Articles de la catégorie : Dossier

Observation. Eclairer la réalité des inégalités sociales face à la santé

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

La fonction de surveillance ou observation (1) peut être comparée à celle d’une lampe. Lorsqu’un appareil ne fonctionne pas correctement, il faut de la lumière pour bien voir où est le problème, ensuite il faut un technicien qui doit disposer des bons outils pour réparer.
S’il doit travailler dans le noir, il est fort probable que, malgré ses compétences et la qualité de ses outils, il ne puisse mener à bien son travail. Inversement, si on se contente d’éclairer l’appareil qui dysfonctionne, sans que personne ne s’attache à le réparer, ou que le réparateur ne dispose pas des outils nécessaires, cela ne servira à rien. L’objectif de l’éclairage en santé des populations n’est pas purement «descriptif»: on n’éclaire pas pour pouvoir «admirer» les inégalités de santé sous toutes les coutures mais pour mobiliser les décideurs et la société civile, pour engager à agir.

Éclairer le mieux possible, qu’est-ce que cela implique?

Pour rendre visible la réalité, il faut utiliser toutes les informations dont on dispose, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives. La mesure des inégalités de santé implique une réduction de la réalité à une série d’indicateurs. Les indicateurs doivent être avant tout au service de la réalité qu’ils tentent d’appréhender. Trop souvent les indicateurs acquièrent une vie propre, qui les détache progressivement de cette réalité. Notre travail consiste à les relier à cette réalité, c’est-à-dire comprendre quelle réalité concrète est captée par un indicateur et comment le lien entre cette réalité et l’indicateur évolue dans le temps en tenant compte des évolutions démographiques, économiques, législatives, etc. C’est pourquoi il est indispensable que les services chargés de la surveillance maintiennent une interaction avec les acteurs de terrain.
Il faut donc choisir ou créer des indicateurs de qualité. Il ne s’agit pas ici d’un exercice méthodologique scientifique, visant à élaborer l’indicateur «idéal» mais plutôt de tenter de trouver le meilleur compromis possible dans les contraintes existantes: des indicateurs du statut social et de santé qui puissent être associés entre eux, qui soient pertinents dans le contexte donné, fiables, accessibles de manière régulière. Le rôle de la surveillance est aussi de plaidoyer et de guidance pour le développement de sources de données qui combinent santé et social.
Il faut cependant être conscient qu’une partie de la réalité échappe aux informations rassemblées, qu’elles soient issues de données d’enquête, de données de routine ou de données administratives. Pour élaborer une vision globale des inégalités sociales de santé dans un territoire donné, il est donc indispensable de combiner également d’autres types d’informations que les données chiffrées, comme celles issues de l’expertise des acteurs de terrain, de la population elle-même et de recherches qualitatives.
Comment maintenir l’attention sans répéter inlassablement les mêmes constats au risque de lasser? Comment rendre compte de la complexité de cette réalité et des liens intrinsèques entre les inégalités de santé et les inégalités sociales sans risquer de renvoyer vers un sentiment d’impuissance? Il est bien plus facile de mobiliser les décideurs en santé publique pour agir sur les inégalités face à l’accès aux soins (les réponses sont de leur compétence, les obstacles sont plus faciles à cerner et à surmonter) que de les mobiliser face aux inégalités sociales de santé dont les déterminants se situent très largement en dehors de leurs compétences et qui renvoient vers des questions idéologiques très fondamentales, ce qui a un effet «paralysant». Il faut donc rester attentif à la manière dont on maintient l’attention, en accompagnant la diffusion des informations et en donnant des outils qui guident vers l’action.
Se baser sur une relation simple et logique du type «bonne documentation = bonne information des décideurs = bonnes décisions d’interventions» relève un peu du fantasme. En effet, la question du passage de la mesure des inégalités à la mise en place de politiques efficaces est beaucoup plus complexe. Tout d’abord parce que les constats ne donnent aucune clé pour agir. Et plus fondamentalement encore parce que la réduction des inégalités sociales de santé concerne directement la question de la répartition des ressources dans une société.
De manière très simplifiée, on peut décomposer ce chemin en grandes étapes:
-intégrer les données concernant les inégalités de santé dans une vision globale et compréhensive (articuler les informations quantitatives et qualitatives);
-diffuser largement cette vision globale pour amener à une volonté de réduire ces écarts;
-proposer aux décideurs qui veulent agir des éléments concernant les stratégies efficaces dans le contexte précis de leurs compétences pour qu’ils puissent élaborer des politiques visant la réduction des écarts.
Enfin, en fonction des stratégies choisies par les décideurs, proposer des indicateurs permettant d’évaluer à court, moyen et plus long terme les politiques mises en place, toujours dans le contexte spécifique du pays, de la région, de la localité.
La fonction de surveillance ne se limite donc pas à mesurer de manière régulière les écarts existants. Il faut aussi proposer des informations qui permettent de suivre les mécanismes qui créent, qui maintiennent ou qui réduisent les écarts dans ce contexte spécifique. Il faut aussi pouvoir éclairer les acteurs et décideurs qui sont en dehors du champ de la santé publique et qui peuvent agir via leurs compétences.
Par exemple, rassembler les informations utiles portant sur les liens entre logement et inégalités de santé pour éclairer ceux qui ont les compétences et la volonté d’agir pour réduire les écarts de santé par le biais du logement.
Pour mobiliser les niveaux de pouvoirs utiles, il est important de présenter les écarts à l’intérieur du territoire de compétence (national, régional, local); cela permettra également d’éviter que seules les autorités qui ont en charge les populations les plus défavorisées ne se sentent concernées.

La fonction de surveillance a aussi une responsabilité d’objectivation du débat

La question des inégalités sociales de santé pose des questions fondamentales sur l’organisation plus ou moins équitable de la société, questions éminemment idéologiques. Cependant, dans le cadre précis de la fonction de surveillance, il est important de garder une position, non pas neutre (le choix même de vouloir éclairer cette réalité n’est pas neutre) mais en recul par rapport au débat idéologique.
Les informations, rigoureusement documentées, que l’on diffuse doivent pouvoir alimenter le débat, en particulier sur les stratégies à mettre en place pour réduire les écarts. Mais il faut éviter d’induire des représentations et des modes d’interventions par le choix des indicateurs présentés.
Par exemple, la présentation des inégalités sociales par un rapport entre les groupes extrêmes peut induire une représentation «duale» des inégalités et des interventions ciblées uniquement sur les groupes les plus pauvres; la présentation des inégalités de manière spatiale (inégalités entre zones) peut induire des interventions ciblées sur les territoires. La diffusion répétée de données mettant en évidence la fréquence croissante de comportements «nocifs» pour la santé lorsqu’on descend dans l’échelle sociale peut induire l’idée qu’il faut avant tout éduquer et responsabiliser davantage les individus pour qu’ils arrivent au meilleur état de santé possible; à l’inverse, la diffusion d’informations mettant en évidence les mécanismes qui lient facteurs environnementaux et comportements (par exemple les liens entre conditions de vie et stress et le développement de certains comportements «à risque» comme une réponse au stress (ex. tabac, alcool)) peut conduire à des interventions portant davantage sur l’environnement ou les facteurs en amont des comportements.
Nous avons donc une responsabilité à présenter des informations en mesure d’éclairer ces questions sous des angles divers en tenant compte des connaissances accumulées par les recherches et recherches-actions. Il nous faut aussi diffuser les informations contextualisées sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Enfin, la fonction de surveillance ou d’observation a une responsabilité dans le cadre de l’évaluation de l’impact des politiques, stratégies et interventions sur les inégalités de santé.
Cette évaluation doit se faire en partenariat avec les acteurs de terrain, les politiques ou les communautés. Des activités de promotion ou de prévention réduisent-elles les inégalités sociales pour les problèmes de santé précis qu’ils ciblent? L’amélioration de l’accès aux soins réduit-il les inégalités sociales face aux problèmes de santé sensibles aux soins?
Un peu en recul et sans lien direct avec les interventions menées, la fonction de surveillance peut évaluer l’impact positif ou les effets pervers éventuels des interventions sur les inégalités de santé et, par exemple, tirer la sonnette d’alarme si l’on constate que des interventions visant à améliorer l’accès financier aux soins augmentent les obstacles administratifs et le contrôle social au point de rendre l’accès encore plus difficile pour certains.
La fonction de surveillance est donc tout à fait complémentaire et au service des autres activités de santé publique et de promotion de la santé.
Myriam De Spiegelaere , M.D., Ph. D., Observatoire de la santé et du social de Bruxelles

(1) En fonction des pays et des contextes, plusieurs termes désignent la fonction de suivi de la santé des populations: observation de la santé en Europe, surveillance de la santé au Québec…

Contexte. Lutte contre les inégalités sociales de santé: les initiatives se multiplient, mais…

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

La lutte contre les inégalités sociales de santé est une réalité qui prend la forme de projets d’envergures variables. Avec l’exposé de Sylvie Stachenko (Agence de la santé publique du Canada), c’est vers l’OMS que se sont d’emblée tournés les regards et les espoirs. L’OMS compte en effet depuis 2005 une Commission des déterminants sociaux de la santé. Avec l’appui de commissaires expérimentés et compétents, ses réseaux de savoirs, ses réseaux de la société civile et l’expérience de pays à l’avant-garde dans cette thématique, la Commission a tenté de proposer des principes pour l’action: -améliorer les conditions de vie quotidienne;
-lutter contre les inégalités dans la répartition des ressources;
– mesurer l’ampleur du problème;
-et enfin évaluer l’action.
Sa réflexion s’est concrétisée dans le rapport «Combler le fossé en une génération» (1). « Un intérêt de ce rapport et non le moindre », a souligné Sylvie Stachenko, « c’est de légitimer l’enjeu que représentent les inégalités sociales de santé , de stimuler le dialogue entre secteurs , de réunir des données probantes , de guider les activités d’évaluation et d’identifier les mesures prioritaires en termes de santé publique ». Un autre rapport, canadien celui-là, a été également cité. Il s’agit du premier rapport sur l’état de la santé publique au Canada (2). Datant de 2008, il aborde explicitement la thématique des inégalités de santé. Deux axes d’intervention ont d’ores et déjà été dégagés, à savoir favoriser la mobilisation collective face à cet enjeu et réduire les inégalités dont sont victimes les enfants.
Les coûts de ces actions doivent encore être évalués. Parmi les autres initiatives soulignées comme encourageantes: la création d’un sous-comité du Sénat sur la santé des populations, qui devrait rendre un rapport en 2009 sur l’évolution du problème.
L’Europe n’est pas en reste avec le projet «Determine», un projet qui vise à mieux connaître les politiques porteuses de changements en matière d’inégalités sociales de santé (3). Il s’agit d’une initiative qui assure le suivi du projet «Closing the gap».

Combler les écarts

Ron Labonté (Université d’Ottawa) est revenu, en se basant sur le rapport de la Commission sur les déterminants sociaux de l’OMS, sur «ces insuffisances des politiques économiques et sociales qui continuent de tuer les populations à grande échelle».
Le constat est dramatique: les bénéfices du développement économique sont partagés entre les plus riches. Les écarts de revenus dans et entre les nations se creusent. Une redistribution de biens s’imposerait. « Mais que penser », demande Ron Labonté, « de la position de l’ONU et de ses Objectifs du Millénaire pour le Développement particulièrement peu ambitieux ? Il faudrait 220 ans pour voir réduite de moitié la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté . On peut se demander où se situent les priorités de développement !».
Selon certaines estimations, l’espérance de vie mondiale a diminué de 1,53 année depuis 2000, ce qui est alarmant. En Chine, c’est une demi-année de vie qui serait perdue pendant la même période. Les technologies de santé et les produits dérivés de la croissance économique se sont révélés insuffisants pour compenser les pertes causées par un accroissement des écarts entre revenus, par la détérioration de l’accès aux soins pour certains et par la détérioration d’un accès à l’éducation pour les femmes. On notera encore l’évocation au cours de ces journées d’un modèle, dit en «escalier roulant» pour qualifier l’écart se creusant entre certaines fractions de la population. L’image est celle de l’escalier roulant des plus riches qui monte en ignorant l’escalier descendant des pauvres. Le modèle invite à questionner certains paradoxes des politiques sociales. Ainsi des politiques ciblées sur les familles les soutiennent-elles pendant que dans le même temps les personnes seules souffrent de ne pas figurer parmi les publics prioritaires! Vigilance donc! « Il faut savoir » dira Marie-France Raynault (Université de Montréal, Québec), « quelles sont les dépenses publiques qui luttent réellement contre la pauvreté ».
Monique Bégin (ancienne ministre et représentante pour le Canada à la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS), rappellera, quant à elle, le nécessaire glissement sémantique d’inégalités de santé vers inéquités de santé. « Les chiffres sont aveugles si des valeurs ne sous tendent pas leur quête ou leur explication . Les inéquités de santé , voilà ce qui doit conditionner les politiques ».
Suivirent des chiffres, comme ces 50 millions de naissances non enregistrées par an, soit une sur trois. Des enfants qui ne seront pas scolarisés, des adultes qui ne voteront pas. La porte ouverte aux trafiquants. D’autres chiffres? Celui, par exemple, du taux de dépression sévère, 17 fois plus important chez les bénéficiaires du revenu minimum que dans la population générale. Ou ce dernier, particulièrement éloquent: où se situent vraiment les priorités quand on sait qu’un maigre 2 % de l’argent consacré au sauvetage économique des banques aurait suffi pour régler, au niveau mondial, le problème des bidonvilles?

Une perspective historique

Luc Berghmans (Observatoire de la Santé du Hainaut, Belgique) a rappelé combien les inégalités sociales et les inégalités de santé sont liées. Il aura fallu attendre le 19e siècle pour que les premiers travaux structurés les concernant soient publiés. Et de citer ces fins analystes et fervents militants que furent Louis Villermé (en France), Rudolf Virchow et Friedrich Engels (en Allemagne). Les luttes sociales conduisent heureusement, après plusieurs décennies, à l’émergence d’États sociaux, favorisant l’accès aux soins. Cependant, cet accès ne gomme pas les inégalités de santé, ce que démontre le rapport Black (Grande Bretagne, 1980). Ce rapport va stimuler les recherches et les analyses qui mettront en évidence la nécessité du travail en amont sur les déterminants socio-économiques et qui documenteront bien la stratification socio-économique des inégalités de santé (c’est la notion de gradient social de santé).
Selon Luc Berghmans, ces deux éléments impliquent que les stratégies correctrices doivent dépasser l’action ciblée vers les plus démunis pour toucher aux sources des inégalités dans l’organisation sociale, politique et économique de la société.

Les traumatismes

Lucie Laflamme (Karolinska Institutet, Suède) s’est penchée sur la question des traumatismes, définis comme les blessures intentionnelles et non intentionnelles. Ils sont responsables d’un décès sur dix et causent 5 millions de décès par an. 875 000 de ces victimes sont des enfants et des adolescents de moins de 18 ans. La grande majorité, soit environ 90 %, de ces traumatismes surviennent dans les pays à faibles revenus. « Les traumatismes », explique Lucie Laflamme, « ne découlent pas nécessairement de la pauvreté , mais peuvent y mener . Il va de soi qu’une situation sociale peu favorable ne permettra pas d’avoir accès à tous les moyens de protection , va augmenter les expositions aux risques , que cela soit à la maison , à l’extérieur ou au travail . Le suivi des blessures sera en outre moins favorable . Le défi est de travailler à diminuer l’ensemble de la mortalité , mais aussi à rapprocher la situation chez les plus nantis et chez les moins nantis ».
Les moyens d’action évoqués sont la législation, les programmes communautaires et les actions d’éducation. Lucie Laflamme propose aussi d’exploiter les 10 stratégies de prévention de Haddon, dont la liste est la suivante: éliminer, séparer, isoler, modifier, équiper, entraîner et instruire, avertir, superviser, secourir, réparer et réhabiliter.
Pour contrer les conséquences différentielles, on travaillera sur les stratégies «secourir», «réparer» et «réhabiliter» ainsi que sur le volet «s’équiper» (se protéger). En matière de lutte contre l’inégalité face au risque, on travaillera le développement des compétences et mettra en œuvre les stratégies «instruire», «avertir» et «superviser», des stratégies de prévention qui sont complémentaires d’un travail sur la mobilité sociale des individus.
En Afrique du Sud par exemple, les violences conjugales ont été réduites de moitié après trois ans d’un programme de formation destiné aux femmes (prise de décisions et connaissance des ressources).

Balises pour l’action

Actives au sein du Centre Léa Roback (Centre de recherche sur les inégalités sociales de santé de Montréal), Marie-France Raynault et Louise Potvin ont proposé quelques idées fortes concernant l’approche des parcours de vie, mais aussi les actions à mettre en œuvre pour réduire les inégalités sociales de santé.
Ainsi, elles définissent la santé comme un attribut des populations. Qualifiée de responsabilité collective, la santé est tributaire des conditions de vie. « Une responsabilité sur laquelle il convient de s’interroger », explique Louise Potvin, « quand on réalise qu’en général , les budgets dits durs , assez immuables , récurrents , sont utilisés dans les quartiers favorisés et que les budgets qualifiés de mous , plus précaires , sont dévolus à des projets de développement ; ce sont justement les budgets dont les quartiers moins favorisés ont besoin !».
L’approche des parcours de vie nous rappelle que la vie se déploie dans le temps, qu’elle intègre des éléments de nature variée et qu’enfin les vies, à l’échelle globale, sont liées. Les éléments, de nature variée, cités plus haut seraient de quatre types: biologique, social, économique et culturel. Ces «capitaux» permettent les échanges qui construisent nos vies. Les inégalités naissent de l’interaction entre l’accès aux ressources et les capacités à transformer ces ressources en santé. Ces capacités pourraient être accrues par l’intervention préventive, qui prend diverses formes. Elles se sont succédé au cours du temps et coexistent aujourd’hui. Il s’agit de l’éducation sanitaire, l’éducation sanitaire de groupe, les programmes structurés, l’approche écologique et les modifications apportées à l’environnement des individus. Un accent particulier est mis dans l’exposé des intervenantes sur l’importance des parcours de vie, qui implique notamment que ce qui se passe tôt dans la vie d’une personne aura des répercussions importantes. Des conséquences qui peuvent être extrêmement favorables puisque des garderies de qualité, par exemple, pourraient diminuer les différences de santé dues à l’origine familiale (socio-économique) des enfants. Ce n’est pas le seul exemple cité: des espaces verts dans les quartiers sont aussi corrélés de manière similaire avec l’état de santé. Des pratiques cliniques préventives sont également favorables et représentent une autre façon de créer des richesses… L’ensemble de ces préoccupations devrait donner lieu à une «nouvelle santé publique» qui prendrait en considération le gradient social de santé, et ce dans tous les secteurs de l’intervention. Véronique Janzyk , Observatoire de la Santé du Hainaut

(1) https://www.who.int
(2) https://www.phac-aspc.gc.ca
(3) https://www.health-inequalities.eu

Contexte. Inégalités sociales de santé. Une histoire ancienne d’actualité

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Sur la carte de distribution d’un indice de perception de mauvaise santé en Belgique, une région du Hainaut se détache dans la teinte foncée de l’indice le plus défavorable. Sans surprise, cette zone, au passé d’industries lourdes et de mines de charbon, affiche des indicateurs sociaux et économiques à l’avenant. Un artiste surréaliste l’a surnommée avec irrévérence, la «silicose vallée» (1). La silicose a fait place depuis 50 ans aux maladies cardiovasculaires et aux cancers mais l’inégalité sociale de santé est toujours bien présente.
Tous les promoteurs de la santé sont confrontés à ces inacceptables «silicose vallées». Les contours en sont des territoires, des groupes sociaux, des minorités, des groupes d’âges ou le sexe, et souvent ces contours se superposent pour accentuer les inégalités. Comprendre la problématique et agir au mieux pour tenter d’en diminuer l’ampleur sont des exigences éthiques au centre de nos métiers de santé publique.

Le 19e siècle «découvre» les inégalités de santé

Un détour par l’histoire peut aider à la compréhension. Les inégalités de santé existent probablement depuis que les inégalités sociales existent mais c’est au 19e siècle que les premiers travaux structurés sont publiés sur le sujet. En France, Louis Villermé publie en 1830 un mémoire sur la mortalité dans les différents quartiers de Paris. Les observatoires de santé de Londres et de Bruxelles réalisent encore aujourd’hui ce genre d’analyse, en mettant en évidence le même type d’inégalités de santé. En 1840, son rapport sur l’état physique et moral des ouvriers du secteur textile conduit à l’adoption d’une loi interdisant le travail des enfants… avant l’âge de 8 ans. Edwin Chadwick en Angleterre en 1842 estimait déjà que les travailleurs pourraient gagner 13 ans d’espérance de vie en améliorant drastiquement la propreté publique et l’approvisionnement en eau potable. En Allemagne, Rudolf Virchow en 1848 enquête sur une épidémie de typhus en Haute Silésie: il prescrit comme traitement la démocratie, l’éducation, la liberté et la prospérité et fustige l’approche caritative du ministre de la santé de l’époque. Friedrich Engels dans son ouvrage de jeunesse sur la situation de la classe laborieuse en Angleterre en 1845 analyse la situation ouvrière en établissant le lien avec le développement du capitalisme industriel. Pour lui, les solutions viendront de la prise de conscience et des combats collectifs du groupe social qui pâtit le plus de la situation, à savoir le prolétariat. C’est une forme de théorie de l’empowerment avant la lettre.

Les moteurs historiques de l’action sur les déterminants de santé

De fait, les luttes sociales se développent dans toute l’Europe et deviennent le moteur essentiel du progrès social, qui aboutit quelques décennies plus tard à l’émergence d’États sociaux (2). Deux autres facteurs vont favoriser les améliorations structurelles. D’une part, la multiplication d’expérimentations sociales, de forme et de motivation très différentes:
-l’action patronale paternaliste parfois avant-gardiste;
-l’action caritative souvent d’inspiration religieuse ou moralisatrice;
-et enfin l’organisation de structures de solidarité ouvrière sous forme de coopératives et de caisses mutuelles d’assurances notamment de santé. Ces expérimentations, surtout de la dernière catégorie, ont inspiré très directement les dispositifs actuels de solidarité sociale. D’autre part, l’opportunisme de l’establishment qui perçoit les bénéfices indirects d’une meilleure protection des travailleurs. Ainsi Lord Beveridge , le père du système de protection sociale en Grande-Bretagne a pu convaincre en 1945 les Conservateurs sceptiques d’adopter ses propositions avec des arguments de meilleure productivité et de compétitivité. Les travailleurs, de plus en plus qualifiés, deviennent un investissement précieux dans l’industrie moderne. Ils deviennent aussi des consommateurs potentiels, porteurs d’élargissement de marchés. En schématisant, historiquement, les moteurs de l’action sur les déterminants de la santé (cela ne s’appelait pas comme ça à l’époque) sont: 1) le développement des connaissances et la prescription de remédiations structurelles (souvent sur une base empirique et morale);
2) les luttes et les revendications ouvrières; 3) les expérimentations sociales; 4) l’intérêt économique. Et les résultats sont au rendez-vous: conditions de vie améliorées, réglementation du travail, protection sociale, prodigieux bond en avant de l’espérance de vie, accès aux soins de santé. À partir de la moitié du XXe siècle, l’essor de la médecine scientifique et technologique fait croire que le problème des inégalités disparaîtra grâce à cet accès aux soins en voie de généralisation.

Les progrès des connaissances en santé publique bousculent l’illusion médicale

Les recherches sur les causes des maladies chroniques et sur les différences de mortalité observées entre groupes sociaux vont mettre à mal cette illusion et le semi-échec des premiers grands programmes d’intervention cardiovasculaire, surtout ceux à fortes composantes comportementalistes, va stimuler la réflexion critique. Progressivement, les acteurs de santé publique construisent le modèle explicatif des déterminants de santé qui débouchera sur un nouveau référentiel pour l’intervention, brillamment résumé dans la Charte d’Ottawa. Sur le plan politique, le rapport de Douglas Black , commandité par le gouvernement britannique en 1980, documente clairement le fait que l’accès généralisé aux soins de santé n’a pas gommé les inégalités sociales de santé. Les propositions d’actions sur les déterminants de santé seront largement ignorées par le gouvernement Thatcher qui succède au gouvernement travailliste à l’initiative de l’étude. Il faudra encore deux décennies de recherches, colloques et publications notamment de l’OMS et de l’Union européenne pour que ce problème fasse l’objet de plans nationaux, qui sont loin d’être généralisés en Europe. On en trouve au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Suède, pays où travaillent les chercheurs les plus actifs dans ce domaine. Leurs travaux ont démontré que les inégalités sociales de santé ont tendance à s’aggraver à peu près partout en Europe rendant encore plus évidente la priorité d’une prise en charge globale.

Le passage du constat à l’action se heurte à des difficultés nouvelles

Épinglons deux éléments parmi d’autres. 1) La complexité des chaînes causales dans le modèle des déterminants de santé. Ces chaînes relient les facteurs individuels aux facteurs de lieux de vie eux-mêmes en relation avec l’organisation macroscopique de la société. Cela se complique encore par l’introduction du concept de trajectoire de vie et de trajectoires de vie des générations. Ces trajectoires de vie traversent l’environnement, lui-même changeant. Face à cette complexité multifactorielle extrême et sous peine de paralysie, les recommandations stratégiques ne pourront plus être uniquement basées sur des preuves épidémiologiques classiques. Il faudra dans une certaine mesure s’appuyer sur le quasi expérimental, les expériences naturelles et sur des arguments de justice sociale et d’éthique pour avancer, avec en contrepartie le développement de systèmes sophistiqués et transparents d’évaluation et de participation citoyenne. 2) Le deuxième élément réside dans la difficulté d’obtenir une mobilisation sociale à la hauteur des défis. Cela s’explique peut-être par un manque de visibilité directe du problème. Pour reprendre l’expression d’un journaliste (3), on est passé d’un modèle «falaise» avec les nantis en haut et la masse du peuple en bas à un modèle en «escalier». Les inégalités sociales de santé se manifestent dans l’organisation sociale actuelle au travers de gradients qui concernent toutes les couches de la population et les formes d’inégalités peuvent en plus varier en fonction de l’indicateur social choisi (revenu, éducation, profession, territoire) et dans une moindre mesure du problème de santé considéré. Confrontés à ces deux difficultés, les acteurs de santé publique de terrain souhaitent un affinement et une meilleure opérationnalisation des référentiels pour l’action de lutte contre les inégalités. Mais, plus fondamentalement, nos expériences de terrain nous incitent à penser que les avancées vont dépendre aussi de la capacité collective à revoir en profondeur notre organisation sociale. La pénombre dans laquelle s’est développée l’incroyable crise financière de 2008 nous rappelle que la démocratie s’arrête devant les portes des conseils d’administration des grands acteurs économiques mondiaux. Pour diminuer les inégalités sociales de santé, l’amélioration de nos pratiques professionnelles est nécessaire, mais repenser la démocratie économique et les modèles de répartition des richesses collectives et de solidarité, est indispensable.
Luc Berghmans , Observatoire de la santé du Hainaut

(1) Joseph Ghin, plasticien surréalistico-borain
(2) Welfare state, traduit communément et malencontreusement par État providence. Subtil glissement sémantique, providentiel pour les opposants aux formes sociales d’organisation de la solidarité.
(3) Thierry Poucet, in Bruxelles santé n°51, septembre 2008

Réduire les inégalités de santé. Introduction. Une rencontre…

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Les 17 et 18 novembre 2008, s’est tenue à Québec, dans le cadre des 12e Journées annuelles de santé publique (JASP), la Rencontre francophone internationale sur les inégalités sociales de santé regroupant 845 personnes provenant de 21 pays. Les participants ont pu débattre des multiples manifestations de l’impact des inégalités sociales sur la santé des populations, ainsi que des meilleures approches et moyens utiles à mettre en place pour les réduire.
Cette Rencontre visait à rassembler des acteurs francophones de santé publique dans une dynamique de confrontation d’idées, de comparaison et d’apports mutuels. Ce fut pour eux l’occasion, quelles que soient leurs responsabilités ou leurs fonctions, de progresser dans leur compréhension des inégalités sociales de santé, des mécanismes en cause, de leur ampleur, du rôle qu’ils peuvent jouer pour les réduire et aussi d’être mieux outillés pour le faire. Ce numéro spécial d’Éducation Santé se veut l’écho de ces débats et l’exploration d’avenues novatrices de solutions pour faire face à cet enjeu majeur et prioritaire de santé publique que représente l’équité en santé, tout particulièrement dans l’espace francophone.
Toutes les composantes du programme ont été définies en intégrant un point de vue international, incluant les préoccupations des pays en développement et en transition. Un nombre important de personnes, provenant aussi bien des milieux de la recherche que de l’intervention, a été associé à la conception de l’événement, donnant lieu à un programme qui comportait une grande diversité de conférences et de tables rondes en séances plénières ainsi que des communications et discussions en session de groupes.
Les séances plénières débutèrent par un rappel des fondements historiques de la prise de conscience et de l’action en santé publique pour contrer les inégalités sociales de santé – ce que Luc Berghmans résume dans le premier texte de ce numéro spécial d’ Éducation Santé . La Rencontre s’est ensuite poursuivie par divers exposés et tables rondes, l’une d’elle ayant pour objectif d’explorer la façon dont se traduit la préoccupation pour la question des inégalités sociales de santé dans les différentes fonctions de santé publique.
Un texte de Véronique Janzyk relatant l’essentiel des discussions tenues lors de ces séances plénières, notamment celles sur les impacts de la mondialisation ou sur les prises de position et initiatives récentes de l’OMS (Commission sur les déterminants sociaux de la santé), de l’Europe (projet DETERMINE) et du Canada (Rapport sur l’état de la santé publique au Canada 2008), est ensuite présenté aux lecteurs et lectrices de la revue.
Des réflexions furent également proposées par des acteurs provenant de milieux divers (citoyen, municipal, syndical, éducation, société civile) interpellés par la question, sur leur rôle, ses limites, et leurs besoins de collaborations quelles soient interdisciplinaires ou intersectorielles. L’événement fut clôturé par un vibrant appel à la mobilisation pour instaurer l’équité en santé, lancé par l’Honorable Monique Bégin qui s’appuyait sur les travaux de la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS.
Ce numéro spécial se conclut par un texte de cette conférencière qui aura marqué les participantes et participants par sa grande détermination et sa volonté inébranlable à faire comprendre que la lutte contre les inégalités sociales de santé est un combat obligatoire, légitimé par les connaissances et surtout possible à mener avec succès.
Dans les séances en groupes plus restreints ont été étudiées, toujours sous l’angle de la construction, de la reproduction et de la réduction des inégalités sociales de santé, de multiples questions. Des idées, analyses et suggestions issues d’un échantillon de ces séances sont présentées dans la revue:
-la surveillance des inégalités sociales de santé ( Myriam De Spiegelaere );
-la petite enfance ( Ginette Paquet );
-le milieu scolaire ( Lyne Arcand );
-la planification et l’évaluation des interventions ( Shelley-Rose Hyppolite et Louise Potvin );
-l’engagement citoyen ( Pier Bouchard et Sylvain Vézina );
-les partenariats ( Jocelyne Bernier );
-les habitudes de vie ( Katherine Frohlich );
-l’environnement ( Pierre Cornut et Ginette Lafontaine );
-les populations autochtones ( Marie-Jeanne Disant );
-les pays à faible revenu ( Valéry Ridde et Mohamed Mebtoul ).
En mettant à votre disposition cet aperçu de la Rencontre , et en vous invitant à consulter le site Internet des JASP (www.inspq.qc.ca/jasp/) pour en savoir plus, nous souhaitons partager avec vous quelques-uns des constats sur la pertinence et l’urgence de se préoccuper de l’impact des inégalités sociales, quel que soit le problème de santé considéré. Nous souhaitons aussi faire connaître certaines analyses qui permettent de mieux saisir comment les inégalités sociales contribuent à façonner cette distribution de la santé entre les groupes et enfin quelques propositions novatrices et imaginatives sur des façons de faire pour les réduire.
De plus, ce numéro spécial d’ Éducation Santé vous transmet une bibliographie commentée sur les inégalités sociales de santé, produite en partie par le Réseau francophone international en promotion de la santé (Réfips). Cette bibliographie est essentiellement composée des références les plus pertinentes pour le lectorat de la revue. Ces références sont également facilement accessibles en ligne.
Nous espérons que l’ensemble de ces textes puisse contribuer à bien informer les lectrices et lecteurs de la revue sur la question des inégalités sociales de santé et des moyens pour travailler, comme nous y invite l’OMS, à l’amélioration des conditions de vie quotidiennes et des circonstances dans lesquelles les gens naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent.
Maria De Koninck , Réseau de recherche en santé des populations du Québec et Université Laval, Catherine Hébert , Réseau de recherche en santé des populations du Québec, Hélène Valentini , Institut national de santé publique du Québec.

Vies en exil. Une approche ethnographique du vécu de demandeurs d’asile en Communauté française de Belgique

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

La recherche-action UNI-SOL en Communauté française de Belgique a débuté en 2003, à l’initiative du Fonds Houtman et de l’Office de la Naissance et de l’Enfance (1). Quatre universités se sont impliquées dans une aventure originale: réaliser, ensemble, une recherche-action sur l’immigration récente.
L’originalité ne s’est cependant pas arrêtée à cette démarche. En effet, non contents de collaborer étroitement à un projet d’une grande ampleur, les différents acteurs initiaux ont «osé» la différence. D’un objectif initial commun – l’amélioration du bien-être des enfants primo-arrivants et de leur famille – sont nées des approches diversifiées : diversité des méthodologies, diversité des théories, diversité des acteurs concernés.
La recherche-action UNI-SOL est donc extrêmement métissée. Cependant, ce métissage n’empêche aucunement une réelle solidarité entre universités, mais aussi entre les universités et «le terrain», une construction commune où interviennent conjointement chercheurs universitaires, intervenants sociaux (travailleurs psycho-sociaux, médicaux, scolaires, etc.), et familles immigrées.

Demandeurs d’asile: quel vécu?

Il existe de nombreuses formes d’immigration: regroupement familial, étudiants, demande d’asile, etc. L’équipe de l’Université de Mons-Hainaut a décidé de s’intéresser aux demandeurs d’asile en première phase de la procédure de régularisation vivant dans un centre ouvert fédéral et dans une Initiative locale d’accueil (ILA) (2).
Un demandeur d’asile est une personne ayant introduit une demande auprès de l’Office des étrangers afin de bénéficier du statut de réfugié, « parce qu’elle craint , avec raison , d’être persécutée à cause de sa race , sa religion , sa nationalité , son appartenance à un certain groupe social , ou ses opinions politiques ( 3 )». Cependant, la procédure de régularisation demande du temps: chaque demandeur d’asile doit en effet pouvoir attester que ses craintes sont justifiées, mais souvent, les «preuves» attendues sont inaccessibles. La procédure elle-même, extrêmement complexe, propose de multiples recours. Plusieurs mois, souvent plusieurs années, sont nécessaires pour aboutir à une décision définitive. Et, pour neuf personnes sur dix, cette décision leur refuse le statut de réfugié et les enjoint de retourner dans leur pays d’origine.
Dès lors, des questions se posent: comment vit-on, lorsqu’on arrive dans un pays étranger, qu’on a tout perdu, qu’on dépend d’une décision sur laquelle on ne peut peser? Comment construit-on sa vie de famille , lorsqu’on est accueilli dans une structure d’accueil communautaire? De quoi est fait le quotidien ? Quels projets peut-on faire pour l’avenir? Est-il encore possible d’investir dans l’avenir ?
L’espace et le temps si particuliers des familles en procédure d’asile ont ainsi été approchés, pendant plus de deux ans et demi.
Une visée de changement ayant été retenue comme objectif principal de la recherche-action (4), nous avons souhaité favoriser la réflexivité personnelle et sociale de chaque acteur impliqué dans le domaine de la demande d’asile: les intervenants sociaux travaillant dans l’accueil des personnes et les demandeurs d’asile eux-mêmes. Cette stimulation de la réflexivité de chacun avait un objectif double:
– favoriser une prise de distance par rapport aux habitudes quotidiennes (5);
– faire émerger des pistes d’actions concrètes de changement émanant du terrain même de la recherche-action.
Dans cette optique, les chercheurs ont adopté un regard étonné et positif, assurant le rôle de «passeurs de parole», «passeurs de pensées». Ce regard particulier émane de l’anthropologie.
L’ anthropologie utilise différentes méthodes de recueil de données: l’entretien, l’observation participante, les procédés de recension et les sources écrites.
Des entretiens ont été menés, individuellement ou en groupe, formellement ou «autour d’un petit café».
L’ observation participante consiste, pour le chercheur, à se confronter à la réalité qu’il observe, en effectuant un séjour prolongé auprès des personnes (Olivier de Sardan, 1995). Il participe ainsi à la vie sociale, culturelle, voire rituelle des personnes qu’il observe (Copans, 1999). C’est dans cette optique que les chercheurs ont passé des séjours fréquents, répétés, prolongés au sein des structures d’accueil, partageant les repas et divers moments du quotidien.
Les chercheurs n’ont cependant pas été les seuls «observateurs» de ce vécu. Les regards experts des demandeurs d’asile eux-mêmes ainsi que ceux des intervenants sociaux ont été sollicités, favorisant une triangulation des observateurs.
En outre, une approche originale, issue de l’ethnographie, est venue corroborer, compléter, nuancer et illustrer les données recueillies: la photographie.

Voir: l’usage de la photographie

L’ethnographie consiste à « voir , mais aussi faire voir » (Laplantine, 2000). Le média utilisé pour «faire voir» (écriture, photographie) permet à chacun de se distancier de l’observation initiale. Cependant, il est essentiel de se livrer à un perpétuel mouvement de va-et-vient entre le sensible et l’intelligible, entre le concret et l’abstrait.
Afin de favoriser cette médiatisation du vécu, et d’obtenir un maximum de renseignements sur leur vie quotidienne , sur leurs satisfactions et insatisfactions affectives, cognitives et sociales, nous avons donné à quarante demandeurs d’asile des appareils photographiques. Les photographes étaient libres de photographier ce qu’ils désiraient, comme ils le désiraient, au moment et à l’endroit choisis par eux.
L’usage d’appareil photographique nous semble intéressant, et ce pour diverses raisons. Premièrement, ce média permet, dans une certaine mesure, d’entrer dans une autre forme de communication . Les personnes ne sont pas placées dans une situation d’interviewé passif, mais vont être les acteurs-experts, les photographes de leur vie , qui parlent de ce qu’ils vivent à des non-initiés, en commentant leurs œuvres.
Leur rôle social est ainsi valorisé, dans une perspective d’ empowerment , les acteurs ayant pleinement conscience d’avoir un rôle majeur à jouer dans l’élaboration et l’évolution de l’étude. Cet outil a en outre permis d’éviter d’orienter la recherche avec certains a priori culturels. Enfin cela nous a permis de discuter des besoins sociaux réels formulés par ceux qui n’ont généralement pas le pouvoir de s’exprimer (Grell, 1981).
Suite à la prise des photographies et au développement des films photographiques, des entretiens ont été menés avec ces photographes amateurs afin de bien saisir le sens de ce qu’ils ont voulu montrer.

Comprendre: explorer le sens des photographies

Ces entretiens portant sur les photographies ont permis non seulement de dégager le sens que les personnes attribuaient à chacune de leurs productions, mais aussi d’identifier de nombreuses dimensions du quotidien.
En effet, si certaines personnes ont choisi de photographier leur famille, leurs amis, illustrant ainsi un volet plus affectif et social de leur quotidien, d’autres ont photographié leurs plateaux repas, leur lit, une fenêtre, etc. D’autres encore ont photographié les cicatrices des tortures subies dans leur pays d’origine…
Des centaines de photographies ont été développées. Chaque image est porteuse d’un message , parfois très fort, frappant, voire heurtant pour celui qui la regarde. Cependant, afin de se préserver d’interprétations abusives, chaque photographie a été commentée par son auteur.
Une catégorisation des dimensions du quotidien photographiées par les demandeurs d’asile a été effectuée après l’analyse des discours de tous les photographes. Les vingt-sept dimensions relevées dans les entretiens ont été catégorisées en cinq grands axes, un axe physique et quatre axes psychosociaux (dimensions affective, cognitive, sociale et idéologique (6)).
Dans la dimension « besoins physiques », les demandeurs d’asile ont souligné certains aspects très positifs de leur vie. Par exemple, pouvoir bénéficier d’une assistance médicale de qualité et gratuite, pouvoir pratiquer des exercices physiques, être logés. Cependant, sur le plan physique, d’autres éléments du quotidien sont pénibles. Ainsi, de nombreux demandeurs d’asile illustrent leur sentiment de dégoût face au manque d’hygiène de certains de leurs «cohabitants» (7).
Les troubles du sommeil sont récurrents dans les discours des photographes. Ainsi, un jeune homme désigne son lit comme « mon lit de misères ». Un autre souligne la couleur choisie pour les montants du lit: « le rouge , c’est la couleur du sang , c’est le danger ». Beaucoup évoquent les ruminations mentales qui provoquent des insomnies « la nuit , je pense à là bas , je me demande ce qui va arriver ».
Enfin, la nourriture est un élément très souvent décrié par les personnes vivant en structure d’accueil communautaire: ils soulignent le manque de variété et d’équilibre des repas, la manière de présenter les mets (pas sur des assiettes, mais sur un plateau compartimenté en plastique). Ces diverses considérations sont toutefois toujours nuancées. Un homme nous annoncera, en montrant la photographie qu’il a prise de son plateau-repas: « Ce n’est pas bon , mais je n’ai pas dit que c’était mauvais ». En effet, «on a à manger, c’est déjà ça On ne peut pas se plaindre », précisent certains adultes.
La première dimension psychosociale est intitulée « affiliation ». L’affiliation désigne l’attachement d’un individu à son groupe d’appartenance. Ainsi, certains soulignent l’importance de pouvoir s’appuyer sur la famille , sur des amis , sur un conjoint , afin d’obtenir du soutien . Mais apparaissent également dans cette dimension la souffrance , le chagrin de la perte des membres de sa famille, des amis, etc., les deuils à faire, les personnes dont on n’a aucune nouvelle. La vie communautaire engendre des difficultés particulières: le manque d’intimité , la promiscuité permanente (8), le règlement d’ordre intérieur extrêmement strict, limitant l’autonomie de chacun. Un sentiment d’infantilisation est fort présent chez la plupart des adultes.
La deuxième dimension psychosociale porte sur l’ « accomplissement », c’est-à-dire la possibilité de s’accomplir au quotidien, de pouvoir agir sur son environnement. Cette dimension concerne la formation, la scolarité pour les enfants, les activités quotidiennes et le travail au sein de la structure d’accueil (9).
La scolarité est un élément d’intense satisfaction pour les parents. Les enfants ont ainsi l’occasion de suivre une scolarité jugée «de qualité» par les parents. En outre, ils peuvent rencontrer d’autres enfants, et apprendre très vite le français. Les formations sont perçues comme un moyen utile de «passer le temps».
Cependant, les demandeurs d’asile précisent les difficultés énormes qu’ils rencontrent afin de faire valoir leurs formations antérieures. Par exemple, il n’est pas rare de voir un médecin s’inscrire dans un graduat en infirmerie, parce qu’il n’a pu prouver qu’il avait ce diplôme au pays, ou parce qu’aucune équivalence n’a été établie entre le diplôme belge et celui qu’il détient.
L’« inscription sociale » est la troisième dimension psychosociale. Cette inscription sociale des demandeurs d’asile au sein de la société d’accueil semble difficile, pénible. Elle dépend beaucoup de la décision qui sera prise au niveau de la demande d’asile. Ce frein majeur de la procédure d’asile engendre chez certaines personnes une inhibition de l’action , une indisponibilité cognitive et une lassitude immense. Les personnes sont donc très souvent dans une situation d’attente, ne sachant si elles peuvent s’investir dans ce nouveau pays, dans de nouveaux tissages affectifs . Cependant, certains s’appuient sur de nouvelles rencontres, des amitiés, des relations amoureuses. Cela renforce leur sentiment de pouvoir un jour « reprendre racine » sur le sol belge. Ces soutiens sociaux deviennent même pour certains un tremplin pour un engagement social, une participation active à des groupes de réflexion, à des groupes de parole, voire à des groupes de revendication.
La dernière dimension, l’« enculturation », définie par Pourtois et Desmet (2004) comme la transmission des valeurs et des représentations collectives, concerne les valeurs et les croyances religieuses ou philosophiques des demandeurs d’asile.
La religion est un élément essentiel pour les personnes croyantes. Elles puisent dans leur foi des ressources qu’elles se disent incapables de puiser ailleurs: « Prier Dieu pour garder le courage , pour trouver des réponses , pour parler dans ma langue avec quelqu’un qui me comprend ». Apparaissent dans cette dimension toutes les difficultés que rencontrent les parents au niveau de l’éducation .
Les parents doivent faire face à des pratiques éducatives parfois extrêmement éloignées des leurs. Or, vivant au sein d’une structure communautaire, ils sont confrontés aux assignations sociales véhiculées par les travailleurs sociaux. Par exemple, une mère disait « ils m’ont dit : tu tapes pas ton enfant . Alors , je tape plus . Mais comment je le punis , alors ? Ils m’ont dit : tu parles doucement , tu expliques . Je parle , mais ça ne va pas ». Cette mère est confrontée à un dilemme grave: elle ne peut plus punir son enfant comme elle le faisait avant, mais n’a aucun moyen pour remplacer le comportement éducatif rejeté par la société d’accueil. Elle ne signifie plus à son enfant les limites qu’il ne peut dépasser. Dès lors, elle conclut « Je ne suis plus sa mère . C’est le centre qui est sa mère ».

Agir: pour un mieux-être au quotidien

Les pratiques actuelles des intervenants sociaux tendent vers le bien-être des personnes primo-arrivantes. Cependant, malgré leur compétence et leur humanité , les intervenants sociaux sont limités dans leurs actes par les innombrables contingences liées aux lois actuellement en vigueur et aux institutions.
Il ne nous appartient pas de proposer des changements profonds dans les démarches liées à la demande d’asile. Par contre, certains éléments peuvent être aménagés de façon à assurer un vécu moins difficile pour chaque personne.
Emanant des acteurs de la recherche-action, les pistes suivantes pourront déboucher sur des pratiques visant un mieux être des personnes demandeuses d’asile.

Favoriser l’affiliation aux groupes d’origine

Il importe de favoriser la reliance entre chaque individu et son environnement. Développer les possibilités de nouer des liens au sein d’un groupe de la communauté d’origine, ou au sein d’un groupe de même croyance religieuse, ou de personnes qui parlent la même langue est essentiel. Pour parvenir à répondre au besoin d’ attachement de chacun, les voies d’entrée sont nombreuses: associations de fait, asbl, lieux de culte, etc. sont autant de lieux où de tels liens peuvent s’établir. Une information complète et détaillée sur les lieux de rencontres disponibles autour du lieu de résidence serait extrêmement précieuse.
Mais il est également primordial pour certains demandeurs d’asile de pouvoir bénéficier d’informations sur les membres de leur famille restés au pays. La Croix-Rouge parvient parfois à localiser certaines personnes. Souvent, cependant, les recherches sont longues et infructueuses.

Créer des opportunités d’accomplissement personnel et collectif

Chaque individu possède en lui des ressources et des richesses provenant de ses expériences passées et de ses formations formelles et informelles. Cependant, dans bien des cas, les savoirs et savoir-faire antérieurs des demandeurs d’asile sont niés ou non considérés. Ce constat est dommageable pour au moins deux raisons: premièrement, c’est une atteinte profonde à la considération et à l’ estime de soi d’une personne; deuxièmement, c’est gâcher les possibilités d’un enrichissement mutuel . Mettre en place une forme de « réseau d’échanges de savoirs » serait intéressant pour pallier les manques actuels en la matière. Ce réseau permettra à chacun d’expérimenter de nouvelles connaissances et pratiques. De plus, celui qui possède un «savoir» se verra considéré par ses pairs.

Favoriser l’inscription sociale

Chacun doit pouvoir trouver «sa» place au sein de la société d’accueil. Pour y parvenir, il importe de respecter le degré d’implication de chacun et de laisser à chaque personne du temps pour «prendre ses marques», explorer le nouvel environnement et enfin se poser. Certains demandeurs d’asile apprennent très rapidement le français, alors que d’autres mettent des mois, voire des années. Cet exemple n’est cependant pas le reflet d’une volonté chez ces personnes de «s’intégrer» ou au contraire de vivre dans une forme de repli communautaire. Les demandeurs d’asile perçoivent parfois une assignation sociale extrêmement pesante et pressante de «s’intégrer». Mais il existe presque autant de formes d’inscription sociale qu’il existe d’individus.

Favoriser l’historicité

Chaque personne est porteuse d’une histoire personnelle, culturelle, sociale. La migration, véritable bouleversement dans les habitudes de vie de la personne, entraîne une rupture, une déconnexion avec son passé et donc avec son histoire.
Favoriser l’historicité des demandeurs d’asile permettra d’ assurer un enracinement et une continuité identitaires . Il importe que la personne prenne conscience de la façon dont elle porte en elle son histoire, et dont cette histoire influe sur ses stratégies actuelles. Cette conscientisation permet à la fois d’ancrer le sentiment d’appartenance de l’individu à son groupe d’origine et de créer des stratégies pouvant réorienter son histoire, la modifier afin de faire face aux situations nouvelles .

Pour une politique de l’humain…

Les demandeurs d’asile ont montré, au cours de cette recherche-action, les problèmes majeurs auxquels ils sont confrontés quotidiennement. Leur bien-être est sans cesse menacé par la précarité de leur situation.
Face au désarroi, aux souffrances mentales et sociales, aux épreuves d’une quotidienneté subie, il est indispensable d’attacher la plus grande vigilance aux difficultés liées à l’affiliation, à l’inscription sociale, à l’accomplissement et à l’historicité de chaque personne primo-arrivante. L’attention doit également porter sur les aspects physiques liés à ces conditions de vie particulières.
Puissions-nous espérer que les politiques à venir sachent s’engager dans les voies ici évoquées et les concrétiser dans des pratiques dynamiques et efficientes. Afin, d’une part, de tirer le meilleur parti des ressources que l’on peut déceler chez ces personnes et, d’autre part, de réduire la souffrance humaine qui accompagne ces parcours qui n’ont été ni voulus ni désirés.
Les demandeurs d’asile que nous avons rencontrés démontrent aussi qu’il est toujours possible de contourner les déceptions et les déliances, pour bâtir progressivement un monde où la reliance prédomine. Ces acteurs de terrain, véritables piliers de leur propre reconstruction, ont besoin, au cours de leur cheminement, de pouvoir s’appuyer sur des tuteurs de développement et sur des tuteurs de résilience (Cyrulnik, 2005). Les intervenants sociaux devraient pouvoir agir en tant que tels: devenir, pour certains demandeurs d’asile traumatisés, des tuteurs de résilience, et pour tous, des tuteurs assurant un développement optimal.
La triangulation interuniversitaire des données a permis de mettre en évidence les points communs et les divergences propres à chaque «terrain» de la recherche-action UNI-SOL. Un constat est cependant récurrent: le temps d’attente d’une régularisation est extrêmement long et préjudiciable pour la santé psychosociale des demandeurs d’asile.
Dès lors, il s’agit non seulement de veiller à circonscrire ces atteintes au bien-être des enfants, des femmes et des hommes qui arrivent sur le territoire belge, mais aussi d’investir ce temps comme un temps de développement identitaire et social.
A un autre niveau, il est nécessaire de sensibiliser la population autochtone à ces réalités de vie souvent peu ou mal connues, afin d’introduire un changement dans les regards posés sur la demande d’asile et sur ses «bénéficiaires».
Oser penser une politique de l’humain, une politique innovante et à la hauteur des défis que nous lancent les civilisations d’aujourd’hui, est un objectif essentiel pour une Europe métissée.
Benoît Demonty et Delphine Jouret , Université de Mons-Hainaut. Directeurs de recherche: Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet
Dans le cadre de la Recherche-action UNI-SOL menée en collaboration avec le Fonds Houtman et l’ONE
Adresse des auteurs: Département de Développement familial et communautaire, Université de Mons-Hainaut, Place du Parc 18, 7000 Mons. Tél.: + 32 (0)65 37 31 12. Courriel: delphine.jouret@umh.ac.be.

(1) L’équipe de l’Université de Mons-Hainaut a également bénéficié du soutien du Ministère des Affaires sociales et de la Santé de la Région wallonne.
(2) Les centres ne sont pas le seul mode d’accueil existant. L’OCIV (Overlegcentrum voor Integratie van Vluchtelingen, ‘centre de consultation pour l’intégration des réfugiés’) et le CIRE (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers) sont des organisations-coupoles non gouvernementales qui organisent aussi l’accueil des demandeurs d’asile.
Les Initiatives Locales d’Accueil (ILA) sont un autre type d’accueil, à petite échelle, proposé par certains CPAS. Ces structures accueillent les demandeurs d’asile pour le temps de la durée de la procédure. Elles offrent une aide matérielle (nourriture, logement, soins de santé, etc.).
(3) Convention de Genève des Nations Unies, 1951.
(4) Amélioration du bien-être des familles primo-arrivantes. Nous entendons par «primo-arrivante» toute personne étrangère présente sur le territoire belge depuis moins de cinq ans.
(5) Les intervenants sociaux, comme les demandeurs d’asile, consacrent peu de moments à une réflexion sur leur travail, leur vie. Trop souvent pris dans «l’urgence de l’agir», ils ne peuvent que difficilement prendre du recul afin de penser – ou repenser – leur quotidien.
(6) Ces quatre dimensions psychosociales sont issues du Modèle des douze besoins de J.-P. Pourtois et H. Desmet (2004).
(7) Lorsqu’un demandeur d’asile arrive seul au sein d’une structure d’accueil de type communautaire, il est logé dans une chambre avec cinq autres «isolés», dans des lits superposés.
(8) Les chambres sont communes à six personnes pour les demandeurs d’asile isolés, et une chambre est attribuée par famille (père, mère, enfants, parfois même grands-parents). Les douches sont communes, situées dans les couloirs.
(9) Les demandeurs d’asile ne bénéficient pas d’un permis de travail. Ce qui est dénommé ici «travail» concerne des tâches ménagères d’entretien des locaux communs ou de vaisselles. Les demandeurs d’asile volontaires s’engagent à travailler pendant deux semaines. Une rétribution est octroyée à l’issue de ces quinze jours, de l’ordre de 32 euros.

Bibliographie

Copans J. (1999). L’enquête ethnologique de terrain . Paris: Nathan.
Cyrulnik B. (2005). Le murmure des fantômes . Editions Odile Jacob.
Grell P. (1981). Problématiques de la recherche-action. Dans Revue de l’Institut de Sociologie . 1981 – 3. Université Libre de Bruxelles, 605-614
Laplantine F. (2000). La description ethnographique . Paris: Nathan (2e édition).
Olivier de Sardan J.-P. (1995). La politique du terrain. Sur la production des données en anthropologie. Dans: Enquête 1 , Les terrains de l’enquête , pp.71-112.
Pourtois J.-P. et Desmet H. (2004). L’éducation postmoderne . Paris, PUF (4e édition).

Travailler avec des familles primo-arrivantes et sans papier: quelles implications pour les professionnels?

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Les quartiers fragilisés des grandes villes de Belgique connaissent depuis quelques années une nouvelle réalité: les familles primo-arrivantes. Nombre de celles-ci sont souvent en situation d’extrême précarité due en grande partie à leur situation administrative. Encore en procédure pour l’obtention du droit d’asile ou ayant épuisé tous les recours, clandestins ne s’étant jamais déclarés, ces personnes craignent l’expulsion de notre pays dans lequel, dans le même temps, elles s’installent. Pour les travailleurs des services des quartiers où se rencontre de façon aiguë cette réalité, cela représente un nouveau défi.
Dans le cadre de la recherche-action UNI-SOL, l’équipe de l’ULB a choisi de faire une intervention dans le quartier de Cureghem (à Anderlecht, en région bruxelloise) en s’appuyant sur les institutions y existant et sur les ressources locales.
A Cureghem, les familles primo-arrivantes sont nombreuses: un enfant sur dix à un enfant sur quatre présent dans les écoles de ce quartier est en Belgique depuis moins de trois ans. Beaucoup de familles sont en séjour irrégulier en Belgique et donc dans un état de grande précarité. La recherche-action a principalement consisté en un travail avec les professionnels de Cureghem. Les services destinés aux jeunes enfants sont nombreux dans cette zone.
Certains s’adressent principalement à la population cureghemoise, d’autres sont destinés plus largement à la population anderlechtoise ou même de la région. Parmi ces services, on peut compter les écoles fondamentales et secondaires, les consultations ONE, les prestataires de soins, indépendants ou organisés en maisons médicales et en polycliniques, les centres de planning familial, le service de santé mentale, la ludothèque, la maison de quartier, les associations de femmes, la mission locale, les services sociaux organisés par la commune et ceux émanant d’organisations caritatives, etc.
Ce travail mené avec les professionnels (1) a mené à un certain nombre de constats et de réflexions.

Le cadre de travail des professionnels

Le contexte belge n’est guère favorable aux primo-arrivants: la politique de l’immigration est gelée depuis plus de trente ans et la politique relative aux réfugiés réduit considérablement l’accès à l’asile en Belgique. Pourtant, les professionnels qui travaillent dans le quartier depuis de longues années constatent que la présence des primo-arrivants est une réalité assez récente et qui tend à s’accroître. Ils s’étonnent d’ailleurs de la contradiction entre les discours officiels et leurs propres observations. Alors que l’Office des Etrangers affirme que le nombre de demandeurs d’asile est en baisse, on observe à Cureghem une augmentation du nombre de primo-arrivants, notamment en situation de grande précarité. Certains en concluent que la politique belge actuelle en matière d’asile est surtout une «machine à produire des clandestins». Cette analyse rejoint les conclusions d’une recherche menée auprès de personnes sans papiers (2).
Le contexte est également professionnel . Chaque travailleur des secteurs médical, social, scolaire, extrascolaire, etc. relève de législations propres, définissant ses mandats, ses missions, sa déontologie et le public visé, ou tout au moins autorisé à bénéficier de ses services.
Ce contexte peut être explicite – cadré par des législations et des circulaires – ou implicite – régulé par exemple par des règles de subsidiation. Tous les professionnels n’ont dès lors pas la même légitimité, la même assise pour travailler avec des familles primo-arrivantes et surtout avec des familles sans papiers.
Ainsi, certains sont mandatés pour travailler avec tout le monde, indépendamment du statut. C’est le cas entre autres de la consultation ONE, du service de santé mentale, de l’antenne scolaire et des écoles. Mais dans les faits, ces dernières sont pénalisées dans la mesure où les enfants sans papiers ne sont pas pris en compte pour le calcul de l’encadrement pédagogique les trois premiers mois où ils fréquentent l’enseignement (3). Pour d’autres services, la situation est plus floue. Ainsi, les milieux d’accueil extrascolaire sont tenus, par l’obligation de respecter le Code de qualité de l’accueil, à un principe de non-discrimination (4).
Mais d’autres réglementations peuvent tempérer ce principe général. Ainsi, les milieux d’accueil extrascolaire sont souvent subventionnés. Certains fonds de subvention comme le FESC exigent des documents attestant de la situation familiale. Sans ces documents, le milieu d’accueil ne perçoit pas de subvention pour les enfants concernés, ce qui contribue à l’exclusion de ceux-ci. Cela a pour conséquence que certains milieux d’accueil refusent l’inscription d’enfants sans papiers. D’autres par contre font un autre choix: un milieu d’accueil extrascolaire à Cureghem accueille des enfants sans papiers et systématiquement met leur nom sur la liste envoyée au FESC, bien que ces enfants ne donnent droit à aucun subside.
« Pour signaler qu’ils ne s’agit pas d’enfants fantômes et parce que cela peut servir de preuve pour montrer leur attachement au pays d’accueil , en cas de nouvelle campagne de régularisation » (responsable d’un milieu d’accueil extrascolaire).
De même, le mandat des services sociaux n’est pas toujours clair. Ainsi, il arrive que certains refusent l’aide matérielle aux familles en situation irrégulière (5). Par contre, certains travailleurs dans des services sociaux luttent pour pouvoir développer des actions envers ce public.
Le contexte est également local . Les professionnels du quartier ont la profonde conviction que Cureghem a longtemps souffert d’un désintérêt total de la part des mandataires politiques. Si la situation actuelle semble s’être améliorée, l’amertume des professionnels est toujours là et toute initiative de la part de la commune est accueillie avec méfiance et scepticisme.
Il existe des ruptures entre la commune et le monde associatif. Le dialogue entre écoles libres et écoles communales semble encore plus qu’ailleurs difficile. Au sein même de la commune, il y a des fractures.
Le pessimisme des professionnels est également de mise face à de nouveaux projets, car nombre d’entre eux n’aboutissent jamais. D’autres sont de courte durée et finalement l’énergie investie est sans commune mesure avec les résultats obtenus. Nous avons été frappées par la multitude de projets temporaires en cours sur le quartier et le peu, voire l’inexistence de concertations entre ces différents projets.
Dans ces conditions, il est difficile d’encourager l’implication, tant des professionnels que de la population dans un projet, si celui-ci est de toute façon condamné à disparaître. C’est donc une logique de consommation qui va prédominer.
Certains ont néanmoins réussi des partenariats tout à fait intéressants. C’est le cas par exemple de la ludothèque qui collabore avec les écoles tous réseaux et régimes linguistiques confondus, ainsi qu’avec certains milieux d’accueil extrascolaire. Mais si certains services établissent des collaborations de longue durée basées sur la confiance et la complémentarité, il semble que ce soit plutôt l’exception que la règle à Cureghem.
Les projets dépendant de plusieurs compétences sont extrêmement difficiles à mettre en place. Or, dans un contexte aussi complexe que Cureghem, dans des réalités aussi multiples que celles vécues par les primo-arrivants et les professionnels en contact avec ceux-ci, la convergence des actions et le croisement des compétences sont essentiels.

Le travail avec les familles primo-arrivantes

De nombreux professionnels insistent sur la richesse du travail à Cureghem, richesse accrue par l’arrivée de primo-arrivants.
« La « donnée » – je dis « donnée » car ce n’est pas une problématique mais bien une donnée la donnée des enfants primo arrivants est relativement nouvelle dans le quartier environ cinq ans . C’est une richesse , pour l’équipe et pour les enfants [ non primo arrivants ]. C’est une opportunité de ne pas devenir un accueil « ghetto ». Car si l’équipe est depuis toujours multiculturelle , cela n’a pas toujours été le cas pour les enfants , qui sont surtout issus de l’immigration marocaine » (responsable d’un accueil extrascolaire).
Néanmoins, le travail avec cette population ne se fait pas toujours sans difficultés pour les professionnels. Ainsi, une partie des problèmes rencontrés par les primo-arrivants concerne des besoins vitaux: manger, s’abriter, avoir chaud, se laver, se soigner. La plupart des professionnels ne sont pas mandatés pour répondre à ces problèmes et même ceux qui le sont se trouvent démunis face à l’ampleur de la tâche, aggravée par la situation administrative de la plupart des familles qui les prive de fait d’une série de droits. Le sentiment d’impuissance est donc parfois bien présent chez les professionnels par rapport aux problèmes des familles.
Par ailleurs, certains soulignent qu’à Cureghem, le travail est toujours à recommencer car la population est changeante. Certaines familles disparaissent sans prévenir et sans donner de nouvelles, ce qui peut aussi être frustrant pour les professionnels qui se sont investis auprès d’elles.
Certaines difficultés ont plutôt trait à des aspects culturels . Plusieurs professionnels ont exprimé leur malaise par rapport à la condition de certaines femmes primo-arrivantes ou à certains aspects identifiés comme religieux. Ainsi certains services s’adressant entre autres à des adultes insistent sur le fait qu’ils proposent seulement des activités mixtes.
D’autres organisent des groupes exclusivement féminins avec le souci d’en permettre l’accès au plus grand nombre possible de femmes.

Les demandes des familles

Les familles adressent de nombreuses demandes aux professionnels. Outre leur nombre élevé, ces demandes se caractérisent par leur grande multiplicité, qui vont des problèmes de communication à des questions concernant l’éducation et la scolarité, en passant par des problèmes de logement ou des difficultés psychologiques. Il faut aussi souligner le fait que bon nombre d’entre elles ne sont pas faites de manière explicite mais se cachent derrière d’autres demandes exprimées, nécessitant un décodage de la part des professionnels.
Tous les professionnels sont confrontés à des demandes des familles qui dépassent le cadre de leur mandat. Il apparaît que celles-ci n’adressent pas nécessairement leurs demandes aux personnes les plus adéquates pour y répondre mais à celles avec qui elles ont tissé des relations de confiance. Il faut souligner aussi que la plupart des professionnels sont confrontés à des demandes similaires ou qui se rejoignent.

Les réponses des professionnels

Les professionnels ne sont pas forcément outillés pour répondre à ces demandes, ce qui peut engendrer chez eux un sentiment de découragement, voire d’impuissance, surtout quand les demandes portent sur des besoins vitaux (comment se centrer sur la scolarité d’un enfant alors que celui-ci a faim?).
Les professionnels doivent souvent faire face à des «conflits internes»; ainsi, par exemple, comment gérer le fait de se trouver en situation d’échec par rapport aux démarches entreprises en faveur des familles?
Le professionnel, pour ne pas se maintenir dans des illusions de fantasme, devra accepter l’idée qu’il ne pourra résoudre tous les problèmes et qu’il sera amené à «renvoyer certaines familles à leur désespoir».
Concernant le rapport aux familles et les pratiques envers celles-ci, il est parfois difficile, pour le professionnel, de comprendre la demande réelle des familles, celles-ci n’ayant pas nécessairement la volonté ou la capacité d’exprimer leurs sentiments profonds, en raison notamment de la complexité des situations qu’elles vivent et des traumatismes subis dans leur pays d’origine. Comment dès lors apporter une aide efficace à ces familles en demande? De même, donner des repères éducatifs aux familles primo-arrivantes qui en font la demande amène souvent le professionnel à se remettre en question par rapport à ses propres conditionnements culturels. Comment répondre à la demande des familles en veillant à prendre en compte les spécificités culturelles de celles-ci?
Le temps est un élément crucial. L’ensemble des professionnels s’accordent à dire toute l’importance de prendre du temps avec les familles pour trouver «un terrain d’entente». Mais accorder beaucoup de temps aux familles n’est pas toujours possible, vu la quantité de travail de chacun, et présente en outre le risque de voir les familles «s’accrocher», s’empêchant dès lors de voir d’autres professionnels peut-être plus compétents pour répondre à leur demande. Par ailleurs, chacun estime qu’il est important que les familles aient affaire à des intervenants variés afin d’accroître leur réseau social. Comment assurer un relais efficace tout en évitant discontinuités et ruptures? Et que signifie exactement « faire relais »?
Relayer une demande peut prendre la forme d’interventions plus ou moins importantes en temps et en investissement de la part des professionnels, en fonction des besoins des familles; ainsi, pour telle famille, fournir les coordonnées du ou des service(s) compétent(s) suffira pour que cette famille accède à ce ou ces service(s), alors que pour telle autre, un contact préalable (par exemple par téléphone) entre service «destinateur» et service «destinataire» sera nécessaire pour que la famille se sente sécurisée et accepte de se rendre de l’un à l’autre.
Dans bien des cas, le contact entre services permettra également de faciliter le travail du service «destinataire», en transmettant à celui-ci les informations contextuelles relatives à la famille nécessaires pour traiter la demande de celle-ci.
Pour certaines familles, enfin, un accompagnement physique d’un service à l’autre s’avérera indispensable, du moins dans un premier temps.
Il n’est pas toujours simple, pour les professionnels, d’estimer l’importance de l’accompagnement à apporter; certains d’entre eux ont ainsi pu constater, a posteriori, qu’ils avaient surestimé le besoin d’accompagnement d’une famille, celle-ci ayant exprimé sa frustration et sa gêne d’être assistée à ce point dans des démarches qu’elle se sentait tout à fait apte à effectuer elle-même.
Cette situation reflète le fait que les professionnels disposent rarement du temps nécessaire pour faire connaissance avec la famille préalablement aux démarches qu’ils entreprennent pour celles-ci. Elle peut aussi être liée à la représentation que se font les professionnels des familles primo-arrivantes.
Pour résumer, quand une famille a une demande:
-soit le professionnel a un mandat pour répondre à cette demande. Dans ce cas, il y répond par une action directe. Il faut toutefois souligner l’insuffisance des moyens par rapport à la charge de travail: les familles primo-arrivantes sont de plus en plus nombreuses dans le quartier, et plus particulièrement celles qui sont dans des situations de grande précarité. De plus, malgré son mandat, le professionnel peut malgré tout être dans l’impossibilité de répondre à la demande, surtout dans les situations d’urgence;
-soit le professionnel n’a pas le mandat pour répondre à la demande. Dans ce cas, il peut choisir d’y répondre quand même, au cas par cas. Il peut aussi mettre en place un dispositif lui permettant d’élargir son mandat. C’est le cas de deux écoles, qui dans le cadre des subventions de discrimination positive, ont engagé une assistante sociale dont le rôle est entre autres de proposer un accompagnement social aux familles primo-arrivantes. Le professionnel peut également faire relais vers un service mandaté pour traiter la demande. Ici se pose à nouveau la question des moyens insuffisants: pour le professionnel qui fait relais et qui n’a pas forcément du temps pour le faire; pour le service qui prend le relais et qui peut se trouver surchargé de demandes.

Des identités professionnelles en tension

L’identité professionnelle apparaît donc morcelée, écartelée entre différentes logiques, liées aux contextes (global, professionnel et local) et au public. Chaque travailleur va devoir ajuster les différentes facettes de son identité professionnelle et faire un travail intérieur, procéder à des arbitrages lui permettant un équilibre satisfaisant pour lui.
Ainsi, on peut proposer le modèle suivant: le travail des professionnels avec les familles primo-arrivantes se combine entre deux continuums liés aux contextes politiques d’une part, aux familles d’autre part. Le travail des professionnels avec ces dernières oscille entre l’enthousiasme et l’épuisement.
Par rapport aux contextes, les professionnels se situent entre l’acceptation / la collaboration des contextes politiques local et fédéral et la résistance à ce contexte. On peut croiser ces deux continuums.
Il y a une tension entre le respect des lois et réglementations et les réalités vécues par les familles primo-arrivantes avec lesquelles travaillent les professionnels.
Les actes de résistance à un contexte défavorable aux migrants sont nombreux. Il s’agit par exemple d’accepter les enfants non subsidiés car sans papiers dans le milieu d’accueil.
Par contre, l’acceptation du contexte politique peut aller jusqu’au refus d’inscription des enfants sans papiers dans un milieu d’accueil extrascolaire, ou encore jusqu’au refus d’aide matérielle aux familles en situation irrégulière.
Le contexte professionnel peut faire office de régulateur dans les tensions entre le contexte politique et le public. Tous les services ne sont en effet pas freinés par le contexte politique de la même manière. Certains, comme la consultation ONE, sont mandatés pour travailler avec tout le monde, indépendamment du statut des personnes. Dans ce cas, le travail avec les sans-papiers n’est pas un acte de «résistance».
La résistance peut également se faire au niveau du contexte local. A Cureghem, celui-ci est peu favorable aux partenariats. Aussi, les services ayant réussi à créer des collaborations à long terme peuvent être qualifiés de «résistants» ou à tout le moins de pionniers.

Pourquoi un travail en réseau

Le travail de réflexion collectif a permis d’amorcer un processus d’élaboration d’une identité collective. Tout comme les identités professionnelles spécifiques, l’identité professionnelle collective est liée aux contextes et au public. La construction de cette identité résulte aussi d’un arbitrage, d’un exercice d’équilibre entre les tensions dues aux différentes logiques pesant sur l’identité professionnelle. Mais dans ce cas, cet arbitrage pourra se faire de façon collective et donc être davantage exprimé et conscient.
L’identité collective qui commence à s’amorcer chez les professionnels ayant participé aux rencontres est clairement liée au public commun à tous et au contexte local. Les professionnels se reconnaissent mutuellement comme travaillant avec un public similaire, composé en partie de primo-arrivants en situation de grande précarité, dans un espace commun qui est la zone de Cureghem, qu’ils voient comme un contexte local avec ses spécificités propres. Ils partagent la vision d’une zone longtemps désinvestie par les pouvoirs politiques locaux et la difficulté d’y faire aboutir des projets communs.
L’identité professionnelle collective qui est en train de s’élaborer s’oriente vers «plus de résistance» aux contextes politiques et «plus d’enthousiasme» vis-à-vis des familles (voir ci-dessus).
Par ailleurs, l’identité professionnelle collective est un moteur pour l’élaboration d’un travail de réseau , celui-ci renforçant à son tour cette identité.
Pour certaines populations très fragilisées, connaître ses droits ne suffit pas toujours, il faut pouvoir «manier ceux-ci», les faire valoir, les revendiquer; ceci demande des compétences particulières que les individus n’ont pas toujours ou qu’ils perdent momentanément lors de ruptures, lors de périodes de grande fragilisation; dans ces moments-là, ils ont besoin de bases de soutien , de supports autres qu’administratifs pour utiliser leurs droits (6).
Pour une famille, accéder à un service ne se limite pas à localiser celui-ci et à en identifier les conditions d’accès, mais suppose que l’on s’engage sur un parcours bénéficiant d’un minimum de repères, en particulier ceux constitués par les personnes proches, susceptibles de guider cette famille, la conseiller, la soutenir. Beaucoup de ces familles ont besoin d’aborder les services en étant soutenues par d’autres services en qui elles ont confiance, au sein desquels elles ont pu établir préalablement des relations inter-personnelles sécurisantes.
Travailler en réseau permet de renforcer ces bases de soutien en constituant une multiplicité de liaisons sécurisantes entre services, augmentant ainsi le support social à l’égard des familles fragilisées (primo-arrivantes, notamment) et améliorant leur accès aux services disponibles.
Au fil des réunions, les professionnels ont pris la pleine mesure de l’intérêt de travailler en réseau. Le réseau permet en effet d’optimiser l’enthousiasme et la résistance des professionnels; d’élaborer des projets collectifs porteurs de sens; de témoigner, interpeller, être porte-parole des sans-voix.
De plus, le réseau constitue aussi de façon collective un «filet de résilience», un soutien pour les familles et pour les professionnels. Le réseau permet de partager le «souci» que l’on se fait pour les familles et de le transmettre à celles-ci. Par le travail en réseau, chaque professionnel n’est plus seul avec son sentiment d’impuissance, celui-ci est partagé. Les familles sont portées par l’ensemble des professionnels et non plus par chacun d’entre eux.
La confiance partagée entre professionnels peut également être transmise aux familles. Celles-ci, dont on a pu montrer l’isolement, sont dès lors incitées à constituer leur propre réseau. Elles peuvent sentir que plusieurs personnes «se soucient» d’elles, cherchent des solutions pour les aider, ce qui peut les aider à augmenter leurs capacités de résilience. Le réseau lui-même est un filet de résilience soutenant les professionnels (potentiellement tuteurs de résilience) et les familles (potentiellement résiliantes).
Enfin, une autre des conséquences d’un travail collectif est de développer un contrôle social des pratiques. En effet, les participants ont présenté leur travail à travers des situations concrètes. Ces présentations peuvent être considérées comme une expérience sociale à risque dans la mesure où chaque professionnel est amené à rendre ses propres pratiques visibles et donc à s’exposer aux regards des autres.
Pour réduire ce risque, le travail mené à Cureghem s’est effectué dans un cadre déontologique strict – tant vis-à-vis des familles que des travailleurs – élaboré avec les professionnels.
Le contrôle social des pratiques devrait à terme améliorer celles-ci. En effet, en s’exposant au regard d’autres professionnels, même dans un cadre déontologique, on tend à mettre en avant ses forces et donc à renforcer celles-ci.
Dans le contexte de Cureghem, le contrôle social des pratiques permet par exemple de valoriser la résistance aux contextes politiques fédéral et local: les professionnels résistants ne sont plus seuls, ils sont portés par un ensemble, un réseau. Celui-ci est donc porteur de valeurs et créateur d’une culture professionnelle dépassant les identités professionnelles spécifiques.
Joëlle Mottint , Anne-Françoise Dusart , Perrine Humblet , Ecole de Santé Publique, ULB.
Dans le cadre de la Recherche-action UNI-SOL menée en collaboration avec le Fonds Houtman et l’ONE
Adresse des auteurs: Ecole de Santé publique, ULB, route de Lennik 808 CP 597, 1070 Bruxelles. Tél.: + 32 (0)2 555 40 62. Courriel: joelle.mottint@ulb.ac.be.
(1) Pour plus de détails sur la méthodologie et sur le travail fait avec les professionnels de Cureghem, voir Dusart A.-F., Mottint J., Humblet P., Travailler ensemble: vers un réseau de professionnels pour un meilleur service aux familles primo-arrivantes. Genèse et cheminement d’une recherche-action à Cureghem (Anderlecht), in Born M., Deccache A., Desmet H., Humblet P., Pourtois J.-P. (directeurs), Recomposer sa vie ailleurs, recherche-action auprès de familles primo-arrivantes, à paraître prochainement chez L’Harmattan dans la collection ‘Compétences culturelles’.
(2) Adam I, Ben Mohammed N, Kagné B, Martiniello M, Rea A. Histoires sans-papiers. Editions Vista; 2002.
(3) Ce qui, dans les faits, pénalise le plus souvent les écoles plus de trois mois, puisqu’il faut attendre le prochain décompte (les comptages sont faits à date fixe) pour que la situation soit régularisée.
(4) «Le milieu d’accueil évite toute forme de comportement discriminatoire basé sur le sexe, la race ou l’origine socioculturelle et socio-économique à l’encontre des enfants, des personnes qui les confient et des accueillant(e)s » (Art. 9 de l’Arrêté du Gouvernement de la Communauté française fixant le code de qualité de l’accueil du 17/12/2003).
(5) Ainsi, lors de la phase exploratoire, nous avons rencontré dans une autre commune un service social privé qui refusait de distribuer des colis alimentaires aux personnes sans papiers, arguant qu’il ne faut pas les encourager à rester puisqu’il n’y a de toute façon pas d’avenir pour elles en Belgique.
(6) Joubert M. Crise du lien social et fragmentation de l’accès aux soins. Prévenir 1995; 28.

Comment les services PSE et les écoles peuvent-ils favoriser la résilience et promouvoir la santé des enfants et des adolescents primo-arrivants?

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

La vulnérabilité des enfants et des adolescents de familles migrantes

La migration est généralement vécue par les familles qui arrivent dans nos pays comme un grand bouleversement de l’existence. La décision de quitter le pays d’origine est toujours difficile à prendre et lourde de conséquences. L’installation en Belgique mobilise énormément d’énergie et s’accompagne souvent de pertes importantes.
La famille primo-arrivante est amenée à faire face à un certain nombre de changements inhérents à la migration, changements qui ont des effets sur l’équilibre familial et sur l’insertion sociale de ce noyau familial. Parmi ces changements, notons:
-le biculturalisme et le bilinguisme;
-une baisse fréquente du niveau socio-économique par rapport au statut antérieur dans le pays d’origine;
-les remaniements familiaux secondaires aux nouvelles conditions de vie (séparation, regroupement familial…).
Les démarches administratives et professionnelles, nombreuses et souvent longues, représentent un parcours difficile et obligé. Les attitudes publiques défavorables, la séparation de la famille de la collectivité, l’incapacité de parler le français, l’impossibilité de trouver un emploi approprié et la méconnaissance du réseau de soins de santé sont autant de facteurs qui contribuent à la vulnérabilité des groupes de nouveaux immigrants.
Cependant, si les difficultés rencontrées sont nombreuses, certains travaux mettent en évidence chez les familles migrantes des ressources importantes liées au projet migratoire, notamment une grande espérance dans l’avenir.
Tous les changements liés à la migration vont avoir un impact sur le processus d’adaptation de chacun des membres de la famille, sur sa santé et son bien-être. L’enfant, par sa fragilité même, par sa dépendance envers ses parents, par sa socialisation en cours au travers de la scolarisation, est au centre des questions soulevées par la migration. L’adolescence en particulier semble être une période de grande vulnérabilité, situant le jeune au carrefour de deux âges et de deux cultures.

Les services PSE offrent une opportunité d’action envers les élèves en situation de vulnérabilité

Les populations primo-arrivantes confrontent les professionnels médico-sociaux à un paradoxe, puisqu’il s’agit d’un public très spécifique nécessitant une prise en charge adaptée, mais que par ailleurs ce public est trop peu nombreux pour véritablement susciter la mobilisation des acteurs.
Dans le contexte de la médecine scolaire en Communauté française de Belgique, la systématisation des bilans de santé des enfants primo-arrivants constitue une opportunité d’action sur leur santé, qui est renforcée par la possibilité donnée par le décret relatif à la promotion de la santé à l’école de mener des activités au sein des classes.
Les services PSE devraient pouvoir jouer un rôle privilégié dans le maintien et l’amélioration de la santé de ces enfants, puisqu’ils offrent un service gratuit et universel, et touchent, en ce sens, les enfants et les jeunes de toutes catégories sociales, y compris ceux de milieux défavorisés ou immigrés qui recourent généralement moins aux services de soins préventifs.
Tous les enfants et les adolescents primo-arrivants rencontrent l’équipe PSE lors du bilan de santé gratuit et obligatoire organisé la première année de leur arrivée. Pour les professionnels, le contact avec ces enfants et leurs familles est difficile, étant donné l’obstacle de la langue notamment. Les informations fournies par les questionnaires de santé adressés préalablement aux parents (en français) sont souvent manquantes. La communication avec les élèves n’est pas facile pour le médecin et l’infirmière.
Le bilan de santé risque bien souvent de se résumer à un examen somatique sommaire ne reflétant pas tous les aspects de la santé des enfants, et par là de passer à côté de l’identification d’éventuels besoins qui nécessiteraient la mise en place d’une réponse préventive efficace (conseils et informations, recours à l’aide médicale urgente, référence vers un spécialiste ou un centre de guidance, suivi par l’équipe PMS). Ces enfants et adolescents subissent le même bilan de santé que leurs pairs belges (examens biométrique et clinique, évaluation de l’état vaccinal), mais ont également spécifiquement un examen de dépistage de la tuberculose.
Les enfants récemment immigrés présentent, selon les études, des problèmes de santé divers: ophtalmologiques, dentaires, dermatologiques, de vaccinations; ils font des angines et otites à répétition, présentent des troubles du sommeil et des troubles psychiques. Chez les plus jeunes, la rupture avec le milieu familial (par exemple la séparation avec la fratrie ou avec la mère) peut provoquer un manque de repères et un isolement fréquents.
Comment les services de promotion de la santé à l’école peuvent-ils identifier plus justement les besoins de santé globaux des élèves primo-arrivants? Quelles réponses peuvent-ils apporter? Quels partenariats sont-ils possibles avec les écoles?

Comprendre les facteurs en jeu dans le parcours des enfants immigrants et de leurs familles

Le modèle écosystémique de la résilience de Tousignant (Tousignant, Ehrensaft, 1998) appliqué à la migration permet de comprendre la diversité et l’interaction des facteurs associés à la santé et au bien-être des enfants et des adolescents primo-arrivants. Ce modèle part du postulat que le développement résulte d’une interaction entre divers niveaux de systèmes régissant l’individu, soit l’ontosystème (qui inclut les caractéristiques internes de l’individu), le microsystème (la famille), le mésosystème (la communauté), l’exosystème (les institutions et associations, l’école) et le macrosystème (la culture, le système politique).

La résilience de l’enfant

« La résilience nous invite à poser un regard plus positif sur les êtres humains et sur l’existence »(Stefan Vanistendael)
La résilience est un processus individuel permettant à quelqu’un de faire preuve de capacités hors du commun, capacités qui semblent se révéler, s’accroître, se développer, du fait même de la traversée des épreuves.
Après avoir centré leur attention pendant quelques décennies sur les risques, la vulnérabilité et la psychopathologie, de plus en plus de chercheurs et d’intervenants en santé mentale s’interrogent sur la capacité de nombreux enfants de surmonter les obstacles majeurs à leur développement.
L’étude de la résilience implique la prise en compte des interactions directes et indirectes entre les facteurs de risque et les facteurs de protection. Les facteurs de risque et les facteurs de protection peuvent être reliés soit à l’individu (facteurs internes), soit à son environnement (facteurs externes), ou plutôt aux interactions entre les différents niveaux de cet écosystème. Ce sont les interactions relevant des différents niveaux de l’écosystème qui peuvent conduire l’individu à une situation d’échec ou au contraire à être résilient.

Objectifs et méthodes

Dans le cadre du projet UNI-SOL, le travail mené par l’équipe de l’UCL visait à améliorer la prise en compte des besoins de santé globaux des enfants et des adolescents lors des bilans de santé scolaire et dans la mise en place d’activités menées dans les écoles.
Les moyens fournis par le projet (financé par le Fonds Houtman et par les universités partenaires du projet) ont permis l’engagement d’un chercheur parlant différentes langues (l’arabe, l’anglais et le swahili), ainsi que la traduction dans leur langue maternelle de documents destinés aux élèves et à leurs parents.
Selon le modèle de santé «global» et les éclairages fournis par les travaux portant sur la résilience, le concept de «besoins de santé» incluait, selon l’équipe UCL, non seulement le repérage objectif de problèmes de santé physique, mais également les besoins subjectifs, individuels et familiaux, de nature tant affective que psychosociale et/ou comportementale.
L’identification de besoins de santé, des difficultés et des ressources des enfants et des familles rencontrées s’est faite selon des approches complémentaires.
Concernant les enfants des classes primaires et leurs familles , une étude qualitative et longitudinale conduite sur deux ans, par l’intermédiaire d’entretiens semi-dirigés réalisés tous les 3 mois, a été menée auprès de 12 familles primo arrivantes d’Afrique et du Moyen Orient (dont 9 étaient réfugiées de guerre) pour approfondir la compréhension de l’influence des facteurs protecteurs pré- et post- migratoires, des tuteurs de résilience potentiels dans l’environnement familial, des relations famille/école, sur le processus de résilience.
Des rencontres d’intervenants auprès de ces familles ont eu lieu, afin d’identifier les obstacles rencontrés et les solutions trouvées. Les associations de Schaerbeek fréquentées par les familles, les associations ayant des structures d’accueil spécifiques pour les primo-arrivants, les acteurs scolaires (directeurs d’écoles, éducateurs, médiateurs et enseignants) ont été rencontrés.
Concernant les adolescents , une recherche documentaire a été effectuée, visant à faire le point des connaissances actuelles sur l’état de santé des jeunes immigrants de « première génération ». Il s’agit, par définition, des jeunes nés dans un pays étranger qui ont vécu eux-mêmes la migration, contrairement aux adolescents de «deuxième génération» qui sont nés en Belgique de parents nés à l’étranger.
Une étude prospective auprès de 158 adolescents de 37 nationalités a été menée la première et la deuxième année de leur arrivée en Belgique, visant à évaluer leur santé et leur qualité de vie. Les jeunes étaient issus de classes passerelles (1). En plus des données de la visite médicale, ils ont été interrogés directement par un questionnaire traduit en différentes langues. Ce questionnaire a notamment permis de déceler l’état de santé mentale de ces adolescents (bien-être psychologique), donnée qui n’est habituellement pas recherchée dans les bilans de santé organisés par les services PSE, ainsi que les dimensions sociales de leur bien-être (amitiés, école, famille, loisirs). La santé perçue et la qualité de vie ont été réévaluées à un an.
La réponse aux besoins identifiés s’est faite pour les familles par des actions d’accompagnement de proximité menées durant deux ans dans leurs démarches au sein de leur environnement social, et pour les adolescents par une expérience-pilote de mise en place d’un nouveau modèle de consultation médicale scolaire, tenant davantage compte des déterminants psycho-sociaux et comportementaux de la santé et basé sur un travail en réseau interdisciplinaire.

Synthèse des travaux

Le vécu des familles et le regard des professionnels

Bien que les facteurs en jeu puissent être très différents d’un enfant à l’autre, et d’une famille à l’autre, la recherche menée a permis de définir un certain nombre de caractéristiques dans le vécu de ceux-ci, qui représentent des facteurs de risque ou au contraire des facteurs de protection.

Les facteurs en jeu dans le processus de résilience des enfants primo-arrivants

Les facteurs pré-migratoires défavorables au processus de résilience:
-la méconnaissance de la langue du pays d’accueil;
-l’âge plus avancé lors de la migration;
-une diminution de statut socio-économique par rapport au pays d’origine;
-un état de déséquilibre familial avant la migration;
-le fait d’être originaire d’un pays en guerre;
-le fait d’avoir subi des persécutions ou des pertes humaines en tant que réfugié de guerre.
Les facteurs post-migratoires favorables au processus de résilience:
-l’idéologie politique, les croyances religieuses et les attitudes envers la violence (la capacité de pardon);
-l’accès à une masse critique de personnes du même groupe ethnique;
-la satisfaction des besoins de base grâce à l’aide sociale;
-le fait que le père puisse trouver un travail assez rapidement pour préserver son estime de soi et sa place dans la famille;
-la possibilité de trouver des tuteurs de résilience dans le pays d’accueil;
-des attitudes favorables du pays d’accueil face à la migration;
-le fait d’avoir le droit de séjourner légalement dans le pays d’accueil.
Les facteurs défavorables à la résilience des enfants:
-la présence de troubles de l’identité;
-le fait d’avoir vécu des traumatismes de guerre;
-un niveau scolaire différent;
-la méconnaissance de la langue du pays d’accueil;
-un changement d’écoles fréquent.
Les facteurs favorables à la résilience des enfants:
-une grande motivation à apprendre;
-une grande capacité de mémorisation;
-l’attitude des enseignants: être souple et donner aux enfants le temps de se reconstruire en fixant des objectifs scolaires à leur portée; mettre en valeur la culture d’origine des enfants; redonner l’autorité aux parents devant l’enfant.

Pour les familles réfugiées, l’arrivée en Belgique est vécue différemment par rapport aux migrants économiques. En effet, pour les réfugiés, la migration n’est généralement pas une promotion de statut; le traumatisme a débuté dans le pays d’origine; le réfugié ne maîtrise pas les événements et n’a pas développé de «projet migratoire».

Le cas des réfugiés

Les enfants réfugiés de guerre peuvent sembler perdus dans de grands moments de silence, de nostalgie. L’enfant peut, à cause des violences subies, avoir un comportement agressif en classe ou au contraire, devenir la victime des autres et adopter un rôle de bouc émissaire.
Il est essentiel qu’une fois dans son pays d’accueil, l’enfant réfugié de guerre puisse exprimer ses traumatismes et se soulager de ses souffrances.
Les stratégies pour aider l’enfant réfugié:
-donner la possibilité de trouver des tuteurs de résilience dans l’école pour les enfants les plus fragilisés (avant de penser à une psychothérapie);
-susciter la parole de l’enfant sans l’imposer par des stratégies de contournement ;
-favoriser l’attachement à des animaux, un moyen non onéreux pour l’école;
-permettre à l’enfant de vaincre sa propre agressivité;
-introduire la notion de pardon comme alternative à ce cercle vicieux de la violence;
-offrir à l’enfant qui a perdu confiance dans les adultes la possibilité de ressentir la restauration d’un ordre moral.

L’école s’est avérée être le lieu par excellence où l’enfant et sa famille pouvaient rebâtir un avenir de confiance. Les relations entre l’école et les parents ont un effet sur la résilience de leurs enfants. Encourager la mise en place de programmes qui favorisent la résilience à partir de l’école et du quartier permet aux enfants et adolescents, ainsi qu’à leurs familles, d’avoir à nouveau confiance en l’avenir et de prévenir l’apparition de traumatismes supplémentaires par la mise en place de facteurs protecteurs.

Santé et qualité de vie des adolescents

La recherche documentaire a mis en évidence l’importance d’identifier précocement les besoins de santé des adolescents de première génération pour mettre en place des actions de promotion de la santé et de prévention visant à préserver leur capital santé.

La santé des adolescents immigrants de première génération

Les adolescents de première génération présentent un état de santé physique et des comportements de santé généralement meilleurs que les adolescents de deuxième génération: un mode de vie moins sédentaire (ils pratiquent plus d’activité physique, regardent moins la TV et utilisent moins les jeux vidéos), une alimentation plus équilibrée, moins de comportements à risque (consommation d’alcool, de drogues, sexualité) que ceux de deuxième génération. Mais on observe une détérioration de la santé des jeunes de première génération avec la durée de séjour dans le pays d’accueil, qui se manifeste essentiellement par une augmentation de la prévalence des comportements à risque.
Les données concernant la santé mentale sont rares et contradictoires.

Les résultats de l’étude portant sur la santé et la qualité de vie des adolescents ont montré que:
-les adolescents primo-arrivants étaient en très bonne santé physique, selon les indicateurs généralement utilisés en médecine scolaire (poids, taille, vue, audition): 12% seulement présentaient des troubles de la vue non traités (contre 30% chez les adolescents en population générale);
-leur qualité de vie globale diminuait avec le temps depuis leur arrivée en Belgique, surtout pour les dimensions «psychologique» (le score passe de 62 à 54 en un an, sur une échelle de 0 à 100) et «école» (diminution de 66 à 56);
-le score de qualité de vie à l’arrivée était nettement inférieur chez les adolescents n’ayant pas de soutien social (c’est-à-dire «personne sur qui compter»); notons que 9% des jeunes ne vivent ni avec le père, ni avec la mère, mais avec un oncle ou une tante, un frère ou une sœur ou encore un tuteur;
-les préoccupations de santé des adolescents étaient nombreuses, et de nature tant physique (acné, poids, exercice physique…) que psycho-sociale (découragement, tristesse, difficultés relationnelles…) ou psycho-somatique (troubles du sommeil, maux de tête, stress…);
-l’avenir est une préoccupation importante pour près de la moitié des adolescents la première année de leur arrivée;
-plus de la moitié des adolescents étaient perdus de vue dans les écoles la deuxième année (certains seraient rentrés au pays, beaucoup auraient changé d’école).
D’après ces résultats, une approche spécifique de la santé des adolescents récemment immigrés s’est avérée nécessaire. Nous avons pu identifier trois nouveaux rôles pour les services de santé scolaire.
Le dépistage : outre les mesures de santé biométriques (poids, taille, vue, audition, caries dentaires…), l’examen clinique, l’examen de la carte de vaccinations et le dépistage systématique de la tuberculose organisé au FARES, le bilan de santé doit davantage s’intéresser aux aspects comportementaux et subjectifs de la santé, pour un repérage précoce des adolescents qui nécessiteraient un accompagnement renforcé.
Au terme du bilan de santé, une concertation entre les différents intervenants de la santé scolaire (médecin, infirmière, psychologue, assistant social ou éducateur) serait utile pour une prise de décision conjointe de suivi médical ou psychosocial des adolescents en difficulté.
2. L’information : grâce au questionnaire qui sert de guide d’entretien lors du bilan de santé, le médecin peut répondre aux préoccupations de santé identifiées et encourager le recours aux structures d’aide disponibles. Une information devrait être donnée sur les modalités d’accès aux soins et de remboursement en Belgique. Des brochures d’information traduites en différentes langues compléteraient utilement ces conseils.
3. L’attention particulière aux adolescents réfugiés et à ceux qui n’ont pas de soutien social (notamment les mineurs étrangers non-accompagnés, appelés «MENA»). Un accompagnement psychosocial renforcé de ces enfants lors de l’arrivée en Belgique pourrait contribuer à la prévention du mal-être possible.
Au Centre PMS de Saint-Gilles, qui accueille un nombre élevé d’adolescents issus de classes passerelles, un nouveau modèle de consultation médicale a été mis en place, davantage conçu comme un examen préventif et éducatif que comme un examen de dépistage clinique. La place accordée à l’entretien avec le jeune était grande (en français, anglais ou espagnol et/ou grâce à leurs notions de français). Le bilan de santé était adapté aux besoins mis en évidence par le questionnaire, incluant éventuellement un examen clinique orienté. Ce bilan était suivi d’une concertation systématique avec les intervenants psycho-médico-sociaux de l’équipe de santé scolaire (médecin, infirmière, psychologue, assistant social).
Selon ces intervenants, au terme d’un an, cette démarche novatrice a permis:
-pour les adolescents, une meilleure réponse à leurs besoins, une amélioration du suivi des recommandations médicales faites à l’issue du bilan de santé et un recours accru au service PMS (permanences de l’infirmière et de l’assistant social);
-pour eux-mêmes, une meilleure connaissance des adolescents primo-arrivants et de leurs difficultés, une motivation et une valorisation du travail importantes, une amélioration des relations partenariales.
Notons que la dégradation de la qualité de vie des adolescents après un an était moindre dans ce groupe d’adolescents que dans le groupe ne bénéficiant pas de ce nouveau modèle.
Dans le courant de l’année 2005-2006, une diffusion de l’expérience et des outils de dépistage et de prévention à d’autres centres de santé scolaire bruxellois est prévue.
Florence Renard , Emmanuelle Martin , Alain Deccache , Université catholique de Louvain, Unité RESO d’éducation pour la santé
Dans le cadre de la Recherche-action UNI-SOL menée en collaboration avec le Fonds Houtman et l’ONE
Adresse des auteurs: RESO UCL, Av. Mounier 50, 1200 Bruxelles. Tél.: + 32 (0) 2 764 50 70. Courriel: florence.renard@reso.ucl.ac.be. (1) Une structure d’enseignement adaptée a été mise en place pour les élèves primo-arrivants étant amenés à entamer ou à continuer leur scolarisation en Communauté française, alors qu’ils ne possèdent pas une connaissance suffisante de la langue française: il s’agit des «classes-passerelles » (décret du 14 juin 2001 visant à l’insertion des élèves primo-arrivants dans l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française). La classe-passerelle vise à assurer l’accueil, l’orientation et l’insertion optimale des élèves primo-arrivants dans l’enseignement fondamental ou secondaire. On en dénombre actuellement 21.

Bibliographie

Marcelli D.(1996), L’enfant migrant, Enfance et psychopathologie, Abrégés Masson, Paris-Milan-Barcelone, pp.482-9.
Martin E., Steyaert M., Deccache A. Favoriser la résilience de l’enfant migrant primo-arrivant et de sa famille, Projet UNI-SOL UCL – rapport de recherche (I), Juin 2005, 136p.
Moro M.R., Nathan T. (1995), Ethnopsychiatrie de l’enfant, Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Presses Universitaires de France, Paris, pp.423-46.
Moro M.R. (1993), L’enfant de famille migrante, Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Médecine-Sciences Flammarion, Paris, pp.250-61.
Péchevis M. (1995), Les enfants de migrants, Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Presses Universitaires de France, Paris, pp.2285-301.
Renard F., Deccache A. Santé et qualité de vie des adolescents récemment immigrés en Belgique, Projet UNI-SOL UCL – rapport de recherche (II), Juin 2005, 57p.
Renard F., Doumont D. Immigration et santé des adolescents, Dossier technique RESO/UCL, octobre 2004.
Renard F., Martin E., Cueva C., Deccache A. Santé et qualité de vie des adolescents récemment immigrés en Belgique: dépistage et prévention en médecine scolaire. Archives de Pédiatrie, in press.
Tousignant M., Ehrensaft E., L’écologie humaine et sociale de la résilience, 66ème congrès de l’ACFAS, Canada, 1998.
Vanistendael, S., Lecomte J., Le bonheur est toujours possible. Construire la résilience. (2000)

Interaction entre familles récemment immigrées et services: une recherche-action pour le bien-être des enfants

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Contexte général

L’Europe communautaire attire un flux continu de migrants et de demandeurs d’asile même si, comparé à d’autres régions du monde, ce flux reste dans des proportions modestes. En ce qui concerne la Belgique, la décennie 1990-2000 a permis de compter une moyenne de 42.000 entrées par an.
Parmi ces personnes, 23.000 sont des citoyens d’autres pays de l’Union européenne et ne représentent donc qu’une immigration intérieure, le solde étant constitué d’immigrants provenant de l’extérieur de l’Union. On estime à 5 à 6000 le nombre d’immigrants bénéficiant d’un regroupement familial, de mariages, ou de contrats d’emploi justifiant l’installation en Belgique.
Les 13 à 14.000 personnes restantes constituent, pour la décennie citée, la moyenne annuelle de demandes de droit de séjour enregistrée en Belgique. Si le début de la décennie 2000 a vu ce chiffre monter à une moyenne d’environ 2000 personnes par mois (effet de la guerre du Kosovo), avant de reprendre son rythme de croisière de 1000 à 1500 personnes par mois, le mouvement de retour des réfugiés s’est lui-même accéléré, soutenu par un taux de non recevabilité important de ces demandes (90%).
On estime que 75% des primo-arrivants (personnes présentes en Belgique depuis moins de cinq ans) sont des demandeurs d’asile. Les observations impressionnistes réalisées localement durant la recherche UNI-SOL laissent entendre que 40% de cet ensemble provient de régions du monde qui sont en conflit armé.
La plupart des personnes qui arrivent en Belgique avec une demande d’asile ont ainsi en commun la recherche d’un monde meilleur, l’envie de recommencer une nouvelle vie, de se reconstruire, de se donner, ainsi qu’à sa famille, de meilleures chances pour l’avenir.
Tout demandeur d’asile est porteur d’un drame personnel qui peut avoir comme origine des situations sociopolitiques inhérentes à son pays de naissance. Ce drame est souvent amplifié par la trajectoire migratoire faite de séparations, et les dangers et ruptures qu’elle recèle.
Une des violences potentielles subies sur ce chemin est l’incrédulité des membres de la société d’accueil face au récit du drame du candidat réfugié. Le déni des difficultés éventuelles qui ont motivé la demande d’asile politique est manifeste, il est notamment visible dans le taux très important de refus de droit de séjour qui tend à montrer que toute détresse n’est pas également reconnue par l’appareil juridique ou administratif et l’opinion publique du pays d’accueil.
Il est indéniable également que la plupart des migrants sont insérés dans une filiation dont la plupart des membres se trouvent dans le pays d’origine et à qui tôt ou tard il faut porter assistance. Dans bien des cas, le migrant est un «envoyé» qui doit ouvrir son groupe d’origine à un monde meilleur.
Si partir est un fait accompli, c’est une autre histoire que d’arriver. L’attente d’un «positif» peut se faire longue et fixe les demandeurs d’asile dans un «no man’s land» qui les empêche de se projeter dans l’avenir. Or cette projection de soi-même dans l’avenir est le moteur du développement personnel.
Certains demandeurs d’asile qualifient ainsi la procédure de demande de droit de séjour de violente et la comparent ouvertement aux violences subies dans leur pays d’origine, en précisant que la violence et la destruction de leur être est ici menée de manière plus déguisée et peut-être plus dangereuse. Les réactions habituelles à ce contexte sont connues et signalées par les intervenants: réactions d’agressivité ou de revendication, chez certains réfugiés, retournement de l’agressivité contre soi par la somatisation, ainsi que par des symptômes dépressifs.
Comment faire pour donner un sens à la vie en pareil contexte d’attente, d’impuissance et d’angoisse?
Toute tentative d’aide aux réfugiés doit tenir compte de la spécificité de la situation des demandeurs d’asile et l’intégrer dans sa démarche méthodologique. Le récit de légitimation de la migration a sa propre validité qui doit être considérée comme telle. Il peut être le terrain de rencontre sur lequel une communication de confiance doit pouvoir s’établir. C’est à ce prix que l’intervenant peut construire le projet d’installation ou tout autre projet d’avenir qui donne sens à l’histoire migratoire de l’individu et de la famille en demande d’aide.
C’est également à travers cette pratique de construction de projet et de précision d’intentions, compte tenu des contextes sociaux et administratifs dans lesquels les familles réfugiées sont plongées, que l’intervenant chargé de l’accueil et de l’orientation peut donner sens à sa propre démarche professionnelle.

La recherche UNI-SOL

Dans l’espoir de mieux comprendre et de mieux identifier les aspects problématiques de l’accueil socio-sanitaire des familles primo-arrivantes, et ainsi d’optimaliser ce processus afin d’accroître le bien-être des familles et de leurs enfants, le projet UNI-SOL du Fonds Houtman de l’ONE a été lancé en Belgique francophone début 2003 et s’est prolongé jusqu’à aujourd’hui.
Le travail vise à développer une approche pratique et positive de la problématique à travers les différentes disciplines des universités, mais aussi en collaboration avec les institutions oeuvrant au mieux-être de ces populations, et enfin, avec toutes les structures locales des quartiers investis à titre pilote.
En effet, chaque université engagée dans le projet œuvre dans une commune donnée qu’elle connaît et où elle a déjà développé un projet, auquel pourront s’ancrer les diverses problématiques du projet UNI-SOL.
Parmi les populations récemment immigrées, il existe de nombreuses familles à haut risque de difficultés d’intégration, difficultés pouvant entre autres avoir des répercussions importantes sur le plan du bien-être et de la santé sociale, psychique et physique de leurs membres. La majorité de ces familles possède des ressources propres (ce sont leurs capacités de résilience). Si ces familles pouvaient s’appuyer sur des «tuteurs de résilience», sous forme de services sociaux, services de santé, réseaux sociaux, lieux de paroles «bientraitants», elles seraient plus à même de développer leurs propres capacités, souvent mises à mal par les épreuves traversées.
Le but de la recherche action est ainsi de déterminer , décrire , tester des processus opérationnels visant , à travers une démarche proactive , à favoriser la rencontre , la connaissance , l’adaptation réciproque entre ces familles et les différents « tuteurs de résilience » dans le pays d’accueil , et singulièrement dans le secteur socio sanitaire et scolaire .
La contribution liégeoise à cette recherche-action s’enracine dans trois interrogations de base: quelles sont les ressources et les difficultés inhérentes aux familles primo-migrantes? Quels sont les besoins et les ressources des professionnels qui les prennent en charge? Comment l’université peut-elle se rendre utile et «solidaire» pour développer les compétences des acteurs de terrain?
Les objectifs principaux de la recherche liégeoise sont les suivants:
-identifier auprès des services et des familles concernées, ainsi qu’à travers la consultation de spécialistes et de la littérature afférente, les problèmes socio-sanitaires des familles avec enfants récemment immigrées en Belgique ainsi que les ressources et contraintes de ces dernières;
-analyser le parcours migratoire et le projet de vie des familles;
-repérer les facteurs intrinsèques de résilience des enfants et de leurs familles;
-favoriser leur expression concernant les besoins de santé et l’accessibilité aux structures existantes;
-créer des réseaux intra- et inter-universitaires;
-favoriser la création de réseaux avec et entre les structures locales de prise en charge des familles;
-produire une information et une impulsion favorisant la compréhension et la solidarisation entre les familles de demandeurs de droit de séjour et les intervenants socio-sanitaires.
Les zones d’intervention de la recherche-action liégeoise sont, d’une part, le quartier Ste-Marguerite au centre de Liège et, d’autre part, le centre d’accueil de réfugiés de Nonceveux en province de Liège. Le choix du quartier s’explique par le caractère populaire de cet espace, qui accueille depuis plusieurs décennies les vagues successives de familles de réfugiés qui se présentent dans la cité ardente.
Les services sociaux du quartier, le centre local de consultations ONE, ainsi que l’hôpital de la Citadelle tout proche ont développé des stratégies d’accueil et d’intervention adaptées au caractère d’installation récente et temporaire de ce type de public. Le centre de Nonceveux dispose d’équipements scolaires appelés à accueillir des familles avec enfants en bas âge.
Le concept « public primo arrivant » est assez large. Il est surtout lié à une dimension subjective dépendant du parcours migratoire, du capital culturel et des facilités d’intégration des familles récemment immigrées. Ainsi, il nous a paru important de couvrir un échantillon composé tant de familles tout juste arrivées en Belgique que d’autres déjà en place depuis trois, quatre ou cinq ans.
Afin de pousser plus avant les investigations et de rencontrer différentes réalités, un échange avec des familles installées dans la région depuis dix ans et plus a également été réalisé.

La démarche

La première étape du travail consiste en l’identification et la synthèse de la littérature portant sur les difficultés de santé des populations immigrées, y compris les productions récentes d’associations de migrants ou travaillant avec les immigrants. Cette synthèse a donné lieu à la rédaction d’un outil d’entretien qui oriente la rencontre avec les professionnels de la santé, ainsi qu’avec les familles concernées. Des institutions, partenaires potentiels de la recherche-action, ont également été identifiées grâce à cette synthèse. Les différentes investigations empiriques ont également été l’occasion d’initier trois groupes d’étudiants de maîtrise en sciences humaines à la problématique des primo-arrivants dans les institutions scolaires et de santé.
Une quarantaine de professionnels de la santé (médecins d’hôpitaux, travailleurs socio-médicaux, responsables d’associations travaillant dans le quartier, psychologues, enseignants, etc.) ont été rencontrés au moyen du guide d’entretien.
Il s’agissait de dresser un tableau des principales problématiques rencontrées sur le terrain. Par la suite, des réunions régulières ont été organisées entre les membres de l’équipe de recherche et les intervenants en santé rencontrés. Il s’agissait, d’une part, de produire une information sur le sujet et, d’autre part, de recueillir les pratiques apparaissant comme utiles dans l’accueil et l’intégration socio-sanitaire des familles récemment immigrées.
Les rencontres ont également permis une plus grande cohésion et collaboration entre les partenaires présents autour de la table, ainsi que le développement de réseaux d’intervenants. En fonction des problématiques évoquées, des personnes ressources ont été invitées afin d’éclairer les participants en rapport avec les différents thèmes abordés.
Parmi les personnes rencontrées, 12 sont des intervenants scolaires (directeurs d’écoles, enseignants, psychologue, assistante sociale, animatrice d’école de devoirs) répartis dans 7 établissements de l’enseignement primaire et secondaire de la région liégeoise. La plupart des établissements visités se situent dans le quartier Ste Marguerite.
Le but de ces rencontres était d’établir un état des lieux de l’accueil scolaire et des conditions d’apprentissage de la langue française au sein de ce système pour le public non-francophone. Un travail d’observation dans les institutions a également vu le jour au cours de la recherche. L’objectif d’une telle démarche est de permettre aux chercheurs de s’imprégner de l’ambiance de l’institution et de parvenir à illustrer et/ou nuancer l’ensemble des discours qui ont été recueillis au cours des différentes rencontres avec les professionnels de la santé et les familles. La nature des comportements observés et leur localisation exacte évolueront en fonction de l’importance des priorités thématiques dégagées par les tables de discussion et la négociation entre les partenaires. Ce travail d’observation s’est déroulé dans les locaux de la consultation ONE du quartier Ste-Marguerite, ainsi qu’auprès du service de médiation interculturelle de l’hôpital de la Citadelle.
Des familles ont également été rencontrées. La sélection a été possible grâce à l’implication de diverses associations qui desservent le quartier investi. L’inquiétude de ne pas toucher les familles qui fréquentent très peu le monde sociomédical s’est dissipée grâce à l’implication du public fréquentant les Médecins sans frontières où les familles, même les plus isolées, passent régulièrement. L’échantillon sélectionné offre donc la garantie de couvrir la plupart des réalités observables dans la population cible, tant du point de vue de la durée de séjour en Belgique que du point de vue de l’intensité des relations avec les institutions socio-sanitaires, ou encore du point de vue de la stabilité du séjour en Belgique.
Douze familles primo-arrivantes, installées en Belgique depuis moins de cinq ans et ayant des enfants de moins de douze ans, dont certaines hébergées au centre d’accueil de Nonceveux, ont été rencontrées de façon longitudinale durant les deux années de recherche. Tous les membres des familles sont concernés par l’interview. Pour les adultes et les adolescents, les interviews sont basées sur la grille d’entretien établie à partir des informations obtenues suite aux enquêtes auprès des professionnels de la santé. Un bilan des données démographiques et sociales liées à la situation familiale des personnes rencontrées est dressé durant l’entretien. Celui-ci sera suivi par l’établissement du récit de vie des personnes concernées.
Afin de mieux comprendre la dynamique dans laquelle fonctionnent les familles, un bilan des causes qui pourraient amener des problèmes liés à la santé est établi avec les adultes et adolescents rencontrés. Les thèmes abordés ont rapport à l’insécurité de séjour, financière et de logement, les actes d’exclusion subis, le sentiment d’inutilité, le sentiment d’isolement psychosocial, les problèmes liés à l’apprentissage de la langue, le stress acculturatif, l’aliénation des enfants, la difficulté d’emploi, les problèmes éducatifs par rapport aux enfants, la culpabilité de l’immigré, et enfin, le tiraillement culturel.
La parole est également donnée aux enfants de moins de 12 ans. Le dessin d’enfant permet d’entamer le dialogue avec ces derniers. Les épreuves sélectionnées portent sur le dessin du bonhomme et de la famille, sans oublier un dessin représentant le plus grand rêve des enfants. Les résultats obtenus grâce à cette technique seront présentés dans un autre travail.
En cours de recherche, il est apparu intéressant d’ajouter à l’échantillon de familles primo-migrantes vivant en Belgique depuis un maximum de cinq ans, la rencontre de familles vivant en Belgique depuis plus de dix ans et ayant, lors de la migration, des enfants en âge scolaire. Cette extension des critères de sélection du public cible permet dès lors de se faire une meilleure idée du vécu de la migration dans la durée et donne plus d’informations sur les personnes qui ont «réussi» la migration et qui sont enfin «installées» en Belgique.
Dans le dernier trimestre de la recherche, 36 adolescents primo-arrivants de l’enseignement secondaire ont également été interviewés sur base d’un guide d’entretien. Ces rencontres ont permis de cerner les difficultés qu’ils rencontrent, mais également les éléments qui leur permettent de s’intégrer et de vivre au mieux leur installation au pays d’accueil.
En fonction des problématiques et des pratiques dégagées, l’organisation d’une animation-discussion avec des résidents a été réalisée au centre d’accueil de Nonceveux. Cette rencontre a permis aux participants de s’exprimer et de fournir des informations de nature à nuancer les propos et à illustrer les pratiques positives qu’ils mettent éventuellement en place pour déjouer les problèmes liés à la santé qui ont été constatés lors de la rencontre avec les professionnels et les familles.
Dernière étape, un programme de diffusion des résultats et d’interpellation des décideurs a également été mis en place à travers la publication d’articles de synthèse destinés aux travailleurs socio-sanitaires et à travers la tenue de séminaires, de formations et de rencontres avec les intervenants travaillant avec le public réfugié.

Synthèse des constatations et perspectives

Les résultats des investigations renforcent le sentiment selon lequel le traitement de la question du droit d’asile en Belgique est lui-même producteur de désordres relevant de la santé psychosociale. Les personnes qui arrivent en Belgique avec la volonté d’y trouver un monde meilleur se trouvent face à un système défensif qui les cantonne dans un entre-deux et une instabilité de séjour qui les met dans l’impossibilité de projeter une quelconque action visant à leur intégration dans le pays. Cette situation floue favorise dans certains cas des décompensations psychiques et autres somatisations.
Il se dégage une impression d’incohérence de la politique d’asile qui, d’une part, tente d’accueillir et de répondre aux besoins primaires des demandeurs et, d’autre part, les cantonne dans des espaces physiques tels que les centres, ou un espace social tel que le statut de personnes assistées, d’autant plus que ce cantonnement peut durer de longues années. Les familles réfugiées ont ainsi tout le loisir de se déstructurer et de consommer une rupture avec leur milieu d’origine sans pouvoir se réinsérer dans leur nouveau monde. La situation des enfants naissant et grandissant dans de telles familles est alors préoccupante dans la mesure où les conditions nécessaires pour favoriser un développement psychologique sain sont compromises, y compris au sein des écoles qui les accueillent. Même après avoir obtenu le droit d’asile, les difficultés se prolongent: discrimination, racisme, impossibilité de trouver du travail, etc.
Il est donc important de reconsidérer la politique d’asile. Si ce point de vue est partagé par de nombreux autres interlocuteurs depuis longtemps et nécessite encore bien des développements, il n’en reste pas moins que la lenteur des démarches administratives et juridiques a des conséquences évidentes sur la santé des familles en demande d’asile. Bien souvent le refus d’octroyer une stabilité de séjour aboutit à pousser la famille concernée dans une clandestinité totale. Cette situation n’est pas sans incidences majeures sur l’état de santé des groupes de réfugiés. Cette constatation fait immanquablement songer à l’hypocrisie du rapport aux demandeurs d’asile qui sont d’une part refoulés mais, d’autre part, exploités notamment dans des réseaux de travail bon marché. La réponse musclée d’exclusion et de fermeture des frontières qui est actuellement donnée au phénomène de demande d’asile politique semble destinée à calmer les angoisses d’une partie de l’opinion publique. Une réponse plus positive serait d’imaginer une politique d’immigration pro-active à l’échelle européenne qui pourrait adoucir la pression migratoire sud-nord, charriant des flux importants de personnes à la recherche d’une vie meilleure.
Cependant, ces considérations générales, bien qu’elles soient fondamentales, ne doivent pas nous distraire de la nécessité d’envisager des problématiques spécifiques liées à la santé et à l’accueil des familles dont certaines finissent tout de même par être stabilisées dans leur droit de séjour dans le pays. Aussi, un autre des enjeux est d’imaginer des actions contribuant à une prise en charge autonomisante des familles en voie d’intégration en Belgique. En effet, il est paradoxal de constater que les familles rencontrées jugent extraordinaire l’accueil sanitaire dont elles font l’objet, d’autant plus que leurs références sont les systèmes sanitaires du pays d’origine. Mais, cette prise en charge totale ne les prépare pas à la réalité de la vie en Belgique si un droit de séjour leur est accordé.
Les démarches du parcours migratoire des familles rencontrées génèrent en elles de nombreuses souffrances. Ces personnes ont dû déployer une énergie incroyable pour arriver vivantes en Belgique. Leur histoire est remplie de traumatismes: tortures, fuite, séjours en prison, guerre, corruption, etc. Elles sont sans cesse confrontées à leur histoire ce qui complique d’autant plus leur intégration. De plus, elles dépensent une grande énergie pour les besoins primordiaux que sont le logement, les problèmes administratifs, les réactions de rejet, le racisme, la scolarisation des enfants, etc. C’est ce qui crée un repli sur elles-mêmes dû à la fatigue physique et psychique.
Les personnes immigrées passent par une longue période d’incertitude et de démarches administratives (de un à trois ans en moyenne) avant d’obtenir leur statut de résident. Tant qu’elles n’ont pas le statut de réfugié, elles n’arrivent pas à faire le deuil de ce qu’elles ont perdu, à se refaire une vie. La majorité des demandeurs d’asile (90%) se verront confrontés par la suite à un ordre de quitter le territoire. La majorité d’entre eux choisiront de vivre dans la clandestinité. Ce sera le temps de la perte complète d’espoir, de la vie sans projet, du «no man’s land». Ceux qui auront la chance d’obtenir le droit d’asile ne seront pourtant pas sortis d’affaire. Ils devront souvent accepter une perte de statut social.
Un des grands facteurs facilitateurs du parcours migratoire est de prendre appui sur des personnes ressources, des tuteurs de résilience, ceci aussi bien pour les parents qui s’appuieront sur quelqu’un qui propose son aide que pour les enfants qui rencontreront des amis, des membres du personnel de l’école, d’autres parents d’élèves… Ces personnes accompagnent les familles immigrées pour leurs démarches, les procédures administratives, l’obtention d’un logement ou d’un travail, l’accès aux soins de santé, ainsi que l’éducation des enfants. Elles peuvent être de la famille, des amis, une rencontre fortuite, des fonctionnaires mais aussi des personnes rencontrées dans un lieu de culte, la foi étant un élément important pour garder courage.
Depuis que ces personnes ont vécu les événements qui les ont poussées à quitter leur pays, elles ont rencontré des obstacles qui ont rendu leur parcours perturbant. Dans un premier temps, leur résilience a été rendue possible grâce à un premier réseau d’aide constitué de proches de la famille; dans un second temps, c’est un second réseau constitué de professionnels du monde de l’enfance qui les aident à voir la lumière au bout du tunnel. Il est également important de souligner le rôle joué par l’enfant dans le processus d’intégration. En effet, il «oblige» ses parents à avoir des contacts avec des professionnels de la santé, de l’éducation, ou simplement les parents de ses camarades de jeux.
Dans ce contexte général, les aspects qui méritent le plus d’attention et qui doivent s’inscrire dans une démarche pragmatique sont principalement: les besoins des immigrants à leur arrivée, les questions de communication lors des soins et des actions de prévention, ainsi que les difficultés d’accès aux systèmes sanitaires et scolaires. Les investigations menées afin d’identifier les problématiques majeures et les solutions qui se dégagent en matière d’accueil socio-sanitaire et socio-scolaire des familles et enfants primo-arrivants permettent de noter l’existence de dispositifs utiles rencontrant la majeure partie des difficultés listées.
Ainsi, les services socio-sanitaires centralisés et spécifiques comme les «relais-santé» ou les services de médiation interculturelle, les dispositifs de logement subventionnés et les classes passerelles sont parmi les exemples que nous pouvons rappeler.
Toutefois, les travailleurs de terrain rencontrés déclarent que ces solutions ne répondent pas à l’ensemble des problèmes auxquels ils sont confrontés. Notamment, ces pistes restent très insuffisantes en termes quantitatifs et ne couvrent que certains points centraux, laissant de vastes zones géographiques excentrées sans moyens. Ainsi, une série d’orientations restent encore à envisager et à organiser. Il s’avérerait intéressant notamment de mettre en place un service d’interprétariat permettant à la fois des traductions à proprement parler, mais aussi des interventions de médiation interculturelle lorsque cela s’avère nécessaire. Ce service devrait être localisé dans un lieu précis et accessible à tous, notamment par les moyens de télécommunication.
Il est important de souligner la nécessité de favoriser les liens entre différentes cultures, de s’ouvrir à l’autre, de communiquer et surtout de bien comprendre la difficulté qu’il y a pour un enfant étranger à trouver sa place dans notre système scolaire. Tous les acteurs sur le terrain font un travail important, mais il serait bon qu’ils soient encouragés et soutenus par les pouvoirs publics en recevant les moyens nécessaires à leur action. Une des solutions qu’il nous semble bon d’encourager est le recours à des professeurs spécialisés en français langue étrangère dans tous les établissements qui accueillent des élèves primo-arrivants. Cela permettrait de réduire le séjour dans les classes passerelles et une intégration plus rapide dans les classes ordinaires.
Les professionnels rencontrés dans le cadre de l’investigation soulignent également leur intérêt quant à la mise au point d’une chaîne de relais, de collaborations, de partenariats où eux-mêmes, tout comme les personnes étrangères, pourront trouver rapidement les ressources nécessaires à une problématique déterminée. Ils soulignent également l’importance d’établir une liste de personnes ressources qui permettrait d’organiser aisément des formations au niveau interculturel et santé.
Un grand intérêt est également porté au fait de trouver des pistes afin d’informer au mieux les personnes étrangères sur le fonctionnement du système socio-sanitaire et scolaire belge. L’utilité de la création de lieux de paroles et d’expression pour les personnes étrangères est également soulignée par un grand nombre de travailleurs sociaux. Dans ce cadre, les exemples sont peu nombreux et devraient intégrer des techniques créatives pour atteindre un maximum d’efficacité en termes d’expression et de prévention de l’incommunication.
Un autre des besoins identifiés par les intervenants du secteur socio-sanitaire et scolaire vise le soutien à apporter aux professionnels eux-mêmes face aux difficultés soulevées par la présence des familles et enfants issus de l’immigration. Les acteurs rencontrés semblent préconiser la constitution et le développement des réseaux d’échanges entre professionnels qui dépassent le simple fait de partager des informations à caractère technique.
Cette recherche peut être un exemple type de ce genre d’initiatives qui permet à un ensemble d’intervenants de se rencontrer régulièrement afin d’échanger informations et points de vue sur l’incidence de la présence des familles primo-arrivantes sur leurs pratiques professionnelles. Ces rencontres servent à diffuser des pratiques positives et éprouvées au sein de ce réseau. Elles servent également à se délester de certaines expériences difficiles à travers la confrontation aux autres. Les professionnels gagnent ainsi en estime d’eux-mêmes et en sentiment d’efficacité. La production et la distribution de documents utiles aux professionnels entrent dans la même stratégie.
Au vu de toutes ces constatations, il devient évident qu’un des enjeux majeurs est d’imaginer et de valider des modalités d’accueil, de soutien, de soins et d’accompagnement qui soient autonomisantes et positives pour les personnes en voie d’intégration en Europe ou, tout au moins, en transit avant un transfert vers un autre territoire. L’objectif d’une future action sera ainsi d’accompagner les professionnels socio-éducatifs et socio-sanitaires chargés d’orienter les familles demandeuses d’asile. Cette démarche permettra de travailler à l’identification, au maintien et au soutien, ainsi qu’au développement, à la validation – évaluation, à la modélisation et à la dissémination de pratiques existantes ou à inventer, qui soient soucieuses d’investir et de valoriser le « temps d’attente » des demandeurs d’asile de façon à ce que cet espace-temps ne constitue pas une violence institutionnelle à l’égard de ces candidats au séjour et des professionnels.
Les travaux menés dans le cadre de la recherche UNI-SOL permettent également de constater que les contextes favorisant l’expression du vécu, des projets et rêves, et l’humour auprès des candidats réfugiés en situation d’instabilité de droit de séjour et d’attente exercent un effet favorable sur leur estime d’eux-mêmes, leur sentiment d’efficacité personnelle, leur renforcement identitaire, ainsi que sur leur inscription sociale au sein de leur groupe d’appartenance et de la société en général. Aussi, il apparaît opportun de proposer la conduite d’actions socio-éducatives à caractère ludique et créatif au public de candidats réfugiés et à leurs enfants dans les contextes d’accueil dans lesquels ils évoluent.
Les résultats attendus de ces actions sur le terrain seront de permettre:
– aux personnes participantes une expression libératrice sur leur vécu migratoire et trajet de demandeur d’asile, une prise de distance sur ce vécu et une valorisation personnelle à travers la maîtrise de techniques, de réseaux sociaux, et de connaissances nouvelles;
– aux enfants et à leurs parents de se rencontrer à travers les activités proposées de façon à tendre vers un équilibre intergénérationnel dans le contexte difficile du temps d’attente;
– le développement de nouvelles dynamiques relationnelles positives et de la cohésion sociale au sein des centres d’accueil et des quartiers où résident les familles réfugiées à travers le développement et la diffusion des activités récréatives et de leur produit;
– aux intervenants socio-éducatifs travaillant avec des familles réfugiées de développer de nouvelles connaissances et techniques d’animation avec le public cité, de développer également de nouveaux réseaux d’échanges transdisciplinaires entre professionnels impliqués par ce même public. Il s’agira enfin de produire des contenus de publications et de formations à diffuser plus largement auprès de la communauté, des travailleurs sociaux et des décideurs chargés de l’accueil des familles réfugiées.
Altay Manço , IRFAM (1), Michel Born et Sylvie Petit , Université de Liège
Dans le cadre de la Recherche-action UNI-SOL menée en collaboration avec le Fonds Houtman et l’ONE
Adresses de l’IRFAM: rue Agimont 17, 4000 Liège. Tél.: + 32 (0)4 221 49 89.
Haie le Comte 47 App. 3/1, 5001 Belgrade. Tél.: + 32 (0)81 74 66 27.
Courriel: amanco@irfam.org. Internet: https://www.irfam.org .
Adresse de l’ULg: Service de psychologie du développement social, Sart Tilman B 33, 4000 Liège. Tél.: + 32 (0)4 366 22 71. Courriel: mborn@ulg.ac.be.
(1) IRFAM = Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations

Bibliographie sélective

Agenda Interculturel, (2005). Pas dans mon jardin. Numéro spécial demandeurs d’asile, janvier, n° 229, 35 p.
Asensi, H., & Le Du, C. (2003). Savons-nous accueillir les réfugiés en France?
Baubet T. et al. (éds) (2003). Soigner malgré tout. Grenoble: La Pensée sauvage.
Baubet, T., & Moro M-R. (éds), (2003). Psychiatrie et migrations. Paris: Masson.
Collectif, (1999). Intégration: la politique d’immigration à la croisée des chemins. Osmoses, avril.
Collectif, (2000). Santé. Traitement de la différence. H&M;, mai-juin, n° 1225.
Crutzen, D., & Manço, A., (2003). Compétences linguistiques et sociocognitives des enfants de migrants turcs et marocains en Belgique. Paris: L’Harmattan. Compétences interculturelles.
Cyrulnik, B. (2001). Les vilains petits canards. Odile Jacob: Paris.
Manço, A. (1999). Intégration et identités. Stratégies et positions des jeunes issus de l’immigration. De Boeck: Bruxelles.
Manço, A. (2001). Violences et médiation dans les familles immigrées. Les politiques sociales, n° 3-4, 23-37.
Manço, A. (2002). Compétences interculturelles des jeunes issus de l’immigration, perspectives théoriques et pratiques. Paris: L’Harmattan, compétences interculturelles.
Manço, A. et Amoranitis, S. (1999). Délégation par abandon: un nouveau concept opératoire. Les Politiques Sociales, n° 3-4, 4-12.
Moro, M. (1994). Parents en exil: psychopathologie et migration. Paris: PUF.
Rousseau, C., & Nadeau, L. (2003). Migration, exil et santé psychosociale. Paris: Masson.
Schiff, C., (2001). Les élèves nouveaux arrivants: obstacles linguistiques et motivation scolaire. VEI Enjeux hors séries, vol. 3.
Vatz Laaroussi, M., & Manço, A. (2003). Jeunesses, citoyennetés, violences. Réfugiés albanais en Belgique et au Québec. L’Harmattan: Paris.

UNI-SOL, des universités solidaires

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Le projet UNI-SOL est né de la volonté commune de quatre des plus importantes universités de la Communauté française de Belgique de s’associer avec le Fonds Houtman (ONE) pour explorer les caractéristiques des outils d’accueil de populations récemment immigrées dans les réseaux qui leur sont accessibles, censés leur octroyer des soins préventifs et un enseignement régulier pour eux et leurs enfants.
L’intérêt représenté par ces populations, dans le cadre de cette recherche-action, était fondé sur leur importance numérique dans les pays de l’Union européenne, mais aussi sur la volonté de l’Etat belge de procéder à une régularisation d’un certain nombre de familles en situation illégale dans notre pays, en 2002.
Le moment semblait donc opportun de mettre en route ce projet ambitieux qui se donnait comme objectif de créer de nouveaux modèles d’intervention en réseau, plus efficaces, afin de découvrir ce que l’on pourrait appeler des «tuteurs de résilience», facilitateurs de compréhension interculturelle et d’appropriation des démarches ouvrant l’accès à une citoyenneté minimale compatible avec les droits de l’homme et la charte de l’UNESCO.
Cette recherche-action a pris racine lors d’un colloque en Arizona en 1999 sous l’auspice de l’OMS et de l’UNESCO invitant les universités dans le monde à mobiliser leurs ressources dans des recherches-actions citoyennes en faveur de la santé des populations défavorisées. Les principaux points de la Charte d’Arizona intitulée « Les universités et la santé des défavorisés » sont les suivants:
1. Les universités disposent du potentiel unique de stimuler les progrès et de participer au progrès social. Leur longue tradition d’humanisme et d’attachement aux valeurs démocratiques doit les inciter à s’engager à optimiser leur potentiel, particulièrement à l’égard des populations les plus défavorisées. Cette Charte définit les populations les plus défavorisées en tant que groupes ayant une capacité réduite à profiter d’opportunité pour améliorer leur santé (au sens de l’OMS).
2. Les universités devraient jouer le rôle de catalyseur mobilisant les ressources nécessaires pour promouvoir des plans d’actions multidimensionnelles, pour contribuer à l’amélioration du bien-être des populations défavorisées. Les universités peuvent faciliter la convergence d’intérêts disparates et créer des coalitions ou mieux encore des réseaux entre personnes et institutions faisant partie de gouvernements locaux, de services de santé et les communautés elles-mêmes.
3. Les universités pourraient, pendant les décennies à venir, orienter une partie de leur développement vers les attentes de la société et renforcer leurs rôles en ce qui concerne les activités visant à éliminer la pauvreté, l’intolérance, la violence, l’analphabétisme, la faim, la dégradation de l’environnement, les maladies et autres facteurs affectant prioritairement les populations défavorisées.
4. Pour que la recherche-action, l’éducation et l’action sociale soient efficaces et pertinentes, un grand mouvement de collaboration , à l’état d’ébauche, doit se développer de façon impérative, non seulement à l’intérieur des universités elles-mêmes mais aussi entre celles-ci et les communautés, les pouvoirs publics, les responsables politiques et tous les acteurs sociaux concernés.
Dans ce contexte, entrer dans un projet UNI-SOL nécessite:
-de bien cibler les populations défavorisées. Le groupe doit être caractérisé par sa vulnérabilité ainsi que par sa représentativité;
-que les universités mobilisent plusieurs facultés et départements investis notamment dans les sciences de la santé;
-que l’approche développée dans cette activité soit globale;
-qu’un partenariat durable soit établi entre les acteurs-partenaires et le groupe défavorisé spécifique, et que cela contribue à des changements institutionnels concrets.
Un an plus tard, l’Université de Tucson en Arizona lançait un projet de recherche au niveau international cadrant avec les recommandations de la Charte de l’OMS. Ce fut l’occasion pour le Fonds Houtman d’envisager une réflexion de grande envergure avec quatre universités afin d’organiser un programme de recherche-action sur ce thème que nous avons naturellement baptisé UNI-SOL, acronyme de université-solidarité.
Ce fut l’enthousiasme sans retenue, dès le départ, des chercheurs et des interprètes désignés par les universités pour se mettre à la tâche dans un projet original, qui avait également pour but d’apprécier ce que l’intervention des universités en elles-mêmes pouvait apporter comme bénéfice aux réseaux en place, et, d’autre part, ce qui aurait pu aider à sensibiliser les grandes institutions académiques à contribuer davantage à l’avenir aux problèmes de la vie des hommes, des femmes et des enfants dans ce qu’on appelle improprement le champ social.
L’importance du travail accompli sera reconnue dans les temps qui arrivent, pour une meilleure approche de cet immense phénomène occulté par le désintérêt et les considérations d’ordre politique, où fait encore défaut une information scientifique qui rime avec humanité et dignité.
Professeur Marc Vainsel , Administrateur général du Fonds Houtman
Adresse de l’auteur: Fonds Houtman, ONE, chée de Charleroi 95, 1060 Bruxelles. Bureaux: av. de la Toison d’Or 60 c, 1060 Bruxelles. Tél/ 02 543 11 71. Courriel: houtman@skynet.be.

Dossier UNI-SOL: des ressources documentaires

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

La consommation des soins de santé diffère bien souvent en fonction de la catégorie sociale: plus on est élevé dans la hiérarchie sociale, plus on a recours aux divers types de soins offerts. En revanche, on constate chez les plus démunis une propension au cumul complexe des symptômes, des maladies et des facteurs de risque, avec notamment la réapparition de certaines maladies que l’on ne rencontrait pour ainsi dire plus dans les pays développés, comme la tuberculose par exemple.
Le statut des primo-arrivants, des migrants, des réfugiés… entraîne bien souvent un état de santé précaire. En effet, confrontés aux difficultés de trouver un travail et un logement salubre, ces populations doivent faire face aux aléas administratifs (permis de séjour, permis de travail…) qui représentent, dans certains cas, un autre obstacle, celui de l’incertitude et de l’attente de recevabilité engendrant ainsi la peur d’être refusés ou éventuellement expulsés. Ces sentiments d’insécurité ajoutés à la solitude, aux conditions de vie incertaines, au choc des cultures, aux éventuels problèmes de langue, ne favorisent ni leur intégration, ni leur santé.
Profitant de ce numéro spécial consacré au projet UNI-SOL, le RESOdoc a voulu présenter une sélection de 8 mémoires – défendus à l’Unité d’éducation pour la santé RESO de l’UCL – traitant des problèmes de santé et de l’accès aux soins de ce type de population.
Ces mémoires sont consultables et/ou empruntables pour une durée de 15 jours (moyennant une caution de 3 euros par ouvrage) auprès du service de documentation RESOdoc (1).
STENUIT I. (2005), Etude des facteurs de résilience de réfugiés africains, originaires de la Région des Grands Lacs, en vue de promouvoir leur santé mentale: recherche exploratoire (RESO A.07.02.298).
Peu d’études ont été consacrées au processus de résilience chez les réfugiés africains, raison pour laquelle cette recherche se veut exploratoire. L’auteur s’intéresse à la migration des réfugiés africains originaires de la Région des Grands Lacs, à leur histoire, aux épreuves qu’ils ont dû surmonter mais surtout aux capacités dont ils ont fait preuve pour affronter leur nouvelle vie. L’approche de cette problématique s’est donc faite par une compréhension du vécu des réfugiés et par une recherche des facteurs de résilience.
Ensuite, après avoir fait le lien entre la résilience et la promotion de la santé, quelques pistes ont été dégagées afin de promouvoir la résilience et ainsi, la santé mentale, des réfugiés arrivant en Belgique. Cette recherche souligne la nécessité d’accompagner, d’aider les réfugiés, de croire en leurs capacités.
LAMBIN S. (2004), Etude des facteurs de compliance des primo-arrivants au traitement de la tuberculose (RESO A.07.02.276).
En parcourant la littérature, on constate que le statut des primo-arrivants entraîne souvent un état de santé plus précaire. De plus ces personnes sont souvent confrontées à des représentations de la maladie et de la santé qui ne sont pas les leurs.
La recherche exploratoire a consisté à analyser la perception qu’ont les primo-arrivants tuberculeux de leur maladie et de leur traitement et de la place qu’elle occupe dans leur quotidien. Les résultats de cette recherche ont permis d’apporter des éléments de réponse au questionnement général: comment améliorer l’accompagnement des primo-arrivants tuberculeux en Belgique? Suite aux résultats obtenus par entretiens semi-dirigés, on s’est aperçu que les facteurs liés aux primo-arrivants et les facteurs d’accessibilité au traitement sont des obstacles majeurs à la compliance. La non-maîtrise de la langue et l’isolement sont également une barrière non négligeable.
HOTSTETTER M. (2004), Prévention du diabète de type II dans la population marocaine à risque, immigrée de deuxième génération du quartier des Marolles (RESO A.07.02.274).
Le diabète de type II reste un problème majeur de santé publique à l’échelle mondiale. Les personnes immigrées vivant dans les pays développés constituent des populations particulièrement sensibles pour les intervenants de santé en raison de la prévalence très élevée de la maladie. Ces personnes sont également sensibles dans leur relation avec les soignants. Une recherche exploratoire a été réalisée par une approche qualitative en effectuant des entretiens semi-dirigés, analysés par la méthode catégorielle, ce qui a permis de mieux comprendre ce qui pose certaines difficultés en matière de prévention du diabète et en ce qui concerne la relation.
Ce mémoire a fait l’objet d’un article paru dans la revue Santé Conjuguée d’avril 2005.
STIENS F. (2003), La construction de l’estime de soi en classe ? Analyse des perceptions des enfants et des institutrices concernant l’adoption par l’institutrice d’attitudes éducatives favorables à la construction de l’estime de soi (RESO A.07.02.244).
Cette recherche exploratoire à visée d’action avait comme objectif de mettre en évidence les perceptions qu’ont les élèves de l’influence que l’enseignante peut avoir, au travers de l’adoption de certaines pratiques éducatives, sur les quatre composantes de l’estime de soi, à savoir: le sentiment de confiance, la connaissance de soi, le sentiment de compétence et le sentiment d’appartenance. Pour cela, deux classes de 3e primaire dans une école à discrimination positive ont été sélectionnées et ont fait l’objet d’entretiens auprès des enseignantes et auprès des enfants. Diverses pistes d’actions sont proposées dans le cadre d’un projet en éducation pour la santé.
SEPULCHRE F. (2002), Des enfants violents ? Analyse des perceptions de situation de conflit auprès des enfants d’une association de quartier (RESO A.07.02.229).
Une association de promotion sociale, située à Bruxelles, travaille avec une population spécifique constituée de réfugiés politiques d’origine chaldéenne, arménienne… La visée est d’accompagner ces personnes dans leur processus d’intégration à la société belge. En 2001, de jeunes animateurs ont quitté l’association, rebutés disaient-ils par la violence des jeunes: leurs insultes, leurs disputes, leurs attitudes arrogantes. Cette recherche poursuit ainsi trois buts: mieux connaître et comprendre la situation à partir de l’enfant; trouver des éléments d’explication de la conduite à transmettre aux animateurs et justifier ou non leur perception de violence; dégager des pistes pour l’association afin de construire une pédagogie adaptée aux besoins, au langage et aux préoccupations de l’enfant.
HUBENS V. (2002), Médecine scolaire et écoles à discrimination positive: vers un renforcement d’un partenariat avec les familles et les autres institutions (RESO A.07.02.232).
La santé des enfants dans les écoles à discrimination positive est moins bonne que celles des élèves des autres écoles. De plus, le suivi des recommandations suite au dépistage est très faible. Expliquer ce mauvais suivi et rechercher des solutions font l’objet de ce mémoire. Les pistes d’action envisagées sont: l’orientation des familles; le partenariat avec d’autres institutions, les familles et leur réseau social informel; et d’autres actions en éducation pour transformer les besoins latents en besoins ressentis. La visite médicale au sein de l’établissement scolaire et la présence d’un parent à cette visite constituent une opportunité d’agir à ces différents niveaux.
MOUJTAHID K. (2001), Analyse des besoins de santé d’un groupe de femmes immigrées et analphabètes dans la perspective d’une intégration de l’éducation pour la santé à la formation d’alphabétisation (RESO A.07.02.209)
L’objectif de ce mémoire est d’analyser les besoins en matière d’éducation pour la santé des femmes immigrées afin de promouvoir l’intégration de cette activité dans le cadre de l’alphabétisation. Pour ce faire, une recherche qualitative a été réalisée auprès d’un groupe de femmes analphabètes et de l’équipe des formateurs en alphabétisation. L’analyse des entretiens semi-dirigés et effectués par photolangage met en évidence les besoins de santé exprimés par les femmes et ceux perçus par les formateurs. Les possibilités d’intégration de l’éducation pour la santé à la formation d’alphabétisation ont également été analysées.
NCAMURWANKO D. (2000), La santé et le milieu scolaire des enfants de migrants: rôle de l’éducation pour la santé (RESO A.07.02.174)
Les enfants de migrants fréquentant l’école rencontrent pas mal d’obstacles non seulement dans leur apprentissage scolaire, mais aussi dans leur mode et qualité de vie. Des facteurs socio-sanitaires, culturels et environnementaux feraient qu’ils adoptent des comportements inadaptés, observés ou vécus, plus que leurs pairs autochtones. Pour s’en sortir, les enfants de migrants tant à l’école qu’en famille, auraient besoin d’être encadrés et visités par différents intervenants. Les questions-problèmes de ce mémoire ont particulièrement été axées sur les facteurs centraux générateurs des problèmes de santé des enfants de migrants en milieu scolaire interculturel et sur la nécessité d’une action préventive.
Yvette Gossiaux et Karine Verstraeten
Adresse des auteurs: RESOdoc, Av. E. Mounier 50, 1200 Bruxelles. Tél. 02 764 50 37 ou 38.
(1) D’autre part, la liste et le résumé de tous les mémoires défendus à l’Unité RESO-UCL sont consultables sur Internet à https://www.md.ucl.ac.be/entites/esp/reso . Cette adresse Internet permet également d’accéder à la base de données bibliographiques partagée ‘DOCTES’ (38.000 références), à la base de données d’organismes actifs en promotion de la santé ‘QUISanté’ (1100 références) ainsi qu’aux dossiers techniques (version intégrale) réalisés par Mme Doumont en collaboration avec les chercheurs de l’unité RESO.

La responsabilisation individuelle: aboutissement de la logique néo-libérale et de l’individualisme

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

L’avènement d’un nouveau paradigme, la concomitance paradoxale de la responsabilisation du consommateur de biens collectifs et de sa nécessaire irresponsabilité comme consommateur de biens marchands

(1)
Est-il responsable de s’interroger sur l’utilisation d’un mot, et donc d’un concept, aussi nécessaire, aussi fonctionnel, finalement aussi courant que celui de la ‘responsabilisation’? Qui pourrait en effet mettre en doute le bien-fondé des expressions adressées au chauffeur de voiture en état d’ivresse, à l’accro qui se ruine aux jeux de hasard, à l’adulte d’âge mûr qui quitte une famille nombreuse sur un coup de tête, au patron qui pille son entreprise avant de licencier ses employés? Tous irresponsables!
Qu’en est-il alors du cancéreux qui persiste à fumer, du cardiaque qui pratique un sport violent, de la personne obèse qui ne surveille pas son alimentation? Tous irresponsables!?
Que penser du sportif du dimanche matin qui a omis son check-up annuel, de la personne mince qui ne se soucie pas de son taux de cholestérol trop élevé, du jeune qui grille quelques cigarettes après les cours? Tous responsables? Mais responsables de quoi, envers qui et jusqu’à quel point?
Les politiques, à la recherche des moyens financiers pour compenser les réductions d’impôts et de cotisations sociales, semblent avoir trouvé la panacée: la responsabilisation des bénéficiaires des dépenses sociales et un jour sans doute, des dépenses publiques.
Nous tentons ici de clarifier ce concept, d’évaluer sa pertinence au regard des exigences d’efficacité et d’équité. Nous nous demandons si les effets de certains déterminismes ne sont pas tout simplement ignorés lorsqu’on en appelle à la responsabilité de celles et ceux qui sont, aussi, le fruit de rencontres, d’influences, de pressions souvent implicites et insidieuses qui les empêchent d’aboutir à cet individu réellement libre et responsable. Nous insistons sur les contradictions internes, sur les paradoxes d’une pensée néo-libérale et nous proposons une alternative à la dilapidation des ressources non renouvelables, de l’énergie humaine et d’une certaine manière de la nature humaine.
Nous lançons un appel à la sobriété dans la consommation quotidienne, comme réponse aux appels incessants d’une publicité liberticide. En cela, nous invitons chacun à prendre ses responsabilités de citoyen du monde, à s’engager dans une réelle fraternité avec nos contemporains et envers les générations futures.

Un contexte mondial porteur

On ne peut véritablement comprendre les tensions que subissent les systèmes sociaux sans faire un détour par le processus de mondialisation qui donne à la concurrence une nouvelle dimension d’expression. Le raisonnement est à présent bien connu, les échanges commerciaux avec les pays où un niveau très satisfaisant de la qualité de production s’accommode d’un faible coût salarial, contraignent les producteurs des pays industrialisés à délocaliser si la ‘charge’ salariale n’est pas réduite de manière drastique. Imperceptiblement, on est ainsi entré dans une vague de privatisation implicite dont la justification est également idéologique. Les réductions de recettes n’ont en effet pas pour seul but le rétablissement de positions concurrentielles, mais sont aussi la conséquence de volontés affichées plus ou moins ouvertement par les théoriciens de l’offre, voire par les adeptes d’idées libertariennes (2). Ce passage au néolibéralisme est d’autant moins perceptible qu’il s’accompagne des résistances qu’il suscite. Il s’agit d’un véritable paradoxe, énoncé par Pierre Bourdieu , pour qui la chute dans l’anomie (3) est justement évitée par toute une mobilisation d’institutions et agents de l’ordre ancien, dont l’action se fonde sur des valeurs de solidarités sociales ou familiales (4), en d’autres termes l’exercice de la solidarité empêche de percevoir les attaques dont elle est l’objet.

Le rôle de l’avènement de l’individualisme et de la solitude croissante

Les signes d’un individualisme croissant sont nombreux, et ce n’est pas l’action de nombreux bénévoles, dont le rôle est du reste très important, qui suffit à démentir une évidence acceptée par tous. Cet individualisme nous semble lié à la transformation du référent, de ce qui présente une valeur, de ce qui peut faire l’objet d’une recherche pour accomplir ce que l’on appelle une ‘vie bonne’. Depuis fort longtemps, des transcendances ont guidé l’homme dans cette quête d’une vie bonne. Les transcendances cosmologiques et ensuite théologiques ont fait place progressivement à la transcendance des utopies humanistes qui n’ont pu résister à une certaine forme de l’avènement de l’individu nietzschéen souverain (5), même si Nietzsche , qui n’accordait de l’importance qu’à la seule intensité de la vie, considérait comme une absurdité la notion de libre arbitre et l’aspiration du sujet concret à la responsabilité.
Ce sont peut-être les psychiatres et psychanalystes qui les premiers ont détecté ce basculement relativement brusque. Il y a quelques décennies encore, leurs patients les consultaient pour ce qui s’avérait être des sentiments de culpabilité.
La loi de Dieu et la loi des hommes dressaient, il est vrai, de véritables obstacles sur la route du futur pénitent. Progressivement, une société de l’interdit ou du permis a laissé la place à une société fondée sur la liberté, le «tout est possible». Ce qui n’est pas atteint est alors vécu comme un échec, la culpabilisation fait place à la responsabilisation et, dans les termes d’ Alain Ehrenberg , à ‘la fatigue d’être soi’. C’est-à-dire la pression de satisfaire aux standards de vie que les media déversent à longueur de journée, en nous proposant des exemples de réussites physiques, financières ou intellectuelles. Dans ce monde, quelle place reste-t-il pour le citoyen lambda, celui qui ne peut s’identifier à ceux dont on présente une réussite parfois indécente? Alain Ehrenberg considère que la dépression est «la pathologie d’une société où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline mais sur la responsabilité et l’initiative» (6). Il n’est alors pas étonnant que l’on ait versé dans une tyrannie de la performance car l’individu responsable n’a finalement pas le choix, il doit se prouver et prouver aux autres qu’il est capable d’utiliser au mieux sa liberté et, finalement, de se différencier d’eux.
Selon Eric Dupin (7) «tout se passe comme si le désir d’être comme les autres avait progressivement, mais fondamentalement, été remplacé par celui d’être différent des autres». (8)
Toutefois, certains auteurs, comme Alain Touraine veulent voir dans l’individualisme un moteur de libération de l’individu. Il serait ainsi salutaire, car au travers des droits individuels et associé à l’action rationnelle, il permettrait de rejeter «tout ordre social qui ne serait pas créé de ses propres forces et qui serait subordonné, par exemple, à une révélation divine» (9). C’est l’idée de modernité qui ne fait appel à aucun principe transcendant et qui, au contraire, affirme que la liberté créatrice de chaque individu est le bien suprême (10). L’auteur ajoute que «la destruction de l’idée de société ne peut nous sauver de la catastrophe que si elle conduit à la construction de l’idée de sujet, à la recherche d’une action qui ne recherche ni le profit ni le pouvoir ni la gloire, mais qui affirme la dignité de chaque être humain et le respect qu’il mérite» (11).
Qu’il est doux de rêver à cet individu-là! On retrouve une vision également positive de l’individualisme chez François de Singly , sociologue français, directeur du Centre de recherche sur les liens sociaux. Pour lui, l’individualisme est émancipateur car il désigne le refus de ‘tout enfermement identitaire involontaire’(12). Il est également créateur car il invite à l’édification d’un monde personnel, autonome, mettant en œuvre des normes que l’individu se donne’(13). De Singly reconnaît l’importance de la vie en société pour l’individu et surtout de la reconnaissance dont il a besoin pour se réaliser. On retrouve l’idée que la société de consommation rend l’individu trop hétéronome alors que l’individualisme vise à l’autonomie puisque les limites auxquelles l’individu singulier acceptera de contraindre sa liberté sont précisément celles qui soutiennent son autonomie. Cet individualisme devient un humanisme si les sources de reconnaissances permettent à la femme et à l’homme d’exister à titre personnel tout en étant rattachés à l’humanité. Nous restons cependant sceptiques quant à la capacité de tels individus à participer pleinement à l’humanité car il nous semble qu’ils instrumentalisent l’autre, celui qui leur apporte cette reconnaissance que l’apprentissage du don véritable rend finalement inutile.

Les modes de responsabilisation des consommateurs de biens et services collectifs – la promotion du ‘sanitairement et socialement correct’ et de l’hygiénisme

Parmi les critères de choix proposés pour établir des priorités en soins de santé, il en est un qui fait l’objet de nombreuses controverses, mais aussi d’un large support auprès des défenseurs du comportement ‘sanitairement correct’. Le concept de la ‘responsabilisation’ est, en effet, en raison de la multiplicité des interprétations dont il fait l’objet, l’instrument par excellence d’une réforme du système de soins (14). Il peut s’agir de responsabiliser les prestataires, les organismes assureurs ou les patients, et les exemples cités pour justifier de telles propositions relèvent souvent du bon sens. Aux Etats-Unis, les entreprises exhortent leurs employés à ‘faire attention à leur santé’ pour enrayer la hausse des coûts et donc des primes. Des hausses répercutées aux niveaux des salariés qui commencent à s’épier mutuellement pour détecter des comportements déviants pour la santé (15). En ce qui concerne le patient, on stigmatisera les ‘dérives ou abus de comportement’ (16) qui occasionnent des dégâts sur sa santé ‘largement tributaire de choix personnels’ (17). Ceux qui voudraient que les patients soient sanctionnés sous la forme d’une couverture moins importante des soins que leur ‘mauvais’ comportement a rendue nécessaire ignorent, mais l’ignorent-ils vraiment, que la santé est la résultante d’un ensemble de déterminants sur lesquels l’individu n’a pas une prise totale, loin de là. Le système de santé n’est pas la seule cible des défenseurs de la responsabilisation, les allocations de chômage se prêtent à merveille à ce jeu qui consiste à faire supporter aux victimes les décisions qui les dépassent.

La flexibilité, un ‘aiguillon’ stimulant pour l’emploi

Au Danemark (18), on insiste sur l’activation des chômeurs, les programmes de formation sont plutôt considérés comme des échecs. Les chômeurs qui refusent des emplois de manière injustifiée peuvent subir une interruption, temporaire ou définitive, du versement de leur allocation de chômage. Les employeurs peuvent licencier leur personnel sans difficulté, mais les allocations sont généreuses pour les personnes qui perdent leur emploi. Il s’agit du concept de ‘flex-sécurité’ qui semble séduire un nombre croissant de pays, mais dont l’aspect flexibilité l’emporterait sur celui de la sécurité. En effet, la loi ne fixe ni le salaire minimum, ni la durée de travail légale, elle n’assure pas le droit de grève et n’impose pas de modèle de contrat de travail. Les employeurs et les salariés négocient au niveau des branches ou même des entreprises et les conventions collectives couvrent 75 % des salariés. L’assurance chômage est généreuse pendant une durée limitée à 4 années au cours de laquelle le chômeur, qui a cotisé à une assurance spéciale et au moins travaillé 52 semaines au cours des trois dernières années, touche 90 % de son dernier salaire plafonné à 19.500 euros par an et cela sans dégressivité. Durant les six premiers mois du chômage, des programmes d’activation sont obligatoires. Le seul taux de chômage global qui est passé de 9,6 % en 1993 à 6,2 % en 2004 ne permet pas d’évaluer finement les effets d’un tel système, la flexibilité est en tout cas une réalité car 30 % de la main d’œuvre change de travail chaque année (19).
En Grande-Bretagne, la loi offre une telle flexibilité aux employeurs que la pratique tend à être plus stricte, par exemple la période d’essai peut légalement durer une année mais les contrats la réduisent à 3 ou 6 mois. Le licenciement est toutefois peu coûteux puisque l’employeur n’est redevable que d’une semaine de salaire par année d’expérience. En outre, il n’est pas nécessaire de prouver une quelconque difficulté au sein de l’entreprise pour justifier un licenciement et quant à la durée de travail, la Grande-Bretagne bénéficie d’une clause d’exclusion de la directive européenne en la matière qui établit une durée hebdomadaire maximale de 48 heures.
Quant aux allocations de chômage, inférieures à 75 euros par semaine quel que soit le dernier salaire, elles ne permettent pas de vivre décemment même si l’on doit y ajouter les aides sociales au logement (20). Voilà le prix d’un taux de chômage peu élevé! Il semble pourtant que la France se dirige également sur la voie de la flexibilité car le Conseil des ministres vient d’adopter les ordonnances du plan d’urgence qui prévoient notamment que les entreprises de moins de vingt salariés pourront procéder à un licenciement sans justification au cours des deux premières années de contrat (21). Une mesure, on s’en doute, qui réjouit le Medef (22) qui l’attendait depuis longtemps. Au vu de ces réformes, on peut se demander s’il existe ‘une autre voie que l’accroissement des inégalités et la réduction des protections, même transitoire, pour faire redémarrer la croissance et l’emploi’? (23)

La perspective de l’assistance, un épouvantail qui doit inciter à travailler

En Allemagne, depuis le 1er janvier 2005, les allocations de chômage sont versées pendant au maximum une année, et dix-huit mois pour les plus de 55 ans, avant d’être fusionnées avec l’aide sociale qui complète les revenus au niveau du minimum vital. On prend en compte toutes les ressources du ménage, son logement qui doit être adapté au statut de chômeur et l’épargne éventuelle pour déterminer le montant de l’intervention de l’assistance (24).
Les contraintes imposées par ce quatrième volet de la réforme du marché du travail, appelé Hartz IV, concernent 4 millions d’Allemands. Un journaliste de Hambourg s’est plongé dans la situation d’un chômeur allemand au cours de quatre semaines, il a pu vivre ou plutôt tenter de survivre avec les 345 euros réglementaires (25). En plus de ce montant, le loyer est pris en charge à concurrence de 318 euros par mois, ce qui incite chaque bénéficiaire ‘à ramener ses frais de logement à un niveau adapté’ selon la formule employée par l’agence fédérale pour l’emploi. Des chômeurs sont remis au travail, mais peut-on vraiment se réjouir qu’ils soient forcés à travailler pour espérer améliorer un quotidien qui leur permet tout juste de couvrir leurs besoins de base et qui les exclut de toute vie sociale? Comment pourrait-on éviter une certaine indignation quand un système ‘organise’ la paupérisation d’une part de ses membres? En effet, en 2003, le seuil de pauvreté s’établissait à 938 euros pour l’Allemagne (26), un seuil redoutable pourtant bien au-delà de l’assistance financière réservée aux chômeurs allemands.
Certains n’hésiteront pas à voir dans la réduction spectaculaire des ‘arrêts maladies’, une preuve de l’efficacité de ce type de mesures. En effet, suite aux premières mesures de la réforme du système de santé allemand, la durée moyenne de ces ‘arrêts maladies’ a connu une réduction spectaculaire, elle est passée de 14,3 jours à 13,4 jours sous la pression imposée aux prescripteurs. Sans doute les contrôles plus sévères ont-ils également joué un rôle. Mais il semble que le climat social et la peur de perdre son emploi constituent les déterminants les plus forts de cette évolution (27). De telles mesures suscitent évidemment une certaine grogne de la population et à l’approche des élections législatives anticipées (28), le Parti social-démocrate (SPD) a approuvé un manifeste qui maintient le cap des réformes mais y ajoute des mesures sociales correctives. L’avenir dira s’il s’agit d’une réelle volonté de changement ou d’un simple calcul politicien (29). La droite allemande a rapidement réagi en proposant un assouplissement des règles de licenciement pour les entreprises de moins de 20 salariés et une réduction des ‘charges’ sociales compensées par une augmentation de la TVA, l’impôt le plus injuste socialement (30).
En France, l’application du plan de redressement de l’UNEDIC d’une part, et la réforme de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) d’autre part, vont présenter une partie de cette facture aux chômeurs et aux plus démunis. L’octroi de l’ASS, minimum social accordé par l’Etat aux chômeurs en fin de droits est, depuis le 1er janvier 2004, limité dans le temps. Les nouveaux entrants peuvent en bénéficier pendant deux années et les autres pendant trois ans. Et selon une étude de la Dares (31), fin 2000, la moitié des bénéficiaires de cette allocation la percevaient depuis au moins trois ans et demi. Ces bénéficiaires étaient au nombre de 372.000 à la fin de 2002, et leur moyenne d’âge atteignait 47 ans. Leur âge, une qualification obsolète et des difficultés d’ordre psychologique rendent presque hypothétique leur embauche par des employeurs généralement prudents à l’égard des chômeurs de longue durée.
Même si les mouvements de défense des chômeurs, les syndicats et le gouvernement évaluent de manière différente le nombre de chômeurs qui perdront leurs droits suite à la réforme de l’UNEDIC, de nombreux drames humains risquent de se jouer dans les prochains mois. Ce régime indemnisait 53,7 % des chômeurs avant la réforme, et cette proportion devrait tomber à 45,3 %, ce qui signifie de substantielles économies pour le système et la précarité pour plus de 180.000 personnes (32). Il s’agit implicitement de faire peser la charge de la preuve sur les chômeurs chez qui les largesses de la protection sociale réduiraient la volonté de retrouver un emploi. Idée largement répandue, mais infirmée par les résultats d’une vaste enquête européenne réalisée par le sociologue Duncan Gallie (33). On peut d’ailleurs aisément percevoir le caractère contradictoire d’un raisonnement selon lequel un affaiblissement de la protection sociale inciterait le chômeur à retrouver un emploi plus rémunérateur que l’allocation de chômage, tout en souhaitant que chacun relance sa consommation et donc la croissance. En effet, dans un contexte d’insécurité, ceux qui en ont les moyens vont affecter une plus grande part de leur revenu à une épargne de précaution et non à la consommation. Et comme le souligne avec beaucoup de lucidité Jean-Paul Fitoussi , «c’est parce que le niveau de chômage est élevé que l’exigence de solidarité est forte et son coût élevé» (34), réduire cette solidarité accroît l’insécurité et sape les efforts de relance de la croissance (35). On ne s’étonnera pas que l’ abbé Pierre ait réitéré son appel en faveur des sans-logis de l’hiver 54, cinquante ans plus tard dans un pays qui pourtant appartient aux nations les plus développées du monde. Constatant que l’on trouve autant de résidences secondaires (trois millions) en France que de personnes mal logées, il appelait alors tous les citoyens à «passer à l’acte» contre l’exclusion (36). Le logement est indiscutablement un symptôme de la pauvreté, mais il en est également un déterminant car «ne pas être propriétaire ancre dans la pauvreté» (37). Il s’agit donc d’un angle d’attaque très pertinent de la précarité et de la marginalisation.
Il y a finalement beaucoup d’implicite dans les mesures prises, dans les propos tenus par les décideurs, l’implicite de l’efficacité de l’incitant financier pour initier tout comportement, l’implicite qu’il suffit de vouloir pour pouvoir. En Belgique, dans le rapport 2002 du Conseil supérieur de l’emploi, les auteurs soulignaient que les inactifs représentaient 33 % de la population en âge de travailler et ils en concluaient que «dans notre pays, un habitant de 15 à 64 ans sur trois ne souhaite donc pas travailler en 2000». A la lecture d’une telle sentence, on se demande si c’est voulu ou inconscient, en espérant qu’il ne s’agit pas d’un acte réfléchi (38).

Parcours de soins, différenciation des tarifs et contrats responsables

En France, la loi du 13 août 2004, réformant l’assurance maladie a prévu, par son article 8, la possibilité de pénalités financières pour les patients dont le comportement ne s’inscrirait pas dans le ‘parcours de soins coordonnés’. Il incombe en effet au patient de se choisir un médecin traitant par lequel il s’engage à passer avant de consulter un spécialiste (39). En dehors de ce ‘parcours de soins’, le patient paiera un ticket modérateur supérieur et devra supporter la ‘liberté’ tarifaire des spécialistes. Il s’agit du volet ‘responsabilisation’ du patient qui est doublé d’un volet ‘responsabilisation’ des complémentaires de santé. Ce système est devenu réalité le 1er juillet 2005 et ne cesse de faire couler beaucoup d’encre en raison des doutes que suscite l’efficacité attendue sur l’évolution des dépenses de santé en France (40). Les médecins de famille craignent en effet que les salles d’attente ne désemplissent pas de patients venus chercher leur ‘bon’ pour le spécialiste. En outre, ils perçoivent difficilement l’économie là où deux consultations, l’une chez le généraliste et une chez le spécialiste, seront nécessaires à la place d’une seule directement chez le spécialiste. Pour certains, cette responsabilisation du patient permet simplement d’augmenter les rémunérations des spécialistes et elle introduit ou plutôt renforce une médecine à deux vitesses car ceux qui en ont les moyens pourront toujours se payer le luxe du spécialiste hors parcours de soins (41).
La mise en oeuvre de la réforme de l’assurance maladie se poursuit actuellement avec la définition de ce que l’on appelle les ‘contrats responsables’. Ce concept complète, fort logiquement, la responsabilisation financière du patient qui doit suivre le parcours optimal. Un contrat offert par une assurance complémentaire sera qualifié de responsable s’il exclut, au moins partiellement, la couverture des dépassements d’honoraires qui frappent le patient ‘irresponsable’. La reconnaissance comme ‘contrat responsable’ est essentielle, car elle permettra à la mutuelle ou la compagnie d’assurance de bénéficier d’avantages fiscaux, mais sera également une condition pour que l’accès au dit contrat soit favorisé par un système de crédit d’impôt. En outre, les complémentaires qui n’offrent pas de ‘contrats responsables’ seront redevables d’une taxe de 7 % (42). On peut cependant craindre que ce crédit d’impôt, qui devrait se situer autour de 150 euros par an, ne permette pas d’acquérir une complémentaire qui pallie réellement les insuffisances sans cesse croissantes de l’assurance obligatoire. Il est d’ailleurs interpellant que le pouvoir public trouve les moyens financiers pour octroyer des crédits d’impôts pour compenser l’insuffisance des recettes affectées à l’assurance obligatoire! Comme le soulignent Catherine Mills et José Caudron dans une critique très pertinente de la réforme de Douste-Blazy , «le crédit d’impôt prévu apparaît plus comme un instrument de désolidarisation du système de santé, alors qu’on nous prétend l’inverse» (43).

Une autre forme de responsabilisation: la différenciation des risques

L’obésité est devenue un réel problème de santé publique dans plusieurs pays et tous les observateurs s’accordent à dire que le phénomène est croissant et que son coût humain et financier doit nous amener à agir (44). Il semble que les compagnies d’assurance n’aient pas attendu l’effet de campagnes de prévention, mais surtout l’effet d’un hypothétique mais souhaitable avènement d’une réelle égalité des chances, pour structurer leurs primes en fonction des profils de risques des assurés, et particulièrement des assurés touchés par une surcharge pondérale. Une étude effectuée par la compagnie de réassurance Swiss Re, met en évidence les causes de l’obésité et ses conséquences en ce qui concerne notamment l’aggravation de risques morbides, mais également la perte d’espérance de vie qu’elle génère (45). Insidieusement, le discours glisse vers la responsabilisation financière des assurés quand le rapport suggère la plus grande prudence dans le calcul des primes, compte tenu de l’incertitude qui plane sur l’évolution de la morbidité associée à l’obésité (46). Une responsabilisation qui ne semble poser aucun problème à l’association Test-Achats, dont le représentant reconnaît être, pour une fois, en accord avec les assureurs. Car si la discrimination sur la base de facteurs que l’assuré ne peut influencer, l’âge et le sexe par exemple, reste inacceptable, il n’en va pas de même pour le surpoids qui constitue bien la conséquence d’un comportement volontaire comme celui de fumer ou de pratiquer un hobby à risque (47).

Une politique de prévention responsabilisante

Il semble qu’une nouvelle approche existe pour se démarquer d’une représentation normative d’un ordre biosocial préétabli. Selon cette vision, on a tenté et l’on tente encore de normaliser le comportement des individus, afin qu’ils se conforment à des règles préexistantes. Pour Luc Berlivet , chargé de recherches au CNRS (48), les spots actuels de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES, ex-CFES) mettent plus l’accent sur l’appui d’un processus d’individualisation déjà existant. Selon cet ‘implicite individualiste’, l’individu qui se réalise va être amené à rompre avec un certain nombre de pressions sociales jugées néfastes. «Loin de prétendre restreindre les attitudes dans un cadre comportemental défini a priori, l’éducation pour la santé se base sur l’idée selon laquelle se réaliser pleinement comme individu va de pair avec l’adoption d’un style de vie faisant l’économie des ‘comportements à risque’, dangereux pour l’organisme autant qu’aliénants». Ce programme semble très prometteur, mais ne se fonde-t-il pas sur un dangereux présupposé qui consiste précisément à projeter dans chaque individu une capacité similaire à se réaliser autrement qu’en adoptant les comportements présentés comme ‘socialisants’ par les messages publicitaires à vocation mercantile?

Devenir dément volontairement

Selon une étude menée à l’Université de Floride (49), il semblerait qu’il existe un lien entre la richesse calorique de l’alimentation et le taux de destruction de cellules génétiquement programmée, ce que l’on appelle l’apoptose (50). La lecture de cette étude amenait un journaliste du Financiële Economische Tijd à intituler son article ‘Blijf verstandig, eet weinig’(‘restez intelligent, mangez peu’) (51). Le journaliste citait une autre étude réalisée sur 13.113 adolescents américains (52), qui montrait que la seule égalisation des conditions de revenus et d’éducation ne suffisait pas à rendre le taux d’obésité des adolescents similaire entre quatre groupes ethniques (Blancs, Africains, Hispaniques et Asiatiques). Les auteurs de l’étude concluaient que des facteurs biologiques, socioculturels et environnementaux déterminaient la prévalence de l’obésité, bien plus que le revenu ou l’éducation, une conclusion complètement renversée par le journaliste du quotidien belge.
Il est alors éclairant que ces deux études donnent naissance à ce discours responsabilisant: «la mauvaise alimentation est éducationnelle et les gros consommateurs de cuisine rapide riche en graisses et de sucreries ne veulent rien entendre, ils seront peut-être amenés à la raison en apprenant les effets de leur comportement alimentaire sur la dégénérescence de leur cerveau car ‘qui voudrait maintenant devenir volontairement dément?».
Certains n’hésitent donc pas à appliquer des règles de transitivité dans le raisonnement que devrait tenir tout bon citoyen: je suis responsable de ce que je mange et ce que je mange peut accélérer un état de démence, en mangeant de manière déséquilibrée je deviens responsable de mon état de démence éventuel.
Toutefois, rien n’est jamais acquis et surtout les découvertes scientifiques qui peuvent parfois jeter de fameux pavés dans la marre des certitudes ronronnantes. Katherine Flegal , chercheuse au prestigieux Centre for Disease control and Prevention (CDC) à Atlanta vient de réaliser une étude selon laquelle il n’y aurait pas de lien statistique significatif entre les risques de morbidité et l’obésité. Une étude qui complexifie un peu plus l’implantation de mesures de responsabilisation justes et efficaces (53)!

La contractualisation à l’anglaise de la responsabilité individuelle

On ne sera sans doute pas étonné que la Grande-Bretagne n’échappe pas à ce phénomène de responsabilisation. En mai 2003, le Labour a rendu public un document où il propose notamment l’établissement d’un contrat de comportement sanitairement correct entre le médecin et son patient (54). Le patient serait ainsi amené à s’engager à s’alimenter correctement, faire du sport, cesser de fumer et de boire ou du moins se contenter d’une dose quotidienne raisonnable d’alcool. Selon ce document, qui a fait l’objet de nombreuses critiques lors de sa parution, ce contrat n’aurait pas de force légale mais consisterait simplement à un engagement de ‘bonnes intentions’ afin, non pas d’exclure le patient qui n’adapte pas son comportement, mais plutôt de lui rappeler d’utiliser le service de soins publics de manière responsable. On peut cependant se demander jusqu’où le Labour serait disposé à aller dans la responsabilisation pour qu’elle soit ‘performante’ en termes de réduction des dépenses.

Aux Pays-Bas, le ‘No-Claim bonus’ pour inciter à modérer la consommation de soins

Depuis le 1er janvier 2005, l’assuré hollandais peut bénéficier d’une ‘ristourne’ s’il adopte un comportement responsable comme consommateur de soins de santé. En effet, à l’issue d’une année civile, l’organisme assureur ristournera la différence entre 255 euros et la somme de toutes les interventions dont l’assuré aura bénéficié. Dans le cadre de la réforme du système de santé hollandais (55), cette ‘ristourne’ va donner lieu à des calculs dont le résultat va (devrait), selon les initiateurs du projet, induire un comportement d’optimisation tenant compte de la prime versée à l’organisme assureur et des coûts générés par la consommation de soins. En effet, pour une couverture identique, les organismes assureurs exigent une prime qui varie d’environ 240 euros à plus de 455 euros.
Les plus chers arguent du fait que leur service est meilleur et que leur portefeuille d’assurés présente un risque moyen plus élevé. Cela signifie que la ristourne peut être supérieure à la prime versée, ce qui ne correspond peut-être pas à l’esprit de bonne gestion financière des assurances. Plus important, et même plus grave, les assurés qui, à l’approche de la fin de l’année, auront généré des interventions de leur organisme assureur pour un montant inférieur au montant de la ristourne maximale, 255 euros, ne seront-ils pas tentés de sous-consommer? Cette propension ne risque-t-elle pas d’être d’autant plus forte que la situation financière de la famille concernée est précaire?
Les Pays-Bas ne vont sans doute pas s’arrêter là, car le Ministre de la Santé Publique Hoogervorst a fait savoir qu’il souhaitait que les personnes qui sont touchées par une maladie qui est la conséquence de leur style de vie supportent une charge financière supplémentaire.

Une logique responsabilisante qui mène à la méritocratie

Derrière l’idée de la responsabilisation des bénéficiaires de biens collectifs, on retrouve l’idée que chacun doit recevoir ce qu’il mérite (56). Ne dit-on pas ‘tout travail mérite salaire’ ou également, en parlant d’une personne qui a connu un revers de fortune qui nous apparaît justifié ‘il l’a bien mérité’, voire ‘il l’a cherché’?
Le mérite émane d’une sorte de ‘sagesse populaire’ qu’il est difficile et parfois périlleux de contester. Nous devrions cependant nous rendre compte qu’en tenant de tels propos nous posons plus un jugement qu’un constat. Nous ignorons généralement les éléments qui pourraient, éventuellement, permettre de conclure à un lien de causalité entre le comportement de la personne incriminée et ce qui lui arrive. Les voix qui s’élèvent en faveur de l’application de ce principe méritocratique sont cependant de plus en plus nombreuses. Elles s’unissent à toutes celles qui sont à la recherche d’un bouc émissaire lorsque les périodes d’austérité succèdent aux périodes de croissance, que le financement de la solidarité est perçu comme une charge pour la société et que son bénéfice doit forcément se mériter, oubliant ainsi qu’elle repose sur un système d’assurances sociales qui sont tout simplement un droit.
Au printemps 2004, un professeur émérite de cardiologie de la KUL avait suscité un débat à la fois vif et court, ce qui est sans doute symptomatique d’une société qui éprouve des difficultés à s’indigner. Dans une interview à un journal du nord du pays (57), ce professeur estimait que l’âge de 85 ans constituait une limite convenable pour l’arrêt de traitements en raison de leur inefficacité après cet âge qui deviendrait alors fatidique. Il persistait en publiant un article dans le même journal, où il insistait cette fois sur le mode de vie qu’il fallait adopter afin de rester en bonne santé; manger des fruits et des légumes, ne pas boire, ne pas fumer, faire de l’exercice et occasionnellement boire un verre de vin rouge. L’auteur pouvait alors dans une formule ramassée nous annoncer qu’il s’agissait du ‘secret d’une vie longue et en bonne santé’ et que ‘chacun était par conséquent responsable de sa santé’ (58).
Nous avons analysé quelques tentatives de procédures de choix en soins de santé, ainsi que des enquêtes menées pour déterminer les critères qui devraient y présider (59). Aux Pays-Bas, le rapport Dunning rendu public en décembre 1991, prévoyait de faire passer chaque prestation de santé par un entonnoir constitué de filtres évaluant la nécessité, l’efficacité et l’efficience qui caractérisent les soins et enfin la responsabilité financière qui pouvait être laissée à l’individu qui en bénéficiait. Les membres de la commission Dunning avaient finalement décidé que la responsabilité individuelle ne pouvait être imposée sur la base du non respect d’un mode de vie ‘sain’. En revanche, les patients devaient supporter la charge de traitements estimés comme non nécessaires, insuffisamment efficaces et peu efficients. Il reste évidemment à définir ces critères.
En soutien aux travaux de la commission Dunning, deux enquêtes ont été menées aux Pays-Bas pour connaître l’avis des médecins, des infirmières et des citoyens concernant le système de soins hollandais et les critères à incorporer dans une procédure de choix de prestations à couvrir par l’assurance obligatoire. Globalement, ce sont plus de 75 % des personnes interrogées (60) qui s’expriment en faveur, systématiquement ou occasionnellement, de la prise en compte du fait que la maladie est attribuable au comportement du patient pour déterminer l’accès aux prestations de santé. En 1993, en Allemagne, un Conseil consultatif d’action concertée dans les soins de santé rendait un rapport qui préconisait une réforme du système de soins fondée sur l’application du ‘benefit principle’, principe selon lequel on doit être couvert proportionnellement aux primes versées, et du ‘merit principle’, principe selon lequel la couverture doit dépendre de l’adéquation du comportement du patient avec des règles sanitaires et hygiéniques de base.
Le mérite, un concept dont on évalue pleinement la subjectivité, en comparant la forte propension que nous avons à nous auto-déclarer ‘méritants’ à la réticence qui habite ceux qui hésitent tant à reconnaître nos mérites. Cependant, l’exemple de quelques figures transformées en icônes de la réussite qui symbolisent notamment le ‘rêve américain’ nourrissent l’imaginaire de millions de personnes qui croient que ce qui est possible pour un seul est forcément possible pour tous. Comme l’écrit Alain Touraine dans son dernier ouvrage, «la pensée néo-libérale propose un hédonisme empirique qui a l’avantage de ne pas contrarier nos désirs mais qui n’apporte aucune garantie de liberté de choix à ceux qu’influence le marketing» (61). Comment ignorer que notre vie est, même partiellement, déterminée par toutes ces pressions extérieures?

Les limites techniques à l’application d’une réelle responsabilisation individuelle

Idéalement, une responsabilisation optimale devrait tenir compte de tous les éléments qui permettent de définir de manière exhaustive la responsabilité de chacun. Il serait en effet optimal que chacun paie, pour chacun des risques sociaux ou non, non seulement en fonction de son profil de risque identifié avec certitude, mais aussi en fonction de son exacte participation à l’occurrence de ces risques. Ainsi, le principe assurantiel de la couverture des risques par une prime qui permet aussi de réaliser un profit se doublerait d’un processus d’adaptation constante de l’assuré qui tenterait de réduire son profil de risque par un comportement adapté.
Si l’on pouvait identifier avec exactitude les modes et la proportion de la participation de chacun dans la réalisation de ces divers aléas, on pourrait être tenté de penser que le système qui glorifie le marché, apporte une contribution à une certaine forme de traitement équitable des individus. Si l’on écarte les inévitables jugements moraux que les comportements peuvent susciter, il suffirait en effet de tenir compte de la part de déterminisme biologique, génétique et des différentes composantes de déterminisme social, ainsi que de leurs multiples interactions pour déterminer la proportion exacte de la responsabilité réelle de chacun.
Il n’est pas nécessaire de tenir de longs discours pour se rendre compte que cette procédure est irréalisable et d’ailleurs non souhaitable. Les promoteurs de la responsabilisation en sont d’ailleurs conscients lorsqu’ils proposent finalement de responsabiliser tout le monde de la même manière par une hausse linéaire de tickets modérateurs en soins de santé ou par la fixation d’une allocation de chômage suffisamment faible pour que le besoin d’assurer les fonctions vitales fassent taire la fierté qui empêcheraient certains d’accepter les ‘petits boulots’. La responsabilisation linéaire de tous, c’est l’aggravation de la situation des plus faibles, de ceux qui ne pourront l’éviter en recourant aux assurances privées ou à leur propre capacité financière.
En outre, il s’agit toujours de stigmatiser les effets négatifs de comportement ‘déviant’ mais, en toute rigueur et logique, il faudrait tenir compte des effets positifs de ces comportements. Le prix des cigarettes et de l’alcool comprend des taxes indirectes importantes qui alimentent les caisses de l’état. Certains proposent d’incorporer la diminution de l’espérance de vie de ceux qui ont adopté un comportement sanitairement incorrect, une diminution qui s’accompagne évidemment d’une réduction de la période au cours de laquelle les diverses allocations sociales sont versées (62).

Responsabilité rétrospective versus responsabilité prospective, entre ‘complexite’ et ‘diligence’

Parallèlement aux difficultés techniques liées à l’application des mesures de responsabilisation, il est essentiel de prendre en considération les difficultés qui relèvent de la prise de responsabilité de celles et ceux qui sont ainsi responsabilisés. Il nous paraît en effet indispensable d’au moins souligner deux axes qui sous-tendent implicitement la responsabilisation dans le chef de ceux qui la subissent.
A un moment où il faut prendre une décision quant à la participation d’un malade à sa maladie, la question se pose de la ‘sanction’ à prendre à l’égard d’une responsabilité ‘rétrospective’, qui porte sur le comportement passé. C’est en effet en raison de son comportement de fumeur, que la personne qui souffre d’un cancer du poumon pourrait être amenée à supporter une charge financière plus importante pour couvrir le coût de son traitement. Toutefois, avant que le comportement à risque ait débuté, le futur patient pourrait être amené à adopter une attitude empreinte de responsabilité ‘prospective’. Ici, ce serait l’individu lui-même qui, suite à une démarche de conscientisation de la collectivité, se projetterait dans le futur pour évaluer les conséquences de ses actes. Une telle responsabilisation exige évidemment une grande capacité à intégrer les messages de santé publique et présuppose une égalité d’accès aux informations et, plus important encore, une égalité de leur assimilation et compréhension.
Une situation qui restera longtemps illusoire, tant les interactions entre les multiples déterminants de la santé sont nombreuses, et il apparaît tout aussi illusoire que le principe de précaution puisse s’appliquer aux patients ou chômeurs sans aggraver les inégalités dont ils sont déjà victimes. Même le simple principe de prudence ou de ‘diligence’ qui ne fait référence qu’à une obligation de moyens semble bien loin des possibilités des moins nantis de la société.

Un culte à la santé, la jeunesse et la beauté parfaites et éternelles ou la réhabilitation de la souffrance et de la mort?

Si de nombreuses voix s’élèvent pour responsabiliser les consommateurs de soins de santé, on se doit également d’entendre celles qui invitent à la modération dans cette volonté d’imposer un comportement ‘sanitairement correct’. Des positions qui peuvent être extrêmes comme celle de Michel Onfray (63) selon qui le retour du libéralisme reprend le schéma d’un corps performant. Les publicités fabriquent ainsi ‘une sorte d’idéal du moi, un idéal platonicien, qui nous place dans le corps chrétien, un corps qui fait souffrir’. Nous adhérons au constat de Michel Onfray quant aux effets désastreux de la publicité, mais nous sommes plus que réservés à l’égard de l’association du corps performant, souffrant et chrétien. On retrouve toutefois une idée similaire chez Roland Gori et Marie-José Del Volvo (64).
La souffrance doit-elle être cachée et est-elle évitable et donc inutile? En supprimant la souffrance physique ou en la cachant, s’assure-t-on de la disparition de la souffrance psychique? La souffrance ne fait-elle pas partie de notre humanité ou plus précisément, ne sommes-nous pas plus proches des autres humains dans les moments de souffrance ou dans ceux de joie, même intérieure et profonde? Le statut de la souffrance est indiscutablement une problématique qui traverse les temps et qui nous renvoie à notre conception de l’humain. Nous ne pouvons faire l’économie de ce débat, car la responsabilisation, d’abord financière, mais elle n’est jamais que cela, des malades et des exclus de la société de production et de consommation, semble trouver sa justification dans une causalité entre comportements et occurrence de risques sociaux et donc souffrance. La souffrance n’étant finalement que symptomatique d’un comportement sanitairement ou socialement incorrect. Le patient atteint d’un cancer du poumon souffre dans sa chair, mais n’est-ce pas la conséquence de son absence de volonté d’arrêter de fumer? Le chômeur souffre de son exclusion, mais ne subit-il pas simplement son incapacité à s’adapter aux nouvelles exigences de l’économie mondialisée? La souffrance, d’abord évacuée par les portes des chambres d’hôpitaux aseptisées, reviendrait par la fenêtre de la responsabilisation comme confirmation de l’inadéquation de nos comportements. Elle est pourtant bien plus que cela, elle est notre humanité et sans vouloir la rechercher ou la magnifier, la rencontrer nous permet d’être conscients de son omniprésence dans le monde et de la nécessité de la prendre en charge quelle qu’en soit la cause. L’écrivain et psychanalyste bulgare Julia Kristeva confirmait cette conviction au moment des funérailles du Pape Jean-Paul II en écrivant «lorsque la société, pressée par le culte de la performance, de l’excellence et de la jouissance, manifeste les carences de sa culture d’entraide, et au-delà de l’identification avec la souffrance du Crucifié, ou de l’aisance dans le sadomasochisme chrétien, que Jean-Paul II réussit à maintenir jusque dans son agonie, le corps du Pape en situation de handicap fut et demeure une invitation à apprivoiser la vie jusque dans ses limites. Et à développer cette solidarité avec les personnes dépendantes, handicapées ou vieillissantes, que l’humanisme moderne a tant de mal à réaliser» (65).
Il nous semble donc que ce rôle de la souffrance doit être réhabilité et que la mort elle-même doit reprendre sa place dans notre vie. Contrairement à Michel Serres (66) qui exprime son exaspération à entendre que la mort est congédiée du monde contemporain, car elle est présente quotidiennement dans tous les médias, nous pensons que cette ‘banalisation’ ne nous la rend pas plus familière, elle ne nous empêche pas de la trouver inacceptable lorsqu’elle nous touche de près. Pouvons-nous pourtant rêver d’y échapper?
C’est en quelque sorte ce que propose la publicité (67) sous toutes ses formes, rester beau ou le devenir, rester jeune et lutter contre le vieillissement, voilà le programme qui est sans cesse véhiculé. Une livraison récente du magazine ‘La Libre Essentielle’ en est un bel exemple: alors que l’éditorial appelle à la raison et la modération, à l’acceptation de son âge et même à la valorisation de chaque période de la vie, chaque article du magazine est, rentrées financières obligent, ponctué de publicités qui vantent la jeunesse et la beauté (68).

Responsabilisation et déterminismes psychique et sociologique

En appeler au concept de ‘déterminisme’ exige de faire preuve d’une grande prudence au niveau des conclusions que l’on est amené à tirer de son influence sur nos trajectoires de vie. Il est en effet primordial d’éviter l’image de ‘rails sociaux’ que l’on ne pourrait quitter, ce qui ne manquerait pas de plonger le plus grand nombre dans un fatalisme destructeur. Cependant, il est tout aussi primordial de mettre en évidence un certain déterminisme, afin de contextualiser les velléités de responsabilisation dont l’application ne pourrait que renforcer les inégalités sociales. La prudence s’applique, dans les deux sens, également au déterminisme ‘naturel’ qui s’exprime par des caractéristiques biologiques ou génétiques. Gori et Del Volvo ont raison de mettre en garde contre la tentation de considérer que les conduites sont déterminées par la nature, car on devrait alors en déduire que «le sujet ne saurait s’en exempter et la loi ne saurait que réprimer ce qui ne convient pas à la convention établie par la tyrannie du plus grand nombre» (69).

Des trajectoires sociales au sein d’une fragmentation croissante de la société

Une analyse rapide et superficielle de l’évolution de nos sociétés pourrait aboutir à la conclusion que le progrès a infiltré tous les espaces de vie. Indiscutablement, le taux de possession d’appareils électroniques d’une sophistication croissante est en hausse permanente. La mode alimentaire et vestimentaire semble être à la portée de tous, étalée dans les hypermarchés. Toutes les références et valeurs sont remises en question, un signe de la postmodernité, souvent associée à un progrès, à une libération de l’esprit et du corps. Cependant, malgré une richesse, voire une opulence croissante, mais mal répartie ou redistribuée, on doit déplorer une stagnation de la réduction de la pauvreté, et même une croissance de la fragilisation de catégories entières de personnes vivant pourtant dans des sociétés riches.
En outre, et il s’agit sans doute autant d’une conséquence que d’une cause, la société se caractérise par une forte immobilité sociale. A la fin des années 70, le sociologue français Pierre Bourdieu constatait que ‘les individus ne se déplacent pas au hasard dans l’espace social’(70), car des forces qui structurent cet espace s’imposent à eux par des mécanismes d’orientation ou d’élimination. Mais également, parce qu’ils sont l’objet, certains diront le sujet, d’une inertie propre qui correspond à leurs propriétés, c’est-à-dire leurs dispositions, leurs différentes formes de capital qu’il soit patrimonial, financier ou culturel. Selon Pierre Bourdieu, «la position et la trajectoire individuelle ne sont pas indépendantes statistiquement, toutes les positions d’arrivée n’étant pas également probables pour tous les points de départ: cela implique qu’il existe une corrélation très forte entre les positions sociales et les dispositions des agents qui les occupent» (71). Le sociologue français insiste également sur l’importance de la ‘distribution dans un espace géographique socialement hiérarchisé’ (72), pour expliquer la difficulté d’accès à la culture des personnes qui sont géographiquement éloignées des lieux où elle s’exprime. Une distance géographique qui explique ainsi une part de la distance sociale réelle et qui répond à des ‘lois’ de distribution dans l’espace. Plus de 25 années plus tard, l’économiste Eric Maurin publie un ouvrage sur le séparatisme social en France par lequel il offre une image de forte immobilité sociale dans l’Hexagone (73). Il met également en évidence l’importance d’un ‘effet de contexte’, selon lequel la probabilité de réussite versus d’échec, dépend de la proximité sociale qui est liée à une fragmentation géographique. Le principe fondamental de la ségrégation territoriale n’est cependant pas tant la richesse actuelle des familles que ce qui permet à leurs membres de se projeter dans l’avenir, d’acquérir un statut, d’élargir ce que Pierre Bourdieu appelle ‘le champ des possibles’.
Eric Maurin constate notamment que la concentration des personnes les mieux diplômées est encore plus intense que la concentration des personnes jouissant des plus fortes rémunérations. Il constate un ‘rassemblement’ de ceux qui ont des affinités culturelles au sens large du terme dans des espaces géographiques dont sont exclus par les effets des forces du marché immobilier les membres des classes sociales qui leur sont ‘inférieures’. Cette proximité sociale des égaux n’est cependant pas uniquement la manifestation de ce que certains nomment erronément un ‘communautarisme’, elle détermine une probabilité de trajectoire sociale qui, nous le verrons plus loin, est elle-même corrélée, et offre même un lien de causalité, aux multiples formes d’inégalités de santé. C’est ainsi qu’en France, «plus de 20 % des inégalités devant le retard scolaire primaire et au collège sont en réalité dues aux inégalités de voisinage social» (74). Et pour Charles du Granrut , la ségrégation spatiale liée à la sélectivité du système scolaire résulterait en partie de la stratification du marché de l’emploi (75), un constat qui confirme le caractère inopérant de politiques cloisonnées.
Il semble que l’efficacité des ‘stratégies’ développées par les parents pour offrir la meilleure scolarité possible à leurs enfants dépende de la classe sociale à laquelle appartiennent les parents. Selon la sociologue Agnès van Zanten , «les classes moyennes présentent des dispositions à appréhender le monde de façon stratégique, à croire à la possibilité de le transformer» (76). Mais elle constate qu’aux extrémités de l’échelle sociale, les inégalités culturelles se renforcent surtout en milieu urbain où ‘la sectorisation de l’enseignement a entériné une ségrégation résidentielle forte et qui s’est accentuée’. (77)
Il est à la fois interpellant et symptomatique que le lieu par excellence où les inégalités devraient être réduites, où le principe de l’égalité des chances devrait être le plus défendu et promu, c’est-à-dire l’école, soit et reste le lieu où ces inégalités se renforcent. Si le titre scolaire ou académique dispose d’une légitimité supérieure aux ressources financières, car il représenterait une évaluation scolaire apparemment égalitaire, il devient aussi l’outil de renforcement des inégalités. Pour la France, la situation ne semble pas s’être améliorée; la scolarité s’allonge pour ceux qui ont le parcours le plus long, les enfants des catégories modestes sont éliminés progressivement du système à partir du collège et il ne reste qu’un pourcent d’enfants d’ouvriers au niveau des grandes écoles et 5 % en troisième cycle universitaire (78). Les derniers résultats du bac confirment cette immobilité sociale . Les taux élevés de réussite aux bacs généraux ne sont atteints que par les enfants de professeurs (90 % de reçus) ou de cadre (87 %). Ce taux n’atteint que 81 % pour les enfants d’employés et 78 % pour les enfants d’ouvriers. Globalement, 30 % des enfants d’ouvriers acquièrent un bac général contre 80 % des enfants de cadre. Ce différentiel s’explique, non pas par l’hypothèse non fondée d’un niveau d’intelligence supérieur chez les enfants de cadres, mais bien par une différence de l’usage des suppléments éducatifs (79). Des chiffres édifiants pour ceux qui croient ou espèrent que l’enseignement assure l’acquisition et non la seule transmission de connaissance, ce qui pourrait peut-être déjouer les pièges des inégalités sociales.

Des inégalités de santé marquées par un fort gradient socio-économique

On sait également que la santé, exprimée par l’espérance de vie ou le niveau de morbidité par type d’affections, est caractérisée par un gradient socio-économique qui induit de fortes inégalités. Les enquêtes de santé réalisées en Belgique par exemple illustrent de manière lumineuse ces inégalités qui se manifestent tant dans le mode et la quantité de consommation médicale que dans la prévalence d’affections chroniques. Les caractéristiques physiques de la personnes telles que le surpoids ou l’obésité sont également associées à un tel gradient. Même l’état de leur tissu relationnel n’y échappe pas. Globalement, la valeur moyenne de l’Indice de Masse Corporelle (80) s’élève à 24,9, alors que 46% de la population présente un poids «normal», 33% présentent un excès de poids et 12% sont obèses. A l’opposé, 8% sont maigres et 2% souffrent de maigreur extrême. Si seuls 5,6 % des personnes qui ont obtenu un diplôme de niveau universitaire sont obèses (IMC moyen de 24.0), la proportion atteint 15,6 % chez celles qui n’ont pas de diplôme (IMC moyen 26.0) (81).

Quand la ‘dérive comportementale’ devient une réelle pathologie

Selon le Professeur Arnaud Basdevant , spécialiste français de l’obésité, cette maladie évolue au fil du temps, du stade de la conséquence de certains comportements à celui de pathologie du tissu adipeux (82). Les dernières découvertes en la matière ont permis de montrer que le tissu adipeux s’altère dans le sens où il peut ‘recruter’ de nouvelles cellules graisseuses qui elles-mêmes vont se charger en graisse, aggravant ainsi l’obésité. Les tissus graisseux deviennent ainsi de plus en plus résistants à l’amaigrissement.
Constat similaire pour Michael Schwartz , endocrinologue à l’Université de l’Etat de Washington (83), qui constate que les personnes obèses entrent dans un cercle vicieux d’insensibilisation progressive de l’hypothalamus aux messages de satiété. La leptine est secrétée continuellement par les cellules adipeuses et son niveau dans le sang indique l’état de réserve en graisses, il semble que les personnes qui prennent du poids développent une résistance à l’action de la leptine. Cette dérégulation peut apparaître après quelques repas riches en graisses et si le phénomène est réversible, il l’est d’autant moins que l’état de surpoids est fortement installé. Certains travaux suggèrent même que l’absorption de graisses en grande quantité provoque des transformations cérébrales habituellement associées à des drogues comme l’héroïne.
Plus ‘déterminante’ encore, cette découverte d’une équipe de chercheurs du ‘Children’s Hospital’ de Philadelphie, qui ont établi une relation entre la prise de poids lors de la première semaine de vie et la probabilité de souffrir d’obésité plus tard dans l’existence. Ils ont en effet montré que à chaque fois qu’un bébé prend 100 grammes au cours de sa première semaine de vie, sa probabilité de connaître un surpoids augmente de 10 %. Ils ont également établi qu’une prise de poids trop rapide au cours des quatre premières semaines d’existence augmentait le risque de surpoids à l’âge de 7 ans (84).

La résistance au stress: une histoire de caresses?

Le déterminisme génétique semble toucher les fragilités psychiques pour des raisons qui peuvent apparaître anodines ou dérisoires. Des généticiens canadiens ont découvert que d’importantes modifications chimiques apparaissent autour de l’ADN des nouveau-nés dès qu’ils entrent en contact avec leur mère. Il semble que les caresses d’une mère peuvent activer des gènes situés à l’intérieur des neurones de l’hypocampe, une zone impliquée dans les réactions au stress et la formation de nouveaux souvenirs. Les gènes activés sont responsables de la production de récepteurs destinés à capter certaines hormones du stress, les glucocorticoïdes, et donc à neutraliser leur action sur l’organisme. Plus ces récepteurs sont nombreux et moins le stress peut se répandre et l’expérimentation menée par le biologiste canadien, Michael Meaney , montre que les caresses des mères suscitent la production de ces récepteurs (85).
Si le poids au cours des premières semaines de l’existence peut jouer un rôle sur le risque ultérieur d’obésité, il semble qu’il puisse également avoir une influence sur la probabilité de dépression. C’est l’étonnante conclusion à laquelle des épidémiologistes de l’université de Bristol sont arrivés en enregistrant le poids de milliers de bébés dans les années 50 et en suivant 5.500 adultes 50 années plus tard. Ils ont ainsi calculé que le fait de naître avec un poids inférieur à 2,5 kilogrammes induisait une hausse de la probabilité de rencontrer des problèmes psychologiques de 50 % (86). Devrait-on choisir entre l’obésité et la dépression? Le sentiment que les personnes bien portantes sont souvent plus ‘joyeuses’ que les maigres serait-il fondé? Qui pourra déterminer la combinaison parfaite de responsabilité face à une combinaison donnée de dépression et obésité chez une personne? La question suffit à indiquer le caractère absurde d’une telle démarche.
Ces exemples d’une certaine forme de déterminisme, car il n’est heureusement jamais total, ne devraient cependant pas nous empêcher de percevoir avec la même force, la liberté dont nous disposons. C’est en tout cas la position d’Alain Touraine qui, dans sa défense de la modernité, n’est pas tendre avec ceux qui veillent à prendre les déterminismes en considération car selon lui «les analystes qui ne voient que des victimes et les forces qui les dominent sont à la fois myopes et arbitraires» (87).

La difficile cohérence politique face au paradoxe de cette consommation responsable dans une économie de la consommation irresponsable et de la ‘dictature’ du PIB

Si les mesures et les discours de responsabilisation ne manquent pas, on peut tout de même se demander si le politique veut ou peut réellement établir un cadre où elle peut s’exercer sans renforcer les inégalités sociales, au risque peut-être d’apporter un peu de lucidité aux consommateurs de biens privés.

L’influence du lobbying, l’important c’est de produire!

L’exemple de la loi de santé publique française du 9 août 2004, et plus particulièrement les articles 29 et 30 concernant les distributeurs automatiques dans les écoles et la publicité, illustre merveilleusement la difficulté de concilier deux paradigmes (88). Celui de la nécessaire responsabilisation du consommateur de biens collectifs pour maîtriser les dépenses sociales et celui de l’indispensable irresponsabilité du consommateur de biens et services privés dont la production traduit la vigueur d’une économie (89). Même animé par les meilleures intentions, le politique rencontrera toujours de grandes difficultés à assumer des choix qui s’opposent au lobbying des multinationales. L’article qui visait à contraindre la publicité pour les produits alimentaires a été vidé d’une partie de sa substance en offrant la possibilité aux firmes d’acheter le droit de faire de la promotion pour n’importe quels produits sans y ajouter un message à caractère sanitaire, pour autant qu’elles paient une taxe. Les firmes et les annonceurs ont d’ailleurs déjà compris l’intérêt qu’il y avait à détourner les messages officiels. Le confiturier Andros n’a par exemple pas hésité à placer une page pleine dans le Figaro du 20 avril, dans laquelle il rappelle que le programme national nutrition santé (PNNS) recommande de manger cinq fruits et légumes par jour, oubliant au passage de mentionner que ses confitures contiennent au moins 50 % de sucres.
Les pressions et réactions sont vives tant le consommateur fait l’objet de convoitises. Suite à une émission de la chaîne France 2 diffusée le 4 octobre 2004 et intitulée ‘Manger tue’, le Président de la Chambre syndicale nationale de vente et services automatiques, Hubert Boyer , envoyait un courrier (90) au journaliste responsable pour lui rappeler la fonctionnalité des distributeurs automatiques. Il écrivait ainsi que la distribution automatique offre aux jeunes clients les produits demandés et que le ‘jeune’ veut exercer un choix personnel sans contrainte des adultes et satisfaire une impulsion (il aurait sans doute été plus approprié d’écrire pulsion) pour un produit qu’il connaît et apprécie. Hubert Boyer n’hésitait pas à écrire que les distributeurs renforcent le rôle de ‘lieu de sociabilité’ des établissements scolaires. Bernard Depierre , député UMP de Côte-d’Or, est intervenu à l’assemblée pour souligner que cette interdiction allait provoquer la rupture de nombreux contrats et réduire le chiffre d’affaires de 30 à 90 % pour les entreprises concernées. Il demandait alors au Secrétaire d’Etat au Budget et à la réforme budgétaire de prévoir des mesures d’accompagnement ou de reconversion et notamment la réduction du taux de TVA appliqué aux ventes par distributeurs. (91)
Toujours dans le secteur de l’alimentation, le 21 avril 2005, les membres de la Commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire du Parlement européen ont suscité la colère des associations de défense de consommateurs en ‘édulcorant’ un projet de règlement concernant les allégations qui fleurissent sur les emballages de produits présentés comme de réels passeports pour la bonne santé. Les parlementaires européens ont rejeté le principe selon lequel toute allégation devait reposer sur les qualités nutritionnelles du produit, et les fabricants en seront quittes avec une simple notification avant de recevoir l’autorisation de mentionner ces allégations ‘alléchantes’ pour le consommateur obnubilé par la santé parfaite (92).
Les limites du lobbying ne se situent évidemment pas au niveau national ou européen. Lors de l’assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tenue à Genève, du 17 au 22 mai 2004, les experts de cette organisation ont demandé aux pays membres de promouvoir l’exercice physique et les régimes alimentaires plus sains. Dans un projet de résolution l’OMS soulignait qu’il était de la responsabilité des industriels de réduire ‘la part de graisses, du sucre et du sel dans les aliments préparés’. Un projet vivement critiqué par le lobby du sucre, qui accuse les experts ne n’avoir pas assez réfléchi aux conséquences économiques de leurs recommandations (93).

La publicité peut-elle être responsable?

Le moteur de la frénésie productiviste et consumériste est constitué par la masse informe de nos innombrables besoins et alimenté par ce qui est devenu un secteur d’activité propre, la publicité. Aucun fragment de notre existence n’y échappe et elle trouve un support sur le moindre élément de notre environnement. Il semble que dorénavant ce ne soit ‘plus le consommateur qui commande le rythme de la production, mais le producteur qui orchestre le désir de consommation. La publicité est une industrie de transformation de la conscience sociale’ (94) et sans doute, morale. Elle est partout et revêt des formes parfois insoupçonnées mais elle ne laisse jamais indifférent même ceux qui croient échapper à ses griffes.
Dans les pays occidentaux, chaque personne est soumise quotidiennement à une moyenne de 4.000 messages commerciaux, il est par conséquent utopique de vouloir échapper aux soi-disant valeurs qu’elle promeut (95). Selon certains, les mythes véhiculés sont ancestraux, mais les moyens, les véhicules ont évolué avec les progrès des modes de communication. C’est cependant toujours la beauté, la force, le pouvoir qui font vendre car la finalité des messages publicitaires est essentiellement mercantile. Elle cherche en effet à maximiser son impact en pénétrant chaque niche de la population et n’hésite pas à concentrer ses efforts sur celle qui s’avère la plus rentable. Selon une étude Ipsos (96), les jeunes constitueraient une génération ‘sans modèle’ qui seraient pour 45 % influencés dans leur comportement de consommateurs par les gens croisés dans la rue et pour 35 % avoueraient n’avoir aucun modèle. Ce qui fait dire à Rémi Oudghiri , directeur du département tendances et prospectives chez Ipsos, que «les jeunes sont de moins en moins intéressants, surtout pour la grande consommation». Un constat qui nous laisse tout de même sceptique, tant le nombre de messages d’annonceurs est élevé et tant le jeunisme semble être porteur. Rien que pour la nourriture et les sodas, un adolescent américain voit jusqu’à 100.000 publicités par an (97).

Responsabiliser, mais sans enrayer la mécanique d’un PIB dictateur

On comprendra aisément que ce citoyen responsable auquel on fait de plus en plus référence, que chaque gestionnaire public appelle de ses vœux, n’est pas nécessairement le citoyen modèle dont rêvent les producteurs de ces milliers de biens de consommation, certes dont la production participe à la croissance du PIB, mais dont on est en droit de se demander s’ils comblent des besoins réels et non pas seulement des besoins créés de toutes pièces. Dans un article récent, Philippe Defeyt nous parle même de la ’tyrannie du PIB’ dont l’essentiel tient aux limites de l’outil qui agrège toutes sortes de dépenses quelle qu’en soit la nature, mais qui tient également à un usage médiatique, politique et idéologique immodéré (98).
Cette tyrannie du PIB trouve une alliée idéale dans ‘la tyrannie de l’obsolescence organisée’ qui pousse chacun à éliminer des objets qui pourraient encore servir, mais dont on nous persuade qu’ils sont totalement dépassés. La mode, notamment vestimentaire, est un exemple typique d’une société qui ne se soucie pas du gaspillage généré que cette versatilité des goûts impose: perte de temps à choisir ce qui correspond le mieux, non pas à nos besoins, mais à la mode, perte de temps à acquérir les moyens financiers pour devenir le propriétaire de ces signes de reconnaissance, gaspillage d’énergie non renouvelable pour produire ce qui exprime une toute nouvelle conception de l’obsolescence.
L’obsolescence est d’ailleurs devenue personnelle, individuelle et a profondément modifié la consommation de masse qui se caractérise dorénavant d’une certaine façon par sa ‘singularité’. En effet, l’individu unique doit pouvoir disposer d’objets exclusifs, faits à la mesure de ses aspirations, de ses fantasmes, des rêves qu’il croit uniques mais qui sont finalement modelés par la publicité et les media. Le consommateur se façonne en collaborant avec l’offreur (99) à la réalisation de sa propre image, dans les termes de Dominique Quessada ‘ce qui se consomme à travers ce que l’on consomme, c’est la consommation de soi » (100).

Un autre paradoxe: la responsabilisation individuelle dans un contexte de médicalisation des problèmes sociaux

Quel paradoxe de vouloir responsabiliser ceux qu’on cherche à grand renfort d’annonces publicitaires à asservir aux finalités des multinationales! Il est doublé d’un paradoxe non moins singulier mais tout aussi révoltant, celui de la responsabilisation de patients victimes de la médicalisation des problèmes sociaux. On propose de nouveaux remèdes à la solitude, à l’isolement des plus âgés, à l’effritement des relations humaines et de la cohésion sociale. L’exemple de la gestion médicalisée de la dépression est bien illustrative d’une démarche qui vise à conscientiser les individus qu’ils sont en fait malades et qu’une maladie se soigne, notamment avec des produits chimiques tels que des médicaments. Dans un monde moins pressé, moins individualiste, moins axé sur la performance, n’aurions-nous pas l’opportunité de remplacer ces produits par des échanges humains qui toucheraient ceux qui y participeraient bien plus profondément qu’aucune molécule chimique?
Un autre exemple montre que la pression productiviste ne se manifeste pas seulement en amont de processus sociaux problématiques. Dans celui qui mène au surpoids ou à l’obésité, il est également présent en aval, au travers de la médicalisation du phénomène qui, nous en sommes convaincu, est majoritairement social voire sociologique. Les associations de lutte contre l’obésité sont très souvent financées par des firmes pharmaceutiques qui produisent des médicaments qui pourraient devenir rapidement des ‘blockbusters’, ces fameux médicaments dont le chiffre d’affaire dépasse un milliard de dollars. Chez Sanofi Aventis on prétend même avoir trouvé la pilule miracle qui lutte à la fois contre l’obésité et le tabagisme. Le Rimonabant pourrait obtenir le feu vert de la Food and Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis dès 2007, une affaire en or au vu du marché potentiel.
Le marché de l’obésité est estimé à 10 milliards de dollars dans les pays développés où 15 à 20 % des personnes sont obèses et le tabagisme concerne 1,3 milliards de personnes dans le monde (101).
Cette médicalisation est évidemment contestable car elle participe à l’inadéquation entre les problèmes et les solutions mais elle est également dommageable pour la santé collective et individuelle. Par exemple, la surconsommation d’antibiotiques est néfaste collectivement en raison de la capacité de résistance des bactéries qu’elle induit. En outre, l’usage systématique de médicaments ou d’actes médicaux peut s’avérer contre-productif, donnant naissance à une ‘iatrogénèse’ que le philosophe Ivan Illich avait déjà mise en évidence il y quarante ans (102). Il semble même que, parfois, les laboratoires recherchent la pathologie qui correspondra aux médicaments qu’ils ont produits. Les derniers exemples en date sont ceux du laboratoire californien Avanir qui considère que rire et pleurer sans raison est une pathologie et qui a, comme par hasard, développé un médicament appelé Neurodex pour traiter cette labilité émotionnelle ‘pathologique’. Quant au laboratoire américain Cephalon, il est prêt à offrir un remède à la somnolence diurne excessive avec le Nuvigil (103). Ces manœuvres de médicalisation articulées par les firmes pharmaceutiques sont fort heureusement dénoncées avec une perspicacité et une rigueur sans cesse croissante (104). Leur mise à jour devrait nous permettre de devenir plus assertifs et de réclamer, en tant que citoyens consommateurs de médicaments mais aussi financeurs de leur remboursement, un rôle dans l’établissement de priorités non seulement de production pharmaceutique mais également de recherches. Imaginons en effet que chaque citoyen du monde ait voix au chapitre dans la détermination du domaine médical qui fera l’objet des recherches pharmaceutiques, on peut aisément comprendre que les centaines de millions d’exclus des soins souhaiteraient que l’on se penche plus sur des maladies comme le paludisme ou même le sida.
Lutter contre la médicalisation, c’est également permettre de réserver des marges budgétaires pour des besoins essentiels et finalement redevenir le premier évaluateur de notre réel état de santé.

Le rôle des déterminants de la santé, l’importance d’un développement durable et d’une consommation responsable

Les déterminants de la santé sont nombreux et assez bien identifiés, mais l’un d’eux joue un rôle particulièrement insidieux, car il touche ceux qui travaillent au quotidien. Bien sûr, l’atmosphère de travail est importante et sa détérioration est souvent à l’origine de plusieurs formes de harcèlements, mais les conditions matérielles du travail peuvent également s’avérer un risque pour la santé des travailleurs. Le nombre des accidents de travail en constitue une manifestation immédiate, mais il existe d’autres formes d’atteintes à la santé du travailleur qui sont moins immédiates, moins visibles et dont la reconnaissance exige souvent un âpre combat. Le risque peut en outre s’étendre aux conditions de vie. L’amiante par exemple a joué et continue de jouer un rôle important dans l’apparition de maladies professionnelles (105), mais présente également un risque potentiel dans les logements individuels. En France, 90 % des logements construits avant 1997 contiennent de l’amiante, le danger n’apparaît que lorsqu’on perce une cloison ou lorsqu’on coupe une gaine ou si, tout simplement, les éléments de l’habitation s’usent et laissent s’échapper des fibres d’amiante imputrescible. La contamination des travailleurs du bâtiment notamment continue aujourd’hui à susciter des remous judiciaires qui peuvent paraître indécents devant la détresse des victimes.

L’évolution technologique dans le champ médical – Du devoir d’informer à celui d’assumer ses choix

(106)
L’évolution technologique couplée à l’exigence de la liberté d’en bénéficier peut aboutir à des dénis de libertés, mais nous n’osons encore invoquer une quelconque systématisation. L’exemple des conséquences de l’arrêt Perruche (107) est symptomatique d’un tel risque liberticide. Deux chercheurs français du CEMS (Centre d’étude des mouvements sociaux), ont analysé les effets de la croissante judiciarisation des relations entre patients et prestataires (108). Même si l’intervention de l’Assemblée nationale en mars 2002 avait permis de mettre un terme à la jurisprudence Perruche, on pouvait craindre que cet épisode douloureux n’ait malgré tout quelques répercussions sur l’accès aux investigations prénatales.
Il est vrai que l’arrêt Perruche tendait à rendre les médecins responsables des ‘erreurs’ de la nature et les invitait, implicitement, à appliquer le fameux principe de précaution que certains n’hésitaient pas à rebaptiser ‘eugénisme de précaution’. L’enquête des deux chercheurs montre qu’une part importante des échographes ont cessé leurs activités; c’est le cas pour 50 % des radiologues dont moins de 30 % de leurs activités étaient consacrés aux échographies obstétricales. Les médecins interrogés invoquent des raisons financières liées à la pratique de l’échographie fœtale, la peur de la judiciarisation croissante de la profession, l’affluence dysfonctionnelle de patients consécutive à l’arrêt des activités de confrères, mais également des raisons éthiques, percevant dans l’arrêt Perruche le refus général de l’enfant handicapé.
On constate ainsi une inégalité d’accès aux échographies qui se dédouble en une inégalité géographique, certaines régions sont littéralement désertées par les échographes, et une inégalité financière, les prestataires qui maintiennent leurs activités demandent des suppléments rédhibitoires pour les moins nantis. Qu’en est-il, dans ces circonstances, du droit ou de la liberté à accéder à un suivi de sa grossesse? Plus grave certainement, que restera-t-il de la liberté de chacun de vivre en fonction de sa conception de la vie s’il est rendu financièrement responsable des choix qui découlent de cette conception?
Lors des débats concernant l’arrêt Perruche, certains ont émis l’idée que les personnes qui acceptaient de donner naissance à un enfant handicapé assument les conséquences financières de ce choix au lieu de les faire supporter par la société. Des tests de plus en plus précoces et performants devraient permettre un jour d’établir un diagnostic de ‘normalité’ du fœtus dont on devrait informer les futurs parents. Eclairés par cette information, des parents responsabilisés quant à leur choix auraient-ils tous la même liberté de l’assumer? Ne pourrait-on craindre une différenciation de l’exercice de cette liberté en fonction des capacités financières à l’assumer? Se fondant sur la liberté individuelle, on introduirait une responsabilisation qui s’opposerait à l’exercice d’une des libertés les plus fondamentales, celle de penser, celle de réfléchir, celle de croire en autre chose que ce que la majorité nous impose.

L’imposture de l’antériorité de la croissance pour atteindre le développement

La responsabilisation est rendue possible par une certaine forme d’individualisme et par une sorte d’inféodation au PIB mais elle est également considérée comme indispensable à la croissance qu’il est devenu redondant de qualifier d’économique. Dans la logique néo-libérale, la croissance est elle-même indispensable au développement et les défenseurs d’une croissance modérée voire d’une certaine forme de décroissance (109) éprouvent des difficultés à dissocier les deux concepts quand ils ne doivent pas se résoudre à récuser les deux (110).
On ne peut cependant confondre la recherche d’une voie durable de ‘vie bonne’ et une querelle sémantique qui ferait oublier que l’on doit assurer un développement autonome des pays qui ne disposent pas actuellement du minimum vital alimentaire et sanitaire. Sans aucune volonté d’imposer une culture ou des valeurs, il nous appartient de promouvoir le principe d’humanité au confins de ses limites géographiques.

Nuancer la responsabilité individuelle et promouvoir la responsabilité collective: un autre paradoxe?

«Nous sommes dans une société où, sous couvert d’assistance ou de providence, nous voulons satisfaire tous les besoins de sécurité sans qu’il y ait un processus d’échange. La responsabilité se paie, comme toute démarche morale. La morale n’est jamais gratuite: elle commence sans doute là-même où le risque se prend, dans ce moment où l’intérêt est menacé, dans cette décision où s’éprouve notre liberté de penser et d’agir contre tous les égoïsmes» (111).
Alain Etchegoyen est conscient des limites de la responsabilisation des individus, mais il se refuse à les ‘déresponsabiliser’ de tout, il aime notamment rappeler la responsabilité des parents dès les premiers moments de l’existence de leur enfant. Il est effectivement important de ne pas confondre la volonté, qui est la nôtre, de mettre en garde contre les aspects inéquitables et d’ailleurs inefficaces de la responsabilisation brutale des consommateurs de biens publics, et une attitude fataliste ou paternaliste qui viserait à laisser dans l’assistance celles et ceux qui doivent toujours garder l’espérance.
Il existe de nombreux domaines où nous sommes responsables de nos actes et où la collectivité peut apprendre à chacun à se sentir concerné par le sort de tous. Le respect de l’environnement est certainement le domaine où l’on peut expérimenter cette nécessaire prise de conscience et responsabilité collective qui passe inévitablement par une modification des comportements individuels.
Nous sommes de ceux qui pensent que nous ne pourrons éviter une certaine forme de décroissance, une adaptation de notre mode de production et de consommation vers une plus grande sobriété. Il en va ici de l’attitude de chacun, mais l’exemple des plus riches sera déterminant pour donner du crédit à l’idée que le sort de la planète est entre nos mains, entre toutes les mains et que cette responsabilité ne souffre pas d’exception. Les positions de Hans Jonas sont connues, elles sont dures à l’égard d’une société qui mène à sa perte une planète qui, suite à l’explosion démographique, pourrait ‘subir un pillage toujours plus effronté jusqu’au moment où celle-ci prononcera son verdict et se dérobera à la surexploitation’ (112). Jonas aura indiscutablement inspiré la pensée écologique, et sa relecture pourrait, dans les circonstances actuelles, susciter un écologisme plus radical. L’évolution nécessaire ne pourra se réaliser sans une revitalisation de la démocratie qui ‘passe par l’articulation du social à l’écologie, de la solidarité à la diminution des consommations matérielles’ (113). Que ce soit pour des raisons sociales, humaines ou écologiques, une autre voie s’impose à nous.
Le paradigme de la croissance qui fournit l’emploi et le bien-être et qui est économe des énergies non renouvelables est devenu, non seulement intellectuellement, mais aussi pratiquement obsolète. Notre planète ne pourrait supporter que chaque pays ait la même empreinte écologique que les Etats-Unis ou même que la Belgique, les processus de production sont de plus en plus économes mais cela restera insuffisant (114). La prise de conscience d’une troisième voie est indispensable et elle doit être mondiale car c’est ensemble que nous pourrons la suivre, en adoptant un rythme de croissance adapté à chaque pays afin d’atteindre le niveau de vie qui assure l’essentiel des ressources pour atteindre l’objectif d’une ‘bonne vie’ (115). Comme l’écrit Jean-Marie Harribey , ‘on peut faire l’hypothèse que la baisse du temps de travail peut contribuer à débarrasser notre imaginaire du fantasme d’avoir toujours davantage pour mieux être, et que l’extension des services collectifs, de la protection sociale et de la culture soustraits à l’appétit du capital est source d’une richesse incommensurable comparée à celle que privilégie le marché’ (116).

Conclusion

«Est-ce que ce monde est sérieux?» demanderait Francis Cabrel . Ce monde qui s’étonne de l’accumulation des déchets qu’il produit, ce monde qui voudrait que le consommateur, dont le sens critique est broyé par les machines publicitaires, soit responsable quand il s’agit de veiller à sa santé ou de réintégrer le marché du travail lorsqu’il en a été écarté pour satisfaire les exigences de la maximisation des profits.
Pourtant, les yeux sont fixés sur le dieu PIB, le produit intérieur brut, l’indicateur trop peu contesté du progrès économique, malencontreusement lié au progrès technologique, et si vite assimilé au progrès social. Les lois du néolibéralisme s’imposent partout, mais sont aussi confrontées à leurs contradictions internes: libéraliser en Europe et aux Etats-Unis, mais en subventionnant des producteurs qui se trouvent en situation de concurrence déloyale par rapport aux populations des pays en voie de développement; s’effaroucher du succès de la Chine et lui imposer des contraintes en l’accusant du crime d’excès de libéralisation.
Pour que cette machine fonctionne, il faut produire sans cesse plus et donc consommer plus. Pour consommer, il faut octroyer suffisamment de revenus tout en assurant un profit le plus élevé possible. Le consommateur doit donc être ‘éclairé’ par les lumières publicitaires, devenues tellement prégnantes qu’elles aveuglent celui qui ne sait finalement plus pourquoi il passe tant de temps, consacre tant d’énergie à acheter ce qui lui paraît très vite totalement inutile. Pourtant, au même moment, on exige des consommateurs de biens publics, et tout spécialement des patients et des chômeurs, d’être responsables, de se prendre en main, de gérer leur vie de manière optimale. Quel paradoxe! Abrutir le consommateur de biens privés en exigeant qu’il soit, en même temps, un consommateur de biens publics responsable. Une responsabilisation prônée comme une panacée aux déficits publics, à la délocalisation, au manque de croissance, sans tenir compte des regrettables et pourtant croissants déterminismes qui nous touchent tous.
On le voit, la problématique des déficits de l’assurance maladie ou de la hausse des dépenses de chômage ne peut être isolée d’un contexte global qui mêle l’économique au financier, le financier au technologique, le technologique au biologique. Une problématique qui renvoie l’homme à son humanité et à une responsabilité collective de la sauvegarder, elle et le lieu de son épanouissement, la planète. Seule la sobriété peut nous sauver, éviter la fin d’un monde qui n’apparaît décidément pas très sérieux.
Christian Léonard , Economiste, Chef du département Recherche et Développement à l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes et Professeur de Politique de la santé à l’Institut Cardijn

Bibliographie

Aeppel Timothy, L’assurance maladie sème la zizanie entre salariés, Courrier International , N°661, du 03 au 09 juillet 2003, p. 49
Allard Laurence, Soins médicaux: ce qui restera à la charge des assurés, Le Figaro Patrimoine , 30 avril 2005, pp. 12 et 14
Amalou Florence, Le livre noir de la Pub , quand la communication va trop loin , Stock, 2001
Arlet Brice, Embaucher est un acte simple, licencier aussi, La Croix , 2 août 2005, p. 4
Bader Jean-Michel, Des maladies pour vendre des médicaments, le Figaro, 14 juillet 2005, p. 1
Barroux Rémi, Comme fonctionne le système danois de « flex-sécurité », Le Monde , 7 juin 2005, p. 7
Barroux Rémi, Médecin traitant: cinq clefs pour comprendre la réforme, Le Monde , 1er juillet 2005, p. 7
Bassir Pour Afsané, L’OMS rappelle la ‘nécessité absolue’ de développer les traitements antisida dans les pays pauvres, Le Monde , 21 mai 2004, p. 4
Beau Pascal, Obésité, le nouveau mal français, Espace Social Européen , N° 718, du 1er au 7 avril 2005, p.
Beau Pascal, Contrats responsables, que des inconvénients?, Espace Européen , N°721, 22 au 28 avril 2005, pp. 4 – 5
Bénilde Marie, Des marques au fer rouge dans nos consciences, Le Monde Diplomatique , Mai 2000, pp. 10 – 11
Bissuel Bertrand, RMI, ASS, AME: les dispositifs d’aide aux démunis limités, Le Monde , 30 décembre 2003, p.6
Bissuel Bertrand, L’abbé Pierre appelle les citoyens à ‘passer à l’acte’ contre l’exclusion, Le Monde , 1er – 2 février 2004, p. 9
Blanchard Sandrine & Girard Laurence, Le Sénat veut réduire la portée de deux mesures contre l’obésité, Le Monde , 10 juillet 2004, p. 5
Blanchard Sandrine, Contre l’obésité, le Sénat maintient les distributeurs dans les écoles mais s’inquiète de leur contenu, Le Monde , 11-12 juillet 2004, p. 7
Blanchard Sandrine, La lutte contre l’obésité se heurte au lobby agroalimentaire, Le Monde , 30 avril 2005, p. 8
Blanchard Sandrine, Les praticiens doutent de l’efficacité de la réforme, le Monde , 1er juillet 2005, p. 7
Blech Jörg, Les inventeurs de maladie Manœuvres et manipulations de l’industrie pharmaceutique , Actes sud, 2005
Bolt Ineke, Schermer Maartje & Van de Vathorst Suzanne, Mensen hebben wél recht op een ongezonde leven, NRC Handelsblad , 28 april 2005, p. 9
Bourcier Nicolas & Plougastel Yann, Michel Onfray en chaire et en mots, Grand entretien dans Le Monde 2 , 02 avril 2005, pp. 25–30
Bourdieu Pierre, La distinction , critique sociale du jugement , Editions de Minuit, Paris, 1979
Bourdieu Pierre, L’essence du néolibéralisme, Le Monde Diplomatique , Mars 1998, p. 3
Bulard Martine, Etat d’urgence sociale, Le Monde Diplomatique , Mars 2004, p.3
Burne Jerome, Hoe dodelijk is dik?, De Morgen , 30 juillet 2005, p. 54
Cadrey Jean, Prélèvements obligatoires: un choix de société, Alternatives économiques , N° 222, février 2004, p. 68
Calla Cécile, Angela Merkel veut la flexibilité du travail, Le Figaro , 12 juillet 32005, pp 1 et 4
Carpentier Nathalie, Roken vermindert kans van vrouwen op een kind, De Morgen , 07 avril 2005, p. 8
Caudron José & Mills Catherine, Le système de santé . Résistances et alternatives . Critique de la contre réforme Douste Blazy et perspectives , ESPERE, Le temps des Cerises, Paris, 2004
Conseil Supérieur de l’Emploi, Rapport 2002 , 2003
Court Marielle & Tabet Marie-Christine, Amiante: une facture de plus en plus ruineuse, Le Figaro , 06 avril 2005, p. 13
Deccache Alain, La paille et la poutre. Education et santé, entre responsabilité individuelle et responsabilité sociale , Education Santé , N°188, mars 2004, pp. 11-13
Defeyt Philippe, Ivan Illich – Sortir de la société de la consolation, Démocratie , 1er mai 2005, N°9, pp. 1-5
De Morgen, Geboortegewicht baby’s bepaalt kans op depressie, 05 juillet 2005, p. 27
de Tricornot Adrien, Ce que les mesures sociales coûtent au citoyen, Le monde , 17 mars 2005, p. 2
de Tricornot Adrien, En Allemagne, le SPD entend poursuivre les réformes mais ajoute des mesures sociales, Le Monde , 6 juillet 2005, p. 6
De Singly François, L’individualisme est un humanisme , L’aube, Paris, 2005
Diederich Nicole & Moyse Danielle, L’échographie prénatale après l’arrêt Perruche – Une modification des pratiques?, Etudes , Avril 2005, N°4024, pp. 483-493
du Granrut Charles, France: une société fragmentée, Futuribles , N°307, avril 2005, p. 64
Duriez Marc, Premiers succès pour la réforme d’Ulla Schmidt, Espace Social Européen , N°718, du 1er au 07 avril 2005, p. 11
Eng Ernest, Too big to ignore : the impact of obesity on mortality trends , Swiss Reinsurance Company, Zurich, 2004
Ehrenberg Alain, La fatigue d’être soi , Odile Jacob, Paris, 2000
Etchegoyen Alain, Le temps des responsables , Julliard, Paris, 1994
Ferry Luc, Qu’est ce qu’une vie réussie ?, Grasset, Paris, 2002
Fitoussi Jean-Paul, L’équation solidarité – emploi, Le Monde , 31 janvier 2004, p. 18
Girod de l’Ain Bernard, Les chiffres discutables des admissions au bac, La Croix , 6 juillet 2005, p. 25
Gordon-Larsen Penny, Adair Linda S. & Popkin Barry M., The Relationship of Ethnicity, Socioeconomic Factors and Overweight in U.S. Adolescents, Obesity Research , 11, 2003, pp. 121–129
Gori Roland & Del Volvo Marie-José, La santé totalitaire . Essai sur la médicalisation de l’existence , Denoël, L’espace analytique, Paris, 2005
Guélaud Claire, En 2004, des milliers de chômeurs vont perdre leurs droits, Le Monde , 30 décembre 2003, p. 6
Harribey Jean-Marie, Développement ne rime pas forcément avec croissance, Le Monde Diplomatique , Juillet 2004, pp. 18 – 19
Hens Evelyne & Huysentruyt Stefaan, ‘Draai de geldkraan voor 85-plussers dicht’, Financiële Economische Tijd, 8 april 2004, p. 3
Hirsch Martin, «Sans grade» et élites face à face, Le Monde , 23 juillet 2005, pp. 1 et 15
Illich Ivan, Némésis médicale in Œuvres complètes, Volume 1, Fayard, 2004, pp. 581 – 786.
Improving health and social care , Labour, National Policy Forum Consultation Document, May 2003, https://www.labour.org.uk
Jacob Antoine, Les pays scandinaves maintiennent l’emploi en combinant flexibilité, allocations et formation, Le Monde , 23 mars 2005, p. 2
Jakubyszyn, Le gouvernement assouplit le droit du licenciement, Le Monde , 02 août 2005, p. 6
Jonas Hans, Le principe responsabilité , Champ Flammarion, 1998
Kempf Hervé, Ecologisme radical et décroissance, Le Monde , 04 mars 2005, p. 5
Kempf Hervé, interview de Hubert Védrine & Serge Latouche, Le Monde , supplément consacré au développement durable, 26 mai 2005, pp. X et XI
Kesteloot Hugo, ‘Van de wieg tot 85 jaar’ doet schrikken, Financiële Economische Tijd, 5 mei 2005
Kristeva Julia, Décidément ce Pape …, La Croix Forum & Débats , 8 avril 2005, p. II
Latouche Serge, Pour une société de décroissance, Le Monde Diplomatique , Novembre 2003, pp. 18 – 19
Latouche Serge, En finir, une fois pour toutes avec le développement, Le Monde Diplomatique , Mai 2001
Latouche Serge, Et la décroissance sauvera le Sud…, Le Monde Diplomatique , Novembre 2004, pp. 18 – 19
Laurent Raphaël, Parce que la pub le vaut bien, La Libre Entreprise , 19 mars 2005, p. 8
Léonard Christian, Priorités et choix en soins de santé , Dossier thématique des Mutualités chrétiennes, N°3, Octobre 2000
Léonard Christian, La nouvelle enquête sur la santé des Belges: une grille de lecture des inégalités de santé, MC Informations , N°207, avril 2003, pp. 16–24
Léonard Christian, La responsabilisation: une conséquence de l’individualisme, Revue Nouvelle , N°4, avril 2003, pp. 68 – 73. Article repris dans le N°144 de mars 2004 de la revue Education Santé .
Léonard Christian, La privatisation de la protection sociale: un phénomène croissant et multiforme, MC Informations , N° 212, Avril 2004, pp. 3 – 16
Léonard Christian, Du progrès technique dans le champ d’action de la médecine, MC Informations , N°214, août 2004, pp. 5-19
Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique
Mamou Yves, la pilule miracle de Sanofi Aventis contre le tabagisme et l’obésité, Le Monde , 27 juillet 2005, p. 9
Martindale Diane, Etre accro au Big Mac comme à l’héroïne, Courrier International , N°649, du 10 au 16 avril 2003, p. 62
Maurin Eric, Le ghetto français . Enquête sur le séparatisme social , Seuil & La République des idées, Paris, octobre 2004
Maurin, Louis, Que sait-on des inégalités en France?, Futuribles , N°307, avril 2005, pp. 41–55
Molénat Xavier, De l’hygiénisme à l’éducation pour la santé, Sciences humaines , Hors-Série, mars– avril–mai 2005, p.89
Mossé Eliane, Les riches et les pauvres , Editions du Seuil – Points – Economie, Paris, 1985.
Peronnau Marie, La publicité a du mal à cerner les 15–25 ans, Le Figaro économie , 6 avril 2005, p. X
Petitnicolas Catherine, Une proposition de loi contre l’obésité, Le Figaro , 30 mars 2005, p. 11
Pieters Guy, Responsabilité et santé , Education Santé , N°144, mars 2004, p. 8
Raspiengeas Jean-Claude, entretien avec Michel Serres, Plus fort que la force, La Croix Forum & Débats , 8 avril 2005, p. III
Ross Hannes, Profession chômeur allemand, Courrier International , N°754, du 14 au 20 avril 2005, pp. 44-45
Sallé Caroline, Etre soi-même en faisant comme tout le monde, Le Figaro , 02 juin 2005, p. 21
Sallé Caroline, Customiser son ego, Le Figaro , 02 juin 2005, p. 21
Shelke Rajani R.J. & Leeuwenburgh Christiaan, Life-long calorie restriction (CR) increases expression of apoptosis repressor with a caspase recruitment domain (ARC) in the brain, Journal of Federation of American Societies for Experimetal Biology ( FASEB ), 02 January 2003
Stettler Nicolas, A. Stallings Virginia, B. Troxel Andrea, Zhao Jing, Schinnar Rita, E. Nelson Steven, E. Ziegler Ekhard, L. Strom Brian, Weight Gain in the First Week of Life and Overweight in Adulthood, Circulation , 19 avril 2005, N°111, pp. 1897 –1903
Thiry Christiane, L’âge? Il change tout le temps, La Libre Essentielle , Spécial Beauté, N°71, avril 2005, p. 3
Touraine Alain, Un nouveau paradigme pour comprendre le monde d’aujourd’hui , Fayard, 2005
Te koop: levensverzekering per kilo, De Morgen , 7 avril 2004, p.8
Tourbe Caroline, Les câlins ont un effet… génétique!, Science & Vie , avril 2005, pp. 90–94
Van de Cloot Ivan, Des soins de santé gérables, Bulletin financier , septembre 2003, 76e année, N°2.390, p. 1
Van Impe Marc, Blijf verstandig, eet weinig, Financiële Economische Tijd , 1er mars 2003
Van Zanten Agnès, Lieu d’habitation et offre scolaire – Une enquête dans l’Ouest parisien, Informations sociales , N° 123, mai 2005, pp. 66 – 73
Wierink Marie, Plus de marché pour sauver la solidarité? Le pari néerlandais de la réforme de l’assurance maladie, Chronique Internationale de l’IRES , N°91, novembre 2004, pp. 65-79

(1 )Une première version de cet article est parue dans le revue MC-Informations , revue publiée par le Département Recherche & Développement de l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, n° 218, juin 2005 sous le titre La responsabilisation: refus des déterminismes et aboutissement de la liberté individuelle? Justice et équité de l’accès aux biens sociaux et conscientisation à un mode de consommation durable .
(2) Nous analysons de manière détaillée ce processus de privatisation implicite qui touche les systèmes de sécurité sociale dans Léonard Christian, La privatisation de la protection sociale: un phénomène croissant et multiforme, MC – Informations , N° 212, Avril 2004, pp. 3 – 16.
(3) Définie par Durkheim comme l’absence ou la disparition des valeurs communautaires et sociales.
(4) Voir Bourdieu Pierre, L’essence du néolibéralisme, Le Monde Diplomatique , Mars 1998, p. 3.
(5) A propos de cette évolution, voir notamment Ferry Luc, Qu’est-ce qu’une vie réussie? , Grasset, Paris, 2002, pp. 33 – 118
(6) Ehrenberg Alain, La fatigue d’être soi , Odile Jacob, Paris, 2000, p. 16
(7) Auteur de L’Hystérie identitaire , Cherche – Midi, 2004.
(8) Cité par Sallé Caroline, Etre soi-même en faisant comme tout le monde, Le Figaro , 02 juin 2005, p. 21
(9) Touraine Alain, Un nouveau paradigme pour comprendre le monde d’aujourd’hui , Fayard, 2005, p.123
(10) Ibidem, p. 130
(11) Ibidem, p. 143
(12) De Singly François, L’individualisme est un humanisme , L’aube, Paris, 2005, p. 14
(13) De Singly, op. cit., p. 18
(14) Dans un article paru dans La Revue Nouvelle d’avril 2003, nous développons l’idée que l’avènement de la responsabilisation est lié à la montée de l’individualisme. Voir Léonard Christian, La responsabilisation: une conséquence de l’individualisme, Revue Nouvelle, N°4 , Avril 2003, pp. 68–73. Article repris dans le N°144 de mars 2004 de la revue Education Santé .
(15) Aeppel Timothy, L’assurance maladie sème la zizanie entre salariés, Courrier International , N° 661, du 3 au 9 juillet 2003, p. 49
(16) Voir Pieters Guy, Responsabilité et santé, Education Santé, N° 144, mars 2004, p. 8, et pour une contre-argumentation, Deccache Alain, La paille et la poutre. Education et santé, entre responsabilité individuelle et responsabilité sociale, Education Santé , N° 188, mars 2004, pp. 11-13
(17) Van de Cloot Ivan, Des soins de santé gérables, Bulletin financier , Septembre 2003, 76e année, N° 2.390, p. 1
(18) Jacob Antoine, Les pays scandinaves maintiennent l’emploi en combinant flexibilité, allocations et formation, Le Monde , 23 mars 2005, p. 2
(19) Voir Barroux Rémi, Comme fonctionne le système danois de « flex-sécurité », Le Monde, 7 juin 2005, p. 7
(20) Voir Arlet Brice, Embaucher est un acte simple, licencier aussi, La Croix , 2 août 2005, p. 4
(21) Voir Jakubyszyn, Le gouvernement assouplit le droit du licenciement, Le Monde , 02 août 2005, p. 6
(22) Le Medef est le Mouvement des Entreprises de France, l’équivalent de la FEB en Belgique
(23) Hirsch Martin, « Sans grade » et élites face à face, Le Monde , 23 juillet 2005, pp. 1 et 15
(24) de Tricornot Adrien, Ce que les mesures sociales coûtent au citoyen, Le monde , 17 mars 2005, p. 2
(25) Ross Hannes, Profession chômeur allemand, Courrier International , N° 754, du 14 au 20 avril 2005, pp. 44-45
(26) Selon la définition européenne, 60 % du revenu net médian, voir de Tricornot Adrien, La pauvreté s’est installée à des niveaux record, Le Monde , 17 mars 2005, p. 2
(27) Duriez Marc, Premiers succès pour la réforme d’Ulla Schmidt, Espace Social Européen , N° 718, du 1er au 7 avril 2005, p. 11
(28) La rédaction de cet article a été terminée le 5/8/2005, quelques semaines avant les élections allemandes.
(29) Dans ce manifeste, on fait allusion à une couverture maladie universelle, une application de la réforme ‘Hartz IV’ pour les plus de 55 ans repoussée au mois de février 2008 et un alignement de l’aide sociale perçue dans l’est de l’Allemagne sur le niveau perçu à l’ouest (345 euros). Voir de Tricornot Adrien, En Allemagne, le SPD entend poursuivre les réformes mais ajoute des mesures sociales, Le Monde , 6 juillet 2005, p. 6
(30) Calla Cécile, Angela Merkel veut la flexibilité du travail, Le Figaro , 12 juillet 32005, pp 1 et 4
(31) Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du travail français. Cité par Bissuel Bertrand, RMI, ASS, AME: les dispositifs d’aide aux démunis limités, Le Monde , 30 décembre 2003, p.6
(32) Voir Guélaud Claire, En 2004, des milliers de chômeurs vont perdre leurs droits, Le Monde , 30 décembre 2003, p. 6
(33) Cité par Cadrey Jean, Prélèvements obligatoires: un choix de société, Alternatives économiques , N° 222, février 2004, p. 68
(34) Fitoussi Jean-Paul, L’équation solidarité – emploi, Le Monde , 31 janvier 2004, p.18
(35) Evidemment, de telles mesures suscitent des résistances et au moment où nous écrivons ces lignes, la réforme a été suspendue et les modifications ne sont pas encore publiées. Il semble que les grandes lignes seraient maintenues mais que la durée de versement des allocations seraient revue.
(36) Bissuel Bertrand, L’abbé Pierre appelle les citoyens à ‘passer à l’acte’ contre l’exclusion, Le Monde, 1er – 2 février 2004, p. 9
(37) Mossé Eliane, Les riches et les pauvres , Editions du Seuil – Points – Economie, Paris, 1985, p. 59
(38) Voir Conseil Supérieur de l’Emploi, Rapport 2002 , p. 9
(39) A l’exception des chirurgiens-dentistes, des ophtalmologistes et des gynécologues
(40) Pour une explication du contenu du plan de soins coordonnés, voir Barroux Rémi, Médecin traitant: cinq clefs pour comprendre la réforme, Le Monde, 1er juillet 2005, p. 7
(41) On retrouve l’essentiel de cette critique des généralistes dans Blanchard Sandrine, Les praticiens doutent de l’efficacité de la réforme, Le Monde , 1er juillet 2005, p. 7
(42) Voir Allard Laurence, Soins médicaux: ce qui restera à la charge des assurés, Le Figaro Patrimoine , 30 avril 2005, pp. 12 et 14. Trois types d’incitations sont donc prévus: l’exclusion de l’assiette de cotisations sociales de la contribution des entreprises à la prévoyance complémentaire, l’exonération de la taxe spéciale de 7 % sur les conventions d’assurance et le droit de déductibilité du revenu net imposable des cotisations ou primes versées, tant par les salariés que par les professionnels indépendants (Voir Beau Pascal, Contrats responsables, que des inconvénients?, Espace Européen , N° 721, 22 au 28 avril 2005, pp. 4 – 5).
(43) Caudron José & Mills Catherine, Le système de santé. Résistances et alternatives. Critique de la contre-réforme Douste-Blazy et perspectives , ESPERE, Le temps des Cerises, Paris, 2004, p. 52
(44) Une enquête menée sur 8.500 femmes aux Pays-Bas entre 1983 et 1995 a permis de montrer que chez les femmes dont le BMI (Body Mass Index) est supérieur à 27, la probabilité de réussite de la première tentative de fertilisation in vitro était réduite de 33 % par rapport aux femmes dont le BMI était normal. (Carpentier Nathalie, Roken vermindert kans van vrouwen op een kind, De Morgen , 07 avril 2005, p. 8)
(45) Eng Ernest, Too big to ignore: the impact of obesity on mortality trends , Swiss Reinsurance Company, Zurich, 2004
(46) Voir page 33 du rapport
(47) Voir De Morgen , 07 avril 2004, Te koop: levensverzekering per kilo, p. 8
(48) Molénat Xavier, De l’hygiénisme à l’éducation pour la santé, Sciences humaines , Hors-Série, mars–avril–mai 2005, p. 89
(49) Shelke Rajani R.J. & Leeuwenburgh Christiaan, Life-long calorie restriction (CR) increases expression of apoptosis repressor with a caspase recruitment domain (ARC) in the brain, Journal of Federation of American Societies for Experimetal Biology (FASEB) , 02 January 2003
(50) Les chercheurs ont travaillé sur des rats nourris ad libitum et dont l’alimentation a été réduite de 40 % par rapport au niveau ad libitum et avouent que le processus d’apoptose in vivo reste inconnu.
(51) Van Impe Marc, Blijf verstandig, eet weinig, Financiële Economische Tijd , 1er mars 2003
(52) Gordon-Larsen Penny, Adair Linda S. & Popkin Barry M., The Relationship of Ethnicity, Socioeconomic Factors and Overweight in U.S. Adolescents, Obesity Research , 11, 2003, pp. 121–129
(53) Burne Jerome, Hoe dodelijk is dik?, De Morgen , 30 juillet 2005, p. 54
(54) Labour, National Policy Forum Consultation Document – Improving health and social care , May 2003, https://www.labour.org.uk
(55) Voir notamment Wierinck Marie, Plus de marché pour sauver la solidarité? Le pari néerlandais de la réforme de l’assurance maladie, Chronique Internationale de l’IRES , N° 91, novembre 2004, pp. 65 – 78
(56) Le 15 septembre 2003, le ministre français de l’économie, Francis Mer déclarait sur France 2 que « Ceux qui gagnent beaucoup d’argent le méritent: ils apportent à la société une valeur supérieure à ceux qui gagnent moins ». Cité par Bulard Martine, Etat d’urgence sociale, Le Monde Diplomatique Mars 2004, p.3
(57) Hens Evelyne & Huysentruyt Stefaan, ‘Draai de geldkraan voor 85-plussers dicht’, Financiële Economische Tijd, 8 april 2004, p. 3
(58) Kesteloot Hugo, ‘Van de wieg tot 85 jaar’ doet schrikken, Financiële Economische Tijd , 5 mei 2005
(59) Voir Léonard Christian, Priorités et choix en soins de santé , Dossier thématique de mutualités chrétiennes, N° 3, Octobre 2000
(60) 75,4 % des médecins, 76,8 % des infirmières et 67 % des citoyens
(61) Touraine Alain, op. cit., p.128
(62) Voir la contre – argumentation dans le NRC Handelsblad par Bolt Ineke, Schermer Maartje & Van de Vathorst Suzanne, Mensen hebben wél recht op een ongezonde leven, NRC Handelsblad , 28 april 2005, p. 9
(63) Bourcier Nicolas & Plougastel Yann, Michel Onfray en chaire et en mots, Grand entretien dans Le Monde 2 , 2 avril 2005, pp. 25–30
(64) Gori Roland & Del Volvo Marie-José, La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence , Denoël, L’espace analytique, Paris, 2005 (voir pages 27, 28, 185 et 186)
(65) Kristeva Julia, Décidément ce Pape …, La Croix – Forum & Débats , 8 avril 2005, p. II
(66) Raspiengeas Jean-Claude, entretien avec Michel Serres, Plus fort que la force, La Croix – Forum & Débats , 08 avril 2005, p. III
(67) Voir à propos de l’omniprésence de la publicité Amalou Florence, Le livre noir de la Pub , Stock, Paris, 2001
(68) Thiry Christiane, L’âge? Il change tout le temps, La Libre Essentielle , Spécial Beauté, N° 71, avril 2005, p. 3
(69) Gori Roland & Del Volvo Marie-José, op. cit., p. 189
(70) Bourdieu Pierre, La distinction, critique sociale du jugement , Editions de Minuits, Paris, 1979, p. 122
(71) Bourdieu Pierre, op. cit., p. 123
(72) Bourdieu Pierre, op. cit., p. 135
(73) Maurin Eric, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social , Seuil & La République des idées, Paris, octobre 2004
(74) Maurin Eric, op. cit., p. 55
(75) Voir son article consacré à l’ouvrage de Eric Maurin. du Granrut Charles, France: une société fragmentée, Futuribles , N° 307, avril 2005, p. 64
(76) Van Zanten Agnès, Lieu d’habitation et offre scolaire – Une enquête dans l’Ouest parisien, Informations sociales , N° 123, mai 2005, p. 67. Ce numéro d’informations sociales est consacré au logement et au cadre de vie, sa lecture complète idéalement celle du livre d’Eric Maurin.
(77) Ibidem, p. 70
(78) Maurin Louis, Que sait-on des inégalités en France?, Futuribles , N° 307, avril 2005, pp. 41–55
(79) Un constat de Bernard Girod de l’Ain, professeur émérite de l’Université de Paris – Dauphine. Girod de l’Ain Bernard, Les chiffres discutables des admissions au bac, La Croix , 6 juillet 2005, p. 25
(80) L’IMC – Indice de Masse Corporelle ou Body Mass Index est le rapport entre le poids exprimé en kilos et la taille exprimée en mètres et élevée au carré (P/T2). On parlera d’obésité pour un IMC supérieur à 30, d’excès de poids pour un IMC entre 25 et 30 et d’un poids normal pour IMC entre 20 et 25. On parlera de maigreur lorsque l’IMC s’établit en dessous de 20 et de maigreur extrême lorsqu’il atteint une valeur inférieure à 18.
(81) Nous avons analysé les inégalités de santé sous l’angle des inégalités sociales sur la base des résultats de l’enquête 2001 sur la santé des Belges dans les articles suivants Léonard Christian & Van Winckel Hilde, Le Belge et sa santé, M-Info, N° 186, février – mars 1999 et Léonard Christian, La nouvelle enquête sur la santé des Belges: une grille de lecture des inégalités de santé, MC-Informations , N° 207, avril 2003, pp. 16–24
(82) Petitnicolas Catherine, Une proposition de loi contre l’obésité, Le Figaro , 30 mars 2005, p. 11
(83) Martindale Diane, Etre accro au Big Mac comme à l’héroïne, Courrier International , N° 649, du 10 au 16 avril 2003, p. 62
(84) Stettler Nicolas, A. Stallings Virginia, B. Troxel Andrea, Zhao Jing, Schinnar Rita, E. Nelson Steven, E. Ziegler Ekhard, L. Strom Brian, Weight Gain in the First Week of Life and Overweight in Adulthood, Circulation , 19 avril 2005, N° 111, pp. 1897 –1903.
(85) Tourbe Caroline, Les câlins ont un effet… génétique!, Science & Vie , avril 2005, pp. 90–94
(86) De Morgen, Geboortegewicht baby’s bepaalt kans op depressie, 05 juillet 2005, p. 27
(87) Touraine Alain, op. cit. p. 145
(88) Loi N° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Cette loi, dans son article 29 prévoit de baliser la publicité et la promotion de l’alimentation. L’article prévoit que les messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse et de produits alimentaires manufacturés, émis et diffusés à partir du territoire français et reçus sur ce territoire, doivent contenir une information à caractère sanitaire. La même obligation d’information s’impose aux actions de promotion de ces boissons et produits. Mais il prévoit également que les annonceurs peuvent déroger à cette obligation sous réserve du versement d’une contribution au profit de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Cette contribution est destinée à financer la réalisation et la diffusion d’actions d’information et d’éducation nutritionnelles, notamment dans les médias concernés ainsi qu’au travers d’actions locales. Cette contribution est assise sur le montant annuel des sommes destinées à l’émission et à la diffusion des messages hors remise, rabais, ristourne et taxe sur la valeur ajoutée, payées par les annonceurs aux régies. Le montant de cette contribution est égal à 1,5 % du montant de ces sommes. Enfin, les modalités d’application du présent article, et notamment les conditions de consultation des annonceurs sur les actions de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, sont déterminées par décret en Conseil d’Etat pris après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et après consultation du Bureau de vérification de la publicité.
L’article 30, concerne les distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants et accessibles aux élèves qui seront interdits dans les établissements scolaires à compter du 1er septembre 2005.
(89) Blanchard Sandrine & Girard Laurence, Le Sénat veut réduire la portée de deux mesures contre l’obésité, Le Monde , 10 juillet 2004, p. 5 & Blanchard Sandrine, Contre l’obésité, le Sénat maintient les distributeurs dans les écoles mais s’inquiète de leur contenu, Le Monde , 11-12 juillet 2004, p. 7
(90) Voir sur le net https://www.navsa.fr/PRESSE/France2.pdf
(91) Voir sur le net https://www.ump.assemblee-nationale.fr/article.php3?id_article=3126 l’intervention de Bernard Depierre. Un taux de TVA de 19,6 % est appliqué aux ventes de produits à consommer sur place alors qu’un taux de 5,5 % s’applique aux produits à emporter, c’est ce dernier que le député voudrait voir appliquer aux distributeurs.
(92) Voir Blanchard Sandrine, La lutte contre l’obésité se heurte au lobby agroalimentaire, Le Monde , 30 avril 2005, p.8
(93) Voir Bassir Pour Afsané, L’OMS rappelle la ‘nécessité absolue’ de développer les traitements antisida dans les pays pauvres, Le Monde , 21 mai 2004, p. 4
(94). Le Monde Diplomatique de mai 2001 consacre un dossier complet à la publicité intitulé ‘La pieuvre publicitaire’ pp. 9 – 14.
(95) Laurent Raphaël, Parce que la pub le vaut bien, La Libre Entreprise , 19 mars 2005, p. 8. Voir également Amalou Florence, Le livre noir de la Pub, quand la communication va trop loin , Stock, 2001
(96) Peronnau Marie, La publicité a du mal à cerner les 15–25 ans, Le Figaro économie , 6 avril 2005, p. X
(97) Beau Pascal, Obésité, le nouveau mal français, Espace Social Europée n, N° 718, du 1er au 07 avril 2005, p.
(98) Defeyt Philippe, Ivan Illich – Sortir de la société de la consolation, Démocratie, 1er mai 2005, N°9, pp. 1-5
(99) Le site de Nike ( https://www.nikeid.com ) en est un bel exemple. Il y est proposé de ‘fabriquer’ soi-même les chaussures qui pourront nous ‘personnaliser’.
(100) Voir Sallé Caroline, Customiser son ego, Le Figaro , 02 juin 2005, p. 21. Dominique Quessada a publié la Société de consommation de soi chez Verticales en 1999.
(101) Mamou Yves, La pilule miracle de Sanofi Aventis contre le tabagisme et l’obésité, Le Monde , 27 juillet 2005, p. 9
(102) Illich Ivan, Némésis médicale in Œuvres complètes , Volume 1, Fayard, 2004, pp. 581 – 786. Illich y illustre magistralement le caractère relatif des gains d’espérance de vie consécutifs à la mobilisation de la technologie médicale. Il rappelle fort opportunément que les gains les plus importants ont été obtenus grâce aux amélioration de l’hygiène de vie, de l’hygiène dans les actes médicaux simples et à l’amélioration de la nutrition.
(103) Voir Bader Jean-Michel, Des maladies pour vendre des médicaments, Le Figaro , 14 juillet 2005, p. 1
(104) Citons par exemple cette progression étonnante du nombre de maladies mentales reconnues aux Etats-Unis depuis le seconde guerre mondiale: elles sont passées de 26 à 395! (Voir Blech Jörg, Les inventeurs de maladie – Manœuvres et manipulations de l’industrie pharmaceutique , Actes Sud, 2005).
(105) Court Marielle & Tabet Marie-Christine, Amiante: une facture de plus en plus ruineuse, Le Figaro, 6 avril 2005, p. 13
(106) Nous avons consacré un article à la problématique de l’application du progrès technologique au champ de la médecine dans Léonard Christian, Du progrès technique dans le champ d’action de la médecine, MC-Informations , N°214, août 2004, pp. 5-19
(107) Le 14 janvier 1983, Madame Perruche qui a contracté la rubéole au cours de sa grossesse, donne naissance à Nicolas qui présentera un an plus tard tous les symptômes liés à une rubéole congénitale. Les parents de Nicolas avaient exprimé la volonté d’interrompre la grossesse dans le cas où les tests effectués auraient confirmé les craintes de rubéole chez le foetus. Cependant une erreur du laboratoire n’a pas permis aux parents d’utiliser leur ‘libre arbitre’. A l’issue de nombreux débats, jugements et arrêts, un réel précédent a été reconnu par l’arrêt du 17 novembre 2000. Il s’agissait de l’indemnisation du préjudice de l’enfant en plus de celui des parents, mettant en cause la responsabilité médicale. Cet arrêt a suscité un véritable tollé chez les médecins et les associations de parents d’enfants handicapés. Des menaces de grèves chez les spécialistes en échographie prénatale et les manifestations de parents concernés ont débouché sur le vote d’une loi qui précisait que « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du fait d’être né », ce qui mettait un coup d’arrêt à la jurisprudence Perruche.
(108) Diederich Nicole & Moyse Danielle, L’échographie prénatale après l’arrêt Perruche – Une modification des pratiques?, Etudes , Avril 2005, N°4024, pp. 483-493
(109) Voir par exemple Latouche Serge, Pour une société de décroissance, Le Monde Diplomatique , Novembre 2003, pp. 18 – 19
(110) Voir Latouche Serge, En finir, une fois pour toutes avec le développement, Le Monde Diplomatique , Mai 2001, pp. 6 – 7 & Latouche Serge, Et la décroissance sauvera le Sud…, Le Monde Diplomatique , Novembre 2004, pp. 18 – 19
(111) Etchegoyen Alain, Le temps des responsables , Julliard, Paris, 1994, p. 94
(112) Jonas Hans, Le principe responsabilité , Champ Flammarion, 1998, p. 269
(113) Kempf Hervé, Ecologisme radical et décroissance, Le Monde , 4 mars 2005, p. 5
(114) L’empreinte écologique d’un pays peut être définie comme la surface de terre productive et d’écosystèmes aquatiques nécessaires à produire les ressources utilisées par ce pays et à assimiler les déchets qu’il produit. Il est ainsi possible de calculer le différentiel, pour chaque pays, entre son empreinte écologique et la surface dont il dispose réellement. Selon Serge Latouche, l’ « effet rebond », c’est-à-dire le gain que l’on obtient sur l’empreinte écologique d’un produit au moyen de techniques de production plus performantes et plus économes en énergie non renouvelable est plus que compensé par l’augmentation de sa consommation; Voir Kempf Hervé, interview de Hubert Védrine & serge Latouche, Le Monde , supplément consacré au développement durable, 26 mai 2005, pp. X et XI
(115) Selon l’expression de Serge Latouche, Novembre 2004, op. cit.
(116) Harribey Jean-Marie, Développement ne rime pas forcément avec croissance, Le Monde Diplomatique , Juillet 2004, pp. 18 – 19

Ethique et morale en promotion de la santé

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Il faut bien l’admettre entre nous, la santé n’existe pas comme «le parfait état de bien-être physique, mental et social» comme on a tenté de nous le faire croire. Il faudrait faire preuve de beaucoup de forfanterie ou d’inconscience pour s’appliquer à soi-même cette définition. Ça donnerait le dialogue cocasse suivant:
-Comment va la santé?
-Ca va! Je suis en parfait état… de bien-être physique, mental et social!
Personne n’y croirait. C’est impossible de s’inscrire dans une telle perfection, pas même d’y aspirer. La santé n’est pas un état de perfection, mais plutôt un processus incertain. La santé reste une question pour chacun tout au long de la vie.
Hans-Georg Gadamer (1) évoque très justement le «lieu caché de la santé», son «caractère latent». Il n’est pas aisé de définir la santé. Il n’existe pas de normes absolues permettant de la décrire, pas de traitement opposable permettant de la produire. La santé est une façon d’aborder l’existence en se sentant à la fois possesseur et porteur de qualités héritées, mais aussi, selon Georges Canguilhem , «créateur de valeurs, instaurateur de normes vitales (2)». À cet égard, le sujet vit sa santé au jour le jour, la crée et l’éprouve dans une lutte face aux «infidélités du milieu» (3).
Conçue ainsi, la santé est en premier chef la question d’un sujet et de sa présence au monde, tandis que la santé publique apparaît comme démarche politique, s’attachant à débrouiller dans une population, l’écheveau des conditions nécessaires à la production de santé, pour les transformer.
Ainsi, la santé concerne chacun pris singulièrement, tandis que la santé publique se présente comme réponse politique au service de la population. Force d’observation , elle met au point et développe ses instruments de mesure qui relient divers éléments à leurs effets dommageables. Force d’intervention , elle va contrôler les éléments nocifs en élaborant les mesures techniques et réglementaires adaptées. Force de proposition , elle promeut une culture, des attitudes, des comportements, dans l’espoir offert aux populations qu’une adhésion aux messages entraînerait une vie plus longue et sans incapacité.
La santé concerne chacun individuellement, tandis que les conditions qui permettent à la santé de se déployer relèvent au premier chef de la responsabilité politique.
Parler de promotion de la santé c’est tenter le croisement de démarches qui interrogent les politiques publiques dans leur capacité de créer les conditions de la santé, mais aussi interrogent chaque sujet singulier sur la façon dont il conduit sa propre vie et son rapport au monde. On voit bien alors qu’il y aura rencontre et confrontation de deux intérêts qui peuvent être conflictuels.
Au nom de l’intérêt général, les pouvoirs publics s’efforcent de pacifier l’espace public, tandis que le sujet se préoccupe de préserver la liberté de son espace privé. La santé publique peut se développer sous la forme d’un ensemble de dogmes, de croyances «scientifiquement validées», de normes qui appellent en retour la soumission des sujets. Tandis que le sujet singulier, mi être de raison, mi être de l’inconscient fait entendre sa petite musique et met en œuvre sa résistance. Acceptons-le, sa conduite jugée défavorable selon les normes édictées par les acteurs de santé, ne relève pas tant de l’irrationalité, même si elle en donne l’apparence, mais témoigne davantage de la force du désir à l’œuvre dans l’agir humain et le désir c’est l’autre de la raison.

La santé c’est de la complication

(4)
On peut appliquer à la compréhension de la santé les deux notions que Jacques Ardoino propose pour lire le monde: celle de la complication et celle du complexe .
Le monde de la complication , c’est celui de la technique, celui de la mécanique, où tout élément peut être décomposé en ses éléments fondamentaux. On peut comprendre le fonctionnement général de l’objet par l’analyse de chaque élément pris en lui-même, et des relations qu’il établit avec les autres. Ce qui est compliqué peut être ramené à des éléments simples et connus devenant de ce fait simplifiable .
Le discours de santé publique s’entend pour partie sur ce mode de la complication qui fonde une épistémologie de la transparence , où chaque élément s’inscrit de façon linéaire par rapport à l’autre dans un lien univoque de causalité. La croyance largement partagée, selon laquelle une présentation rationnelle et bien menée des liens de causalité entre telle conduite et telle pathologie permettrait de prévenir la survenue de celle-ci ou d’en enrayer le développement, sert le plus souvent de postulat de base à l’éducateur. Les discours sur la prévention du sida, mais aussi sur les risques liés à l’usage de tabac et autres toxiques, aux abus d’alcool, etc., témoignent sous la diversité des thèmes de cette conception du «message» (5). Tous ces comportements de prise de risque devraient donc, en raison, céder devant les propositions philanthropiques et savantes des éducateurs. (6)
Lorsque les injonctions morales puisées dans ce monde de la transparence, de la rationalité, ne produisent pas sur les populations concernées les effets escomptés, c’est le mode de transmission du message qui est mis en cause.
Les acteurs de santé publique réclament alors des outils, des méthodes de communication enfin performantes pour persuader, confondre l’entêté qui ne peut se résoudre à accepter les façons de vivre que lui présentent les professionnels qui, par postulat, lui veulent du bien.
La santé publique aspire à la maîtrise, celle des conditions physiques de la santé, mais aussi celle des conduites humaines. C’est la visée de l’Utopie décrite par Thomas More , où au prix d’un autocontrôle, chaque individu serait en santé: «Le sage qui aime mieux prévenir la maladie que recourir aux remèdes, fuir la douleur plutôt que la soulager par des calmants, préférera également se priver de ces sortes de plaisir ( les jouissances du boire et du manger ) dont il aurait à réparer les inconvénients.» (7)Thomas More voulait ainsi une société sans conflit sécrétant une sorte d’ataraxie individuelle et collective, sans place pour les désordres de l’intime et de la vie personnelle. L’Utopie, c’est la prétention de cerner la totalité pour que rien n’échappe au contrôle. Gérer la complication en la décomposant en éléments simples et contrôlables est l’ambition de toute politique qui se veut efficace.
Dans le registre de la complication, l’acteur en santé publique a besoin de catégories (8), dans le double sens étymologique, de rendre visible , révéler , déclarer hautement , mais aussi de dénoncer , d’accuser . Les catégories sont indispensables pour rendre possible le travail social par exemple, mais dans le même mouvement, la dénomination catégorielle enferme, réduit le sens, empêchant de construire une vision du monde ouverte sur la singularité. La variété des catégories autour des risques, populations à risque, comportements à risque est une suffisante illustration de l’impasse et de la course en avant de découpages catégoriels sans cesse remodelés et affinés pour tenter de rendre compte de la diversité des fonctionnements humains.
Sur ce registre de la complication , l’épidémiologie crée les catégories qui permettent de mettre en évidence les liens entre les facteurs, proposer une compréhension de l’enchaînement des événements pour faciliter de ce fait la définition et la mise en place d’une politique de santé.
Devant la nouveauté de l’épidémie de l’infection à VIH, par exemple, il a fallu construire des catégories pour rendre compte des modes de transmission du virus. La première catégorisation proposée, gay cancer , n’a pas résisté à l’extension de l’épidémie. La suivante se voulait plus élaborée, les 4 H : homosexuels , héroïnomanes , Haïtiens , hémophiles . Ce découpage s’est trouvé à son tour abandonné au profit d’une description de modes de transmission qui se voulait plus acceptable: homosexuels , bisexuels , toxicomanes (usagers de drogues intraveineuses) (9), hétérosexuels , etc . De nouveaux découpages catégoriels ont été proposés pour tenter de suivre l’évolution de la pandémie, entre autres une redéfinition des critères de la catégorie contamination hétérosexuelle (10).
Mais le regroupement de vies singulières sous une catégorie ne risque-t-il pas de renforcer l’illusion d’une communauté de vie et de destin? On nomme ainsi la communauté homosexuelle , comme si le fait d’exprimer sa sexualité sur le mode de l’homophilie décrivait une manière et une seule de vivre sa sexualité, et de surcroît, immédiatement contaminante. Qui peut-on regrouper alors sous la bannière de l’hétérosexuel?
En santé publique, les catégories épidémiologiques permettent de grouper des individus et ainsi de faire nombre et de désigner au politique les populations à risque ou les populations cible (11). La catégorisation produit une simplification qui permet d’orchestrer la propagande: le virus VIH existe, il peut se transmettre, le préservatif est une barrière au virus, tout est simple! Le monde de la complication est celui de la simplicité et de l’exigence morale de soumission au «message», dont la bénévolence ne fait pas de doute à l’émetteur.
Et pourtant!
Les catégorisations sont d’une utilité plus limitée pour une démarche éducative. Bien sûr, ces catégorisations permettent de mettre en évidence du point de vue des grandes masses, les déterminants de telle ou telle action, ou de tel ou tel état de santé. Pour autant, face à ces déterminants, on ne peut oublier la question du sujet singulier. Or, selon le néologisme d’Ardoino, le sujet garde une capacité de «négatricité», c’est-à-dire une capacité de réagir en s’opposant aux tentatives d’objectivation que l’on fait sur lui.

La santé humaine c’est surtout du complexe

Nous dirons que l’essence même de l’humain est complexe et irrémédiablement complexe. Nous ne sommes pas dans l’attente du progrès des sciences qui nous permettraient enfin, par le cumul de leurs apports de rendre compte de l’ensemble des éléments en jeu dans les conduites humaines et d’en assurer la maîtrise. L’humain ne nous est pas accessible dans sa totalité. Le sujet humain ne peut se réduire à cet individu rationnel, linéaire, transparent qui attendrait la vérité de la science pour transformer ses comportements et atteindre le Nirvâna de la santé.
La philosophie grecque nous présentait déjà l’homme dans sa prétention et sa faillite relatives à la recherche du Vrai et du Bien. Aristote évoque ainsi «l’irrationnel appétitif» (12), à l’œuvre en l’homme, reconnaissant qu’une part de nous-mêmes est soumise au désir contre lequel nous ne pouvons pas grand chose. L’homme, être désirant, est pris dans cette aporie du sujet, à la fois assujetti à son histoire et se voulant, dans le même mouvement, acteur responsable de cette même histoire. Le registre de l’humain nous renvoie à une épistémologie de l’opacité . Nous ne savons pas bien d’où nous venons ni où nous allons et quelque chose de nous-mêmes nous échappe pour toujours.
La psychanalyse nous introduit à cette part obscure du sujet. Elle conçoit la vie psychique comme une vie incarnée. Pour autant, le corps dont parle la psychanalyse n’est pas le corps-objet de la génétique, de la biologie, il s’agit d’un corps-sujet quelles que soient ses aptitudes. Le corps-sujet est à la fois système biochimique comme organisme — à ce titre soumis au risque de toute chair— et activité de conscience créatrice de valeurs — à ce titre mû par le désir. La réalité humaine est une. Le sujet humain est à la fois désir et raison. Cependant, ce que nous dit Lacan , c’est que «l’énergie qui pousse les diverses pulsions au travers de leurs vicissitudes n’est pas accessible au calcul , elle ne se laisse interpréter qu’après coup dans ses effets» (13). La promesse de la psychanalyse n’est pas celle d’une «vie équilibrée» dans je ne sais quelle transparence des causalités enfin dévoilées et maîtrisées, mais plutôt une sorte de «savoir vivre» avec les effets non connus d’avance de cette énergie incalculable qui se donne à voir dans les complexités, les inadaptations, les erreurs, les souffrances qui signent le rapport du sujet au monde.
La médecine n’explique pas pourquoi la maladie touche cet homme et pas l’autre: «C’est que ces conclusions sont du côté des modélisations à partir des grands nombres et de la statistique, abstraction inerte, alors que l’homme est du côté du vivant, du désir, du plaisir et de la conscience. Il échappe.» (14)
Dans le monde de la complication , l’homme n’a pas de choix. Il est dans l’irresponsabilité, puisque la science lui impose sa conduite. Dans le monde de la complication , l’homme ne peut exercer sa liberté. Il ne peut que se soumettre à l’ordre moral, à ses devoirs, aux valeurs sociales à l’œuvre dans son environnement. Le monde de la complication est hors du champ de l’éthique.
Le monde de la complexité , au contraire, ouvre le champ des possibles. Dans le monde de la complexité, les choix de l’homme ne lui sont imposés, selon Agamben , par aucune «…essence, aucune vocation historique ou spirituelle, aucun destin biologique que l’homme devrait conquérir ou réaliser.» (15)Le monde de la complexité renvoie l’homme à l’éthique, c’est-à-dire à l’exercice de sa responsabilité.

Promouvoir la santé c’est-à-dire promouvoir «la raison de vivre»!

Dans sa réflexion sur la fabrique de l’homme occidental , Pierre Legendre (16) énonce les conditions «pour que s’élève la voix humaine»: il faut «des mots, des images et un corps», mais aussi une quatrième dimension, «il faut la raison de vivre». Nous sommes d’emblée instruits de ce qui caractérise l’homme confronté à «l’Abîme du naître et du mourir», et au mystère de «l’être là» comme un vivant, en quête de sens.
La santé, comme notion, n’a pas de sens en soi qui serait univoque, identique pour tous et généralisable. La santé se révèle comme une production de notre histoire qui a commencé, un peu sans nous, un peu avec nous, comme le dit le poète: «Nous sommes venus d’une scène où nous n’étions pas».(17) C’est l’histoire d’un petit d’homme qui naît du désir de l’autre et prend corps portant «au front la marque de ceux qui l’ont fait naître» (18) ajoute encore Pierre Legendre.
La santé c’est l’histoire d’un corps, mais d’un corps parlé, livré dès la naissance à l’Autre, du fait de sa prématurité. Aussi doit-il pour survivre être enveloppé de langes, mais aussi et surtout des «paroles de ceux qui l’aident à naître» et qui peu à peu vont l’introduire dans les questions du sens pour lui permettre d’habiter «l’Abîme». On devient ce qu’on devient parce qu’on nous a parlé.
Tributaire de caractéristiques biologiques héritées dans un contexte socio-historique spécifique qui va déterminer pour partie ses capacités de développement, le sujet humain est appelé à se réaliser. La santé est la capacité d’un sujet humain singulier de vivre une vie possible pour lui . Il n’est donc pas possible de définir de l’extérieur ce que doit être la santé pour un individu singulier, il s’agit d’un processus, d’une adaptation, d’un engagement, dans ce qui fait sens pour lui.
La santé est ainsi pour chacun, tout au long de la vie et entièrement coextensive à la vie, une présence au monde: joie et performance tout autant que confrontation à la douleur et à la souffrance. La santé est à la fois exercice dynamique de l’expression de soi et dans le même mouvement, expérience de la limite, du vieillissement, du handicap parfois, de la maladie et glissement vers la mort.
Il existe une part d’ombre d’être un corps traversé à la fois de plaisir et de douleur. La santé n’est pas un «état», mais plutôt une dynamique, un processus qui se développe dans une adaptation permanente aux tensions externes et internes. La santé est en perpétuel déséquilibre comme expression concrète de la réponse au jour le jour à la question du pourquoi de l’existence. L’homme est un être en devenir, un être inscrit dans un processus de changement dont il peut, pour partie, déterminer l’orientation et la direction. L’homme ne peut être réduit à un être qui aurait simplement des devoirs à accomplir et en ce sens soumis à la morale; l’homme au contraire est appelé à la démarche éthique du choix. La quatrième dimension dont parle Pierre Legendre, «la raison de vivre» est donc fondamentale, et la question de la santé pour un «sujet» ne peut véritablement prendre sens que dans cette perspective.
Cette présence au monde qui le transforme perpétuellement fait du corps-sujet un être en devenir permanent. Les manières de vivre et de mourir, de boire et de manger, les façons d’aimer, de travailler, de vieillir se fondent sur sa capacité au changement. Chaque être humain est ainsi appelé à se distancier de son inscription naturelle et à tracer le sillon de sa vie singulière dans le champ de son histoire familiale et sociale .
L’aptitude à la santé s’inscrit dans l’ensemble de ces enjeux. Soulignons-le, l’interpénétrabilité de l’homme et du monde place ce dernier dans une situation inconfortable, qui l’oblige à renouveler sans cesse, pour lui-même, la réponse au sens de son exister. Ainsi, la question du suicide des jeunes est troublante. Il se pourrait que les adolescents se donnent la mort parce qu’ils ne trouvent pas de sens à leur vie, que notre société est incapable de répondre à l’idée exigeante de leur raison d’être, que l’idée qu’ils se faisaient d’eux-mêmes ne peut plus se soutenir.
Les pouvoirs publics ont une difficulté à arbitrer, y compris sur les questions de santé, entre la liberté du sujet et la nécessaire protection des populations dont ils ont la charge. Ce n’est pas sans danger lorsque les prises de risque des populations font l’objet de politiques, c’est-à-dire font l’objet de décisions des pouvoirs publics qui les imposent au nom de principes qui seraient supérieurs aux choix personnels des individus.
Nous avons en mémoire les débats renouvelés chaque hiver autour de positions antagonistes d’élus, présentées comme déontologiques-. Les uns refusent aux sans domicile fixe (SDF) le droit de rester accrochés à leurs abris de fortune livrés aux intempéries, car ils ne doivent pas mourir de froid! Les autres respectent leur choix! Est-ce qu’au nom de leur survie biologique présentée comme un bien absolu, on peut tenir pour nul et irresponsable le refus qui est le leur, tout aussi absolu, de se plier à nos usages, à nos modèles, aux modes d’hospitalité précaires et provisoires que nous avons conçus pour eux? De plus dans des temporalités qui respectent plus notre sensibilité au froid que notre générosité, puisque les risques de mortalité pour les SDF sont plus grands l’été, au moment où les ONG caritatives prennent de justes repos? Est-ce qu’il nous est pensable d’attacher de la valeur à ce qu’ils nous disent du sens de leur vie, si ce sens pour eux , les bonnes raisons qu’ils présentent pour justifier le refus de nos avances ne sont reçues par nous que comme signe d’une irrationalité provocante?

La santé humaine c’est jouer avec les risques…

Dans la préparation de cette rencontre, je me suis replongé dans un petit livre d’anthropologie de David Le Breton , intitulé Passions du risque . Dans cet ouvrage qui date d’une quinzaine d’années pour la première édition et régulièrement mis à jour depuis, l’auteur tente d’analyser les paradoxes de notre société qui réclame et valorise la sécurité à tout prix, la recherche du risque zéro, tout en magnifiant les exploits les plus fous, prenant pour courage les expositions majeures au risque. Le jeu avec la vitesse, la pratique des sports extrêmes, les risques de l’aventure, sont les figures de l’excellence. L’aventure sert de moyen de formation et d’intégration sociale.
Les récits de nos grandes traditions montrent bien notre ambivalence face au risque. Chacun peut se souvenir du retour de l’enfant prodigue (19). Ce récit biblique décrit la confrontation de deux modes de vie: un frère modèle, travailleur, fidèle et l’autre qui a tout balancé cul par-dessus tête, dilapidé ses biens, courtisé les femmes, couru toutes sortes de risques, et pourtant c’est lui que le père reconnaît et honore. C’est la prise de risque qui est récompensée.
David Le Breton nous présente le jeu avec le risque comme un jeu avec la vie: ça passe ou ça casse, mais quand ça passe, le joueur est rassuré sur le fait d’être vivant, d’exister pleinement. «Jouer un instant sa sécurité ou sa vie, au risque de la perdre, pour gagner enfin la légitimité de sa présence au monde ou simplement arracher dans la force de cet instant le sentiment d’exister enfin, de se sentir physiquement contenu, assuré dans son identité.»(20) L’auteur nous prend à témoin: «Franchir un stop les yeux fermés, ne pas s’arrêter à un feu rouge, conduire à contresens sur une autoroute, voler dans un grand magasin ou «casser» une voiture, saccager un magasin, consommer de l’héroïne ou renifler de la colle, avaler des médicaments, ne plus se nourrir, conduire sa moto à grande vitesse sur une route de campagne ou quitter sur un coup de colère la maison de ses parents pendant plusieurs jours, se lancer dans une escalade difficile, présumer de ses forces au cours d’une activité physique intense, etc., ce sont là des actions éparses, loin d’être exhaustives, en apparence éloignées les unes des autres, aux conséquences bien inégales sur l’existence; elles dévoilent cependant une structure commune, celle du risque délibérément choisi, bien sûr, mais aussi pure ou atténuée, celle de l’ordalie. Une recherche par effraction, en contrebande, de signification.» (21) L’ordalie est un rite qui se prononce sur la légitimité de l’existence de celui qui la tente.
Je voudrais vous proposer, juste pour rappel, quelques conduites dans lesquelles certains reconnaîtront peut-être des bribes de leur histoire.
Pour prendre un détour et esquiver les coups, nous dirons que nous avons vu autour de nous – pas nous bien sûr – d’aucuns boire plus que de raison et conduire des véhicules qui par bonheur, à l’instar des vieux chevaux d’antan, connaissaient le chemin et ramenaient l’homme sans conscience à la maison.
D’aucuns – pas nous bien sûr – se sont surpris bien des fois au volant de leur moto ou de leur voiture, à rouler «à tombeau ouvert» comme la langue française, dans son imagerie ironique, nous permet d’énoncer.
D’aucuns – pas nous bien sûr – sont partis en montagne ou en mer, dans la plus grande insouciance, sans aucun des impedimenta nécessaires à ces expéditions.
D’aucuns – pas nous bien sûr – ont vécu des amours d’enfer, sans la moindre protection contre les fruits de vie ou de mort, que ces corps à corps si doux et impétueux pouvaient potentiellement produire. D’autres encore ont fumé des kilomètres de cigarettes et de bien d’autres choses plus exotiques qui apaisent et étouffent à la fois. D’autres ont testé des produits qui devaient leur ouvrir les portes de la création, de l’extase, entre autres promesses!
On pourrait parler des sportifs de haut niveau, de leurs courses folles qui déchirent les muscles et brisent les tendons, des combats de boxe et de leurs conséquences sur les cellules cérébrales, des conditions du cyclisme de compétition et des potions magiques que l’on dit nécessaires pour tenir. Ajoutons, pour faire bonne mesure, à cette liste incomplète les plaisirs partagés de repas pantagruéliques. Ainsi nous ne pouvons parler de risque sans aborder la question du sens de la vie. Seul le sujet est habilité à donner sens à sa vie.
C’est dans le retour sur soi, la conscience de soi, de son histoire singulière, de ses propres contradictions qu’un responsable de santé publique peut trouver la force du refus d’imposer à autrui la vision de santé traduite dans les objectifs issus du croisement du déterminisme des risques et de la fine détection sociale des cibles .
Au seuil de sa propre maturité, David Le Breton nous confie: «Il me reste aujourd’hui le sentiment d’être un «survivant», une certaine culpabilité d’être encore là et d’avoir échappé, sans toujours le vouloir, aux pièges qui se tenaient sur ma route.» (22) Et voilà que tous ici, peu ou prou, nous pouvons nous considérer comme des «survivants»! C’est à ce titre que nous savons le prix de l’existence présente. C’est à ce titre que nous revendiquons la nécessité de la prévention. C’est à ce titre que nous nous interrogeons sur une pratique éthique de l’intervention en prévention, dans le dépassement d’un vouloir biopolitique sur les humains, pour la construction d’une société plus solidaire et plus juste.

Une conception éthique en promotion de la santé

La santé publique appuyée sur l’expertise scientifique énonce les règles du «vivre» s’imposant comme guide moral. En revanche, la promotion de la santé rappelle qu’il ne s’agit pas seulement de «vivre», mais plutôt «d’exister», c’est-à-dire de trouver une manière propre d’être au monde. Il s’agit d’une rencontre intersubjective qui ouvre le sujet au souci de soi et à prendre soin, à travers soi et l’autre, de l’humain. (23) La promotion de la santé, ainsi, convoque l’engagement éthique du sujet pour assumer comme il peut le tragique de sa condition.
On le voit, une politique de prévention peut tenter d’asseoir son contrôle, au moyen de multiples relais, sur l’ensemble de l’activité humaine, des conduites collectives aux comportements les plus intimes. L’épidémiologie, en établissant des corrélations entre des particularités de poids, de taille, de consommation (tabac, alcool, drogues, mais aussi de type de nourriture ou de conduite sexuelle, etc.) et l’observation probabiliste des conséquences exprimées en années d’espérance de vie ou en risque de survenue de pathologies importantes, peut légitimer politiquement, une contrainte imposée à chacun. Par le biais de la statistique, la santé publique est capable de prévision et l’idéal de prévention va souder les sociétés autour du risque. Mais alors, «l’espace de l’anxiété est ouvert»(24): recours aux tests, aux dépistages, consommation de vitamines, consultations, check-up; nous assistons alors à la naissance de ce que Ivan Illitch dénonçait comme «iatrogenèse structurelle» dans une société de libre marché.
Le professeur de santé publique Petr Skrabanek , dans un ouvrage très critique, riche de documentation épidémiologique, La fin de la médecine à visage humain , explicite les contenus d’un style de vie favorable à la santé: «l’obsession diététique, la pratique de certains exercices, le renoncement aux comportements malsains, la réduction, voire l’élimination, des facteurs de risque, le recours régulier aux contrôles médicaux et au dépistage.» (25) Cependant, s’en prendre au style de vie, n’est-ce pas s’attaquer à la liberté des sujets? Le Pr. Claude Got , (26) célèbre défenseur de la santé publique, a perdu confiance dans la possibilité de modifier les conduites humaines: «Les comportements humains, dit-il, sont trop aléatoires pour qu’on puisse les changer.» Il préfère militer en faveur de l’instauration de «protections structurelles» mises en place d’autorité par la puissance publique, pour protéger la vie des vivants, même malgré eux s’il le faut! Ainsi la prévention des accidents de la route est devenue efficace lorsqu’ont été adoptées avec fermeté les protections structurelles: limitation de vitesse, contrôle de l’alcoolémie des conducteurs, contrôle des véhicules, etc. Sur la lancée de cette réussite, Claude Got propose d’appliquer ce concept de «protections structurelles» à d’autres champs de la santé publique. Selon lui, la prévention du suicide, par exemple, deviendra efficace lorsqu’on aura interdit les armes à feu, équipé les ponts de filets de protection, etc. L’obésité ne résistera pas à l’interdiction de publicités à la télévision sur les produits alimentaires, les barres chocolatées, etc!
Or, s’il est vrai que la loi et la réglementation peuvent sur certains segments de risques et de dangers protéger les citoyens des effets délétères de leur propre conduite ou de celle des autres, il est difficile d’envisager avec sérieux une société ainsi organisée qui contrôlerait la vie dans la totalité de ses modes d’expression. Dans cette logique, pour faire disparaître tout risque de suicide ne faudrait-il pas alors supprimer les cordes, sceller les puits, empêcher l’accès aux médicaments et aux drogues, etc? Comment vivre dans une société qui aurait évacué ainsi — de l’extérieur — tous les risques, déresponsabilisant de ce fait l’ensemble de ses sujets?
Les politiques de santé publique, en définissant le sujet comme raisonnable et rationnel, en viennent nécessairement à le tenir pour responsable de ses actes. Or, une rapide réflexion sur cette notion de responsabilité conduit à distinguer deux ordres, deux niveaux où celle-ci s’exerce, celui de la morale et celui de l’éthique.
L’exercice de la responsabilité morale produit la paix sociale dans le groupe concerné et procure la paix intérieure à l’individu qui s’y soumet. En effet, les valeurs communautaires lui sont transmises, voire imposées de l’extérieur. Dans ce cas, le Bien ne relève pas d’une décision personnelle qu’il aurait eu à construire, mais lui est signifié par le groupe. S’il se conforme à ce Bien, le sujet peut reposer en paix, satisfait du devoir accompli. En témoigne le bonheur du fumeur devenu abstinent, participant de ce fait aux valeurs morales de la modernité sanitaire.
À l’inverse, la responsabilité éthique relevant du caractère singulier et personnel est, de ce fait, d’un autre ordre. Nous avons montré que le sujet humain était complexe. Dans cette perspective de la complexité, le sujet a toujours cette possibilité de déjouer les stratégies qui tentent de le réduire à un objet et de le normaliser.
Vais-je fumer, combien, quand? Vais-je boire, combien, quand? Vais-je rouler comme un bolide? Vais-je vivre l’absolu de mes désirs sans contrainte ou accepter les limites pour tenir compte de l’autre proche et de tous les autres?
Entre ces deux niveaux d’exercice de la responsabilité s’observent des tensions. Il va de soi que la santé publique s’inscrit dans une logique d’ordre social sinon d’ordre moral. Les experts ont produit les normes qui permettent d’atteindre le souverain bien de la santé et attendent de la population en retour, la soumission la plus totale.
Les années d’espérance de vie s’acquièrent chèrement par la soumission à des comportements définis pour prévenir toute atteinte de l’organisme. Cependant, si la maladie s’installe malgré tout, la compliance aux traitements prescrits ouvre le chapitre suivant à la contrainte morale. La santé publique se présente comme appel à la conformité, légitimée par les savoirs des épidémiologistes, raisonnée à partir de prévisions économiques, éditée comme norme de droit. Il est ainsi admis que chaque automobiliste doit attacher sa ceinture pour diminuer le nombre de morts et l’importance des blessures en cas d’accident. Il est clair qu’il faut cesser de fumer à la fois pour s’éviter à soi-même les risques accrus de cancers des voies respiratoires, mais aussi par l’effet d’externalité de diminuer les risques des proches, fumeurs passifs.
La consommation d’alcool est également mesurée. Il faut bien reconnaître dans cette liste d’injonctions pour notre bien, cette aporie entre la morale et l’éthique. Le sujet de l’éthique n’est pas contenu dans ce bien qu’on lui propose. Le sujet résiste. Il suffit pour s’en convaincre de constater que l’ensemble des injonctions morales ne suffit pas pour juguler cette espèce d’appétence au malheur que traduisent les hécatombes du samedi soir sur nos routes. Les fumeurs continuent à fumer, les jeunes s’y initient de plus en plus jeunes et cette conduite se féminise. Le produit procure au toxicomane une sensation tellement forte que son absence après une cure de sevrage fait naître une souffrance similaire à celle du «membre fantôme» (27). Autant d’exemples pour signifier cette difficulté pour la santé publique de prendre en compte le sujet dans sa radicalité.
La responsabilité éthique engage donc l’individu vis-à-vis de lui-même, de l’autre proche et de tous autres. Elle renvoie aux valeurs qui lui sont propres — même si ses valeurs sont faites d’histoire collective et personnelle. Mais elle renvoie aussi à cette part obscure de l’homme, à son entrée dans la vie, en un mot à son être désirant, fait d’enjeux contradictoires, de paradoxes, de forces contraires, de pulsions de vie et de mort. Le sujet est confronté à son manque à être qui — répétons-le — le situe dans une non-transparence à l’égard de lui-même et d’autrui.
À ce niveau, confondre les deux ordres de responsabilité — morale et éthique — relève d’une illusion ou d’une malhonnêteté. La responsabilité éthique est sans cesse mouvante, contradictoire, déchirée, profondément insatisfaite parce que le sujet est en proie aux tourments de son manque à être qui le place dans cette quête éperdue d’une jouissance fusionnelle — quête jamais achevée de complétude et d’harmonie — alors qu’il est travaillé en son être par la finitude et par la mort.

S’engager dans la promotion de la santé, c’est croire qu’il y a des souffrances et des morts évitables et organiser son action dans deux directions: une démarche politique visant à créer les conditions d’un vivre ensemble plus juste; une démarche d’accompagnement des sujets singuliers, comme aide à l’élaboration d’un vivre au monde possible.
Cette double démarche nécessite des acteurs de proximité, des acteurs à qui se fier capables d’écoute et de mobilisation pour agir. Kipling, dans Kim , fait dire au lama: «Tu as déclenché une Action dans le monde et, telle une pierre lancée dans un étang, ainsi se propagent les conséquences, plus loin que tu ne saurais dire.» (28) C’est une métaphore osée pour signifier les effets imprévisibles de la parole prononcée, entendue, échangée et traduite dans l’action en promotion de la santé.
Philippe Lecorps , Ecole nationale de santé publique, France (1) Hans-Georg GADAMER, Philosophie de la santé , Grasset-Mollat, 1998, p. 117.
(2) G.CANGUILHEM, Le Normal et le pathologique , Quadrige, PUF, (1966), 3e édition 1991 p. 131.
(3) G.CANGUILHEM, ibid ,p.132
(4) Ces deux notions de complication et de complexe ont été introduites par Jacques Ardoino dans une conférence, le 21 mai 1996, à Montpellier. Jean-Bernard PATURET les a reprises à son compte et en a développé l’usage dans sa Préface à: Jean-Marie MIRAMON, Manager le changement dans l’action sociale , éditions ENSP, 1996.
(5) Jacques BURY, Education pour la santé, concepts, enjeux, planification . Savoir et Santé, 1988, p. 235. L’auteur constate qu’en éducation pour la santé, les méthodes informatives ont des effets extrêmement limités. Les comportements humains ne sont pas le fruit d’une argumentation rationnelle et consciente. Les gens informés (sciemment) ne changent pas nécessairement leur comportement face à la santé.
(6) Ph. LECORPS et J-B. PATURET, Santé publique, du biopouvoir à la démocratie , ENSP éd. 1999
(7) André PRÉVOST, L’Utopie de Thomas More , présentation texte original, apparat critique, exégèse, traduction et notes. MAME, 1978, p. 533
(8) Jacqueline PICOCHE, Dictionnaire étymologique du français , Le Robert, 1993
(9) Remarquons au passage l’euphémisation de l’appellation «usager»!
(10) BEH 24/196 Élargissement des critères de la catégorie « contamination hétérosexuelle » dans le cadre de la surveillance du sida en France.
(11) Il suffit de s’imaginer un instant être une cible pour ressentir tout le caractère violent de cette notion, sans parler de la distance entre le tireur et la cible qui symbolise l’idée que le tireur et la cible n’appartiendraient pas au même monde. Pas étonnant qu’il puisse s’agir pour reprendre l’introduction étymologique de populations à rixe !
(12) ARISTOTE, Éthique à Nicomaque , Librairie philosophique, J. Vrin, 1994, I, 13, 1102b, 30.
(13) John RAJCHMAN Érotique de la vérité, Foucault, Lacan et la question de l’éthique . PUF.1994, p. 47
(14) François PRÉVOTEAU du CLARY, « Prévention » Dictionnaire de la pensée médicale PUF, 2004
(15) Giorgio AGAMBEN, La communauté qui vient , Le Seuil, p.47. C’est ce que disait Lacan en commentant: «[Freud] est parti, ou reparti, du pas antique de la philosophie: à savoir que l’éthique ne saurait relever de l’obligation pure. L’homme en son acte tend vers un bien. L’analyse remet en faveur le désir au principe de l’éthique. La censure même, seule d’abord à y figurer la morale, y puise toute son énergie. Il n’y aurait pas d’autre racine de l’éthique», Jacques Lacan, «Compte rendu avec interpolations du Séminaire de l’éthique», Ornicar , vol 28, printemps 1984, p.8.
(16) Pierre LEGENDRE, La fabrique de l’homme occidental Arte éditions, texte intégral, Mille et une nuits, 1996, p.13
(17) P. GUIGNARD, Le sexe et l’effroi , Gallimard folio 1994, p.10
(18) Pierre. LEGENDRE, ibid . p.12
(19) Luc, XV,11-32
(20) David LE BRETON, Passions du risque , Métaillé. (1991), 2000, p.9
(21) David LE BRETON, ibid , p.106-107
(22) David LE BRETON, ibid , p.9
(23) Roland GORI, Marie-José DEL VOLGO, La santé totalitaire, essai sur la médicalisation de l’existence , Denoël, 2005, p.255
(24) François PRÉVOTEAU DU CLARY, ibid .
(25) Petr SKRABANEK La fin de la médecine à visage humain , Odile Jacob, 1995, p. 62
(26) Entendu lors d’un symposium sur la prévention du suicide, Paris, 4 février 2005
(27) R. INGOLD «L’état de dépendance», in Calude Olivenstein, La drogue ou la vie, Laffont, 1983
(28) A. MANGUEL, Journal d’un lecteur , Actes Sud, 2004, p.73

Choix personnel et responsabilité sociale

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Un outil au service d’un dessein solidaire

Christian De Bock (1) préside à la destinée du mensuel Education Santé depuis plus de vingt ans. La revue est devenue le support incontournable de l’éducation pour la santé en Communauté française.
Véronique Janzyk: Quel est votre état d’esprit présent, vingt-cinq ans après le premier numéro de la revue Education Santé, qui est aujourd’hui la référence en Communauté française?
Christian De Bock: Education Santé a démarré en décembre 1978, et a été reconnue comme un élément intéressant de la politique préventive de la Communauté française 10 ans plus tard.
Au départ, c’était une initiative de la seule Mutualité chrétienne, produite sur fonds propres, dont la pertinence à l’échelle de la Communauté est probablement apparue suite à une des nombreuses réformes institutionnelles belges dans le domaine de la santé.
Cela illustre aussi la capacité de certaines organisations d’anticiper sur des mouvements qui s’inscriront dans la durée. C’était le cas avec la Mutualité chrétienne dans les années 70, qui avait consacré son congrès décennal à l’éducation pour la santé, et avait concrétisé cette démarche en créant un service spécifique au niveau de son secrétariat national, service d’appui aux projets développés par les mutualités régionales membres de l’ANMC.
On l’a un peu oublié, c’était une démarche pionnière; à l’époque, l’ONE et la Croix-Rouge étaient à peu près seules à occuper ce terrain, la plupart des associations et structures actives aujourd’hui sont nées plus tard, dans les années 80.
Donc mon état d’esprit est plutôt sympathique: on ne s’est pas trompé en investissant dans ce parent pauvre de notre système de santé qu’est la prévention prise au sens large.
V.J.: C’était un défi une collaboration entre mutualités chrétienne et socialiste?
C.D.B.: Au départ, il n’en était pas question, la revue étant un outil à usage interne. Par contre, lorsque les deux organismes assureurs ont été reconnus comme ‘services aux éducateurs’ par la Communauté française, le périmètre de diffusion d’ Education Santé a tout à fait changé grâce au financement de la Communauté. Dans la mesure où les deux mutualités ont en commun des valeurs très fortes en matière de solidarité et de cohésion sociale, largement à contre-courant des évolutions que connaissent actuellement les sociétés post-industrielles, cela allait de soi.
Nous étions aussi un peu poussés par le législateur, je l’avoue, qui prévoyait explicitement la mise en place d’une Cellule de coordination intermutualiste pour garantir le caractère pluraliste des interventions financées par les pouvoirs publics francophones. Mais on n’a vraiment pas dû se faire violence. D’ailleurs, le décret organisant la promotion de la santé en vigueur de nos jours ne prévoit plus rien de tel, et pourtant le partenariat n’a pas changé, je dirais même qu’il s’est renforcé au fil des ans et des amitiés qui se sont nouées.
V.J.: Comment la politique rédactionnelle de la revue a-t-elle évolué?
C.D.B. Depuis que la publication est financée par la Communauté française, mon attention se porte sur toutes les initiatives prises dans le secteur: les projets des mutualités y sont toujours présentés, mais au même titre que les autres. J’estime qu’un outil financé par la collectivité se doit d’échapper aux particularismes et aux intérêts partisans.
J’ajoute que la revue, qui se veut un reflet de ce qui se passe dans notre Communauté, développe ses sujets et ses dossiers de façon tout à fait autonome, sans pression aucune des politiques, ce qui est agréable à souligner.
V.J.: Le secteur de l’éducation pour la santé a vécu des transformations. Lesquelles pointeriez-vous?
C.D.B.: J’en retiens une, évidente pour un vieux de la vieille comme moi: une professionnalisation des travailleurs engagés dans les projets. Je ne sais pas si on peut parler de la promotion de la santé comme d’une discipline à part entière, au croisement du social et de la santé, mais il est clair en tout cas que la grande qualité de notre enseignement universitaire a permis de former au fil des ans un nombre important de travailleurs déjà engagés dans la vie active (médecins, infirmières, autres paramédicaux). Cela explique que les ‘petits Belges’ sont si appréciés dans l’espace francophone international, phénomène que j’observe aussi avec plaisir pour Education Santé . Il n’y a donc pas que les frères Dardenne qui font un tabac en dehors de nos frontières!
V.J.: Quels sont les succès selon vous de l’éducation à la santé, les thèmes pour lesquels elle a pu être efficace?
C.D.B.: Je ne parlerais pas en termes de thèmes particuliers. D’une manière plus générale, l’éducation pour la santé, et encore plus depuis qu’elle a pris le chemin de la promotion de la santé, nous aide à mieux comprendre que les problèmes de santé sont le fruit d’une multitude de déterminants, parmi lesquels les conduites individuelles, sur lesquelles on met de plus en plus l’accent aujourd’hui, sont parfois un élément marginal.
V.J.: Sur quoi l’éducation pour la santé butait-elle hier, sur quoi bute-t-elle aujourd’hui?
C.D.B.: La grande difficulté à mesurer l’impact au long cours des interventions peut être vécue comme frustrante.
V.J.: Jamais démoralisé de travailler dans un secteur qui a finalement peu d’éléments d’évaluation de son travail? Publier une revue, à cet égard, doit être équilibrant. On produit, on est lu.
C.D.B.: C’est vrai, je me dis souvent que la production concrète d’un outil mensuel a quelque chose de rassurant, cela illustre de façon tangible des choses auxquelles on croit mais dont il est difficile de convaincre un public de politiques ou de gestionnaires de la santé.
V.J.: Qui sont vos lecteurs?
C.D.B.: La revue a 2600 abonnés, soit environ 8000 lecteurs, dont la moitié est issue du secteur de la santé. 20% proviennent du secteur social et 20% de l’enseignement (enseignants et étudiants).
V.J.: Pensez-vous que les médecins généralistes se perçoivent bien comme des éducateurs à la santé?
C.D.B.: Difficile pour moi de répondre à cette question. Il me semble toutefois qu’il y a une évolution favorable depuis quelques années, un souci de beaucoup d’acteurs de la première ligne de ne pas limiter leur travail à la réparation individuelle des accidents de l’existence. Mais ce n’est qu’une impression.
Les généralistes que je fréquente dans le cadre de la Communauté française, et qui sont extrêmement motivés par la dimension collective et culturelle de leur travail, ne sont sans doute pas représentatifs de la profession. Il est clair qu’eux sont convaincus du bien-fondé de cette dimension de leur action.
V.J.: Jamais tenté de troquer les mots éducation et santé pour ceux de ‘promotion de la santé’?
C.D.B.: J’y ai déjà songé, mais j’avoue ne pas être très chaud pour un changement de titre: les rédacteurs en chefs sont souvent conservateurs sur ce terrain.
De façon plus ‘philosophique’, l’extension du champ d’action qu’implique la promotion santé peut s’accompagner d’une dilution excessive des responsabilités des intervenants: si tout fait sens en matière de santé, le logement, l’emploi, l’environnement, le système scolaire, les soins de santé, etc. plus rien ne fait sens, parfois. Et rappeler les valeurs de la pédagogie, que ce soit à l’école, mais aussi au sein des familles, des autres lieux de vie, des lieux d’engagement citoyen, ce n’est peut-être pas plus mal…
V.J.: Le secteur de la promotion de la santé ne vous paraît-il pas particulièrement critique à son propre égard? Nombreux sont ceux qui craignent de verser dans le travers du totalitarisme sanitaire. Voilà un secteur où l’on réfléchit en tout cas beaucoup. Est-ce la conséquence de dérives passées? Une fatigue de l’action? Une minimisation des ressources des individus, qui ne sont pas perçus comme capables de se défendre face à des imposeurs de normes?
C.D.B.: Je ne crois pas que le secteur de la promotion de la santé soit spécialement autocritique ou défaitiste. Je crois au contraire qu’il lutte de façon justifiée contre un terrorisme sanitaire de plus en plus puissant. La méthode qui consiste à punir l’individu de ses ‘comportements déviants’, qu’on espérait enterrée depuis belle lurette, refait surface avec une rare énergie. Dans un système de santé de plus en plus cher, la tentation de sanctionner les ‘irresponsables’ qui gaspillent l’argent de la collectivité est grande. Et pour quel bénéfice?
V.J.: La participation de la population est un leitmotiv en promotion de la santé. L’idéal serait qu’elle définisse ses objectifs, mette en oeuvre les actions. Or, il semble qu’en terme d’action sur les problèmes de santé, c’est le point de vue défendu par Antoine Lazarus, l’approche présente des limites. Elle permet de construire ou reconstruire l’estime de soi, mais…
C.D.B.: La définition de la promotion de la santé reprise par la Communauté française dans son décret est superbe: processus qui vise à permettre à l’individu et à la collectivité d’agir sur les facteurs déterminants de la santé et, ce faisant, d’améliorer celle-ci, en privilégiant l’engagement de la population dans une prise en charge collective et solidaire de la vie quotidienne, alliant choix personnel et responsabilité sociale. Elle a probablement un caractère utopique, mais je trouve que c’est aussi un formidable levier pour nous ‘tirer vers le haut’.
V.J.: Vous êtes aussi président de la Commission d’avis sur les campagnes radiodiffusées. Quelles sont les campagnes médiatiques en rapport avec la santé qui vous semblent des réussites?
C.D.B.: La Communauté française a effectivement la possibilité d’offrir à des campagnes de promotion de la santé des espaces gratuits en radio et en télévision, dans le secteur public et le secteur privé. C’est une particularité francophone belge que pas mal de monde nous envie.
Je ne vais pas citer ici l’une ou l’autre campagne récente plus réussie que d’autres selon moi, mais partager avec vous une légère réticence: la consommation ‘responsable’, voire la lutte contre la ‘rage consommatoire’ sont des dimensions importantes de la promotion de la santé.
Le fait d’intercaler ces messages d’intérêt général dans des écrans publicitaires, entre des annonces du secteur marchand souvent en porte-à-faux par rapport aux valeurs que nous entendons défendre me dérange souvent. Je sais que cela ne se fait pas cracher dans la soupe, mais quand on voit un spot non-commercial vantant les mérites des modes de cuisson sains écrasé par l’artillerie lourde des pubs de l’agro-alimentaire, ou, pire, quand on voit l’agro-alimentaire brouiller les pistes en présentant ses produits quasiment comme des élixirs de longue vie, on n’est pas trop à l’aise!
V.J.: Un mot sur les politiques mises en oeuvre par les différents ministres ayant eu la santé dans leurs attributions en Communauté française?
C.D.B.: La place intéressante qu’occupe la revue dans le dispositif d’ensemble a toujours favorisé de bons contacts avec nos excellences, surtout quand il s’agit de mettre en évidence leurs initiatives!
Si je dois retenir une réalisation ministérielle ces vingt dernières années, c’est sans aucun doute le vote du décret de 1997 sous l’impulsion de la Ministre-présidente de l’époque, Laurette Onkelinx , qui a organisé la promotion de la santé telle que nous la connaissons encore aujourd’hui (avec un complément décrétal en 2003 permettant à la Communauté de mettre en place des programmes de médecine préventive et de protection de la santé en bonne entente avec le niveau fédéral et les autres entités fédérées, ce qui est une preuve positive de plus du pragmatisme politique belge).
V.J.: On vous donne l’enveloppe que vous désirez. Que commencez-vous par faire pour promouvoir la santé des Belges?
C.D.B.: Joker. Ici nous sommes en pleine science-fiction! Nos systèmes de santé de pays nantis sont de formidables machines économiques branchées quasi-exclusivement sur la réparation. Les budgets disponibles pour la prévention sont ridicules (le rapport est inférieur à 1 pour 1000 entre l’enveloppe promotion de la santé de la Communauté et les dépenses fédérales au niveau curatif). Mes rêves sont plutôt cinématographiques et en technicolor que sanitaires!
V.J.: Vous avez été président du Conseil supérieur de promotion de la santé, un mot sur le Conseil et sur cette expérience?
C.D.B.: Cette instance conseille le Gouvernement de la Communauté française dans sa politique de santé. On y trouve bon nombre d’experts représentatifs du secteur de la santé pris au sens large: médecins généralistes, mutualités, écoles de santé publique, promotion de la santé à l’école, maladies infectieuses, assuétudes, centres locaux de promotion de la santé… Diriger ses travaux entre 1997 et 2002 a été pour moi une expérience très enrichissante: j’ai la faiblesse de croire que je suis parfois arrivé à faire en sorte que nos avis soient motivés par un souci partagé du bien commun plutôt que par une collection de défenses d’intérêts particuliers.
Et cette présidence, comme d’ailleurs la réalisation d’ Education Santé , a été l’occasion d’animer un réseau de gens vraiment passionnés par une conception solidaire de la santé, et ça c’est génial!
Propos recueillis par Véronique Janzyk
Ce texte est paru initialement dans l’hebdomadaire Le Généraliste n° 745, 28/07/2005.
(1) Il est par ailleurs responsable d’Infor Santé, le service promotion santé francophone des Mutualités chrétiennes, et président de la Commission d’avis sur les campagnes radiodiffusées de promotion de la santé du Conseil supérieur de promotion de la santé.

Bref retour en arrière

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Fin 1978, on me proposait un emploi dans un tout nouveau service créé par la Mutualité chrétienne, le Centre d’information pour l’éducation à la santé. C’était l’époque où il y avait encore un service militaire en Belgique, où le pays digérait difficilement le premier choc pétrolier, en pleine vague punk et disco, où Ermanno Olmi remportait la Palme d’Or à Cannes avec ‘L’arbre aux sabots’ et Woody Allen l’Oscar pour ‘Annie Hall’, l’année de la première image par résonance magnétique nucléaire et du premier bébé-éprouvette, bien avant l’arrivée des ordinateurs personnels. Bref, c’était il y a une éternité.
Le premier travail qu’on m’a confié consistait à mettre en forme des textes et à compiler des références de matériel didactique pour en faire une publication périodique destinée à soutenir les mutualités chrétiennes locales dans leurs initiatives en matière d’éducation pour la santé. Et cela se faisait en français et en néerlandais: cela aussi nous semble terriblement lointain.
A l’époque, il était peu banal pour un organisme assureur de se lancer dans des activités bien en amont par rapport à son rôle de co-gestionnaire de l’assurance maladie invalidité. Un support écrit avait toute sa pertinence pour appuyer cette démarche novatrice. Il fallait aussi trouver un titre pour cette publication. Pourquoi pas Education Santé puisque c’est de cela que nous parlions? Simple et efficace.
Et puis le temps a passé… La Mutualité chrétienne est restée fidèle à son engagement socio-éducatif en faveur de la santé, la réforme de l’Etat a largement confié les matières préventives aux communautés, la Communauté française Wallonie-Bruxelles s’est organisée, structurée, elle s’est dotée au fil du temps d’une législation avec trois temps forts, en 1988, en 1997 et en 2003.
Cette maturation a été accompagnée par la revue, qui s’est inscrite naturellement dans le mouvement. Ainsi Education Santé a bénéficié d’une reconnaissance permanente de la Communauté française à la fin des années 80, après une dizaine d’années de fonctionnement en sourdine.
Cette évolution a été marquée par un partenariat avec la Mutualité socialiste, les deux institutions partageant comme le rappelle Alda Greoli un même souci d’éducation permanente et d’émancipation des consommateurs de soins de santé.
Grâce au soutien financier déterminant de la Communauté, Education Santé a pu prendre rapidement un rythme de croisière mensuel, bien utile pour rendre compte du foisonnement d’idées et de projets dans notre modeste espace Wallonie-Bruxelles. La revue a aussi pu offrir gratuitement (et c’est toujours le cas aujourd’hui) ses informations à un nombreux public de relais. Ce ne sont pas tous des éducateurs pour la santé à temps plein, mais ils essaient d’introduire cette dynamique dans leurs interventions et ils y réussissent souvent. Ces travailleurs de l’ombre au service d’un dessein généreux méritent aussi un coup de chapeau!

De belles amitiés

Produire chaque mois un outil de communication du secteur de la promotion de la santé francophone est une chance et un privilège, j’en suis bien conscient. Cela nous place au centre des réflexions et des innovations, cela nous permet d’obtenir parfois des informations exclusives, de rencontrer beaucoup de gens passionnants, d’en aider certains à faire connaître leurs démarches. Cela permet aussi de construire une relation forte avec des collaborateurs réguliers.
Sans vous assommer avec une liste interminable, je pense bien sûr d’abord aux collègues des mutualités chrétienne et socialiste, en particulier à Maryse Van Audenhaege , l’indispensable cheville-ouvrière qui accompagne la revue depuis 1986, et à Thierry Poucet , ce digne représentant de la très rare race des ‘journalistes de santé publique’ (il a sûrement dû déposer cette appelation d’origine contrôlée!) qui officiait comme Monsieur Loyal lors de notre matinée d’études et qui nous fait part dans ce numéro spécial de sa perception de la revue.
Je pense aussi à Jacques Henkinbrant , qui fut mon rédacteur en chef pendant une dizaine d’années et, féru de nouvelles technologies et de systèmes informatiques ouverts, est aujourd’hui le maître d’œuvre du site internet de la revue. Je n’oublie pas non plus Patrick Trefois , qui m’a encouragé à organiser la rencontre du 10 juin dernier et dont l’asbl Question Santé nous avait déjà permis d’agrémenter voici 10 ans la célébration du n° 100 par une remarquable exposition d’affiches ‘santé’ couvrant une centaine d’années, de la fin du XIXe siècle à nos jours.
En priant celles et ceux qui m’ont permis de tenir le rythme pendant tout ce temps de m’excuser de ne pas pouvoir les citer toutes et tous, je m’en voudrais d’oublier le Dr Willy Brunson , directeur général de la santé, qui nous a quitté brutalement cette année. Sa présence à la tête du département de la Santé au Ministère de la Communauté française a coïncidé avec une période assez favorable pour le secteur, avec dans un premier temps la reconnaissance du travail de fond d’une trentaine d’organismes, puis le vote d’un décret inscrivant nos actions dans un projet de société résolument solidaire et progressiste.

Et demain?

Il ne m’appartient pas de vous dire de quoi demain sera fait en matière de prévention collective et de promotion de la santé dans notre communauté.
Education Santé ne manquera pas d’être attentif aux évolutions futures du secteur. Ira-t-on vers une approche plus large, multifactorielle de la santé, assistera-t-on au contraire à un retour en force du modèle bio-médical? La question est passionnante.
Autre interrogation brûlante, l’avenir d’une publication sectorielle dans sa forme imprimée traditionnelle. Ce mode de communication a-t-il encore sa raison d’être à l’heure du tout virtuel et de l’immédiateté d’accès à l’information? J’ai la faiblesse de croire que oui, sinon je ne vous inviterais pas à découvrir ce numéro hors-série!
Bonne lecture.
Christian De Bock , rédacteur en chef
A l’intention des lecteurs qui étaient présents le 10 juin 2005: nous ne pouvons malheureusement pas vous proposer le texte de l’intervention d’Antoine Lazarus. Par contre, Christian Léonard a réécrit son texte, et nous gratifie d’une belle ‘version longue’ de sa conférence!

Une revue fédératrice et éclaireuse

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Timonier de longue date du périodique Education Santé , Christian De Bock est évidemment mal placé pour inventorier dans son préambule et dans l’interview-bilan qui le prolonge les vertus foncières de cette publication quasi trentenaire…
Moi qui ne suis qu’un compagnon de route parmi d’autres du mensuel, sans implication fondamentale dans le travail éditorial quotidien mais attentif à ce que ce travail a permis de capitaliser et a pu générer au fil du temps dans son environnement, je n’aurai pas cette stoïque pudeur. Au diable l’avarice en matière de reconnaissance des mérites, du moins lorsque que les récipiendaires ne les ont pas volés!
Je me permets donc de souligner combien les apports d’ Education Santé sont variés, profonds, subtils, allant souvent bien au-delà des trois indicateurs de réussite les plus spontanément objectivables et donc les plus évidents pour le lecteur comme pour l’observateur familiers. Quels sont, pour commencer, ces trois indicateurs?
Tout d’abord, une belle longévité , que le présent hors-série célèbre précisément, dans la foulée d’une séance académique riche en réflexions éthiques (un choix de thèmes et d’orateurs lui aussi significatif d’un état d’esprit porté certes vers l’action «éducative» ou «protectrice» mais jamais aux dépens d’une réflexion sur le sens et les effets collatéraux de ce que l’on prône au nom du salut individuel et de ce que l’on entreprend au nom du bien commun).
La longévité n’implique évidemment pas à tout coup la qualité: il y a de ces almanachs, de ces toutes-boîtes, de ces périodiques de bas niveau, voire de caniveau, qui durent, qui durent! Dans le cas qui nous occupe, la longévité a de l’étoffe, de la densité. Ces quelque 200 sommaires plantés de mois en mois comme autant de bornes buissonnières dans le vaste paysage de la santé ne témoignent-ils pas à la longue d’une sorte d’« itinéraire bis » de l’engagement professionnel ou bénévole en faveur d’une certaine approche du mieux-être individuel et collectif?
Bien que surtout soucieuse d’être en phase avec le présent et d’ouvrir la voie à des futurs enviables, la publication renfermerait aussi un trésor potentiel, exploitable peut-être un jour par d’hypothétiques historiens de la santé: celui de pouvoir témoigner à sa mesure du cheminement incessant – parfois clair aux esprits, parfois infra-conscient – des pratiques et des centres d’intérêts sociaux, politiques, professionnels à l’égard des plaies et bosses de la vie civile…
Deuxième indicateur évident d’intérêt et de qualité touchant à la production d’ Education Santé : une notoriété éditoriale et un capital de sympathie et d’usage qui ne se dément pas dans le milieu-cible, lequel s’avère en outre sensiblement polymorphe sur le plan professionnel aussi bien qu’institutionnel, générationnel, géographique (rappelons que l’on recense des abonnés bien au-delà de nos frontières)…
Troisième indicateur, enfin, qui doit compter pour beaucoup dans la crédibilité du périodique: une application particulièrement scrupuleuse (sans oeillère ni complaisance, sans exclusive ni superficialité, sans mélo ni moralisation excessive) de la mission primitive qui fut conférée à la revue de suivre à la trace l’actualité et les évolutions d’un «secteur» spécifique en mal de puissance – et plus encore de prestige, comparé aux investissements médico-sanitaires de type plus technique, biomédical ou réparateur – à savoir tout le secteur de la prévention, de la santé publique, de la promotion de la santé et des actions sociales ou environnementales qui s’y greffent.
Quant au champ d’observation, s’il porte principalement sur ce qui bouge ou mériterait de bouger en Communauté française de Belgique, rappelons aussi qu’il s’étend sans hésitation plus loin chaque fois qu’aux yeux de la revue on trouve sous d’autres cieux matière à inspirer, à étayer, à titiller nos ressources indigènes…
On pourrait largement se satisfaire déjà de ces trois indicateurs et se contenter de saluer, pour solde de tout compte, le cocktail bien tempéré de ténacité, de curiosité, d’arbitrage habile et autres petits talents journalistiques variés autant que discrets que les responsables de la publication ont su mobiliser au fil des ans pour maintenir leur cap. Quelquefois contre vogues et galères…

Reconnaissances

Faut-il pourtant en rester là? N’y aurait-il rien d’autre à relever d’important, à célébrer même, dans la dynamique éditoriale au long cours qui nous occupe pour la circonstance? Si, certainement. Et je songe principalement à une vertu éditoriale forte d’ Education Santé qui saute moins directement aux yeux, car elle est plutôt de l’ordre du diffus, de l’inquantifiable, du non-prémédité. Une vertu cependant qui, sur le terrain (1), n’en est pas moins concrète, vécue, structurante, ne serait-ce que par sa charge d’influence sur les représentations que les acteurs se font d’eux-mêmes, de leurs objectifs, de leurs valeurs faîtières, de leurs marges et de leurs moyens d’action. Cette vertu est celle d’une l evure . La pâte qu’elle fait monter, à laquelle elle confère la densité critique voulue, est celle de l’identité collective du «secteur» évoqué plus haut.
Expliquons-nous. Deux cents numéros répartis sur plus d’un quart de siècle, largement consacrés à présenter les initiatives et projets des uns et des autres, ça ne contribue pas seulement à rendre à chacun, ponctuellement, son dû de reconnaissance publique. Cela contribue aussi, lentement mais sûrement, à l’émergence de deux formes déterminantes et durables de reconnaissance sectorielle : d’une part, celle des acteurs de promotion de la santé entre eux; d’autre part celle de ces acteurs par rapport à d’autres instances.
Reconnaissance entre soi , c’est-à-dire perception croissante que chacun est rattaché à un mouvement potentiellement connivent, synergique, interactif, qui tout à la fois le dépasse individuellement, l’englobe comme «pair» et exhausse ses accents spécifiques par rapport aux caractéristiques génériques du secteur.
Reconnaissance tierce , c’est-à-dire perception croissante par d’autres secteurs (universités, pouvoirs publics, médias, etc.) de l’existence d’un secteur propre constitué par l’ensemble des acteurs de promotion de la santé. Cette construction d’une identité collective forte, à retombées tantôt intra- et tantôt inter-sectorielles, il n’est absolument pas douteux que le pôle éditorial constitué par Education Santé , médium unique en son genre en Communauté Wallonie-Bruxelles, a largement contribué à la faire advenir et continue depuis lors à l’enrichir d’apports constamment actualisés.
Un élément intercurrent également épinglé par Christian De Bock dans l’interview évoquée en début d’article – le processus marqué de professionnalisation du secteur, avec ses formations et diplômes propres – a lui aussi apporté de l’eau au moulin de l’identité collective. On peut désormais se sentir membre d’une confrérie fondée non seulement sur des thèmes et domaines d’action mais aussi sur des titres et qualifications professionnels (si pas toujours obligatoires, du moins vecteurs de distinction et de crédibilité sur le marché du travail).
Le développement académique a par ailleurs introduit de la méthode et des cadres théoriques renforcés au sein d’un univers largement associatif, plutôt marqué à l’origine par la ferveur, le volontarisme et la créativité empirique. L’altruisme fervent des pionniers n’est pas totalement dissipé pour autant et hante toujours les oeuvres de sensibilisation à plus de «qualité de vie» ou à moins de «conduites à risque».
Au-delà d’apports rigoureux, le langage et les outils de la scientificité inculquée et patentée peuvent à leur tour conférer à l’interventionnisme et au prosélytisme latents une aura et une autorité de rationalité qui en camoufle les traits les plus discutables (notamment l’importation de priorités ou de critères de bien-être chers à une frange sociale ou professionnelle donnée dans des milieux soumis à des logiques et à des déterminants vitaux de constitution bien différente).
Apparaît alors la nécessité de lieux conviviaux où l’on puisse mettre en évidence que chaque courant émergent a son pesant d’avantages, qui parfois, à force de peser, appellent de nouveaux contrepoids. Pour le dire autrement: ferveur philanthropique et académisme centré sur le management des problèmes sociaux ont aussi besoin, pour donner le meilleur d’eux-mêmes (et rien que le meilleur si possible), de regards décalés, dérangeants, hétérodoxes. Les réflexions réunies dans le présent volume à l’initiative d’ Education Santé vont en grande partie dans ce sens. Gageons en outre que la revue ne cessera pas de sitôt de publier des textes interpellants, volontiers sabreurs de clichés et de mythes, comme elle n’a cessé de le faire jusqu’ici, dans sa rubrique «Réflexions» notamment… Ainsi, après avoir contribué à forger une identité collective solide, continuera-t-elle – avec sa cohérence coutumière – à en prévenir les dérèglements et les scléroses.
Je me prends même à rêver plus loin: pour mettre à l’épreuve et pour assouplir périodiquement l’optimisme traditionnel des militants de la santé et celui des méthodologistes du changement «maîtrisé», pourquoi n’introduirait-on pas dans leur formation initiale ou continuée l’étude de quelques grands théoriciens du pessimisme? Je ne parle pas, bien sûr, de ces légions de pamphlétaires pisse-froid, aphoristes maussades ou cyniques auto-satisfaits ayant commis ici et là tel ou tel essai ne dépassant guère le niveau de la misanthropie basique (schéma directeur quasi intangible de cette pseudo-pensée: l’homme est foireux, le monde va définitivement mal, rabattons-nous donc sur ce que bon nous semble… ).
Non, je parle bien de ceux qui ont pris la peine et nous ont fait du même coup l’insigne honneur de pousser la réflexion pessimiste dans ses méandres les plus subtils et dans ses derniers retranchements. Tel un Cioran , par exemple, dont je soumets pour conclure à votre sagacité ce petit extrait bien en phase avec certains axes directeurs de la promotion de la santé contemporaine: Depuis des années, sans café, sans alcool, sans tabac! Par bonheur, l’anxiété est là, qui remplace utilement les excitants les plus forts (in De l’inconvénient d’être né, Gallimard, 1973, Folio, coll. Essais n° 80, p. 179).
Thierry Poucet , journaliste de santé publique
(1) Comme on doit dire maintenant à tout prix, si l’on ne veut pas faire figure d’intellocrate planant ou passer pour un observateur totalement ignorant de ce qui innerve la vraie vie.

Un engagement pour la solidarité

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Les anniversaires sont toujours des moments de joie, de convivialité, mais aussi l’occasion de s’interroger sur le passé et sur l’avenir.
Education Santé fête son 200e numéro, voilà le signe d’une revue qui a bénéficié elle-même d’un accompagnement de qualité et qui lui a permis de garder une grande forme et une grande santé; un peu comme le bon vin, elle a bonifié avec l’âge.
Je profite donc de l’occasion qui m’est donnée pour dire que si une revue peut avoir une telle qualité, qualité reconnue au-delà même de nos frontières, c’est parce qu’elle est réalisée au quotidien par une équipe animée d’une philosophie particulière.
Christian De Bock tout à l’heure nous évoquera le fait qu’ Education Santé est le résultat d’une collaboration entre les Mutualités socialistes et les Mutualités chrétiennes, aidées et soutenues par la Communauté française. C’est dans un même esprit que les Mutualités chrétiennes et socialistes ont développé, autour de la santé, une volonté d’éducation permanente et d’émancipation des consommateurs de soins de santé.
La promotion de la santé dans le but d’un ‘mieux-être’, d’un ‘mieux vivre’ ne peut porter ses fruits que si elle allie aussi un ‘mieux comprendre’ et un ‘mieux agir’ pour mieux participer. Cette émancipation des personnes en matière de santé ne doit pas s’accompagner, et c’est aussi important de le souligner, d’un transfert de responsabilité, entre la responsabilité collective que nous avons tous de maintenir les solidarités en matière de santé, et les responsabilités individuelles que certains tentent de nous infliger au travers d’un certain nombre de leurs conseils. Et je sais que je peux compter sur l’intervention tout à l’heure de Christian Léonard , qui mieux que moi encore, vous permettra de mettre à jour et de discuter autour de ce risque de transfert de responsabilité entre l’éducation collective et la prise de risque individuel.
C’est bien dans cette vision renforcée de la solidarité que nous avons voulu développer la promotion de la santé. Cette promotion de la santé doit garder en tête cet objectif d’autant plus difficile aujourd’hui que nous devons naviguer entre la logique du marché et la volonté de risque zéro pour la santé, aussi perverses l’une que l’autre. Je tiens vraiment à attirer l’attention sur ces difficultés que nous avons en éducation pour la santé, de rester sur notre objectif, alors que le marché lui-même a aujourd’hui adopté le vocabulaire propre à la promotion de la santé.

Entrer en résistance

Pour nous renforcer dans notre volonté d’entrer en résistance, la revue Education Santé est un élément d’un ensemble beaucoup plus large, beaucoup plus complexe qui allie à la fois la revue en tant qu’objet symbolisant la volonté que nous avons de promouvoir ce type de comportement mais aussi l’implication active de nombreuses associations et des personnes qui les composent.
Et donc, si nous le faisons entre mutualités, avec les associations qui nous sont proches, et celles qui font partie des réseaux plus vastes en matière de santé qui luttent pour les mêmes valeurs, c’est bien parce que nous estimons que, pour promouvoir réellement la santé, il s’agit d’impliquer au quotidien les gens, d’impliquer les bénévoles et d’impliquer des logiques de réseau. Sans ces logiques de réseau, et sans ces bénévoles, nous aurions ce que j’appelle des actions de «surf» sur l’opinion public, des actions qui ne s’ancrent pas dans le temps, condition indispensable pour une véritable éducation pour la santé.
Je pense qu’il est vraiment essentiel qu’on se rappelle à l’occasion de cet anniversaire que c’est par ce type de comportement et par cette volonté renforcée de solidarité que nous pourrons vraiment apporter un mieux-être à la collectivité.
Alda Greoli , Directrice du Département socio-éducatif des Mutualités chrétiennes

La 200e d’Education Santé

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

J’ai découvert la revue au début de ma carrière politique en tant que députée fédérale et j’ai ainsi d’emblée fait connaissance avec la plume impertinente et positivement critique de son rédacteur en chef Christian De Bock .
Lorsque je suis devenue Ministre de la Santé du Gouvernement de la Communauté française, mon intérêt pour Education Santé a évidemment un peu changé de nature. Je suis donc contente et fière de l’investissement que la Communauté française fait dans cette revue spécialisée à l’intention des intervenants en médecine préventive et en promotion de la santé francophones que ce soit en Communauté française ou au delà.
Vous avez choisi de parler des enjeux éthiques en promotion de la santé et en santé publique pour alimenter vos réflexions.

A qui profite la promotion de la santé?

Permettez-moi d’utiliser le temps de parole qui m’est donné pour vous soumettre quelques réflexions et questions, qui s’inscrivent, me semble-t-il, dans le champ élargi de vos travaux de ce matin.
Je suis bien consciente d’alimenter un débat qui ne pourra être réouvert ici mais je suis sûre que dans d’autres lieux, sous d’autres formes, vous pourrez le reprendre.
Comme vous sans doute, je suis souvent perplexe en face de l’organisation de la santé dans notre état fédéral.
Et cette perplexité me pousse à poser la question fondamentale de la validité, de la pertinence, de l’intérêt de l’intervention politique en matière de santé publique lorsqu’elle émane d’une entité comme la Communauté française, dont les moyens financiers et le champ d’intervention sont limités. Question d’autant plus pertinente si l’esprit perplexe qui est le mien constate que in fine et dans l’absolu, les résultats des actions préventives et de promotion de la santé, entre guillemets, «profiteront» à d’autres niveaux de pouvoir.
Vous allez me dire, voilà un discours bien curieux dans la bouche d’une Ministre du Gouvernement de la Communauté française. Et pourtant, je pense que cette question doit être posée et que c’est le bon moment pour le faire.
Au sein de la Communauté française, la santé est une petite compétence, qui dispose d’un budget peu important comparé aux autres matières. Ce budget est de quelque 32 millions d’euros, dont la moitié est consacrée aux services PSE (1).
Avec un budget de 16 millions, la promotion de la santé et la médecine préventive sont vraiment les petits poucets de la Communauté française.
A titre de comparaison, le budget consacré à l’enseignement obligatoire est de quelques 4 000 millions d’euros sur un budget de la Communauté française qui pèse au total 7 000 millions.
Et si on le compare au budget des dépenses de l’INAMI, (17,3 milliards), le budget de la promotion de la santé et de la médecine préventive ne vaut pas même 1/1000e…

Des priorités renforcées

Le secteur de la santé en Communauté française souffre aussi d’un manque de reconnaissance et de visibilité, même si un certain nombre d’initiatives sont reconnues.
Le diagnostic que j’ai très vite établi, après avoir écouté un certain nombre de personnes de référence au sein du secteur, est la nécessité de définir un nombre limité de priorités de santé publique. Cette procédure de priorisation est en cours actuellement à travers les programmes opérationnels communautaires (les POC).
Les 6 priorités qui ont été retenues sont les suivantes:
-prévention cardiovasculaire;
-prévention des cancers;
-prévention du sida;
-prévention de la tuberculose;
-prévention des traumatismes;
-promotion de la vaccination.
Il faut ajouter à ces 6 priorités une 7e, les assuétudes, qui font l’objet d’une approche spécifique commune entre la Communauté française, la Région wallonne et la Cocof de la Région de Bruxelles-Capitale.

Il faut plus de transversalité

Outre cette priorisation, je trouve qu’il est important de sortir le secteur de son mode de fonctionnement et de subventionnement en enveloppes fermées spécifiques à la Communauté française. C’est pourquoi, il me semble nécessaire, même si cela est compliqué, d’inscrire nos démarches de santé publique dans des processus transversaux qui intègrent les différents niveaux de compétence.
Dans le cadre de deux projets de médecine préventive, cette articulation s’organise plus ou moins bien: je pense au dépistage du cancer du sein ou au programme de vaccination, pour lesquels un accord de coopération prévoit un financement conjoint par l’INAMI et les entités fédérées.
D’autres projets sont en cours, le processus est long et administrativement compliqué, mais il faut s’y attacher.
La transversalité doit également s’appliquer à la Gouvernance. Ainsi, en collaboration avec mes collègues du Gouvernement wallon, Christiane Vienne , et de l’Exécutif de la Cocof, Benoît Cerexhe , j’ai mis en place comme indiqué plus haut un groupe d’experts chargé de présenter un programme commun aux trois entités en matière de prévention et de prise en charge des problèmes d’assuétudes.
Plus spécifiquement, dans le cadre des compétences qui sont les miennes, je travaille aussi à la valorisation des transversalités entre les trois secteurs dont j’ai la responsabilité, à savoir l’enfance, l’aide à la jeunesse et la santé.
Ainsi, je travaille actuellement sur la communication du carnet de l’enfant de l’ONE au service PSE afin que les données de santé de l’enfant le suivent tout au long de son évolution.
Dans le cadre des projets de prévention en matière d’aide à la jeunesse, un certain nombre d’AMO s’inscrivent dans des projets de prévention transversaux où des promoteurs de projets santé travaillent ensemble avec des éducateurs et des enseignants en vue d’améliorer le bien-être des jeunes à l’école.
Et il faut aussi parler des collaborations transfrontalières qui permettent également de donner plus d’espace aux initiatives de la Communauté française.
Toutes ces actions transversales paraissent évidentes quand je vous les énonce ainsi, et pourtant je peux vous dire que cela n’est pas simple du tout, parce que, notamment au sein des secteurs de la Communauté française, et a fortiori dans les secteurs extérieurs à la Communauté, les modes de fonctionnement sont spécifiques et pas nécessairement compatibles. Des professionnels qui se côtoient, ce n’est pas la même chose que des professionnels qui travaillent ensemble au même projet!

Je faisais référence à la plume impertinente de Christian De Bock en début d’exposé, cela m’autorise à être un peu provocante pour terminer.
En effet, je voudrais profiter de ma présence parmi vous pour vous inviter à une réflexion sur les conditions de mise en place de partenariats privé-public.
Je sais que cette réflexion que j’ai déjà mise sur la table, en d’autres lieux, provoque sinon des réactions négatives, du moins des réflexions parmi vous.
Compte tenu des contraintes que j’ai évoquées voici quelques secondes, je pense que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de diaboliser et de rejeter d’emblée et à tout jamais ces collaborations potentielles.
Ces partenariats peuvent donner une autre dimension aux actions menées en Communauté française, ils peuvent être un soutien important au développement de projets, ils apportent un intérêt pour chacune des parties. Evidemment ce type de collaboration doit s’inscrire dans une valorisation de l’associatif dont les projets et actions précèdent bien souvent le politique et offrent une réponse concrète aux besoins des gens.
Les partenariats privé-public doivent effectivement être balisés afin qu’éthique et qualité restent les maîtres mots. C’est la raison pour laquelle j’en appelle à la réflexion et à l’ouverture. L’idée est lancée, l’intérêt du partenariat souligné, je suis ouverte aux propositions, aux idées!
Toutes ces réflexions sur la nécessité de repousser les limites de l’action politique en santé ont évidemment une dimension éthique importante. J’en appelle à la vigilance, mais aussi à la créativité et à l’imagination pour donner aux acteurs de la santé en Communauté française une réelle reconnaissance.
Catherine Fonck , Ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé
Intervention lue le 10 juin 2005 par Bernadette Lambrechts , chef de Cabinet de Catherine Fonck
(1) Voir C. De Bock et D. Lebailly, ‘Les dépenses de santé de la Communauté française en 2004’ , Education Santé n° 203, pp. 12 à 14.