Une dizaine de femmes détenues à la prison de Mons ont participé à des groupes de parole pour évoquer les violences qu’elles ont pu subir avant leur incarcération. Le partenariat d’I.Care avec des pairs-aidantes a été décisif pour libérer leur parole et attirer l’attention des autorités sur le besoin aigu de soins psychologiques en détention.
« A la prison de Mons, la majorité des femmes détenues ont vécu des violences de tout type, physiques, psychologiques, sexuelles, conjugales. Elles ont des parcours de vie traumatisants, mais elles n’ont accès à rien » décrit Rachelle Rousseaux, chargée de mission chez I.Care. L’asbl qui développe des projets de promotion de la santé en milieu carcéral constate une détresse psychologique importante et une grande frustration liée à la quasi-impossibilité d’accéder à un accompagnement psychologique adapté.
« Aux assises, on s’intéresse à la trajectoire de vie des personnes, on fait des liens avec les violences vécues, mais une fois incarcérées, il n’y a plus rien » regrette Gwendoline Faravel, pair-aidante de Brise Le Silence, un Centre d’aide aux victimes de violences sexuelles basé à Mons, partenaire du projet.
En détention, la consultation d’un psychologue est en général limitée à l’évaluation du dossier de la personne condamnée : son aptitude à la détention, la préparation au respect des conditions permettant les sorties provisoires, l’évaluation du risque de reconsommation de substances psychotropes. « Ça n’a rien de thérapeutique, constate Charlotte Beco, infirmière en santé publique chez I.Care. Au mieux les femmes détenues peuvent consulter un psy en visio une fois par mois en présence d’un gardien, mais le plus souvent, elles doivent se débrouiller toutes seules avec leurs traumas ».
La prison de Mons étant surpeuplée, la cinquantaine de femmes détenues est rarement prioritaire pour l’accès aux activités. Toutefois, au cours de l’année 2024, I.Care a pu mener le projet pilote intitulé “WoW Resilience” pour Wonder Women Resilience. Il s’inscrivait dans le cadre d’un appel à projets de l’AVIQ sur la santé mentale et la promotion de la santé en milieu carcéral pour renforcer les compétences psycho-sociales (CPS) des femmes détenues. Ce projet d’une durée d’un an s’est clôturé début février 2025.
Une dizaine de femmes condamnées à de longues peines allant de 5 à 20 ans ont participé à des ateliers d’art-thérapies et à un groupe de parole. Pour aborder le sujet, I.Care a noué un partenariat avec des pair-aidantes de Brise Le Silence qui sont spécialisée sur les violences sexuelles et intrafamiliales.
Légitimité et safe space
Au cours d’une première partie exploratoire, les intervenantes ont réuni les femmes volontaires dans un focus group pour identifier leurs besoins avant de mettre en place des ateliers d’art-thérapie complétés par des groupes de parole. Mais rapidement, le projet patine.
« Très vite, certaines « résistances » sont apparues pour des raisons de légitimité et de sécurité », explique Gwendoline Faravel. En effet, les participantes ne se sentaient pas légitimes de faire le lien entre les violences qu’elles avaient subies dans leur enfance ou dans leur passé et leurs parcours de vie avec des passages à l’acte et des conduites à risque qui avaient mené à leur condamnation. « C’était impressionnant de voir à quel point elles ne s’autorisaient pas à reconnaître leur statut de victime parce qu’elles sont en prison » ajoute-t-elle.
Par ailleurs, même si les intervenantes avaient pris soin de créer un cadre commun sous forme de charte pour assurer la bienveillance et la confidentialité des échanges, les participantes craignaient que le groupe ne soit pas véritablement une safe place. « Nous avions beau cadrer et dire que : « Tout ce qui se dit ici reste ici », dans leur réalité, elles pensaient : « Tout ce qui se dit ici peut se retourner contre moi au préau » explique Gwendoline Faravel, qui décrit « une logique de la survie en milieu fermé où la honte et la culpabilité sont reines ».
Unir ses forces face aux vents violents
Aux cours des ateliers d’art-thérapie et des groupes de parole, les intervenantes ont eu beaucoup de mal à amener la thématique des violences. Difficile de parler du passé quand le présent est aussi envahissant : le fait de ne pas avoir eu accès au préau, une dispute avec les agents, la cantine qui n’est pas arrivée, une détenue qui est libérée et qu’elles auront interdiction de revoir au dehors.« Tout cela est vécu comme des micro-violences. A cela s’ajoute la violence d’une mise aux cachots après des crises d’angoisse, le sentiment pour certaines de se sentir exposées quand les familles des agents viennent en visite annuelle dans la prison. Par conséquent, les participantes profitaient de cet espace libre de parole pour exprimer tout ce qui pouvait les frustrer » ajoute Rachelle Rousseaux.
A mi-parcours, I.Care et Brise le Silence se sont appuyées sur le jeu collaboratif de plateau « Vents violents », qui permet de parler de la violence familiale et de ses conséquences. Les joueurs, répartis en quatre bateaux doivent le mener vers le continent des relations égalitaires. Le but est que tous les bateaux arrivent au continent, en s’entraidant. Le jeu a permis à certaines femmes d’identifier des situations qu’elles avaient pu vivre : emprise, dépendance, peur de représailles, silenciation, sans pour autant avoir à parler de leur propre vécu. Les participantes ont identifié les différents types de violence avec facilité. Une des participantes connaissait déjà certains services d’aide pour les femmes victimes de violences conjugales qui sont mentionnés dans le jeu. Une autre a confié : « J’ai vécu plusieurs fois la lune de miel moi ». Dans le cadre des violences intrafamiliales ou conjugales, c’est la phase qui suit l’épisode de violence. L’agresseur s’excuse et promet de ne plus recommencer.
La bascule des pair-aidantes
Puisqu’il était difficile pour les femmes d’aborder leur passif de violences depuis le début du projet, les pair-aidantes de Brise Le Silence ont proposé de raconter leur parcours. «Dans nos histoires, on retrouve de l’emprise, de l’errance, des mauvaises fréquentations, des conduites à risques, on frôlait parfois la limite à bien des égards. Nous avons parlé de nos propres foyers de honte et de culpabilité, autrefois très dominants dans nos systèmes respectifs. Peut-être pour leur montrer que des « trajets » sont possibles vers une compréhension profonde de soi et de certains actes qu’on a pu faire qui nous ont menés vers des voies sans issue, condamnées, sans estime de soi, décrédibilisées. Les participantes ont été très réceptives. A partir de là, je pense que certaines ont pu faire des liens avec leur propre histoire » précise Gwendoline Faravel.
Au fil de leurs témoignages, les participantes ont posé des questions : « Comment se défait-on de ses traumatismes du passé ? » ; « Comment se désintoxique-t-on des relations du passé ? » ; « Quels sont les warnings d’une relation toxique ? » ; « Comment les pair-aidantes ont-elles réussi à s’en sortir et à passer au-delà de toutes leurs difficultés ? ». Leurs questions prenaient racine dans leur vécu.
À la suite de ce partage, pour la première fois au sein du groupe, une participante a raconté une enfance parsemée d’agressions sexuelles, d’inceste, de violences intrafamiliales et de précarité extrême. « Elle était plus que bouleversée et emportait tout le groupe dans l’horreur de ce parcours de vie où au final, la « case prison » arrive et devient le premier lieu où elle ne subira plus autant de violences au quotidien », relate la pair-aidante.
Réparer les failles avec de l’or
Après cette séance, et en accord avec les participantes, les ateliers et les groupes de parole ont fusionné en un atelier dit « mixte » de 3 heures et l’ambiance a changé : la confiance était de mise. Lors de ces dernières séances, les femmes ont exprimé plus de liens entre les activités proposées et leurs vécus de violences du passé. Les intervenantes ont proposé un atelier de Kintsugi, un art japonais symbolique de résilience. « En réparant des objets cassés, en les recollant avec de l’or, on embellit les fissures et les failles apparentes. C’est le symbole de réparer des parts de soi cassées et de travailler à les percevoir avec le temps, comme des parts de soi qu’on a acceptées » dit Gwenaëlle Faravel.
Ces réalisations s’accompagnaient de questionnement sur leur passé avant l’incarcération, signe qu’elles réussissaient à outre-passer les micro-violences du quotidien. « Les femmes ont également fait preuve d’optimisme quant à leur futur, exprimant que les témoignages des pair-aidantes leur avaient donné de l’espoir quant à la suite de leur propre chemin » ajoute Rachelle Rousseaux. La dernière séance a consisté en des échanges libres pour que les femmes puissent s’exprimer sur leur vécu du projet et sur les revendications qu’elles voudraient porter au niveau hiérarchique et politique pour une meilleure offre d’accompagnement psychologique et de gestion émotionnelle en prison.
Le projet s’est clôturé en février, en ayant prouvé l’utilité de créer un groupe de parole sur la question des violences de genre. « Dans un chemin de réparation, la stabilisation intérieure est l’étape la plus longue, décrit Gwendoline Faravel. Le fait de pouvoir exprimer sa part émotionnelle a un intérêt dans un processus de réhabilitation et de réinsertion ». Pour le moment, faute de réforme structurelle sur l’accès aux soins, les détenues concernées postposent ce chemin à leur libération.
Repère : Pair-aidance et apprentissage social
La théorie de l’apprentissage social (Bandura) met en avant que « l’observation d’un modèle entraîne une modification des représentations (s’il y arrive, pourquoi pas moi ?) ; cette modification des représentations facilite les tentatives d’imitation de ce modèle, encouragées par le modèle lui-même ; lorsque ces tentatives réussissent, elles constituent des expériences de maîtrise guidée qui augmentent à leur tour le sentiment d’efficacité personnelle » (de Almeida Carapato & Petot, 2004).
Pour aller plus loin :
– RTBF, Prison : un médecin dénonce l’impossibilité de soigner correctement les détenus malades
– Carte blanche dans le Soir : La santé en prison, un enjeu pour nous toutes et tous
– Au cours de l’année universitaire 2024-2025, les 55 étudiant.es du Equity Health Lab ont développé des outils spécifiques pour renforcer l’accès aux soins et aux droits des détenu.es et ex-détenu.es.
* Le site de l’Equity Health Lab et la démarche interdisciplinaire qui anime 6 facultés : Equity Health Lab : présentation | LinkedIn
* Lire aussi notre article sur la promotion 2023-2024 du Equity Health Lab: Des étudiant.es, vent debout contre les inégalités sociales de santé – Éducation Santé