé, à la ‘littéracie’, à l’‘empowerment’ et aux compétences psychosociales qui ‘nous protègent des échecs et de l’adversité’ (auteure de la fiche : Muriel Durant , avec l’aide de l’asbl Cultures & Santé).
La seconde aborde la thématique ultra-prioritaire de l’alimentation, déterminant majeur de la mauvaise santé des populations défavorisées (auteure de la fiche : Catherine Spièce, avec l’aide de l’asbl Cultures & Santé).
Ces fiches sont disponibles sur http://www.pipsa.be, avec l’ensemble des actes de la journée des 10 ans de PIPsa sous l’adresse: http://www.pipsa.be/page/les-publications-de-pipsa.html
Et maintenant ?
Je repars avec beaucoup de questions. Et surtout la conviction que la réflexion, c’est important! Qu’avant de foncer, tête baissée, mue par les meilleures intentions du monde, un temps de questionnement est nécessaire. Prendre en compte mon public, ses besoins, ses demandes… et pas ce que j’imagine être bien pour eux, en regard de mes représentations personnelles.
En route !
Muriel Durant , chargée de projets, pour l’équipe promotion de la santé de la Mutualité Socialiste-Solidaris
(1) Spièce Catherine, «Quels outils en promotion de la santé?», in: Éducation Santé , n°210, mars 2006. http://www.educationsante.be/es/article.php]id=731
(2) http://www.inegalitesdesante.be . Voir aussi Bantuelle Martine et Lisoir Hervé, « Un nouvel outil pour ne plus passer à côté des inégalités sociales de santé », in: Éducation Santé , n° 275, février 2012. http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1448
(3) Réseau de recherche en santé des populations du Québec ( http://www.santepop.qc.ca )