Septembre 2014 Par Christian DE BOCK Initiatives

La ‘douce musique’ du déracinement

Quand Cultures & Santé interroge l’exil

En préambule à son intervention au colloque ‘Paenser l’exil’, Marc André, formateur au Centre bruxellois d’action interculturel, nous a fait entendre un très beau morceau mélancolique du musicien arménien Djivan Gasparyan. Quelques jours après un remarquable concert ‘Exilio’ de la Roza Enflorese  et du Quatuor Alfama à Flagey, le ton était donné: la culture est un formidable ‘instrument’ de ressourcement. 

En organisant au printemps dernier une journée d’échanges et de réflexion sur les actions culturelles avec les personnes ayant vécu l’exil, l’asbl était vraiment au cœur de son métier, associant de façon magistrale promotion de la santé, éducation permanente et culture au sens noble du terme.

Son ambition était, avec l’aide d’experts et d’exemples concrets, de traiter trois questions fondamentales: en quoi les actions culturelles peuvent-elles contribuer à se reconstruire après l’exil? Quels effets ont-elles en termes de santé globale? En quoi les créations qui en découlent permettent-elles de penser l’exil différemment?

Quitter son pays et ses racines, pour des raisons politiques, économiques, environnementales est souvent une épreuve douloureuse. Arriver en terre inconnue, sans repères culturels, dans un contexte précaire la plupart du temps, être parfois pointé du doigt comme responsable des problèmes de la société d’accueil en constitue une autre.

La force de la parole

L’exil, à la fois échappatoire et horizon d’espérance, est, au-delà de ces souffrances, porteur de richesses à partager.

La première intervenante, Katia Van Egmond, médecin chez Médecins du Monde, nous rappela d’abord les ‘fondamentaux ‘ de la problématique, coupant au passage les ailes à quelques canards, notamment à propos de l’origine ethnique des gens arrivant en Belgique. Les ‘exilés’ n°1 sont… français! Et les migrations ‘irrégulières’ sont loin d’être majoritaires.

Elle eut aussi cette formule percutante: «Tout le monde a de bonnes raisons: quand c’est pour le plaisir, c’est du tourisme.»

Plus attendu, elle confirma que l’état de santé rapporté par les personnes fragilisées par un parcours difficile est nettement moins bon que celui des autres habitants du pays et que l’impact des déterminants socio-économiques est considérable. Sans pour autant négliger la question des styles de vie et les difficultés d’accès à notre système de soins de santé, très performant mais peu lisible pour des populations parfois analphabètes ou ne maîtrisant pas une des langues du pays d’accueil.

Sur le sujet ‘Exil, déracinement et santé mentale’, Reza Kazemzadeh, directeur-adjoint de l’asbl Exil, nous aida à décoder les souffrances et les angoisses liées au passé et celles du vécu douloureux de la situation actuelle des exilés. L’accompagnement de la crise permet parfois la mise en place de stratégies d’adaptation, qui s’avèrent profitables lorsqu’elles ne se limitent pas à un colloque singulier avec un thérapeute mais visent aussi la mise en relation avec les autres.

Pour sa part, Marc André insista sur une dimension essentielle de l’exil: ce mot ne désigne pas uniquement des situations objectives de déracinement, il a aussi une forte dimension intérieure, émotionnelle, affective et sensible. Celle-ci est régulièrement évacuée au profit d’une approche ‘rationnelle’ du phénomène, qui passe peut-être à côté de l’essentiel.

Ce qui peut expliquer que même les professionnels les mieux intentionnés mettent en œuvre dans leurs pratiques des conduites de disqualification des exilés, pour se protéger eux-mêmes de l’expérience de leur propre finitude…

Un exposé radical, dont les silences et les hésitations faisaient sens…

Une ‘vaguelette’ de changement

L’après-midi nous invitait à dialoguer autour de trois actions culturelles.

La première, qui a donné son titre au colloque, est un projet de récits individuels autour de l’exil, permettant à une douzaine d’adultes, hommes et femmes d’origines diverses, de se raconter, d’exprimer leurs souffrances et leurs espoirs, premier pas collectif vers une reconstruction. Cette collaboration entre Cultures & Santé et l’Institut kurde de Bruxelles a débouché sur un superbe carnet ‘Paenser l’exil’, qui reflète sans rien y changer le chemin parcouru par les participants pendant une année d’atelier.

La deuxième mettait en évidence la force de l’expression théâtrale, des ‘identités créatrices’, à travers l’écriture et la mise en scène d’un conte urbain basé sur le vécu quotidien, tantôt poignant, tantôt absurde, d’un collectif bruxellois aux racines multiples (action menée au sein de l’asbl Cedas qui a abouti à la pièce de théâtre Ca sent bon la gaufre de Liège).

La troisième, ‘Écrire en immigratien, écrire sans peur et sans reproche’, a débouché sur un recueil de ‘morceaux rapportés de mon passé et de mon futur’, des textes que leurs auteurs ont écrits à partir d’objets, d’images intérieures, ramenés de loin et du présent: objets auxquels se rattacher, s’apaiser par leur évocation quand l’exil fait mal, objets à partir desquels concevoir l’avenir. Ou quand la poésie vient en appui de la promotion de la santé… Ce projet a fait l’objet d’une brochure analysant et décrivant le processus d’écriture, ‘Récit d’écrits’ dont l’animateur, Jérémie Piolat nous dit qu’ils ‘ont le devoir d’être à la hauteur de l’oralité’.

Trois dynamiques passionnantes, dont on imagine aisément le retentissement positif sur celles et ceux qui ont eu la chance d’y participer. Avec quand même ce bémol, le déploiement de moyens considérables, humains et matériels, par Cultures & Santé et ses partenaires, en regard du nombre de personnes touchées. Réserve que Najya Si M’Hammed, animatrice des ‘carnets d’exil’, balaie d’un revers de la main: le travail de proximité a parfaitement le droit de se déployer dans le confort, affirme-t-elle avec un sourire irrésistible…

Cultures & Santé, rue d’Anderlecht 148, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 558 88 10. Courriel: info@cultures-sante.be. Site: www.cultures-sante.be