Juin 2025 Par Mélanie DELFERRIERE Sigrid BRISACK Pascale BROCHE Laurie VANBIERVLIET Réflexions

D’ici 2050, un Wallon sur quatre sera âgé de 65 ans et plus. Cette perspective pose de nombreux défis dans l’accompagnement en particulier pour les personnes qui cumulent des vulnérabilités, comme un handicap ou des problèmes de santé mentale.

Pour le Collectif GT vieillissement hors des clous en Brabant wallon : Sigrid Brisack – Aidants Proches Asbl ; Pascale Broché – Respect Senior ; Laurie Vanbiervliet – directrice du CLPS BW ; Mélanie Delferrière – Gestionnaire des relations partenariales de proximité (Brabant-Wallon et Huy-Waremme) pour le département Handicap de l’AVIQ.

help and care asian senior or elderly old lady woman use walker

Au 1er janvier 2024, d’après l’IWEPS, 19,9 % des habitants de Wallonie étaient âgés de 65 ans et plus, une proportion atteignant même 21 % dans le Brabant wallon. Cette tendance devrait se poursuivre, avec une projection de 25,1 % d’ici 2050 (source). Pour se préparer et anticiper les besoins actuels et futurs, des acteurs du Brabant wallon réfléchissent au sein d’un groupe de travail. Ils organisaient le 12 décembre 2024 une journée d’échange intersectorielle intitulée “Vieillissement hors des clous” à Ottignies, où se sont pressés 108 participants du social-santé.

Le vieillissement : une réalité multiple

Socialement, la perception du vieillissement varie selon les contextes socio-politiques. Certains y voient l’arrivée de maladies chroniques, une dégradation progressive de l’état général accompagnée d’une plus grande fragilité, quand d’autres le conçoivent comme une période de maturité et d’expérience, de temps disponible pour un engagement dans la société… En résumé, le vieillissement revêt différentes formes et différents regards.

Dans notre société, la perception des aînés est souvent uniforme et masque la diversité des réalités. Cette hétérogénéité est pourtant bien identifiée dans les tranches d’âges plus jeunes de la population : on y distingue plus facilement que certaines personnes sont porteuses de handicap physique ou mental, de problèmes de santé mentale, ou qu’elles vivent dans une certaine précarité en matière de logement, etc.

Des structures (services ambulatoires, d’hébergement…) se sont développées pour venir en aide à ces personnes mais elles sont confrontées à de multiples défis. Les institutions sont pensées pour des groupes d’âge ou des publics spécifiques et peinent à accompagner les personnes dans l’évolution de leurs besoins au fur et à mesure de leur parcours de vie, et notamment de leur vieillissement.

Adapter l’accompagnement du vieillissement hors des clous

Cette question n’est pas nouvelle. Il y a 15 ans, des études mettaient déjà en lumière ces écueils. Toutefois, ce phénomène est amplifié par le vieillissement global de la population, et le fait que les personnes porteuses de handicap ou troubles psychiques vivent plus longtemps qu’avant. Soucieux de réfléchir aux défis posés par ces enjeux de l’accompagnement, des professionnels issus de plus de 18 organisations du Brabant Wallon – qui se sont initialement rencontrés dans le cadre de la Commission Subrégionale de l’AVIQ – ont travaillé pendant toute une année à l’organisation de la journée d’échange intersectoriel du 12 décembre dernier.

Cette journée s’est appuyée sur une étude menée par Amandine Renard, psychologue, chargée de projet dans le secteur du handicap (ARAPH ASBL). Elle y mettait en évidence cinq défis pour le secteur de l’accompagnement des personnes en situation de handicap intellectuel vieillissantes. Pour étayer et confronter ces défis avec le vécu de professionnels et aidants-proches, le groupe de travail a diffusé un questionnaire entre janvier et juin 2024. L’enquête a recueilli les avis de 117 répondants professionnels issus des secteurs de la gériatrie, de la santé mentale, du handicap, des soins de première ligne, des mutuelles, du secteur associatif et des acteurs communaux et provinciaux, ainsi que 22 aidants-proches.

Présentation des défis au regard de l’enquête de terrain

Défi 1 :  Difficulté de dépistage des pathologies sous-jacentes (double diagnostic)

59 % des professionnels rencontrent des difficultés dans le dépistage du double diagnostic des patients et 65 % des répondants estiment être confrontés à la difficulté de distinguer l’évolution de la maladie ou un trouble lié au vieillissement de la personne.

Quelles sont les raisons mises en avant ?

La pénurie de personnel, le manque de temps dédié aux patients plus spécifiques, ainsi que le surcroît de travail des soignants dans le dépistage de certaines pathologies sont pointés comme problématiques.
Dans les témoignages rapportés, les professionnels relatent qu’il ne leur est pas toujours aisé de différencier les besoins spécifiques liés au vieillissement des spécificités liées à une pathologie ou des limitations préexistantes. Le personnel se sent souvent démuni et n’est pas suffisamment spécialisé pour faire face aux évolutions. Cela peut engendrer chez certains un sentiment d’incapacité à répondre aux besoins des patients ou bénéficiaires, pouvant conduire à des négligences involontaires envers le public accompagné. En complément, une usure, une fatigue liée à un sentiment d’impuissance apparaissent chez certains professionnels.

Défi 2 : Maintenir la personne en milieu de vie

Plus qu’un dilemme, les différentes réponses au questionnaire nous montrent que le maintien en milieu de vie, même s’il est grandement souhaité pour le bien-être du bénéficiaire, est une véritable difficulté pour 78% des professionnels répondant à l’étude. Les structures et services actuels sont pointés comme n’étant pas adaptés aux besoins des publics vieillissants. L’architecture des lieux d’accueil ne convient pas toujours. En effet, l’âge avançant, les personnes ont parfois de nouvelles limitations et l’environnement physique, les activités proposées et les pratiques des professionnels ne sont plus toujours adaptées.

Un changement de lieu de vie, par exemple une entrée en maison de repos, n’est pas toujours une solution car le personnel n’est pas spécialisé dans la prise en charge d’un public porteur de handicap ou maladies psychiques. Il apparaît que 74 % des professionnels estiment manquer de formation pour s’occuper d’un public plus spécifique. Dans certains cas, le bénéficiaire peut également se sentir incompris, car le personnel ne réagira peut-être pas de la manière appropriée.

Défi 3 :  Epuisement des professionnels et des aidants-proches

L’épuisement des professionnels et des aidants proches est un défi majeur, accentué par un manque d’effectifs et une charge d’accompagnement croissante au vu des limitations supplémentaires qui s’installent avec le vieillissement. Les professionnels ressentent une perte de sens liée à l’évolution de leur mission passant d’un travail éducationnel à celui du soin. Les aidants-proches de leur côté, le plus souvent les parents eux-mêmes vieillissants, peinent à assurer un accompagnement plus épuisant et plus lourd alors qu’eux-mêmes vivent leur propre perte d’énergie ou des soucis de santé.

Défi 4 :  Accompagnement des ruptures de vie

Chacun vit des ruptures dans son parcours de vie, ces ruptures sont particulièrement marquées chez les personnes âgées : passage à la retraite, perte d’un proche, maladies dégénératives ou encore limitations physiques. Les personnes avec des fragilités, vieillissant hors des clous, sont plus vulnérables à l’adaptation lors de ces moments de rupture, surtout lorsqu’ils sont brutaux.
Sur le terrain, les professionnels signalent un manque criant de personnel, de structures adaptées et de formation au vieillissement, face à une diversité croissante des profils. Cette réalité soulève un enjeu clé : comment concilier l’évolution des parcours individuels avec une prise en charge cohérente et efficace des fragilités sur lequel se mêle le vieillissement ? L’objectif doit être de préserver les repères et d’accompagner ces transitions pour limiter leur impact et favoriser une meilleure qualité de vie des usagers vulnérables.

Défi 5 : Collaboration entre le secteur du vieillissement et du secteur du handicap

59% des professionnels répondant se disent en difficulté dans la collaboration intersectorielle. Les secteurs du handicap et de la santé mentale d’une part, et le secteur des ainés doivent s’acculturer, dépasser les stéréotypes négatifs. Des ponts, des synergies doivent se mettre en place.

Comment expliquer le fait que ces problématiques persistent ?

La persistance de ces constats s’explique en grande partie par un contexte sectoriel qui reste peu favorable à l’innovation et à la collaboration interdisciplinaire. En effet, les secteurs concernés fonctionnent encore largement en silos, chacun avec ses propres pratiques, cadres réglementaires et modes de financement. Cette segmentation freine considérablement la mise en place de solutions intégrées et adaptées.

Dans le cas spécifique des personnes en situation de handicap vieillissantes, cette problématique est exacerbée par leur position à l’intersection de deux secteurs : celui du handicap et celui du vieillissement. Ces deux domaines, bien qu’interconnectés dans ce contexte, peinent à coordonner leurs actions. La question de savoir à quel secteur incombe la responsabilité principale de leur accompagnement engendre des conflits de compétences et un manque de prise en charge cohérente.

Ce cloisonnement institutionnel entraîne un retard dans l’adaptation des politiques publiques et des pratiques professionnelles aux besoins évolutifs de cette population, perpétuant ainsi des problématiques identifiées depuis plus d’une décennie.

Pour pallier cette difficulté, les structures pour personnes en situation de handicap tentent de trouver des solutions, mais celles-ci restent insuffisantes pour couvrir l’ensemble des besoins. Elles souffrent d’un manque criant d’emplois dans le domaine sanitaire, de ressources financières supplémentaires, d’un bâti adapté, d’équipements techniques et de moyens humains additionnels.

À ces difficultés matérielles s’ajoute l’épuisement des équipes éducatives. Ces équipes, dont la culture professionnelle n’est pas centrée sur le soin ou le nursing, se trouvent confrontées à une augmentation significative de leur charge de travail. Elles doivent en outre adopter des pratiques qui peuvent heurter leurs valeurs professionnelles, amplifiant ainsi leur épuisement et rendant la situation encore plus complexe à gérer.

Les luttes dans le secteur du handicap en faveur de l’autonomie des personnes ont permis l’adoption de la Convention des Nations Unies pour les droits des personnes en situation de handicap. Cette convention, entrée en vigueur en Belgique en août 2009, a permis d’adopter de nouvelles dispositions législatives plus respectueuses de l’autonomie de la personne, de ses choix de vie, de son inclusion dans la communauté, etc. Cette mobilisation, ces dispositions légales, et cette culture n’ont pas encore eu lieu (ou trop timidement) dans le secteur du vieillissement.

Faire tomber les barrières et les silos serait donc d’autant plus précieux que cela permettrait d’exporter cette culture de l’autonomie du handicap vers le secteur du vieillissement.

Quelles pistes de solutions pour l’avenir ?

Il s’agit à la fois de former les professionnels mais également de faire évoluer les modèles d’accompagnement et d’offre de soins dans le secteur des ainés pour les rapprocher des normes d’accompagnement dans le secteur du handicap plus respectueuses de la personne, de ses droits, et de son autonomie ;
Valoriser les expériences réussies d’inclusion pour faire évoluer les mentalités, notamment au travers de logements alternatifs et innovants, permettant de casser les silos ;
Accentuer la transversalité des prises en charge des personnes, quelles que soient leurs vulnérabilités, adaptées aux particularités individuelles. Cela suppose un choix politique clair allant dans ce sens. Il sera également nécessaire à chaque professionnel, association, institution, de travailler les éventuelles résistances au changement.

two senior ladies chatting on a garden bench.

Prise de conscience d’un enjeu sociétal qui ne peut plus attendre

Entre les enjeux de l’âgisme, bien présent dans la société, et le fait qu’à partir de 45-50 ans certaines personnes, du fait de leur pathologie préexistante, soient également dans une période de vieillissement, les constats partagés tout au long de la journée nous indiquent que des choses bougent et se mettent en place, mais que les besoins sont encore énormes.
Nous constatons une relativité du vieillissement, celui-ci n’étant pas uniquement lié à l’âge, et demandons un accompagnement adéquat, transversal, en fonction des besoins et envie de la personne concernée et de ses aidants-proches.
Les ponts entre les structures manquent cruellement à l’image des politiques menées qui répètent ces visions. Il est urgent de faire un lien et de décloisonner les secteurs (mondes du handicap, de la santé mentale, des aînés), tout autant que d’assurer le lien entre le domicile et l’institutionnel.