Article publié sur le site de ResO Villes (28/05/2020) :
[Exposée dans l’introduction de ce dossier] L’accumulation de différentes difficultés à venir cet été entre des départs en vacances encore plus contraints, des équipements sportifs, culturels et des transports publics négativement affectés par la nécessité de distanciation physique et les règles sanitaires, semble être un enjeu important à prendre en compte.
Dans cette optique, l’urbanisme tactique, les aménagements temporaires peuvent apporter, accompagner ou favoriser de nouvelles qualités dans les espaces publics dans la perspective de maintenir des conditions de bien-être pour chacun. Ces interventions – qui peuvent se matérialiser par des marquages ou peintures au sol, par la création de petits mobiliers et aménagements temporaires, pourquoi pas réalisés en collaboration avec les habitants – permettent de garantir et renforcer l’utilisation des espaces publics. Ces derniers soumis à la double contrainte d’une population probablement plus nombreuse cherchant des espaces extérieurs l’été et soumis à la nécessité de la distanciation physique peuvent être repensés pour compenser le contexte exceptionnel de cet été.
Dans cet article, nous explorons comment ces méthodes de l’urbanisme tactique peuvent participer d’une réponse à certains enjeux rencontrés en fonction des différents territoires.
Répondre rapidement aux attentes et besoins des populations
Il y a fort à parier que les départs en vacances dans les quartiers se raréfient entrainant mécaniquement une demande d’occupation des espaces publics plus importante qu’à l’habitude, le tout contraint par l’injonction de distanciation physique. Ainsi, les techniques de l’urbanisme tactique permettent de développer les qualités des espaces publiques (ajout de mobilier urbain, plantations, etc.), d’occuper des interstices urbains ou des friches le temps de l’été par des aménagements compensant, par exemple, la diminution des espaces de sociabilité, de rencontres liées à la fermeture des équipements ou proposant de nouveau usages.
La relative souplesse et vitesse d’exécution de ces procédés d’aménagement permettent de répondre plus rapidement aux besoins émanant des conditions inédites qui s’imposent et qui peuvent trouver une réponse dans l’aménagement temporaire des espaces publics. Par exemple, il est probable que les espaces publics soient une ressource essentielle pour les publics jeunes ou adolescents durant la période estivale. Alors pourquoi ne pas réfléchir avec les publics concernés et les acteurs associatifs et/ou jeunesse à des investissements plus ou moins durables à l’échelle de l’été et plus ou moins conséquents en termes d’espaces (une rue peu passante, un parking sous-utilisé, un espace vert en perte d’attractivité) pouvant aller du « asphalt art » à la création de mobiliers temporaires. Ainsi, au-delà de la participation, ces créations participent d’une dynamique positive dans le quartier en apportant de la nouveauté, de l’art.
Créer, susciter ou permettre de nouveaux usages
Sur un mode plus anticipatoire, nous pouvons solliciter les méthodes de l’urbanisme tactique afin d’entrainer la création de nouveaux usages. Cette création peut être liée au lieu qui, doté de nouveaux aménagements, de nouvelles aménités, est occupé différemment (ex : peindre une marelle, créer un banc, etc.), ou, elle peut être liée à l’incitation d’usages nouveaux dans le quartier comme l’autorisation et la favorisation du jardinage urbain dans les interstices (trou dans les revêtements, pied d’arbre, pelouse ou plate-bande, etc.) telle qu’elle a pu être mise en place à Rennes, Nantes, Angers, Le Mans ou Paris.
Faire participer les habitants et les jeunes au réinvestissement temporaire
La question de la participation est centrale dans la méthodologie de l’urbanisme tactique mais peut ralentir la mise en place de ces aménagements temporaires jugés nécessaires. Nous pouvons distinguer trois niveaux de participation plus ou moins compliqués et longs à mettre en œuvre.
Dans le premier cas de figure, les aménagements temporaires sont réalisés selon le ressenti, l’expérience ou des observations concrètes des acteurs de terrain. Cette proposition de nouveaux aménagements sert de déclencheur. En effet, ces changements, ces structures en perturbant (à priori de façon positive) les habitants dans leurs habitudes, vont entraîner des réactions. C’est sur cette participation indirecte que l’on évalue via les fréquentations et les discours, les aménagements temporaires existants ou futurs pouvant par la suite être réorientés, enrichis ou démultipliés.
La participation peut également s’exprimer en amont du projet en essayant de recueillir les besoins, les attentes des habitants par des techniques d’enquêtes, des observations. De façon supplémentaire, il est possible de mettre en place des ateliers, des réflexions collectives avec les habitants et les différents acteurs du quartier afin de légitimer et de renforcer la cohérence du projet autour de certains besoins ou usages dans les espaces publics du quartier.
Enfin, le troisième niveau de participation identifié ici est associé à la réalisation des aménagements temporaires par les habitants. Ces réalisations peuvent être plus ou moins encadrées en allant des permis de végétaliser, laissant une certaine autonomie aux habitants, à des ateliers de construction, de peinture où des professionnels accompagnent des habitants.
Il y a de fortes chances que les aménagements temporaires réalisés suite à des processus participatifs ou à des ateliers de co-construction accélèrent et favorisent une appropriation de ces éléments urbains. Par la suite si les aménagements se révèlent particulièrement pertinents au regard des besoins de la population ou d’une partie de la population, ces derniers devraient également susciter une appropriation plus large. Il nous semble également important de rappeler que les procédés de participation évoqués précédemment se déroulent dans le cadre d’une démarche d’urbanisme tactique/temporaire et doivent ainsi rester simples et rapides à mettre en œuvre. Ils sont, en quelque sorte, proportionnels à l’enjeu qui se trouve derrière un aménagement temporaire mais permettraient de mettre au jour d’éventuels conflits d’usages ou incompréhensions en amont. Pour exemple, la co-construction avec les habitants peut s’inspirer d’actions simples à mettre en œuvre comme celle menée par l’association nantaise Belle de bitume.
En évoquant la notion de participation, il convient également de mentionner l’enjeu de la gestion de la temporalité de ces aménagements en insistant, en précisant leur aspect éphémère afin d’éviter une frustration de la part des habitants. En revanche, il est possible de canaliser cette frustration en capitalisant les succès et les défauts des aménagements temporaires afin, pourquoi pas de pérenniser certains essais.
Animer les espaces du quartier
Les interventions temporaires permettent d’offrir de nouveaux équipements/aménagements afin de soutenir/promouvoir certaines pratiques ou afin de créer de nouveaux usages, et peuvent très largement suffire en elles-mêmes. Cependant, l’association d’une animation de ces nouveaux lieux peut renforcer leur qualité au regard des enjeux soulevés en cet été 2020. Cette animation dans les espaces publics peut être pensée pour les publics jeunes qui auront moins de place dans les centres d’animation. Ces animations peuvent aussi être pensées pour tous les habitants si l’on prend l’exemple des barbecues installés dans le parc des chantiers à Nantes qui sont quotidiennement ouverts, gérés puis fermés par un responsable permettant de garantir la sécurité de ces équipements sur la période de l’été. Cet exemple où l’aménagement et l’animation sont pensés ensemble peut nous amener à concevoir, à repenser des espaces publics capables d’accueillir des petits événements tout au long de l’été permettant de rythmer ce dernier. La nature de ces événements peut être extrêmement variée ainsi que le rappelle Giovanni Sechi énumérait pour exemple « les ″magasins éphémères″, des ateliers création de mobilier urbain pour aménager un espace public, des food trucks, des interventions artistiques et créatives comme les spectacles théâtrales, concerts, ateliers d’art et d’urbanisme, guerrilla gardening, agriculture urbaine, et bien d’autres ».
Inciter au respect de la distanciation physique
L’idée d’animation des espaces publics ou des structures temporaires peut nous alerter sur la possibilité que de tels événements risquent de connaître une affluence trop importante au regard de la possibilité d’accueil et des contraintes de distanciation physique.
Des méthodes incitatives voire plus restrictives ont été tentées par diverses villes pour « contenir » ou éviter des regroupements trop denses dans divers contextes. Que ce soit à Paris dans la rue d’école piétonnisée où des peintures au sols ont été réalisées, afin d’éviter les attroupements, ou à San-Francisco où certaines pelouses sont marquées pour faciliter, encourager la répartition des publics.
Ces exemples de disposition peuvent aider à maintenir cette distanciation dans les espaces publics densément fréquentés ou lors de petits événements de quartier pouvant attirer des habitants.
Dans les cas les plus « extrêmes » par la contrainte qu’elle introduit, une organisation très structurée de certains événements publics peut être un moyen de faire respecter cette distance.