Début 2011, la Société scientifique de médecine générale (SSMG) démarrait www.mongeneraliste.be, un site d’informations de santé destiné au grand public. Nous avons rencontré le Dr Patrick Trefois, une des chevilles ouvrières de ce projet qui a entre autres mérites celui d’unir la profession médicale et deux grandes mutualités dans un projet au profit des consommateurs de soins de santé.
ES : Pouvez-vous nous rappeler quels étaient les objectifs de départ de ‘Mon généraliste’ et en quoi il se distinguait des innombrables sites ‘santé’ présents sur la toile ?
Patrick Trefois : La SSMG a créé le site mongeneraliste.be pour qu’il devienne un trait d’union entre les généralistes et les patients, pour qu’il contribue à enrichir les échanges et mettre en place un réel partenariat avec le patient, reposant sur son autonomie, son libre choix et ses ressources.
Pour le dire autrement, à travers ce site, le médecin de famille écoute, informe et conseille son patient, met en place un dialogue avec celui-ci dans un but d’éducation thérapeutique. Bien sûr, les informations proposées par mongeneraliste.be le sont à titre indicatif et ne peuvent servir à établir un diagnostic ou à établir un traitement médical : elles ne remplaceront jamais la consultation d’un médecin ni la spécificité d’un examen médical.
Pour résumer le positionnement particulier de ce site, j’en citerai trois caractéristiques : la place centrale de la relation médecin/patient, l’indépendance vis-à-vis de tout intérêt commercial et la référence à la médecine basée sur les preuves (EBM).
ES : Quelles informations peut-on y trouver aujourd’hui ? Comment sont-elles validées ?
PT : On trouve actuellement sur le site plus de 130 articles consacrés à des maladies, plus de 70 centrés sur la prévention primaire et secondaire et une quinzaine de dossiers.
En outre, plus de 120 sujets sont accessibles dans la rubrique ‘Actualités’, qui aborde des informations neuves (nouvelles études ou avis récents du Conseil supérieur de la santé par exemple) ou complémentaires aux articles présents sur le site.
Enfin, le site accueille aussi des vidéos, ainsi que des ‘fiches patients’ non accessibles directement aux internautes, qui sont ‘prescrites’ au patient par son médecin généraliste. Ce dernier peut lors de la consultation soit imprimer la fiche et la remettre au patient, soit lui envoyer le lien par mail.
La validation repose en amont sur des sources scientifiques fiables et reconnues. Dans ce cadre, le site mongeneraliste.be a conclu un partenariat avec ebmpracticenet.be, un site mis en place pour les médecins par le CEBAM. Les articles EBM destinés aux médecins belges servent donc de base à l’élaboration des articles du site.
En aval, les médecins de la SSMG sont invités à réagir aux contenus du site s’ils décèlent une information qui leur apparaît inadéquate ou erronée.
ES : Avez-vous une idée des sujets les plus populaires ?
PT : Oui, mais avec cette nuance : ils sont populaires car bien référencés par les moteurs de recherche, Google étant évidemment le principal. Ce sont donc un peu les gagnants d’une loterie que je vais donner…
Le top 5 de 2015 est constitué des douleurs de nuque et de cou (plus de 60.000 visiteurs), suivies des maladies du gros intestin (plus de 58.000), de l’anémie (plus de 49.000), de la cystite (plus de 47.000) et des ongles incarnés (plus de 36.000) ! Le temps de lecture sur ces pages est assez long et permet une lecture du contenu, puisqu’il va de 4’52 à 6’06, ce qui est appréciable sur le net.
Ceci dit, nous travaillons sérieusement la question du référencement, en construisant les articles selon une logique web : titre et sous-titre signifiant et redondant, etc.
ES : ‘Mon généraliste’ a-t-il trouvé son public au fil des ans ? Je suppose que vous suivez de près les chiffres de fréquentation…
PT : La fréquentation est en croissance constante : plus de 660.000 visiteurs en 2015 et plus de 800.000 pages vues. Bien sûr, la proportion d’internautes français n’est pas négligeable !
ES : Le site accepte-t-il des annonceurs payants ?
PT : Non, il n’y a aucun annonceur commercial payant évidemment. Seules les mutualités partenaires du site et les pouvoirs publics compétents en matière de santé, pour leurs campagnes de sensibilisation du grand public, ont accès aux bannières placées en haut des pages du site.
Mais le plus important sur le plan de l’indépendance est la totale autonomie de l’équipe rédactionnelle, la référence systématique aux sources EBM et la supervision dans un second temps par des médecins de famille ayant une pratique.
ES : De nos jours, les professionnels de la prévention sont de plus en plus attentifs à la littératie en santé ? En quoi mongeneraliste.be s’inscrit-il dans cette tendance appréciable ?
PT : Au risque de me répéter, je dirai que le site vise essentiellement à donner une information avec des garanties de lisibilité, de fiabilité scientifique, d’indépendance, de cohérence avec la pratique de la première ligne de soins, un ensemble de caractéristiques regroupées de manière sans doute assez unique.
Bien sûr, on pourrait dire que le site contribue ainsi à améliorer «la capacité des individus à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des informations utiles pour pouvoir fonctionner dans le domaine de la santé et agir en faveur de leur santé».
Mais le vrai travail de littératie en santé se déroule, selon moi, dans la rencontre entre la spécificité d’un patient (sa langue, sa culture, ses plaintes, ses attentes) et celle d’un médecin à l’écoute. Et le plus accessible des médecins (sur les plans géographique, économique, etc.) est le généraliste… Pour le reste, la littératie en santé devrait évidemment être développée dès l’école…
Cependant, une question mérite d’être posée : voulons-nous, ce qui est le cas à lire certains écrits de professionnels de la (promotion de la) santé, un bon niveau de littératie pour que la population se soumette mieux aux prescriptions de la santé publique, du système de soins, en vue d’une meilleure prévention, d’une réduction des coûts des soins ?
Il s’agit là d’une vision utilitariste où on évoque des termes comme le ‘rendement’, l’efficience, la baisse du recours aux soins, etc. Pourquoi pas, mais une autre possibilité est d’ouvrir le champ des choix possibles, y compris ceux que la population pourrait privilégier pour son bien-être immédiat sans souci de sa santé ‘physique’, en privilégiant le court plutôt que le long terme.
J’ai parfois l’impression d’une évocation incantatoire de la littératie en santé par certains technocrates et responsables politiques. Il me semble qu’une approche de promotion de la santé pourrait aussi être de simplifier le système de santé plutôt que de le complexifier à l’excès : pensez à la multiplicité des dispositifs (et à leur durée de survie très brève !), par exemple en matière de diabète : passeport diabète, trajet de soins, pré-trajet de soins depuis cette année, etc. Le tout avec des conditions que même les médecins les plus aguerris ont des difficultés à maîtriser. Faut-il condamner la population à intégrer de tels pensums ?
Pour citer un autre exemple, les médecins généralistes, les mutualités et mongeneraliste.be ont consacré du temps et des moyens à faire connaître le Dossier Médical Global+, qui après 3-4 ans d’existence disparaît purement et simplement en 2016 ! Et je ne parle pas des entraves financières croissantes à l’accessibilité aux soins…
ES : Le site est-il interactif ? Propose-t-il des forums aux usagers ?
PT : Non, aucune possibilité de forums. C’est une question de moyens, mais surtout un choix ‘idéologique’ : rappelons que le site veut soutenir le dialogue et la relation patient/médecin, pas se substituer à eux !
ES : Comment voyez-vous l’avenir de mongeneraliste.be ?
PT : Je souhaite que le futur comité directeur de la SSMG continue à croire et à soutenir le projet comme l’équipe actuelle. J’espère aussi que progressivement, une équipe de jeunes médecins et journalistes prendra le relais et fera évoluer le site avec son époque. Enfin, il ne serait pas inutile que les pouvoirs publics soutiennent plus efficacement le site.
Le point de vue des deux mutualités partenaires de mongeneraliste.be
Le Dr Alex Peltier, membre de la Direction médicale de la MC, a souligné lors de la conférence de presse du 17 mars 2016 que «L’offre d’informations dans le domaine de la santé a explosé avec internet mais elle est loin d’être de qualité. Nous sommes convaincus qu’il faut viser une performance informative qui soit compréhensible (adaptée au niveau d’éducation), pertinente (basée sur l’EBM), accessible à tous et suffisante (adaptée aux besoins de chacun). Le site mongeneraliste.be répond à toutes ces exigences. Le patient peut mieux comprendre sa maladie et ses symptômes, se documenter en toute objectivité, lire des conseils qu’il n’aurait pas mémorisés dans le cabinet de son généraliste, préparer des questions en prévision de la consultation suivante…»
Et d’ajouter : «Les soins de santé n’interviennent que pour 20 % dans l’état de santé des personnes. La situation socio-économique et le mode de vie sont bien davantage déterminants. Dans ce contexte, aider le patient à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des informations qui lui permettront de mobiliser ses ressources personnelles et d’agir en faveur de sa santé est dès lors important.»
Quant au Dr Pierre Baldewijns, responsable du Service Promotion de la Santé à l’UNMS Solidaris, il a abordé la question suivante : le site contient-il réellement une information scientifiquement fondée, facilement accessible, simple sans être simpliste, et indépendante de tout intérêt commercial ?
La conclusion de son analyse est que l’indépendance du site est visible dans la manière de concevoir les textes, tant dans la forme que le fond. Les médicaments sont positionnés à leur juste place, conformément aux recommandations scientifiques de prise en charge. Sur base de l’article consacré à la dépression, il a ainsi montré que la structure et les mots répondaient bien à une approche de promotion de la santé.
Ainsi, le lecteur est invité à «réfléchir» et «comprendre», à «chercher l’issue» (les titres ne parlant pas de «traitement» ni même de «prise en charge»). Pour «chercher l’issue», les médicaments sont une des pistes, à la fin, après «la psychothérapie et l’écoute adaptées».
Le rôle du traitement médicamenteux est précisé sans en faire LA solution : «L’emploi de médicaments spécifiques – comme les antidépresseurs- s’impose parfois. Ils sont alors prescrits pour une durée de 6 mois au moins. Ils contribuent à atténuer les symptômes, à prendre un certain recul pour rendre la situation supportable, mais ils ne règlent pas les problèmes.»
L’approche tente d’être positive, sans minimiser le problème : «L’entourage joue un rôle crucial… quand il ne minimise pas la maladie…»; «Les idées suicidaires… sont à prendre au sérieux…»). Le message final ouvre une porte vers un avenir meilleur : «Après avoir traversé la dépression, beaucoup de personnes la considèrent comme le signe d’une réaction saine qui les a amenés à s’interroger sur leur vie et à y apporter des changements positifs.»
Voir l’article de C. De Bock ‘www.mongeneraliste.be, un site qui enrichit les consultations’, Éducation Santé n° 265, mars 2011. Au départ, l’initiative était soutenue par les Mutualités chrétiennes et les Mutualités libres. Ces dernières ont cédé la place à Solidaris en 2015.
Le Centre belge pour l’Evidence-Based Medicine est un organisme scientifique médical indépendant, interuniversitaire et pluridisciplinaire. Il s’adresse aux prestataires de soins, patients et citoyens en bonne santé.
Voir ‘La littératie en santé: comprendre l’incompréhension’, par Pascale Dupuis, Éducation Santé n° 309, mars 2015.