Quarante pour cent des Mauriciens de plus de 30 ans sont obèses et un sur cinq souffre du diabète. Les maladies non transmissibles, les MNT, sont devenues un problème majeur de santé publique à Maurice. En cause: une mauvaise alimentation et le manque d’exercice, revers du miracle économique.
Balram Beeharry, la cinquantaine, avance péniblement, aidé de son petit-fils, dans la salle d’attente d’une clinique privée à Port-Louis. Amputé d’une jambe, il fait une dizaine de pas et finit par se laisser tomber sur une chaise. ‘ C’est le diabète qui est la cause de mes problèmes de santé . Ma deuxième jambe est également affectée . Je ne sais si on va l’amputer aussi . Comment vais – je continuer à vivre ?’, dit-il, les larmes aux yeux.
Des cas semblables, on en compte des milliers à Maurice. Les chiffres officiels sont alarmants: au moins 200.000 diabétiques pour 1,2 million d’habitants, sans compter les 60.000 cas probables non encore formellement diagnostiqués. Les caravanes de santé qui sillonnent villes et villages depuis deux ans ont fait un constat effarant: 40 % des adultes de plus de 30 ans sont obèses, 30 % sont hypertendus et 20 % diabétiques. À Maurice, un décès sur deux est lié à ces ‘maladies non-transmissibles’.
Même des enfants souffrent à présent du diabète. Officiellement, 300 cas ont été recensés. Bradley Fleury, cinq ans, est insulino-dépendant depuis quelques mois déjà. Jordan Babet, sept ans, est décédé le 10 février dernier de complications liées au diabète. Une semaine plus tard, sa mère emmenait ses trois autres enfants, âgés de 13, 10 et 4 ans, à l’hôpital pour y subir un test de glycémie.
Résistance au dépistage
La réalité serait encore pire que ce qu’indiquent les chiffres car les Mauriciens ne se soumettent pas volontiers au dépistage volontaire, pourtant gratuit, même si les caravanes de santé se présentent à leur porte. Ils ne réagissent pas non plus aux premiers symptômes et attendent l’apparition de complications sérieuses pour se soigner. Et même dans ce cas, environ 80 % des diabétiques diagnostiqués ne suivent pas correctement leur traitement malgré l’existence de remèdes et de structures d’accueil adéquates.
Au centre de chirurgie cardiaque, le Dr Sunil Gunness voit arriver aux urgences des patients de plus en plus jeunes, obèses ou avec des taux de cholestérol vertigineux sans compter les fumeurs malades des artères. ‘ Nous les voyons au bout de la chaîne à un stade avancé de leur maladie , de plus en plus jeunes , à partir de 35 – 40 ans . 75 % des patients opérés du cœur sont diabétiques ‘, précise-t-il. Ici, 150 angiographies (radio des vaisseaux) sont effectuées tous les mois mais 12.000 personnes se trouvent sur la liste d’attente.
Trop de sucre, d’huile, de fast-food, d’amuse-gueule et de boissons gazeuses ont détérioré la santé des Mauriciens. ‘ Les Mauriciens mangent de plus en plus mal ‘, affirme la nutritionniste Rosida Dookun . La grande majorité mange dans la rue ou des petits restaurants. Le repas de midi se compose de dholl puris , des rouleaux de pâte épicés, des nouilles grasses, de la viande, préparés dans des conditions d’hygiène douteuse. Ces mauvaises habitudes se sont généralisées dans les années 95/96, cinq à six ans après le début du miracle économique mauricien. Traditionnellement, on mangeait beaucoup de légumes et très peu de viande à Maurice: ce n’est plus le cas. La ‘mal-bouffe’ n’épargne personne: citadins et ruraux de toutes communautés sont frappés.
Malades du temps
‘ Il faut beaucoup de volonté pour contrôler son alimentation ‘, se défend Michel Bontemps, 35 ans, et diabétique. ‘ Je suis consciente des risques que comportent une mauvaise alimentation et le manque d’activités sportives pour ma santé . Mais comment faire dans cet environnement économique qui nous fait courir à gauche et à droite depuis dix ans ?’, déclare Anju Kheerpah, une fonctionnaire. Faute de temps, les Mauriciens achètent des produits congelés et prêts à consommer. Rançon de la modernité, personne n’a plus le temps de préparer des repas ni de pratiquer une activité sportive, ne serait-ce que la marche. 72 % de la population ne pratiquent aucune activité physique.
Pourtant, le public est averti régulièrement des conséquences de ces maladies sur la santé. Depuis 1998, les campagnes de sensibilisation se succèdent dans les médias et à travers tout le pays. Durant les dernières vacances scolaires, en novembre et décembre dernier, les membres du Groupement des diabétiques, aidés des collégiens, ont fait du porte-à-porte à travers l’île pour sensibiliser les gens et effectuer des tests de dépistage du diabète. Les autorités ont même fait venir des acteurs indiens, très populaires, pour encourager les Mauriciens à s’adonner à des activités physiques dans un but de prévention.
Fin 2003, le ministre de la Santé a appelé tous les adultes de plus de 18 ans à se soumettre à un dépistage de ces maladies de ‘civilisation’, ‘symptôme ou pas’. La présidente de l’Association mauricienne du diabète, Mme Ursule Ramdanee , réclame, elle, qu’un budget séparé soit alloué par l’État pour le traitement de cette maladie, étant donné ses conséquences sur la santé publique. Elle demande aussi que le diabète et les autres maladies non transmissibles soient expliqués aux enfants dès l’école primaire.
Nasseem Ackbarally , InfoSud – Syfia