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Une (belle) histoire d’armoire

Le 30 Déc 20

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Ca y est, je m’installe dans mon nouvel appartement !
De l’espace, de l’espace… bien plus d’espace que dans le placard à balais qui me tenait lieu de logement jusque-là. Pour commencer, je veux une GRANDE armoire pour ranger mes vêtements. Avant, je devais tout entasser dans une minuscule commode, adaptée à la taille du susmentionné placard à balais.

Comme j’aime bricoler, eh bien j’ai décidé de la construire moi-même, cette armoire. Je commence par m’acheter le manuel ‘Je construis mon armoire’, avec tous les trucs et astuces: choix du bois, quels clous utiliser, les meilleurs gonds, comment raboter une planche, etc. Et puis, je me suis offert une magnifique et très (très) chère boîte à outils. L’investissement indispensable !

Je fais toutes les acquisitions nécessaires, et me voilà à pied d’œuvre, au milieu de cette montagne de matériel. Je m’empare d’une scie pour couper la planche, et…
Mon projet, ici, est de construire une armoire. Et si je construis cette armoire, c’est avec pour objectifs finaux d’embellir mon lieu de vie et de ranger mes effets.

Je vais passer par différentes étapes pour réaliser ce projet, et je vais utiliser des outils (scie, marteau, etc.). Mon projet n’est donc pas d’utiliser un marteau (par exemple): c’est de construire l’armoire.
Avec les outils pédagogiques en promotion de la santé (vous savez, ceux qui sont répertoriés sur www.pipsa.be), c’est exactement la même chose! Ces outils pédagogiques sont là pour soutenir la réalisation des projets en promotion de la santé, mais ne sont pas le projet en lui-même.

Des outils pas comme les autres

«La spécificité de l’outil de promotion de la santé, par rapport à un autre outil, est sa capacité à stimuler l’une des 5 stratégies recommandées par la Charte d’Ottawa. Il envisage ensuite une variété de facteurs de risque et de déterminants de santé, préférant l’approche globale de la santé à l’approche thématique. De plus, les aptitudes individuelles qui y sont travaillées permettent la mise en place d’actions qui dépassent l’individu et initient une action sur l’environnement naturel ou humain.» (1)

Mes amis Paulin et Paulette Tartempion déménagent à leur tour. Eux aussi quittent un placard à balais pour un grand appartement. Chouette, je vais leur construire une armoire, que je leur offrirai pour leur pendaison de crémaillère ! Maintenant que je sais en fabriquer !
Une armoire faite main, un cadeau précieux, original, qui demande du temps et de la patience: ils ne peuvent qu’adorer.

Je prends subrepticement les mesures de leur appartement. J’apprends (par le neveu du beau-frère du nouveau copain de la cousine de la mère de Paulin, via un réseau social) qu’ils aiment le bois foncé. Je me mets au travail et le matin de leur crémaillère – tadaaaam : je viens leur livrer une armoire faite sur mesure de mes blanches mains. Elle sera en place d’honneur dans leur salon.

Paulette me remercie, peut-être pas aussi chaleureusement que je l’attendais. Sans doute est-elle fatiguée par le déménagement (oui, c’est fatiguant, un déménagement).
Le soir, à la fête, point d’armoire dans leur appartement. Paulin me glisse avec un grand sourire que l’armoire est parfaite pour la cave : il y a rangé toutes les affaires de camping. Dans le salon, je vois une armoire OKkaa, le modèle «Øpodøkö»… Un truc en bois clair, pas du tout personnalisé, qui serait parfait pour le matériel de camping dans la cave.

Grumuuul !

Ginette me raconte que Paulette, pour la date de la crémaillère, s’était donné comme défi de monter sa première armoire OKkaa et qu’elle est super fière d’y être arrivée seule… «C’est vrai qu’elle n’est pas douée pour le bricolage, la pauvre.» Elle s’est acheté le «kit du débutant» chez OKkaa, une mini-boîte à outil, ainsi que le manuel J’apprends à monter des meubles OKkaa.

Ginette me précise que j’ai bien de la chance : «Moi, j’ai construit une table basse à mes voisins l’hiver passé. Ils l’ont brûlée illico presto. L’hiver était froid, et le gaz de chauffage cher, disaient-ils. Ma belle table basse, ils ne savent pas ce qui est bon pour eux!»

Je ne vous l’ai pas dit, mais figurez-vous que je travaille dans le secteur de la santé. Oui, dans la promotion de la santé même. Et j’utilise des outils pédagogiques, assez souvent! Toute cette histoire, ça m’a interpellée.
Quoi, avec mes beaux outils, j’ai construit une belle armoire pour les Tartempion. Et ils n’en font pas la pièce maîtresse de l’ameublement de leur salon ! Mon beau projet pour eux tombe à l’eau.

En fait, Paulette ne voulait pas une belle armoire dans son salon. Elle voulait une armoire qu’elle avait construite elle-même, même si (à mon avis), elle est moins belle.
Ceci dit, après, Paulette a repeint l’armoire avec une patine superbe, et elle l’a ornée avec des poèmes qu’elle a écrits, moi qui n’ai aucun sens littéraire, ça m’a épatée, j’aurais été incapable d’écrire d’aussi beaux textes.

Et si c’était comme ça, avec nos outils et nos projets en promotion de la santé ?
Admettons que Paulette ne sache pas bricoler en raison d’une inégalité sociale: dans sa famille, il est impensable qu’une femme touche un marteau et bricole, car c’est un rôle d’homme.
Ou encore : elle a toujours voulu, mais dans son entourage, personne ne sait et comme sa famille était isolée, elle n’a pas eu de personnes ressources auprès desquelles apprendre.
Ou encore : en raison de problèmes financiers, elle n’a jamais pu s’acheter le matériel nécessaire pour bricoler (et depuis tout ce temps, elle rangeait ses affaires dans des boîtes en carton).

Dans ce cas, ma manière de procéder était-elle adaptée ? Si j’avais décidé de construire l’armoire avec elle, est-ce que ça allait permettre de lutter contre les raisons qui l’on empêchée jusqu’ici de construire une armoire ? Est-ce que ma boîte à outils (de compétition) allait convenir ?

Des questionnements

Toutes ces réflexions m’ont amenée aux questionnements suivants.
Avant d’utiliser l’outil : quel est mon projet ? Quels sont mes objectifs ?
En ce moment, en équipe on réfléchit beaucoup aux ISS (« Inégalités sociales de santé »). Alors du coup, je me demande aussi : en quoi mon projet permet-il de lutter contre les ISS ? (pour réfléchir à ça, avec l’équipe, on a trouvé un outil indispensable : la Lentille ISS (2). Au fond, c’est quoi les inégalités sociales de santé ?

Les inégalités sociales de santé (ISS) et un nouvel outil pour les aborder

Il n’existe pas d’unanimité quant à la définition des inégalités sociales de santé. On s’entend, toutefois, pour dire qu’elles renvoient à toute relation entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale. Les études sont concluantes : qu’il s’agisse de morbidité, d’espérance de vie ou de qualité de vie, il existe une corrélation entre l’état de santé d’un individu et divers indicateurs de position sociale: revenu, niveau d’instruction, profession, lieu de résidence. (3)

La scie pour les réduire ou le marteau pour mieux les fixer ?

Les fiches Inégalités sociales de santé sont le fruit de nos réflexions, ainsi que des ateliers menés lors de la journée des 10 ans de PIPSa. À destination des personnes amenées à effectuer des animations sur des thèmes «santé», elles proposent des axes de réflexion et des pistes pour travailler en promotion de la sante en tenant compte des ISS.

La première précise le cadre de travail, les notions-clés, les questions que le professionnel a avantage à se poser, et s’intéresse également aux représentations de santé, à la ‘littéracie’, à l’‘empowerment’ et aux compétences psychosociales qui ‘nous protègent des échecs et de l’adversité’ (auteure de la fiche : Muriel Durant , avec l’aide de l’asbl Cultures & Santé).

La seconde aborde la thématique ultra-prioritaire de l’alimentation, déterminant majeur de la mauvaise santé des populations défavorisées (auteure de la fiche : Catherine Spièce, avec l’aide de l’asbl Cultures & Santé).
Ces fiches sont disponibles sur https://www.pipsa.be, avec l’ensemble des actes de la journée des 10 ans de PIPsa sous l’adresse: https://www.pipsa.be/page/les-publications-de-pipsa.html

Et maintenant ?

Je repars avec beaucoup de questions. Et surtout la conviction que la réflexion, c’est important! Qu’avant de foncer, tête baissée, mue par les meilleures intentions du monde, un temps de questionnement est nécessaire. Prendre en compte mon public, ses besoins, ses demandes… et pas ce que j’imagine être bien pour eux, en regard de mes représentations personnelles.
En route !

Muriel Durant , chargée de projets, pour l’équipe promotion de la santé de la Mutualité Socialiste-Solidaris

(1) Spièce Catherine, «Quels outils en promotion de la santé?», in: Éducation Santé , n°210, mars 2006. https://www.educationsante.be/es/article.php]id=731
(2) https://www.inegalitesdesante.be . Voir aussi Bantuelle Martine et Lisoir Hervé, « Un nouvel outil pour ne plus passer à côté des inégalités sociales de santé », in: Éducation Santé , n° 275, février 2012. https://www.educationsante.be/es/article.php?id=1448
(3) Réseau de recherche en santé des populations du Québec ( https://www.santepop.qc.ca )

Alcool en milieu étudiant : l’UCL analyse et agit

Le 30 Déc 20

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En 1432, l’autorité civile, représentée par le Chancelier du Duc de Brabant, se plaint vivement auprès du Recteur de l’Université de Louvain «des nombreux abus commis par les étudiants: ceux-ci s’adonnent à la boisson et parcourent les rues pendant la nuit, faisant du tapage et molestant les habitants» .
La consommation d’alcool en milieu étudiant ne date pas d’hier. Ceci dit, avant d’agir, il s’agit de connaître, dans le détail, la situation sur le terrain. L’UCL a ainsi diligenté 8 études parallèles sur le sujet et interrogé près de 7000 étudiants. L’objectif? Approfondir la connaissance et la compréhension de la consommation d’alcool parmi les étudiants afin d’affiner les actions existantes et de mettre en place de nouvelles mesures concrètes de sensibilisation. Une manière de balayer les idées reçues et d’enrayer les conséquences, souvent néfastes, d’une consommation d’alcool exagérée.

8 études de terrain

En 2009, huit mémorants de l’UCL ont mené, sous la houlette de Vincent Lorant, professeur à l’Institut de recherche santé et société de l’UCL, 8 études visant à connaître l’ampleur de la consommation d’alcool chez les étudiants de l’UCL, déterminer les conséquences de cette consommation d’alcool, identifier les facteurs de risque liés à cette consommation et mettre en place des mesures de conscientisation ciblées.
Ils ont, pour ce faire, interrogé 6992 étudiants, via le web, sur base volontaire et via un questionnaire précis. L’ensemble des données récoltées ont ensuite été minutieusement analysées, par l’équipe du professeur Lorant, les acteurs de terrain (Univers santé, le Service d’aide aux étudiants et le service des logements de l’UCL) ainsi que par le Vice-recteur aux affaires étudiantes, Didier Lambert .
Profil du consommateur d’alcool

Sur les 6992 étudiants interrogés, un peu plus d’1 étudiant sur 8 boit au moins 4 fois par semaine, avec une consommation de 11 verres hebdomadaires. 1 étudiant sur 4 pratique le binge drinking 1 fois par semaine. Ceux qui habitent à Louvain-la-Neuve boivent davantage que ceux qui résident chez leurs parents. Celui qui boit le plus? Un étudiant de sexe masculin, âgé de 18 à 20 ans, résidant en kot et participant activement au folklore étudiant.
Enfin, la consommation d’alcool est la plus forte entre le Bac 1 et le Bac 2, elle diminue ensuite.
Impact d’une forte consommation d’alcool sur la santé des étudiants

Premier constat, la majorité des étudiants interrogés ( 8 sur 10 ) ne mentionne aucune conséquence négative consécutive à une forte consommation d’alcool . Lorsqu’il y en a, elles concernent principalement le travail de l’étudiant (66% ont été amenés à brosser un cours, 37% se sentaient incapables d’étudier à cause de l’alcool) ou des relations sexuelles non protégées ou regrettées (10 à 12%).
Deuxième constat, l’impact néfaste du binge drinking sur la santé. Pierre Maurage , professeur UCL, a établi que ce mode de consommation extrême provoque des dommages durables sur certaines cellules cérébrales. À consommation égale, ces conséquences cérébrales sont beaucoup plus importantes chez les binge drinkers que chez les buveurs quotidiens ayant une forte consommation d’alcool.
Troisième constat, l’étude révèle une corrélation significative et négative entre consommation d’alcool et performances académiques: plus la consommation d’alcool augmente, plus les performances académiques sont faibles (grade académique final). Le lien le plus fort est observé entre la fréquence du binge drinking et l’échec en fin d’année académique.
Alcool = bon moyen de socialisation pour les étudiants

Les étudiants associent davantage la consommation d’alcool à des effets positifs plutôt que négatifs. Selon eux, elle renforce la socialisation et la relaxation.
Boire pour être dans la norme

Parmi les résultats inédits de cette enquête, il faut noter une exagération de la perception que les étudiants ont de la consommation d’alcool de leurs congénères. Avec pour conséquence une tendance à boire plus, pour «faire comme les autres». Concrètement, les étudiants surestiment systématiquement la consommation des autres: de 2 verres par jour chez les garçons et de 3 chez les filles.
État des lieux

L’UCL a publié récemment une brochure de synthèse des données récoltées en son sein sur cette problématique depuis deux ou trois ans.
‘L’alcool en milieu étudiant – études, actions et perspectives’ propose en quarante pages des informations précises sur la consommation d’alcool par les étudiants (ampleur et profil de la consommation, conséquences, facteurs de risque sociaux, alcool et institution universitaire). Le cadre académique et les actions éducatives entreprises pour gérer cette question sont également abordées, sans oublier de donner la parole aux premiers concernés, les étudiants eux-mêmes.
Ce document est issu d’un partenariat entre le Vice-rectorat aux affaires étudiantes, le Service des logements, le Service d’aide et Univers santé. Il peut être obtenu sur simple demande à Univers santé, Place Galilée 6, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 28 28. Courriel: univers-sante@uclouvain.be. Internet: https://www.univers-sante.be . La brochure y est téléchargeable (1,4 Mb).

Autre indication, le réseau social a une influence sur la consommation d’alcool. L’enquête indique une plus grande consommation d’alcool chez les étudiants ingénieurs qu’en psycho. Deux facteurs permettent d’expliquer ce constat: les ingénieurs rassemblent un public majoritairement masculin (82%) tandis que la psycho attire 90% de filles. Egalement, les cours pratiques sont plus nombreux en ingénieur (ce qui favorise les liens sociaux), contre une majorité de cours en grands auditoires en psycho. Conclusion: plus l’auditoire est grand (donc avec peu de contacts sociaux) et majoritairement féminin (norme plus stricte en matière de consommation d’alcool), moins la consommation sera importante. À l’inverse, avec un public à forte tendance masculine et des liens sociaux étroits, la consommation d’alcool sera élevée.
Les pré-soirées accentuent la consommation d’alcool

Les pré-soirées constituent un phénomène nouveau: elles attirent surtout les jeunes étudiants (18 à 21 ans), avec pour objectif la convivialité et la socialisation. Elles permettent également d’atteindre les conditions mentales requises pour participer aux soirées, davantage perçues comme des lieux de défoulement. L’imprégnation qui résulte de ces pré-soirées explique les dérives qui peuvent avoir lieu en soirées.
Vie en kot, consommation plus importante

Les étudiants kotteurs (64%) développent une consommation moyenne d’alcool beaucoup plus élevée que ceux qui résident chez leurs parents (a fortiori s’ils sont rattachés à un cercle ou une régionale). La raison? Une vie sociale hyper développée, la fréquence des pré-soirées et des normes très permissives en termes de consommation puisqu’elles sont établies par le groupe lui-même. Autre constat: la consommation moyenne croît avec le nombre de cokoteurs.
Impact de l’alcool sur les nuisances urbaines

Contrairement aux idées reçues, il n’y pas plus de plaintes pour nuisances à Louvain-la-Neuve qu’ailleurs en Belgique. Plus étonnant encore, les plaintes proviennent principalement des étudiants eux-mêmes, dérangés par leurs congénères fêtards et non pas des habitants.
Mesures mises en place par l’UCL

Depuis de nombreuses années, l’UCL met en place diverses mesures de prévention pour éviter les excès liés à l’abus d’alcool: formations, campagnes de sensibilisation, groupes de discussion entre autorités et étudiants ou sanctions.
Mesures actuelles

Les formations augmentent chaque année, suite aux demandes croissantes des étudiants. L’ensemble des responsables de l’animation (cercles, régionales, kots à projet) reçoivent, en début d’année, une formation obligatoire de 2 jours. Une 2e formation de « rappel » est organisée en janvier. Elles visent à rappeler les lois, règlements communaux et chartes internes à l’UCL en vigueur. Elles donnent aussi les outils nécessaires à la bonne organisation des activités: gestion d’équipe, gestion de conflits ou d’accidents…
Une nouvelle formation voit le jour cette année, à l’attention des responsables de baptêmes. Elle a pour objectif de bien préciser avec les étudiants le cadre dans lequel l’organisation des baptêmes permet d’atteindre ses objectifs d’accueil et d’initiation des jeunes: rappel du cadre, du protocole, des conditions pour une fête moins risquée. Des outils en matière de santé et de gestion des relations seront diligentés.
Deux nouveaux outils d’information et de prévention

Il s’agit de supports visant à sensibiliser et responsabiliser les jeunes et les adultes qui les entourent quant à leur consommation d’alcool. Ils ont été réalisés dans le cadre d’un projet d’iDA asbl (information sur les drogues et l’alcool), coordonné par la FEDITO Bruxelles, en collaboration avec Univers santé et avec le soutien du Fonds fédéral de lutte contre les assuétudes.
En lien avec les objectifs du Fonds, ce projet vise à rappeler la législation en vigueur en matière de vente d’alcool et à soutenir les professionnels chargés de l’appliquer. Depuis le 10 décembre 2009, en effet, toute vente d’alcool est interdite aux moins de 16 ans et celle d’alcools forts aux moins de 18 ans.
Cette information sur le cadre légal en vigueur constitue aussi une opportunité de rappeler qu’il n’est pas nécessaire de boire pour s’amuser et faire la fête. Et lorsqu’on choisit de boire, on peut aussi bien réussir sa soirée (ou ne pas la rater…) en consommant de manière responsable. C’est pourquoi dispenser des conseils visant à réduire les risques en cas de consommation d’alcool fait également partie des objectifs de ce projet.
‘ L’effectomètre . Alcool ou pas : comment réussir sa soirée ? ’ : il s’agit de l’adaptation d’une brochure développée à l’origine dans le cadre de la campagne ‘Top gars’, destinée aux étudiants de l’UCL. Cette réédition vise à toucher un public plus large (notamment plus jeune) dans d’autres contextes que les fêtes estudiantines. Utilisé avec un animateur ou un enseignant, cet ‘effectomètre’ constitue un outil didactique adapté pour aborder la question de l’alcool, le cadre légal, la gradation des risques en fonction de la consommation, les limites, etc.
‘ Ne commençons pas trop tôt’ : cette affiche est destinée avant tout à rappeler la législation en vigueur et à aider les commerçants et les responsables de débits de boisson à mieux l’appréhender.
Bien entendu, ces outils ne suffiront pas à eux seuls à prévenir des consommations inappropriées chez certains jeunes, mais ils pourront contribuer à informer, responsabiliser et à mieux faire prendre conscience des limites et des risques liés à ces consommations.
Pour obtenir ces documents : info@ida-fr.be ou 02 514 12 60.

Tout au long de l’année, la formation «Vas’y pro» propose des modules tels que le Brevet européen de premiers secours (BEPS), la gestion d’événement, la communication non violente, etc.
Campagnes outils de sensibilisation : l’action «vivre ensemble» vise à instaurer une meilleure communication au sein des kots; des affiches sont apposées dans les cercles pour informer et sensibiliser les étudiants sur les conséquences de l’abus d’alcool; Univers santé met à disposition de tous des fiches info santé; enfin, la campagne «Top gars» incite les guindailleurs à être responsables.
Charte Aune (Animation UNiversitaire Étudiante): cette charte lie les représentants de l’animation étudiante aux autorités de l’UCL et vise à maintenir une animation de qualité, favorisant l’organisation d’activités diversifiées, accessibles à tous. Elle fixe les horaires et les dates des activités, précise les modalités relatives à la mise en conformité de sécurité des salles et règlemente l’organisation de toutes activités extraordinaires.
Protocole et commission des baptêmes : le protocole définit les principes et règles afin de garantir un baptême décent. La commission est chargée d’examiner les programmes de baptêmes.
Logements UCL : lors de la rénovation ou de la construction de nouveaux kots, l’UCL diminue le nombre de lits au sein d’un même kot (de 12 places, les kots communautaires sont aujourd’hui passés à 4 ou 6 lits maximum).
Gardiennage UCL : l’université organise des rondes de surveillance lors de chaque activité étudiante, dans un souci de prévention.
Sanctions : elles sont de deux types: individuelles et collectives. Au niveau individuel, cela va du simple avertissement à l’exclusion (lorsqu’il y a violence, dégradation, etc.); au niveau collectif, cela va du simple avertissement à l’amende ou la fermeture d’un cercle (non-respect de la charte Aune, etc.).
Pistes possibles

Pour que ces pistes fonctionnent, il est primordial de développer une stratégie globale et cohérente, avec l’ensemble des acteurs: UCL, Ville, étudiants, milieu académique, commerçants, autorités publiques, enseignement secondaire, etc. En voici quelques-unes:
-réduire le rôle de l’alcool dans la socialisation ou la détente par des moyens alternatifs ;
– agir sur les effets des réseaux sociaux , notamment via les personnages centraux ayant une influence sur les autres;
– influencer les normes , via des réglementations et/ou une meilleure information sur la consommation réelle d’un étudiant moyen. Une solution, qui existe déjà aux États-Unis, serait la création d’un site web permettant à l’étudiant d’encoder sa consommation d’alcool afin de se situer par rapport à la norme . Un tel site contribue également à rappeler les risques liés à la consommation de l’internaute et les solutions pour y remédier ou diminuer cette consommation;
-jouer sur la disponibilité de l’alcool, soit restreindre son accès à tous;
-instaurer une meilleure communication au sein du milieu étudiant afin de diminuer les nuisances urbaines: conscientiser les étudiants sur l’impact de leurs attitudes festives sur leurs semblables.
Les autorités de l’UCL comptent réactualiser les données de l’étude tous les trois ans afin d’adapter les mesures de sensibilisation à la réalité du terrain.

Cantine ou street food?

Le 30 Déc 20

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Dans les pays riches comme dans les pays pauvres, on mange de plus en plus à l’extérieur de chez soi. Une évolution qui n’est pas anodine en termes de santé publique. Et un enjeu à l’échelle mondiale.
Point n’est besoin de rappeler les ravages de la malbouffe, de l’obésité et des maladies chroniques qui en sont le corollaire. Si on considère l’évolution de ces facteurs au cours du temps, on constate qu’un changement majeur est intervenu ces dernières décennies: nous avons pris l’habitude de manger en dehors de chez nous.
Il y a moins de 50 ans, parents et enfants rentraient «manger chaud» à midi, une habitude qui s’est progressivement effritée sous les exigences du monde du travail… et de l’émancipation des femmes, qui n’ont plus souhaité attendre dans leur cuisine que leur héros vienne se restaurer dans la douce chaleur du logis.

Le monde mange dehors

C’est cette évolution que questionne le chercheur Carl Lachat , de l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers qui vient de défendre une thèse sur ce sujet à l’Université de Gand. Car il n’y a pas que dans nos pays occidentaux que cette habitude s’est implantée: partout dans le monde, on a assisté ces quelque 30 dernières années à des modifications radicales dans le style de vie des populations. Des facteurs démographiques comme l’urbanisation galopante et le travail des femmes ont été les déclencheurs de cette évolution. Or, affirme Carl Lachat, cette offre globale de nourriture extérieure pèse lourd dans le bilan de la nutrition des populations humaines; elle est en effet plus énergétique, plus grasse et contient moins de micronutriments. Bref, en moyenne, on mange mal, et sur tous les continents.
En Belgique, un tiers de la population consomme plus de 25% de ses apports nutritionnels à l’extérieur, et les chiffres sont bien plus élevés encore dans d’autres parties du monde. C’est préoccupant, affirme le chercheur, parce que cette consommation énergétique est de piètre qualité: les portions sont trop grosses; la densité énergétique est plus élevée que dans une cuisine «maison»; le gras, le sucré et le salé sont omniprésents; on ne sait pas toujours exactement ce qu’on mange; et dans beaucoup de cas, on n’a guère le choix. Enfin, il ne faudrait pas non plus oublier, dans ce bilan, l’importance des boissons: le règne de la canette de soda sucré est désormais mondial, ce qui n’est certainement pas sans conséquences non plus…
Bien sûr, dans les pays riches, on observe depuis quelques années un regain d’intérêt pour une alimentation saine et équilibrée; un certain nombre d’enseignes de restauration basent même tout leur business sur cette tendance. Mais il n’en reste pas moins vrai que, selon de nombreuses études, manger régulièrement au dehors est clairement associé à une augmentation de l’obésité et de son cortège de complications. Pour le chercheur anversois, il y a donc clairement là un enjeu de taille pour les autorités de santé, voire un levier potentiel pour améliorer l’état de santé des populations du globe.
Il y a «dehors» et «dehors»

Dans les lieux de restauration extérieurs au domicile, le chercheur distingue deux catégories: les commerciaux et les collectifs. Les commerciaux s’adressent aux consommateurs qui ne sont pas organisés en communautés et pour qui il est donc plus difficile d’imposer à leur fournisseur des critères de qualité. Ce sont les petits marchands de sandwiches, pittas, frites ou autres spécialités locales (selon les latitudes), qui ouvrent de petites boutiques dans les villes ou plantent leurs échoppes le long de la voie publique; les franchisés de grandes enseignes que l’on trouve dans les centres urbains et les lieux publics tels que gares, aéroports, stations services, etc.; les distributeurs automatiques de plus en plus présents dans le paysage urbain, et bien sûr les «vrais» restaurants.
Quant aux collectifs, ils regroupent les cantines d’entreprise, d’écoles, d’hôpitaux, de l’armée, etc. Parmi ceux-ci on distingue les cantines appartenant à l’institution où elles sont installées, et les cantines contractuelles, dépendant d’une grande organisation de catering .
Le Belge et sa cantine

Selon les pays considérés, les habitudes vont plus dans le sens de l’une ou l’autre forme de restauration. Chez nous, les cantines tiennent le haut du pavé. Il y en a de toutes sortes et dans la moyenne, elles ne sont pas franchement mauvaises, mais il y a quand même des possibilités d’améliorer la situation. Carl Lachat a ainsi observé que dans une cantine universitaire, seule une minorité des combinaisons parmi les repas possibles rencontrent les recommandations de qualité d’un bon repas chaud. « La moitié des pays européens n’ont pas de législation relative à la fourniture de restauration collective , et quand il en existe une , elle ne fait guère l’objet de contrôles », dénonce le chercheur dans sa thèse. Mais il précise aussitôt: « Ce n’est pas tant en légiférant qu’on arrive à améliorer la qualité des repas fournis , mais plutôt en sensibilisant tous les acteurs . Certains exemples scandinaves ou britanniques sont très convaincants .»
Certes, il reconnaît volontiers que le secteur de la restauration collective d’entreprise, chez nous, a fait des efforts considérables pour arriver à fournir chaque jour à un très grand nombre de convives une nourriture de qualité pour un prix abordable. Mais on parle là d’un certain niveau de restauration. « Ce sont les options plus bas de gamme qui sont plus inquiétantes », précise-t-il.
Street food

Dans beaucoup de pays émergents, la restauration collective est loin d’atteindre le niveau qu’elle a chez nous. La fourniture de la nourriture de base, notamment la restauration de rue, provient essentiellement d’une multitude de petits commerçants, un secteur très difficile à contrôler. L’enjeu est donc colossal dans ces pays, et certains s’y sont déjà attelés avec beaucoup de clairvoyance. Par exemple, en Corée, où les chiffres de diabète et d’hypertension artérielle décollent en flèche, une politique de prévention efficace a été mise en place. Une des stratégies a été de contrer la marée de la junk food en réhabilitant la cuisine traditionnelle dont on a renforcé l’image positive. « En Belgique aussi , on observe une nouvelle vague d’intérêt pour les légumes oubliés et la redécouverte de certains plats d’antan . Je pense que c’est une piste intéressante pour la promotion d’une cuisine saine et équilibrée », remarque Carl Lachat.
Le chercheur observe également avec intérêt certaines initiatives dans d’autres pays en développement. En Chine notamment, ou encore au Vietnam.
Pour sa thèse, il y a étudié les évolutions dans la manière de s’alimenter des jeunes Vietnamiens. Dans ce pays, la nourriture préparée et vendue à l’extérieur des foyers familiaux fournit aux adolescents 42% des fruits et légumes, 23% des apports en sel, 21% de l’énergie, des vitamines, du fer et du zinc. Le fait de manger en dehors de chez eux leur apporte donc d’indéniables bénéfices… mais augmente aussi insidieusement la ration calorique et la quantité de sucre. Les ados sont tiraillés entre fidélité à la tradition et attirance pour un mode de vie plus occidental: ceux qui mangent à l’extérieur invoquent le plaisir, la variété de choix, le fait d’être avec les copains, tandis que ceux qui fuient cette habitude disent craindre le manque d’hygiène et le mauvais équilibre nutritionnel des repas pris à l’extérieur. « C’est dans un tel contexte de pays en plein développement qu’on devrait être attentif à la qualité des repas pris en dehors si on veut protéger la santé des nouvelles générations », affirme Carl Lachat.
Balayer dans sa propre cuisine…

Mais s’il prône avec autant de ferveur le retour aux cuisines traditionnelles là-bas comme ici, est-il donc tellement convaincu que, dans le secret de sa cuisine, le Belge ne se mitonne que des petits plats bien équilibrés? « Non , j’avoue que je suis assez sceptique par rapport aux talents culinaires des Belges , répond-il en riant. Quand on voit à quelle vitesse le marché des plats tout préparés prend de l’extension , je crains que nous ne nous dirigions vers une civilisation du ‘ manger dehors’ même chez soi ! Ce qui n’est pas du tout rassurant !»
L’évolution sociologique en cours est probablement irréversible: elle va de pair avec la mondialisation. Les êtres humains cuisineront sans doute de moins en moins eux-mêmes et sous-traiteront probablement de plus en plus leur nourriture à l’extérieur. Cela se voit d’ailleurs très clairement chez nous avec les jeunes générations. Si nous voulons préserver leur santé à venir – quel que soit le continent où nous vivons – il est donc temps de nous intéresser à cet aspect du problème.
Karin Rondia
Article publié initialement dans Équilibre n°65, février 2012, et reproduit avec son aimable autorisation

Interdire ou organiser la prostitution ? – Deuxième partie. Le débat ‘abolition’ ou ‘gestion’. Quels sont les courants de pensée qui s’affrontent ?

Le 30 Déc 20

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« Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J’avais le rouge au front et le savon à la main
Au suivant , au suivant
J’avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
À être le suivant de celui qu’on suivait
Au suivant , au suivant
J’avais juste vingt ans et je me déniaisais
Au bordel ambulant d’une armée en campagne
Au suivant , au suivant »
(Jacques Brel , Au suivant)
Dans notre premier article, nous avons traité l’aspect historique et juridique du phénomène, et cherché à démonter les idées reçues les plus répandues à son sujet. Nous nous intéresserons dans ce deuxième texte au débat entre partisans de l’abolition de la prostitution et ceux qui, comme nous, plaident pour une gestion ‘humaine’ du phénomène.
Certains sujets de réflexion occupent parfois les esprits et les consciences humaines de manière quasi infinie et reviennent de façon endémique. Il est des débats qui divisent âprement, entre eux, les intellectuels, les politiques, les gens de terrain, les personnes concernées et, en particulier dans le cas de la prostitution, les féministes.
Comme le voile islamique – et comme, en général, toutes les questions qui touchent au corps des femmes et à son rôle dans la sexualité masculine – la prostitution est un sujet de discorde au sein du mouvement féministe.
Selon les unes, en ce début de XXIe siècle et grâce aux acquis de la libération sexuelle et individuelle, la prostitution ne pose pas de problème en soi. Elle peut donc être considérée comme une offre de service, un métier comme un autre. Le projet de création du centre de prostitution à Liège est un bon exemple de cette tendance.
Selon les autres, la prostitution est une domination sexuelle et économique des hommes sur les femmes. L’objectif à long terme qu’elles ont en ligne de mire est la disparition de la prostitution dans la mesure où elle n’est pas un choix libre et épanouissant.
Certain(e)s rêvent donc d’un monde sans prostitution. Un monde où les chemins de l’amour et de l’argent ne se croiseraient jamais, un monde d’où la sexualité vénale serait bannie, un monde où les relations sexuelles seraient toujours un moment de désir partagé. Ce rêve, ils veulent le voir proclamé solennellement dans les textes de loi.
Pourquoi ne pas s’inspirer du dispositif répressif mis en place en 1999 par la Suède, le premier pays au monde à infliger des amendes et des peines de prison aux clients des prostituées? plaident aujourd’hui ces féministes. Considérant la personne prostituée comme une esclave des temps modernes, la loi suédoise baptisée « la paix des dames », entrée en vigueur le 1er janvier 1999, est fondée sur le principe de l’égalité entre hommes et femmes. Cette loi protège les prostituées et pénalise le client. Leur raisonnement est simple: sans clients, pas de prostitution…
À ce sujet, Anne – Marie Lizin lors d’un débat ouvert entre partisans et adversaires de la reconnaissance de la prostitution affirme:
« Devant toute proposition de légalisation , je ne pourrai que combattre . Le fait de pénaliser le client doit être considéré comme un élément supplémentaire dans l’optique de réduire la prostitution . (…) Il faudrait utiliser tous les moyens de dissuasion afin d’organiser moins d’accessibilité …» (1).

Une thèse ancienne
Ce rêve d’un monde libéré de toute sexualité vénale s’inscrit dans une longue tradition. Dans les années 1870, une féministe anglaise, Josephine Butler (2), avait lancé une véritable offensive contre les maisons closes, qui encourageaient, selon elle, le « vice sexuel ». Quelques années plus tard, en 1877, la Fédération abolitionniste internationale annonçait son intention de « combattre le fléau social de la prostitution , et spécialement de l’attaquer sous toutes les formes par lesquelles il revêt le caractère d’une institution légale et officiellement tolérée ».
Catherine François (3), également féministe, dans son livre « Sexe , prostitution et contes de fées » définit cette période comme étant « une triste époque où les féministes issues des classes supérieures imposèrent une morale sexuelle qui sévit toujours aujourd’hui ». Pour elle, ce courant est né dans l’Angleterre victorienne où Josephine Butler, par charité chrétienne, s’est emparée du sort des putains afin de contraindre les femmes à la pureté en dehors des liens du mariage dans un souci de civilisation du peuple.
Anne Chemin , dans un article publié dans Le Monde (4), démontre que la détermination des féministes est aussi ferme aujourd’hui mais que les arguments ont changé: celles du XIXe siècle invoquaient avec passion la morale et l’hygiène, celles du XXe siècle s’attardaient sur la misère sociale, celles du XXIe siècle brandissent l’arme politique de l’égalité hommes-femmes et de la dignité humaine.
En décembre 2011, les Femmes prévoyantes socialistes lors d’un colloque international intitulé « Prostitution et faux semblants » (5) réaffirment que « La prostitution n’est que la survivance , et une des formes les plus brutales , d’un rapport de domination des hommes sur les femmes , qui s’apparente à une forme d’esclavage ».

Le «plus vieux métier du monde», un «mal nécessaire»
Ces deux expressions ont, pour les Femmes prévoyantes socialistes, le tort de normaliser le phénomène, de sous-entendre en quelque sorte qu’il serait inhérent à la nature humaine, partout et de tout temps, et qu’il faudrait donc en prendre son parti. Elles considèrent que la transaction entre prostituée et client implique la négation de la qualité du sujet de la personne prostituée, qui renonce à son propre désir et à la liberté de disposer de son corps pendant le temps nécessaire. Pour elles, ce qui est acheté, ce n’est pas seulement son activité, sa compétence, comme ça se passe dans le travail salarié: c’est bien son corps qui fait l’objet de la transaction, c’est-à-dire sa personne elle-même. Le paiement fait donc de cette personne un objet de consommation.
La Commission communale consultative « Femmes et ville » (6), mandatée pour remettre des avis sur les projets de la Ville de Liège en veillant à ce qu’ils réduisent les inégalités entre femmes et hommes, va dans le même sens. Elle a remis un avis négatif concernant l’ouverture d’un Eros center à Liège.
Une des raisons évoquée est que « l’approche de réduction des risques liés à la prostitution n’est pas la bonne perspective car elle s’attaque aux conséquences et non aux causes de la prostitution . Si une telle approche s’avère efficace pour les problèmes de dépendance à une substance , elle n’est pas adaptée et clairement insuffisante concernant la prostitution . En effet , ce ne sont plus les personnes qui consomment qui sont visées mais les personnes prostituées qui sont le produit consommé par un client . De plus , cette approche n’envisage pas la sortie de la prostitution et réduit son intervention à la lutte contre les MST , elle ne prend pas non plus en considération les clients .»
Mais pour d’autres, qui sommes-nous pour juger de la capacité à s’assumer ou de la crédibilité d’un choix que les personnes prostituées revendiquent ouvertement?

La prostitution peut-elle s’exercer de manière ‘humaniste’?
Évidemment, les ‘passes’ à la chaîne telles que les évoque la chanson de Jacques Brel au début de notre texte, c’est inacceptable, choquant, contraire à la dignité humaine, pour les deux parties! Pour dire les choses crûment, ces femmes ne sont plus des femmes, mais des machines à traire, humiliées jusque dans leurs tripes. Les hommes ne sont plus des hommes, mais des animaux en rut, honteux et frustrés. Il n’y a pas que les féministes qui s’offusquent de cette exploitation.
Car, si la législation belge interdit le proxénétisme, elle condamne encore plus lourdement la traite des êtres humains, qui en est une forme aggravée. Il s’agit de réseaux mafieux, ayant le plus souvent des ramifications à l’étranger, qui attirent des jeunes femmes naïves désireuses de tenter de trouver en Europe occidentale une vie meilleure.
Toujours ignorantes des projets de prostitution qui les attendent, elles sont attirées avec des promesses de travail de serveuses, de jeunes filles au pair, ou – un peu plus proche de la réalité – de danseuses de charme. Parfois elles sont séduites et invitées à suivre leur « prince charmant ». Elles viennent d’Afrique de l’Ouest ou d’Europe de l’Est, et voyagent avec des papiers incertains qui leur sont retirés une fois sur place.
Les trafiquants menacent de se venger sur leur famille restée au pays si elles n’obéissent pas à toutes leurs exigences. Les conditions de vie et de travail sont sordides. La police est très motivée à démanteler ces réseaux et offre impunité et protection à celles qui dénoncent leur souteneur. Mais le chantage sur la famille et la honte de leur propre déchéance freinent les dénonciations.

Sexe tarifé et handicap
À l’opposé, dans l’éventail des variantes du sexe tarifé, on trouve les assistant(e)s sexuel(le)s. Il s’agit de personnes qui ont choisi librement et de leur plein gré de répondre aux besoins sexuels de personnes handicapées incapables d’assouvir leurs désirs légitimes dans un contexte normal. Il existe, en Suisse et en Hollande notamment, des volontaires qui rencontrent occasionnellement de telles demandes. Cette fonction d’assistant sexuel n’est pas vécue comme honteuse, si on se fie aux reportages télévisés sur le sujet, mais plutôt comme une aide offerte à une personne diminuée physiquement. Les assistants sexuels rencontrés sont des femmes et des hommes intelligents, mûrs, équilibrés, et bien intégrés sur le plan social. Ils n’en font pas une profession, mais une activité occasionnelle qui ne semble pas perturber une vie familiale apparemment normale. Concrètement, il s’agit le plus souvent de caresses et de masturbation de personnes parfois incapables de se caresser elles-mêmes. La prestation est payante afin que la relation soit claire: il ne s’agit pas d’une relation d’amour mais d’une prestation professionnelle.
Les handicapés qui bénéficient de ces services disent en retirer une grande satisfaction. Il n’est peut-être pas anodin que ces services existent en Hollande et en Suisse, deux pays de tradition protestante. Au contraire du catholicisme, le protestantisme a toujours été moins puritain.
Dans cet esprit, les concepteurs du centre Isatis veulent réserver quelques salons avec accès facile pour les handicapés. Certaines prostituées liégeoises répondent déjà favorablement aux demandes particulières de personnes à mobilité réduite. Dans certains cas, ce sont les parents du jeune homme qui l’amènent, parfois ce sont des copains. Le tabou qui entoure la fréquentation des prostituées s’estompe fort quand il s’agit de personnes «différentes». La relation devient plus humaine, plus gentille de prime abord. La compassion adoucit une image a priori négative.

Un remède à l’‘ultra-moderne solitude’
Et si c’était le modèle à suivre dans les relations de prostitution? Si la peur et la honte disparaissaient? Si la bienveillance et le respect mutuels réunissaient les deux partenaires de cette transaction particulière? Un puceau timide n’est pas moins handicapé dans ce domaine qu’un homme paralysé. La détresse sexuelle et la solitude affective sont partout dans nos villes. À Liège, plus d’un ménage sur deux est un ménage d’une personne. La prostitution est la dernière solution quand il n’y en a pas d’autre. Pour la prostituée aussi, souvent, la prostitution est la dernière solution quand il n’y en a pas d’autre. On peut rêver d’un contexte social ou économique où personne n’aurait besoin de se prostituer. Qu’adviendrait-il alors des clients? Quelle serait la réponse à la détresse des hommes en manque de femmes (ou en manque d’hommes)?
« Moi , j’aurais bien voulu un peu plus de tendresse , ou alors un sourire , ou bien prendre le temps …»
Toutes les prostituées expérimentées ont vécu le cas de clients qui ne demandaient pas de sexe, mais seulement un peu de tendresse. Parfois simplement parler à quelqu’un qui écoute… C’est émouvant d’entendre raconter qu’un certain client ne demande qu’une chose: qu’on lui caresse le visage en le regardant. Les putains sont souvent aussi des mamans de substitution. « C’est l’ultra – moderne solitude », comme le chantait Alain Souchon.
Soyons réaliste. Il ne faut pas rêver en couleurs. La majorité des clients viennent pour des prestations sexuelles, souvent les mêmes. Parfois des demandes extravagantes… qui ne font pas de mal. Du fétichisme vestimentaire par exemple. Parfois aussi des demandes choquantes, avilissantes, que la prostituée est libre d’accepter ou non, mais qu’il sera plus facile de refuser dans un cadre structuré comme le centre Isatis. Car c’est aussi un des buts d’une telle structure que d’appliquer un code de déontologie et un règlement d’ordre intérieur rédigés ensemble par les gestionnaires et les locataires du centre.
Comme dit précédemment, le lobby féministe souhaite pénaliser les clients. Cette proposition n’est-elle pas irréaliste? Les services de police ont déjà trop de travail avec le maintien de la paix et de la sécurité publique pour aller se préoccuper d’une réalité quand il n’y a pas de plainte. Vu le nombre de prostituées en région liégeoise, les clients sont des milliers.
Pourquoi en attraper quelques-uns au hasard… et puis amener au domicile une convocation de police à une épouse médusée? N’est-ce pas une revendication symbolique qui n’a aucune chance d’être appliquée? De plus, un tel règlement communal ou une loi fédérale aurait pour conséquence immédiate de diminuer l’offre visible et d’augmenter la clandestinité. Ce qui n’est pas le but recherché. Quand on demande l’impossible, on ne l’obtient pas, mais n’entrave-t-on pas les améliorations possibles?
Pour nous, le véritable enjeu de la gestion de la prostitution dans une ville comme Liège, outre le souci premier de sécurité et d’hygiène, c’est l’humanisation de la fonction. Il est certain que, dans un environnement glauque comme la rue Marnix à Seraing (7), on ne peut pas espérer des relations positives et épanouissantes. Le cadre physique et l’encadrement structurel envisagé peuvent contribuer à créer un climat plus respectueux et de bien-être pour les deux parties. Après tout, le client vient là pour se faire plaisir. Et la personne prostituée pourra retrouver une certaine estime de soi. Car la honte accompagne la prostitution. Il est plus facile à un gamin de dire à ses copains que son père ou sa mère est en prison ou se drogue, que de déclarer que sa mère se prostitue.
Évidemment, dans le monde des Bisounours et les livres de Martine, la prostitution n’existe pas. On ne part pas d’une page blanche, mais d’une réalité installée qu’on ne peut pas supprimer d’un coup de baguette magique. Il ne suffit pas d’interdire, il faut aussi faire appliquer. Le projet Isatis est à la prostitution ce que la méthadone est à l’héroïne: une solution du moindre mal. Ce n’est pas pour banaliser la drogue qu’on distribue de la méthadone. Ce n’est pas pour faire la publicité de l’avortement qu’on l’a dépénalisé. Le but d’Isatis est de rendre meilleure la vie de ceux qui sont concernés par la prostitution, des deux côtés de la relation.
Des pays comme l’Espagne et la Suisse ont dépénalisé le proxénétisme. C’est-à-dire qu’on peut librement y ouvrir des agences de call-girls ou d’escort, mais aussi des lupanars et des bordels très organisés qui ont pour seul but la rentabilité financière, sans souci de l’humain ni scrupule moral. C’est probablement l’évolution prévisible d’un monde avec de moins en moins de frontières.
Un reportage télévisé récent montrait une sorte de discothèque en Espagne, près des Pyrénées, à destination surtout d’un public français, un établissement immense, avec des bars partout, et une centaine de filles très belles, habillées comme au Crazy Horse, y compris maquillage et perruque, qui invitaient tour à tour les hommes à monter dans les cabines de l’étage, pour une passe de quelques minutes. Ces poupées gonflables étaient presque virtuelles. À les voir, on regretterait les filles de joie à l’ancienne, si vivantes et vulgaires, mais tellement humaines. « Atmosphère , atmosphère , est – ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?»

Conclusion
Le sujet évoqué dans cet article touche forcément chacun de nous dans ses tripes, son éducation, sa culture, son vécu… Il nous renvoie à nos propres peurs, à notre propre sexualité, à nos contradictions… et à des valeurs sociétales marquées par les traditions, les notions de bien et de mal… Les avis qui le concernent sont souvent catégoriques, dans un sens ou dans l’autre.
Le terme de prostitution recouvre toute une symbolique, un univers complexe et a des acceptions diverses. Sans chercher à être neutres, nous venons d’en aborder quelques aspects. Dans notre troisième et dernier article, nous aborderons de façon plus concrète le projet liégeois d’Eros Center.
Chantal Leva , Directrice du Centre liégeois de promotion de la santé, membre du Conseil d’administration d’Isatis (8) et Michèle Villain , Coordinatrice d’Icar (9), Présidente d’Isatis(1) Lemaire J.Ch. La prostitution Pour ou contre la législation? Bruxelles: Espace de Libertés, 2004.145 p. (La pensée et les hommes, 54). ISBN: 2-930001-54-2
(2) Josephine Elizabeth Butler (1828-1906) est une militante féministe anglaise. Son combat fut un modèle pour tous les mouvements abolitionnistes européens, regroupés en 1902 au sein de la Fédération abolitionniste internationale.
(3) François C. Sexe, prostitution et contes de fées. Liège: Luc Pire, 2011. 153p. ISBN: 978-2-87542-007-7
(4) Chemin A. La prostitution hors la loi? Paris: Le Monde, 2011.
(5) Université des femmes. Prostitution et faux semblants. Colloque international. Bruxelles 2011. Disponible à partir de: URL: https://www.universitedesfemmes.be
(6) Commission communale consultative «Femmes et Ville». Ville de Liège. Mai 2011.
(7) Nous y reviendrons dans notre dernier article.
(8) Initiative sociale d’aide aux travailleurs indépendants du sexe.
(9) Association liégeoise de prévention, de suivi médical et de travail de rue auprès des personnes en lien avec la prostitution. Internet: https://www.icar-wallonie.be

Prévention et culture du chiffre ou comment perdre son temps

Le 30 Déc 20

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L’asbl Prospective Jeunesse intervient régulièrement en milieu scolaire pour former et accompagner les référents adultes (enseignants, parents, personnels encadrant…) dans l’élaboration d’un projet de prévention des méfaits liés aux usages de drogues. L’asbl inscrit son action dans le champ de la promotion de la santé, un domaine où la prévention ne se conçoit que sous les auspices du «long terme». Dans une société dominée par la culture du chiffre, c’est peu dire que ce message suscite incompréhension et résistance. Démonstration.

Un cas d’école

Pour les membres de Prospective Jeunesse la scène décrite ci-dessous est devenue un classique, voire, en osant le mauvais jeu de mots, un cas d’école. Un établissement scolaire bruxellois contacte l’asbl pour une intervention dans le cadre d’une conférence organisée par l’association des parents d’élèves. Thème proposé: la drogue à l’école.
Au téléphone, la responsable de l’association m’explique qu’elle cherche un intervenant susceptible de présenter les différentes substances psychotropes et de décrire leurs effets à la fois physiques et psychiques. J’accepte d’intervenir tout en précisant que nous n’avons pas coutume d’aborder la thématique des drogues sous l’angle «produit», que nous situons notre action dans le cadre de la promotion de la santé, autrement dit que nous évitons autant que faire se peut d’intervenir dans l’urgence, considérant les consommations sur base d’une approche globale, estimant que rien ne sied mieux aux démarches préventives que le long terme. Quelque peu déçue, mon interlocutrice m’explique qu’elle connaît bien notre discours, «le même» que celui tenu par Infor-Drogues avec qui elle a déjà collaboré. « Je cherche quelque chose de différent », me dit-elle. Mais, pressée par le temps, elle devra finalement faire avec mon discours, non sans avoir été rassurée par le fait que je pouvais aussi aborder la question des produits.
Arrivé sur place, je découvre les autres intervenants: l’un est commissaire de la brigade des stups, l’autre juge pour enfants, soit «le must des must» en matière de prévention. Apparemment, l’école a oublié de prendre connaissance du contenu de la circulaire envoyée quelques mois plus tôt à tous les chefs d’établissements. De fait, celle-ci attirait «l’attention des établissements scolaires sur la grande prudence à observer quant au recours à des services de police pour des activités de prévention dans l’école», précisant que «ce type de programme reflète une confusion des rôles prévention – sécuritaire qui risque de compromettre l’objectif poursuivi.» Et d’en conclure qu’«en toute logique, le recours aux forces de l’ordre devrait être exclu du projet de prévention des écoles» (1). Je ne fais toutefois pas part de mes réserves aux organisateurs, ne voulant pas préjuger de leur façon d’observer la prudence. Malheureusement, les préjugés trouvent parfois confirmation.
Les scientologues à la rescousse

En guise d’introduction à la soirée, la responsable de l’association de parents a souhaité diffuser quelques extraits d’un film illustrant les méfaits liés à la consommation de drogues chez les jeunes. Dans un premier temps, cette dernière refuse de me révéler la provenance du film. Devant ma mine interloquée, elle se ravise et me chuchote que le DVD lui a été fourni par l’Église de Scientologie. Pour rattraper le morceau, elle m’explique que les extraits diffusés ne concernent que des informations objectives sur les produits. Je reste évidemment sceptique mais sans avoir vraiment droit au chapitre vu que le commissaire abonde dans son sens et que le juge n’y voit rien à redire. Comme je le craignais, tous les extraits en question sont empreints d’un moralisme douteux et distillent un message nauséabond construit sur une accumulation de clichés, dont le désormais classique: «fumer un joint est la première étape d’une inévitable escalade vers les drogues dures». Les scientologues ayant mis les moyens, le film est toutefois bien ficelé et de bonne facture. Pas de doute, «le péril de la drogue» est bien leur cheval de Troie pour «évangéliser» le continent européen.
École et prévention

Après ce grand moment de cinéma, les orateurs prennent enfin la parole. Chacun y va de son speech. Comme je le redoutais, c’est moi qui endosse le rôle de «l’irresponsable», de celui qui doit expliquer aux parents qu’un monde, et a fortiori une école, sans drogues n’existe pas, que contrairement aux images qu’ils viennent de voir, le problème n’est pas de tester tel ou tel produit mais de développer une consommation problématique.
« Et qu’est – ce qu’une consommation problématique ?», me demande une mère suspicieuse. Je lui réponds qu’une consommation devient problématique lorsqu’elle est la seule source de valorisation du jeune, autrement dit sa seule source de plaisir. C’est pourquoi un programme de prévention ne peut pas seulement consister en une mise en garde ou un rappel à la loi mais doit s’attacher à aider le jeune à développer et diversifier ses sources de plaisir.
Pour ce faire, celui à qui revient la tâche de «faire prévention» se gardera bien de prêcher l’abstinence, voire même la réduction de la demande. En promotion de la santé, prévenir dans le champ des assuétudes ne signifie pas «venir avant», ni empêcher l’apparition ou le recours aux drogues, mais bien s’attacher à la réduction des méfaits liés aux consommations via le développement des compétences psychosociales du jeune, soit un ensemble de ressources ou d’habiletés (estime de soi, sens critique, autonomie, etc.) grâce auxquelles ce dernier restaurera ou augmentera sa capacité à poser des choix autonomes concernant son «bien-être», et donc a fortiori sa capacité à se situer et à se responsabiliser par rapport à une consommation problématique ou non.
Plutôt qu’un discours axé sur la peur et la mise en garde ou un discours centré sur la toxicité des produits, on privilégiera donc l’inscription des messages préventifs dans un discours global de promotion de la santé. En pratique, cela consiste à développer des actions portant sur les attentes des jeunes quant à leur milieu de vie, sur la façon dont ils gèrent leurs difficultés, sur ce qui les aide à vivre et à prendre du plaisir. Bref, plutôt que de les interroger directement sur leurs consommations, on préférera solliciter l’expression de leurs représentations et de leurs attentes en matière de bien-être et les questionner sur la façon dont ils prennent en charge leur santé.
Reprenant les arguments développés par Line Beauschesne , je poursuis en insistant sur le fait que cette démarche a pour premier avantage de pouvoir s’intégrer très tôt dans la vie des jeunes, avant même qu’ils n’aient acquis des habitudes de consommation potentiellement déséquilibrantes en termes de bien-être psychosocial. Deuxième avantage, cette approche ne peut se concevoir sans la mise en place d’un dialogue avec les jeunes. De fait, elle est fondamentalement interactive puisqu’elle se centre sur l’expression des attentes, des motivations et des représentations des jeunes. En d’autres termes, sa mise en pratique a toutes les chances d’accrocher à l’univers du jeune en biaisant le décalage entre sa culture et celle de l’adulte.
En partant du vécu des jeunes, en les faisant échanger sur les stratégies qu’ils mettent en place pour rendre leur vie plaisante et cultiver leur bien-être, on évite les écueils inhérents à tout discours moralisateur venu «d’en haut», au profit d’une dynamique volontaire d’apprentissage, avec en ligne de mire la construction par les jeunes eux-mêmes des outils et des ressources susceptibles de les protéger efficacement des méfaits liés aux consommations de produits psychoactifs.
Évidemment, ce type de démarche ne peut s’inscrire que dans le long terme. Ses résultats sont difficilement mesurables, du moins quantitativement. Elle est avant tout un pari sur l’avenir. À bien des égards, elle est à l’exact opposé de ce qui est proposé par les écoles. Généralement, les acteurs scolaires ne pensent à la prévention que suite à un incident ou à la découverte de faits de consommation au sein de leur établissement. Partant, les jeunes n’ont droit qu’à des actions «one shot», conçues dans l’urgence et dont l’efficacité est à peu près équivalente aux panneaux qui à coup de messages chocs le long des autoroutes invitent les automobilistes à réduire leur vitesse. On y pense pendant vingt kilomètres, ensuite on oublie.
Urgence, exclusion et hypocrisie

Mes propos ont-ils fait mouche? Les parents qui m’écoutent sont-ils convaincus? Mon intervention a-t-elle autant capté l’attention que la présentation des produits avec échantillons à l’appui orchestrée par le commissaire?
Difficile de répondre. D’autant plus que la séance des questions / réponses qui fait suite aux interventions m’éclaire sur les motifs qui ont présidé à l’organisation de cette rencontre. Le public qui me fait face est un public inquiet pour ses enfants. Et pour cause, la semaine précédente, la direction de l’école a organisé une descente de police dans l’enceinte de l’établissement. Les chiens renifleurs ont débarqué dans les couloirs de l’école. « Que pouvions – nous faire d’autre ?» , explique la directrice. « C’est que , tout de même , des élèves ont été surpris en train de fumer du cannabis , et certains d’entre eux dealaient ! Nous n’avons d’ailleurs pas manqué de les exclure définitivement » , poursuit la directrice choquée que je puisse m’interroger sur sa façon de faire alors même qu’elle a agi pour le bien de l’école et de ses élèves. La gravité des faits impliquait d’agir dans l’urgence afin d’enrayer le fléau au plus vite. Tel fut le raisonnement adopté par l’école et la façon dont la direction a estimé faire œuvre de prévention efficace en matière de drogues.
En dépit de l’intervention musclée de la police et de l’exclusion des élèves «dealers», il y a évidemment fort à parier que nombre d’élèves de l’établissement font toujours usage du cannabis, certains de façon non problématique, d’autres de façon problématique. Au final, excepté le fait d’avoir sauvé la réputation de l’école en l’«épurant» de ses perturbateurs, c’est-à-dire des jeunes dont le comportement «déviant» risquait de «contaminer» leurs condisciples, on ne comprend pas très bien quels ont été les objectifs de cette intervention. En termes préventifs, son résultat est assurément quasi nul.
Pourquoi dès lors les écoles sont-elles si nombreuses à opter pour ce genre d’action choc? Tout simplement parce que c’est dans l’air du temps. Dans une société caractérisée par l’obsession de la vitesse et du résultat immédiat où seul prévaut le risque zéro, la prévention ne se conçoit généralement que dans l’urgence et avec des résultats immédiatement tangibles. Comme le suggère le philosophe Paul Virilio , le triomphe du «présentisme» rend obsolète ou ringarde la scansion humaine de la durée dans son acception traditionnelle.
En politique comme en prévention, il devient de plus en plus difficile de prendre son temps. Or, à l’instar de tout processus d’individuation, la construction de l’autonomie, seule à même d’offrir à celui qui en jouit la possibilité de réguler ses comportements à risque, n’est en rien immédiate. En ne tenant pas compte de cette exigence de durée, les programmes de prévention se résumeront toujours à du contrôle social dont le seul «avantage» est de produire des résultats quantifiables: autant d’élèves exclus, autant de drogues saisies, etc.
Ne nous berçons pas d’illusions, les drogues circulent dans toutes les écoles. Récemment, un professeur de français me faisait part de sa stupéfaction face à l’hypocrisie de certaines directions d’écoles en la matière. Effectuant un remplacement dans une école d’hôtellerie, il se joint à une réunion des membres de l’établissement traitant des consommations des élèves.
Sur le sujet, personne n’avait grand-chose à dire à l’exception d’un éducateur qui fit tout de même remarquer que de plus en plus d’élèves fumaient des joints. Le remplaçant tombait des nues. En effet, ayant réussi à cultiver un climat de confiance avec les élèves de sa classe, certains d’entre eux n’avaient pas hésité à se confier à lui. Pour tenir le rythme des stages, c’était moins le cannabis que la cocaïne qui était consommée, parfois abondamment. Rien de vraiment étonnant à cela vu que la cocaïne compte parmi les drogues les plus prisées dans le milieu de l’Horeca. Ce fait de société est-il ignoré des enseignants de l’établissement? On peut raisonnablement en douter.
Pourquoi dès lors n’est-il pas discuté et étudié avec les élèves alors même que ces derniers vont nécessairement y être confrontés, voire sont déjà de gros consommateurs et que le rôle de l’école est précisément, si l’on en croit le décret définissant ses missions, de préparer les élèves au monde professionnel? À l’évidence, le monde scolaire est, comme bon nombre d’autres institutions, soumis à la pression de la réussite. C’est au final ce critère qui dicte le rythme du temps scolaire et ne laisse que très peu de place à la réflexion ou aux partages d’expériences.
Prendre le temps de l’ambition

Ces exemples montrent bien qu’en terme de prévention, et ce quel que soit l’objet que l’on entend prévenir, le temps manque. Le décret sur la promotion de la santé est certainement un bon décret, rempli de bonnes intentions. Mais dans la configuration sociale actuelle, il fait figure de chimère. Sa pleine application ne suppose rien de moins qu’une révolution copernicienne des valeurs dominantes, un ralentissement général de façon à pouvoir enfin prendre le temps et ainsi éviter que la prévention ne se résume à du contrôle social. Sommes-nous seulement prêts à envisager les choses de la sorte? Les signaux abondent pour nous convaincre du contraire. Nous évoluons tout de même dans une société qui a fait le choix de réguler l’immigration en édifiant des centres fermés et le choix de lutter contre la délinquance grâce à des peines de prison et à des caméras de surveillance. Bien que totalement inefficaces, ces mesures ont en effet l’avantage de produire des résultats à court terme et, surtout, de fournir du chiffre.
L’engagement dans des politiques sociales ambitieuses de réduction des inégalités supposerait au contraire que l’action politique s’inscrive dans la durée et fasse preuve de patience. Cette façon de prendre son temps n’est-elle pas l’étape nécessaire pour que les citoyens, tous les citoyens, jouissent de conditions socio-économiques à la mesure de l’autonomie que l’on entend leur faire adopter?
Julien Nève , rédacteur en chef Prospective Jeunesse
Article paru précédemment dans le numéro 59 de Prospective Jeunesse et reproduit avec son aimable autorisation
(1) Circulaire (n°3362) du 16 novembre 2010: Ressources à disposition des établissements scolaires en matière de prévention des assuétudes en milieu scolaire.

Interdire ou organiser la prostitution – 1ère partie – Idées reçues et réalités du phénomène

Le 30 Déc 20

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«Tous les soirs, la même fille attend
Sur le même square, le même banc
Comme une madone oubliée, les jambes croisées
Elle voyage au milieu des maisons
Dans la nuit bleue des télévisions
Comme les fantômes légers,les voiles de fumée»
(Francis Cabrel , Comme une madone oubliée)
La prostitution est un sujet très conflictuel, il génère des affrontements idéologiques, les avis des experts sont contradictoires… L’aborder est une tâche délicate eu égard au poids de sa charge éthique.
La prostitution, c’est ce qu’on a toujours appelé à tort ou à raison « le plus vieux métier du monde », qui fut au cours des siècles l’objet de condamnations et de persécutions, pour osciller entre tolérance passive et système répressif.
La prostitution est-elle une exploitation ou une profession? Les travailleuses du sexe sont-elles des victimes, des esclaves des temps modernes qu’il faut réinsérer ou des travailleuses à part entière qui ont droit à la protection sociale à laquelle peut prétendre n’importe quel travailleur? Se prostituer, est-ce un travail comme un autre qu’il faut réguler et protéger? Faut-il le légaliser, l’organiser, le contrôler ou l’interdire?
La prostitution est un phénomène social de caractère universel, elle existe dans presque tous les pays du monde. Le procès pour proxénétisme de ‘Dodo la Saumure’ devant le tribunal correctionnel de Tournai (1) a d’ailleurs relancé une fois de plus le débat. Parler de prostitution, c’est entrer dans une forêt dense et c’est sur un de ses chemins que nous vous invitons à nous suivre.
Nous allons essayer de tracer une des voies actuelles d’approche de la prostitution: il s’agit de la création d’un « Eros Center » à Liège comme une des réponses à la fermeture des salons de prostitution dans les rues du Champion et de l’Agneau du quartier Cathédrale-Nord suite à une décision du Conseil communal du 8 septembre 2008.
En quoi ce projet de création d’un cadre adapté aux travailleurs du sexe fait-il débat, en quoi pose-il un problème, en quoi est-il sujet de polémique et en quoi nous renvoie-t-il à nos propres contradictions?
Si nous avons choisi de vous parler de prostitution, ce n’est pas par attrait d’un sujet scabreux, qui titille toujours la curiosité et véhicule toutes sortes de fantasmes. C’est parce que maintenant et ici à Liège, il est question de mettre en place un projet novateur, sans précédent.
Ce projet est porté par un désir de protéger et d’émanciper les personnes concernées. Il est aussi combattu, pour des raisons idéologiques respectables, comme d’autres combats ont été l’objet de controverses antérieures: par exemple le droit de vote des femmes, la dépénalisation de l’avortement, le statut des homosexuels, l’euthanasie, la répression des drogues, etc.
Dans cet article et les deux suivants, nous allons vous présenter la problématique ainsi que les propositions de solution actuellement soumises aux autorités politiques liégeoises en abordant les quatre points suivants: qu’est-ce que la prostitution? Qu’en est-il de la création d’un « Eros center »? Quels sont les différents courants de pensée qui s’affrontent? La prostitution peut-elle s’exercer de manière plus humaniste?

Qu’est-ce que la prostitution?
Vaste champ d’investigation, donc, que celui de la notion de prostitution.
Si nous consultons les définitions des dictionnaires (2), la prostitution est une activité consistant à échanger des relations sexuelles contre une rémunération. Se prostituer trouve son origine dans le latin «prostituere» qui signifie «placer devant» «exposer» «livrer à la débauche» «obliger ou engager une personne à avoir des rapports sexuels contre rémunération».
Les personnes qui vendent un acte sexuel sont appelées des prostituées. Dans le langage courant, il existe de nombreux termes, souvent à consonance grossière pour désigner cette activité: pute, poufiasse, putain, fille de rien, fille de joie… Ces mots sont souvent utilisés comme des insultes: «fils de pute», «sale pute»…
Toutes les définitions admettent la même notion, celle de vendre son corps. La plupart sont entachées d’une connotation négative voire péjorative, celle d’avilissement synonyme de dégradation, d’abaissement, de décadence, de déchéance, de déshonneur, de honte, de pourrissement, de corruption, de dépravation, de laideur, de souillure…
Attribuer aux personnes prostituées une définition-type est difficile tant il existe de formes de prostitution. On peut notamment distinguer les call-girls, les call-boys, les salons, les bars, les saunas, les salons de massage, internet, le privé, le racolage…
Chaque mode de prostitution correspond à un univers différent: les conditions de travail sont très variables, le vécu et même le regard de la société fluctue selon le type de prostitution. Le montant des gains n’est pas non plus comparable, une racoleuse ne gagnera jamais autant qu’une call-girl…
Toutes les régions du monde sont touchées par ce phénomène. Des femmes, des hommes, des enfants se prostituent en Amérique, en Afrique, en Asie, en Europe… sur tous les continents. Le développement du tourisme ainsi que l’accélération des échanges économiques, sociaux et culturels entre les pays ont entraîné une mondialisation de la prostitution sous une multitude de formes profitant des inégalités sociales.
Il est impossible d’estimer le nombre de femmes, d’hommes et d’enfants qui se prostituent à travers le monde. La prostitution s’exerce, en effet, souvent dans un contexte d’illégalité et de clandestinité même dans les pays où elle est légalisée. Des chiffres sont parfois avancés mais ils sont tellement approximatifs que nous avons choisi de ne pas vous les présenter ici.
Il est également impossible d’apporter une réponse précise à la question de l’âge moyen des personnes prostituées. On parle souvent des alentours de 25 ans. Beaucoup de filles ou de garçons affirment avoir débuté la prostitution bien avant leurs 20 ans.
Historiquement, les personnes prostituées ont souvent été maltraitées par la société et par le regard des autres. Mais finalement qui sont-elles? Tentons de déconstruire quelques idées reçues…
«C’est un métier où l’on peut gagner beaucoup d’argent en très peu de temps.»
On ne peut pas le nier, c’est effectivement une activité qui peut rapporter énormément d’argent en très peu de temps. Malheureusement, on constate que très peu de filles et de garçons s’enrichissent. Au contraire. Par exemple, la plupart des personnes dont l’asbl Icar (association liégeoise de prévention, de suivi médical et de travail de rue auprès des personnes en lien avec la prostitution) s’occupe sont surendettées.
C’est de l’argent vite gagné et donc vite dépensé. Beaucoup compensent ce travail physiquement et psychologiquement éprouvant en fonctionnant dans le ‘tout tout de suite’. Par exemple, elles vont dépenser la majorité de leur argent dans tout ce qui est matériel. Certaines filles qualifient cet argent de «sale» et le convertir immédiatement en objets sans importance serait un moyen de le purifier, d’évacuer toute trace de culpabilité.
« Elles sont toutes nymphomanes .»
Peu de filles font ce travail par amour du sexe. Il ne faut pas oublier que se prostituer relève d’un acte qui se paie au niveau de la santé physique (sida, IST, hépatites…) mais aussi de la santé psychique (isolement, instabilité affective, perte d’identité…)(3). Les personnes prostituées ont des relations multiples avec des hommes de tous âges et de tous milieux sociaux. Ces hommes peuvent être attirants ou repoussants, avec parfois des fantasmes peu communs.
« Elles sont incapables d’élever convenablement des enfants .»
Il y a de «bons» parents et de «mauvais» parents. C’est rarement leur métier qui fait d’eux de «mauvais parents». Les mères prostituées font généralement tout pour protéger leurs enfants du milieu de la prostitution. En dehors du conjoint, l’entourage proche est peu souvent au courant de leur vraie activité.
Les extrêmes existent aussi. Il arrive que la prostitution devienne une activité familiale. Les travailleurs sociaux d’Icar ont connu des filles qui partagent le même salon que leur mère ou encore une femme qui fait le trottoir en compagnie de sa belle-fille.
« Elles n’ont pas le choix, elles sont obligées d’exercer cette activité .»
Actuellement à Liège, il y a très peu de filles et de garçons qui se retrouvent dans un réseau.
La plupart des personnes prostituées présentent leur entrée dans la prostitution comme un choix personnel, elles disent n’avoir pas été contraintes à faire ce travail.
« Elles propagent les maladies vénériennes .»
Beaucoup de ces femmes ont un sens de l’éthique: il n’est pas question pour elles d’avoir une relation sexuelle sans protection. En effet, leur corps est leur unique outil de travail, c’est pourquoi elles l’entretiennent et refusent catégoriquement de l’exposer délibérément aux dangers potentiels.
Par contre, force est de constater que la situation est différente chez certains clients qui sont prêts à payer très cher pour une relation sans préservatif. Si des personnes prostituées acceptent, ce n’est que par l’inconfort de leur situation et leur besoin aigu d’argent.
« Elles ont toutes un problème de toxicomanie .»
Drogue et prostitution ne sont pas indissociables. Les drogues illicites et l’alcool sont présents dans le milieu prostitutionnel mais certaines personnes prostituées refusent d’absorber des substances qui pourraient les amener à perdre le contrôle de la situation. Ces dernières conçoivent leur activité comme un métier avec une déontologie qui lui est propre. Les personnes prostituées toxicomanes se rencontrent plus généralement dans la rue.
Catherine François , Présidente de l’asbl Espace P… (4), après un long travail au cœur de la prostitution, constate également qu’ « il n’existe pas un profil strict et caricaturé des personnes qui se prostituent . Ce sont au contraire des personnes aux parcours pluriels , multiples et sinueux . La prostitution s’est présentée historiquement comme unique moyen de survie pour certaines femmes qui ne bénéficiaient pas de la protection d’une famille , d’un mari ou d’un frère . De tout temps , les faveurs sexuelles ont été monnayables et ont constitué un revenu pour celles qui ne rentraient pas dans les cases normatives imposées par les sociétés archaïques .
Certaines commencent à se prostituer parce qu’elles sont prises dans la spirale infernale des dettes et des soucis financiers , d’autres parce que , par naïveté , elles décident de plaire à leur « homme » qui les pousse dans cette voie . D’autres encore sont attirées par la grande vie . Toutes placent l’argent et le souci de l’autre comme mobile central .
Car même les femmes provenant de milieux aisés qui choisissent de se prostituer souhaitent opter pour une vie de confort où l’argent doit fructifier . Il est clair toutefois que les conditions sociales et économiques jouent un rôle dans le recours à la prostitution . Mais elles n’expliquent pas tout . Car toutes les femmes pauvres , au chômage , précarisées et exclues ne se prostituent pas . Il faut reconnaître aussi que les personnes prostituées proviennent de tous les milieux socioculturels et économiques .» ( 5 )

Le cadre légal
Afin de mieux cerner et percevoir la complexité de la question, il importe à ce stade de brosser le contexte de la prostitution telle qu’elle s’exerce. Quelles sont les différentes législations relatives à la prostitution?
Au niveau international, le texte de référence en matière de prostitution est la Convention pour «la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui» approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 décembre 1949, dans la foulée de la Convention internationale des droits de l’homme adoptée par cette même assemblée. Elle a été signée à New York le 21 mars 1950 (6).
Les législations dans les différents pays sont très diverses, culture et histoire obligent.
Schématiquement, elles sont habituellement classées selon trois démarches: la réglementation, l’abolition et la prohibition (7).

La réglementation de la prostitution
Ce régime est actuellement en vigueur en Allemagne, aux Pays-Bas, au Portugal…
Dans un système de réglementation, on part du postulat que la prostitution est un fait social inévitable, un mal nécessaire. Plutôt que d’interdire, il s’agit de contrôler en soumettant la prostitution à des règles dans l’intérêt du maintien de l’ordre public et des bonnes mœurs.
La prostitution est organisée et considérée comme un métier: les maisons closes sont la propriété du pouvoir public ou sont soutenues et contrôlées par lui. Les tenanciers ne sont donc pas poursuivis, les prostituées sont enregistrées et soumises à des contrôles médicaux. Le système n’envisage pas de mesures, ni de prévention, ni de réinsertion des personnes prostituées. L’objectif est de contrôler la prostitution en la canalisant dans des quartiers ou des endroits prévus à cet effet.

L’abolition de la prostitution réglementée
Ce système juridique est d’application en Belgique, en France, au Québec, en Italie, en Espagne…
Ce système se base sur la Convention internationale de 1949.
Il entend abolir les règlements spécifiques à la prostitution et les discriminations qu’ils engendrent et non pas abolir la prostitution elle-même. Dans ce régime, la personne prostituée est considérée comme une victime et la prostitution comme une activité libre, un acte privé qu’il n’y a pas lieu de réprimer pour autant qu’il ne trouble pas l’ordre public ou ne heurte pas la morale collective.

La prohibition de la prostitution
Ce régime est notamment en vigueur dans certains États américains, en Afrique du Nord, dans les pays de l’Est, aux Philippines, en Suède…
La prostitution est interdite et est considérée comme un délit; la personne prostituée est une délinquante et toute personne qui gravite autour de la prostitution peut être accusée d’activité illégale. Proxénètes et clients sont passibles de poursuites pénales.
Pour Michaël Dantinne , professeur à l’École de Criminologie de la Faculté de Droit à l’ULg, l’évaluation de ces politiques est très difficile à réaliser. En Suède par exemple, il est impossible selon lui d’affirmer que la prostitution a diminué ou augmenté. La seule certitude, c’est qu’elle s’est déplacée de l’urbain au rural et des lieux publics vers des lieux privés.

En Belgique et à Liège
Dans notre pays, les différentes propositions de lois ont toujours suscité beaucoup de controverses et de débats. Jusqu’à la moitié du 20e siècle, la Belgique a vécu sous un régime réglementariste.(8)
Le vote, le 21 août 1948, de la loi sur l’abolition de la prostitution réglementée, sous l’impulsion de la socialiste Isabelle Blume (9), est venu modifier cette situation.
Le 2 décembre 1949, comme 53 autres pays, la Belgique adhère à la Convention internationale. Elle sera ratifiée par la loi belge le 6 mai 1965. La Belgique confirme ainsi la conception abolitionniste de son régime.
Concrètement, depuis 1948, la prostitution est donc légale en Belgique. Par contre, l’exploitation de la prostitution demeure interdite par le Code pénal, par exemple l’embauche d’une personne prostituée ou la tenue d’une maison close. Notons toutefois que le racolage (appeler un client), l’incitation à la débauche (se montrer en ‘jarretelles’ à la vue des passants) et la publicité (publier une annonce à caractère érotique) sont également des actes interdits par le Code pénal.
Dans ce cadre, il est parfaitement possible pour une personne prostituée d’exercer son activité de façon officielle en bénéficiant de la protection sociale des indépendants avec le statut de serveuse ou de masseuse et en payant ses impôts au titre de revenus d’activités diverses ou complémentaires. La prostitution, en Belgique, ne constitue pas une profession. Les personnes prostituées ne peuvent donc pas être déclarées comme prostituées. Elles sont de plus très peu sensibilisées à la gestion du statut d’indépendant.
Drôle d’encadrement législatif qui consiste à admettre la prestation rémunérée mais à ne pas en accepter la promotion et la publicité. Cela laisse une part importante à l’interprétation de la loi et à l’arbitraire dans la manière dont le législateur qualifie le racolage, l’incitation à la débauche et la publicité. Sur le terrain, on constate un laxisme des parquets à l’égard du proxénétisme et une tolérance presqu’institutionnelle vis-à-vis de certains établissements. C’est dire toute l’ambiguïté qui plane autour du travail du sexe et qui insécurise les travailleuses dans leur quotidien.
Pour Sophie Jekeler , juriste et Présidente du Nid (10), « l’approche belge résulte davantage d’un savant compromis entre pragmatisme et dogmatisme . La position de la Belgique , entre les Pays – Bas réglementaristes et la France abolitionniste , explique sans doute ceci , mais pas seulement . La Convention du 2 décembre 1949 n’ayant ni effet contraignant pour les États signataires , ni dispositif de contrôle , il subsiste en Belgique de nombreuses composantes réglementaristes dans les politiques communales .» (11)
La loi de 1948 a permis aux communes de prendre des dispositions particulières en matière de mœurs, notamment par l’adoption de règlements communaux qui ont pour objet d’assurer la moralité et la tranquillité publique.
À Liège, on constate la coexistence de différentes pratiques de prostitution. Aux anciens salons de prostitution et à la prostitution de rue observable dans le quartier Cathédrale–Nord, s’ajoutent les bars à serveuses, les clubs à hôtesses et les salons de massage répartis dans des lieux strictement délimités par le règlement de police ainsi que la prostitution en privé.
Les salons de prostitution . Dans un salon, la personne prostituée est installée sur un tabouret, derrière une vitrine face à la rue. À l’intérieur de ce salon, il y a un lit, un évier et une toilette. Les prostituées de salon payent leur salon à la semaine et elles conservent l’entièreté de leurs gains. Il restait, avant leur fermeture, 47 salons pour deux rues, une centaine de filles et travestis assuraient les trois pauses. Ces vingt dernières années, le nombre de salons a fortement diminué; d’une vingtaine de rues réservées à la prostitution, il n’en reste aucune. Les raisons de cette suppression sont liées aux diverses modifications de la réglementation communale et aux projets de développement urbain.
La prostitution de rue . Ici, on a très peu de chiffres officiels. L’asbl Icar et la Brigade des moeurs estimaient en 2008, qu’il y avait plus d’une centaine de filles et de travestis qui travaillent dans la rue. Le racolage actif sur la voie publique est interdit. À Liège, la prostitution de rue est étroitement liée à la toxicomanie (90% des personnes). Ces personnes pratiquant le racolage ne se considèrent pas comme des professionnels. Lorsqu’elles ont gagné suffisamment pour acheter leur dose, elles arrêtent de travailler. Certaines pratiquent parfois des prix très bas au point de casser le marché. Elles sont donc très mal perçues par les prostituées de salon. L’insécurité est également omniprésente, les agressions réalisées par et sur les clients sont fréquentes mais il y a aussi les règlements de compte entre elles.
Les bars à serveuses . La personne prostituée est exposée en vitrine comme dans un salon. La différence réside dans le fait qu’elle est considérée comme serveuse c’est-à-dire que l’objectif est de faire boire le client sans contrepartie sexuelle. Dans la réalité, la plupart des rencontres se concluent par une relation sexuelle. La serveuse travaille aussi par pause de huit heures et ristourne 50 % de ses gains au gérant du bar. Elle doit également s’acquitter d’une taxe de vitrine de 15 euros par jour. Avec les travaux de la gare des Guillemins, de nombreux établissements ont été expropriés. Actuellement, il reste une dizaine de bars ouverts. Une trentaine de filles et travestis y travaillent. Pour le client, le bar donne l’illusion d’un standing plus élevé car le contexte est différent ainsi que les prix qui sont plus conséquents que pour une relation avec une personne prostituée de salon.
Les clubs à hôtesses . Il en reste quelques-uns. Là aussi on constate une diminution progressive qui semble liée à un manque de rentabilité. Une vingtaine de filles travaillent dans ces clubs.
Les salons de massage . Il existe une dizaine d’établissements érotiques à Liège, qui emploient une septantaine de personnes. En théorie, ces établissements ne sont pas destinés à des personnes prostituées qui acceptent des pratiques sexuelles complètes. En réalité, les filles et les garçons offrent un éventail de services.
Le privé et les petites annonces . Il n’y a pas de chiffre et il y a peu de contrôle. Cette forme de prostitution est en forte expansion depuis l’arrivée d’Internet.
Comme pour les statistiques internationales, il est important de préciser que ces chiffres donnent une image tronquée de la réalité. En effet, un certain nombre de personnes prostituées ne sont pas répertoriées. Il s’agit notamment
– des prostitués masculins: contrairement à leurs homologues féminines, ils sont rarement contrôlés par la police et évitent ainsi le fichage;
– de certaines femmes travaillant dans la rue, par exemple les occasionnelles et les mineures d’âge, qui ne sont pas connues par les forces de l’ordre car elles ont pu jusqu’à ce jour éviter les contrôles;
– de la prostitution à domicile, d’Internet, de certains lieux publics tels que les parcs et des parkings d’autoroute où se côtoient prostitution et rencontres non payantes… Ce sont des lieux de prostitution moins visibles, moins accessibles, aussi bien pour la police que pour les associations de terrain, qui tentent cependant d’y réaliser un travail de prévention.
Pour l’ensemble du milieu prostitutionnel liégeois, les travailleurs sociaux d’Icar pensent que la plupart des personnes prostituées viennent de l’Europe de l’ouest. Les africaines noires sont également présentes, viennent ensuite les femmes des pays de l’Est.
Chantal Leva , Directrice du Centre liégeois de promotion de la santé, membre du Conseil d’administration d’Isatis (12) et Michèle Villain , Coordinatrice d’Icar (13), Présidente d’Isatis
La fois prochaine, nous aborderons le débat toujours très vif entre partisans de l’abolition de la prostitution (notamment en pénalisant les clients) et ceux qui plaident plutôt pour une approche inspirée de la réduction des risques. Lire la seconde partie de cet article.
(1) Jugement attendu en juin 2012
(2) Disponible à partir de https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/prostitution
(3) Martens V. Les prostituées féminines . Stratégies concertées IST-Sida. 2009, cahier 7. Disponible à partir de https://www.strategiesconcertees.be
(4) Association d’action et d’accompagnement aux travailleuses sexuelles en Fédération Wallonie-Bruxelles qui dispose d’une antenne à Liège. Internet: https://www.espacep.be
(5) François C., Sexe, prostitution et contes de fées . Liège: Luc Pire, 2011. 153p.
(6) Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Disponible à partir de
https://www2.ohchr.org/french/law/exploitation.htm
(7) Devroey M., Pour une gestion réaliste de la prostitution en Belgique . Bruxelles: Bruylant, 2005.
(8) Norelli M. Prostitution et dépression: étude d’une population de personnes prostituées de la rue à Liège . Mémoire master en criminologie. Liège: ULg, 2011-2012, 95p.
(9) Femme politique belge, élue députée socialiste de Bruxelles, de 1936 à 1951.
(10) Association qui a pour but de promouvoir la reconnaissance des prostituées en tant que citoyennes à part entière et de défendre leurs droits, rebaptisée depuis peu Entre2. Internet: https://www.entre2.org .(11) Lemaire J.Ch. La prostitution Pour ou contre la législation? Bruxelles: Espace de Libertés, 2004.145 p. (La pensée et les hommes, 54).
(12) Initiative d’aide aux travailleurs indépendants du sexe
(13) Association liégeoise de prévention, de suivi médical et de travail de rue auprès des personnes en lien avec la prostitution. Internet: https://www.icar-wallonie.be

Violences conjugales. Offrir un lieu d’écoute spécialisé et anonyme

Le 30 Déc 20

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Le regard qu’hommes et femmes portent sur leurs rapports amoureux est conditionné par les messages que véhicule leur environnement social. Ces représentations sur le rôle de chacun au sein d’une relation amoureuse peuvent être propices à l’émergence et à la tolérance de la violence entre partenaires.
Selon les résultats d’une étude menée par Cap-Sciences humaines et soutenue par la Région wallonne, les victimes de violences conjugales rapportent que dans leurs trajectoires de demande d’aide, elles sont confrontées à de nombreux obstacles. Ces barrières peuvent être regroupées en trois catégories: barrières personnelles, culturelles ou religieuses, institutionnelles.
Parmi les barrières culturelles, la conception traditionnelle de la famille et la peur du rejet par celle-ci est particulièrement puissante, plaçant la victime sous l’emprise de valeurs sociétales qui l’empêchent de «contrevenir» aux règles patriarcales et aux rôles attendus d’une «bonne épouse». La difficulté pour les témoins de distinguer du conflit conjugal (‘dispute de ménage’) la réelle problématique de la violence renforce également cette honte qu’ont les victimes à parler.
Les attentes envers la femme constituent une discrimination dès lors que des stéréotypes continuent à être véhiculés et formatent la dyade homme-femme dans la relation conjugale. Dans ce sens, il est bon de rappeler qu’au-delà du visible et de la représentation que tout un chacun peut avoir de la «femme battue», il y a, à côté de la violence physique, quantité de subtiles expressions de la violence qui passent par des mots, une déconsidération, la création autour de la victime d’un climat d’emprise et de tension, difficilement perceptibles derrière les volets fermés du foyer.
Une prise en charge efficace passe nécessairement par la déconstruction des modèles sociaux qui conditionnent le rôle de la femme. Certains modèles d’intervention utilisés trop rapidement risquent en effet de victimiser davantage une personne en demande d’aide. C’est la raison pour laquelle le numéro vert prend le temps nécessaire pour offrir une écoute neutre et empathique favorisant ainsi la déculpabilisation des victimes et permettant de créer un espace de confiance.
La première chose dont les victimes ont besoin peut sembler évidente et pourtant le fait qu’elles le placent en priorité nous amène à penser qu’il demeure encore trop d’interlocuteurs qui passent à côté de ce lien de confiance que crée une écoute bienveillante. En mettant en avant la qualité de l’écoute des intervenant(e)s qui les ont rencontrées et accompagnées dans les associations spécialisées, les victimes ont expliqué avoir eu besoin de ce sentiment de confiance lié à une écoute bienveillante pour, soit se sentir en sécurité, dans un cadre chaleureux qui abaisse les tensions dues à la situation de crise qui avait précédé leur départ, soit s’accorder le droit de livrer leur histoire en amorce d’un processus de dévictimisation dont elles n’avaient pas encore vraiment conscience.

0800 30 030

La campagne de communication autour du numéro d’appel

La ligne téléphonique ‘Écoute violences conjugales’ existe depuis maintenant un peu plus de deux ans. Cette ligne gratuite est accessible du lundi au samedi, de 9 à 20 heures.
Quelques chiffres de son bilan ont été fournis après un peu moins de deux ans de fonctionnement, en novembre 2011, sur base de 7000 appels environ.
88% des appelants sont des femmes. En 2011, 70% des appelants sont des victimes (pour 16,7% de l’entourage des victimes et 2,7% des auteurs de faits violents). Environ deux tiers des appelants sont âgés de 26 à 60 ans. Dans 40% des cas, le couple existe depuis 1 à 5 ans, et dans 62,4%, auteur et victime partagent le même logement.
Lorsque l’origine des appels est connue, le Hainaut vient en tête (27,5%), suivi de Bruxelles (25,9%) et de la province de Liège (18,6%).
99% des appels concernent des couples en relation hétérosexuelle.
La communication autour de la ligne s’est concentrée dans un premier temps sur les réseaux professionnels. Après évaluation positive du démarrage de la ligne, une campagne de communication grand public, avec spot radio et TV, a eu lieu en fin d’année 2010 début 2011.
Vous avez peut-être vu ou entendu ce spot, qui, sur un extrait de la célèbre (et très belle) chanson de Maurane ‘L’un pour l’autre’ jouait la carte de l’allusion plutôt que de la violence frontale.
Cette campagne a eu un effet indéniable sur le nombre des appels, qui ont été multipliés par cinq aux périodes de forte exposition médiatique.
Une nouvelle campagne a eu lieu fin novembre et pendant les fêtes de fin d’année, avec des spots télé et radio renouvelés. Ces courts messages sont extraits d’une fiction réaliste de 15’, ‘Fred et Marie’, qui illustre avec beaucoup de finesse ce sujet grave et malheureusement trop fréquent (1). Ce court métrage réalisé par Arnaud Petit et Nicolas Dedecker est interprété par Jean-Jacques Rausin et Érika Sainte , et peut être visionné sur le site https://www.fredetmarie.be .
Un petit bémol: le nombre de passages à l’antenne nous a semblé très important, et de nature à lasser quelque peu les récepteurs du message…

A contrario, certaines victimes racontent qu’avant d’arriver dans ces services spécialisés, elles ont été prises en charge dans des structures inadaptées où il pouvait se passer des heures et même plusieurs jours avant de pouvoir parler à un(e) intervenant(e), rajoutant ainsi à la peur et aux tensions de départ, un inconfort et de nombreux doutes qui, chez de nombreuses victimes, ont pour conséquence un retour auprès du conjoint violent.
Les femmes veulent s’assurer qu’elles ne se sentiront pas stigmatisées du fait de leur situation, mais au-delà également, de leurs valeurs, de leurs croyances ou de leurs habitudes de vie.
Elles ont besoin de se sentir écoutées et respectées dans les diverses alternatives qu’elles peuvent formuler en rapport avec leur situation de couple.
Certaines n’envisageront pas la séparation ou le divorce et demanderont peut-être des services tels que la thérapie conjugale, à laquelle participerait le conjoint pour autant qu’il s’agisse de conflits et non de violence. C’est aux intervenant(e)s de les accompagner pour les aider à comprendre ce qui est le mieux pour elles.
Être informées

Certaines victimes nous font part de l’accueil (téléphonique ou non) inadéquat de services qui, par leur manque d’information sur les aides à offrir, ont renforcé une situation de souffrance, le sentiment d’impuissance et le découragement. Ainsi, les victimes nous expriment aussi que dans ces premiers moments de paroles, peu d’intervenant(e)s ont su leur poser des questions permettant de comprendre ce qu’il se passait au sein du couple, préférant renvoyer vers d’autres services qu’au final peu de femmes parmi celles que nous avons rencontrées ont recontacté. À la question de savoir pourquoi elles ne l’ont pas fait, la réponse est encore ici évidente: la honte, l’épuisement et le découragement de passer de services en services et de chaque fois devoir rouvrir la blessure en racontant une histoire douloureuse.
Toutes les femmes violentées doivent par ailleurs recevoir des renseignements sur leurs droits en regard de la judiciarisation et du traitement de la violence entre partenaires dans notre pays. En parallèle, elles doivent être rassurées sur la mission des services publics, sur le fonctionnement des services policiers et judiciaires.
Être supportées matériellement et psychologiquement

Que ce soit à propos des procédures administratives ou de la recherche d’un emploi ou d’un logement, les femmes ont besoin de soutien dans leurs multiples démarches.
Souvent isolées, elles connaissent très peu les ressources mises à leur disposition et se sentent très souvent dépassées par la quantité et la complexité des procédures à remplir. Précarisées par leur situation, elles disposent également de revenus financiers très limités.
Par ailleurs, les victimes témoignent du sentiment de honte et de culpabilité à l’égard de leur situation, portant, dans la majorité des cas, sur leur responsabilité dans la rupture de l’harmonie familiale. Longtemps maintenues dans un processus de domination qui a peu à peu anéanti le reste d’estime pour elles-mêmes, ces femmes ont besoin d’un accompagnement aussi vers la reprise progressive de pouvoir, d’un soutien psychologique respectant leur rythme de cheminement.
Comprendre l’impact des réseaux sociaux (de protection)

Si pour établir un lien de confiance, il faut comme nous venons de le voir certaines qualités d’écoute dans le chef de la personne vers qui l’on se tourne, encore faut-il avoir la possibilité de le faire. C’est la raison pour laquelle nous faisons ici le lien avec l’importance des réseaux sociaux qui entourent les victimes de violences entre partenaires et nous posons la question suivante: une victime qui a accès aux réseaux sociaux primaires (famille, entourage) et secondaires (intervenant(e)s) a-t-elle plus de chance de s’en sortir qu’une victime isolée?
Certains éléments recueillis jusqu’à présent peuvent déjà nous permettre de formuler une réponse. Par ailleurs, les témoignages des victimes viennent renforcer l’idée de l’importance et l’influence des réseaux sociaux à prendre en compte dans le processus de violence. En effet, dans la dynamique du couple, une des stratégies du conjoint violent est bien d’isoler la victime pour maximiser l’emprise qu’il a sur elle. Les réseaux sociaux jouent dès lors un rôle extrêmement important sur la possibilité qu’a la victime de se mobiliser et de chercher de l’aide. En cela, on parlera également à certains moments de réseaux sociaux de protection . Dans l’accompagnement offert par l’équipe de la ligne «Écoute violences conjugales», une attention est portée à la présence et l’influence de l’entourage de la victime afin de la guider au mieux.
Ainsi, certaines victimes racontent que le simple fait de pouvoir identifier parmi leur entourage (proche ou plus éloigné) des personnes sur qui compter en cas de besoin est apaisant même si, dans la réalité des faits, la peur des représailles de la part du conjoint violent les empêche de se confier. Ce besoin d’identification de personnes ressources, personnes de confiance, se vérifiera d’ailleurs une fois les démarches entreprises pour sortir de la violence et une fois le processus de dévictimisation entamé.
Or, la position des réseaux sociaux face à la problématique des violences entre partenaires peut engendrer dans le soutien des réponses ambiguës voire inadéquates freinant la victime dans sa démarche de demande d’aide.
Parmi ces réponses inadéquates, on retrouvera les scénarios suivants:
– l’intervenant(e) qui ne perçoit pas correctement (voire pas du tout) la demande ou le besoin de la victime entraîne chez elle un découragement face à l’incompréhension;
– dans certains arguments avancés par l’intervenant(e) comme éléments de réponse, il peut y avoir une minimisation voire une normalisation des actes de l’agresseur, ce qui a pour effet évident de contribuer – à l’instar des justifications utilisées par ce dernier- au maintien de la relation de pouvoir d’une part et à la culpabilité de la victime d’autre part;
– certaines réponses occasionnent un stress supplémentaire pour la victime qui se sent coincée entre ce qu’elle veut faire et ce que l’intervenant(e) lui dit de faire.
Prendre en considération la socialisation et les apprentissages de la victime

La socialisation et les modèles d’apprentissage (antécédents de domination et de victimisation) sont le point de départ à la compréhension de la problématique des violences entre partenaires. Chaque victime arrive avec un bagage et une façon de faire. Il y a aussi des apprentissages sociopolitiques qui relèvent de la culture.
Il est dès lors essentiel de dépasser très vite le cadre strict de la relation de couple pour rentrer dans l’histoire de vie de la victime. Les victimes expriment bien la difficulté qu’elles rencontrent en se heurtant à l’incompréhension, les questions maladroites de l’intervenant(e) dont le discours apparaît parfois tellement en décalage de leur réalité que le découragement et le repli s’installent très facilement, passant alors à côté de l’enjeu de l’intervention.
Quand une victime raconte que depuis toute petite, on ne lui a jamais appris à dire non, il y a un univers à sonder pour déterminer et comprendre le type de socialisation et les apprentissages par lesquels elle a intériorisé des éléments qui ont favorisé sa victimisation. À l’inverse, pour qu’un conjoint violent agisse sans culpabilité ni responsabilité, il faut une légitimité et par conséquent une adhésion de la victime à ces valeurs que l’on retrouvera seulement en explorant les modes de socialisation.
Il est peut-être utile d’ajouter que derrière chaque femme, chaque victime qui fait appel à un de nos services, qu’il s’agisse du numéro vert ou d’une association spécialisée dans l’accompagnement, voire l’hébergement, il y a une trajectoire particulière avec des ressemblances mais aussi beaucoup de particularités qui nous obligent une fois de plus à dépasser les représentations que l’on se fait des victimes de violences entre partenaires.
Nous retiendrons donc en conclusion que pour que le premier entretien, ici téléphonique, puisse amorcer un travail de dévictimisation, un certain nombre de conditions sont requises pour répondre aux besoins des victimes:
– une écoute empathique;
– une prise en considération de la dimension sociale et culturelle qui entoure la victime (socialisation, normes et valeurs de la victime, antécédents de victimisation);
– un respect des choix de la victime;
– une lecture dynamique de la violence entre partenaires (apprentissage de la victimisation);
– une connaissance du réseau secondaire de la victime, des lieux d’accueil et/ou d’hébergement pouvant lui être conseillés, des services sociaux et/ou administratifs vers lesquels l’orienter.
C’est par la mise en place d’un réseau de professionnels sensibilisés autour de la victime que celle-ci pourra sortir de la violence entre partenaires. C’est en effet de manière plus générale par un travail de collaboration (réseautage) avec tous les acteurs impliqués que l’équipe de la ligne pourra, le plus efficacement possible, orienter la victime afin qu’elle puisse être accompagnée dans ses démarches qui l’aideront à sortir de la violence.
Emmanuelle Mélan , Directrice de l’association Cap-Sciences humaines, Co-fondatrice du Réseau pour l’Élimination des violences entre partenaires
(1) D’après une étude réalisée en 2010 pour le compte de l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes, un couple sur huit vit des situations de violence psychologique du genre de celle décrite dans ‘Fred et Marie’.

Une enquête de santé par examen en Belgique ?

Le 30 Déc 20

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Depuis une quinzaine d’années, quatre enquêtes de santé par interview (HIS, pour Health Interview Survey) ont été réalisées en Belgique par l’Institut de santé publique, en 1997, 2001, 2004 et 2008. Et la prochaine est prévue pour 2013.
Cette enquête permet de récolter un grand nombre d’informations sur la santé et les déterminants de santé des personnes vivant en Belgique, et ce à un coût relativement raisonnable. L’inconvénient de ce type de démarche est que la matière recueillie reflète la perception que les répondants ont de leur santé, et ce qu’ils veulent bien en dire aux interviewers. Cela ne signifie pas pour autant que ce genre d’enquête est à écarter, mais que les données ne sont pas toujours fiables.
Contrairement à la HIS, l’Enquête de santé par examen (HES) se base sur des mesures objectives d’un certain nombre de paramètres de base, tels que le poids, la taille, le tour de taille, la pression sanguine, le taux de cholestérol total et HDL et la glycémie à jeun des répondants. Cela coûte plus cher bien entendu, l’échantillon des personnes à examiner est limité par le coût, les refus de participer à l’enquête peuvent être nombreux, etc.

Données ‘objectives’ et subjectives

Beaucoup de données sont soit mal estimées, soit complètement ignorées par les répondants des enquêtes par interview. Même pour des choses aussi simples à mesurer que la taille et le poids ! Comme par hasard, la taille est surestimée, et le poids sous-estimé… Et les personnes en surcharge pondérale ou obèses ont plus tendance à ‘minimiser’ leur poids que celles qui ont un poids ‘normal’. On ne se refait pas…
Dans le même ordre d’idée, 20 à 60% des gens ignorent leur taux de cholestérol, avec une différence marquée entre classes sociales : comme on s’en doute, les gens de milieux favorisés sont mieux informés que les autres.
Et les autres exemples du même genre abondent…

Depuis quelques années, certains pays européens organisent ce type d’enquête, et un projet européen EHES (pour European Health Examination Survey) (1) est en cours de développement, qui pousse à la généralisation de cette démarche au sein de l’Union européenne.
Expertises étrangères

Le contexte était donc mûr pour que l’Institut de santé publique (ISP) invite une bonne soixantaine de spécialistes belges à une journée d’études sur la question, dont l’objectif était d’évaluer la pertinence d’une HES pour notre pays, et d’explorer si les informations complémentaires à la HIS de ‘routine’ qu’elle permettrait de récolter valent l’investissement.
Cela s’est passé le 15 décembre 2011 au Square , centre de congrès bruxellois rénové voici peu, à côté de l’éphémère piste de ski installée au Mont des Arts pour les fêtes, initiative un brin pathétique dans la capitale de l’Europe par un mois de décembre particulièrement clément !
La matinée fut consacrée à des interventions permettant de cadrer la problématique. Après une rapide présentation des concepts et une revue de la littérature par Johan Van der Heyden (ISP), Jennifer Mendell (University College London) présenta la déjà longue expérience anglaise en la matière, et l’usage que les décideurs politiques peuvent faire d’une HES.
Les enquêtes HES en Europe

Il y en a 6 pour l’instant, en Finlande, Italie, Allemagne, Slovaquie, Angleterre et Écosse. La Grèce, la République tchèque, la France, l’Irlande, le Luxembourg, Malte, la Norvège, la Pologne et le Portugal ont confirmé leur intention de mettre en route une enquête de ce genre entre 2012 et 2015.

L’aspect budgétaire d’une HES, élément critique s’il en est, surtout par les temps qui courent, fut longuement abordé par Hanna Tolonen (Institut national de la santé et du bien-être de Finlande), project manager EHES, qui expliqua aussi le cadre dans lequel l’Union européenne souhaite voir s’inscrire le projet dans un maximum de pays. Étude de faisabilité, et enquêtes pilotes dans 13 pays en 2010-2011 ont donné selon elle des résultats encourageants (2), justifiant les coûts élevés d’une HES, qui seraient très raisonnables en regard des économies que pourrait générer une politique de prévention des maladies chroniques s’appuyant entre autres sur ses données.
Et en Belgique ?

L’après-midi fut dédiée à l’exploration de la pertinence de lancer une HES en Belgique : plus-value pour la politique de santé, rapport d’une consultation des parties prenantes (à l’exception de la Fédération Wallonie-Bruxelles apparemment, alors que cette dernière finance comme les autres l’Institut de santé publique, l’opérateur HIS, et peut-être demain, HES), discussion en groupes linguistiques.
La pertinence de ce type d’enquête ne fut guère remise en question dans les groupes de discussion. Les débats portèrent plutôt sur les modalités pratiques de sa mise en œuvre. Quels sont les paramètres les plus utiles à investiguer en termes de prise de décision de santé publique? À côté des mesures «classiques» évoquées plus haut, certains plaidèrent pour le relevé de biomarqueurs de pollution. En tout cas, un choix judicieux des données récoltées permettrait d’amortir au mieux l’important investissement logistique et financier lié à l’organisation même de cette enquête.
Pour diminuer le coût, on pourrait être tenté de réduire la taille de l’échantillon mais cela risque de compromettre une analyse des résultats par catégorie sociale ou par territoire.
Une inconnue, le degré d’acceptation par le public d’un examen biométrique et d’une prise de sang. Cela devra être vérifié probablement par des expériences pilotes.
Merci à Luc Berghmans pour son coup de main.
Sur base des travaux de la journée, l’équipe de l’ISP planche sur un rapport à remettre aux autorités de santé publique qui décideront in fine de l’avenir de l’enquête HES en Belgique.
Christian De Bock (1) Pour plus d’informations, https://www.ehes.info (en anglais).
(2) Les résultats de la phase pilote seront présentés lors d’une conférence à Bruxelles ces 6 et 7 mars.

Un nouvel outil pour ne plus passer à côté des inégalités sociales de santé

Le 30 Déc 20

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En 2007, la Fondation Roi Baudouin a mis en place un groupe de travail ‘Inégalités sociales de santé’, composé de représentants de différents secteurs, qui ont formulé des recommandations politiques s’adressant à tous les niveaux de pouvoir en Belgique.
Soucieuse d’activer des démarches au niveau local, la Fondation a aussi sollicité une équipe spécialisée de l’Université de Gand pour l’élaboration d’un outil qui permette aux responsables de projets locaux d’observer différents aspects des inégalités sociales de santé (ISS) et de tenir compte davantage des différents sous-groupes au sein des populations concernées par leurs projets.
L’outil développé par l’équipe gantoise s’est fortement inspiré du «Health Equity Assesment Tool» du Ministère de la Santé de Nouvelle-Zélande; il a été testé auprès d’utilisateurs potentiels, et c’est ensuite l’asbl Santé, Communauté, Participation (Sacopar) qui a réalisé la version française.
L’outil s’appelle «Lentille ISS», un nom évocateur du matériel de photographie, permettant de saisir des réalités, utilisant le zoom avant pour capter les détails et le zoom arrière pour garder la vue d’ensemble de l’image.

Une lentille pour qui ?

Cet outil s’adresse à tous les acteurs impliqués dans un projet local destiné à améliorer la santé, le bien-être et la qualité de vie de la population, qu’ils soient décideurs institutionnels, coordonnateurs, acteurs professionnels ou bénévoles. Cet outil s’applique à tous les projets qui ont un impact sur la santé, donc aussi des projets dans d’autres domaines que la santé: l’amélioration de l’accessibilité et de la qualité du logement, la mobilité, le travail, la culture, l’environnement ou l’éducation.
Par projet local, il faut entendre un projet qui se développe au sein d’une communauté qui se définit par ses limites territoriales, une identité commune reconnue et un réseau social. Une communauté peut être aussi bien une commune ou plusieurs communes proches, un quartier, qu’un groupe au sein d’une commune ou d’un quartier.
Une lentille pour quoi ?

La lentille ISS aide à porter plus d’attention aux inégalités sociales et à mieux les prendre en compte dans un projet pour en diminuer les effets sur la santé.
Elle permet de discerner les inégalités sociales existantes au sein de la population qui est concernée par le projet et de répondre à l’interrogation suivante: mon projet tient-il compte de la diversité sociale de la population? Quels sont les différents groupes qui composent la population concernée par mon projet? Dans quelle mesure les stratégies et les activités en œuvre dans mon projet contribuent-elles à améliorer la situation de tous les groupes? Au final, mon projet a-t-il réduit les écarts existant entre les groupes différents?
Une lentille comment ?

La lentille ISS comporte une liste de questions qui se concentrent sur les différences systématiques entre groupes socio-économiques et, au sein de ces groupes sur d’autres différences telles les différences ethniques et de genre par exemple. Grâce à sa déclinaison en trois versions, elle s’adapte à la temporalité d’un projet: son élaboration, son implantation, son évaluation.
Un site internet https://www.inegalitesdesante.be

La lentille ISS est mise à disposition des utilisateurs grâce au site internet qui l’héberge. Un mode d’emploi de la lentille est disponible. On y trouve également un glossaire facilitant l’accès à des personnes issues de secteurs extérieurs à la santé et peu familières du jargon de la santé publique. Pour approfondir les concepts sur lesquels reposent les inégalités sociales de santé, le site a intégré les fondements théoriques de la démarche ainsi que les documents de référence qui s’y rapportent.
Les premières utilisations

La préoccupation de mieux appréhender le phénomène des inégalités sociales de santé se retrouve dans différents dispositifs qui s’intéressent aux déterminants de la santé.
C’est ainsi que la Fondation Roi Baudouin a lancé un appel à projets autour des liens santé et logement, et finance une recherche-action de l’ONE au niveau des consultations prénatales.
On peut aussi penser aux deux appels à projets lancé par le Ministère de la santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles à toutes les communes et CPAS dans une perspective de stimuler un réseau «Vers la réduction des inégalités sociales de santé».
Au niveau régional, les Plans de cohésion sociale sont un autre exemple, en particulier en Wallonie où santé et logement figurent parmi les quatre axes prioritaires.
Afin d’atteindre les responsables de toutes ces actions locales, la lentille ISS a été présentée aux CLPS intéressés qui pourront la proposer aux responsables de projets qu’ils accompagnent, voire les aider à l’utiliser si nécessaire. De plus, les acteurs des 10 projets «Logement» soutenus par la Fondation sont suivis par l’Observatoire wallon de la santé (OWS). Depuis 2010, l’OWS est partenaire de la Fondation dans le droit fil d’un de ses objectifs spécifiques: mettre en évidence les inégalités sociales de santé pour contribuer à les diminuer. C’est le cas aussi à Bruxelles avec le CLPS francophone et le LOGO flamand qui appuient les 5 projets soutenus par la Fondation.
La lentille ISS a également été utilisée par les travailleuses médico-sociales (TMS) des 6 consultations prénatales retenues pour participer à la recherche-action de l’ONE intitulée ‘Réduction des inégalités sociales de santé autour de la naissance’.
Dans une première étape, chaque équipe s’est attelée à décrire la population de sa consultation en utilisant la lentille adaptée à sa spécificité. Partant du constat que les différents concepts liés aux inégalités sociales de santé restent imprécis pour les TMS, des temps de formation ont été ajoutés au processus de la recherche-action avec pour finalité de mieux appréhender les inégalités sociales de santé. Les fondements théoriques et les modèles présents dans la lentille ont servi de supports méthodologiques. Cela s’est fait au départ du modèle écologique de Dahlgren et Whitehead afin de mieux discerner les nombreux facteurs qui influencent positivement et négativement la santé des usagers des services de prénatalité et plus largement, de préciser les concept de déterminants sociaux de la santé, de gradient social et d’équité. Les facteurs de différenciation au sein des usagers qui ont une influence sur leur santé ont été ainsi relevés. En suivi de cette identification, la lentille ISS a été utilisée pour définir des actions et ensuite identifier les partenaires avec qui porter ces actions.
Se laisser guider par la lentille ISS permet d’organiser et formaliser les observations, représentations et projets d’actions des professionnels de terrain. Par exemple, répondre aux questions suivantes: où peut-on agir? Comment déterminer le champ d’action? Qui d’autre peut agir? Quels sont les partenaires identifiés? Dans quels secteurs travaillent-ils? Quels sont leurs objectifs et leurs moyens d’action? Quel est leur intérêt à agir? Quel sera leur rôle et leur implication concrète dans l’action?
La lentille ISS peut facilement s’intégrer à la démarche de projet de promotion de la santé et se combiner à des outils utilisés habituellement dans ce secteur (par exemple: le canevas et la grille d’appréciation utilisés dans le secteur de la Promotion de la santé de la FWB, l’outil de catégorisation des résultats de santé élaboré par Promosanté Suisse…).
Les perspectives

Deux défis pour 2012: faire évoluer la lentille et continuer son implantation auprès des acteurs de terrain.
L’évolution de l’outil devra se faire sur base de son utilisation par les acteurs de terrain et sur le développement de pratiques innovantes en vue de la réduction des inégalités sociales de santé. Repérer ces acteurs et leurs pratiques est la première étape en cours. La suivante sera de renforcer la visibilité de ces actions et leurs impacts sur la réduction des inégalités sociales de santé en activant des échanges d’informations en créant un blog sur le site internet existant.
La recherche-action au sein de l’ONE l’a démontré, la lentille peut être adaptée pour mieux répondre aux exigences et spécificités. Elle pourra ainsi être déclinée au fil des utilisations soit en fonction des publics, soit en fonction des services, soit en fonction des secteurs. L’outil est libre de droits, tout le monde peut s’en saisir et l’adapter après en avoir informé la Fondation Roi Baudouin.
Implanter la lentille c’est aussi mieux la faire connaître des professionnels. Des collaborations doivent continuer ou s’établir avec les secteurs de la promotion de la santé, de la cohésion sociale, du logement, de la mobilité, de l’environnement. Outre des séminaires et rencontres, la formation reste utile pour la démultiplication des pôles de soutien à l’utilisation de l’outil par les acteurs de terrain. En 2012, comme en 2011, un module de formation de 4 jours consacré aux inégalités sociales de santé, et dont le fil conducteur est la lentille ISS, sera au programme de l’Université de printemps en santé publique et promotion de la santé de Bruxelles (du 2 au 6 avril 2012).
L’évolution de la lentille ISS est dépendante de l’évolution de la connaissance, qu’elle soit académique ou expérientielle, des inégalités sociales, de leur impact sur la santé des populations et des moyens qui montrent une efficacité à les réduire. C’est l’objectif du site https://www.inegalitesdesante.be qui reprend les documents significatifs dans la connaissance du phénomène des ISS et aussi les actions menées sur le terrain. Une fiche projet est accessible en ligne, permettant ainsi aux porteurs de projet de fournir rapidement et facilement les informations décrivant leur projet. Il reste à construire un moteur de recherche mettant ces fiches projet à la disposition de tous.
Un appel pressant est fait auprès des lecteurs de la revue Éducation Santé pour faire connaître leurs projets et ceux d’autres intervenants qui travaillent à réduire les inégalités sociales de santé quel que soit le secteur dans lequel ils travaillent.
Pour contacter les auteurs: Martine Bantuelle (martine.bantuelle@sacopar.be) et Hervé Lisoir (lisoir.h@kbs-frb.be)
Références

Où trouver la Lentille ISS? https://www.inegalitesdesante.be . Et en néerlandais? https://www.ongelijkgezond.be
Programme ‘Inégalités sociales de santé’ de la Fondation Roi Baudouin: recommandations politiques, projet soutenus, communiqués de presse… https://www.kbs-frb.be/otheractivity.aspx?id=193904&LangType;=2060
Recherche-action ‘Réduire les inégalités de santé autour de la naissance en soutenant les compétences parentales’, Gaëlle Bouguereau, Chercheuse, ONE – Direction Études et Stratégies, 02 542 14 92, gaelle.bouguereau@one.be
Observatoire wallon de la santé (OWS), Véronique Tellier, Coordinatrice, 081327 212, Veronique.Tellier@spw.wallonie.be. Internet: https://socialsante.wallonie.be/?q=sante/observatoire-wallon-de-la-sante

Dépistage du cancer du sein en fonction du risque

Le 30 Déc 20

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En Belgique, toutes les femmes âgées de 50 à 69 ans sont invitées tous les 2 ans par les autorités à un examen du sein par mammographie. Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) avait conclu en 2010 (KCE Report 129) qu’il n’était pas opportun d’étendre ce dépistage organisé du cancer du sein aux femmes dès l’âge de 40 ans.
Pour les femmes exposées à un risque accru, un dépistage plus précoce peut être envisagé. Mais ce risque accru ainsi que la fréquence et la méthode de dépistage à suivre, doivent idéalement être déterminés de manière standardisée.
Pour les femmes sans risque accru de cancer du sein, le dépistage organisé suffit. Beaucoup de femmes se font pourtant dépister en dehors du programme officiel. Une échographie est alors souvent ajoutée à la procédure diagnostique, échographie qui n’offre généralement aucune valeur ajoutée et entraîne inutilement de l’anxiété et des examens supplémentaires.

La présence d’un cancer du sein dans la famille est le facteur de risque le plus important

Ce sont surtout les femmes dans la famille desquelles il y a déjà eu un cancer du sein qui courent le plus grand risque d’en développer un elles-mêmes. En fonction notamment du lien de parenté avec les membres de la famille qui ont eu ce cancer, le risque sera accru de façon modérée, élevée ou très élevée. Les femmes ayant subi plus jeunes une radiothérapie du haut du corps (irradiation en mantelet) courent également un risque fortement accru. Les femmes à densité mammaire élevée, c’est-à-dire ayant un tissu glandulaire développé et peu de tissu adipeux, appartiennent à la catégorie de risque modérément accru.Chez ces femmes, le risque doit être estimé individuellement. Ensuite, la méthode de dépistage et sa fréquence doivent être déterminées en concertation avec le médecin.
D’autres facteurs comme l’obésité, la consommation d’alcool, la prise de pilules, une première menstruation à un jeune âge, etc. augmentent le risque de cancer du sein mais d’une manière limitée. Pour ces femmes, le dépistage organisé suffit.
L’échographie trop utilisée chez les femmes non exposées à un risque accru

La mammographie est le seul examen approprié pour détecter un cancer du sein. Quand les dépistages sont réalisés en dehors du programme de dépistage officiel, on observe que 85% des mammographies s’accompagnent d’une échographie pratiquée le même jour. L’échographie détecte pourtant peu de cancers du sein supplémentaires et est souvent à l’origine de ‘fausses alertes’, entraînant une anxiété inutile et des examens supplémentaires tels que des biopsies et ponctions. Par conséquent, le KCE recommande de ne pas associer systématiquement une échographie à la mammographie lors d’un dépistage du cancer du sein chez les femmes sans risque accru.
Un dépistage en dehors du programme officiel est recommandé pour les personnes à risque accru

Les femmes ayant un risque accru de cancer du sein devraient être suivies annuellement dès leur jeune âge. Selon le risque, ce suivi devrait commencer à partir de 30 ou 40 ans, ou 5 ans avant l’âge du membre de la famille qui a souffert d’un cancer du sein. Chez ces personnes, il convient d’envisager une mammographie, une IRM, une échographie (dans certains cas), ou encore une combinaison des trois. Les décisions à ce sujet, ainsi que celle de subir ou non un test génétique devraient être prises par des professionnels ayant une expérience et une formation suffisante, en concertation avec la patiente. En outre, la patiente doit être correctement informée des limites, avantages et inconvénients du dépistage d’un cancer du sein et des tests génétiques, ainsi que des traitements inutiles qui devront être subis en cas de découverte de lésions qui finalement se révéleront non cancéreuses, avec toute l’anxiété que cela engendre. Le dépistage vise à assurer qu’un cancer du sein soit détecté, mais il n’est pas encore tout à fait prouvé qu’il permette effectivement de sauver des vies.
L’interprétation de la mammographie par deux radiologues est un must

Chaque mammographie de dépistage doit être lue séparément par deux radiologues. Cela augmente la qualité de l’examen. Cette double lecture est réalisée de manière systématique pour les mammographies effectuées dans le cadre du programme de dépistage officiel. L’interprétation ‘computérisée’ des mammographies n’a pas de valeur ajoutée démontrée et ne peut se substituer à la double lecture. Elle n’est donc pas recommandée.
L’utilisation de la mammographie numérique a plusieurs avantages pratiques tels qu’un stockage plus facile et la possibilité de partager les photos digitalisées avec le radiologue qui émettra le second avis.
Communiqué du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE)
Verleye L., Desomer A., Gailly J., Robays J. Dépistage du cancer du sein: comment identifier les femmes exposées à un risque accru – Quelles techniques d’imagerie utiliser? Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles. Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2011. KCE D/2011/10.273/91. Le rapport du KCE est disponible sur son site https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_172B_depistage_cancer_du_sein.pdf (3,1 Mo, en anglais avec résumé en français).

Le suicide, une des portes de sortie à l’impasse identitaire et existentielle des adolescents

Le 30 Déc 20

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Le 8 février dernier, l’asbl «Un pass dans l’impasse – Centre de prévention du suicide et d’accompagnement en Région wallonne – Réseau Solidaris», organisait une soirée-débat dans le cadre des 7es Journées francophones de la prévention du suicide. Cette rencontre s’articulait autour du documentaire «La dernière tentation» de Claude Couderc qui a reçu le 1er prix du Jury Santé Mentale au Festival ImagéSanté 2010
Ce documentaire ne porte pas de jugement, ne donne pas de recettes. Il questionne simplement un sujet très douloureux. Selon l’appréciation d’Imagésanté, « le film suit d’abord des jeunes qui ont fait une tentative de suicide . Ensuite , les proches de jeunes ayant ‘ réussi leur suicide’ s’expriment . Ces familles ( parents , fratrie ) sont diversifiées , elles montrent ainsi clairement que le suicide peut toucher tous les milieux sociaux . Un regard différent sur le vécu de la situation est apporté aussi par la proximité ou la distance dans le temps de ces familles ( par rapport à l’événement ).»
Par ailleurs, l’intervention des experts (psychiatres, sociologues, responsables d’associations) recadre les émotions. Toujours selon Imagésanté, « ces diverses facettes donnent une image non réductrice de la problématique . Une large place est accordée à l’expression des sentiments . Les témoignages des jeunes et des familles sont poignants , mais non macabres . Les professionnels , de par leurs explications , montrent le long cheminement des jeunes et tiennent un discours déculpabilisant pour les proches . Ce document peut aider les parents à ne pas se sentir seuls , à apprendre à avoir le recul nécessaire pour réapprendre à vivre et ne pas se punir toute la vie .»

Augmentation des tentatives de suicide et rajeunissement

Le suicide est la deuxième cause de mortalité après les accidents de la route chez les moins de 25 ans. Il est en passe de devenir la première cause de mortalité chez les moins de 20 ans.
Selon Xavier Pommereau , psychiatre et directeur de l’unité de l’adolescent au Centre Abadie du CHU de Bordeaux, on assiste actuellement à un rajeunissement de la population en souffrance qui se signale par des troubles graves dès l’âge de 13-14 ans. « Quand j’ai ouvert en 1992 l’unité pour les jeunes suicidaires , la moyenne d’âge était de 17 ans . Il s’agissait surtout de jeunes lycéens ayant fait des tentatives de suicide . À l’heure actuelle , la moitié de ce service est représentée par des jeunes de moins de 15 ans . Et cette tendance est générale . Avant , à 13 ans , on avait le plus souvent des jeunes issus de milieux très défavorisés qui pétaient un câble parce qu’on les surprenait en train de faire un shoot dans une cave … Les tableaux étaient extrêmement typés . Maintenant , nous recevons des ados issus de tous les milieux sociaux . Pas seulement des milieux défavorisés ni de l’immigration . J’insiste , car les clichés sur le sujet sont tellement durables . La souffrance et le vrillage de l’adolescence peuvent vraiment concerner tout le monde .» (1)
Thérèse Hannier , fondatrice et présidente de l’Association française de prévention «Phare Enfants-Parents», tire quant à elle la sonnette d’alarme face à l’augmentation des manifestations de mal-être chez les jeunes dont les tentatives de suicide font partie. « Toutes les manifestations de mal – être sont en augmentation . Beaucoup de ces jeunes en difficulté ne sont pas suivis par un médecin ou un psychiatre . Ce qui est très inquiétant , ce sont toutes les manifestations de mal – être où la violence est retournée contre soi et dont la tentative de suicide est l’acte extrême . À côté de ça , il y a de plus en plus de scarifications , de jeunes qui en viennent à s’automutiler , à se faire mal , à s’en prendre à leur corps , se brûler , se couper au cutter .»
Faire cesser une souffrance insupportable

Dans le documentaire, les intervenants analysent les raisons des conduites suicidaires. Dans la majorité des cas, le suicide est une réponse à une souffrance devenue intolérable et qui échappe souvent aux parents, aux éducateurs, à l’environnement.
Ainsi, explique Xavier Pommereau, « ce qu’il faut comprendre , c’est que quand on est en difficulté identitaire pour quelque raison que ce soit , les tensions et tumultes de l’adolescence peuvent donner envie de faire cesser la souffrance . Il faut comprendre que la pensée suicidaire , ce n’est pas forcément mourir : c’est en finir avec la souffrance . Le geste suicidaire inclut deux parties : d’une part , ‘ Tout s’arrête , j’en ai assez , c’est intolérable’ et d’autre part , ‘ Je veux que ça continue autrement , je veux exister autrement … ’ Malheureusement , aux dépens de ceux qui restent . »
Le psychiatre insiste sur le fait qu’il ne peut y avoir d’adolescent suicidaire sans trouble de l’identité. « Mais entendons – nous bien : par identité , j’entends place et rôle reconnus par tous . Cela signifie donc une identité au sein de la famille évidemment , mais également à l’école et dans le corps social . On observe souvent aujourd’hui que de nombreux jeunes qui vont mal , qui sont fragilisés par des événements de vie très douloureux , ont moins d’appui et de soutien de la part du groupe social . Ils ont donc le sentiment d’être seuls , et parfois tellement seuls , qu’ils vont penser au pire .»
D’une manière générale, et sans doute plus particulièrement pendant l’adolescence, la souffrance est difficilement exprimable par des mots parce que le jeune lui-même ne comprend pas ce qu’il est en train de vivre intérieurement. Voilà peut-être pourquoi ces souffrances devenues intolérables échappent souvent à l’entourage du jeune.
Michel Debout , psychiatre, médecin légiste et président de l’Union nationale de prévention du suicide, estime par ailleurs qu’il faut, en effet, « être sensibilisé au fait que le jeune qui s’est suicidé a pu cacher pendant un moment son désarroi , ses difficultés , ses peurs , ses angoisses . Il les a cachés à ceux qui l’aiment le plus au monde , c’est – à – dire à ses propres parents . Il n’a pas caché pour être mauvais avec eux ou pour leur faire une mauvaise surprise . Il a caché ses souffrances pour ne pas les préoccuper , pour ne pas qu’eux – mêmes aient à souffrir de sa propre souffrance .»
Au Centre Abadie, plus précisément à l’unité de l’adolescent où de nombreux jeunes sont malheureux, déprimés, mal dans leur peau, Xavier Pommereau constate qu’il y a peu de bruit, peu de rage et de violence exprimées parce que les jeunes vivent ce centre comme un lieu d’apaisement, un lieu contenant. « Ils appellent ça un ‘ cocon’ où ils se sentent protégés du reste du monde . C’est une des raisons pour lesquelles on préfère ne pas les garder trop longtemps car ils préféreraient vivre ici que dans la vraie vie . On veut qu’ils soient mieux armés pour pouvoir supporter la violence du monde .»
Mais au Centre Abadie, il n’y a pas de médecine miracle, prévient le psychiatre. « Ce sont l’écoute et l’échange qui comptent avant tout .»
Culpabilité et besoin de comprendre

Les témoignages des parents, frères, sœurs… traduisent évidemment, avant tout, une profonde souffrance face à la disparition d’un être cher dans des circonstances tellement brutales et incompréhensibles que sont les actes suicidaires.
Ainsi, la maman de Stéphane parle de son fils et essaie de comprendre son geste. « Un professeur m’a dit qu’il avait été pris d’une mélancolie foudroyante , d’un coup de folie . Je suis certaine que l’avenir lui faisait peur . Quand j’allais le chercher au lycée , nous passions devant l’ANPE où les gens défilaient pour pointer . Un jour , il m’a dit : ‘ Tu vois , maman , je bosse comme un con et peut – être qu’un jour , je serai là aussi’ . Je n’arrive pas à comprendre , si ce n’est que pour lui , il aurait peut – être aimé arrêter l’école et ne faire que du vélo . Sa passion , c’était le vélo . C’était un garçon intelligent et lucide , avec beaucoup de cœur . Il ne supportait pas de voir la pauvreté autour de lui . Il ne comprenait pas les injustices . Quand il voyait des jeunes se détruire dans la boisson , la drogue , il ne comprenait pas . Jamais Stéphane ne nous a laissé voir qu’il était en mal – être de quelque chose . Je n’explique toujours pas son désarroi . Je le cherche . Je lui parle . J’attends une réponse que je n’ai pas .»
Le message de Stéphane

«Ma dernière volonté: que mes parents ne fassent pas comme moi, qu’ils m’oublient simplement. Je m’excuse d’agir comme cela car je sais très bien que papa et maman auront beaucoup de peine, mais qu’ils comprennent que je pars à la recherche du repos, du bonheur, de la liberté d’un oiseau. J’aurais voulu devenir un champion, comme Merckx, mais tout cela n’était qu’utopie: je suis un petit et je resterai petit. J’aurais pu choisir de partir mais je ne voulais pas laisser mes parents dans un mal trop fou car je les aime. J’aurais également pu me suicider d’une manière plus propre mais je ne veux pas me rater. Que se passe-t-il? Mais oui, je pleure. »

Ludovic a aussi cherché une explication au suicide de sa sœur Émilie qui s’est pendue à l’âge de 16 ans dans le pavillon familial. « Ce qui m’a soutenu , c’est de lire son journal intime grâce auquel j’ai compris la spirale noire , ténébreuse , dans laquelle elle était . La seule issue , vu l’orientation de ses pensées , c’était ça . Il n’y avait pas d’autre solution à laquelle se raccrocher . Ce qui m’apaise aussi , c’est de me dire que si elle avait pensé un tant soit peu au mal qu’elle nous a fait , je pense qu’elle ne l’aurait pas fait . C’est un état d’esprit qui fait que l’on est aspiré dans un tourbillon qui conduit à cet acte . Ce qui manque , c’est de se raccrocher au réel et aux gens qui les aiment .»
La maman d’Isabelle n’a pas perçu que sa fille allait se suicider. Elle évoque le profond sentiment de culpabilité qui l’habite. « Je crois que je n’ai pas voulu voir . En interprétant ses attitudes à la lumière de ce qui s’est passé , j’aurais pu deviner . En tant que parent qui a perdu un enfant , on reste dans le désir de la toute – puissance de vouloir empêcher à tout prix ce qui s’est passé . On est très sévère envers soi – même . J’ai eu et j’ai encore une culpabilité à certains moments . Ca vient par vagues . Il y a des moments où je suis encore submergée par cette culpabilité . J’aurais dû voir . J’aurais dû la protéger de tout . Parvenir à avoir la force de continuer sans elle , c’est absurde . Comment j’arrive à faire pour vivre sans elle ? Ai – je été une bonne mère ? C’est sûr que je n’ai pas fait tout ce qu’il fallait pour elle .»
Remettre l’individu au centre des préoccupations

Comment mieux prévenir le suicide des adolescents? D’abord, en faisant le point sur la place et le rôle de chacun au sein de la société.
Or, aujourd’hui, quelle place accorde-t-on aux parents dans la société? « Ce qu’il y a surtout , c’est que l’on n’a pas aidé non plus les parents à être des parents », constate Marie Choquet , sociologue et directrice de la recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « Certains parents ont de lourdes histoires , ils ont connu des difficultés de vie et on les a laissés se dépatouiller avec ça . Après , on leur dit ‘ Vous n’êtes pas de bons parents’ . Je crois donc qu’il faut travailler sur plusieurs générations . Ca ne convient pas de culpabiliser les parents car ils sont la résultante d’une vie . Au contraire , il faut les aider à mieux jouer leur rôle de parent et surtout les épauler à certains moments de leur vie dans ce rôle parental pour dépasser les difficultés que les uns et les autres peuvent avoir .»
Ce n’est pas tout. L’important, ce sont les individus et les familles, insiste Marie Choquet. « Sans cela , les personnes peuvent avoir l’impression d’être des pions dans une stratégie économique , dans une société où l’individu ne compte plus . Si c’est ça que les parents transmettent à leurs enfants , bien sûr qu’ils seront démoralisés . Il faut travailler sur le fond du problème . Le fond du problème , c’est que les jeunes d’aujourd’hui ont plus de mal à voir des perspectives d’avenir , à voir ce que l’avenir représente pour eux . Il n’y a pas seulement le travail , il y a aussi la vie sociale et familiale . Beaucoup de jeunes nous disent ‘ Quand on voit les adultes , ça ne donne pas très envie … ’ ».

«Quand on fait une tentative de suicide, on cherche à disparaître du monde et à ce que les autres nous oublient, et à oublier notre souffrance.»

Des propos confirmés par la maman d’un adolescent qui s’est suicidé: « Parents , enseignants , professionnels de la santé , travailleurs sociaux … Tous doivent se mobiliser . La société doit remettre l’individu au centre de ses préoccupations .»
Ne pas les laisser s’enfermer et échanger

Le Professeur Philippe Jeammet (2), psychanalyste et spécialiste de l’enfant et de l’adolescent, interpelle quant à lui les parents. « Ce qui est important , c’est de ne pas laisser – sous prétexte d’autonomie ou de respect de leur pudeur – les ados se couper des échanges et s’enfermer dans leur monde . Ils ont leur espace , leur intimité , mais on doit pouvoir se rencontrer avec des échanges relativement vivants . Quand les jeunes crient , quand il y a quelque chose d’interactif et qu’ensuite , ils s’isolent froidement , c’est qu’il y a généralement quelque chose qui est en train de se fermer de leur capacité d’ouverture , qui n’est pas un choix , qui est quelque chose de subi où la biologie , le tempérament , les troubles de l’humeur ont souvent un impact que l’on commence à mieux connaître .»
Le psychanalyste insiste sur l’importance du rôle des adultes, et des parents en particulier, aux yeux des ados. « Les ados sont ce qu’on les fait , sans qu’on ait tout pouvoir . On ne les fabrique pas , ils ne sont pas des objets . On n’a donc pas tout le pouvoir mais on sert de modèle . Les parents doivent se dire qu’il faut garder une occasion d’échange vivant avec leurs enfants . Vis – à – vis des ados , la meilleure aide , c’est de parler de ce qui nous motive devant les difficultés , lâchetés , déceptions , de dire en quoi la vie continue quand même de valoir la peine . Il me semble qu’on ne comprend plus tellement ce temps – là ou que ça paraît un peu ridicule . On manque d’échanges sur le sens de ce qu’on vit .»
Rencontre avec Xavier Malisoux, psychologue au Centre « Un pass dans l’impasse »

Éducation Santé: Pourquoi le centre «Un pass dans l’impasse» a-t-il choisi de projeter «La dernière tentation» lors des 7es Journées Francophones de la Prévention du Suicide?
Xavier Malisoux: Notre intention était d’essayer de faire le ménage parmi les idées reçues qui peuvent exister autour du suicide des jeunes et des tentatives de suicide. On dit souvent que les tentatives de suicide ne sont que des appels à l’aide. Or, ce n’est pas que ça, comme le montre le documentaire.
Nous voulons aussi dédramatiser car si on parle beaucoup du suicide des jeunes, il est utile de rappeler que le nombre de suicides augmente en fait avec l’âge. Par contre, en terme de mortalité, le suicide tue plus à l’adolescence qu’à n’importe quel âge.
Ce qui est préoccupant au niveau des ados, c’est leur recours répété au passage à l’acte, aux tentatives de suicide et aux conduites à risque (3).
ES: Qu’en est-il du suicide des ados en Belgique?
XM: Plus d’un adolescent sur trois est habité par l’idée du suicide à un moment ou à un autre. Et parmi eux, un peu moins d’un sur dix passera à l’acte. Or, on sait que le nombre de suicides chez les jeunes est sous-estimé. D’une part, au niveau du repérage des causes de mortalité, la question du suicide est un peu évacuée en Belgique, comme dans beaucoup d’autres pays. D’autre part, de nombreux accidents peuvent être considérés comme des équivalents suicidaires.

« Je voulais pas mourir . Je voulais juste me tuer .» Cette phrase écrite par une jeune fille sur un mur d’expression du Centre Abadie est expliquée par une autre patiente: « Je pense que cette fille se sentait morte à l’intérieur , mais son corps était vivant . Elle voulait juste faire disparaître son corps .»

Grâce à l’historique de la personne, on peut remonter les heures, les jours, les semaines qui précèdent le décès pour comprendre ce qui s’est passé. À ce sujet, des études très intéressantes ont été réalisées au Québec: elles montrent, par exemple, qu’un jeune, peu de temps avant un accident de voiture, s’était plaint d’idées suicidaires auprès d’un médecin.
Une de nos revendications est donc qu’il y ait un meilleur repérage, d’abord au niveau de l’enregistrement lorsque survient un décès, ensuite, sur les raisons du décès. Via les généralistes, les services d’urgences, il est possible de récolter beaucoup d’informations très précieuses.
ES: Par rapport au suicide des adolescents, qu’est-ce qui vous interpelle le plus?
XM: Ce qui m’a frappé dans le documentaire, tout comme dans mon travail de consultation, c’est la notion de poser un acte destructeur, non pas pour mourir, mais dans l’espoir de pouvoir recommencer quelque chose, en faisant fi de ses difficultés. C’est en quelque sorte vouloir se réaliser autrement en se déchargeant de ses tensions et contradictions qu’on rencontre tous dans la vie.

Claire s’être jetée du 4e étage après une rupture avec son petit ami. Elle a échappé à la mort.
«Je pense que je n’avais pas nécessairement besoin d’aller si loin. Je n’ai pas réalisé, pas réfléchi. Après l’acte, la première chose que j’ai dite à mes parents, c’était que je ne voulais pas mourir.
L’acte suicidaire est la conséquence d’une douleur intérieure d’une personne qui n’arrive plus à la gérer. Quand on commence à ressentir cette douleur, il faut la rendre visible. La première chose, c’est accepter de se dire ‘J’ai besoin d’aide’. Et ensuite, accepter d’en discuter avec une équipe qui va redonner confiance. Je pense que c’est essentiellement une histoire de confiance.»
Claire livre un message d’espoir et de vie aux adolescents tentés par le suicide: « La vie est belle . Il faut s’accrocher . Surtout , si on ne va pas bien , il faut en parler . Rien ne mérite d’attenter à sa vie . Il y a trop de belles choses à faire sur terre .»

D’autre part, on remarque que les adolescents suicidaires sont généralement assez sensibles aux attentes des autres, assez lucides sur leurs propres failles, sur eux-mêmes, sur les autres. Ils ont beaucoup d’intelligence. C’est peut-être ça qui les perd quelque part, car c’est sans doute trop lourd d’avoir déjà, à leur âge, un tel regard sur la vie.
ES: Quel éclairage donnez-vous au suicide des ados à la lumière du documentaire et de vos consultations avec les jeunes?
XM: L’adolescence marque la sortie de l’enfance et d’un monde assez sécurisant et protégé dans lequel l’individu a fait ses apprentissages. L’adolescent se trouve propulsé dans un entre-deux, entre l’enfance et l’adolescence, entre la totale dépendance et l’autonomie croissante, aussi bien dans son univers familial que dans l’univers social.
L’adolescence, c’est aussi un moment où le jeune est confronté à la réalité. Il y a tout d’abord le réel pubertaire: la puberté se met en route et modifie le corps. Il y a également la rencontre avec la sexualité, qui peut être plus ou moins traumatisante pour l’ado, avec tout ce que cela peut réveiller de la problématique oedipienne, plus ancienne. S’enclenche alors sur le plan psychique ce que l’on peut nommer le «travail d’adolescence».
Puis, il y a le réel du social qui donne l’impression que tout est faisable et réalisable dans un infini de possibles: c’est un message que l’on reçoit de plus en plus souvent dans notre société. Mais avec son revers qui est que ça laisse bien seul l’ado en recherche d’autonomie et d’affirmation identitaire. Ce vertige de liberté risque alors de se muer en une peur du vide et d’induire chez lui le sentiment qu’il pourrait s’y perdre.
Au moment de l’adolescence, pour se construire, le jeune est appelé à se positionner par rapport à ses parents, à la société en termes de projets et de réalisation de quelque chose. S’il n’est pas suffisamment armé narcissiquement, c’est-à-dire que s’il n’a pas avec lui un balluchon psychique suffisamment rempli d’images positives, de confiance en lui, il risque de se sentir menacé. Surtout dans notre société qui prise très fort la responsabilité individuelle tout en étant très permissive dans le sens où les limites sont de plus en plus explosées, presque hors limites, avec de moins en moins de guides. Malheureusement, si on ne se cogne pas contre quelque chose, on avance dans le flou. Face à ces deux aspects de la société, si le jeune n’a pas ce balluchon psychique auquel s’accrocher, une angoisse peut monter très violemment.
Ainsi, devant ce sentiment de devoir réaliser quelque chose pour exister et face à ce flou, le suicide vient un peu comme une possibilité de laisser une photo sublime de soi, pour faire survivre une image de soi telle qu’on voudrait qu’elle soit, tout en évacuant les difficultés réelles de la vie.
Par ailleurs, aussi bien dans le suicide que dans les troubles alimentaires, il y a une notion importante de contrôle, le besoin de retrouver un sentiment de puissance. Pendant l’enfance, le jeune vit avec un sentiment de toute-puissance. Il se croit au centre de tout, à l’origine de tout ce qui se passe autour de lui, même entre ses parents. Arrivé aux premières difficultés de l’entrée dans l’adolescence, face a des difficultés familiales, scolaires… le jeune peut se dire: « Je suis venu au monde , je suis là , alors que je n’ai rien demandé à personne et voilà tout ce qui me tombe sur la tête .» C’est dans ce sens que l’on peut parler de sentiment d’impuissance. Le suicide est une tentative de reprise de contrôle sur sa vie, en négatif: « Je ne maîtrise pas ma vie , mais c’est la mienne et j’en fais ce que je veux .» Cela peut se traduire notamment par des mises en échec répétitives de soi, des conduites à risques ou de rupture.
ES: En quoi consiste le travail thérapeutique avec les adolescents suicidaires?
XM: La problématique de l’ado suicidaire peut être résumée par ces questions: « Qu’est – ce qui me fait vivre ? Est – ce que je vis parce que je suis là , né comme ça , alors que je ne voulais pas vivre dans cette famille – là , ni dans cette école – là , ni dans cette ville et ce monde – là ? Est – ce ça qui me fait vivre ? Non , je ne vois pas le sens .» Face à un tel constat, un volet très négatif peut se mettre en route.
Ces questions permettent aussi d’agir, d’intervenir et d’aider l’adolescent à essayer de savoir à quoi il peut se raccrocher pour avancer dans sa vie et, par là, l’amener à prendre conscience de son ambivalence et de sa peur de l’échec: « J’ai envie de réussir mais je ne sais pas si je vais y parvenir .»
Cette phrase laissée sur le mur d’expression du Centre Abadie « Je voulais pas mourir . Je voulais juste me tuer .» qui laisse sans voix, révèle bien la contradiction qu’il y a dans la tête et parmi les sentiments de ces jeunes. Car ceux-ci ont, en réalité, un grand appétit de vivre tout en ayant le sentiment que leur vie est irréalisable ou qu’ils sont trop démunis face à la vie. Il y a donc une grande ambivalence pour la vie. Face à cette ambivalence, le jeune peut être pris de panique s’il n’est pas suffisamment armé narcissiquement. Il peut avoir le sentiment que le défi est beaucoup trop grand pour lui, qu’il ne pourra pas le réussir et sa vie peut s’écrouler à ce moment-là.
Aussi, est-il primordial d’aider le jeune à prendre conscience et à verbaliser l’ambivalence qui l’habite, son désir de vivre quand même et de se réaliser, qui est masqué par la prise de risques, la tentative de suicide ou la destruction. Notre travail consiste donc à l’aider à verbaliser ses contradictions, ses tensions internes pour qu’il ne les projette pas dans un passage à l’acte ou pour qu’il ne les retourne pas contre son corps.
Colette Barbier
(1) Source: « Adolescents en souffrance », une interview réalisée par https://www.curiosphere.tv .
(2) « Pour nos ados, soyons adultes », Philippe Jeammet, Éd. Odile Jacob, 2008.
(3) Voir à ce propos la série de Damien Favresse et Patrick De Smet « L’adolescence et le risque » dans les numéros 265 , 266 et 267 d’ Éducation Santé .

Les jeunes fumeurs moins nombreux mais plus accros !

Le 30 Déc 20

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En moyenne, les jeunes qui ont déjà fumé l’ont fait pour la première fois avant leur 13e anniversaire. 7% des jeunes ont commencé à l’âge de 10 ans et 6% à 11 ans. La période entre 13 et 17 ans constitue apparemment un moment critique, pendant lequel les jeunes entrent en contact avec le tabac pour la première fois. En moyenne, ils fument 12,7 cigarettes par jour, c’est-à-dire une de plus que l’an dernier.

La première cigarette

L’étude publiée récemment par le CRIOC (1) démontre qu’en-dessous de l’âge de 13 ans, pratiquement aucun jeune ne continue à fumer après une première expérience. Dès l’âge de 13 ans le nombre de jeunes qui essaient leur première cigarette augmente de manière spectaculaire, tout comme le nombre de jeunes qui continuent de fumer après ce premier essai.
Près de 90% des jeunes déclarent ne pas avoir essayé leur première cigarette seuls, mais avec des amis. 54% des jeunes pensent que la première cigarette n’est pas si dangereuse et qu’il suffit de s’arrêter à temps. Les plus jeunes élèves voient plus de dangers liés à la première cigarette mais semblent moins conscients que les élèves plus âgés des effets d’accoutumance du tabac.
Arrêter de fumer et prévenir le tabagisme

La part des jeunes parmi les fumeurs diminue, mais la consommation moyenne de tabac par jeune qui fume augmente de 7,5 cigarettes par jour (en 2008) à 11,5 (en 2009) et à 12,7 en 2010. À partir de l’âge de 16 ans, il y a plus de fumeurs, qui fument en moyenne 12 à 13 cigarettes par jour. Avoir réellement besoin de fumer se ressent chez 4 jeunes fumeurs sur 5. Lorsqu’il est impossible de fumer pendant une longue période, les jeunes fumeurs deviennent d’abord agités ou facilement irrités ou ils sont déconcentrés. L’étude démontre que 93% des jeunes fumeurs courent le risque de devenir dépendants du tabac.
Près de 60% des jeunes fumeurs ont déjà essayé d’arrêter de fumer, mais sans succès. L’enquête révèle que 63% des jeunes fument toujours aujourd’hui parce qu’il leur est vraiment difficile d’arrêter de fumer. Les jeunes sont en faveur d’une interdiction générale de fumer à l’école, et de plus en plus sont même pour une interdiction généralisée de la vente de cigarettes. Ils sont en moyenne 65% à penser que l’information peut prévenir le tabagisme et que les parents jouent un rôle très important dans cette prévention.
Au total, 13% des jeunes déclarent fumer, ce qui est moins qu’en 2008 (16%). Le nombre de fumeurs de 12 ans et moins reste limité. Entre 13 et 15 ans le nombre de fumeurs diminue par rapport à 2010 mais entre 16-17 ans, il s’accroît!
Le profil des jeunes fumeurs est le suivant

Formation : ils se retrouvent plus souvent en secondaire technique (+10%) ou professionnel (+17%).
Âge : ce sont des jeunes âgés de 16 ans (+8%) à 17 ans (+19%).
Domicile : ils habitent plus souvent à la campagne wallonne (+6%) et dans des petites localités flamandes (+13%).
Situation familiale : ils font partie de familles monoparentales père (+19%) ou mère (+15%). Les élèves dans des familles plus petites fument beaucoup plus, en moyenne (25 cigarettes par jour) que les élèves dans d’autres types de famille.
Groupe social : en moyenne, des jeunes faisant partie de groupes sociaux inférieurs fument plus, 16,9 cigarettes par jour. Les jeunes appartenant à des groupes sociaux supérieurs fument moins, 8,1 cigarettes par jour.
Relations personnelles : ils sont plus souvent déçus de leur situation familiale (+9% pour chacun de ces cas).
Consommation d’autres produits : des utilisateurs fréquents de dopants ou de produits entraînant la dépendance (+71%).
Les recommandations du CRIOC

La politique de prévention et de lutte contre le tabagisme doit donner la priorité absolue à la lutte contre la consommation de tabac chez les jeunes. Notamment par des actions de sensibilisation au sein des lieux de vie (famille, écoles) et surtout dès la fin de l’enseignement primaire. “ En effet , l’âge auquel les jeunes commencent à fumer coïncide avec l’âge auquel les jeunes commencent à sortir . D’autant que l’accoutumance se produit rapidement ” déclare Marc Vandercammen , Directeur général du CRIOC. Le CRIOC demande aussi que des sanctions soient prises à l’encontre des vendeurs qui ne respectent pas l’interdiction de vendre du tabac à des jeunes de moins de 16 ans.
Communiqué par le CRIOC (1) Jeunes et tabac, CRIOC, septembre 2011, consultable à l’adresse https://www.oivo-crioc.org/files/fr/6038fr.pdf . Étude quantitative par interview de 2854 jeunes âgés de 10 à 17 ans dans les écoles de Belgique, réalisée d’octobre à décembre 2010. Marge d’erreur d’1,9%.

Le temps passe, pas le sida. Informons, encore et toujours

Le 30 Déc 20

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Le sida ne fait plus vraiment peur chez nous. Beaucoup de gens pensent d’ailleurs que le sida, c’est un problème qui concerne l’Afrique, ou d’autres régions, mais tellement peu la Belgique! Et pourtant, une nouvelle fois, un triste record est battu: jamais le VIH n’a fait autant de nouvelles victimes dans notre pays. Il faut donc, encore et toujours, renforcer l’information, la prévention, l’accès aux traitements et la solidarité.
Chaque jour dans le monde, plus de 7.000 personnes sont contaminées par le virus du sida. En 2010, 1,8 million de personnes sont décédées de causes liées au sida. Cette maladie qui a fait quelque 30 millions de morts depuis son apparition, il y a une trentaine d’années, poursuit ses ravages et continue à se répandre.

Nouvelles contaminations: plus nombreuses que jamais en Belgique

Avec 3,3 nouvelles contaminations par jour, la Belgique n’est pas épargnée.En 2010 près de 1.200 nouvelles contaminations ont été diagnostiquées . C’est, une nouvelle fois, le niveau de contamination par le VIH le plus élevé depuis le début de l’épidémie. Plus élevé même qu’en 1992, lorsque le sida faisait la Une de l’actualité. Et le nombre d’infections sexuellement transmissibles suit la même courbe, ce qui témoigne d’un relâchement des comportements de prévention: les comportements à risques sont en nette augmentation.
En clair, même si l’on parle beaucoup moins du sida aujourd’hui, le risque n’a pas diminué. C’est pourquoi, la Plate-forme prévention sida et ses partenaires insistent encore et toujours sur la nécessité de l’information. Ils l’ont rappelé avec force lors de la Journée mondiale du sida le 1er décembre dernier.
Le sida ne fait plus peur. Et pourtant, vivre avec le VIH reste très difficile.

Aujourd’hui, le sida fait moins peur parce que, grâce à la trithérapie, on en meurt beaucoup moins. Mais on n’en guérit pas non plus. Et même parfaitement contrôlée par le traitement, la présence du VIH dans le corps induit un état inflammatoire qui accélère son vieillissement. On estime en effet aujourd’hui que les maladies de la vieillesse apparaissent 10 à 15 ans plus tôt chez les personnes séropositives.
Et vivre avec le VIH reste difficile. Aux inconvénients d’un traitement à vie et de ses effets secondaires, s’ajoute bien souvent l’isolement affectif. Les discriminations et le rejet envers les personnes séropositives au sein de leur vie professionnelle, de leur entourage, de leurs amis restent malheureusement d’actualité et beaucoup de personnes infectées préfèrent ne pas dévoiler leur séropositivité. Un secret terriblement lourd à porter. Cette attitude discriminatoire est souvent la cause de connaissances incorrectes ou approximatives: les idées fausses qui continuent à circuler font le lit de la discrimination.
L’information reste donc une priorité

Parce que le sida poursuit ses ravages, y compris en Belgique où il n’y a jamais eu autant de nouvelles contaminations qu’en 2010.
Parce que les comportements à risque augmentent.
Parce que les dernières enquêtes menées en Belgique (voir plus loin) révèlent une mauvaise connaissance des moyens de transmission et des méthodes de protection: ainsi, par exemple, une personne sur deux ignore que choisir des partenaires à l’apparence saine est une méthode de protection inefficace! Et cette mauvaise connaissance est plus répandue encore chez les jeunes, alors que ceux-ci débutent leur vie sexuelle et ont des partenaires changeants.
Parce que les dépistages restent insuffisants ou trop tardifs, ce qui, d’une part, retarde la prise en charge médicale des personnes contaminées avec tous les risques de santé que cela comporte pour elles, et d’autre part, en l’absence de moyens de protection, génère de nouvelles contaminations.
La Plate-forme Prévention Sida, en collaboration avec ses partenaires, donne donc la priorité à l’information en lançant une nouvelle exposition interactive sur le sida, «Sida, cartes sur table», spécialement conçue pour les adolescents et en relançant, à l’intention de tous, la campagne «Douze fiches d’information essentielle».
Enquête: que sait et pense la population belge à propos du VIH/Sida et des personnes séropositives ?

Une grande partie de la population belge de plus de 15 ans ne perçoit pas correctement le mode de transmission du virus VIH et la façon dont il faut s’en protéger lors des rapports sexuels. C’est ce que révèle une vaste enquête de santé publique (1) menée en Belgique.
L’Institut scientifique de santé publique, qui a réalisé cette enquête, surveille depuis plusieurs années le niveau de connaissance de la population belge – et particulièrement celui des jeunes générations – au sujet du VIH/sida. Les informations recueillies permettent notamment d’identifier les groupes démographiques auprès desquels les programmes de prévention devraient être renforcés.
Certaines questions posées lors de la dernière enquête récoltaient des informations au sujet de la connaissance relative à la transmission du virus du sida et aux moyens de protection. D’autres cherchaient à cerner l’attitude de la population à l’égard des personnes séropositives, en particulier sur le lieu de travail. Enfin, l’enquête cherchait aussi à savoir dans quelle mesure la population belge a déjà eu recours au test du VIH/sida et le temps écoulé depuis ce test.
Que révèle l’enquête ?

Cela paraît presque incroyable mais beaucoup de personnes ne savent toujours pas exactement à quoi s’en tenir concernant la transmission du VIH et les moyens de s’en protéger.
Concernant la transmission du VIH
L’enquête proposait quatre types de contact non-contaminants à identifier (embrasser quelqu’un sur la bouche, une piqûre de moustique, manger un repas préparé par un porteur du VIH, être donneur de sang en Belgique). Seul 4 personnes sur 10 ont identifié ces 4 contacts non-contaminants. Et une personne sur deux pense qu’on peut être contaminé en donnant du sang en Belgique.
Concernant les moyens de protection
L’enquête proposait cinq moyens de protection, deux moyens inefficaces (choisir des partenaires qui paraissent en bonne santé et, par ailleurs, se retirer avant l’éjaculation) et trois moyens efficaces (éviter la pénétration lors des rapports sexuels, utiliser un préservatif lors de chaque rapport avec pénétration, ou encore, n’avoir qu’un seul partenaire sexuel, fidèle et non infecté).
Fait particulièrement inquiétant, une personne sur deux seulement sait que « choisir des partenaires sexuels qui paraissent en bonne santé » ne suffit pas à se protéger contre le VIH ! Et les connaissances relatives à la protection se sont plutôt dégradées ces dernières années: seulement 46% de la population reconnaît correctement les deux moyens inefficaces de protection, contre 59% en 2004 et 55% en 1997.
Par ailleurs, 44 % de la population a reconnu les trois méthodes de protection efficaces proposées. La méthode la plus connue est la fidélité au sein du couple (91% de la population), suivie par l’usage du préservatif (88%). À peine 46% de la population sait qu’éviter la pénétration lors des rapports sexuels protège contre la transmission du VIH.
Concernant le dépistage
Un quart de la population (24%) a déjà effectué un test de dépistage pour le VIH, ce qui est en (légère) augmentation depuis 1997 (21%). Par contre, le pourcentage de personnes testées dans les trois mois précédant l’interview a chuté de 13% à 5%.
Concernant l’attitude à l’égard des personnes séropositives et malades du sida
Les connaissances approximatives sur la maladie et les modes de transmission du virus continuent à générer des comportements discriminatoires . En milieu professionnel, si près de 8 personnes sur 10 désapprouvent le licenciement en raison d’une infection à VIH, le fait de rendre publique la séropositivité d’un collègue sans l’accord de ce dernier est approuvé par près de 4 personnes sur 10.
L’analyse des résultats révèle encore que
-les personnes ayant un niveau de formation plus élevé ont une meilleure connaissance du VIH/sida (transmission et protection) et une attitude plus positive vis-à-vis des personnes séropositives. Elles sont aussi plus nombreuses à avoir effectué un test de dépistage;
-les plus jeunes (15-24 ans) sont les moins bien informés concernant les contacts non-contaminants et les méthodes non-protectrices contre le VIH;
-les personnes de 15 à 44 ans désapprouvent plus que leurs aînés l’attitude discriminatoire et intolérante à l’égard des personnes séropositives en milieu professionnel.
Il ressort de l’enquête que de nombreux efforts doivent encore être fournis pour mieux informer la population, tant au niveau des facteurs de risque de transmission du virus qu’à celui des méthodes de protection. Les moins bien informés sont d’une part, les aînés, d’autre part, les jeunes. C’est particulièrement inquiétant pour les jeunes, qui débutent leur vie sexuelle et ont des partenaires changeants.
Toutefois il importe de renforcer les connaissances relatives au VIH/sida dans la population entière car le manque d’information nourrit les préjugés négatifs et les attitudes discriminatoires à l’égard des personnes infectées. On peut ainsi rappeler qu’une étude menée en Flandre et à Bruxelles par Sensoa (1) – l’équivalent de la Plate-forme prévention sida en Communauté flamande – révèle que de nombreuses personnes séropositives n’osent pas dévoiler leur séropositivité par crainte des discriminations. L’enquête confirme que la population belge est encore loin de se montrer tolérante vis-à-vis des personnes séropositives.
La Plate-forme prévention sida

L’asbl Plate-forme prévention sida a été créée en 2000 avec pour mission d’assurer en Fédération Wallonie-Bruxelles le soutien à la concertation des acteurs de la prévention des IST/sida dans le cadre de la mise sur pied des campagnes de prévention du sida et des autres infections sexuellement transmissibles à l’attention du grand public et des jeunes en particulier. La Plate-forme est aussi chargée de la réalisation complète de ces programmes.
Au-delà de la conception participative des campagnes de sensibilisation, la Plate-forme va sur le terrain, tout au long de l’année, afin de sensibiliser le public. À ce titre, chaque année, elle organise une série d’actions menées dans le cadre de la Journée Mondiale de Lutte contre le Sida du 1er décembre, qui constitue un moment privilégié pour sensibiliser le grand public à cette question, pour fournir toute l’information indispensable à la prévention et à la lutte contre l’exclusion et pour encourager la solidarité à l’égard des personnes séropositives ou souffrant de la maladie.
Par ailleurs, la Plate-forme orchestre aussi diverses campagnes financées par la Fédération Wallonie-Bruxelles et menées en concertation avec le secteur de la prévention des IST/sida et de la promotion de la santé. Tout en visant le grand public, et les jeunes en particulier, ces actions veillent également à intégrer des publics particulièrement vulnérables.
Les principes d’action

Maintenir le sida à l’ordre du jour au sein du public général et des jeunes en particulier . Cela se traduit, notamment, par la mise en place d’une campagne d’été au mois de juin, destinée essentiellement aux jeunes, et d’une série d’actions à l’occasion de la Journée Mondiale de Lutte contre le Sida.
Promouvoir la solidarité à l’égard des personnes séropositives et malades . Il s’agit de promouvoir dans la population un esprit de solidarité et des attitudes non discriminatoires à l’égard de ces personnes. Aujourd’hui encore, il se trouve des gens qui refusent, par exemple, de travailler ou d’étudier avec un séropositif…
Lutter contre la stigmatisation et la discrimination à l’égard des publics spécifiques . Le maintien d’une préoccupation commune à l’égard du sida et des risques de contamination permet aussi d’invalider l’idée présente dans la population générale selon laquelle le sida ne toucherait plus aujourd’hui que des groupes spécifiques (usagers de drogue, homosexuels masculins, personnes prostituées, migrants).
Adopter une vision positive de la sexualité dans la communication à propos du sida . Cette communication vise à prendre en compte tant les aspects relationnels que les modalités techniques de la protection, en intégrant les différentes composantes de la vulnérabilité.
Les axes de travail

Axe de communication / promotion
Cet axe permet de promouvoir les nouveaux projets mis en place par la Plate-forme, notamment le projet de campagne de l’été et celui du 1er décembre. Il permet également d’assurer un «bruit de fond» relatif à la prévention du sida dans la population générale.
Axe de mobilisation des relais / actions de terrain
Cet axe est développé dans le cadre de la décentralisation des expositions, dans l’organisation de la Journée Mondiale du Sida, l’organisation d’animations en milieu festif et dans la réalisation d’animations dans le milieu scolaire et autres lieux de vie.
La décentralisation des expositions est l’occasion de mobiliser des relais du secteur de la promotion de la santé (CLPS, associations locales de lutte contre le sida) avec lesquels un partenariat privilégié est conclu. Des relais politiques locaux sont également mobilisés (villes, communes, provinces) afin que les politiques locaux apportent un soutien au projet Cette mobilisation de divers secteurs permet d’encadrer la décentralisation de l’exposition par l’organisation d’événements en lien avec le projet (animations dans les écoles, réorientation vers les plannings, etc.).
À l’occasion du 1er décembre , une mobilisation des relais en Fédération Wallonie Bruxelles est organisée. Dans le cadre des actions de sensibilisation dans les transports en commun, la Plate-forme prévention sida va à la rencontre de la population. Le soutien des relais politiques locaux est également sollicité. Depuis quelques années, le soutien des dix-neuf communes de la Région de Bruxelles-Capitale est également sollicité.
Durant les mois d’été principalement, la Plate-forme va à la rencontre des jeunes pour les sensibiliser à l’utilisation du préservatif et aux modes de prévention des IST via ses outils interactifs et ludiques.
La mobilisation des relais est également mise en œuvre dans le cadre des demandes d’animations formulées par les acteurs du milieu scolaire. D’autres milieux de vie (groupes de quartier, centres d’accompagnements…) sont également sensibilisés.
Axe de participation des publics cibles
Pour les projets destinés aux jeunes dans le cadre de la campagne «été», un groupe de jeunes est constitué en début de projet. Il est invité à remettre des avis sur les productions de chaque étape du projet. Au terme du travail, une réunion d’évaluation est organisée avec le groupe de jeunes.
Pour les actions en milieu festif, des jeunes formés à la prévention vont sensibiliser d’autres jeunes via les festivals et autres soirées.
Axe de conception , de mise à disposition d’outils et d’accompagnement à leur utilisation
Une analyse des besoins des acteurs partenaires de la Plate-forme en matière d’outils didactiques est réalisée en continu. Cette analyse des besoins a encore été améliorée par le développement de l’axe de concertation dans le cadre des «stratégies concertées».
En fonction des besoins formulés par les acteurs de terrain et des possibilités budgétaires, des outils sont réalisés en associant ces acteurs dans le cadre de groupes de travail constitués spécifiquement pour chaque projet. Les acteurs sont associés aux différentes étapes de conception des outils et pour la diffusion.
Les outils produits jusqu’à présent sont de plusieurs types: brochures d’information pour les jeunes relatives aux sida et aux IST; support ludique pour les actions d’été et les distributions de préservatif; brochures d’information destinées aux personnes séropositives; outils produits en lien avec les expositions (livres, DVD, etc.).
En collaboration avec les CLPS, des formations à l’utilisation des outils IST/sida sont proposées aux intervenants santé et jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Axe de concertation
La concertation est assurée de manière transversale à tous les projets. Des groupes de travail ad hoc, constitués des divers partenaires actifs dans le secteur de la prévention du sida et plus largement de la promotion de la santé, sont mis sur pied pour chaque projet et se réunissent régulièrement pour accompagner les différentes phases de la réalisation du projet. Les membres du groupe sont également sollicités pour planifier la diffusion des supports de communication ainsi que pour le recueil de données qui serviront à l’évaluation.
Par ailleurs, la Plate-forme participe activement au processus des «stratégies concertées du secteur de la prévention du sida et des IST en Fédération Wallonie-Bruxelles».

Dans les prochains numéros, nous développerons les chiffres du sida en Belgique et les tendances actuelles de la lutte contre le sida dans le monde. Nous présenterons également les avancées récentes en termes de traitements, sans oublier, sur le plan de la prévention, la nouvelle exposition de la Plate-forme ‘Cartes sur table’. Nous reviendrons aussi sur la lecture par le secteur ‘prévention sida/IST’ du projet de réforme des compétences ‘santé’ en Fédération Wallonie-Bruxelles.
(1) «Les connaissances relatives à la transmission du virus du sida», Belgique 2008- Edith Hesse, Institut Scientifique de Santé Publique
(2) SENSOA , feiten & Cijfers: Leven met HIV, 2005

Au Sud-Soudan, après l’indépendance, le défi de la santé maternelle

Le 30 Déc 20

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Alors qu’il vient d’accéder à l’indépendance le 9 juillet dernier, le Sud-Soudan affiche le taux de mortalité maternelle le plus élevé au monde et le pays manque cruellement de personnel médical qualifié.
Indépendant depuis le 9 juillet dernier, le Sud-Soudan, majoritairement rural, va sans doute allonger la liste des pays les plus pauvres de la planète.
Ravagé par plus de 20 ans de guerre civile entre le Nord et le Sud, le Sud-Soudan manque cruellement d’hôpitaux et de personnel médical. Le taux de mortalité maternelle (2 054 décès pour 100 000 naissances) y est l’un des plus élevés au monde, si pas le plus élevé, et un enfant sur sept n’atteint pas son cinquième anniversaire.
Actuellement, moins de 15 % des naissances se déroulent en présence de personnel qualifié. Pourtant, la plupart des causes de mortalité maternelle pourraient être gérées par une sage-femme. «Beaucoup de femmes rechignent à venir à l’hôpital, ou en sont empêchées par leur mari» , déplore Laura Latina , une sage-femme italienne qui dirige la maternité de l’hôpital Médecins sans frontières à Gogrial, une petite ville située à 560 km au nord de la capitale Juba. «Généralement, elles travaillent à la maison et aux champs jusqu’au terme de la grossesse. La famille fait alors appel à une accoucheuse traditionnelle. Mais, même si elle a de l’expérience, elle n’est ni formée ni équipée pour faire face à des complications. Et quand les choses tournent mal, comme il n’y a pas d’hôpital à proximité, il est souvent trop tard» , ajoute-t-elle.
Le centre de soins de MSF, ouvert en décembre 2009, est la seule facilité médicale accessible pour plus de 200.000 personnes vivant dans les environs. Il dispose d’un service d’hospitalisation, d’une maternité et dispense des soins chirurgicaux d’urgence. La fréquentation croissante de la maternité et du centre de soins prénataux montre cependant que les habitudes sont en train d’évoluer. «J’ai eu mes quatre premiers enfants à la maison» , témoigne Akuel Chuei , dont le ventre rond est dissimulé sous une robe traditionnelle. «Mais des personnes que je connais sont venues à l’hôpital et ont été contentes des soins qu’elles ont reçus. Alors, je me suis dit que cette fois, j’allais essayer» , confesse-t-elle.
En 2010, l’hôpital a mené 7000 consultations prénatales, soit une moyenne mensuelle de 583 patientes. «C’est un grand changement. Avant, les femmes ne recevaient tout simplement aucun soin» , se réjouit le docteur sud-africain Prinitha Pillay , qui coordonne l’équipe médicale. «Mais il faut encore améliorer l’information. Pour l’instant, la plupart des patientes ne viennent pour un premier examen qu’au cours des derniers mois de grossesse. À ce moment, il arrive qu’une infection se soit déjà installée» , explique-t-il.
Autre obstacle: les femmes enceintes doivent parcourir de longues distances à pied pour se rendre à la maternité. «Certaines accouchent sur la route» , dit Laura Latina. Selon elle, une solution serait de proposer des maisons d’attente aux femmes qui présentent des complications ou à celles qui habitent loin d’un hôpital. «Elles pourraient y être accueillies pendant les semaines qui précédent l’accouchement, avec leurs enfants, et recevoir les visites de la famille » .
Une solution idéale mais sans doute encore loin d’être généralisée dans les hôpitaux sud-soudanais, réduits en ruines par la guerre. Actuellement seuls 3,7 % du budget sont consacrés à la santé. «Le manque de moyens pose de vrais défis en terme de développement des infrastructures, mais aussi en ce qui concerne les salaires du personnel médical» , reconnaît Janet Michael , chef du département Nursing and Midwifery du Ministère de la Santé. «Une sage-femme communautaire qui travaille dans un hôpital public ne gagne que 300 livres environ (78 euros) par mois. La plupart pratiquent donc des accouchements à domicile pour arrondir leurs fins de mois. Quand la stabilité sera revenue au Sud-Soudan, nous ne dépenserons plus autant pour la sécurité du territoire. Et cet argent pourra être consacré à des secteurs comme la santé ou l’éducation. Mais cela prendra beaucoup de temps… Il nous faudra peut-être 50 ans pour rattraper notre retard» , avoue Janet Michael.
Premier pas dans la bonne direction, au mois de mai, quarante étudiants ont achevé la première année d’un cursus de trois ans au sein de la toute nouvelle école d’infirmières et de sages-femmes de Juba. Financée par l’UNFPA (United Nations Population Fund) et l’OMS, cette formation est la première de ce type au Sud-Soudan et débouchera sur l’attribution d’un diplôme en conformité avec les standards internationaux.
Tisarina Mesko , qui se destine au métier de sage-femme, a eu la chance de suivre des études en Ouganda et est déjà infirmière. Après une première expérience professionnelle à l’hôpital de Nimule, près de la frontière ougandaise, elle a décidé, à 30 ans, de retourner sur les bancs de l’école. «J’ai réalisé que permettre aux femmes d’accoucher dans de bonnes conditions était un des défis majeurs pour le Sud-Soudan. Dans l’hôpital où j’ai travaillé, il y avait des infirmières, mais pas de sages-femmes» , raconte Tisarina. «Et nous avons perdu plusieurs patientes, parce que nous ne savions pas gérer un accouchement difficile et qu’il n’y avait pas de médecin disponible. Or, si l’on veut que les futures mères se rendent dans les hôpitaux pour accoucher, il faut leur offrir un service de qualité, ce qui fera la différence avec un accouchement traditionnel au village» , conclut-elle.
Patricia Huon , Infosud Belgique

Les jeunes et l’addiction, d’un paradoxe à l’autre

Le 30 Déc 20

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Quel type de profil a le jeune d’aujourd’hui face à la consommation d’alcool, de tabac, de drogues et de jeux d’argent? Le CRIOC a mené une enquête quantitative auprès de jeunes âgés de 10 à 17 ans dans les écoles de Belgique entre octobre et novembre 2010. Les résultats ont permis d’établir cinq profils de jeunes consommateurs. On remarque que la cohérence de leurs propos n’est pas toujours en adéquation avec leurs comportements.

Les candides

Ce sont les jeunes ‘responsables’, ils représentent la grande majorité, avec 48%. Ce sont des jeunes généralement contents de leur vie familiale, amicale et scolaire, qui ont une hygiène de vie satisfaisante et des passe-temps variés. Le groupe des candides estiment que la vente de cigarettes devrait être interdite et que l’école devrait être un lieu où le tabac devrait être banni.
Actuellement, ces jeunes avouent toutefois fumer, souvent en cachette de leurs parents. Quant au cannabis, ils sont en majorité conscients des dangers et insistent sur l’importance du dialogue dans la prévention et sur le rôle des parents. L’usage de cannabis se fait le plus souvent en groupe, dans un cadre festif et est souvent combiné avec la consommation d’alcool. À noter que près de 50% de ces jeunes candides ont déjà consommé des boissons alcoolisées et que cette consommation a débuté très tôt, vers l’âge de 12 ans.
Les jeunes candides sont surtout des Bruxellois, âgés de 12 à 15 ans, issus des classes sociales privilégiées. Le paradoxe vient du fait qu’ils sont conscients du caractère addictif du tabac et du cannabis mais qu’ils ne se considèrent pas comme dépendants.
Les discordants

Ils représentent 9% des jeunes et sont la plupart du temps satisfaits de leur vie familiale, amicale et scolaire, ainsi que d’eux-mêmes et de l’endroit où ils vivent. Ils ont une hygiène de vie méticuleuse, font attention à ce qu’ils boivent et mangent, et ont des passe-temps variés. Ils aiment surtout faire du sport, regarder la télévision et sortir avec des copains dans le quartier. Ils considèrent que le tabac, l’alcool et la drogue sont mauvais pour la santé et que le vol n’est pas un acte anodin. Cependant, ils fument régulièrement et avec, disent-ils, l’accord de leurs parents. L’usage du cannabis est plutôt rare. La consommation de solvants est un peu plus fréquente. Ce groupe est composé le plus souvent d’enfants de 10 ans, issus des groupes sociaux moyens des communes rurales wallonnes et fréquentant l’enseignement primaire. Il est plus sensibilisé que les autres aux messages de prévention.
Cette catégorie de jeunes ne se sent pas dépendante mais ils déclarent tout de même qu’il leur est difficile d’arrêter de consommer des substances addictives. Certains jeunes admettent ressentir l’effet de manque quand ils s’abstiennent de fumer.
Les mitigés

Ils sont 28%, ce sont des jeunes comblés par leur vie familiale, amicale et scolaire. Ils ont une hygiène de vie soignée, font attention à ce qu’ils boivent et mangent, et pratiquent des passe-temps variés. Ils consomment rarement du tabac, mais en parlent ouvertement avec leurs parents, qui fument parfois eux-mêmes. Des proches (famille ou amis) leur ont proposé leur première cigarette vers l’âge de 12 ans. Concernant le cannabis, ils disent ne pas en consommer, même si des amis leur en proposent régulièrement. Ils sont toutefois d’avis que le danger que représente la consommation de cannabis peut être contrebalancé en prêtant une attention particulière à la qualité du produit et à la quantité consommée. Parfois, ils ont commencé à goûter aux boissons alcoolisées un peu avant 10 ans, souvent sur proposition d’un membre de leur famille. Les jeunes mitigés fréquentent souvent l’enseignement primaire, habitent dans une ville, en Wallonie ou en Flandre, vivent dans une famille monoparentale à garde alternée et sont issus de la classe moyenne.
Ce groupe de jeunes n’est pas convaincu que le tabac entraîne une dépendance mais déclare avoir difficile à arrêter de fumer.
Les blasés

Ils sont 5%, ces jeunes sont satisfaits de leurs amis et de leur vie scolaire mais sont plus réservés sur leur vie de famille, leur habitation et sur eux-mêmes. Ces jeunes font moins attention à ce qu’ils consomment comme nourriture et boissons. Ils ont des passe-temps variés mais aiment surtout aller boire un verre entre amis. Ils estiment que le tabac, l’alcool et la drogue ne sont pas si néfastes pour la santé, et que le vol n’est pas si dramatique. Le jeune blasé a tout testé et la consommation de substances addictives fait partie de son quotidien. Malgré d’évidents signes de dépendance, il nie les dangers des produits et se focalise sur les bénéfices qu’il tire de sa consommation. Les blasés vivent souvent entourés de fumeurs, et fument eux-mêmes avec une moyenne de 13 cigarettes par jour. Le cannabis est considéré comme «sans danger» et a été essayé vers 14 ans. Ils consomment aussi toutes sortes de boissons alcoolisées, régulièrement de façon excessive et consacrent en moyenne 80 euros par mois aux jeux d’argent. On retrouve ces jeunes en particulier à Bruxelles et dans les communes rurales wallonnes. Ils sont souvent issus d’une famille monoparentale (mère seule), sont âgés de 16-17 ans et fréquentent l’enseignement professionnel ou artistique.
Ces jeunes perçoivent les effets de manque quand ils ne consomment pas de la drogue ou des cigarettes pendant un certain temps mais ils estiment qu’il suffit de s’arrêter à temps.
Les curieux

Ils sont 9% et sont satisfaits de leurs relations amicales et d’eux-mêmes. Ils rejettent globalement le vol, la drogue, l’alcool et le tabac mais sont moins catégoriques. Ils ont des hobbies variés mais préfèrent aller boire un verre avec des amis, faire du sport, regarder la télévision et jouer aux jeux vidéo ou sur ordinateur. Entourés de fumeurs, ils ont allumé leur première cigarette, seul ou en groupe, vers 12 ans. Ils continuent souvent de fumer à l’heure actuelle. Ils ont essayé le cannabis vers 14 ans, après avoir goûté au tabac. Beaucoup consomment encore, en semaine ou le week-end, mais rarement seuls. Parfois, ils usent de produits pour améliorer leurs performances intellectuelles ou sportives, pour lutter contre la fatigue physique et pour améliorer la mémoire. Certains ont parfois même testé de la cocaïne ou du crack. Depuis en moyenne l’âge de 15 ans, il leur arrive de jouer de temps en temps pour de l’argent: loterie, billets à gratter, cartes, poker ou bingo dans les cafés. Ils consacrent en moyenne 32 euros par mois aux jeux d’argent. Vers 12 ans, ils ont commencé à boire toutes sortes de boissons alcoolisées avec leurs amis. La consommation se fait dans un cadre festif. On retrouve ces jeunes en particulier à Bruxelles et dans les petites localités flamandes. Ils appartiennent plus souvent aux groupes sociaux modestes, vivent dans un ménage de 2 personnes, souvent en famille monoparentale, père ou mère. Ils sont en général âgés de 16-17 ans et suivent un enseignement technique.
Ces jeunes sont conscients que la cigarette entraîne une dépendance mais ne se sentent pas concernés par cette dépendance alors que certains avouent ressentir des effets de manque lorsqu’ils ne fument pas.
Communiqué par le CRIOC

La contraception des jeunes

Le 30 Déc 20

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Une évaluation de l’Agence intermutualiste

En mai 2004, une mesure visant à « lutter contre les grossesses non désirées chez les jeunes par un meilleur accès aux moyens contraceptifs » (1) a été mise en place au niveau fédéral. Elle visait en outre à améliorer l’accès des jeunes femmes à la contraception et notamment à la contraception d’urgence, à établir un système de remboursement pour tous les moyens contraceptifs fiables et à stimuler les médecins à prescrire des pilules meilleur marché et conformes aux recommandations internationales.
Cette mesure «contraception jeunes» concerne exclusivement les jeunes filles et jeunes femmes jusqu’à l’âge de 20 ans inclus et consiste en un meilleur remboursement de tous les moyens contraceptifs fiables , obtenus sur prescription auprès des pharmaciens (une liste de ces contraceptifs est remise à jour mensuellement). Sont visés: pilules, stérilets, patchs, anneaux vaginaux et implants. Grâce à ce meilleur remboursement, certaines pilules sont désormais gratuites. À noter que les préservatifs ne sont pas concernés par cette mesure.
C’est dans le cadre d’une convention spécifique (article 56(2)) entre l’INAMI, les organismes assureurs et les pharmaciens que cette mesure a été concrétisée et financée. Pour 2010, l’enveloppe budgétaire était de 8,3 millions d’euros(3). En outre, de 2004 à 2006, des campagnes d’information et de distribution gratuite de préservatifs ont accompagné le lancement de cette mesure.
Mais au final, cette mesure atteint-elle les objectifs fixés? Constate-t-on un accroissement du nombre de jeunes femmes ayant acheté un contraceptif? Qui sont-elles? Quel type de contraceptifs consomment-elles et combien? Leur prescrit-on plus de contraceptifs bon marché afin de favoriser leur utilisation? Combien tout cela coûte-t-il? Et, last but not least , une amélioration de l’accès à la contraception a-t-elle un impact sur les grossesses précoces? Telles sont les questions auxquelles a essayé de répondre l’Agence Intermutualiste (AIM), chargée d’évaluer cette mesure.
Dans le cadre de cet article, nous présentons et reprenons les résultats principaux du rapport final, qui analyse les quatre premières années de mise en place de cette mesure.
Méthode et données utilisées

L’AIM collecte et regroupe des données administratives et de remboursement de soins de santé auprès des sept organismes assureurs (les cinq unions nationales de mutualités et deux caisses de soins (4)) qui ont pour mission d’exécuter l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités (AO) au bénéfice de leurs membres.
Dans le présent cadre d’évaluation, ce sont les données relatives à la consommation de contraceptifs remboursés entre 2002 et 2007 qui ont été rassemblées, pour la population des jeunes de sexe féminin âgées de 12 à 20 ans inclus (soit 550.775 personnes, en 2007).
La date de délivrance est considérée comme date de référence à partir de laquelle se calcule la consommation annuelle de contraceptifs. Pour déterminer et pouvoir comparer le volume de cette consommation, c’est la notion de DDD ( defined daily dose ) qui a été choisie en guise d’unité de mesure. Elle correspond à la quantité de produit équivalente à une dose journalière standard pour un adulte.
Des données de soins de santé ont été également rassemblées afin de pouvoir identifier les cas de grossesse. Ceux-ci sont détectés sur base de codes de la nomenclature relative aux accouchements , aux interventions et soins pour les fausses couches et aux interruptions volontaires de grossesse .
Le fait d’être bénéficiaire de l’intervention majorée (BIM) est considéré comme ‘marqueur’ du statut social. Ce régime préférentiel de remboursement est octroyé à certaines catégories sociales dont les revenus sont faibles (5) (VIPO, bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, omnio…). Pour les jeunes filles «à charge» (au sens de l’assurabilité) de leurs parents, il s’agit de tenir compte du régime de remboursement du titulaire dont elles dépendent.
Le fait de recourir aux données de l’AIM garantit bien l’exhaustivité des informations relatives aux soins remboursés dans le cadre de l’AO: toutes les jeunes femmes inscrites auprès d’une mutualité sont bien reprises dans ces données. Par contre, les moyens contraceptifs diffusés par d’autres canaux, notamment gratuitement par les Centres de planning familiaux, ne sont pas repris dans ces données.
De même, la mesure s’applique à toute une série de contraceptifs qui n’étaient pas remboursés avant l’introduction de la mesure en mai 2004. Pour ces contraceptifs, il est donc très difficile d’évaluer correctement l’évolution des volumes consommés puisque nous n’avons aucune idée du niveau de leur consommation préalable.
Enfin, rappelons aussi que les données étudiées ici apportent uniquement des informations sur le volume de contraceptifs remboursés et délivrés , en guise d’indice de consommation. Mais elles ne livrent aucune information sur la manière effective dont ceux-ci sont utilisés ainsi que sur le volume de contraceptifs prescrits mais non délivrés ou sur ceux qui ont bien été délivrés mais non remboursés par l’AO.
Proportion de jeunes femmes ayant recours à la contraception et volume de contraceptifs délivrés

Globalement, en tant que système de remboursement des moyens contraceptifs, la nouvelle mesure fonctionne bien. Depuis son entrée en vigueur, la proportion de jeunes ayant eu recours à (au moins) un des contraceptifs remboursés progresse régulièrement: de 28,7 % en 2004 à 31,6 % en 2007. Comme on peut le voir dans le tableau 1, cette proportion varie selon l’âge: très faible dans la tranche 12 à 14 ans, elle est de l’ordre de 30 % dans la tranche 15 à 17 ans et de 56 à 59 % dans la tranche 18 à 20 ans.
Ces proportions sont-elles plus importantes qu’avant la mesure? Il semble que ce soit bien le cas: en 2002 et 2003, la proportion globale de consommatrices est de l’ordre de 22 à 23 %. Mais attention, les données relatives en 2002 et 2003 ne concernent que les contraceptifs remboursés à l’époque par l’AO: tous les contraceptifs visés par la mesure n’étaient pas remboursés et, par conséquent, les données sont incomplètes pour cette période. Toutefois, l’évolution de contraceptifs déjà remboursés avant 2004 montre une tendance similaire.
Tableau 1: Proportion de consommatrices (au moins un contraceptif délivré) par rapport à la population par âge pour la Belgique

Catégories d’âge
2002 2003 2004 2005 2006 2007
12-14 ans 1,6% 1,6% 2,4% 2,4% 2,7% 2,8%
15-17 ans 21,0% 21,0% 28,8% 29,6% 30,3% 31,8%
18-20 ans 47,0% 45,0% 56,3% 57,9% 58,3% 58,7%
12-20 ans 23,0% 22,0% 28,7% 29,6% 30,5% 31,6%
Données AIM
La proportion de jeunes filles couvertes pour une année complète est en augmentation mais reste globalement faible: 20 % en 2004, 29 % en 2007. Cette dernière proportion augmente avec l’âge: ainsi, en 2007, elle est de 13 % chez les 12-14 ans, de 25 % chez les 15-17 ans et de 33 % chez les 18-20 ans.
Qu’en est-il de l’accessibilité à la contraception selon le statut social des jeunes femmes? Globalement, la proportion de consommatrices chez les BIM est plus faible (30 %) que celle observée auprès des autres jeunes femmes (32 %). Si cet écart apparaît faible, il n’en va pas de même quand on examine cette proportion par âge: les jeunes filles BIM jusqu’à 15 ans ont davantage recours aux contraceptifs. Ceci pourrait correspondre au fait que les jeunes filles socialement plus défavorisées ont une activité sexuelle plus précoce. Par contre, à partir de 16 ans, les jeunes femmes BIM utilisent proportionnellement moins de contraceptifs, l’écart avec les autres jeunes femmes allant en s’accroissant. Or, comme on le verra plus loin, les grossesses sont plus fréquentes dans cette tranche d’âge et pour ces jeunes femmes.
Entre 2004 et 2007, la proportion de jeunes femmes ayant eu recours aux moyens contraceptifs s’accroît dans les trois régions du pays. Cela dit, à Bruxelles, cette proportion est bien plus faible (18 à 19 %) que dans les deux autres régions (30 à 34 %) et croît moins vite. Cette différence régionale persiste même après standardisation pour l’âge et le régime de remboursement (BIM ou assurée ordinaire).
Elle pourrait s’expliquer par un certain nombre de facteurs culturels: le Tableau de bord de la santé en région bruxelloise (2010) nous apprend que « près de la moitié (47 %, en 2007) des bébés bruxellois ont une mère de nationalité non belge au moment de l’accouchement ». Par ailleurs, Haelterman E et al. (2007) indiquent (sur les données de la région bruxelloise entre 1998 et 2004) que: « la proportion de mères très jeunes ( moins de 20 ans ) est particulièrement élevée parmi les mères turques ( 9 , 9 %) et d’Europe de l’Est ( 6 , 2 %)» suivies par les mères d’Afrique subsaharienne (4,9 %) et les mères maghrébines (4,5 %). En comparaison, la proportion de mères de nationalité belge de moins de 20 ans était de 2,5 %.
Ceci montre que les différences de comportement face à la contraception ne sont pas uniquement expliquées par le statut socio-économique des jeunes filles: les facteurs sociaux, culturels et psychologiques sont peut-être même plus importants. Dès lors, une meilleure accessibilité financière n’est qu’un des leviers pour favoriser la contraception et diminuer le nombre d’interruptions de grossesse chez les adolescentes.
Grossesse et contraception

Un des buts de la mesure est d’éviter les grossesses non désirées. Le rapport de l’AIM présente beaucoup de données quant aux grossesses des jeunes filles et jeunes femmes, à leur issue et au lien à faire avec une éventuelle contraception préalable.
Globalement, la proportion de jeunes entre 12 et 20 ans ayant été enceintes au cours de l’année est de l’ordre de 13 pour mille . Cette proportion est très stable au cours du temps (de 2002 à 2007) et varie en fonction de divers critères d’analyse:
L’ âge . Comme attendu, la proportion de jeunes femmes enceintes augmente avec l’âge. Pour les jeunes filles de 12 à 14 ans, cette proportion est très marginale: 0,5 pour mille . Pour celles entre 15 et 17 ans, elle augmente à 7 pour mille . Enfin, pour les 18 à 20 ans, elle s’établit à 31 pour mille . 80 % des grossesses sont détectées dans cette dernière catégorie d’âge. Les différences entre catégories d’âge sont identiques d’année en année.
Le régime de remboursement (BIM versus non BIM). La proportion de jeunes femmes (de 12 à 20 ans) enceintes est bien plus importante quand elles bénéficient de l’intervention majorée: 35 pour mille contre 10 pour mille pour les assurées ordinaires .
La région . Sans surprise, cette proportion est plus élevée à Bruxelles ( 19 pour mille ) que dans les autres régions du pays (Wallonie: 17 pour mille , Flandre: 10 pour mille ). Cette différence régionale persiste après standardisation pour l’âge et le régime de remboursement.
La proportion de jeunes femmes ayant eu une interruption volontaire de grossesse (IVG) augmente faiblement de 5,3 pour mille en 2002 à 6,1 pour mille en 2007 . Deux tiers de ces IVG sont réalisées dans des centres conventionnés. Globalement, en 2007, 46 % des grossesses ont été interrompues. L’issue des grossesses varie également en fonction de l’âge et du régime de remboursement.
L’ âge . Pour les jeunes filles de 12 à 14 ans, 90 % des grossesses se terminent par une IVG. Pour celles entre 15 à 17 ans: 70 %. Et, pour la catégorie d’âge de 18 à 20 ans, 40 %. Ces pourcentages sont relatifs à 2007 et sont en augmentation, pour toutes les catégories d’âge.
Le régime de remboursement (BIM versus non BIM). En 2007, 37 % des grossesses chez les jeunes femmes bénéficiant de l’intervention majorée se terminent par une IVG. Pour les autres jeunes femmes, assurées ordinaires, ce pourcentage est plus élevé: 48 %.
De tels pourcentages posent la question des grossesses ‘non prévues’ (terme préféré à ‘non désirées’) pour un certain nombre de jeunes femmes. Et ce, d’autant plus lorsque l’on fait le lien avec la consommation préalable de contraceptif avant la grossesse.
Il semblerait que l’accès à la contraception ne permette pas forcément d’éviter la grossesse. Parmi les jeunes femmes enceintes, 35,4 % d’entre elles ont eu au moins une délivrance de contraceptif dans l’année qui précède l’issue de la grossesse (accouchement ou IVG). Ce dernier pourcentage est en augmentation: 31,4 % en 2005, 34,3 % en 2006. Il varie également en fonction de divers critères d’analyse.
L’ issue de la grossesse. Parmi les jeunes femmes qui ont interrompu leur grossesse, 48,4 % avaient eu recours à la contraception. Par contre, pour celles qui ont mené leur grossesse à terme (ou qui s’est terminée par une fausse couche), ce pourcentage est de 23,2 %.
La région . Pour la Flandre et la Wallonie, ce pourcentage est quasi identique (37 %). Par contre à Bruxelles, la proportion de jeunes femmes enceintes mais ayant eu recours à la contraception est beaucoup plus faible: 27 % (22,4 % en 2005, 24,6 % en 2006). Comme nous l’avons vu précédemment, une piste d’explication renvoie aux caractéristiques culturelles spécifiques de la population des jeunes filles bruxelloises.
L’ âge . Pour 70 % des jeunes femmes enceintes de 18 à 20 ans, il n’y a pas eu prise de contraceptif dans l’année qui précède l’issue de leur grossesse. On peut supposer, ici, qu’un certain nombre de ces grossesses pourraient être «désirées». Par contre, pour la catégorie d’âge de 12 à 14 ans, 47 % ont eu recours à au moins un contraceptif dans l’année qui précède l’issue de leur grossesse. Et ce pourcentage est de 55,4 % pour la catégorie d’âge 15 à 17 ans.
Le régime de remboursement (BIM versus non BIM). La proportion de jeunes femmes enceintes à qui un contraceptif a été délivré est plus faible chez celles qui bénéficient de l’intervention majorée (29 %) que chez celles qui n’en bénéficient pas (38 %).
De toutes ces informations, il ressort très clairement que les jeunes femmes ne sont pas égales face au risque de grossesse. Les bénéficiaires de l’intervention majorée (donc socialement moins favorisées par rapport aux autres jeunes femmes) ont bien plus de ‘chances’ d’être enceintes. Elles ont moins souvent eu recours à la contraception avant de tomber enceinte et leur grossesse se termine plus souvent par un accouchement que par une interruption volontaire de grossesse.
Par ailleurs, compte tenu du fait que la proportion d’IVG est inversement proportionnelle à l’âge des jeunes femmes enceintes, que près de la moitié des jeunes filles de 12 à 17 ans enceintes ont eu au moins une délivrance de contraceptif dans l’année qui précède l’issue de cette grossesse, on peut se poser (à nouveau) la question de la pertinence des moyens contraceptifs proposés (pilules nécessitant une prise régulière) et le niveau d’information des jeunes femmes par rapport à leur utilisation. Enfin, le profil particulier des jeunes Bruxelloises en matière de grossesse et de contraception montre que des facteurs culturels sont à prendre en considération.
Recommandations finales du rapport

Au vu des résultats, le bilan de la mesure «contraception jeunes» est mitigé. Dans sa formule actuelle, elle n’atteint que partiellement ses objectifs et n’apparaît pas efficiente, ce qui n’a toutefois pas empêché sa reconduction pour l’année 2010!
Améliorer l’accessibilité financière des moyens contraceptifs afin d’éviter des grossesses non désirées ne suffit pas. Ce n’est qu’un des aspects de l’accès à la contraception: l’accessibilité sociale, culturelle et psychologique sont primordiales. Ou comme le souligne le GACEHPA (2006): face aux phénomènes de mineures enceintes, les facteurs d’explication ne sont pas « univoques , une multiplicité de raisons expliquent les grossesses précoces : des pratiques sexuelles qui débutent à un jeune âge , une information contraceptive déficiente ou une résistance à celle – ci , un désir de grossesse énoncé ou inconscient ; […] des relations familiales dysfonctionnelles ; […] la recherche d’un nouveau statut social dans la société qui n’offre pas de place très claire aux adolescents ou encore la répétition du modèle familial ; […] la prise de risque liée à l’adolescence ; […] les facteurs liés à l’entourage ».
Dès lors, comment améliorer l’efficience de la contraception auprès des jeunes? Le rapport final de l’AIM fait, à ce sujet, un certain nombre de recommandations:
À l’instar de la France et des Pays-Bas, rendre gratuit l’accès à la contraception par l’application du tiers-payant pour les jeunes femmes lors d’une consultation auprès d’un médecin généraliste et dans les centres de planning familial. D’autres mesures pourraient complémentairement diminuer le coût réel de la contraception: la gratuité d’un éventail de pilules œstro-progestatives ainsi que des implants contraceptifs; l’introduction du droit de substitution pour les contraceptifs au niveau des pharmaciens, afin de garantir l’accès aux pilules meilleur marché.
Travailler à une communication claire sur la prévention des grossesses précoces et l’accès à la contraception , communication destinée tant aux prestataires de soins, aux jeunes et aux enseignants qu’à la population en général. De façon concomitante, il convient encore et toujours de rappeler très clairement la nécessité de se protéger contre les maladies sexuellement transmissibles (ce qui permet de s’adresser d’ailleurs aux jeunes garçons comme aux filles).
Investir dans des politiques de prévention adaptées aux différents publics visés en portant une attention particulière aux jeunes femmes socialement moins favorisées, aux jeunes Bruxelloises (où les grossesses précoces sont plus fréquentes et la contraception moins présente); en adaptant la prescription en fonction du vécu des jeunes femmes et en considérant davantage les dispositifs contraceptifs de longue durée; en améliorant l’éducation sexuelle et affective dans les écoles (6) et auprès des populations défavorisées.
Et comme précisé par le rapport 2008 de la Commission nationale d’évaluation de la loi relative à l’interruption de grossesse, « cette prévention passe par la promotion du respect de soi – même et de l’autre et par une prise de responsabilité à l’égard d’un tiers potentiel ».
Anne Remacle (R&D; ANMC – Agence intermutualiste),et Catherine Lucet (UNMS – Agence Intermutualiste), en collaboration avec Hervé Avalosse (R&D; ANMC)
Cet article est une version abrégée d’un article publié dans le n° 243 de MC-Informations (mars 2011).
Bibliographie

Lucet C, Remacle A, Devos C, Ceupens A. 2007. La mesure contraception – jeunes – Année 2004 – 2005 . Rapport de l’Agence Intermutualiste. Bruxelles.
Lucet C, Remacle A. 2008. La mesure contraception – jeunes – Rapport intermédiaire n ° 2 , année 2005 – 2006 . Rapport de l’Agence Intermutualiste. Bruxelles.
Lucet C, Remacle A. 2008. La mesure contraception – jeunes – Rapport final , 2004 – 2007 . Rapport de l’Agence Intermutualiste. Bruxelles.
Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale. 2010. Tableau de bord de la santé en Région bruxelloise 2010 . Commission communautaire commune, Bruxelles.
Haelterman E, De Spiegelaere M, Masuy-Stroobant G. 2007. Les indicateurs de santé périnatale en Région de Bruxelles – Capitale 1998 – 2004 . Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, Commission communautaire commune.
Rapport de la Commission Nationale d’évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption de grossesse (loi du 13 août 1990). 2008. Rapport à l’intention du Parlement ( 1er janvier 2006 – 31 décembre 2007 ). Bruxelles. Document législatif n° 4-1137/1.
Moreau N, Swennen B, Roynet D et l’équipe du GACEHPA (Groupe d’Action des Centres Extra-Hospitaliers Pratiquant des Avortements). 2006. Étude du parcours contraceptif des adolescentes confrontées à une grossesse non prévue : éléments pour une meilleure prévention ?
(1) Repris de l’Arrêté Royal du 24-03-2004 (MB 29-03-2004) qui instaure la mesure «contraception jeunes».
(2) Les conventions dites ‘article 56’ (en référence à cet article de la loi sur l’assurance obligatoire soins de santé) constituent un instrument souple à disposition de l’INAMI permettant le financement d’études et de mesures expérimentales. Les dépenses liées à l’exécution de ces conventions sont imputées sur les frais d’administration du service de soins de santé de l’INAMI.
(3) AR 26-08-2010 (MB 15-09-2010)
(4) La Caisse auxiliaire d’assurance maladie invalidité, la Caisse de soins de santé de la SNCB.
(5) Voir: https://www.riziv.fgov.be/citizen/fr/medical-cost/SANTH_4_4.htm
(6) Aux Pays-Bas, des campagnes de communication véhiculant des messages positifs non moralisateurs sur la sexualité des adolescents et les comportements de protection sont régulièrement organisées. L’éducation sexuelle et affective débute dès l’école primaire et fait partie intégrante du programme en secondaire. Cette formation comporte un important volet sur l’importance de la communication et de la négociation entre partenaires .

3e Congrès Viasano. Comment promouvoir la santé auprès des populations fragilisées ?

Le 30 Déc 20

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Les inégalités socio-économiques engendrent des inégalités sociales de santé. La prévalence du surpoids et de l’obésité augmente dans toutes les couches de la population, mais il existe d’importantes différences en fonction du niveau socio-économique.
En Belgique, 48% des personnes à faible revenu sont en surpoids contre 43 % de la population à haut revenu. En ce qui concerne l’obésité franche, il s’agit respectivement de 17% et 12%. Dès lors, les actions de prévention doivent cibler prioritairement les populations défavorisées en tenant compte de leurs caractéristiques particulières. Tel était le thème du 3e congrès Viasano (1) qui s’est déroulé à Jette le 25 octobre dernier.
La matinée était consacrée à trois exposés ne portant pas à proprement parler sur les activités et les partenaires de Viasano.
Tout d’abord, Stefaan Demarest , collaborateur scientifique à l’Institut scientifique de santé publique, a présenté brillamment l’enquête de santé par interview, soulignant au passage qu’au fil des ans et des enquêtes (il y en a eu quatre depuis 1997, la suivante devrait être menée en 2013), la tendance à une plus mauvaise santé subjective des individus à faibles revenus se confirme.
Ensuite, Michèle Lejeune , chargée de projets à l’asbl Carolo Prévention Santé décrivit de façon concrète comment les principes à la base de la promotion de la santé peuvent se décliner en activités directement accessibles au public cible, comme par exemple le projet ‘Mon corps et moi’ qui sensibilise des femmes précarisées à leur image corporelle et les aide à améliorer leur estime d’elles-mêmes.
Dans un esprit proche, Michel Demarteau , directeur du Secteur prévention et promotion de la santé de l’Observatoire de la Santé du Hainaut, présenta avec une belle conviction l’action transfrontalière ‘Obésité quartier nord Hainaut’, un projet modeste mais pertinent d’intervention dans un quartier déshérité s’appuyant sur une analyse fouillée du ‘système alimentaire’ du quartier. Passionnant.
L’après-midi permit à 5 communes ‘Viasano’ de présenter d’autres réalisations concrètes. Est-ce un pur hasard, les trois francophones (Jette et Woluwe St Pierre à Bruxelles, Mouscron en Wallonie) étaient représentées par un ou une échevin(e), et les deux flamandes (Huldenberg près de Louvain et Hasselt) par des acteurs des projets, le premier relatif à des promenades en tandem pour faire bouger des personnes aveugles, le second centré sur des cours de cuisine ‘santé’ pour allochtones. Leurs interventions nous ont semblé plus intéressantes…
De ces multiples présentations, les responsables de Viasano ont pu extraire quelques ‘clés’ de réussite : faire du micro-local, rencontrer la population dans ses lieux de vie ; recueillir les besoins des habitants ; travailler en réseau, la dynamique des partenariats locaux étant essentielle ; être positif, festif et valorisant, sans stigmatiser ni les personnes, ni les comportements, ni les produits ; s’inscrire dans la durée ; enfin, créer du lien entre les générations et les diverses classes de la population, sortir les gens de leur isolement.
Après ces exposés au cœur du thème du jour, le congrès se termina par une table ronde avec les trois partenaires privés du programme, qui eurent l’occasion d’exprimer les motifs de leur engagement en répondant à quelques questions préparées par la salle, et relayées par un Frédéric Deborsu plutôt insolent. Ce plaidoyer angélique en faveur de la responsabilité sociale d’acteurs importants du secteur alimentaire nous a semblé franchement hors propos, et a d’ailleurs énervé très fort nos voisines, toutes trois issues du secteur socio-éducatif il est vrai !
Entendre la représentante du leader mondial du marché de la pâte à tartiner au cacao et aux noisettes affirmer que ‘tout le monde a le devoir de lutter contre l’obésité’, c’est un peu difficile à avaler, non ?
Christian De Bock
(1) Pour une présentation détaillée de Viasano, nous renvoyons le lecteur à l’article ‘Viasano, vitalité en ville’ , publié dans le numéro 221 d’Éducation Santé en mars 2007 à l’occasion du démarrage du programme en Belgique.

Les abus de brevets sur les médicaments coûtent cher

Le 30 Déc 20

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Trop de fabricants de médicaments abusent des brevets et de la législation qui les entoure pour pérenniser le monopole de leur médicament ou commercialiser des produits sans valeur ajoutée. C’est ce qui ressort d’une enquête (1) de Test-Achats et de la Mutualité chrétienne (MC). Ces abus retardent fortement l’arrivée de génériques (moins chers) sur le marché et obligent les patients et les pouvoirs publics à payer trop cher leurs médicaments pendant de longues années. Test-Achats et la MC ont calculé que tant les patients que les autorités pourraient économiser des millions d’euros. À titre d’exemple, 60 millions d’euros ont été dépensés par les autorités en cinq ans pour une variante plus coûteuse – et sans réelle valeur ajoutée – d’un antidépresseur connu. Pour Test-Achats et la MC, il est grand temps d’adapter la législation sur les brevets et de concrétiser le brevet européen unique.

Les ficelles de l’industrie

Une enquête demandée par la Commissaire européenne Neelie Kroes a révélé que les fabricants de médicaments mettent en œuvre de multiples stratégies pour préserver la position dominante de certains de leurs médicaments sur le marché. L’un des artifices les plus populaires consiste à lancer des ‘produits de suivi’ (‘follow-on’ ou ‘me-too’ en anglais). Il s’agit de médicaments à peine différents de leurs prédécesseurs, qui présentent rarement un réel progrès thérapeutique, mais pour lesquels le fabricant dépose néanmoins un brevet et se voit donc réserver l’exclusivité pendant un certain nombre d’années. La seule chose qu’il lui reste alors à faire, est de convaincre les médecins et les patients de passer du médicament original au produit de suivi, en déployant l’arsenal marketing nécessaire.
Nouveau mais pas meilleur

Le Sipralexa, commercialisé en 2003 pour succéder au Cipramil, un antidépresseur de la firme Lundbeck en est un bel exemple. Alors que le Cipramil contient du citalopram, mélange d’un principe actif et d’une substance inerte, le Sipralexa ne contient que le principe actif, l’escitalopram. Ce dernier ne constitue donc pas une véritable nouveauté mais permet de justifier un nouveau brevet.
S’il n’est pas prouvé que le Sipralexa est meilleur que le Cipramil, Lundbeck a néanmoins fait la promotion du nouveau produit en lui attribuant une efficacité nettement supérieure au Cipramil. Du marketing pur et simple grâce auquel les médecins se sont mis à prescrire ce nouvel antidépresseur. L’usage du Cipramil a donc diminué à partir de 2003 mais, pour la firme, ce recul a été largement compensé par la forte progression du Sipralexa. De ce fait, la part de marché des génériques du Cipramil s’avère aujourd’hui nettement inférieure à ce que l’on aurait pu attendre pour un brevet arrivé à expiration.
Si les médecins prescrivaient en se basant sur les recommandations scientifiques, de telles stratégies n’auraient aucune chance de réussir. De surcroît, le système de remboursement actuel fait en sorte que, pour le patient individuel, le Sipralexa est meilleur marché que le Cipramil. Pour le patient, une prescription de Sipralexa est donc plus attrayante. En revanche, les pouvoirs publics doivent débourser davantage pour le Sipralexa que pour le Cipramil.
Test-Achats et la Mutualité chrétienne ont calculé qu’au total, entre 2006 et 2010, les patients ont dépensé par an 12 millions d’euros en moyenne pour le Cipramil, le Sipralexa et les génériques du Cipramil. Sans le Sipralexa, ce montant aurait été inférieur à 10 millions d’euros. En comptant le Sipralexa, l’INAMI a payé en moyenne plus de 39 millions d’euros par an. Sans le Sipralexa, les dépenses se seraient limitées à 27 millions d’euros par an. En cinq ans, les pouvoirs publics auraient donc pu économiser 60 millions d’euros (2).

Ajouter de la vitamine en guise d’innovation

On trouve un autre exemple de médicament de suivi chez Merck Sharp & Dohme (MS&D;). Cette firme a d’abord lancé un produit contre l’ostéoporose, qui devait être pris avec un complément de vitamine D et de calcium, le Fosamax. À l’approche de l’expiration du brevet, MS&D; a sorti un médicament combinant cette fois directement la substance active et de la vitamine D, le Fosavance.
Une valeur ajoutée d’autant plus mince que, comme l’estiment Test-Achats et la MC, une telle association n’est pas recommandée et que le dosage requis devrait être déterminé individuellement pour chaque patient. MS&D; n’a cependant pas réussi à convaincre tous les utilisateurs de Fosamax de passer au Fosavance. En effet, le fabricant qui détenait encore 76 % du marché en 2006 (68 % pour le Fosamax et 8 % déjà pour le Fosavance) a vu sa part de marché totale chuter en 2010 à 35 % (6 % seulement pour le Fosamax mais 29 % pour le Fosavance). Cette part de marché aurait peut-être été encore bien plus faible si la firme n’avait pas lancé le Fosavance. Entre 2008 et 2010, les pouvoirs publics auraient pu économiser 21 millions supplémentaires si le médicament de suivi n’avait pas existé.
Des dépenses en marketing plutôt qu’en recherche

Le Sipralexa et le Fosavance ne sont que deux exemples parmi beaucoup d’autres. Dans l’échantillon de la Commissaire Kroes, 40 % des médicaments se sont avérés être des produits de suivi. Peut-être n’est-ce pas vraiment étonnant puisqu’ils sont nettement plus lucratifs pour leurs fabricants que l’élaboration d’une nouvelle molécule. C’est aussi ce qui explique pourquoi les fabricants de médicaments originaux consacrent aujourd’hui plus d’argent au marketing et à la promotion qu’à l’innovation. Au cours de la période 2000-2007, ils ont consacré environ 23 % de leur chiffre d’affaires au marketing contre seulement 17 % à la recherche et au développement, toujours selon l’étude de la Commissaire Kroes.
En finir avec l’abus de position dominante

Les brevets ont un double objectif: récompenser les fabricants pour leurs recherches et le développement d’un médicament inédit ou de meilleure qualité et stimuler l’innovation. C’est pourquoi Test-Achats et la MC plaident pour des mesures qui recentrent l’attention sur la véritable innovation, tout en veillant à ce que les génériques puissent arriver plus rapidement sur le marché à l’expiration du brevet:
-la législation sur les brevets doit avant tout stimuler la véritable innovation;
-il est nécessaire de disposer d’un brevet communautaire unique et d’un système européen spécialisé pour régler les litiges relatifs aux brevets, afin qu’il ne soit plus possible d’intenter des procès dans plusieurs pays en même temps en vue de préserver une position dominante;
-les firmes pharmaceutiques qui abusent de leur position monopolistique en se prévalant de brevets non valides doivent être sanctionnées;
-il faut mettre un frein aux informations trompeuses de l’industrie pharmaceutique;
-les médecins doivent baser leurs prescriptions sur des recommandations scientifiques et non sur des injonctions du marketing;
-une fois qu’un médicament original a perdu son brevet et que le paiement de référence entre en vigueur, le prix du médicament original devrait également descendre jusqu’au niveau de référence (c’est-à-dire le ticket modérateur payé par le patient, sans supplément). Ainsi, les patients qui souhaitent continuer à prendre le médicament original ne paieront pas plus cher, ce qui atténuera la tendance à recourir aux médicaments de suivi mieux remboursés.
D’après un communiqué par Test-Achats et la Mutualité chrétienne
À lire aussi sur ce sujet: Les vendeurs de maladies – Comment l’industrie pharmaceutique prospère en nous manipulant, Dr Emilio La Rosa, Fayard, 2011.
(1) Contournement de brevets, l’industrie s’enrichit en «innovant», Test-Santé 105 octobre/novembre 2011. https://www.mc.be/fr/129/Resources/enquete_generiques_mc_test_achats_tcm179-83822.pdf
(2) Soit 50% de plus que le budget annuel ‘santé’ de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et ce pour un seul médicament d’une seule famille d’antidépresseurs! Cela laisse rêveur… (ndlr)