Septembre 2024 Par Chantal VANDOORNE Réflexions

Où en est le concept « Ecoles promotrices de santé » ? Quelle a été son évolution au cours des deux dernières décennies ? A la suite du colloque scientifique international francophone « Promotion de la santé en milieu scolaire : actualité de la recherche et de l’innovation » organisé par l’Institut national du cancer (INCa), les 30 novembre et 1er décembre 2023 dernier. Education Santé avait publié deux volets en mars, voici le troisième pan. Une rétrospective sur l’expérience belge.

Chantal Vandoorne est collaboratrice scientifique à ESPRIst-ULiège et représentante de la Fédération wallonne de Promotion de la Santé à la Commission de la Promotion de la santé à l’école

En 1991, l’OMS, l’UNESCO et l’UNICEF sont les premiers à avoir approché le concept « Ecoles promotrices de santé » (alors appelé « Comprehensive School health education » puis, rapidement, « Ecoles en santé »), qui a depuis lors été adopté dans plus de 90 pays et territoires (1). Cependant, peu de pays l’ont mis en œuvre à grande échelle, et moins nombreux encore sont ceux qui ont revu leur système éducatif de sorte à y inclure la promotion de la santé.

Faut-il distinguer les initiatives « Ecoles promotrices de santé » (plus globales, systémiques, participatives et échelonnées dans le temps) et d’autres programmes ou projets diversifiés qui participent au vaste courant de la promotion de la santé en milieu scolaire ? Nous approfondirons ce questionnement en revisitant l’évolution des dispositifs et démarches de promotion de la santé en milieu scolaire au cours des 40 dernières années en Belgique francophone. Comment la Fédération Wallonie Bruxelles s’est-elle emparée du concept HPS (pour Health Promoting School en anglais) au cours de cette période et qu’en est-il à ce jour ?

Les fondements de l’approche

En 1989, Ian Young et Trefor Williams posaient les fondements de l’approche HPS, en organisant de manière structurée les différentes dimensions sur lesquelles agir pour que la vie à l’école soit porteuse de santé et d’apprentissages en santé (2). Les différents leviers étaient structurés en trois pôles :

  • les activités menées de manière explicite et structurée au sein du curriculum pédagogique ;
  • les caractéristiques de l’environnement scolaire qui influent sur la santé (l’organisation du temps et des espaces, l’environnement matériel, le contexte relationnel, les services de santé scolaire, etc.) ;
  • les autres milieux de vie qui entourent l’école (famille, quartier et communauté locale, milieux de loisirs).

En 1992, à Liège, le colloque « Apprendre et vivre la santé à l’école » s’était donné pour but de diffuser ce concept et de provoquer ainsi un élargissement des approches d’éducation à la santé pratiquées à cette époque (3). La Belgique a participé activement à la diffusion de cette démarche entre 1993 et 2003 : quelques dizaines d’écoles pilotes ont été accompagnées au sein du Réseau Européen des Ecoles en santé, sous la coordination d’une équipe de la Croix-Rouge (lire sur Ecole en Santé).

Des rencontres, des publications méthodologiques ont favorisé la diffusion des expériences menées par ces écoles. On y insistait particulièrement sur la réalisation par chaque établissement participant d’une analyse des besoins fondée sur le recueil des avis et des représentations des différents acteurs de la communauté scolaire, dont les élèves. Venait ensuite la nécessité de choisir des priorités d’action de façon négociée, de définir un plan d’action comprenant à la fois des apprentissages éducatifs et des actions favorables au bien-être. Ce plan d’action privilégiait une approche globale de la santé incluant une diversité de thèmes. Le tout était soutenu par la constitution d’une équipe de projet par établissement et faisait l’objet d’une évaluation au terme de trois années scolaires.

Pour favoriser la dissémination de la démarche des « Ecoles en santé », les autorités ont souhaité confier aux équipes de santé scolaire la mission de soutenir chacun de leurs établissements sous tutelle dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet santé. Le décret de 2001, qui réformait la médecine scolaire pour en faire des services PSEde « Promotion de la Santé à l’Ecole », a donc intégré dans leurs missions la mise en place de programmes de promotion de la santé et d’un environnement scolaire favorable à la santé. Les 20% de leur temps de travail attribués à cette mission ont été consacrés pendant deux ans à former les professionnels de ces services aux compétences nécessaires pour soutenir des démarches d’« Ecoles en santé ».

Quelques années plus tard, le constat a été posé d’une impossibilité pour les équipes PSE de consacrer le temps nécessaire pour accompagner chaque école dans un projet de santé spécifique, à la manière dont cela avait été réalisé dans le cadre du projet pilote « Ecoles en santé ». Les consignes de mise en application de cette mission d’accompagnement ont donc été revues et l’idée d’un « projet santé » par école fut abandonnée.

Dans le même temps, entre 1995 et 2010, se développaient des initiatives proches de la méthodologie des Ecoles en Santé, mais centrées sur une seule thématique. Les projets portant sur l’alimentation, par exemple « Je mange bien à l’école », « A table les cartables », « Les midis à l’école » intègrent, outre la phase de diagnostic partagé, des actions faisant participer les élèves à l’amélioration de leur environnement scolaire : cours de récréation, collations, repas. La prévention des assuétudes, elle, était fondée sur un travail d’accompagnement des équipes éducatives : passer au-delà des cas critiques observés dans l’école pour mettre en place des actions sur les déterminants collectifs des consommations et le vivre ensemble.

Des projets-pilotes à foison

Cette période consacre donc la mise en place d’approches par « setting » (ou milieux de vie) c’est-à-dire d’approches qui prennent en compte à la fois le contexte dans lequel vit une communauté éducative, les besoins ressentis par celle-ci et le développement de capacités propices à améliorer ce contexte. Toutes ces initiatives reposent sur la mise à disposition d’un accompagnement d’écoles volontaires dans le cadre d’un projet global soutenu par les autorités de l’enseignement, mais, le plus souvent, financé par les budgets de Promotion santé. La dissémination de ces expériences est fondée sur la diffusion de témoignages des écoles participantes, la formalisation et la diffusion d’outils et de démarches qui se sont révélés porteurs dans celles-ci.

Durant la même période , on voit aussi se diversifier les outils pédagogiques pour aller bien au-delà de simples brochures ou dépliants d’informations : se multiplient les mallettes pédagogiques proposant un ensemble cohérent de documents d’information à usage des formateurs ainsi que des outils et techniques d’animation sur un thème donné. La mallette de prévention du SIDA est une première en Belgique francophone.

L’éducation pour la santé s’ouvre à la confrontation des vécus, des valeurs, des représentations, au développement d’une approche positive de la santé et plus largement à la mise en action des compétences psycho-sociales et à la création de motivation pour une action collective sur le milieu de vie. La multiplication d’outils pédagogiques s’accompagne de la création du projet PIPSA : répertoire de supports, d’outils, de ressources qui sont évalués, en sus des éléments cités ci-avant, au regard de leur accessibilité, de leur potentiel de développement de pédagogies innovantes, participatives et ludiques, pour faire vivre concrètement les projets en prévention et promotion de la santé.

On développe aussi un projet-pilote d’implantation systématique et harmonisée d’animations EVRAS, dans certaines années du cursus primaire et secondaire, par une diversité d’acteurs extérieurs intervenant en concertation. A côté de ce foisonnement d’approches éducatives, on retrouve des initiatives émanant des autorités publiques qui incitent les établissements à créer des environnements soutenant l’adoption d’habitudes saines : des grilles de diagnostic, des modèles de cahier des charges pour négocier avec les restaurateurs des cantines, l’attribution d’un label « manger-bouger », etc.

Cette période est donc riche en diversification des stratégies d’éducation pour la santé et de promotion de la santé mises à disposition des établissements scolaires, jointes à une  professionnalisation des intervenants extérieurs pour ce faire : les acteurs de promotion de la santé introduisent des principes hérités du modèle des Ecoles en santé dans leur pratiques. Mais on n’assiste pas à un déploiement systématique, organisé et soutenu institutionnellement par les autorités de l’enseignement : les acteurs de promotion de la santé élaborent des propositions et les écoles se volontarisent pour accueillir ces initiatives, souvent de façon discontinue dans le temps. Ce sont souvent les mêmes établissements que l’on retrouve dans les projets-pilotes et l’on s’interroge sur l’accès à ces ressources pour les établissements qui accueillent les populations d’élèves les plus défavorisées.

Déploiement et institutionnalisation

A partir de 2007 se mettent en place des stratégies institutionnelles propices à favoriser un déploiement plus systématique dans l’ensemble des établissements scolaires.

  • L’organisation territoriale de l’accompagnement des établissements scolaires

Par l’intermédiaire de « points d’appui assuétudes » ou « EVRAS » , les centres locaux de promotion de la santé facilitent l’accès aux ressources humaines et pédagogiques aux acteurs scolaires. Ils valorisent et diffusent de bonnes pratiques locales, facilitent la mise en  réseau des opérateurs qui abordent une même thématique sur un même territoire. Certains observatoires provinciaux interviennent aussi en ce sens par leurs contacts privilégiés avec les autorité communales.

  • Les approches intersectorielles et multi-niveaux.

C’est le projet pilote baptisé « Cellules bien-être » qui a tenté de rendre la responsabilité aux établissements scolaires de définir sur le moyen terme leurs priorités en matière de bien-être et de santé et d’accroître la cohérence et la continuité entre les différentes initiatives en faveur du bien-être au sein de leur établissement. Par son abord transversal et son approche ascendante, ce projet pilote se rapprochait fortement des standards définis pour les Health Promoting Schools. Il prévoyait en outre des accompagnateurs issus de différents secteurs (éducation relative à l’environnement, promotion de la santé, éducation à la citoyenneté, aide à la jeunesse…) et des organes de concertation intersectoriels aux différents niveaux territoriaux (l’école, l’arrondissement, la FWB). Les politiques publiques développées au cours des années suivantes ont malheureusement peu capitalisé sur les apports très concrets de ce projet-pilote.

La diversification sectorielle, parente du concept de « Santé dans toutes les politiques », s’est accentuée depuis 2018 par des financements issus d’autres secteurs que la santé et l’enseignement. Ces apports influencent les déterminants de la santé  liés à la qualité de l’environnement scolaire : subvention pour les repas gratuits dans les écoles primaires et maternelles, accompagnement pour des cantines durables, financement du verdissement des cours de récréation, financement pour améliorer les infrastructures sanitaires…

  • Les cadres législatifs

Relevons, en 2006, la mise en place de l’interdiction de fumer dans les écoles, qui s’accompagnait de l’incitation à développer des pratiques de prévention du tabagisme. Ce décret a élargi le champ d’intervention des acteurs de prévention des assuétudes grâce au projet « Ecoles sans tabac ». Il ouvre aussi la possibilité d’un soutien à l’arrêt du tabagisme pour l’ensemble des membres de la communauté éducative.

Rappelons, en 2013, les décrets sectoriels et intersectoriels de la FWB, qui incitaient à une concertation entre les acteurs de l’enseignement, de la santé et de l’aide à la jeunesse en faveur du bien-être des jeunes à l’école, de l’accrochage scolaire, de la prévention des violences et de l’accompagnement des démarches d’orientation. Ce décret prévoit des organes et modalités de concertation intersectorielle aux trois niveaux : l’établissement, l’arrondissement et la FWB.

Rappelons très récemment, en 2023, l’accord de coopération EVRAS entre les autorités de la Communauté française (enseignement, jeunesse, aide à la jeunesse), de la région wallonne et la Cocof, pour généraliser les animations EVRAS dans certains niveaux scolaires sur base d’un référentiel commun.

Mais, surtout, évoquons le Pacte pour un Enseignement d’excellence. Des préoccupations pour la santé et le bien-être y ont été introduites de diverses manières : d’un côté dans les curricula (référentiels d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté, référentiels d’éducation physique et à la santé) et de l’autre dans les plans de pilotage, ceux-ci étant présenté comme un instrument pour soutenir la dynamique collective dans les écoles. Parmi les objectifs d’amélioration du système scolaire, on retrouve « Accroître les indices du bien-être et améliorer le climat scolaire ». Cependant pour réaliser cet objectif et disposer de moyens dédiés, les établissements doivent s’inscrire dans des programmes-cadres ou des appels à projets qui restent largement thématiques : climat scolaire et cyberharcèlement, prévention des assuétudes, gestes qui sauvent, alimentation saine, démocratie scolaire et activités citoyennes…

Que conclure de cette rétrospective ?

En Fédération Wallonie Bruxelles, nous avons développé au fil des années un ensemble de compétences, de ressources et même de cadres législatifs qui permettraient de déployer des Ecoles promotrices de santé selon les standards internationaux (4, 5). Cependant les politiques de financement et de soutien restent fragmentées soit entre secteurs et entités institutionnelles, soit au sein même de l’administration de l’enseignement, faisant porter le poids de la nécessaire cohérence sur les acteurs scolaires de première ligne. Des avancées devraient encore être réalisées pour soutenir les acteurs scolaires et leurs partenaires dans le développement d’un projet multi-facettes, transversal aux problématiques de santé physique, mentale et sociale. Ce projet s’inscrirait dans le temps long et serait spécifique au contexte de chaque établissement. Ce soutien passe non seulement par la mise à disposition d’un accompagnement et de ressources adéquates, mais surtout par du temps dédié pour la communauté éducative, garante de la cohérence et de la continuité des actions qui préservent et développent le bien-être et la santé.

Cet article a été élaboré sur la base des archives disponibles dans le service ESPRIst-ULiège (anciennement APES-ULiège), de la consultation du site enseignement.be et des archives de la revue Education santé. Il se peut que certaines initiatives particulièrement intéressantes aient échappé à l’autrice. Que les acteurs concernés veuillent bien l’en excuser et les lui signaler.

Références

(1) L’UNESO et l’OMS encouragent les Etats à faire de chaque école un lieu de promotion de la santé

(2) Young, I. & Williams, T. (1989). The Healthy School. Scottish Health Education Group/WHO regional office for Europe.

(3) Vandoorne, C. (1992). Quelles stratégies développer pour permettre à l’enfant de vivre la santé à l’école ? In G. Reginster-Haneuse, D. Leclercq, M. Demarteau (Eds.), Apprendre et vivre la santé à l’école – Tome I</em> (pp. 145-169). Liège, Belgium: Ecole de Santé Publique – Université de Liège. Consultable en ligne

(4) Simar C, Darlington E, Bernard S, Berger D.Promouvoir la santé à l’école : enjeux et perspectives scientifiques. Administration & Éducation. 2018;157(1):143-50.

(5) World Health Organization and the United Nations Educational. Making every school a health-promoting school: global standards and indicators for health-promoting schools and systems