Articles de la catégorie : Réflexions

crowd of people on the street.

Le concept One Health et la santé de la société

Le 13 Fév 23

Publié dans la catégorie :

« Le concept de One Health dans l’après Covid », voici le thème de l’intervention de Marius Gilbert, lors d’une soirée organisée dans le cadre du Certificat d’Université en Santé et Précarité. L’épidémiologiste, visage connu et incontournable grâce à ses interventions dans les médias belges au plus haut de la crise sanitaire et ayant fait partie du groupe d’experts qui a conseillé le gouvernement belge pendant la crise, nous propose une lecture critique du concept One Health et insiste sur l’importance des facteurs sociaux à ne pas occulter ou déconsidérer.  

crowd of people on the street.

Le concept de One Health (Une seule santé) lie la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale. One Health vient affirmer l’appartenance de l’humain à un écosystème peuplé d’autres êtres sur lequel l’humain a de l’influence, mais qui a aussi une influence sur lui. Concept popularisé ces dernières décennies, il l’a surtout été grâce aux organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) par exemple, qui le définit comme « une approche pour concevoir et implémenter des programmes, des politiques, une législation et des recherches dans lesquelles de multiples secteurs communiquent et collaborent pour atteindre de meilleurs résultats en santé publique » (OMS, 2017).

Education Santé a consacré un numéro à la thématique du One Health en octobre 2021 (« Un monde, Une santé »), retrouvez-le sur https://educationsante.be/numero/381/

Selon Marius Gilbert, la grande force du One Health est justement « sa capacité conceptuelle à rencontrer certains enjeux sanitaires qui peuvent être importants face aux maladies infectieuses telles que les zoonoses ». Dernier exemple en date connu de tous: le Covid-19. Parmi les autres enjeux de santé publique, il cite également la santé alimentaire ou l’antibiorésistance. « D’ailleurs, la composante animale est parfois peu connue. Ce ne sont pas moins de 73% des antimicrobiens vendus dans le monde qui sont utilisés dans la production animale », souligne-t-il encore.

shema 1

Mais le concept connait des limites et des critiques. D’une part, c’est une approche jusqu’à présent essentiellement institutionnelle. Que ce soient au niveau plus macro des Nations Unies (incluant la FAO, l’OMS et l’UNEP) ou au niveau des états avec la collaboration des ministères de la santé, de l’agriculture et de l’environnement, la concertation transsectorielle et transdisciplinaire reste intéressante mais limitée. De plus, elle porte surtout sur les maladies transmissibles. En effet, « le concept du One Health par rapport à des maladies comme le cancer ou le diabète est moins évident ».

Un schéma pour ne pas oublier la composante sociale de la santé

Marius Gilbert nous présente alors un schéma conceptuel qu’il préfère à celui du One Health et qui lui est complémentaire. Celui-ci prend la forme d’une pyramide avec à son sommet l’individu et sa santé (« son état de bien-être physique, mental et social », pour appliquer la définition de l’OMS). On la fait reposer sur la société et son état de bien-être collectif. Celle-ci n’est pas la somme de la santé des individus qui la composent mais est porteuse de caractéristiques propres, qui favorisent la santé de ses individus : le niveau de précarité, d’égalité (ou d’inégalités), de cohésion sociale, d’éducation, de liberté d’expression ou encore du sentiment d’appartenance à cette société. Ce socle repose lui-même sur le socle plus large de l’environnement et l’état des écosystèmes.

shema 2

Ce modèle fait quelque peu disparaitre la composante animale, souligne l’intervenant de la soirée, mais son grand avantage est que « la composante sociale de la santé n’est pas escamotée, elle qui est si importante en termes de déterminants ». Or, si on considère le concept de One Health dans l’après Covid (thème de la soirée, rappelons-le), on ne peut pas faire l’impasse de la composante sociale.

Marius Gilbert brosse ensuite une série d’études scientifiques mettant en lien la santé des individus avec des caractéristiques de « la santé d’une société », autrement dit les déterminants sociaux (ou sociaux-économiques) de la santé. Prenons par exemple le niveau de confiance (entre les personnes elles-mêmes mais aussi envers les institutions qui les gouvernent), qui est corrélé avec le niveau de résilience des pays en termes de lutte contre la pandémie [1]. Autre exemple : l’efficacité d’une « bonne » information communiquée à l’ensemble des citoyens face à d’autres mesures restrictives telles que les fermetures des écoles [2] (suivant laquelle on peut considérer qu’une bonne campagne d’information peut éventuellement être aussi efficace que la fermeture des écoles). Les inégalités inter- et intra-pays, les niveaux de revenus, les possibilités pour certains travailleurs de télétravailler… tous ces aspects ont été documentés car impactant la lutte contre ce virus. A toutes les échelles, des pays à l’échelle mondiale, « la pandémie touche plus fortement les publics précarisés, et en plus elle va renforcer la précarisation des personnes » (M. Gilbert).

Considérer les inégalités, pas une mince affaire en santé ?

Pourtant l’OMS a publié en mars 2022 un document définissant les grandes lignes pour établir un prochain « plan pandémie » [3]. Et Richard Horton, rédacteur en chef de la prestigieuse revue The Lancet, s’est fendu d’un édito dénonçant notamment le fait que les inégalités – de manière générale – n’y sont pas sérieusement considérées, or la pandémie de Covid-19 « s’est épanouie grâce aux inégalités. Il n’y a pas de discussion sérieuse sur la manière dont ce virus a exploité les profondes disparités à travers les sociétés et pourquoi attaquer ces disparités doit faire partie d’un planning de préparation [4]». Pour appuyer ce constat, Marius Gilbert nous évoque également que lorsqu’il travaillait avec Céline Nieuwenhuys (secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux) au sein du groupe d’experts du GEMS et qu’elle soulevait la question des inégalités dans une discussion qui portait sur la santé, il lui était rétorqué que c’était une question de politique et pas tant de santé. « Ce n’est pas une coïncidence ou un hasard que [ces considérations] ne se rejoignent pas », remarque-t-il.

Pourtant, poursuit-il, mettre en évidence la composante sociale de la santé « permet d’avoir en tête les synergies possibles d’une action transversale, […] comme la rénovation du bâti ou la promotion de l’alimentation durable, à chacun des niveaux (individuel, de la société et de l’environnement) ». Si on reprend l’exemple de la rénovation du bâti, les impacts peuvent porter simultanément sur la diminution du risque d’infections respiratoires ou de maladies liées à la vétusté, la diminution du risque de contagions interpersonnelles ou de la vulnérabilité face aux vagues de chaleur, mais aussi diminuer la vulnérabilité économique par rapport à notre consommation d’énergie et diminuer les émissions de gaz à effet de serre, etc.

Enfin, Marius Gilbert clôt sa présentation et les réponses aux questions de l’assemblée en précisant qu’il est possible d’étayer et complexifier le modèle en trois cercles du One Health (« dans la santé humaine, on pourrait parler de santé individuelle ou collective ; on pourrait faire des distinctions dans la santé animale ou encore dans la santé de l’environnement en considérant les milieux urbains, sauvages, etc. ») On pourrait lui rétorquer qu’il existe déjà de nombreux modèles pour illustrer les déterminants de la santé, que le schéma simplifie peut-être trop ceux-ci, qu’on peut regretter cette vision très anthropocentrée, etc. Mais Marius Gilbert souligne : cette pyramide a un avantage considérable, « celui de passer un message clair et fort en termes de communication : la santé individuelle repose sur la santé de la société, qui repose sur la santé des écosystèmes ». Et sur ces mots de clôture, on ne peut que rejoindre l’intervenant de la soirée, qui a fait plusieurs mois durant l’exercice et qui continue encore aujourd’hui : « si au moins ce message-ci percole auprès de tous ».

Le certificat d’Universités en Santé et Précarité

Le certificat permet d’acquérir les connaissances en santé et précarité et les compétences pour une prise en charge pluridisciplinaire des problèmes de santé et d’accès aux soins des populations et des personnes en situation de précarité.

 Il est organisé par l’ULB et ses partenaires : la Fédération des Maisons médicales, Médecins du Monde, la Haute Ecole Libre de Bruxelles Ilya Prigogine et Solidaris.

Parmi les intervenants, vous retrouverez les asbl Aquarelle, Cultures & Santé, I-Care, le Projet LAMA, SMES et Transit. Pour en savoir plus : https://www.ulb.be/fr/programme/fc-529

[1] Lenton, T.M., Boulton, C.A. & Scheffer, M. Resilience of countries to COVID-19 correlated with trust. Sci Rep 12, 75 (2022)

[2] Levelu, A. ; Sandkamp, A-N (2022). A lockdown a day keeps the doctor away: The effectiveness of non-pharmaceutical interventions during the Covid-19 pandemic, Kiel Working Paper, N°221, Kiel Institute for the World Economy, Kiel

[3] “Strengthening the Global Architecture for Health Emergency Preparedness, Response and Resilience” (OMS, mars 2022)  https://www.who.int/publications/m/item/strengthening-the-global-architecture-for-health-emergency-preparedness-response-and-resilience (disponible en anglais)

[4] Retrouvez l’édito ici (en anglais): https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(22)00874-1/fulltext. La traduction de cet extrait est proposée par la rédaction.

unterricht draußen auf dem schulhof

Les compétences psychosociales, un levier pour la promotion de la santé

Le 31 Jan 23

Publié dans la catégorie :

L’approche des compétences psychosociales en promotion de la santé est souvent abordée dans la littérature mais n’est pas encore assez visible concrètement sur le terrain. En quoi cette approche est-elle un levier en promotion de la santé ? Comment les intervenants éducatifs peuvent-ils l’intégrer dans leurs pratiques pour soutenir la santé mentale des enfants et des jeunes ?

unterricht draußen auf dem schulhof

Beaucoup d’encre a coulé sur les effets de la crise sanitaire sur la santé mentale, en particulier celle des jeunes. Des pistes d’actions émergent peu à peu. Nous avons voulu nous pencher sur une approche qui agit en amont des problèmes de santé mentale et plus généralement de comportement de santé, celle des compétences psychosociales (CPS). En quoi cette approche soutient-elle le développement global de la personne ? En quoi favorise-t-elle le développement des facteurs de protection de la santé ?

Compétences psychosociales (CPS) et promotion de la santé

L’émergence de cette approche dans le champ de la prévention et la promotion de la santé a été fort liée à l’évolution même du concept de santé, qui est passé de l’absence de maladie à un état de bien-être physique, mental et social, et une ressource de la vie quotidienne.

En 1986 déjà, la Charte d’Ottawa identifie comme stratégie d’intervention le renforcement des aptitudes individuelles et la participation des populations. Même si les CPS n’y sont pas explicitement citées, celle-ci y faisait donc déjà référence par la notion de « life skills » ou « aptitudes indispensables à la vie » avec la finalité de « donner aux individus davantage de maitrise sur leur propre santé ».

Extrait de la Charte d’Ottawa – Acquisition d’aptitudes individuelles

« La promotion de la santé appuie le développement individuel et social grâce à l’information, à l’éducation pour la santé et au perfectionnement des aptitudes indispensables à la vie. Ce faisant, elle donne aux gens davantage de possibilités de contrôle de leur propre santé et de leur environnement et les rend mieux aptes à faire des choix judicieux. Il est crucial de permettre aux gens d’apprendre à faire face à tous les stades de leur vie et à se préparer à affronter les traumatismes et les maladies chroniques. Ce travail doit être facilité dans le cadre scolaire, familial, professionnel et communautaire et une action doit être menée par l’intermédiaires des organismes éducatifs, professionnels, commerciaux et bénévoles et dans les institutions elles-mêmes.« 

Ce n’est que dans les années 90 que le concept des compétences psychosociales est explicitement introduit par l’OMS qui les définit comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement. Les CPS ont un rôle important à jouer dans la promotion de la santé dans son sens le plus large, en termes de bien-être physique, mental et social »[1].

Même si cette définition reste une référence, Santé publique France [2] l’a récemment actualisée et définit les CPS comme « un ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives » [3].

Nous remarquerons que les termes utilisés pour désigner les CPS varient en fonction des disciplines. En promotion de la santé, on parlera de compétences psychosociales ou compétences utiles à la vie (life skills). Dans les champs de l’éducation et de la prévention, on parle plutôt de compétences sociales et émotionnelles ou compétences socio-émotionnelles. Les économistes mentionnent les termes de compétences socio-comportementales et compétences sociales ou compétences transversales [4].

Classification des CPS

Afin de compléter les aspects théoriques, il nous semble utile de mentionner les diverses classifications de CPS développées. Elles nous permettent en effet de mieux cerner le concept et ce qu’il revêt.

La première classification est celle développée par l’OMS dans les années 90 qui présente les CPS en 5 couples de compétences : savoir résoudre des problèmes- savoir prendre des décisions ; avoir une pensée créative – avoir une pensée critique ; savoir communiquer efficacement – être habile dans les relations interpersonnelles ; avoir conscience de soi – avoir de l’empathie pour les autres ; savoir gérer son stress – savoir gérer ses émotions.

L’OMS présente ensuite, en 2001, une classification en 3 groupes de CPS : cognitives, émotionnelles et sociales. Enfin, en 2021, Santé publique France identifiera 9 CPS générales (comprenant au total 21 CPS spécifiques) : 3 CPS cognitives (avoir conscience de soi, capacité de maîtrise de soi, prendre des décisions constructives) ; 3 CPS émotionnelles (avoir conscience de ses émotions et de son stress, réguler ses émotions et gérer son stress); 3 CPS sociales (communiquer de façon constructive, développer des relations constructives, et résoudre des difficultés). [5]

Cette classification théorique nous permet probablement d’y voir un peu plus clair mais ce qui nous intéresse en promotion de la santé c’est surtout de comprendre comment s’exerce une CPS et comment celle-ci peut avoir un effet sur la santé et le bien-être.

L’exercice des CPS

Pour mieux comprendre à quoi correspond l’exercice d’une CPS, passons par la définition du terme compétence. Celle-ci est définie par Tardiff comme « un savoir agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » [6]. Les compétences sont psychosociales lorsqu’elles font appel aux ressources cognitives, émotionnelles et sociales. C’est en mobilisant ces ressources de façon combinée et appropriée, que l’on exerce une compétence psychosociale face aux aléas de la vie [7].

Des compétences représentent donc des habilités, des aptitudes… les CPS peuvent donc s’apprendre, se cultiver, être modifiées, renforcées. Elles se développent notamment grâce aux interactions familiales et sociales tout au long de la vie. La mobilisation des ressources qui composent les CPS est influencée et déterminée par trois éléments : la situation (ou contexte), l’état émotionnel et physique de la personne, les expériences personnelles passées. [8]

On comprendra que les CPS se vivent dans l’action : c’est face à une situation que l’on exerce une compétence psychosociale. Par exemple, une personne fait face à une situation stressante, c’est dans ce contexte qu’elle fera appel à ses ressources sociales, émotionnelles et/ou cognitives pour les mobiliser et agir face à cette situation.

Les CPS comme facteurs de protection

La santé mentale ne se résume pas à une absence de troubles psychologiques. Elle inclut des aspects liés au bien-être, la joie de vivre, l’optimisme, la confiance en soi, la capacité relationnelle et la régulation émotionnelle. Il ne s’agit pas d’un état figé mais d’une recherche constante d’équilibre entre contraintes et ressources. [9]

Comme la santé globale, la santé mentale dépend d’une multitude de facteurs qui interagissent entre eux. Certains y sont favorables (les facteurs de protection) et d’autres le sont moins (les facteurs de risques). Ces facteurs qui comprennent non seulement les caractéristiques individuelles d’une personne mais également le contexte socio-économique dans lequel elle vit, son environnement ou encore la société dans laquelle elle est intégrée. Ces déterminants s’influencent mutuellement et c’est de leur combinaison que résulte l’état de santé mentale d’une personne. A titre d’exemple, l’isolement social, la pauvreté, le chômage ou l’échec scolaire influent négativement sur la santé mentale ; à l’inverse le soutien social, de bonnes relations familiales, la sécurité économique ou la réussite professionnelle représentent des facteurs protecteurs.

Soutenir le développement des CPS, c’est augmenter les ressources des individus pour qu’ils puissent agir favorablement sur leur santé dans leurs choix de vie. En effet, des CPS peu développées peuvent être à la source de divers comportements défavorables à la santé : être incapable de gérer un échec, subir un aléa de la vie, des émotions, un stress, avoir des difficultés à faire des choix…

Mais c’est aussi agir sur les contextes de vie pour que les personnes soient placées dans des conditions favorables à l’exercice de l’une ou l’autre CPS.

Si par exemple, des jeunes ont la capacité d’exprimer une opinion ou des propositions mais que le cadre scolaire ou familial ne laisse pas la place à l’avis des jeunes ou n’en tient pas compte, ce contexte n’est alors pas cohérent et ne soutient pas l’exercice de CPS dans une approche d’empowerment. Il n’occasionnera alors que des frustrations chez les jeunes. A contrario, un cadre favorable leur permettra de développer voire de renforcer leurs compétences psychosociales.

Renforcer les CPS c’est donc contribuer à améliorer des facteurs de protection, c’est en cela que l’approche constitue un levier en promotion de la santé. Les CPS sont aujourd’hui reconnues comme un déterminant majeur de la santé et du bien-être. Elles se situent à la jonction entre le champ de la promotion de la santé et celui de la prévention de problèmes de santé physique et de santé mentale. [10]

Les bénéfices de l’approche

Il est à noter que les CPS sont considérées comme des « compétences transversales, génériques et interdisciplinaires, se caractérisant par un haut niveau de transférabilité, et une mobilisation à large spectre transcendant les milieux, disciplines et secteurs d’intervention« . [11]

Plusieurs programmes de développement des CPS existent, certains optent pour une approche thématique (autour d’un problème de santé comme le tabagisme), d’autres optent pour une approche plus globale de développement positif : donner des ressources et promouvoir la santé et le bien-être. Les données de recherche ont mis en évidence les bénéfices du renforcement des CPS : il favorise l’adaptation sociale et la réussite éducative, il contribue à prévenir la consommation de substances psychoactives, les problèmes de santé mentale ainsi que les comportements violents et les comportements sexuels à risque. [12]

En milieu scolaire, les recherches ont identifié les bénéfices des interventions portant sur le renforcement des CPS : une amélioration significative de l’estime de soi, des relations positives avec les pairs et les enseignants, de leurs résultats scolaires, et une réduction des symptômes de stress, d’anxiété et de dépression, ainsi qu’une diminution des violences et du harcèlement en contexte scolaire.
Les CPS développées améliorent donc le bien-être psychologique, la qualité relationnelle, les comportements favorables à la santé, l’empowerment [13], la capacité de résilience [14], ainsi que la santé globale.

Pour que des bénéfices soient observés, des critères d’efficacité ont été mis en évidence et élaborés grâce à l’évaluation de programmes CPS. Le développement des CPS n’est pas une recette miracle mais reste un déterminant majeur de la santé globale. Il est cependant important de tenir compte de certains critères d’efficacité afin de pouvoir favoriser l’émergence des bénéfices des actions et projets. Ainsi plusieurs facteurs clés ou critères d’efficacité ont été mis en en évidence grâce à l’étude et l’évaluation de programmes CPS (disponibles au niveau international). [15]

Renforcer les CPS, oui mais comment?

Les parents sont bien entendu en première ligne lorsque l’on parle du renforcement des CPS des enfants et des jeunes. Mais les professionnels de l’éducation sont également des acteurs incontournables. C’est dans leurs différents milieux de vie que les enfants et les jeunes se développent et évoluent en relation avec les autres.

Le renforcement des CPS passe par trois axes principaux : l’expérimentation et la généralisation des expériences, la posture des intervenants éducatifs et la mise en place d’environnements favorables.

Les professionnels et bénévoles travaillant avec les enfants et les jeunes peuvent contribuer au renforcement des CPS de leurs publics grâce à l’animation d’ateliers collectifs expérientiels. Ces ateliers, mis en place de manière régulière, sont structurés selon une trame précise qui permet le développement des CPS.

La pédagogie expérientielle et participative est essentielle et permet aux enfants et aux jeunes d’expérimenter des situations, de se questionner, et de réfléchir au transfert des CPS dans la vie de tous les jours. La partie réflexive est essentielle.

De plus, par sa manière d’interagir avec l’enfant ou le jeune, l’intervenant va contribuer au développement des CPS du jeune mais également de ses propres CPS.  Cela passe donc par une posture professionnelle soutenant le développement des CPS.

Enfin, l’action sur les contextes favorables à l’exercice des CPS concerne notamment la création d’un cadre bienveillant et sécurisant nécessaire pour la participation aux ateliers mais aussi en intégrant cette approche à toutes les pratiques plus informelles comme l’accueil, les moments « hors activité ».

Pour en savoir plus

La MC, en collaboration avec Ocarina et Cultures&Santé, organise en 2023 des journées de sensibilisation à destination des intervenants éducatifs dans plusieurs régions (les lieux seront précisés ultérieurement)

Ces journées seront l’occasion de découvrir l’approche des CPS en promotion de la santé et de l’expérimenter via des ateliers.

Cela se passera :

  • Le 28/03 (Namur)
  • Le 4/04  (Nivelles)
  • Le 27/04  (Verviers)
  • Le 23 mai (Charleroi)
  • Le 17/10 (Mouscron)
  • Le 14/11 (Bastogne)
  • Le 21/11 (Liège)
  • Le 28/11 ou 05/12  (Bruxelles) (date à confirmer)

Plus d’info: www.mc.be/competences-psychosociales

Quelques points d’attention

On pourrait penser que cette approche met l’accent sur la responsabilité individuelle et mettrait dans l’ombre les autres facteurs qui influencent la santé comme les facteurs environnementaux et contextuels. Or « la promotion de la santé s’appuie sur de nombreux champs de recherche (sociologie, psychologie, géographie…) qui appréhendent l’individu et la société différemment : au niveau des CPS, cela se traduit par la prise en compte de facteurs sociaux qui relativisent la responsabilité de l’individu. » [16]

Le renforcement des compétences psychosociales, comme toute action de promotion de la santé, tente d’agir simultanément sur plusieurs déterminants de la santé :  l’action sur l’environnement de vie a donc toute sa place.

Si par exemple, une action autour des CPS ne tient pas compte des conditions de vie du public, celle-ci peut contribuer à accentuer les inégalités sociales de santé.

Il est à noter aussi qu’une réflexion éthique est nécessaire auprès des intervenants qui par leurs actions contribuent au renforcement des CPS : se focaliser sur certaines compétences au détriment d’autres (par exemple les compétences cognitives plutôt que les compétences sociales) mènerait à stigmatiser les personnes qui ne répondraient pas à ces exigences.

De même, réfléchir et questionner sa posture professionnelle pour qu’elle soit en phase avec l’approche des CPS est essentiel mais peut être perçu comme inconfortable.  

Conclusion

L’approche des CPS a toute sa place dans les actions de prévention et de promotion de la santé, encore plus dans nos contextes de crise où chaque personne doit faire appel à ses ressources cognitives, émotionnelles et sociales pour exercer des compétences dans des contextes pas toujours favorables.

Soutenir le renforcement des CPS auprès des enfants et des jeunes c’est investir pour leur bien-être, c’est les aider à développer des facteurs de protection pour leur santé mentale. Les intervenants éducatifs ont un rôle clé à jouer par leur posture professionnelle et les actions qu’ils peuvent mettre en place pour permettre à leurs publics de développer et expérimenter leurs CPS.

[1] World Health Organization, Life skills education in schools, Geneva, WHO, 1997

[2] En France, une stratégie de développement des compétences psychosociales (CPS) interministérielle, est déclinée sur 15 ans (2022-2037). Elle présente des objectifs ambitieux pour qu’au moins 30 % des jeunes de 13 à 18 ans de la « génération 2037 » bénéficient d’interventions pluriannuelles sur les CPS et que cela soit renforcé également auprès des parents et des adultes en première ligne avec les jeunes (enseignants, éducateurs, professionnels de secteur social, de l’insertion etc.).

[3] Santé publique France, Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques, février 2022

[4] Santé publique France, Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques, février 2022

[5] ibid.

[6] Cultures&Santé, «  Compétences psychosociales des adultes et promotion de la santé », Focus Santé n°4, 2016

[7] Promotion Santé Normandie, « Préparer efficacement à la vie : Synthèse des interventions efficaces pour le renforcement des compétences psycho-sociales », avril 2018

[8] Cultures&Santé, Focus santé n°4, p.7.

[9] Promotion de la santé mentale Genève, Minds, La santé mentale ce n’est pas que dans la tête

[10] LAMBOY B., GUILLEMONT J., « Développer les compétences psychosociales des enfants et des parents : pourquoi et comment ? »Devenir, 2014/4 (Vol. 26), p. 307-325.

[11] Santé publique France, Les compétences psychosociales: un référentiel pour un déploiement auprès des enfants et des jeunes. Synthèse de l’état des connaissances scientifiques et théoriques réalisé en 2021.

[12] ibid.

[13] L’empowerment est un processus ou une approche qui vise à permettre aux individus, aux communautés, aux organisations d’avoir plus de pouvoir d’action et de décision, plus d’influence sur leur environnement et leur vie. (Cultures & Santé)

[14] Résilience : construire après avoir résisté à un traumatisme sévère, une situation déstabilisante, un accident de parcours OU aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques (Larousse).

[15] Santé publique France, Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques, février 2022.

[16] Cultures&Santé, « Compétences psychosociales des adultes et promotion de la santé », Focus Santé n°4, 2016.

human memory loss

Santé mentale en Belgique: quelle approche préventive?

Le 3 Jan 23

Publié dans la catégorie :

Le Service d’études de la MC a publié en octobre 2022 un numéro thématique de sa revue Santé & Société intitulé « Santé mentale : zone à haut risque ». Un premier article définit le concept de prévention en santé mentale et montre comment il peut permettre une politique de prise en charge précoce des problèmes de santé mentale. Education Santé vous le propose dans une version légèrement remaniée.

human memory loss

Les maladies mentales demeurent un problème fondamental de la santé publique : malgré les progrès en psychiatrie et en psychologie, la prévalence des maladies mentales ainsi que leur impact sur la mortalité n’ont pas diminué ces dernières années. L’efficacité des traitements des maladies psychiques reste limitée, surtout s’il ne s’agit pas d’une combinaison entre des traitements médicamenteux et psychothérapeutiques. De plus, encore aujourd’hui beaucoup de personnes ne reçoivent pas ou reçoivent trop tard un suivi par un·e spécialiste.  

Les limites de l’efficacité du traitement sont également liées au fait que les maladies mentales (tant leur apparition que leur suivi) dépendent fortement des facteurs sociaux, économiques et environnementaux. C’est pourquoi le traitement ne peut pas être une solution unique pour protéger ou améliorer la santé mentale de la population. Ainsi selon l’OMS, « la seule méthode durable pour réduire la charge causée par ces troubles est la prévention » (Organisation mondiale de la Santé, 2004, p.13). Les recherches scientifiques montrent en effet que la prévention permet d’éviter, au moins partiellement, l’apparition et/ou d’atténuer la gravité des maladies mentales.  

En quoi consistent la prévention des maladies psychiques et la promotion de la santé mentale ?  Pour qui et pourquoi la prévention des maladies mentales doit être mise en place ? Et enfin qui sont les acteurs·rices de la prévention et de la promotion de la santé mentale en Belgique ? 

Santé mentale ou maladie mentale?

Pour répondre à ces questions, il convient d’abord de préciser ce qu’on entend par prévention. Dans notre perspective, il faut en effet dépasser la conception classique de la prévention qui tend à concevoir cette dernière de façon linéaire en fonction du développement d’une maladie. Au contraire il s’agit ici de s’appuyer sur la conception large ou holistique de la santé, car la situation clinique ne se réduit pas à une ligne abstraite de temps de développement d’une maladie, mais se déploie dans une relation entre le·la patient·e et le·la médecin qui se construit à la fois autour des plaintes du·de la patient·e et des préoccupations du·de la médecin. Ce qui se joue dans la situation clinique est donc la façon dont chacun des participant·es envisage le problème : d’un côté, le·la patient·e évalue s’il se sent bien ou pas et, de l’autre côté, le·la médecin se prononce sur le diagnostic. De ce point de vue, la prévention a pour référence non seulement le développement de la maladie, mais également la façon dont ce développement se rapporte à la vie du·de la patient·e prise dans sa globalité. 

Cette approche permet de prendre en compte la spécificité de la santé mentale par rapport à la santé somatique. A la différence des maladies somatiques, la maladie mentale ne peut pas toujours simplement disparaitre : son impact sur la vie de la personne est tel que le retour à l’état « d’avant » souvent n’est pas possible. C’est pourquoi il convient de parler des objectifs de traitement d’une maladie psychique plutôt en termes de rétablissement que de guérison. À la différence de la guérison, le rétablissement « ne signifie pas nécessairement que la maladie ait complètement disparu, mais que la personne ait pu se dégager d’une identité de malade psychiatrique et recouvrer une vie active et sociale, en dépit d’éventuelles difficultés résiduelles… […] Ni déni, ni désintérêt pour la maladie, c’est au contraire une prise de conscience de la maladie et de ses conséquences, et sur cette base une forme de prise de distance à leur égard, au profit d’une focalisation sur des objectifs personnels et le souci de son propre devenir » ​(Pachoud, 2012, p. 258)​ 

Or, si le rétablissement se focalise davantage sur la réintégration de la personne dans la société, c’est parce que ce sont avant tout les conditions dans lesquelles les personnes naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent qui jouent le rôle crucial dans le développement des maladies mentales (tant dans leur apparition que dans leur évolution). En effet, le cadre proprement biomédical, la génétique et la neurologie notamment, ne permettent pas d’expliquer de façon exhaustive ce qui se passe dans les maladies psychiques. Les promesses de trouver les biomarqueurs qui permettraient de détecter les maladies psychiques avant leur apparition ne se sont jamais réalisées​ (Fuchs, 2018)​. De même les symptômes des maladies ne peuvent pas être traités uniquement comme des signes de perturbations de l’activité cérébrale, mais doivent être interprétés à partir du sens qu’ils ont pour la personne. Ce qui caractérise une maladie psychique, c’est en effet la façon dont la vie de la personne, son rapport au monde, aux autres et à soi-même est affectée.  

Une autre considération importante concerne la différence entre la maladie mentale et la souffrance psychique. Nous proposons en effet de distinguer ces deux concepts et de définir la souffrance psychique comme un état qui n’entrave pas de façon considérable la vie de la personne, son rapport au monde, aux autres et à elle-même. Cette distinction permet de mettre en avant l’idée que la santé mentale n’est pas un état binaire (où on est malade ou sain), mais « existe sur un continuum complexe, avec des expériences allant d’un état de bien-être optimal à des états débilitants de grande souffrance et de douleur émotionnelle » (Organisation mondiale de la Santé, 2022, p. 13). Ainsi de même que quelqu’un peut avoir un problème de santé physique et être en bonne santé physique, il est possible de bénéficier de niveaux de bien-être mental plus élevés même si on présente des symptômes modérés ou sévères des problèmes de santé mentale. En outre, cette distinction permet d’éviter la tendance vers la pathologisation de certaines expériences négatives. Car une personne qui ne souffre pas de maladie mentale peut avoir un niveau bas de bien-être mental.  

Santé mentale et ISS

Cette conception de la prévention des maladies mentales reste néanmoins insuffisante si elle prétend être universelle. Or, la santé n’est pas distribuée de façon équitable au sein de la société. En effet, la santé mentale dépend de nombreux facteurs : familiaux, sociétaux, environnementaux, économiques et politiques ainsi que biomédicaux, qui peuvent être de nature positive (facteurs protecteurs) ou négative (facteurs de risque). Un déséquilibre entre les facteurs de risque et les facteurs protecteurs peut agir sur la vie de la personne en ayant pour conséquences la baisse ou au contraire l’amélioration de la santé mentale. Dans tous les cas, la plupart de facteurs qui influencent la santé mentale d’une personne dépassent la maitrise de cette dernière et sont dépendants de la structure sociétale. Cette structure à son tour étant caractérisée par des rapports d’inégalité, le déséquilibre entre les facteurs protecteurs et facteurs de risque est défini majoritairement par ces inégalités sociétales. Ainsi, plus le statut social de la personne est bas, plus elle est exposée aux facteurs de risque et moins elle a de chance de bénéficier des facteurs protecteurs (Vandiver, 2008). Elle risque donc davantage d’avoir des problèmes de santé mentale, mais aussi de souffrir de leurs conséquences. En effet, plus la situation de la personne est précaire, plus sa maladie a un impact sur sa situation générale (on peut penser à l’impact du coût de l’hospitalisation, de l’absence de travail, de l’impossibilité de s’occuper des enfants, etc.). 

Afin de prendre en compte le fait que la santé mentale n’est pas distribuée de façon équitable au sein de la société, les actions en prévention ne peuvent donc pas rester universelles, mais doivent être calibrées en fonction du niveau de désavantage. Il s’agit donc de respecter le principe de l’universalisme proportionné : « Pour réduire la pente du gradient social de santé, les actions doivent être universelles, mais avec une ampleur et une intensité proportionnelles au niveau de défaveur sociale » (Marmot, Goldblatt, Allen, & et al, 2010, p. 16, nous traduisons). Or leur mise en place est loin d’aller de soi. En effet, comment définir le seuil à partir duquel les politiques et les actions doivent être calibrés différemment ? Nous proposons d’aborder cette question à partir des formes principales d’inégalité sociale. On peut alors identifier des groupes plus à risque des maladies mentales d’un point de vue économique (personnes appartenant à des classes plus pauvres), du point de vue des discriminations sur base d’origine ou de religion (personnes racisées) et du point de vue des discriminations genrées (personnes discriminées en fonction de leur sexe et/ou leur sexualité). 

Évidemment, en réalité, ces divisions coexistent et se superposent. Il convient toujours dès lors de privilégier une approche intersectionnelle, c’est-à-dire « un cadre théorique permettant de comprendre comment les multiples identités sociales telles que la race, l’orientation sexuelle, le statut socio-économique et les incapacités se combinent au niveau micro de l’expérience individuelle pour refléter des systèmes interdépendants de privilèges et d’oppression » (Bowleg, 2012 ; pour la première conceptualisation de l’intersectionnalité voir Crenshaw, 1989). La présentation à partir de trois perspectives que nous proposons ici a donc une visée analytique. 

  • Les inégalités économiques découlent de la hiérarchisation entre les différents groupes en fonction des moyens économiques qui se trouvent à leur disposition. Elles se manifestent dans les inégalités au niveau des revenus, des conditions et contenus de travail, de l’héritage et du patrimoine, de l’insécurité financière, de la qualité (ou absence) de logement, mais aussi de l’éducation. Les recherches montrent que ces inégalités ont un impact direct sur la santé mentale des personnes. Par exemple, selon les données de l’enquête de santé de Sciensano, : parmi les personnes dont le revenu est inférieur à 750 euros par mois, 17,7% semblent être affecté par les troubles d’anxiété, tandis que parmi les personnes dont le revenu est supérieur à 2.500 euros par mois, seulement 7,4% sont affectés. La même tendance peut être observée pour la dépression. Ces données sont d’autant plus inquiétantes que les inégalités économiques continuent à croitre et avec elles, par conséquent, les inégalités de santé. Selon l’Eurostat, en 2018, 20% de la population belge présente un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. La crise provoquée par la pandémie de COVID-19 et ensuite la crise énergétique sont venues accentuer cette tendance avec la détérioration rapide de la situation socio-économique des groupes vulnérables. Dans cette perspective, les problèmes de santé mentale vont croitre inévitablement. 
  • La situation économique des personnes victimes de discriminations en raison de leur origine explique en partie le fait qu’elles ont une plus mauvaise santé que les autres groupes : les personnes racisées sont surreprésentées parmi les personnes avec les plus bas revenus au sein de la société. Néanmoins, de nombreuses recherches démontrent que la discrimination raciale2 en elle-même est responsable des inégalités de santé (Williams, 1999, p. 177, nous traduisons). Les préjugés discriminatoires deviennent un facteur de stress pour les personnes et peuvent ainsi nuire à leur santé mentale. En outre, certaines personnes racisées intériorisent les stéréotypes raciaux négatifs omniprésents dans la culture (concernant leur infériorité), c’est-à-dire qu’elles finissent par les percevoir comme vrais. Les recherches indiquent que ce processus de l’intériorisation est associé à un bien-être psychologique moindre et à des niveaux plus élevés de consommation d’alcool, de symptômes dépressifs et d’obésité (Williams & Mohammed, 2009). Les facteurs qui influencent la santé mentale des personnes racisées relèvent également des modes de fonctionnement mêmes du système de santé (Smedley, Stith, & Nelson A. R, 2003), que ce soit par rapport au manque d’accès aux soins, aux inégalités de traitement (par exemple de biais dans le diagnostic), etc. (Hairston, Gibbs, Wong, & Jordan, 2020).  
  • Les inégalités de genre se manifestent également avant tout à travers les inégalités économiques. Ces inégalités s’expliquent par le fait que les femmes travaillent plus souvent que les hommes à temps partiel, sont surreprésentées dans les secteurs mal rémunérés, ont moins d’accès à des postes de direction, mais aussi par le fait que pour une même profession, un même secteur, un même âge, un même diplôme, etc., les femmes sont systématiquement moins rémunérées que les hommes. La santé mentale des femmes est influencée néanmoins également par des facteurs qui ne sont pas d’ordre économique (ou en tout cas qui ne sont pas directement liés à ce dernier). Par exemple, les inégalités de genre persistent au sein de la société sous la forme de l’assignation des femmes aux activités domestiques qui peuvent devenir une source d’épuisement, de stress et constituent ainsi un facteur de risque de maladies mentales. Selon les données de l’Enquête de santé menée par Sciensano, en 2018 pour les troubles dépressifs « les femmes présentaient une prévalence plus élevée (14,2% pour l’anxiété et 10,7% pour la dépression) que les hommes (7,9% pour l’anxiété et 8% pour la dépression) ». 

Si nous voulions mettre en avant ces trois types de public comme ceux qui se trouvent particulièrement à risque des maladies mentales, il ne s’agit pas de suggérer que la solution au problème serait à rechercher chez eux, dans leurs capacités individuelles à surmonter le stress, par exemple, mais bien dans les conditions de vie qui déterminent ces groupes comme dominés ou discriminés. Qu’est-ce qui pourrait être fait et quels sont les acteur·rices qui mettent en place des actions concrètes dans ce domaine ? 

Compétences et financements

La prévention des maladies psychiques et la promotion de la santé mentale, considérées au sens large du terme, font aujourd’hui l’objet de nombreux services en Belgique. Institutionnellement, il s’agit d’une organisation très complexe, les compétences étant partagées entre les trois niveaux de pouvoir (fédéral, régional, communautaire). Néanmoins, tant au sein du secteur des soins de santé que celui de la promotion de la santé, la santé mentale occupe une place mineure. Cela se reflète notamment par le niveau de financement. Pour le domaine des soins de santé par exemple, selon le groupe de travail « Les effets pervers des mécanismes de financement » des États généraux de soins en santé mentale, seulement 6% des dépenses en soins de santé sont dédiées à la santé mentale. Pour le domaine de la prévention, ce chiffre n’est pas disponible, mais il est sans doute encore plus petit en termes de dépenses absolues, sachant que toutes les dépenses pour la prévention et la promotion de la santé en Belgique dépassent à peine 2% de toutes les dépenses en soins de santé (Sholokhova, 2021). La prévention dans le domaine de la santé mentale souffre dès lors de l’accumulation des difficultés dans chacun de ces domaines séparément.  

La prévention des maladies psychiques et la promotion de la santé mentale ne se limitent pourtant pas à ces deux domaines, car elles sont réalisées et financées également au sein d’autres secteurs, notamment les secteurs social et culturel, mais aussi dans l’enseignement, les entreprises, logement, la culture, le sport, l’asile et migration, la lutte contre les violences et discriminations. D’où l’importance d’une approche qui promeuve la « santé dans toutes les politiques » (health in all policies) et qui mette en œuvre des actions multi-sectorielles.  

En guise de conclusion, soulignons dès lors que, selon les données probantes et les expériences internationales, une politique de santé transversale (qui crée des synergies entre différents niveaux de pouvoir), transdisciplinaire (qui met autour de la table les professionnel·les des différents secteurs ainsi que les patient·es et leurs aidant·es) et guidée par le principe de l’universalisme proportionné est la clé pour aborder cette question. En Belgique, plusieurs pas ont été faits dans cette direction notamment avec la nouvelle méthodologie de travail sur le budget de soins de santé et la nouvelle convention sur les soins psychologiques qui prévoit de meilleurs remboursements des soins psychologiques de première ligne. Ce cadre doit toutefois être élargi pour que la santé mentale ne reste pas identifiée aux soins de santé mentale. Le contexte économique difficile actuel invite à repenser les moyens mis en œuvre pour lutter contre l’accroissement des inégalités socio-économiques, en premier lieu contre l’appauvrissement de la population. Entre-temps, un meilleur financement des initiatives régionales et communautaires s’impose comme une priorité afin de développer les actions auprès des publics les plus à risque d’avoir une mauvaise santé mentale et de maladies psychiques et, réduire ainsi les inégalités de santé. 

Santé & Société est un périodique trimestriel de l’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes. On y retrouve des analyses et points de vue autour des politiques de soins de santé. 

Au sommaire du numéro d’octobre 2022 : 

  • Édito : Santé mentale : zone à haut risque 
  • Étude : Prévention dans le domaine de la santé mentale 
  • Étude : Le suivi psychologique : accessible en Belgique ? 
  • Étude : L’impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale des enfants et des adolescent·es en Belgique 
  • Lu pour vous : Écouter les enfants et les jeunes concernés par la santé mentale 
  • Lu pour vous : Soins de santé somatiques en institutions psychiatriques 

Retrouvez tous les articles en ligne sur https://www.mc.be/actualite/santeetsociete

bunch of multi ethnic friends gathered around a table for breakf

Une approche écologique de l’alimentation

Le 1 Déc 22

Publié dans la catégorie :

La Chaire Unesco Alimentations du monde est une chaire d’enseignement et de recherche spécialisée sur les systèmes alimentaires durables. Elle a pour mission d’animer un dialogue entre le monde de la recherche et les différents acteurs investis dans la transformation des systèmes alimentaires, et remplit son mandat au travers de diverses activités de formation, de recherche-action et de décloisonnement/diffusion des savoirs. A l’occasion de son dixième anniversaire, la Chaire a publié en 2021 Une écologie de l’alimentation, un ouvrage collectif co-écrit par une vingtaine de chercheurs et chercheuses de différentes disciplines, qui donne à voir la multidimensionnalité des enjeux auxquels nos systèmes alimentaires contemporains doivent répondre, ainsi que plusieurs pistes de réflexion pour envisager leur transformation.

L’autrice est membre de la Chaure UNESCO Alimentation du monde.

bunch of multi ethnic friends gathered around a table for breakf

Le système alimentaire industriel, qui domine dans tous les pays dits « développés », est aujourd’hui plus que jamais remis en question. S’il faut rappeler qu’au siècle dernier, l’industrialisation de l’agriculture, puis le développement des industries agroalimentaires et de la grande distribution, ont permis de répondre en quantité et en qualités (sûreté microbiologique et diversité des produits) à une demande alimentaire croissante, les problèmes posés par nos modes de production et de consommation contemporains sont désormais reconnus. Malnutrition et maladies associées, mauvaise rémunération des producteurs, appauvrissement des sols, érosion de la biodiversité, contamination chimique des milieux naturels, etc. : les préjudices sont nombreux.     

De plus, les récentes crises sanitaire et énergétique ont révélé toute la fragilité de ces systèmes industrialisés et mondialisés en mettant au jour leur dépendance aux marchés internationaux des matières premières et de l’énergie, et aux marchés financiers.(1) En temps de crise, cette dépendance se traduit notamment par une augmentation des prix des denrées, pouvant générer des situations de précarité alimentaire ou aggraver des difficultés préexistantes, rappelant ainsi l’importance de l’enjeu de l’accès de toutes et tous à une alimentation saine et durable.

Face à un tel constat, la transformation des systèmes alimentaires est une nécessité qu’il convient de conduire au plus vite. Au regard de la singularité du sujet, nous proposons d’aborder cette transformation en termes d’ « écologie de l’alimentation ».

L’alimentation comme vecteur de liens

Si l’acte de manger est vital, l’alimentation a ceci de particulier qu’elle joue une diversité de rôles au travers desquels elle façonne les individus, la société et la biosphère.

Tout d’abord, elle est notre principal carburant. C’est au travers de l’alimentation que nous apportons les nutriments nécessaires à la croissance et au fonctionnement du corps : la malnutrition résultant d’un apport nutritionnel en quantité ou qualité inadéquates par rapport aux besoins a un impact direct sur notre santé. Mais au-delà de la dimension biologique, manger est un acte pluriel pour tout individu. C’est à la fois une expérience sensorielle et émotionnelle, une affirmation identitaire, culturelle ou éthique, et un phénomène d’incorporation imaginaire au travers duquel on ingère autant de nutriments que de significations… (2) Ces dimensions « extra-biologiques » ont au quotidien une influence fondamentale sur nos choix alimentaires et sur notre bien-être.

Ensuite, l’alimentation est l’un des ciments de la société. Le repas est le moment de partage par excellence, où se vit la convivialité entre « con-vives » et où l’on devient la même chair que nos « co-pains » (ceux avec qui on partage le pain). En dehors des repas, l’alimentation est un support privilégié de reconnaissance d’une appartenance commune : les cultures alimentaires, pêle-mêle de savoir-faire et de significations oscillant entre tradition et renouveau, constituent un patrimoine partagé, objet de fierté et de transmission. Au travers de l’alimentation s’expriment ainsi une myriade de liens sociaux qui contribuent à mailler un « vivre ensemble » fédérateur.

Enfin, l’alimentation ancre l’humanité dans le cycle du vivant auquel elle appartient : nous consommons des végétaux produits à partir de l’énergie du soleil, des minéraux du sol et du travail des pollinisateurs ; nos aliments sont digérés dans notre tractus intestinal par des millions de micro-organismes avec lesquels nous vivons en symbiose (le microbiote) ; notre rapport aux animaux, qui se dessine dans nos pratiques de prédation, d’élevage, d’abattage ou encore de consommation de viande, reflète la place que l’on se donne en tant qu’humain dans le règne du vivant (3). Ainsi, nous travaillons – et travaillons avec – la biosphère pour nous nourrir.

Croiser les regards sur l’alimentation

Parler d’alimentation est donc bien plus qu’une affaire de nutriments ou de réponse à un besoin biologique. Cela nécessite d’aborder le sujet avec une approche multidimensionnelle, qui permet de dépasser la seule question de la production de denrées comestibles pour porter un regard systémique sur les enjeux agricoles et alimentaires contemporains.

Nous proposons de qualifier d’« écologie de l’alimentation » le nécessaire décloisonnement des regards permettant de saisir la diversité des relations tissées par l’alimentation entre individus, sociétés et biosphère.

En effet, dans le sens premier que lui a donné le biologiste Ernst Haeckel au XIXe siècle, l’écologie est une « science des relations ». C’est une discipline à dimension « intégrative », c’est-à-dire qu’elle tend à développer une lecture globale des phénomènes qu’elle étudie, en s’intéressant à leurs différentes composantes, aux liens qui les unissent et aux dynamiques qui en résultent. De ce point de vue, une « écologie de l’alimentation » traduit bien la volonté d’analyser ensemble la multiplicité des enjeux de nos systèmes alimentaires (environnementaux, socio-économiques, de santé, etc.).

Faire de l’alimentation un objet politique

Alors que l’alimentation devrait être considérée comme un bien commun (4), car elle nous concerne toutes et tous, tous les jours, nos systèmes alimentaires contemporains ne sont pas ancrés dans la poursuite de l’intérêt général. Loin de faire de la santé, de l’équité ou de la préservation de l’environnement des priorités, ils servent au contraire le profit économique d’une poignée d’acteurs privés en position d’oligopole [a].
Face à ce constat, une « écologie de l’alimentation » s’entend alors comme un appel à une reprise en main politique de notre alimentation. Cette reprise en main va au-delà d’un engagement individuel des consommateurs qui, bien que nécessaire, rencontre un certain nombre de limites et ne suffit pas à initier une transformation en profondeur de nos systèmes alimentaires. Dans une perspective de rééquilibrage des rapports de pouvoir et de défense d’une justice sociale et environnementale, l’alimentation doit devenir un objet démocratique approprié à tous les citoyens et toutes les citoyennes. Au travers de moyens aussi divers que des expérimentations « d’autres façons de faire », des coalitions d’acteurs de la société civile, des réseaux de collectivités territoriales ou encore des consultations publiques, la voix de la société civile peut, et doit, être prise en compte dans la co-construction des politiques publiques alimentaires et non-alimentaires, qu’elles soient territoriales, nationales ou européennes. Car c’est bien sur une évolution de ces politiques publiques (soutien massif aux pratiques de production agro-écologiques, généralisation des approvisionnements locaux en restauration collective, législation sur les emballages et la gestion des déchets, réforme de la lutte contre la précarité alimentaire, etc.) que repose la nécessaire transformation structurelle de nos systèmes alimentaires.

L’accès de toutes et tous à une alimentation saine et durable

Parmi les sujets qui préoccupent largement citoyens et gouvernements en France, en Belgique et ailleurs dans le monde, celui de l’accès de toutes et tous à l’alimentation figure en bonne place à l’aube d’une crise énergétique qui contraint sévèrement les pouvoirs d’achat. Dans le même temps, la lutte contre la précarité alimentaire sous forme de dons en nature de denrées alimentaires, telle qu’elle existe dans de nombreux pays industrialisés, fait l’objet de critiques croissantes sur la mauvaise qualité des produits distribués – très majoritairement issus du système alimentaire industriel, l’absence de choix des aliments ou la perte de dignité des bénéficiaires qui doivent en permanence justifier de leur situation de « pauvre » pour accéder à l’aide alimentaire.(5)

Il y a là un enjeu fondamental de changement de regards et de pratiques dans le traitement de la précarité alimentaire pour aller 

  • vers une approche multidimensionnelle de la question : les personnes concernées par la précarité doivent pouvoir se nourrir, mais surtout avoir accès à une alimentation produite dans des conditions durables pour l’environnement et équitables pour les producteurs, et qui réponde à leurs besoins nutritionnels, à leurs goûts et à leurs cultures alimentaires ;
  • vers une pluralité de dispositifs, inclusifs et démocratiques : il est nécessaire d’aller au-delà d’un unique dispositif d’accès à une alimentation non choisie dédié aux personnes en situation de précarité pour lutter contre la précarité alimentaire. Parce qu’il existe autant de précarités alimentaires que de situations vécues, la réponse ne peut qu’être plurielle, tout en étant tournée vers la prévention, l’inclusion et la promotion du pouvoir d’agir.

Deux voies parallèles se dessinent alors. Celle d’une réforme de l’aide alimentaire, un dispositif qui reste indispensable pour répondre aux situations d’urgence, et celle du développement de solutions complémentaires portées par une ambition démocratique et ancrées dans un autre rapport au monde (à l’environnement, aux travailleurs du système alimentaire, aux habitants de son bassin de vie, etc.).

Ces nouvelles formes de solidarités alimentaires sont variées.(6) Ce sont des tiers-lieux alimentaires, où le faire ensemble dessine par l’alimentation des futurs communs ; des épiceries solidaires, dans lesquelles on peut choisir et acheter son alimentation à des tarifs adaptés ; des cantines solidaires où l’on retrouve le lien à l’alimentation et aux autres au travers de la cuisine et du repas ; des groupements d’achats organisés par des habitants soucieux de reprendre la main sur leur alimentation ; des jardins partagés, qui permettent un lien à la terre souvent contraint dans certains lieux de vie, mais aussi l’accès à des fruits et légumes frais ; des dispositifs de transferts monétaires mis en place par des collectivités aux échelles locales pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables ; etc.         

En plus de proposer des alternatives d’accès à une alimentation saine et durable pour les personnes concernées par la précarité, ces solidarités alimentaires posent les bases d’un autre système alimentaire, plus inclusif, plus conscient des rôles de l’alimentation dans la vie des individus, des sociétés et de la biosphère. Puissent nos dirigeants les soutenir et s’en inspirer pour mettre en place des politiques publiques à la hauteur des enjeux auxquels font actuellement face nos systèmes alimentaires.

Pour aller plus loin 

Une écologie de l’alimentation, Bricas N., Conaré D., Walser M. (dir), 2021. Versailles, éditions Quæ, 312 p. Ouvrage téléchargeable en libre accès : https://www.chaireunesco-adm.com/Parcours-thematique

Références

(1)  IDDRI, 2022. « Guerre en Ukraine : quelles implications pour l’Europe face aux enjeux de sécurité alimentaire ? ». iddri.org, 9 mars 2022. 

(2)  Fischler C., 1990. L’homnivore, Paris, Odile Jacob, 448 p.

(3)  Poulain J.-P. (dir), 2007. L’homme, le mangeur, l’animal. Qui nourrit l’autre ?, Paris, Les Cahiers de l’OCHA, 325 p.

(4)  Vivero Pol J., Ferrando T., De Schutter O., Mattei U. (éd.), 2020. Routledge handbook of food as a Commons, London, Routledge, 424 p.

(5)  Paturel D., Bricas N., 2019. Pour une réforme de nos solidarités alimentaires. So What? Série dela Chaire Unesco Alimentations du monde, (9) : 4 p.

(6)  Page « Poster initiatives » du site « Rencontre sciences-société pour des solidarités alimentaires » https://www.chaireunesco-adm.com/Rencontres-sciences-societe-Pour-des-solidarites-alimentaires

[a] Marché où un petit nombre de vendeurs ont le monopole de l’offre, les acheteurs étant nombreux.

worried gray haired agronomist or farmer using a tablet while inspecting organic wheat field before the harvest. back lit sunset photo. low angle view.

Droit à l’alimentation et droit à la santé : des liens étroits qui peinent à se concrétiser dans les politiques publiques

Le 1 Déc 22

Publié dans la catégorie :

L’accès à une alimentation saine et durable paraissait acquis à tous et à toutes jusqu’il y a peu en Belgique. C’est d’ailleurs un droit humain que la Belgique s’est formellement engagé à réaliser, directement en ratifiant le PIDESC [1], indirectement en reconnaissant dans l’article 23 de la Constitution le droit « à mener une vie conforme à la dignité humaine ».

worried gray haired agronomist or farmer using a tablet while inspecting organic wheat field before the harvest. back lit sunset photo. low angle view.

Ce droit à l’alimentation est garanti de deux manières : d’abord en maintenant artificiellement des prix bas ; ensuite en mettant en œuvre des filets de sécurité sociaux que sont, d’une part, les aides sociales générales tel que le Revenu d’Intégration Sociale, et d’autre part, l’aide alimentaire. Certes, ces dispositifs empêchent que ceux qui ont faim, car il y en a, en meurent : la Fédération des services sociaux estime que 600 000 personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en Belgique en 2021. En revanche, si l’on regarde au niveau des adjectifs de « sains et durables », qui en termes juridiques ne sont pas un luxe, mais bien une condition sine qua non de la réalisation du droit à l’alimentation, nous n’y sommes pas – et pas du tout.

L’auteur est chargé de recherche et de plaidoyer chez FIAN Belgique. Le présent article est inspiré de l’étude « Droit à l’alimentation de qualité et systèmes alimentaire : pourquoi il est si difficile de bien manger en Belgique, et ce qu’on peut y faire » (FIAN 2022), étude à laquelle on se référera pour approfondir la réflexion.

Alimentation et santé

Le droit à la santé est un droit humain fondamental inscrit explicitement dans la constitution. Selon l’OMS, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas, seulement, en une absence de maladie ou d’infirmité ». Or, on sait que l’alimentation est un déterminant majeur de la santé, qu’elle est dite la première des médecines. Cependant, le lien entre alimentation et santé est loin de recevoir toute l’attention qu’elle requiert dans les politiques publiques.

La malnutrition se définit à la fois comme un manque nutritionnel et/ou calorifique (sous-alimentation) ou comme un surplus nutritionnel et/ou calorifique (sur-alimentation). Le lien le plus fort entre alimentation et santé, en Belgique, concerne la sur-alimentation. La moitié de la population est en surpoids, 16% est obèse [2]. Cet état nutritionnel se traduit par une contribution significative [3] aux maladies chroniques les plus fréquentes que sont l’hypertension et les accidents vasculaires cérébraux, les infarctus, le diabète de type 2 et encore certains cancers. En Belgique, entre 11% (2021) et 14% (2020) des décès sont directement liés à la nutrition, ou plutôt à la malnutrition [4]. Soit entre 12 000 et 15 000 personnes par an. Un ratio un peu inférieur à la moyenne mondiale, qui s’établit à 11 millions sur 57 millions de décès par an, soit 19%.

Rappelons que le système alimentaire ne se limite pas à impacter la santé de la population au niveau nutritionnel. Les mauvaises conditions de travail dans le secteur agroalimentaire, l’exposition à des polluants dans l’eau, l’air et le sol et la disponibilité d’aliments contaminés ou dangereux sont des sources de nuisances supplémentaires [5].

Une approche holistique

La réalisation du droit à l’alimentation oblige à prendre en compte tout le « système alimentaire », c’est-à-dire l’ensemble des facteurs et acteurs qui vont produire, transformer, distribuer, encadrer, surveiller, consommer la nourriture. Agir sur la consommation en aval nécessite d’influencer en amont les modes de production, les conditions de formation des prix, l’encadrement du marché, etc.

Pour cela, il faut comprendre dans quel cadre le système alimentaire s’inscrit afin de repérer les leviers d’action et les obstacles au changement. Ceux-ci sont nombreux. Une preuve en est que, malgré les appels récurrents depuis le lancement de la Stratégie mondiale sur l’alimentation et l’exercice physique de l’OMS en 2004, et le premier Plan fédéral nutrition-santé en 2005, peu de progrès significatifs ont été accomplis pendant que la situation nutritionnelle de la population ne cesse de se dégrader.

On ne saurait réaliser le droit à l’alimentation en adoptant une approche « médicalisante », amalgamant « médicaments » et « aliments », ce qui reviendrait à chercher à garantir à chaque individu sa dose de nutriment – éventuellement distribuée en complément alimentaire. En effet, une alimentation saine est également sociale et psychologique, ce que met de côté une approche fondée strictement sur les besoins biologiques. Par exemple, on ne mange jamais aussi mal que quand on mange seul.

Prévenir plutôt que guérir

En matière de nutrition, il est bien plus efficace de prévenir que de guérir. Or, prévenir est rendu difficile par une idée : celle de la responsabilité individuelle devant le choix de son alimentation. Il serait possible de bien manger aujourd’hui, et si « les gens » ne le font pas, c’est par manque d’éducation. Certes, il est possible de bien manger pour pas cher : en passant beaucoup de temps à faire ses courses à la recherche des bons plans, en passant beaucoup de temps en cuisine, et en étant convaincu que bien manger est véritablement quelque chose d’important pour soi, pour les autres, pour la planète. C’est confondre « volonté » et « ressource ». Ce n’est pas parce qu’on veut qu’on peut.

Au contraire, c’est plutôt la quantité de ressources disponibles (en temps, en argent, en connaissance) qui va déterminer la qualité d’un régime alimentaire. Ce n’est pas par manque d’éducation que les familles précarisées mangent le plus mal, mais par manque d’argent. Les travaux sur la question, scientifiques ou de témoignages, sont unanimes [6]. Ce manque rend davantage malades ceux qui ont le moins de ressources, nourrissant un cercle vicieux. En outre, il ne faudrait pas laisser croire que mal manger ne concerne que les plus pauvres : c’est l’ensemble de la population qui ne répond pas aux recommandations nutritionnelles. Malgré la connaissance des messages nutritionnels, seulement 15% de la population belge générale mange les fameuses 5 portions de fruits et légumes par jour [7]. Le chiffre monte à 20% chez les plus diplômés : pas de quoi décrocher la mention.

L’approche curative continue ainsi d’être dominante. On ne sera pris en charge par la sécurité sociale qu’en bout de course, lorsque de mauvaises habitudes alimentaires se concrétisent et s’incarnent en maladie chronique. Et à ce moment-là, ça coûte très cher et c’est très difficile à soigner. Entre temps, on aura été stigmatisé à coup de « faites des efforts mon vieux ». Sciensano estime que le surpoids et l’obésité augmente au minimum la facture en soins de santé de 4,5 milliards d’euros par an [8] ! On paye tout au long de sa vie une mauvaise alimentation, puis on la repaye en soins de santé en vieillissant. Autrement dit, les prix sont faussés et n’intègrent pas toutes les dépenses que ces produits engendrent [9].

Les prix bas de l’industrie

La modernisation du système alimentaire est un héritage significatif du 20e siècle basé sur le pétrole : industrialisation de la production agricole, de la transformation alimentaire, internationalisation de la commercialisation (import et export) et enfin économie d’échelle majeur dans la grande distribution. L’objectif de ce grand modèle agricole connu sous le nom de « révolution verte » ? Assurer une production alimentaire suffisante, à bas coût, tout en vidant les campagnes de ses forces vives pour les reporter dans les faubourgs urbains et faire tourner l’industrie lourde.

Le pari a été remporté. En 1960 en Belgique, 27,6% du budget des ménages était destiné à l’alimentation. Aujourd’hui, il est relégué en seconde position après le logement, bien qu’il remonte dernièrement après avoir été vers 11% entre 2000 et 2018 [10]. En 2020 : 15% du revenu (c’est-à-dire environ 10 € par jour) pour les ménages du premier quintile (les 20% les plus bas), et 16% du revenu (environ 23 € par jour) qui y est consacré pour le dernier quintile (les 20% les plus hauts). La question qui se pose est alors double : savoir si le revenu le plus bas est suffisant pour assurer l’accès à une alimentation « saine et durable », et s’il est vraiment utilisé à cela. On sait déjà que non.

Des choix piégés

Ces deux questions sont piégées, parce que les choix alimentaires qui sont mis à disposition des consommateurs ne sont pas neutres. On ne peut réfléchir comme si les consommateurs étaient libres de dépenser où ils le souhaitent leur budget alimentaire. Au contraire, les choix alimentaires sont pris dans un contexte qui est appelé « environnement alimentaire ». En effet, cette notion met en avant que de nombreux facteurs influencent voire déterminent l’accessibilité des produits, et donc les choix des consommateurs. Il s’agit principalement du prix des produits, de leur disponibilité géographique et physique, de leur adéquation culturelle, mais aussi, les produits qui nous viennent en tête « spontanément » lorsqu’on a faim et qui s’imposent dans l’imaginaire à travers la publicité par exemple. En étant plus ou moins accessibles, ces produits sont plus ou moins consommés, reléguant les aspects nutritionnels à l’arrière-plan. On ira plus facilement au fast-food qui est à côté de chez nous ouvert 20h/24h, qu’au marché paysan une fois par semaine le dimanche matin.

Or, les études montrent que les environnements alimentaires sont « obésogènes » [11]. Ils sont favorables à des produits trop gras, trop salés, trop sucrés. Construire un régime alimentaire équilibré nécessite alors des efforts individuels considérables, des mobilisations de ressources qu’on ne veut pas forcément mettre, même quand on les a. La vie est déjà assez dure comme ça pour en plus la compliquer au moment des repas, qui sont censés être un moment calme, ressourçant, de laisser-aller. Il faut sortir de la responsabilisation individuelle et aller vers des politiques publiques.

Que faire ?

Les pistes sont nombreuses. Le premier ministre lui-même a déclaré en octobre qu’il fallait augmenter le prix des produits malsains, et baisser le prix des produits sains. Différentes taxations et une meilleure distribution des subsides sont envisageables. Réguler la publicité des produits malsains serait un pas important pour arrêter de les banaliser alors qu’ils produisent des effets sociétaux considérablement négatifs. Améliorer l’aide alimentaire ? En donnant plus de moyens, elle fonctionnerait beaucoup mieux. Mais on ne peut demander à un dispositif d’aide sociale de réaliser un droit universel. Socialiser une partie de l’alimentation comme on l’a fait pour la santé pour réaliser le droit à l’alimentation, en donnant à tous les moyens de consommer de bons produits, en fléchant la consommation vers des modes de production souhaitables et respectueux. C’est la piste d’une sécurité sociale de l’alimentation [12].

Bien manger est un droit, on ne devrait pas avoir à s’épuiser ou à s’humilier pour se le voir garantir. Et pourtant…

[1] L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dit que les Etats s’engage à garantir le « droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence ».

[2] Sciensano, enquête de santé sur l’état nutritionnel, 2018.

[3] Contribution, car ces maladies n’ont pas pour seule cause l’alimentation, mais aussi notamment la sédentarité ou le tabagisme.

[4] OCDE, Etat de santé dans l’Union européenne, Profil de santé de la Belgique, 2020 et 2021.

[5] IPES-Food, Alimentation et santé : décryptage. Un examen des pratiques, de l’économie politique et des rapports de force pour construire des systèmes alimentaires plus sains, rapport 2017.

[6] M. Ramel et al., Se nourrir lorsqu’on est pauvre. Analyse et ressenti de personnes en situation de précarité, Montreuil, ATD Quart Monde, 2016 ; A. Osinski, Joos Malfait et FdSS, L’expérience de l’aide alimentaire. Quelles alternatives ? Rapport d’une recherche en croisement des savoirs, Bruxelles, 2019 ; N. Darmon et A. Drewnowski, « Contribution of food prices and diet cost to socioeconomic disparities in diet quality and health: a systematic review and analysis », Nutrition reviews, vol. 73, no 10, 2015, p. 643-660

[7] Eurostat, 2019, Daily consumption of 5 portions or more of fruit and vegetable.

[8] V. Gorasso et al., « Health care costs and lost productivity costs related to excess weight in Belgium », BMC Public Health, vol. 22, no 1, 6 septembre 2022, p. 1693

[9] En plus de la santé, les impacts de l’alimentation sur l’environnement sont énormes, estimés comme supérieurs en coûts aux effets sur la santé. Cf. S. Hendricks et and al., The True Cost and True Price of Food, United Nations, 2021.

[10] P. Defeyt, « Les dépenses alimentaires des belges », Institut pour un développement durable, avril 2020, p. 14

[11] J. Boone-Heinonen et P. Gordon-Larsen, « Obesogenic Environments in Youth: Concepts and Methods from a Longitudinal National Sample », American Journal of Preventive Medicine, vol. 42, no 5, mai 2012, p. e37-e46 ; S. Vandevijvere et al., « The Cost of Diets According to Their Caloric Share of Ultraprocessed and Minimally Processed Foods in Belgium », Nutrients, vol. 12, no 9, Multidisciplinary Digital Publishing Institute, septembre 2020, p. 2787

[12] Un collectif de dizaines d’organisation se penche depuis 2 ans sur la proposition. Plus d’info sur : https://www.fian.be/+-Securite-sociale-de-l-alimentation-+?lang=fr

team better together

La psychologie positive, un levier pour la santé mentale

Le 3 Nov 22

Publié dans la catégorie :

En cette période où les crises de différentes natures se succèdent sans se ressembler, nos capacités d’adaptation et de changement sont mises à rude épreuve. Entre espoirs d’innovation liés aux avancées de la recherche et sentiment d’impuissance face aux problèmes environnementaux, les réactions peuvent être vives et variées. Les recherches dans le champ de la psychologie positive ont mis en évidence plusieurs processus psychologiques sur lesquels il est possible d’agir afin d’aider les individus, les groupes et les institutions à avancer en direction de solutions constructives qui contribuent par là-même à maintenir une bonne santé mentale et relationnelle.

team better together

La psychologie positive est une orientation relativement récente en psychologie qui propose d’étudier plus spécifiquement les facteurs protecteurs en santé mentale pouvant être développés en amont des problématiques et favoriser ainsi la capacité à faire face aux événements de vie et la résilience. Elle a ainsi été définie comme l’étude des conditions et des processus qui contribuent à l’épanouissement et au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions (1).

Réduire le biais de négativité par rapport à soi, aux autres et à l’existence

Nous avons une tendance naturelle à être davantage marqués par les aspects négatifs du quotidien et à nous remémorer ces événements le soir quand nous rentrons chez nous (2). Ce sont ces dimensions de notre quotidien qui vont aussi avoir tendance à tourner en boucle dans notre tête et nous empêcher d’orienter notre attention vers le moment présent et les personnes qui nous entourent. Or, plus nous ressassons ce qui nous dérange chez l’autre, ce que nous n’avons pas apprécié au travail ou un échec que nous avons essuyé, plus cela oriente notre attention vers d’autres aspects négatifs du quotidien, ce qui à son tour augmente les affects négatifs. On se retrouve alors embarqués dans une dynamique qui peut nous empêcher d’identifier les ressources en nous et autour de nous pour avancer de manière constructive.

Les recherches issues du champ de la psychologie positive ont expérimenté l’efficacité de pratiques permettant de réduire ce biais de négativité en apprenant à observer dans le quotidien d’autres aspects qui passent plus souvent inaperçus et que l’on a tendance à oublier rapidement : les éléments positifs et satisfaisants de la vie de tous les jours. Souvent, nous nous habituons rapidement à ce qui est positif ou agréable dans notre vie. Mais nous pouvons choisir de regarder à nouveau de plus près par exemple en réalisant un journal d’attention dans lequel on note chaque jour une ou plusieurs choses satisfaisantes qui se sont produites comme le fait d’avoir eu une conversation très intéressante avec un collègue ou d’avoir rencontré une personne chaleureuse qui a été à l’écoute. Ce type de pratique permet d’améliorer la satisfaction par rapport à la vie et diminuer les symptômes d’anxiété et de dépression (3). C’est l’un des processus qui permet de maintenir un équilibre psychologique.

Il existe également de nombreuses autres pratiques dont l’objectif est de développer une attitude bienveillante à l’égard de soi en diminuant la tendance à l’auto-critique répétitive négative. Au-delà du changement de regard que l’on porte sur soi grâce à ces pratiques, cela permet de diminuer la tendance à la procrastination et au sentiment d’impuissance face à la situation rencontrée. Cette forme de bienveillance envers soi représente un facteur protecteur important en santé mentale, comme nous avons pu l’observer pendant la période de pandémie auprès des parents (4) ou des étudiants par exemple (5). Développer de la compassion pour soi est aussi associé à de meilleures relations avec les autres, ce qui représente le facteur protecteur le plus important en santé mentale. Les interventions de psychologie positive ciblent ainsi spécifiquement des moyens de cultiver des relations constructives et permettre de développer des relations d’interdépendance positive (6).

Développer une culture de l’interdépendance positive

À une période où l’interdépendance a été au premier plan avec la situation de pandémie qui a mis en évidence de manière spectaculaire nos interdépendances à tous les niveaux : entre humains, avec les animaux, avec l’environnement, nous avons eu tendance à considérer que l’interdépendance était plutôt quelque chose de problématique. Toutefois, cette période a aussi révélé la possibilité de développer une interdépendance positive à travers des comportements solidaires qui ont été mis en œuvre, de nouvelles initiatives dans les villages, les quartiers, les immeubles pour aider les personnes âgées ou les personnes en difficulté pour faire leurs courses et prendre soin d’elles.

Durant cette période nous avons ainsi pris davantage conscience de l’importance de la qualité des relations avec les commerçants, les éboueurs, les voisins, les passants… En raison de la raréfaction des relations sociales en face à face, chaque interaction étant davantage valorisée. Nous avons davantage pris conscience des efforts de chacun, ce qui a pu faire émerger de la gratitude que l’on a pu exprimer envers les soignants en applaudissant le soir à 20h à la fenêtre. Cette expression de gratitude augmente le sentiment de proximité sociale et de confiance, un terreau favorable au développement de ce que l’on appelle l’interdépendance positive.

L’interdépendance positive est liée à la conscience que l’on partage un objectif commun et au fait de considérer que travailler ensemble est plus efficace et plus pertinent parce que l’on peut s’appuyer sur la richesse des différences et des complémentarités.

Cette relation est mutuellement bénéfique grâce au sentiment de lien social : chacun peut recevoir de l’aide sans se sentir inférieur, et peut à son tour apporter une contribution à d’autres à sa manière.

Dans le cadre d’une relation d’interdépendance positive, il s’agit de combiner les compétences complémentaires plutôt que de développer un esprit de compétition. L’idée de fond consiste à accepter que l’humain est incomplet, imparfait, mais que chacun possède des compétences pouvant être mises à profit dans le cadre d’un projet commun. Les recherches ont mis en évidence que la relation d’interdépendance positive offrait un contexte permettant de faire émerger le meilleur de chacun. Dans la relation, grâce au lien de confiance, cela permet d’accéder au mieux à ses compétences et qualités. De plus, le sentiment de proximité relationnelle modifie même la perception des difficultés qui sont alors davantage perçues comme un défi à relever plutôt que des menaces. Ce sentiment de lien social augmente également la vitalité et la persévérance.

Des chercheurs (7) avaient ainsi fait venir des participants au laboratoire en leur proposant de venir accompagné d’un ou une amie. Puis, soit cet ami restait dans la salle d’attente, soit elle entrait dans le laboratoire. Puis l’expérimentateur demandait au participant d’évaluer la raideur de la pente d’une colline. Les chercheurs ont alors observé que lorsque les participants étaient accompagnés d’un ami, ils percevaient la pente comme étant moins raide, comme si cela nous donnait l’impression d’avoir plus d’énergie et de ressources à disposition pour faire face à la situation.
Pourtant, nous vivons dans une société qui sur-valorise l’indépendance, souvent comprise comme le fait de montrer que l’on n’a pas besoin des autres. Il pourrait ainsi être utile de développer une culture de l’interdépendance dès le plus jeune âge. Des recherches dans le champ de l’éducation ont ainsi montré que l’interdépendance de moyens ou de buts augmente la motivation et l’engagement dans la tâche et ainsi la réussite scolaire.

Il existe aujourd’hui de nombreuses pratiques validées par la recherche pouvant contribuer au développement de relations d’interdépendance positive, notamment en favorisant le développement des compétences psychosociales, l’identification des forces et des complémentarités des individus à travers des pratiques de psychologie positive, ou encore grâce aux pratiques de pleine conscience, qui permettent de développer une plus grande ouverture à l’autre et peuvent faire émerger.

Les compétences psychosociales, ou compétences utiles à la vie, sont les ressources sociales (relation aux autres), affectives (émotions, vécu…) et cognitives (connaissances…) à mobiliser, de façon combinée et appropriée, face aux aléas de la vie (a) . Elles permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives (b).

Plus d’infos sur le sujet dans un prochain numéro d’Education Santé en 2023.

(a)https://(a) https://www.promotion-sante-normandie.org/_files/ugd/acc913_d53aa3e22d074f99afc9cdea94e01c37.pdf

(b) Santé publique France 2022

Pendant la période de confinement, avec un collectif de chercheurs et d’associations nous avons souhaité rendre ces outils accessibles pour développer des relations d’interdépendance positive à tous les niveaux dans le champ de l’éducation, à l’école et dans la famille. Vous pouvez retrouver ces outils sur le site https://covidailes.fr.

Pour aller plus loin

  • Shankland, R. (2019). La psychologie positive. 3e édition. Paris, France : Dunod.
  • Shankland, R. (2016). Les pouvoirs de la gratitude. Paris : Odile Jacob.

Rebecca Shankland est Professeure des Universités en psychologie du développement, Université Lumière Lyon 2

Références

(1)  Gable, S. L., & Haidt, J. (2005). What (and why) is positive psychology? Review of General Psychology, 9 (2), 103–110.

(2)  Baumeister, R. F., Bratslavsky, E., Finkenauer, C., & Vohs, K. D. (2001). Bad is stronger than good. Review of General Psychology, 5, 323–370.

(3)  Emmons, R.A., McCullough, M.E. (2003). Counting blessings versus burdens : an experimental investigation of gratitude and subjective well-being in daily life. Journal of Personality and Social Psychology, 84, 377-389.

(4)  Paucsik, M., Urbanowicz, A., Leys, C., Kotsou, I., Baeyens, C., & Shankland, R. (2021). Self-compassion and rumination type mediate the relation between mindfulness and parental burnout. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18, 8811. 

(5)  Paucsik, M., Leys, C., Marais, G., Baeyens, C., & Shankland, R. (2022). Self‐compassion and savoring buffer the impact of the first year of the COVID‐19 pandemic on PhD students’ mental health. Stress & Health. https://doi.org/10.1002/smi.3142.

(6)  Shankland, R., & André, C. (2020). Ces liens qui nous font vivre : Eloge de l’interdépendance. Paris : Odile Jacob. (7)  Schnall, S., Harber, K. D., Stefanucci, J. K., & Proffitt, D. R. (2008). Social Support and the Perception of Geographical Slant. Journal of experimental social psychology, 44(5), 1246–1255.

portrait enfant de dix ans sous la lumière regarde

Santé mentale: la parole aux jeunes

Le 24 Sep 22

Publié dans la catégorie :

Le Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique de l’UNICEF montre qu’un grand nombre d’enfants hospitalisés en pédopsychiatrie ont d’abord cherché de l’aide dans leur milieu de vie mais ne l’ont pas toujours trouvée. Dans un contexte post-covid où la santé mentale des jeunes est plus que jamais fragilisée, une sensibilisation des professionnels de la santé et de l’éducation à cette question semble indispensable. Écouter les enfants, entendre leur souffrance, les orienter : beaucoup reste à faire en matière de prévention.

portrait enfant de dix ans sous la lumière regarde

Dans des sociétés de la performance portées par un désir d’invulnérabilité, la santé mentale demeure un tabou majeur. Cela est d’autant plus vrai s’agissant des enfants, que l’on se plaît parfois à percevoir comme imperméables à la souffrance psychique. Pourtant, les chiffres sont sans appel : selon les dernières estimations de l’UNICEF, plus de 16,3 % des jeunes âgés de 10 à 19 ans en Belgique sont atteints d’un trouble mental diagnostiqué selon les termes de la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé. Une réalité mal connue, difficile, inconfortable qui amène certains d’entre eux à voir s’interrompre le cours normal de leur vie pour un séjour à l’hôpital, lorsque les envies suicidaires, les troubles du spectre autistique ou les angoisses deviennent envahissants. Nul besoin de préciser qu’il faut ajouter à ce pourcentage les enfants qui n’ont pas été diagnostiqués, sans même parler de l’augmentation inévitable des troubles de santé mentale dans un contexte post-covid qui a brutalement bouleversé le quotidien des plus jeunes, favoriser l’isolement et l’exposition à des informations anxiogènes. « 54,8 % des enfants diagnostiqués sont touchés par des troubles anxieux », précise Maud Dominicy, auteure de l’étude et Advocacy Manager à UNICEF Belgique. « Et on ne parle pas seulement des adolescents, il y a aussi des petits, ce n’est pas une question de ‘crise d’adolescence’. » Les facteurs de risque pour la santé mentale que sont la violence et la pauvreté ont eux aussi été favorisés par la pandémie et les confinements successifs. Les facteurs protecteurs que sont une famille élargie soutenante, l’école et les loisirs ont été quant à eux moins présents. Le sujet est donc brûlant et mérite toute l’attention de la société et des pouvoirs publics.

Formuler des recommandations

En Belgique, selon le Guide vers une nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents, élaboré dans le cadre de la réforme des soins en santé mentale, « chaque enfant ou adolescent a droit à des soins en santé mentale à la mesure de ses besoins en termes d’accessibilité, d’implication, d’approche positive, d’expertise, de qualité et de continuité. L’efficacité et l’impact sur l’enfant et l’adolescent sont toujours pris en considération lors du choix des soins, qui sont de préférence offerts dans le milieu de vie et d’apprentissage. » L’UNICEF a voulu savoir ce qu’il en était dans les faits, sur le terrain, grâce à un travail de plus de deux ans mené auprès de 150 enfants et adolescents entre 6 et 17 ans hospitalisés en unités pédopsychiatriques de jour ou résidentielles. Une démarche qui s’inscrit dans le projet « What Do You Think ? » (Qu’en penses-tu ?), coordonné par UNICEF Belgique depuis 1999. « À chaque fois, nous sommes allés vers des jeunes en situation de vulnérabilité afin de mener des projets participatifs pendant des périodes de deux à trois ans, précise Maud Dominicy. Des enfants porteurs d’un handicap, touchés par la pauvreté, hospitalisés, en IPPJ, migrants et réfugiés… Tous ceux qu’on entend peu dans les structures participatives et dans le débat public en général. » Les avis des enfants ont été recueillis dans le cadre de débats en groupe, organisés en collaboration avec le personnel soignant et selon différentes modalités ludiques ou créatives (atelier peinture, chanson…) : il a été demandé aux jeunes de dégager des priorités, ce qui a permis de faire émerger une vision collective qui frappe par son ambition, son sens pratique et sa justesse. « C’est très bien d’avoir un cadre légal qui vise à axer les pratiques autour des besoins de l’enfant dans son milieu de vie, mais notre souci était de voir ce qu’il en était dans la pratique tout en remettant les enfants au centre : en tant qu’adultes, nous avons des tas d’idées sur ce qu’il faudrait faire mais, avec ce projet, nous voulions donner la parole aux principaux intéressés. » Les paroles recueillies, fortes et touchantes, donnent vie à ce rapport. Ici, c’est un garçon de 10 ans qui décrit le service de santé mentale de ses rêves comme une tente accrochée dans un arbre ; là, une jeune fille de 16 ans qui dit avoir découvert à l’hôpital qu’elle pouvait se faire des amis malgré ses « petites folies »…  

Faire entendre sa voix

« Notre objectif est vraiment de pouvoir relayer leur parole au plus haut niveau, précise Maud Dominicy, auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, un organe qui surveille au niveau mondial la mise en œuvre de la Convention des droits de l’enfant, y compris en Belgique, et qui remet lui-même des recommandations à l’État belge. Un tel rapport a donc un impact direct au niveau des politiques en Belgique mais pas seulement sur les ministres en charge de la santé. On relaie à tous les niveaux, car la prévention a lieu dans la famille, les quartiers, les lieux de loisir et surtout à l’école, donc on s’adresse à tous les niveaux de pouvoir. » Le premier message de ces jeunes semble évident, mais mérite d’être rappelé : ils demandent à être considérés d’abord comme des enfants, avec les mêmes envies que n’importe quel enfant et pas comme des patients, qu’on ne leur colle pas des étiquettes, qu’on ne les réduise pas à une identité psychiatrique. Trois recommandations principales se dégagent ensuite de ce rapport. La première concerne la participation : les enfants et les jeunes font part de leur souhait d’être impliqués dans toutes les décisions qui les concernent dans la société. Ils souhaitent qu’on les prenne davantage en considération et que les adultes cessent de discuter exclusivement entre eux, en particulier en ce qui concerne leur santé mentale. Car comme le prouve ce rapport, ils ont une voix à faire entendre, une expertise collective à valoriser.  

Trouver une oreille attentive

Le deuxième grand volet de recommandations concerne la prévention. « Ils veulent beaucoup plus de services de proximité au niveau de l’aide et de la prévention, commente Maud Dominicy. Ils aimeraient connaître les lieux qui existent dans leur quartier où ils peuvent obtenir de l’aide de qualité, gratuite, car bien souvent, ils ne savent pas vers qui se tourner. » Les jeunes évoquent aussi largement le tabou lié à la santé mentale, leur sentiment de ne pas pouvoir vraiment exprimer un malaise. « Beaucoup pensent que s’ils avaient seulement pu déposer une parole, ils ne seraient pas aujourd’hui hospitalisés, poursuit Maud Dominicy. Beaucoup ont cherché de l’aide mais ne l’ont pas trouvée. D’autres n’ont pas été entendus par les premières lignes à qui ils se sont adressés, médecins généralistes, psychologues ou enseignants. Ceux-ci n’ont pas pu apporter de réponse ou leur ont simplement conseillé de ‘mordre sur leur chique’, ce qui est assez interpellant… » Des enfants évoquent aussi le besoin d’un soutien apporté à leur famille, qu’il soit social, émotionnel et économique. « Certains ont aussi pointé les questions de violence domestique et rappelé les politiques à leur devoir d’un cadre légal contre la violence domestique à l’égard des enfants, qui n’existe toujours pas en Belgique. » Tous estiment que la sensibilisation aux problèmes de santé mentale devrait avoir lieu à l’école. « Ils donnent l’exemple de la visite médicale où la santé mentale n’est jamais abordée. De même, aller aux PMS reste stigmatisant : ils suggèrent donc que tout le monde devrait peut-être y aller afin que chacun soit sur un pied d’égalité… » Si l’école peut générer des problèmes de santé mentale (rapports de pouvoir, harcèlement scolaire, pression à la réussite…), on sait qu’elle est surtout un lieu de résilience et un facteur de protection pour les enfants qui rencontrent des difficultés psychiques. C’est pourquoi elle apparaît dans ce rapport comme le lieu où les enfants en souffrance pourraient/devraient trouver de l’aide. « Tous disent que l’hôpital doit être le dernier recours et tous font le lien entre le fait de ne pas avoir été aidé dans leur famille, quartier, école et leur situation actuelle », insiste Maud Dominicy. Une aide de première ligne que la réforme des soins en santé mentale pour les enfants et adolescents serait censée garantir… « Imaginez des enfants de 6 ans qui doivent rester parfois plusieurs mois dans une structure institutionnelle, privés de communiquer, de leur routine, de leurs parents, etc. L’admission en psychiatrie est toujours un arrachement. » Qui pourrait être évité dans bien des cas.

Plus de jeu, moins de cloisons

Le troisième volet des recommandations concerne le souhait d’une prise en charge adaptée. Globalement, le rapport montre que les enfants sont déjà extrêmement reconnaissants de la prise en charge qu’ils reçoivent dans les services de pédopsychiatrie. « C’est un point très positif car je pense que si l’on avait fait enquête il y a 10 ou 15 ans, on n’aurait pas eu les mêmes résultats, estime Maud Dominicy. En 2008, nous avions interrogé une cinquantaine d’enfants hospitalisés et nous avions été choqués de la situation des droits de l’enfant dans ces structures, mais depuis, le cadre a évolué au niveau légal, une réforme a eu lieu, un travail de plaidoyer, et aujourd’hui on observe une grande reconnaissance de la part des enfants, même s’ils rapportent aussi quelques cas problématiques avec tel ou tel soignant. » 

Parmi les très jeunes patients, beaucoup pointent le fait qu’ils ne comprennent tout simplement pas les questions qu’on leur pose en thérapie, qu’ils sont mal à l’aise avec l’expression par la parole peu adaptée à leur âge ou à leur problématique. Ils suggèrent des thérapies plus multiples et pourquoi pas plus ludiques… « Ils adorent tous jouer et disent tous qu’ils sont sous pression, que le temps de jeu n’est pas suffisant, pointe Maud Dominicy. Par rapport aux crises que nous traversons, le jeu est d’ailleurs clairement un facteur de protection : dans les crises humanitaires, la première chose qu’on fait est de remettre les enfants en jeu et à l’école car ce sont les premiers facteurs de résilience en termes de santé mentale, même quand le traumatisme est très fort, par exemple en situation de guerre et/ou dans le cas de la perte d’un proche. » Tous disent par ailleurs adorer l’école à l’hôpital… mais aimeraient que l’école ressemble aussi à ça à l’extérieur ! Ils pointent aussi le peu de communication avec l’école d’origine qui favorise les situations de décrochage et complique le retour à la vie « normale ».  

Tous les propos recueillis convergent en somme dans le sens d’un décloisonnement : qu’on autorise plus de contacts avec l’extérieur, qu’on cesse de ranger les individus dans des cases, dans des rôles, de séparer l’esprit et le corps, l’élève de l’enfant… Dans le sens, tout simplement, d’une plus grande ouverture et d’une plus grande disponibilité. « Quand on voit qu’un enfant ne va pas bien, il faut pouvoir être là au moins dix minutes avec suffisamment d’empathie… N’oublions pas que beaucoup d’enfants sont directement concernés mais n’oublions pas non plus qu’un enfant sur 4 vit avec un parent qui a un trouble de santé mentale, ce qui peut avoir des répercussions sur sa santé mentale à lui, rappelle Maud Dominicy. Pour que les enfants aillent bien, il faut aussi que les adultes puissent être aidés. » Une prévention qui passe en premier lieu par l’écoute et l’attention à l’autre, qu’on soit professionnel de la santé, de l’éducation ou simple citoyen.

GSM, Wifi… un hôpital déconnecté ? 

Le téléphone portable est au cœur de nos vies et plus encore au cœur de celles des adolescents. Même si l’on peut déplorer l’addiction qu’il génère chez certains, il est aussi devenu un outil de socialisation incontournable, qui permet à la fois de communiquer avec ses amis, de savoir ce qui se passe dans le monde, d’accéder à de la musique, à des séries, à des vidéos, etc. Au sein des unités pédopsychiatriques, son utilisation est régulée, une privation souvent mal vécue par les jeunes. « Dans certains établissements, la durée d’utilisation du GSM augmente en fonction des progrès thérapeutiques du jeune. Ces restrictions leur font bien sentir la particularité de leur situation », explique le rapport UNICEF. « On ne peut joindre les autres qu’en soirée. Ce n’est pas pareil que la vie réelle », commente un jeune. Dans les groupes de discussions, « on doit parfois attendre longtemps pour répondre aux messages des autres. On doit alors expliquer comment ça se fait. C’est difficile. » 

Plusieurs ados reconnaissent aussi l’ambiguïté du lien avec le GSM. « Un GSM peut inciter des personnes mal intentionnées à vous appeler pour sortir d’ici, explique un garçon de 14 ans. Je ne pense pas qu’on doit autoriser si facilement le GSM dans la chambre. Seulement pour les personnes qui ont atteint une certaine étape. Pour que ça soit motivant. » Au-delà du GSM, c’est l’accès au Wifi (tablettes, PC…) qui est souhaité par de nombreux jeunes. Pour certains, un accès accru à la « connexion » faciliterait grandement leur coopération au travail thérapeutique. « Tout le monde serait plus coopératif si on avait cette motivation. Tout le monde serait plus heureux. Si nous n’avons aucune motivation, pourquoi devrions-nous coopérer ? »

Hôpital animaux admis ? 

Qu’il s’agisse du cheval, du dauphin, du chien, le lien avec l’animal est utilisé depuis longtemps comme support à la thérapie. Mais paradoxalement, les enfants hospitalisés doivent vivre l’épreuve d’être séparé de leur animal de compagnie. Dans ce rapport, beaucoup d’enfants évoquent le crève-cœur que cela représente car l’animal leur apporte au quotidien une douceur et un réconfort physique qui leur permettent de mieux affronter leurs angoisses. « Les animaux me calment quand c’est difficile pour moi, et les animaux se calment aussi quand je suis calme. Les animaux connaissent bien les sentiments. Je caresse les animaux et ils sont calmes », explique un jeune garçon. Nombre d’enfants réclament que les hôpitaux autorisent la présence de ces animaux avec qui ils ont développé un lien de confiance et d’affection privilégié. Ils imaginent aussi une sorte de droit de visite pour les animaux de compagnie. Tous disent qu’un animal dans le groupe de vie « rendrait tout le monde heureux ».

« Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique », Rapport « What Do You Think ? », UNICEF Belgique, 2022.  

Télécharger le rapport : https://www.unicef.be/fr/projet-what-do-you-think-sante-mentale

a desperate african woman outside in street feeling anxious

La dépression: une réalité genrée

Le 26 Août 22

Publié dans la catégorie :

Les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais en moins bonne santé ! Autrement dit, les femmes meurent en moyenne plus tard que les hommes mais elles souffrent davantage de maladies chroniques (qui peuvent se déclencher à différents stades de leur vie). Pourquoi cette différence ? Dans la prise en charge médicale des maladies, les femmes sont généralement plus suivies que les hommes, mais elles sont pourtant moins bien soignées que ces derniers… Dans ce contexte, les FPS vous proposent une étude d’éducation permanente féministe et intersectionnelle sur ce phénomène. On détricote la dépression chez les femmes au regard de la prévention !

Que doit-on savoir sur la dépression?

Ce n’est pas une déprime ou un « mal-être passager », c’est une maladie courante qui demande une prise en charge appropriée et ne doit pas être stigmatisée. Selon l’OMS1 , la dépression résulte d’une interaction complexe de facteurs sociaux, psychologiques (et/ou développementaux), environnementaux et biologiques (génétiques)2 . À noter que l’impact de chacun de ces facteurs varie d’une personne à une autre et, chez une même personne, évolue aussi en fonction d’évènements vécus au cours de la vie. Diagnostiquer un épisode dépressif reste difficile, car il en existe une diversité de formes cliniques, cela peut donc varier d’un·e patient·e à l’autre3 . En outre, dans certains contextes culturels, certaines personnes peuvent exprimer plus facilement leurs changements d’humeur sous la forme de symptômes corporels (par exemple, des douleurs particulières, une certaine fatigue, etc.).

La dépression chez les femmes et les hommes, ça dit quoi ?

Quel que soit le pays, la dépression touche deux fois plus de femmes que d’hommes. La dépression chez les femmes est aussi souvent plus sévère, plus précoce, avec des risques plus grands de rechutes, de tentatives de suicide ou d’aboutir à une maladie chronique. Au même titre que le chômage ou les ruptures conjugales par exemple, le fait d’être une femme est un facteur favorisant la dépression. Sans exclure totalement des facteurs biologiques, de nombreuses inégalités sociales pèsent dans cet écart.

Un paradoxe

Contrairement à ce qu’on peut penser, les troubles dépressifs concernent autant les femmes que les hommes. C’est en réalité la prise en charge de la maladie qui est inégale. Cela s’explique notamment par une méconnaissance des symptômes exprimés différemment par les hommes et les femmes mais aussi par un recours aux soins différent. Cette situation n’explique qu’en partie le sous-diagnostic chez les hommes et surtout, le sur-diagnostic chez les femmes. Il existe des facteurs de risques sociaux plus importants pour les femmes que pour les hommes. Nous en identifions cinq :

Les inégalités socio-économiques

Temps partiels, salaires inégaux, pensions moindres… la précarité économique des femmes est un fait bien établi aujourd’hui. Cette situation renforce les tabous et la stigmatisation autour des maladies mentales : honte ou culpabilité de ne pas jouir d’une certaine sécurité financière, sur-responsabilisation individuelle par rapport aux conditions de vie précaires, mécanismes d’auto-exclusion, mauvaise estime de soi…

Carla Marie Manly, psychologue clinicienne souligne : « quand on stresse à cause de ses finances, on peut devenir très anxieux, voire dépressif »4 . Si on compare les femmes entre elles, celles aux revenus les plus élevés ont 30 % moins de risques de dépression en comparaison aux autres catégories de revenus. Cela se constate aussi de manière générale : plus le niveau socio-économique est élevé, plus la fréquence des troubles dépressifs diminue.

D’autres études ont comparé des hommes et des femmes ayant le même âge, des études et des qualifications professionnelles similaires. Le résultat ? Les femmes ayant un salaire inférieur à celui des hommes étaient 2,5 fois plus touchées par la dépression que les hommes… Les inégalités de genre, qu’elles soient présentes dans le monde du travail ou dans un autre secteur ont donc des impacts notables sur la santé des femmes5 .

Violences : à la racine du mal(-être)

Dans le monde, 1 femme sur 3 subit des violences et ce nombre se multiple par 4 pour les femmes ayant un handicap6 . En réaction à la situation violente (quelle que soit sa forme), de nombreuses femmes peuvent connaitre des troubles du sommeil, de l’alimentation, des conduites addictives et des idées suicidaires. Ces symptômes de la dépression peuvent aussi révéler d’autres troubles comme le syndrome post-traumatique. Il existe 80 % de risques d’avoir un syndrome post-traumatique à la suite d’un viol (qui concerne majoritairement les femmes). Certains traumatismes peuvent durer une vie entière pour 13,8 % des femmes (contre 6 % des hommes dans la même situation).

La dépression est presque doublée chez les femmes lesbiennes ou bisexuelles (24 %) par rapport aux femmes hétérosexuelles (13 %)7 , et encore plus importante chez les personnes transgenres. Selon Estelle Depris, créatrice du podcast « Sans Blanc de rien »8 , les symptômes de troubles dépressifs sont présents chez un certain nombre de personnes racisées, qui s’expliquent par une estime de soi mise à mal, des troubles chroniques ou épisodiques de l’humeur et un affaiblissement physique global9.

De (très) nombreuses études montrent que les minorités vivant des discriminations répétées et quotidiennes sont touchées par la dépression, l’anxiété et des addictions, et sur le long terme, par des problèmes cardio-vasculaires et des cancers.

N’oublions pas que les violences peuvent soit être répétées au cours d’une même période, soit se répéter (et sous différentes formes) au cours d’une vie, ou encore s’accentuer en période de crise. En effet, tant dans l’espace public, numérique, que dans l’espace privé, les violences vécues par les femmes ont augmenté dès le début de la crise sanitaire en mars 2020, particulièrement lors des périodes de confinement10 .

Les normes de genre, défavorables à la santé mentale ?

Dès l’adolescence, les femmes sont incitées à atteindre des standards de féminité inatteignables qui impactent l’estime de soi. À l’âge adulte, ces injonctions sont étendues aux statuts de mère et d’épouse « parfaites » et aux « doubles journées ». Cela pousse à un rapport au corps négatif, à de l’anxiété, à un sentiment d’incapacité et de culpabilité, à un manque de confiance en soi et à des épisodes dépressifs précoces.

Certaines formes de la dépression sont particulières aux femmes dans le sens où elles sont liées à leurs conditions biologiques, c’est-à-dire qu’elles peuvent apparaitre durant la grossesse, l’accouchement, le post-partum et/ou le syndrome prémenstruel (la période avant les règles).

Comment oser parler de ce qui nous pèse, demander de l’aide lorsqu’on est censée être heureuse de devenir mère (la société tendant à idéaliser cette étape de la vie) ? Lorsque les proches comptent sur nous (et bien souvent sur personne d’autre) ? Comment exprimer son mal-être dans une société capitaliste valorisant la productivité à tout prix ?

La responsabilité incessante pour les soins d’autrui

Les femmes se trouvent souvent à la tête du soin à prodiguer, avec un manque cruel de soutien public ou familial, d’autant plus au sein des familles monoparentales. Selon l’OMS, c’est un facteur de risque qui affecte de manière disproportionnée les femmes, au même niveau que les violences sexistes et les inégalités de revenus11 .

Toutefois, ces inégalités ne seront pas prises en compte lorsqu’une dépression pointe le bout de son nez. Xavier Briffault, épidémiologiste et sociologue s’interroge : « Si une femme s’occupe seule de son enfant en bas âge la nuit, elle va pouvoir développer des troubles du sommeil qui entraînent une dépression très sévère. Le biologique est donc altéré, mais l’origine est sociale. Un médecin va-t-il analyser les rapports de pouvoir dans le couple pour expliquer cette dépression ? Les femmes se sentent alors non seulement mal, mais également responsables de leur état »12.

Catherine Markstein, médecin et fondatrice de l’ASBL Femmes et Santé, déplore cette situation : « En réponse à leurs plaintes [liées à une surcharge permanente], les médecins prescrivent trop souvent des anxiolytiques pour un problème social et culturel plus que véritablement individuel… »13 . En 2020, parmi les affilié·e·s Solidaris, 13,3 % des femmes ont consommé des antidépresseurs contre 7,3 % des hommes.

Vous reprendriez bien un peu de care ?

Autre exemple dans le care informel : les femmes constituent 85 % des aidant·e·s proches, âgées généralement de 35 à 64 ans, et qui assurent ces tâches en tant que mères, filles, belles-filles ou épouses/partenaires14 . Dans ce contexte, les aidantes proches souffrent davantage d’anxiété et de symptômes dépressifs que leurs homologues masculins15 . Durant la pandémie, leur santé mentale s’est dégradée, c’est-à-dire qu’une femme aidante sur deux s’est sentie plus dépressive pendant la crise sanitaire, à savoir 48,2 % d’entre elles pour 36,3 % des hommes. Ces dernières développent fréquemment des pathologies telles que des douleurs corporelles chroniques, des maladies cardio-vasculaires ou des risques de déclin cognitif en réaction à ce mal-être.

Ce terme désigne tous les métiers de soin à la personne. Les femmes constituent près de 80 % du personnel travaillant en hôpital, ce chiffre monte à 90 % dans les maisons de repos et les crèches. À titre d’exemple, Statbel comptabilise 98 % de femmes qui sont aides-soignantes à domicile, 91,8 % qui sont infirmières, 85 % qui sont psychologues16 et 96 % travaillant en titres-services (cela monte à 98 % pour les femmes d’origine immigrée à Bruxelles). Le secteur du care est fortement féminisé et précarisé en raison des conditions de travail difficiles (problèmes musculo-squelettiques, horaires inconfortables, etc.) et du revenu perçu. Ces conditions déjà précaires ont été exacerbées avec la pandémie de Covid-19, augmentant leur souffrance au quotidien. Une étude liégeoise menée par le psychiatre William Pitchot est sans appel : « Au cours des prochains mois, même chez les personnes qui, en apparence, se sont bien adaptées, on risque de voir apparaitre des épisodes de burn-out, des problèmes de trouble panique, des dépressions caractérisées, des états de stress post-traumatique ou des addictions. Le taux de suicide va vraisemblablement augmenter, à tout le moins on peut le craindre »17 .

Une dépression ne vient jamais seule

Les personnes ayant des troubles dépressifs ont 70 à 80 % de risque de développer des troubles anxieux. Le risque de suicide est multiplié par 30 au cours d’un épisode dépressif18 . Toutefois, la première cause de décès des personnes dépressives serait cardio-vasculaire. L’inverse est vrai : les personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires ont aussi un risque plus élevé de dépression. Ce n’est pas anodin lorsqu’on sait qu’en Belgique, la première cause de mortalité des femmes – toutes confondues – est déjà liée aux maladies cardio-vasculaires. Être femme et souffrir d’une dépression doubleraient donc potentiellement ce risque de mortalité.

Des coûts humains et financiers

Parmi les incapacités de travail, on trouve principalement les dépressions de longue durée et les burn-out, avec une augmentation de 39 % entre 2016 et 2020. Cela concerne 2/3 des femmes19 . Ces chiffres s’expliquent notamment par la non-reconnaissance de la pénibilité des secteurs majoritairement féminins et racisés (care, vente, etc.), l’insuffisance des politiques de prévention, la dévalorisation salariale et les impacts psychologiques des métiers ayant une grande charge émotionnelle ainsi que, finalement, la conciliation vie privée/vie professionnelle20 . L’OMS estime que le trouble dépressif caractérisé serait la maladie la plus coûteuse sur l’ensemble des maladies en termes de dépenses21 .

À quand un véritable investissement dans la prévention et la prise en charge de la dépression et des troubles de santé mentale ? Le bien-être de la population devrait être une variable prioritaire dans le calcul de croissance de notre pays. En chiffres, cela correspondrait à un véritable retour sur investissements : l’OMS a calculé que chaque dollar investi aux États-Unis dans un traitement élargi de la dépression et de l’anxiété donne un retour sur investissement de 5 dollars22 .

Quelles pistes de solution?

Les FPS ont aussi réfléchi à 7 points d’attention pour un système de santé plus inclusif. En voici 2 en termes de prévention.
⇒ Selon l’OMS, il a été démontré que les programmes de prévention réduisent la dépression23 . Il convient dès lors d’investir et donner sa place de choix à la prévention en :

  • enrayant l’insuffisance chronique des investissements en faveur de la promotion de la santé mentale, de la prévention et de l’éducation permanente (travaillant sur les tabous et les discriminations) ;
  • favorisant la multiplication des canaux, des outils et des publics-cibles de la prévention des troubles de santé mentale (et leur prise en charge précoce) : information et sensibilisation du grand public et des prestataires de soins via des campagnes médiatiques, des programmes scolaires (auprès des élèves et des parents) et de la formation 24, des approches communautaires, etc.

⇒ Partout où se trouve la lutte contre les inégalités fondées sur le genre se trouve la prévention des troubles mentaux. Prévenir les troubles mentaux, c’est donc continuer à lutter pour déconstruire les normes/modèles/schémas sexistes qui sont généralement en défaveur des femmes :

  • en ne banalisant plus la fatigue physique et l’épuisement mental lié à leur condition (issues des « doubles journées », des charges mentales domestique, émotionnelle, sexuelle, médicale, etc.) par des phrases telles que « ça passera », « ça ira mieux quand les enfants seront plus autonomes », etc.
  • en déconstruisant durablement les stéréotypes de la « femme superwoman », de la « nature des femmes, c’est de soigner », etc.
  • en luttant contre l’état d’alerte continuel qui les caractérise dès l’adolescence…

L’égalité, c’est bon pour la santé !

Les inégalités sociales sont des facteurs de risques de nombreuses maladies, pas seulement de la dépression. L’organisation de notre société a encore tendance à reproduire les inégalités dans tous les domaines, que ce soit la santé, l’accès au logement, au travail, à la citoyenneté, etc., mais ce sont pourtant ces facteurs, ces parties de notre vie qui influent sur le rétablissement. Les soins de santé n’en sont finalement qu’une petite part25 . La prévention durable de la dépression et d’autres maladies chroniques nécessite une approche globale dans tous les domaines politiques. Brecht Devleesschauwer, épidémiologiste belge, et Lisa Van Wilder, chercheuse belge en santé publique le soulignent : « en effet, la santé d’une population est principalement déterminée par le climat social et politique général, les inégalités sociales en matière de santé étant « le canari dans la mine de charbon ». C’est précisément là que des signaux d’alarme apparaissent »26 .

De manière globale, être dans une société plus égalitaire permet de réduire les problèmes de santé et d’augmenter le bien-être général de la population27 .
Finalement, lutter contre les inégalités, c’est lutter pour une meilleure santé.
Lutter contre les inégalités, c’est lutter pour un meilleur système de soins.
Lutter contre les inégalités, c’est lutter pour des politiques de santé nécessairement plus inclusives et féministes.

Notre nouvelle campagne sur la santé :

Les stéréotypes de genre, de sexe et les inégalités sociales sont présents tout au long du parcours de soins des femmes, affectant leur santé. Nous avons choisi 3 thématiques illustrant ces différentes étapes du parcours du soin, à savoir :
→ la prévention, au travers de l’exemple de la dépression,
→ la prise en charge, au travers de l’exemple des maladies cardio-vasculaires,
→ le traitement, au travers de l’exemple de la recherche médicale.

Retrouvez tous nos outils de campagne sur notre site internet : https://www.femmesprevoyantes.be/derniere-campagne-2-3/

Contacts: stephanie.jassogne@solidaris.be
fps@solidaris.be

  1. INSERM, « Troubles anxieux : quand l’anxiété devient pathologique », Article en ligne, 2021, https://bit.ly/3LJfcgw.
  2. COTTIN Eva, « Liens entre précarité et souffrance psychique », Analyse FPS, 2021, https://bit.ly/3rlR4Jc
  3. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir durablement », Article en ligne, 2019, https://bit.ly/3I49tQq
  4. BOND Casey, « Ce que cause le stress lié à l’argent sur votre corps et votre santé », Huffingtonpost, 2020, https://bit.ly/3ydKfNz
  5. Ibid.
  6. PAULUS Mai, « Femmes en situation de handicap : une double discrimination violente », Etude ASPH, 2020, https://bit.ly/3Io8Yk8
  7. SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, « Ampleur et impact sur la santé des discriminations et violences vécues par les personnes lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et trans (LGBT) en France », Synthèse du rapport, 2021, https://bit.ly/3saflSq
  8. Le podcast : https://spoti.fi/38M0SFo
  9. DEPRIS Estelle, « Trauma Racial : comment le racisme impacte la santé mentale », Analyse Bepax, 2020, pp. 15-19, https://bit.ly/3GLmxKb.
  10. VIERENDEEL Florence, « Covid-19 et violences faites aux femmes : quels impacts ? », Analyse FPS, 2020, https://bit.ly/3P8ezPY
  11. BERGE Jehanne, « Genre et santé mentale (2/3) : le cumul des violences », Les Grenades RTBF, 22 décembre 2020, https://bit.ly/3kxuI3k
  12. LEGRAND Manon, « La santé mentale inégale avec les femmes », Alter Echos n°429-430, 2016.
  13. BERGE Jehanne, « Genre et santé mentale (2/3)… », op.cit.
  14. Ibid.
  15. Ibid.
  16. JERECZEK Betty, « Pourquoi les femmes s’intéressent plus à la psychologie que les hommes ? », Huffingtonpost, 2021, https://bit.ly/3vCphGG
  17. LI V., « Le terrible impact psychologique de la pandémie sur les médecins et le personnel soignant », Médi-Sphère, 2020, https://www.medi-sphere.be/fr/actualites/covid-le-terrible-impact-de-la-pandemie-sur-les-medecins-et-le-personnel-soignant.html
  18. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir… », op.cit.
  19. WERNAERS Camille, « Accord sur le budget fédéral : quels effets sur les femmes ? », Les Grenades-RTBF, 2021, https://bit.ly/3Iw6NLt
  20. Ibid.
  21. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir… », op. cit.
  22. OMS, « Journée mondiale de la santé mentale 2020 », Campagne 2020, https://bit.ly/3pJluD1
  23. Ibid.
  24. CENTRE FÉDÉRAL D’EXPERTISE DES SOINS DE SANTÉ (KCE), « Soins de santé mentale : il est difficile de savoir si l’offre de soins répond à la demande », Communiqué de presse, 2019, https://bit.ly/38MHEzC
  25. COTTIN Eva, « Liens entre précarité et souffrance psychique », Analyse FPS, 2021, https://bit.ly/3rlR4Jc
  26. DEVLEESSCHAUWER Brecht et VAN WILDER Lisa, « Le fardeau des maladies chroniques », Santé Conjuguée, 2022, https://bit.ly/34VshTv
  27. PICKETT Kate et WILKINSON Richard, Pour vivre heureux, vivons égaux, éd. Les liens qui libèrent, coll. Poche, 2020.

people plant tree, developing, taking a risk, support and solvin

Des stratégies pour promouvoir la santé des Bruxellois∙es en contexte de pandémie 

Le 23 Mai 22

Publié dans la catégorie :

En collaboration avec la COCOF, les Cabinets Maron-Trachte, le CBPS, Cultures & Santé, la FBPSanté, Question Santé et le Réseau Safe Ta Night

Dans cet article, nous décrivons brièvement un travail de recherche évaluative, menée fin 2021 en Région Bruxelles-Capitale, qui s’est penchée sur deux objets interreliés : une dynamique de concertation de crise, d’une part, et des projets et services mis en œuvre en réponse aux enjeux de la pandémie de COVID-19, d’autre part. Ce travail de recherche a pris la forme d’un recueil d’expériences1 qui est à découvrir sur le site du RESO : www.uclouvain.be/reso.

people plant tree, developing, taking a risk, support and solvin

« Stratégies concertées » ou pas ?

La dynamique de concertation de crise sera très vite désignée sous l’appellation de « stratégies concertées COVID bruxelloises », en référence aux stratégies concertées IST-VIH2 développées par un réseau d’acteur∙rices pour définir un cadre de référence commun au secteur de la prévention IST/hépatites/VIH. Ces stratégies concertées IST-VIH sont le résultat d’un travail d’élaboration de plusieurs années reposant sur la méthode de planification PRECEDE-PROCEED3. Il est important de préciser que la dynamique de concertation qui nous intéresse ici n’avait pas pour finalité d’élaborer un cadre de référence pour promouvoir la santé en contexte de pandémie et prévenir la propagation de la COVID-19. Nous préférons dès lors utiliser les termes de « dynamique de concertation de crise » pour marquer la démarcation avec les stratégies concertées IST-VIH.

Origine du recueil

A l’origine de la recherche, il y a une série d’acteur∙rices bruxellois∙es (détaillé∙es dans la liste ci-dessous) rassemblé∙es au sein d’un comité d’accompagnement (CA) et d’un comité de pilotage « promotion de la santé » (COPIL-PS) formés fin 2020. C’est à l’initiative de la COCOF et du Cabinet de la Secrétaire d’État et Ministre-Présidente Barbara Trachte que le CA voit le jour avec pour objectif de soutenir la mise en œuvre d’actions de promotion de la santé et de prévention de la COVID-19 à destination de publics aux besoins spécifiques ainsi que des actions de soutien aux professionnel∙les de la santé et du social en contact avec ces publics. Le COPIL-PS naît quant à lui du besoin des acteur∙rices de promotion de la santé participant au CA de se fédérer pour soutenir le déploiement de stratégies de promotion de la santé en contexte de pandémie.

Les premières réunions du CA sont mouvementées : la pression et l’urgence pèsent sur les discussions et le manque de perspective à moyen terme est déstabilisant. Pourtant les attentes sont grandes. Les difficultés ressenties ainsi que le caractère unique de l’expérience mettent en lumière la nécessité pour les membres du CA d’être soutenus pour tirer des leçons de cette expérience. Ainsi, quelques mois après la mise en place du CA et du COPIL-PS, le RESO (service universitaire de promotion de la santé situé à l’UCLouvain) rejoint la dynamique de concertation pour apporter ce soutien dans une démarche de recherche évaluative et participative.

Membres du CA et du COPIL-PS
CACommission communautaire française – COCOF
CACabinet de la Secrétaire d’État et Ministre-Présidente Barbara Trachte
CACrisis Manager COCOM
CALe Collège intermutualiste bruxellois représenté par les Mutualités Libres
CAOutbreak Support Team Belta
CAService de Prévention et d’Aide à la Jeunesse
CA & COPIL-PSCentre bruxellois de Promotion de la Santé – CBPS
CA & COPIL-PSCultures&Santé
CA & COPIL-PSFédération Bruxelloise de Promotion de la Santé
CA & COPIL-PSLes Pissenlits
CA & COPIL-PSQuestion Santé
CA & COPIL-PSRéseau Safe Ta Night : Ex-Aequo, Fédération Laïque des Centres de Planning Familial, Modus Vivendi et la Plateforme Prévention Sida

Démarches méthodologiques

La démarche évaluative a poursuivi deux objectifs, définis avec le COPIL-PS, la COCOF et la représentante du cabinet de la Ministre Barbara Trachte afin que ceux-ci répondent aux besoins des principales parties prenantes et contribuent à faire évoluer les travaux du CA et du COPIL-PS. Sur base de ces objectifs, le RESO a proposé deux démarches méthodologiques distinctes.

Le premier objectif de la recherche évaluative portait sur la mise en dialogue des parties prenantes du CA, ingrédient essentiel d’une concertation. Il s’agissait pour les membres du CA d’apprendre de cette expérience de concertation de crise. Au travers d’entretiens semi-directifs avec les parties prenantes du CA, nous avons cherché à clarifier le récit du CA – son histoire –, ses liens avec le contexte de pandémie, les caractéristiques du cadre de la concertation et ses effets. Compte tenu de l’importance pour le CA et le COPIL-PS de s’approprier pleinement les résultats de cette démarche, l’analyse des informations recueillies a fait l’objet de séances de délibération au sein du CA.

Le second objectif visait à mettre en lumière les projets et services mis en œuvre par certaines parties prenantes. Ces projets et services avaient de commun qu’ils reposaient sur des fondamentaux en promotion de la santé et qu’ils contribuaient à l’effort de prévention de la COVID-19. Au travers d’entretiens avec les chargé∙es de projet, nous avons cherché à capitaliser (c’est-à-dire passer de l’expérience aux connaissances) ces initiatives pour mettre en avant leurs particularités et intérêts en contexte de pandémie ainsi que leurs effets. Les résultats de ces analyses ont fait l’objet d’allers-retours entre les chercheuses et les chargé∙es de projet des structures impliquées.

Un recueil d’expériences en guise de rapport de recherche

Les résultats de cette recherche évaluative devaient, entre autres, permettre d’alimenter les réflexions en cours dans le cadre de la mise à jour du Plan Stratégique de Promotion de la Santé 2023-2027 et de l’élaboration du Plan Social-Santé Intégré pour la Région de Bruxelles-Capitale. A cette fin, le CA et le COPIL ont chacun formulé des recommandations qui sont à découvrir sur le site du RESO (www.uclouvain.be/reso).

Ils devaient également aider à visibiliser la pertinence des stratégies de promotion de la santé en contexte de pandémie. C’est dans cette optique que les résultats de la recherche ont pris la forme d’un recueil d’expériences qui montre comment les stratégies et principes de promotion de la santé ont contribué à répondre aux enjeux socio-sanitaires de la pandémie de COVID-19. Ce recueil ne prétend pas à l’exhaustivité ; de nombreux autres projets et services s’inscrivant dans cette démarche de promotion de la santé ont participé à lutter contre les iniquités en lien avec la pandémie. Le choix de se limiter à ces initiatives s’explique uniquement par le contexte de la réalisation de ce travail de recherche. 

La présentation de ces initiatives est structurée selon les stratégies dans lesquelles elles s’inscrivent. Pour définir ces stratégies, les chercheuses se sont basées sur des objectifs généraux et stratégiques proposés par la COCOF et retravaillés avec le COPIL-PS qu’elles ont croisés avec les travaux de chercheur∙euses canadien∙nes4,5. Ces dernier∙ères ont développé un cadre de préparation aux situations d’urgence de santé publique basé sur des valeurs communes à celles des démarches de promotion de la santé telles que l’équité.

A la suite de cet article, nous présentons brièvement ces stratégies et les initiatives capitalisées dans le cadre de ce travail de recherche.  

hands with speech balloon

Des stratégies et des initiatives en contexte de pandémie

  • Elaborer un plan d’action au moyen d’un processus de planification dynamique et collaboratif

En Région Bruxelles-Capitale, deux espaces de concertation multi-acteur·rices illustrent cet objectif général : il s’agit du CA et du COPIL-PS présentés ci-dessus. Cette double dynamique de concertation aura permis, d’une part, d’améliorer la capacité de ses membres à contribuer à la gestion de la crise et, d’autre part, de permettre une timide dissémination des stratégies de promotion de la santé dans les pratiques de gestion de la crise.

  • Etablir des liens, des partenariats et se baser sur des réseaux solides

Plusieurs organisations bruxelloises ont travaillé dans ce sens ce qui a permis une meilleure circulation de l’information, une réactivité plus rapide et plus importante, la fédération d’acteur·rices autour d’idées communes, ainsi qu’une amélioration de la capacité d’adaptation, de flexibilité et de résilience organisationnelle.

La FBPS, les Pissenlits et l’Observatoire du Sida et des Sexualités ont coordonné un projet de concertation rassemblant plus d’une trentaine d’acteur·rices œuvrant dans des démarches communautaires. Cette concertation aura permis, entre autres, de définir les apports des démarches communautaires en santé dans la lutte contre les inégalités sociales de santé, notamment en situation de pandémie. D’autre part, le réseau Safe Ta Night, composé de 4 associations – Modus Vivendi, la Plateforme Prévention Sida, Ex-Aequo et la Fédération Laïque des Centres de Planning Familia – est un réseau préexistant à la crise sanitaire qui s’est mobilisé pour cocréer des actions de Réduction des Risques en milieu festif, intégrant des messages de prévention de la COVID-19.

  • Comprendre les besoins et les ressources des communautés et générer des dynamiques locales

Plusieurs organisations ont eu recours à des analyses de situation (aussi appelées « diagnostic ») pour bien comprendre la nature de la problématique rencontrée par certains groupes en contexte de pandémie et identifier les leviers sur lesquels reposer leurs actions ou recommandations.

C’est le cas du CBPS qui s’est intéressé aux professionnel∙les relais (des secteurs social-santé) pour mieux comprendre l’impact de la COVID-19 sur leurs pratiques et aboutir, à la suite d’un processus participatif, à des recommandations pour une gestion de crise plus équitable. Le réseau Safe Ta Night a également réalisé un diagnostic en amont de la construction de son projet pour mieux comprendre les comportements à risque des « jeunes fêtard∙es » en contexte de pandémie. A la suite de cette étape, les partenaires ont élaboré, de manière participative, deux campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, renforcées par des actions d’outreach (démarche d’aller vers les publics). Un réseau de plusieurs AMO (service d’action en milieu ouvert) a également mené une étape de diagnostic communautaire qui a eu pour effet de créer une dynamique de mobilisation de jeunes, accompagnée par les AMO, qui a abouti à la création et à la diffusion d’une campagne centrée sur le thème de la liberté en contexte de pandémie, également renforcée par des actions d’outreach.

  • Soutenir les professionnel·les de la santé et du social

Durant la pandémie, les professionnel·les des secteurs de la santé et du social ont été particulièrement mobilisé·es en tant que relais des mesures de prévention de la COVID-19 auprès des usager∙ères des services sociaux et de santé. Rapidement, les acteur∙rices qui viennent en support à ces professionnel∙les ont identifié un besoin de renforcer les capacités des individus à gérer une situation de crise sanitaire.

Ce soutien a pris différentes formes. Cultures&Santé et Question Santé ont par exemple développé des outils pédagogiques sur des thématiques traitant de la COVID-19 (gestes barrières, vaccination, etc.) afin de soutenir les professionnel∙les relais à entrer en dialogue avec les personnes auprès desquelles iels interviennent. Ces outils ont été conçus pour rendre l’information accessible en tenant compte des niveaux de littératie en santé de la population. Ces acteur·rices, ainsi que le CBPS, ont également réalisé des séances de formation-sensibilisation et des intervisions avec les professionnel·les relais afin de les soutenir.

  • Apprendre et évaluer les processus et résultats

Les projets et services susmentionnés représentent des objets d’innovation dans le sens où ils se sont déployés dans un contexte nouveau et complexe. Il convient dès lors de créer une mémoire collective et de tirer les enseignements de cette expérience pour apprendre et s’adapter dans le futur. Tel que mentionné au début de cet article, cette démarche d’évaluation fut accompagnée par le service du RESO-UCLouvain, à la demande des membres du COPIL-PS et de l’administration de la COCOF. Les résultats de cette démarche ont été formalisés et sont proposés sous la forme d’un rapport intitulé « Promouvoir la santé en contexte de pandémie »1 et qui est disponible sur le site du RESO.

Pandémie et promotion de la santé

Les actions bruxelloises brièvement présentées ci-dessus ont en commun d’être fondées sur des valeurs et des stratégies dites de « promotion de la santé ». En sa qualité de stratégie de santé publique, la promotion de la santé est une composante essentielle d’une gestion de crise sanitaire (6). C’est ce que nous illustrons dans ce recueil de stratégies et d’actions concrètes que nous vous invitons à découvrir sur le site du RESO (www.uclouvain.be/reso).  

Références

  1. Rousseaux R. & Malengreaux S. (2022) Promouvoir la santé en contexte de pandémie – recueil d’expériences bruxelloises. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 34p. [cité le 11-05-22] Disponible sur : https://uclouvain.be/instituts-recherche/irss/reso/pandemie-et-promotion-de-la-sante.html
  2. Stratégies concertées IST-VIH. Observatoire du sida et des sexualités.  [cité le 11-05-22] Disponible sur : https://www.strategiesconcertees.be/
  3. Green L. & Kreuter M.W. (2005) Health program planning: An educational and ecological approach (4th ed.). New York: McGraw Hill.
  4. Khan Y., O’Sullivan T., Brown A.D., et al. (2018).  Public health emergency preparedness : a framework to promote resilience. BMC Public Health, 18:1344. https://doi.org/10.1186/s12889-018-6250-7
  5. Khan Y., Brown A.D., Gagliardi A.R., et al. (2019). Are we prepared ? The development of performance indicators for public health emergency preparedness using a modified Delphi approach. PLoS ONE, 14(12). https://doi.org/10.1371/journal.pone.0226489
  6. Scheen B., Aujoulat I., Lu pour vous : Stephan Van den Broucke, Why health promotion matters to the COVID-19 pandemic, and vice versa. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/ IRSS-RESO, 2020, 2 p. Disponible sur : https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/irss/reso/lu-pour-vous.html

four diverse male and female senior friends wearing face masks s

Vaccessible:
les actions de vaccination bruxelloises sous la loupe

Le 23 Mai 22

Publié dans la catégorie :

À la demande de l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, l’UCLouvain (Sophie Thunus et Alexis Creten) et l’Université libre de Bruxelles (Céline Mahieu), dans le cadre du Brussels Studies Institute, ont réalisé une étude qualitative sur un ensemble d’initiatives de vaccination de proximité à Bruxelles.Sur la base du credo politique « nous ne laissons personne de côté », les chercheur.e.s ont examiné un certain nombre de projets et d’initiatives qui ont le même objectif : si les Bruxellois et Bruxelloises ne viennent pas aux centres de vaccination, les vaccins viendront à eux. En d’autres termes : si vous ne pouvez pas mobiliser certaines personnes, mobilisez les soins de santé.

four diverse male and female senior friends wearing face masks s

De quoi les publics ont-ils besoin ? Comment les acteurs professionnels de la santé et du social participent-ils à la sensibilisation ? Comment les dispositifs contribuent-ils à une approche adaptée à ces besoins ? Comment ces dispositifs sont-ils articulés ?  Ce sont les questions auxquelles l’étude tente de répondre en s’intéressant en particulier au sens que les publics et les professionnels donnent à leur action.

Face au débat souvent polarisé entre les pour ou contre la vaccination, cette étude laisse entrevoir des positions plus nuancées. En effet, les lectures qui assimilent telle ou telle catégorie de population à une attitude spécifique par rapport à la vaccination présentent le risque de pousser les personnes hésitantes à afficher plus de résistance.

Ni slogans commerciaux ni promesses politiques, mais de l’information. Ni jugement ni menace, mais des explications

Il ressort de l’étude que l’approche par catégories socio-démographiques (âge, sexe, quartier, niveau socio-économique), employée pour cibler les populations et évaluer les initiatives de vaccination, est contreproductive. Elle accentue les risques de stigmatisation de telle ou telle partie de la population : les jeunes, les habitants de tel quartier, etc. L’étude propose donc de passer d’une approche basée sur ces catégories à une approche fondée sur les besoins. Ceux-ci se résument en trois mots : l’accessibilité au système de santé, l’acceptabilité des outils de sensibilisation à la vaccination, et la confiance dans les prestataires de soins et dans la science elle-même.

Pour sortir d’une communication paternaliste et culpabilisante, l’étude préconise de mettre davantage l’accent sur une communication transparente, claire, et centrée sur la connaissance et la compréhension du coronavirus et du vaccin. Pour éviter que les populations ne se sentent instrumentalisées, les auteur·es suggèrent de remettre la santé publique et la promotion de la santé au cœur de la communication sur la vaccination.

Diversifier les dispositifs, mais les coordonner

Compte tenu de ces observations, les chercheur.e.s encouragent à préserver et à renforcer une offre diversifiée et comprenant : premièrement des grands centres pour une vaccination rapide, deuxièmement des lieux mobiles et pop-up dans l’espace public qui peuvent répondre aux questions des passants hésitants, et troisièmement des lieux où la vaccination est ouverte à la discussion car une relation de confiance existe ou peut se développer entre le prestataire de soins et le patient. Afin de résumer les caractéristiques principales de ces différentes initiatives, l’étude a identifié trois types de dispositifs de vaccination dénommé « l’invitation », « la proposition » et « la relation ».

Cependant, l’étude souligne un manque de coordination qui ne permet pas de tirer profit de la complémentarité de ces nombreuses initiatives. Celles-ci souffrent aussi de l’absence de perspective sur le long terme, ce qui contrarie les acteurs professionnels dans leur volonté d’ancrer la sensibilisation à la vaccination dans des enjeux de santé publique de long terme.

Impliquer les professionnels de la santé et du social comme de véritables acteurs, non de simples exécutants

Les acteurs professionnels ne sont pas de simples « intermédiaires » mais bien des « médiateurs » qui façonnent activement la stratégie vaccinale au travers de leurs recommandations et de leurs actions auprès de la population. L’étude a montré qu’au sein d’un même métier, il existe une hétérogénéité de représentations et de pratiques en matière de sensibilisation à la vaccination. En tenir compte permettrait une meilleure collaboration entre pouvoirs publics et professionnels. La plupart de ces derniers refusent en particulier de participer à des actions perçues comme trop contrôlantes ou réduisant la santé de leurs usagers à la vaccination. La confiance que ces acteurs professionnels ont construite avec leurs publics est en effet une ressource sur laquelle on peut s’appuyer pour déployer des actions plus proactives en matière de sensibilisation à la vaccination mais c’est aussi un rapport fragile, précieux.

Ces recommandations ne permettront pas de rallier tout le monde. Le credo « nous ne laissons personne derrière » n’est, pour ceux qui ont été laissés derrière pendant des générations, rien de plus qu’un appel vide de sens.  Pour eux, la confiance est un processus à long terme qui commence par une écoute réelle de ce qu’ils pensent.

Pour consulter le rapport, rendez-vous sur le site de la COCOM (www.ccc-gcc.brussels) > Observatoire de la Santé et du Social > publications > rapports externes > vaccessible.

Cet article est paru initialement sur le site de la Commission Communautaire Commune (COCOM), sous le titre « Vaccessible : une étude qualitative des actions locales de vaccination implémentées en Région de Bruxelles-Capitale face à la pandémie de coronavirus ». Nous remercions l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale pour leur aimable autorisation de reproduction.

OMS: des pistes pour enrayer la progression de l’obésité

Le 1 Juin 22

Publié dans la catégorie :

Le nouveau Rapport sur l’obésité dans la Région européenne de l’OMS 2022, publié le 3 mai par le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe, révèle que les taux de surpoids et d’obésité ont atteint des proportions épidémiques dans toute la Région et continuent de grimper ; aucun des 53 États membres de la Région n’est actuellement en bonne voie d’atteindre l’un des objectifs mondiaux de l’OMS dans le domaine des maladies non transmissibles (MNT), à savoir enrayer la progression de l’obésité pour 2025.

De nouvelles données sur l’obésité et la surcharge pondérale

Ce rapport, lancé le 3 mai à l’occasion d’un événement pour la presse et présenté au Congrès européen sur l’obésité, révèle que dans la Région européenne, 59 % des adultes et près d’un enfant sur 3 (29 % des garçons et 27 % des filles) sont en surpoids ou obèses. La prévalence de l’obésité chez les adultes de la Région européenne est supérieure à celle de toutes les autres Régions de l’OMS, à l’exception des Amériques.

Le surpoids et l’obésité figurent parmi les principales causes de décès et d’invalidité dans la Région européenne. Selon des estimations récentes, ils seraient à l’origine de plus de 1,2 million de décès par an, ce qui correspond à plus de 13 % de la mortalité globale dans la Région.

L’obésité augmente le risque de contracter de nombreuses MNT (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète sucré de type 2, maladies respiratoires chroniques, etc.). Par exemple, l’obésité est considérée comme l’une des causes d’au moins 13 types de cancer et est probablement directement responsable d’au moins 200 000 nouveaux cas de cancer par an dans la Région, un chiffre qui devrait encore augmenter dans les prochaines années. Le surpoids et l’obésité sont également le principal facteur de risque d’invalidité, à l’origine de 7 % du nombre total d’années vécues avec une invalidité dans la Région.

Les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont touché de manière disproportionnée les personnes en surcharge pondérale ou obèses. La pandémie a entraîné des changements défavorables dans les habitudes de consommation alimentaire et d’activité physique, lesquels auront des effets sur la santé des populations dans les années à venir, et ne seront réversibles qu’au prix d’efforts considérables.

L’obésité en Europe, une « épidémie » qui se prolonge

Pour faire face à cette épidémie qui s’aggrave, ce rapport recommande une série d’interventions et d’options stratégiques que les États membres peuvent envisager pour prévenir et combattre l’obésité dans la Région, en mettant l’accent sur la nécessité de reconstruire en améliorant après la pandémie de COVID-19.

« L’obésité fait fi des frontières. En Europe et en Asie centrale, pas un seul pays ne remplira l’objectif d’arrêter la progression de l’obésité, qui est l’une des cibles mondiales de l’OMS en matière de MNT », a déclaré le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe. « Il existe une énorme diversité entre les pays de notre Région, mais ils sont tous confrontés à un certain degré de difficulté. En créant des environnements plus favorables, en promouvant les investissements et l’innovation dans le domaine de la santé, et en mettant en place des systèmes performants et résilients, nous pouvons modifier la trajectoire de l’obésité dans la Région. »

L’obésité n’est pas seulement un facteur de risque, mais aussi une maladie

L’obésité est une maladie complexe qui présente un risque pour la santé. Ses causes sont bien plus complexes que la simple combinaison d’une mauvaise alimentation et d’une inactivité physique. Ce rapport présente les bases factuelles les plus récentes, en soulignant à quel point la vulnérabilité à un surpoids corporel malsain aux premiers stades de la vie peut influencer la tendance à l’obésité d’une personne.

Des facteurs environnementaux propres à la vie dans les sociétés hautement informatisées de l’Europe moderne sont d’autres causes de l’obésité. Par exemple, le rapport analyse comment le marketing numérique de produits alimentaires peu sains auprès des enfants et la prolifération des jeux sédentaires en ligne contribuent à la vague croissante du surpoids et de l’obésité dans la Région européenne. Mais ce rapport examine aussi comment les outils numériques pourraient ouvrir des possibilités de promouvoir la santé et le bien-être et d’en discuter.

Quelles politiques les pays peuvent-ils adopter ?

La lutte contre l’obésité est fondamentale pour la concrétisation des objectifs de développement durable et constitue l’une des priorités reprises dans le Programme de travail européen 2020-2025 de l’OMS.

Le nouveau rapport de l’OMS décrit dans quelle mesure les politiques ciblant les déterminants environnementaux et commerciaux d’une mauvaise alimentation à l’échelle de toute la population sont susceptibles d’être les plus efficaces pour inverser l’évolution de l’épidémie d’obésité, en luttant contre les inégalités sur le plan diététique et en instaurant des systèmes alimentaires durables sur le plan environnemental.

L’obésité est un phénomène complexe, avec des déterminants et des conséquences sanitaires aux multiples facettes, ce qui signifie qu’aucune intervention ne peut, à elle seule, arrêter la progression de l’épidémie.

Toute politique nationale visant à résoudre les problèmes de surpoids et d’obésité doit être soutenue par un engagement politique à un haut niveau. Elle doit également être de grande envergure, atteindre les individus durant tout le parcours de vie et cibler les inégalités. Les efforts de prévention de l’obésité doivent prendre en compte les déterminants de la maladie au sens plus large, et les options stratégiques doivent s’éloigner des démarches centrées sur l’individu et s’attaquer aux facteurs structurels de l’obésité.

Le rapport de l’OMS relève quelques politiques spécifiques qui semblent prometteuses pour réduire les niveaux d’obésité et de surpoids :

  • l’application de mesures fiscales (telles que la taxation des boissons sucrées ou les subventions aux aliments sains) ;
  • des restrictions concernant le marketing de produits alimentaires peu sains auprès des enfants ;
  • un accès facilité aux services de prise en charge de l’obésité et du surpoids dans les services de soins primaires, dans le cadre de la couverture sanitaire universelle ;
  • des efforts pour améliorer l’alimentation et l’activité physique durant toute la vie, notamment par des soins administrés pendant la période préconceptionnelle et la grossesse, la promotion de l’allaitement au sein, la prise de mesures en milieu scolaire et les interventions visant à créer des environnements où les aliments sains et les possibilités de pratiquer une activité physique sont plus facilement accessibles et moins chers.

Cet article est issu du communiqué de presse, publié le 03/05/2022 (Coppenhague). Pour le consulter, ainsi que le rapport complet, rendez-vous sur le site de l’OMS Europe www.euro.who.int/fr > media center > press releases > 2022

diverse young friends laughing over drinks together in a bar

Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues

Le 27 Avr 22

Publié dans la catégorie :

Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues sont un phénomène partiellement compris et sous-estimé. Comment alors les détecter, les prévenir et mieux soutenir les victimes ? Et plus largement, comment changer de paradigme et instaurer une culture du consentement ?

diverse young friends laughing over drinks together in a bar

La notion de violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues englobe à la fois la soumission chimique (par exemple administrer une drogue à une personne, à son insu ou sous la contrainte, pour faciliter un crime à son encontre) et la vulnérabilité chimique (comme l’état de vulnérabilité dans lequel se trouve une personne suite à une consommation volontaire de drogues, alcool compris)1 .

La consommation de drogues, qu’elle soit volontaire ou involontaire, modifie les comportements des victimes, affecte leurs perceptions et capacités à analyser les situations et leur dangerosité, prendre des décisions, se défendre, exprimer leur consentement ou leur non-consentement, et demander de l’aide. Elle peut mener à la perte de conscience et/ou à une amnésie temporaire ou permanente, selon le(s) produit(s) consommé(s) et certaines caractéristiques individuelles (corpulence, habitudes de consommation…). Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues induisent souvent un sentiment de vulnérabilité chez les personnes victimes. Il est dès lors fréquent que ces dernières ne rapportent pas les agressions sexuelles aux autorités ou le fasse tardivement ; or, plus le temps passe, moins les drogues utilisées sont détectables. Ce sentiment de vulnérabilité est de plus aggravé par la complexité administrative et la lenteur du système judiciaire, mais aussi par la crainte de ne pas être cru·e voire d’être blamé·e, en particulier dans les cas où les victimes ont consommé volontairement des drogues (Garcia et al, 2021 ; Anderson et al, 2017).

Nous n’avons qu’une compréhension partielle du phénomène, et les données disponibles actuellement montrent clairement une sous-estimation de la réalité. De plus, il est souvent difficile de distinguer les consommations volontaires et involontaires, notamment dans les contextes festifs, où les consommations récréatives sont courantes. Les données tendent à indiquer que la prévalence de crimes « d’opportunité » serait plus élevée que celle de crimes « proactifs » (voire prémédités), contrairement aux représentations qui circulent au sein de la société (Anderson et al, 2017).

GHB, « drogue du viol » ?

A dose normale, le GHB (et ses précurseurs) a un effet euphorisant, désinhibant et aphrodisiaque, similaire à celui de l’alcool. Mais en cas de forte dose ou de prise combinée d’alcool ou d’autres dépresseurs (benzodiazépines, barbituriques, etc.), son action est hypnotique (avec amnésie voire perte de conscience), et peut même entrainer des convulsions voire un coma (et dans les cas les plus sévères, le décès par dépression respiratoire). Les effets hypnotiques-désinhibants de cette substance en font une substance potentiellement dangereuse et son utilisation dans certains cas pour faciliter les agressions sexuelles explique qu’elle ait été baptisée « drogue du viol ». Néanmoins, la recherche épingle d’une part que les agressions sexuelles facilitées par la consommation de drogues sont plus souvent opportunistes, et d’autre part, que le GHB est beaucoup moins souvent détecté que l’alcool, les benzodiazépines et d’autres drogues (cannabis, MDMA, antidépresseurs).

Prévenir, détecter, soutenir

Certaines réactions et actions entendant lutter contre les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues tendent à se focaliser sur lesdites drogues et à les considérer comme le problème à régler. Les substances psychoactives sont toutefois un moyen mobilisé dans le cadre d’un crime. Le réel problème est la perpétuation de violences sexistes et sexuelles.

Il est dès lors nécessaire de mettre en place des dispositifs limitant les risques liés à la consommation (volontaire et involontaire) de drogues, en adaptant les lieux de rencontre et de fête. La lutte contre les violences repose aussi sur l’amélioration de nos connaissances et le renforcement des actions de prévention et de sensibilisation à la fois en matière de consommation de produits psychoactifs et de consentement. Il est également central d’améliorer l’aide et la prise en charge des personnes victimes par les services de soins et par les autorités publiques (police, justice) et d’encourager les victimes à porter plainte.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles reposera enfin et surtout sur une réelle politique de sensibilisation, de prévention et de lutte contre la culture du viol. Il est important que des animations d’éducation à la vie sexuelle et affective soient dispensées à toutes et tous et puissent aborder (avec une approche critique et de manière adaptée selon l’âge) les notions de genre et de consentement.

Pistes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles2

Adapter les environnement festifs (publics et privés)

  • Renforcer les dispositifs de prévention et de réduction des risques liés à la sexualité, aux violences et à la consommation de drogues (attention à son entourage, testing des produits, relax zone en cas de malaise ou bad trip, eau gratuite, personne référente en cas de harcèlement ou agression, etc.).
  • Mettre à disposition de l’information et du matériel de réduction des risques liés à la consommation de drogues (tableau des mélanges Trip Sit, pipettes GHB, etc.).
  • Sensibiliser et former le personnel de sécurité et de service (consommation de drogues, consentement, discriminations en raison du genre ou de l’orientation sexuelle, écoute et prise en charge des victimes, gestion des comportements violents, auto-défense verbale et physique, etc.).
  • Sensibiliser les publics festifs (stands, maraudes, etc.).
  • Mettre en place une ligne téléphonique ou un système interne de signalement ou d’urgence.
  • Encourager les personnes victimes, leur entourage et les témoins à intervenir ou à prévenir le personnel de sécurité.
  • Adresser des messages de sensibilisation (en faisant attention à ne pas faire porter la responsabilité sur les – potentielles – victimes).
  • Proposer un dispositif d’écoute et de soutien aux victimes tout au long du moment festif et après.

Prévenir les violences sexistes et sexuelles

  • Soutenir la recherche scientifique afin d’améliorer la compréhension du phénomène et adopter les stratégies de prévention et de santé publique les plus adaptées.
  • Promouvoir les normes sociales protégeant contre les violences (intervenir en tant que témoin, devenir allié·e3 ).
  • Enseigner les compétences participant à la prévention des violences (apprentissage socio-émotionnel, écoute active, empathie, sexualité saine et positive, compétences pour des relations amoureuses saines, etc.) tout au long de la vie et de manière adaptée selon l’âge.
  • Fournir des opportunités d’empouvoirement4 et de soutien aux femmes, minorités sexuelles et de genre, et aux jeunes filles.
  • Créer des environnements sécures (écoles, milieu professionnel, communauté…).
  • Soutenir les victimes afin de réduire les dommages sur leur santé physique et mentale.

Renforcer la réponse judiciaire

  • Elaborer, diffuser et garder à jour des directives et protocoles portant sur la prise en charge des crimes de violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues (prélèvement d’échantillons, examen clinique, analyse toxicologique, accompagnement non-jugeant, etc.)5 .
  • Améliorer la connaissance de la loi auprès des professionnel·les en contact avec les victimes.
  • Renforcer les moyens financiers et humains injectés dans l’application de la loi (prévention, accompagnement et soutien, examen clinique, enquête policière, poursuites judiciaires).
  • Améliorer et systématiser le prélèvement d’échantillons toxicologiques pour appuyer les enquêtes policières.
  • Lutter contre le sentiment d’impunité des auteur·es de crimes sexuels.
  • Dissuader les (potentiel.les) auteur·es en promouvant l’amélioration de la détection des drogues et de la réponse judiciaire.

Encourager le dépôt de plainte

  • Informer la population sur le phénomène afin d’améliorer la détection des violences et des cas de soumission chimique.
  • Encourager les victimes à chercher de l’aide au plus vite et à déposer plainte.
  • Lutter contre la crainte des victimes de ne pas être cru·es voire d’être blamé·es par les autorités pour leur consommation de drogues et/ou leur agression.
  • Améliorer la connaissance de la loi auprès de la population générale (i.e. le caractère criminel des violences sexuelles et de la soumission chimique, les obligations de la police lors du dépôt d’une plainte, etc.).

Soutenir les victimes

  • Renforcer les dispositifs d’aide et de soutien aux victimes de violences sexistes et sexuelles (par exemple, SOS Viol).
  • Améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes (non-jugement, explication des procédures…).
  • Améliorer la disponibilité et l’accessibilité de la prise en charge médicale d’urgence par un personnel formé.
  • Renforcer ou créer des unités policières et hospitalières spécialisées (par exemple, en Belgique, les Centres de Prévention des Violences sexuelles).
  • Former les professionnel·les en contact avec les victimes.

Changer de paradigme : la culture du consentement

Les violences sexistes et sexuelles s’ancrent dans un cadre social et culturel qui leur est favorable. Lutter efficacement et durablement contre celles-ci requiert de soutenir un réel changement de paradigme dont la visée est d’atteindre une culture du consentement. Au sein d’une culture reposant sur le consentement, la société et les individus qui la composent placent l’autonomie corporelle au centre de leurs valeurs et attitudes et considèrent qu’une personne est la mieux placée pour déterminer ses propres désirs et besoins. Une culture du consentement cherche à créer des solidarités et de l’empathie envers les victimes de violences sexistes et sexuelles6.

Elle ne marque pas la fin de la drague ni celle de la sexualité, mais encourage les relations saines et égalitaires basées sur la communication et l’enthousiasme. Elle ne promeut pas non plus l’abstentionnisme sexuel en cas de consommation de drogues, mais invite à adopter une attitude réflexive et attentive aux autres et à soi-même. La culture du consentement dépasse même la sexualité et s’applique à l’ensemble des interactions quotidiennes (partager une photo, prendre dans les bras, etc.).

Les vagues féministes successives, les mouvements LGBTQI+7 et intersectionnels, ainsi que les mouvements #metoo, #balancetonporc, et plus récemment #balancetonbar et #balancetonfolklore, ont participé à libérer la parole autour des violences sexistes et sexuelles, y compris en lien avec la consommation de drogues, à épingler certains dysfonctionnements de l’appareil judiciaire et à conscientiser à l’échelle de la société les mécanismes systémiques qui maintiennent les rapports de domination et les violences qu’ils impliquent.

Changer de paradigme et s’orienter vers une culture du consentement est un travail complexe et long, qui prend son appui sur la conduite de réelles discussions au sujet des stéréotypes de genre, de la sexualité, des rapports de domination, des violences et du consentement, mais aussi sur une opération préventive de fond et sur le long terme (des discriminations et violences sexistes, sexuelles, physiques, économiques, cyber, émotionnelles et institutionnelles) et l’affirmation des réponses législatives et judiciaires.

Qu’est-ce que la culture du viol ?

La culture du viol regroupe un ensemble d’attitudes et de croyances erronées, qui persistent cependant et sont largement transmises et diffusées au sein des sociétés hétéropatriarcales (c’est-à-dire les sociétés au sein desquelles le genre masculin et l’hétérosexualité dominent les autres genres et orientations sexuelles). Ces attitudes et croyances participent à dénier, justifier, minimiser et banaliser les agressions sexuelles, majoritairement commises par des hommes à l’encontre de femmes, voire à faire reposer la faute et la responsabilité sur les victimes (« la victime a bu de l’alcool/l’a bien cherché/est sortie seule/portait une jupe/a dragué son agresseur », etc.). Elles participent également à instaurer un tabou autour des agressions sexuelles dont les hommes sont victimes, et à perpétuer des représentations racistes et homophobes des sexualités et désirs masculins.

La culture du viol repose notamment sur la croyance selon laquelle les hommes sont des sujets désirants qui ne savent pas contrôler leurs « pulsions sexuelles », qu’ils sont par « nature des prédateurs sexuels », et que leur valeur dépend de leur capital de « virilité » et de « conquêtes sexuelles » ; et que les femmes sont des objets de désir auxquels il revient de « faire attention ». Les stéréotypes de genre masculin et féminin, hétéronormés, sont à la fois nocifs pour les individus (se plier à des normes incompatibles et irréalistes, voire en contradiction avec son identité) et à la vie en société (catégoriser les individus et discriminer celles et ceux qui n’entrent pas dans la norme, voire les sanctionner – notamment les personnes LGBTQI+). Faire reposer la responsabilité et la culpabilité sur les épaules des victimes est une violence supplémentaire et constitue un obstacle dans la libération de la parole, la recherche d’aide, le dépôt de plaintes et l’application de la loi. Il est essentiel de souligner que les victimes de violences ne sont en aucun cas responsables des agissements de leurs auteur·es.

Eurotox asbl est l’Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles. Pour découvrir ses actualités, ainsi que d’autres analyses, rendez-vous sur www.eurotox.org

Références

Anderson, L., Flynn, A. & Schumann, J. (2017). A global epidemiological perspective on the toxicology of drug-facilitated sexual assault: A systematic review. Journal of forensic and legal medicine. 47. 46-54.

Basile, K.C., DeGue, S., Jones, K., Freire, K., Dills, J., Smith, S.G., Raiford, J.L. (2016). STOP SV: A Technical Package to Prevent Sexual Violence. Atlanta, GA: National Center for Injury Prevention and Control, Centers for Disease Control and Prevention.

CEIP-A (2019). « Soumission chimique. Résultats de l’enquête 2019 ». Centre d’Evaluation et d’Information sur les Pharmacologie et d’Addictovigilance d’IDF. Document réalisé avec le soutien de l’ANSM. France : Paris.

EMCDDA (2008). “Sexual assaults facilitated by drugs or alcohol”. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Lisbon.

Fédération Canadienne des Étudiantes et Étudiants (2016). Une vision nationale pour une culture du consentement dans l’éducation post-secondaire.

García, M. G., Pérez-Cárceles, M. D., Osuna, E., & Legaz, I. (2021). Drug-facilitated sexual assault and other crimes: A systematic review by countries. Journal of forensic and legal medicine, 79, 102151.

Mabille, B. (2019). Les allié.e.s de la lutte antiraciste : Partie 1. BePax asbl. Analyse.

[1] Une étude menée en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a relevé que les agressions sexuelles représentent plus de la moitié (54%) des cas de soumissions chimiques identifiés. Les victimes de soumission chimique et de vulnérabilité chimique sont majoritairement des femmes, représentant respectivement 66% et 91% des cas (CEIP-A, 2019).

[2] EMCDDA (2008) et les revues de la littérature scientifique de Garcia et al, 2021 et Anderson et al, 2017. En ce qui concerne les stratégies de prévention des violences sexistes et sexuelles, voir Basile et al (2016).

[3] Les allié·es sont des personnes qui ne subissent pas une oppression (racisme, sexisme, homophobie, validisme, etc.) mais qui vont s’associer aux personnes qui en sont victimes pour combattre ensemble le système oppresseur (Mabille, 2019).

[4] Du terme anglais « empowerment », désigne le processus d’autonomisation par lequel une personne ou un groupe acquiert davantage de pouvoir d’action et de décision par rapport aux systèmes de domination qui l’oppressent, à son environnement et à sa vie.

[5] Voir par exemple la boîte à outils du National sexual violence resource center.

[6] Fédération Canadienne des Étudiantes et Étudiants (2016). Voir aussi la bande dessinée d’Emma « C’est pas bien, mais… ».

[7] Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Queer et Intersexes. Le signe « + » signifie que le sigle est inclusif de toute identité, orientation sexuelle ou comportements non-hétéronormés ou non-cisgenres.

father and brother with newborn child in icu bed

Limiter autant que possible
la séparation parents-nouveau-né

Le 27 Avr 22

Publié dans la catégorie :

[Bruxelles, le 22 mars 2022] Les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre un nouveau-né et ses parents. Une séparation juste après la naissance peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant. Or il n’est pas rare qu’un nouveau-né – surtout s’il est prématuré – doive être hospitalisé en néonatologie pendant quelques jours ou semaines. Les recherches en psychologie du développement ont été à l’origine des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille » qui visent à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. Ces soins sont déjà proposés dans de nombreux hôpitaux belges, mais pas dans tous. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport qui analyse les modèles de soins de développement décrits dans la littérature et la manière dont ils pourraient être optimalisés en Belgique.

father and brother with newborn child in icu bed

Environ 120 000 bébés naissent chaque année en Belgique, et 12 % d’entre eux doivent être pris en charge en néonatologie, parfois pour quelques jours, mais parfois aussi pour plusieurs semaines. Les deux tiers sont des prématurés (c’est-à-dire qu’ils sont nés avant 37 semaines de grossesse) et les autres sont des bébés nés à terme mais qui nécessitent des soins intensifs pour d’autres causes (p. ex. une malformation congénitale).

L’attachement, un concept fondamental

Or, on le sait depuis les années 1950, les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre le nouveau-né et ses parents. Tout nouveau-né est biologiquement programmé pour rechercher la proximité physique d’un adulte qui réponde à son besoin de protection, et réciproquement, le bébé stimule ses parents à lui offrir proximité, tendresse et confort. Une séparation précoce du nouveau-né et de ses parents peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant, tant en termes de santé physique que de santé mentale.

Les soins de développement centrés sur le nouveau-né et sa famille

Le concept d’attachement a fait l’objet de très nombreuses recherches en psychologie développementale ces trente dernières années, pour mener au déploiement des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille ». Ces soins reposent sur un ensemble de principes visant tous à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. La forme probablement la mieux connue chez nous est le soin « peau à peau » aussi appelée « kangourou » qui consiste à positionner le nouveau-né nu, poitrine contre poitrine et peau contre peau, avec l’un des parents. L’Initiative Hôpital Amis des Bébés, qui a été introduite en Belgique par le SPF Santé publique pour encourager l’allaitement maternel, fait aussi partie de cette démarche.

Mais les soins de développement comprennent beaucoup d’autres dimensions, notamment permettre aux parents d’avoir accès à l’enfant 24h sur 24, les former à comprendre les signaux émis par leur enfant et à y répondre, les familiariser avec des soins potentiellement intimidants et les soutenir dans cette expérience émotionnellement fragilisante, etc.

Pour les soignants, les soins de développement sont très exigeants, car ils nécessitent énormément de temps et de précautions vis-à-vis de l’enfant, mais aussi d’attention et de disponibilité vis-à-vis des parents. Sans parler des nombreuses formations nécessaires pour se maintenir à jour, car les connaissances scientifiques évoluent rapidement dans ce domaine. 

Déjà bien présents dans les services de néonatologie belges, mais pas encore partout

Beaucoup d’hôpitaux belges proposent déjà les soins de développement dans leurs unités de néonatologie, mais c’est encore loin d’être le cas de tous. C’est pour cette raison que le KCE a réalisé l’étude publiée aujourd’hui. Quels sont les modèles de soins de développement décrits dans la littérature qui sont les plus valables ? Quelles sont les meilleures pratiques mises en œuvre dans d’autres pays pour réduire la séparation entre l’enfant et ses parents ?  Comment les parents vivent-ils une telle situation ? Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’expansion des soins de développement en Belgique ? Comment solutionner les problèmes identifiés ? L’accent a été mis dans ce rapport sur les nouveau-nés prématurés mais ces résultats sont bien sûr valables pour tous les bébés admis en soins néonatals, et ce tout particulièrement dans le contexte actuel de raccourcissement des durées de séjour des mamans en maternité.

Des recommandations à court et à long terme

Les recommandations du KCE portent à la fois sur le court et le long terme. C’est en effet un travail de longue haleine qui sera nécessaire pour favoriser la diffusion de cette philosophie dans les hôpitaux. Par exemple, c’est dès aujourd’hui qu’il faut repenser l’architecture des services néonatals pour y faire plus de place aux parents, ou objectiver la charge de travail des soignants afin de mieux définir le cadre du personnel nécessaire. C’est aussi maintenant, dans la foulée de la réforme des hôpitaux, qu’il faut clarifier le financement des unités néonatales intensives (NIC) et locales (N*) et des transferts entre elles.

Mais en attendant ces changements qui prendront du temps – et des moyens –, certaines mesures peuvent déjà être mises en place. Elles nécessiteront une certaine créativité pour pouvoir réduire au minimum la séparation entre les parents et leur enfant et prévoir pour eux des solutions d’accompagnement et d’hébergement. S’y ajoutent quelques recommandations qui dépassent le cadre strict de services de néonatologie et qui ont une portée plus sociétale, comme le renforcement des services d’aide aux familles à domicile ou la prolongation du congé de naissance pour les pères ou les co-parents dont l’enfant est hospitalisé à la naissance.

Retrouvez le rapport sur le site du KCE : https://kce.fgov.be/fr/limiter-autant-que-possible-la-séparation-parents-nouveau-né

Limiter autant que possible la séparation parents-nouveau-né 

Le 7 Avr 22

Publié dans la catégorie :

[Bruxelles, le 22 mars 2022] Les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre un nouveau-né et ses parents. Une séparation juste après la naissance peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant. Or il n’est pas rare qu’un nouveau-né – surtout s’il est prématuré – doive être hospitalisé en néonatologie pendant quelques jours ou semaines. Les recherches en psychologie du développement ont été à l’origine des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille » qui visent à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. Ces soins sont déjà proposés dans de nombreux hôpitaux belges, mais pas dans tous. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport qui analyse les modèles de soins de développement décrits dans la littérature et la manière dont ils pourraient être optimalisés en Belgique.

Environ 120 000 bébés naissent chaque année en Belgique, et 12 % d’entre eux doivent être pris en charge en néonatologie, parfois pour quelques jours, mais parfois aussi pour plusieurs semaines. Les deux tiers sont des prématurés (c’est-à-dire qu’ils sont nés avant 37 semaines de grossesse) et les autres sont des bébés nés à terme mais qui nécessitent des soins intensifs pour d’autres causes (p. ex. une malformation congénitale).

L’attachement, un concept fondamental

Or, on le sait depuis les années 1950, les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre le nouveau-né et ses parents. Tout nouveau-né est biologiquement programmé pour rechercher la proximité physique d’un adulte qui réponde à son besoin de protection, et réciproquement, le bébé stimule ses parents à lui offrir proximité, tendresse et confort. Une séparation précoce du nouveau-né et de ses parents peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant, tant en termes de santé physique que de santé mentale.

Les soins de développement centrés sur le nouveau-né et sa famille

Le concept d’attachement a fait l’objet de très nombreuses recherches en psychologie développementale ces trente dernières années, pour mener au déploiement des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille ». Ces soins reposent sur un ensemble de principes visant tous à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. La forme probablement la mieux connue chez nous est le soin « peau à peau » aussi appelée « kangourou » qui consiste à positionner le nouveau-né nu, poitrine contre poitrine et peau contre peau, avec l’un des parents. L’Initiative Hôpital Amis des Bébés, qui a été introduite en Belgique par le SPF Santé publique pour encourager l’allaitement maternel, fait aussi partie de cette démarche.

Mais les soins de développement comprennent beaucoup d’autres dimensions, notamment permettre aux parents d’avoir accès à l’enfant 24h sur 24, les former à comprendre les signaux émis par leur enfant et à y répondre, les familiariser avec des soins potentiellement intimidants et les soutenir dans cette expérience émotionnellement fragilisante, etc.

Pour les soignants, les soins de développement sont très exigeants, car ils nécessitent énormément de temps et de précautions vis-à-vis de l’enfant, mais aussi d’attention et de disponibilité vis-à-vis des parents. Sans parler des nombreuses formations nécessaires pour se maintenir à jour, car les connaissances scientifiques évoluent rapidement dans ce domaine.

Déjà bien présents dans les services de néonatologie belges, mais pas encore partout

Beaucoup d’hôpitaux belges proposent déjà les soins de développement dans leurs unités de néonatologie, mais c’est encore loin d’être le cas de tous. C’est pour cette raison que le KCE a réalisé l’étude publiée aujourd’hui. Quels sont les modèles de soins de développement décrits dans la littérature qui sont les plus valables ? Quelles sont les meilleures pratiques mises en œuvre dans d’autres pays pour réduire la séparation entre l’enfant et ses parents ? Comment les parents vivent-ils une telle situation ? Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’expansion des soins de développement en Belgique ? Comment solutionner les problèmes identifiés ? L’accent a été mis dans ce rapport sur les nouveau-nés prématurés mais ces résultats sont bien sûr valables pour tous les bébés admis en soins néonatals, et ce tout particulièrement dans le contexte actuel de raccourcissement des durées de séjour des mamans en maternité.

Des recommandations à court et à long terme

Les recommandations du KCE portent à la fois sur le court et le long terme. C’est en effet un travail de longue haleine qui sera nécessaire pour favoriser la diffusion de cette philosophie dans les hôpitaux. Par exemple, c’est dès aujourd’hui qu’il faut repenser l’architecture des services néonatals pour y faire plus de place aux parents, ou objectiver la charge de travail des soignants afin de mieux définir le cadre du personnel nécessaire. C’est aussi maintenant, dans la foulée de la réforme des hôpitaux, qu’il faut clarifier le financement des unités néonatales intensives (NIC) et locales (N*) et des transferts entre elles.

Mais en attendant ces changements qui prendront du temps – et des moyens –, certaines mesures peuvent déjà être mises en place. Elles nécessiteront une certaine créativité pour pouvoir réduire au minimum la séparation entre les parents et leur enfant et prévoir pour eux des solutions d’accompagnement et d’hébergement. S’y ajoutent quelques recommandations qui dépassent le cadre strict de services de néonatologie et qui ont une portée plus sociétale, comme le renforcement des services d’aide aux familles à domicile ou la prolongation du congé de naissance pour les pères ou les co-parents dont l’enfant est hospitalisé à la naissance.

Pour accéder au dossier complet: Les soins de développement centrés sur l’enfant prématuré et sa famille en néonatologie – KCE (fgov.be)

happy diverse people together in the park

La promotion de la santé,
une exigence éthique pour la santé publique 

Le 24 Mar 22

Publié dans la catégorie :

La lutte contre l’épidémie de Covid-19 nous montre de manière cinglante que, sur le terrain de l’action en santé publique, les logiques de promotion de la santé sont bel et bien minoritaires. Pendant cette période de crise, la décision politique et sanitaire se base largement sur un modèle hygiéniste. Ce dernier s’est déployé comme si la promotion de la santé (appelée à devenir à ses origines une « nouvelle santé publique1 ») n’avait jamais existé, comme si tout un corpus d’enseignements n’avait pu franchir les murs des écoles, comme si un ensemble de pratiques menées depuis un demi-siècle à différentes échelles n’avaient pas démontré leur efficacité et été reconnues scientifiquement.

Faire face à une problématique complexe

À l’apparition du virus SARS-CoV-2, les gouvernements ont dû décider et agir dans l’urgence face à sa propagation exponentielle. Rivés sur des objectifs précis, les autorités souhaitaient absolument éviter un effondrement des services hospitaliers (donc le tri des malades) et une surmortalité causée par la Covid-19 directement observable. Avec un horizon brouillé par l’incertitude, avec le défi imposé par la présence de personnes porteuses asymptomatiques et par l’apparition de variants à la contagiosité croissante, le politique et les experts qui ont leurs oreilles, se sont appuyés sur deux piliers : la gestion du risque épidémique c’est-à-dire ici l’impératif de maîtriser le plus rapidement possible la propagation du virus souvent dans un esprit « quoi qu’il en coûte » et une forme de responsabilité morale c’est-à-dire résumer la question Covid-19 à une lutte du bien contre le mal légitimant des politiques de prescription, de restriction et de sanction. Dans cette optique, la pandémie est plus vue comme un obstacle à franchir que comme un phénomène complexe qui s’infiltre dans tous les domaines de la société et qui se nourrit d’un terreau socioculturel inégalitaire.

Des balises valorielles

En santé publique, il est souvent fait appel à 4 balises éthiques2 pour légitimer des mesures ou actions. Ainsi, celles-ci doivent être pensées et mises en œuvre : pour un mieux-être de la population (principe de bienfaisance), pour ne pas lui nuire (principe de non-malfaisance), dans la perspective de renforcer les capacités des individus de décider par eux-mêmes (principe d’autonomie) et dans une visée d’équité (principe de justice). Dans la pratique, on se rend très vite compte que ces principes entrent en tension. Il y a donc lieu de faire entrer d’autres critères pour réaliser les meilleurs arbitrages possibles.

James Childress3, par exemple, en propose 5 : la nécessité (est-ce que, dans les conditions données, l’action est incontournable ?), l’efficacité (est-ce que l’action produit le résultat attendu ?), la proportionnalité (est-ce que l’action, compte tenu des contraintes qui y sont associées, est justifiée par la situation et en rapport avec le résultat envisagé ?), le moindre mal (est-ce que la nuisance causée par l’action est plus faible que celle causée par l’inaction ou d’autres choix d’action ?) et la justification publique (les fondements sur lesquels l’action se base sont-ils énoncés de manière claire et transparente ?). Pour bien faire, l’évaluation de l’adéquation des mesures et actions doit approcher les enjeux de manière globale, et donc tenir compte d’effets indirects (la solution pour répondre à une problématique peut créer d’autres problèmes parfois plus graves sur d’autres terrains) et différés (les mesures choisies peuvent avoir des impacts à plus ou moins long terme).

Le modèle hégémonique en trois exemples

Le 17 mars 2020, la Première ministre Sophie Wilmès annonce le confinement généralisé de la population. Les écoles, lieux culturels et de loisirs ainsi que la plupart des magasins ferment. Les entreprises doivent pratiquer le télétravail, et chacun·e est sommé·e de rester chez soi sauf pour des déplacements jugés essentiels par les autorités. Tout contrevenant s’expose à des sanctions. La police est sur le qui-vive. Il s’agit là d’une limitation de libertés inédites depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est justifiée par le politique par la nécessité de limiter les contacts entre personnes afin de prendre le contrôle sur l’épidémie et de protéger les plus vulnérables face à un virus encore méconnu. Quelques semaines plus tard, la famille royale filmée par un drone est rassemblée sur l’immense pelouse de son palais pour encourager les Belges à tenir bon. Cette image empreinte de bons sentiments souligne avec ironie le caractère inégalitaire d’une mesure universelle ; entre celles et ceux qui peuvent jouir d’espaces intérieurs et extérieurs confortables et agréables, et d’autres cloîtré·es à plusieurs dans quelques mètres carrés sans accès direct à un coin de verdure4.

Cette assignation à résidence pendant plusieurs semaines entraîne inévitablement une série de répercussions néfastes sur la santé (anxiété, report de soins, épuisement émotionnel, violence domestique…) et ses déterminants (perte de revenus, isolement social, fracture numérique, décrochage scolaire…) et ce, de façon différenciée auprès des divers groupes de la population à court et à long terme. Même si quelques leviers d’atténuation des méfaits ont été activés par les exécutifs5, force est de constater que cette mesure d’hygiène prise pour le bien commun répond difficilement aux critères de non-nuisance, d’équité et d’autonomie. Dès lors, était-ce un mal nécessaire ? Était-ce une mesure proportionnée dans son rapport fin-moyens ?

La communication des pouvoirs publics joue un rôle central en vue de faire adhérer la population aux batteries de dispositions préventives qui sont prises. S’il y a parfois un réel souci d’expliquer et de donner du sens aux normes et recommandations, le ton est souvent paternaliste avec une série de ressorts utilisés qui ont la caractéristique de faire peser la responsabilité de la situation sur les épaules des individus. Pour dicter les comportements raisonnables, les autorités ont fortement joué sur les émotions, brandissant tantôt la menace (« La vague suivante approche, maîtrisez-vous ») tantôt la récompense (« Encore un dernier effort, la vie normale nous attend »). La culpabilisation a également été utilisée en rejetant le fardeau de mesures drastiques sur les personnes et leur conduite laxiste (« Le confinement est le résultat du non-respect des gestes barrières ») ou en pointant l’irresponsabilité de celles et ceux qui ne suivent pas le chemin tout indiqué (« C’est une épidémie de non-vaccinés »). Ne brave-t-on pas le principe d’autonomie quand on use allègrement d’un registre infantilisant ? Prendre une posture moralisatrice et donc disqualifiante vis-à-vis des « déviants » ne contribue-t-il pas à créer, au nom de la santé publique, un climat anxiogène et d’antagonismes nuisible pour la société ?

Décembre 2020, le vaccin arrive et constitue, pour les gouvernements, la clé pour sortir de la crise. Le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke répète alors que « la vaccination n’est pas imposée », que « la participation est volontaire » que « ceux qui ne veulent pas être vaccinés ont le droit de ne pas être vaccinés ». Il n’y a alors aucune intention de réclamer un certificat de vaccination pour accéder à des lieux ou événements publics. Moins d’une année plus tard, alors que la couverture vaccinale est plutôt bonne et qu’un rebond épidémique se profile, un pass sanitaire est exigé pour accéder aux restaurants, salles de sports, espaces culturels… Ce sésame est intitulé Covid Safe Ticket, supposant que les lieux qui l’exigent à l’entrée sont sûrs6. Si l’objectif avoué est de diminuer la circulation du virus tout en maintenant des secteurs d’activité ouverts, l’objectif sous-jacent est d’inciter, par la contrainte, les hésitants et résistants vaccinaux à franchir le pas7.

Certes, les gouvernements de notre pays font tout pour faciliter l’accès pour toutes et tous à l’outil de protection qu’est la vaccination, mais pour atteindre l’excellence vaccinale, leur stratégie semble être aussi de dresser des barrières face à celles et ceux qui n’adoptent pas le comportement attendu. Exclure sur ces fondements une part de la population d’une partie de la vie de la cité peut-il constituer un levier adéquat de santé collective ? La santé épidémiologique justifie-t-elle vraiment cette rupture d’égalité entre citoyen·nes ?

Ces mesures phares prises par les autorités ou les discours portés par celles-ci illustrent l’approche dominante, approche qui place les défenseurs des principes de promotion de la santé dans un profond inconfort. Car, au contraire de la moralisation qui occupe largement le terrain et qui bouscule les balises valorielles citées en début d’article, l’approche de promotion de la santé s’appuie sur ce que Philippe Lecorps8 appelle une responsabilité éthique.

S’adapter aux singularités

La promotion de la santé se veut une démarche éthique car intersubjective. Elle se joue sur le terrain de la rencontre et du dialogue. La promotion de la santé, c’est s’intéresser aux motivations des personnes et chercher le sens de leurs comportements pour créer et faire évoluer un ensemble de stratégies favorables à la santé. C’est donner des réponses adaptées aux réalités singulières des personnes, des réponses en phase avec leur situation, leur histoire et leurs valeurs, en étant conscient des contradictions qui les traversent. Lorsque la santé publique se borne à prescrire, restreindre et pénaliser, elle s’inscrit dans une logique d’ordre moral. En effet, les experts produisent en surplomb des normes qui permettent de rejoindre certains objectifs de santé et attendent en retour que la population s’y soumette sans sourciller.

Voilà ce qu’écrivait à ce propos Philippe Lecorps dans un article pour Éducation Santé en 2005 : « La santé publique appuyée sur l’expertise scientifique énonce les règles du vivre s’imposant comme guide moral. En revanche, la promotion de la santé rappelle qu’il ne s’agit pas seulement de vivre, mais plutôt d’exister, c’est-à-dire de trouver une manière propre d’être au monde9 ». L’action de promotion de la santé se passe indubitablement dans la proximité, à travers des démarches d’écoute, d’information, d’accompagnement, d’enrichissement des représentations, de renforcement des compétences afin que chacun et chacune puisse se réaliser en effectuant ses propres choix, en lien avec les personnes et l’environnement qui l’entourent. Elle renonce dès lors clairement à une visée de maîtrise totale des corps et des esprits.

Peser sur les structures profondes

Le deuxième axe à travers lequel la promotion de la santé soutient une exigence éthique, relève de la création de cadres de protection structurelle, la plaçant inévitablement dans le champ politique. La santé n’est plus ici une question individuelle et de comportements mais bien une question collective et de conditions soutenant l’autonomie des populations et permettant un « vivre ensemble plus juste ». La santé doit ainsi bénéficier de décisions politiques dans l’ensemble des secteurs de l’action publique. Dans ce sens, la promotion de la santé plaide pour que les environnements matériels, physiques, sociaux, culturels, administratifs, économiques soient davantage protecteurs et générateurs de santé et d’égalité. En ce qui concerne le contexte coronavirus, cela peut être, par exemple, un investissement massif pour assurer une aération optimale des locaux partagés ou la régularisation des personnes sans-papiers pour faciliter leur accès aux soins préventifs ; plus largement, une amélioration des conditions de travail, de logement, d’apprentissage, de mobilité, de l’accès aux services publics… mais aussi la création d’un climat social porteur basé sur la confiance mutuelle et la solidarité. Se préoccuper des déterminants structurels de la santé n’entraîne aucunement une déresponsabilisation des citoyen·nes.

Au contraire, chaque sujet, en promotion de la santé, est interrogé sur son rapport au monde et est encouragé à contribuer, par la réflexion, le plaidoyer voire la mobilisation, aux changements utiles pour sa santé et la santé collective. Ainsi, selon Philippe Lecorps et Jean-Bernard Paturet, la santé publique devrait « abandonner la position réductrice d’une mission de conversion » et « s’ouvrir à une dynamique beaucoup plus exaltante : inventer les conditions de possibilité politiques, sociales, économiques pour que s’articulent le bien commun et la reconnaissance du sujet, les aléas du désir et l’engagement citoyen10 ».

Nourrir la démocratie en santé

Le dernier axe qui sera souligné ici a trait à la participation démocratique, qui n’a pas eu la place qu’elle requiert dans la gestion politique d’une telle crise. C’est l’État dans sa verticalité qui s’est plutôt imposé, avec des mesures fortes, sans trop de marges d’ajustement, ayant peu fait l’objet de débats démocratiques. Par ailleurs, pour décider, le pouvoir politique s’est principalement appuyé sur l’expertise biomédicale, une expertise encore trop souvent déconnectée des réalités sociales. Si cette expertise scientifique est indispensable pour, entre autres, identifier des leviers prophylactiques, elle doit, pour parer une syndémie11, être associée non seulement à d’autres savoirs scientifiques (notamment les sciences humaines) mais aussi à une expertise issue des vécus à différents niveaux (professionnel·les, habitant·es, patient·es…).

La promotion de la santé en œuvrant à la reconnaissance des savoirs des citoyen·nes et de leurs capacités à participer aux décisions concernant leur santé offre justement une horizontalité, facteur d’adaptabilité, de confiance et d’efficacité. Bernadette Rousille et Jean-Pierre Deschamps vont plus loin en avançant que « ce n’est pas à l’expert, mais au citoyen (instances représentatives, conférences citoyennes, associations, communautés…) que revient de faire le nouage entre les finalités et l’action12 ». La participation est un élément cardinal de la responsabilité éthique dans le sens où elle remet en question des rapports de pouvoir (re)producteurs d’inégalités.

Dans cette pandémie, ce sont certaines catégories de population déjà touchées par des inégalités sociales et de santé qui ont été le plus impactées par le virus mais aussi et surtout par les dispositions indifférenciées prises pour contenir sa propagation13. Dès lors, le « décider avec les gens », y compris et surtout avec les catégories sociales qu’on entend peu ou pas, contribuera à une meilleure proportionnalité des actions que le « décider pour eux », parfois à leur détriment.

Agir autrement ?

En regardant le fil de la crise, deux questions viennent à l’esprit : aurions-nous pu faire autrement ? Qu’auraient pu produire sur les courbes de l’épidémie, la santé globale et le climat social, des mesures et actions basées sur une autre vision ? Il ne faut d’abord pas sous-estimer la difficulté d’organiser une politique de santé dans ces conditions inédites. Il est aussi utile de souligner que le contexte n’était au départ pas favorable pour le déploiement d’une approche fondée sur la responsabilité éthique. En effet, le pouvoir politique voit encore l’agir pour la santé essentiellement sous le prisme de la gestion de la maladie, est plutôt frileux quand il s’agit de soutenir des processus reposant sur la confiance et la participation, et investit insuffisamment en vue d’agir de manière coordonnée sur les facteurs sociaux déterminant la santé et les inégalités. Mais, des espoirs pour agir différemment à l’avenir existent ; car la crise a permis de fertiliser et de mettre en valeur de nombreuses initiatives citoyennes solidaires ainsi que les pratiques d’une multitude d’acteurs de proximité – d’ailleurs financés par les autorités publiques – œuvrant dans des logiques à la fois protectrices et émancipatrices : maisons médicales, associations communautaires, services sociaux, organisations de promotion de la santé…

Ces pratiques constituent une source inspirante à partir de laquelle l’ensemble des politiques de santé de demain devraient se penser afin que celles-ci deviennent plus justes et respectueuses de l’humain dans toute sa diversité et complexité. Il s’agirait alors de créer un modèle de santé publique plaçant au centre du jeu non plus une morale hygiéniste mais bien l’éthique, considérée non seulement comme un énoncé de valeurs mais aussi comme une démarche faisant l’objet de débats démocratiques14.

Bibliographie inspirante

CAMBON L., ALLA F. & RIDDE V., Santé publique : Pour l’empowerment plutôt que pour l’infantilisation, in : AOC Media, juillet 2020

CAMBON L., BERGERON H., CASTEL P., RIDDE V. & ALLA F., Quand la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 se fait sans la promotion de la santé, in : Global Health Promotion, Vol 28 (2), 2021, pp. 92-95

GAVARD-PERRET M.-L., N’GOALA & WILHELM M.-C., Covid 19 : Quand culpabilisation et infantilisation diminuent l’efficacité de l’appel à la responsabilité individuelle, in : Datacovid.org [en ligne]

GRAVEL S., DOUCET H., BATTAGLINI A., LAUDY D., BOUTHILLIER M.-È., BOUCHERON L. & FOURNIER M., Éthique et santé publique : Quelle place pour l’autonomie ?, in : Responsabilité sociale et éthique de la recherche, Vol 12, n°1, 2010, pp. 227-250

Comité d’éthique de santé publique (Commission de l’éthique en science en technologie), Cadre de réflexion sur les enjeux éthiques liés à la pandémie de Covid-19, Québec, 2020 [en ligne]

LECORPS P., Éthique et morale en promotion de la santé, in : Education Santé, Hors-série 1, 2005, pp. 9-14

LECORPS P. & PATURET J.-B., Santé publique du biopouvoir à la démocratie, Rennes, Editions de l’Ecole nationale de la santé publique, 1999, 186p.

PERETTI-WATEL P. & CHATEAUNEUF-MACLES A., Sociologie du risque et crises sanitaires : un éclairage sur la pandémie du coronavirus, in : SES.ens Ressources en sciences économiques et sociales, avril 2020 [en ligne]

PERETTI-WATEL P. & MOATTI J.-P., Le principe de prévention : Le culte de la santé et ses dérives, Paris, Le Seuil, 2009

PEZERIL C., Du Sida au Covid : Les leçons de la lutte contre le VIH, in : La vie des idées, octobre 2020 [en ligne]

ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, pp. 87-91

[1] La conférence qui fonde la promotion de la santé en 1986 à Ottawa était sous-titrée « Vers une nouvelle santé publique ». Les signataires de la charte d’Ottawa attribue alors à la promotion de la santé une visée émancipatrice en la définissant comme « le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et, d’améliorer celle-ci », (OMS, 1986).

[2] PERETTI-WATEL P. & MOATTI J.-P., Le principe de prévention : Le culte de la santé et ses dérives, Paris, Le Seuil, 2009, pp. 84-85.

[3] Ibid.

[4] Et sans possibilité de s’isoler en cas d’infection.

[5] Chômage temporaire, moratoire sur les faillites, interdiction d’expulsion domiciliaire…

[6] Car fréquentés uniquement par des personnes ayant été vaccinées, des personnes attestant d’un test de dépistage négatif et des personnes ayant eu la Covid-19 dans les 6 derniers mois. Cette dénomination fait notamment fi de l’efficacité relative des vaccins pour casser les chaînes de transmission.

[7] Plusieurs déclarations politiques l’ont laissé entendre.

[8] Philippe Lecorps est un ancien professeur à l’École des hautes études de santé publique (Rennes).

[9] LECORPS P., Ethique et morale en promotion de la santé, in : Education Santé, Hors-série 1, 2005.

[10] LECORPS P. & J.-B. PATURET, Santé publique du biopouvoir à la démocratie, Rennes, École nationale de santé publique, p.113.

[11] Une syndémie caractérise un entrelacement de maladies, de facteurs biologiques, sociaux et environnementaux qui, par leur synergie, aggravent les conséquences de ces maladies sur une population (Singer & Mendenhall, 2017). En fonction des niveaux sociaux des individus, de leurs âges et de leur situation géographique, le coronavirus frappe différemment (HORTON, 2020).

[12] ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, p. 91.

[13] REA A. & RACAPE J., Inégalités sociales et COVID-19, Communication au 24e Congrès des économistes, Bruxelles, novembre 2021.

[14] ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, p. 91.

adult children have fun and chat with an elderly mother and watc

Santé mentale et lien social

Le 24 Fév 22

Publié dans la catégorie :

adult children have fun and chat with an elderly mother and watc

De nombreux termes entrés dans notre vocabulaire ces deux dernières années traduisent un ébranlement dans notre rapport à l’autre : gestes barrières, distanciation sociale, distanciel. Lors du colloque organisé par le CRéSaM (Centre de Référence en Santé Mentale), dans le cadre de la semaine pour la santé mentale en octobre 2021, certains observateurs ont souligné que ceux-ci auraient pu être choisis plus judicieusement, en prenant en compte leur dimension symbolique. L’expression « gestes protecteurs » plutôt que « barrière » qui met l’emphase sur la solidarité plutôt que sur l’éloignement a notamment été évoquée. Toutefois, l’entrée de ces termes dans notre vocabulaire courant témoigne d’une situation inédite qui a vu se réduire, au gré des mesures sanitaires et de confinement, nos interactions sociales à leur expression minimale ; l’Autre étant potentiellement devenu source de danger, dans un contexte d’incertitude sans cesse renouvelée.

Rapidement après les premières mesures de confinement, de nombreux professionnels ont tiré la sonnette d’alarme, craignant les effets délétères de cette mise entre parenthèses de nos rapports sociaux sur la santé mentale de la population. En effet, cette période inédite (des confinements et des mesures restrictives pour endiguer l’épidémie) a vu croître les problématiques liées à la santé mentale : troubles anxieux, états dépressifs, troubles alimentaires… Une étude mondiale, parue début octobre 2021 dans The Lancet, montre que de manière générale les cas de dépression et d’anxiété ont augmenté de plus d’un quart dans le monde en 2020. L’augmentation de cas est chiffrée à 28% pour les troubles dépressifs majeurs et 26% pour les troubles anxieux1 . Un constat difficile, qui a amené certains acteurs professionnels à questionner et réinventer leurs pratiques.

C’est pour aborder ce lien ténu entre santé mentale et lien social que le CRéSaM a réuni un panel de représentants d’associations de terrain, dans le cadre de la semaine de la santé mentale en octobre 2021 : François Vilain (cofondateur de « la Bulle d’Oxy’GEM »), Stefania Marsella (chargée de projets à la Fédération des Maisons Médicales) et Stéphanie Adam (Psychiatre au Service de Santé Mentale d’Hermée à l’initiative du projet « La Croisée »). Un échange ponctué par les interventions croisées d’Anne-Françoise Janssen (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté), de Christine Vander Borght (Centre de Formation et de Supervision en Institution, Centre Chapelle-aux-Champs) et de François Wyngaerden (Institut de Recherche Santé et société, Faculté de Santé Publique, UCLouvain).

Santé (mentale) et lien social, de quoi parle-t-on ?

Avant de revenir sur les témoignages et échanges qui ont émaillé cette matinée, il convient de s’arrêter brièvement sur les définitions de santé mentale et de lien social.
La santé mentale est entendue comme « un état de bien-être dans lequel une personne est consciente de ses capacités, peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté » (OMS). En phase avec la définition large de la santé, cette définition de la santé mentale ne se limite donc pas à l’absence de maladie. Comme le précise Minds Genève, une association de promotion de la santé mentale suisse, « une personne avec un trouble psychique peut atteindre un bon niveau de santé mentale, et une personne sans trouble diagnostiqué peut expérimenter une grande souffrance psychologique »2 .

Le lien social désigne quant à lui « l’ensemble des relations qui unissent un individu aux autres et à la société, depuis la famille, les amis, jusqu’aux mécanismes institués de la solidarité »3 . C’est à travers lui que nous allons être capables de mobiliser des ressources affectives, matérielles informationnelles ou encore émotionnelles qui vont nous permettre de satisfaire nos besoins fondamentaux4 , voire de faire face aux difficultés de la vie. Nous allons pouvoir par exemple trouver du soutien et du réconfort, expérimenter la solidarité, mais aussi, éprouver un sentiment d’appartenance au groupe et de reconnaissance, qui vont nous permettre de nous sentir intégrés dans la société. C’est donc à travers nos interactions, petites ou grandes, nos rituels partagés, nos échanges quotidiens que (se) vit ce lien social.

L’impact du lien social sur la santé

Le lien social semble jouer un rôle particulièrement déterminant sur la santé, et a fortiori la santé mentale. L’Observatoire de la Santé du Hainaut, dans son analyse de la littérature5 sur les liens complexes entre santé et lien social en période de pandémie, met en exergue plusieurs études qui viennent confirmer cette hypothèse. Ainsi au niveau de la santé, de manière globale :

• L’absence (ou la perte) du lien social a été associée

à une augmentation de la pression artérielle et du cholestérol

à une activation des mécanismes de stress psychique et psychologique ;

à une augmentation des maladies cardiovasculaires ;

à une altération importante du système immunitaire qui reste une protection importante contre les maladies les plus létales.

• L’isolement relationnel s’avère significativement associé à un moindre recours aux soins.

Pour la santé mentale plus particulièrement, la synthèse pointe entre autres que :

• les contacts entre les personnes pourraient jouer le rôle de facteurs protecteurs contre le risque de dépression ;
• le réseau relationnel procurerait avant tout un soutien permettant de modérer le stress suscité par certains événements ou situations ;
• le mécanisme d’isolement social agit de manière directe mais également de manière rétroactive pour entretenir et augmenter l’impact sur la santé mentale. Autrement dit, « les personnes isolées sont plus fréquemment sujettes aux troubles psychiques comme la dépression, et les personnes vivant avec des troubles psychiques sont plus souvent isolées »6.

Crise sanitaire et renforcement des inégalités

Nous n’avons pas tous vécu cette crise sanitaire de la même manière : selon que nous ayons été entourés ou non, que nous disposions ou pas d’un logement confortable et suffisamment spacieux, d’une certaine stabilité financière ou a contrario que nous connaissions une situation précaire, certains d’entre nous se sont trouvés davantage vulnérabilisés. Si la crise sanitaire a profondément affecté le lien social, elle a aussi souvent joué le rôle de révélateur de situations d’isolement social et d’inégalités pré-existantes7 . Ainsi, Anne-Françoise Janssen (RWLP) témoigne de la situation des personnes qui vivent dans la pauvreté : « elles étaient déjà fragilisées bien avant le covid et l’ont été davantage pendant. Tous les lieux de lien social qui sont des lieux « inconditionnels » sont des choses qui n’existent plus actuellement puisque toute démarche impose de répondre à une série de conditions pour pouvoir y avoir accès. Cela souligne l’importance de tels lieux car on ne voit que trop comment, pour les personnes vivant la pauvreté, cette désaffiliation sociale fait des dégâts (…). Ce qui ressort d’une vie dans la pauvreté, c’est une vie dans un isolement social ». Et d’illustrer : «au moment du covid, une jeune militante témoin du vécu a fait un texte qui s’appelle « vie appauvrie, vie confinée » faisant le parallélisme entre ce que tout un chacun a vécu au moment de la pandémie en termes de privations et (de manque) d’accès au lien social et ce qu’est une vie dans la pauvreté où, finalement, c’est le quotidien ».

Notre interlocutrice invite donc à être attentifs à l’écueil de la « psychiatrisation du social ». Elle précise : « on parle beaucoup de santé mentale, conséquences, description des symptômes, souffrance psychique (…). Mais je pense qu’il y a aussi à se questionner sur les conditions de vie des personnes au départ. Comment les personnes qui vivent dans la pauvreté ont-elles accès à un logement décent, à un revenu… ? ». Logement, emploi, accès aux droits sociaux sont autant de domaines qui ont été fortement impactés par la crise sanitaire. Ainsi, parmi les organisations de lutte contre la pauvreté, 80% ont vu leur public augmenter durant cette période8. Les trois-quarts de ces institutions pointent par ailleurs la solitude comme la problématique s’étant le plus aggravée. Presque la moitié d’entre elles témoignent d’un impact important sur la santé mentale de leur public. Pour les personnes en proie à des difficultés quotidiennes pour satisfaire des besoins pourtant bien essentiels, il parait en effet difficile de mobiliser des ressources pour « aller bien ». Un constat corroboré par l’association de promotion de la santé mentale Minds Genève qui rappelle que « les inégalités sociales sont associées à un risque accru de souffrir d’un trouble mental ». Et précise : « en mettant en place des mesures pour améliorer les conditions de vie à tous les âges, on peut à la fois améliorer la santé mentale de la population et réduire les risques liés aux inégalités sociales »9.

Des initiatives de terrain

Au cœur de cette matinée d’échanges, quelques questions ont balisé la réflexion : quels liens se sont renforcés ou créés, entre des lieux dits de “socialisation” et des espaces dédiés aux soins de santé mentale ? Quelle posture les intervenants sont-ils amenés à adopter dans ces dispositifs, et quelle place les usagers et leurs proches peuvent-ils prendre ? D’autres acteurs sont-ils amenés à investir ces dispositifs ? Avec quels enjeux et quels défis ?

En associant dispositifs thérapeutiques et renforcement du lien social, approche individuelle et collective, ces initiatives s’appuient sur des leviers d’actions éprouvés par le champ de la promotion de la santé. Elles se basent d’abord sur l’action communautaire, c’est-à-dire qu’elles visent la participation concrète de la communauté à laquelle elles s’adressent, que ce soit à la fixation des objectifs, à la prise de décision et la co-construction du projet. Se faisant, cette démarche contribue à développer les compétences psychosociales des membres de la communauté : s’exprimer en public, coopérer, construire un argumentaire… sont autant de compétences qui vont permettre à chacun de s’adapter à son environnement et de renforcer son pouvoir d’agir.
Le terrain d’action privilégié des projets mis en exergue est celui des « milieux de vie ». Par-là, il faut entendre, les espaces où les individus vivent, travaillent, se divertissent et interagissent entre eux. Ces espaces influencent les personnes qui les traversent, de la même manière que ces dernières les façonnent à leur tour, de sorte que l’on peut parler d’une relation d’interdépendance. En axant leurs interventions sur les milieux de vie et en créant des environnements favorables au développement des interactions sociales, ces initiatives visent in fine à soutenir positivement les comportements de ceux qui les habitent.

« Les maisons médicales et l’offre communautaire de santé (mentale) »

Dans les maisons médicales, la porte d’entrée est souvent celle du médecin généraliste, que le patient consulte pour des troubles somatiques ou des difficultés sur le plan psychique. C’est la santé au sens large qui guide les pratiques, comme le précise Stefania Marsella : « c’est un état de bien-être que l’on va soutenir, entre autres via les consultations individuelles et dans des espaces collectifs ».

Conscientes que le lien social est un déterminant de santé majeur, les équipes des maisons médicales réalisent en effet, outre leurs missions de 1ère ligne, des activités dites « non-curatives ». Elles prennent la forme d’actions communautaires en promotion de la santé, en prévention et en éducation à la santé, qui s’adressent à leur public cible sur base d’un diagnostic communautaire, « c’est à dire que l’on essaie d’identifier des problématiques communes, des besoins, des demandes et on essaie d’y répondre par des dispositifs collectifs », complète notre interlocutrice.

Dans ces espaces, la thématique est parfois un prétexte pour créer du lien. Ainsi, un cours de cuisine vise autant à aborder l’alimentation qu’à cultiver ce lien. Et Stefania Marsella précise : « l’idée est que les personnes puissent s’approprier leur santé et puissent la nourrir autrement dans des espaces où ils sont en lien avec d’autres. On va porter une attention particulière aux personnes fragilisées socialement. Le fait de cette proximité en maison médicale va favoriser l’accès à ces espaces dans lesquels des liens peuvent se créer. »

Christine Vander Borght parle de la notion de narrativité comme d’une notion qui fait sens, à savoir « la manière dont chacun d’entre nous racontons et construisons notre vie ». Et de préciser : « ces groupes, ce sont vraiment des supports pour parler de soi différemment, pour apprendre et échanger. Apprendre sur soi-même, mais aussi apprendre des autres ».

« La Croisée à Herstal : un espace de convivialité inconditionnel né pendant le confinement, ouvert à tout citoyen désireux de bénéficier d’un moment de partage, de bienveillance, d’échange, d’accueil »

Pour le Service de Santé Mentale d’Hermée, dans l’arrondissement de Liège, la question de l’articulation entre pratiques cliniques et lien social n’est pas neuve. « L’épisode covid a été une occasion de mettre en place des choses qu’on avait en tête depuis de nombreuses années10. Cela a permis un coup d’arrêt qui nous a donné du temps pour mettre en place ce genre de choses, ça a plutôt été un catalyseur » relate Stéphanie Adam.

Le projet « Sortez couverts » est né de cette opportunité fortuite. Partant du constat que les personnes âgées dans les structures de leur institution ne disposaient pas de masques, quelques professionnels se sont mis en tête de les produire eux-mêmes. De fil en aiguille, d’autres – usagers, proches, professionnels – les ont rejoints, chacun avec leurs compétences et leurs expériences pour rendre ce projet possible. Un défi de taille, au moment où la Belgique vivait son premier confinement. Comment trouver des élastiques ? Du tissu ? Puis comment coud-on des masques ? Mais un défi relevé haut la main, puisque ce ne sont pas moins de 11.000 masques qui ont été réalisés et distribués à une dizaine d’associations. Forts du succès de cette expérience, le groupe nouvellement formé a continué sur sa lancée solidaire auprès des personnes sans-abris et, plus tard, des personnes sinistrées lors des inondations. Les prescrits sanitaires s’allégeant, le groupe a décidé d’investir le hall d’un bâtiment appartenant à l’organisation et a été rejoint dans cette aventure par d’autres groupements locaux et associations. C’est ce lieu qui est devenu « La Croisée », un espace qui permet à celui ou celle qui le souhaite de faire une pause dans un environnement favorisant la proximité et l’échange entre différents acteurs, qu’ils soient citoyens, usagers en santé mentale, soignants ou intervenants du monde associatif, et qui, parallèlement, encourage les initiatives participatives venant, à leur tour, nourrir le projet. Stéphanie Adam explique ainsi : « petit à petit, les gens proposent des choses et on aide à ce que cela puisse se mettre en place. Le fil, c’est vraiment cette question de lien social et de comment on peut faire concrètement pour garder ce lien. Finalement, ce qui est essentiel, c’est d’être ensemble, on ne sait pas ce qu’on va faire, mais on est là, et on est là avec d’autres, dans le lien. Par exemple, nous recevons une série de boites vides : « qu’est-ce qu’on fait ? » s’est-on demandé à la Croisée. Les réponses, elles, sont collectives : on va demander aux citoyens de remplir ces boites. Et toutes ces boites sont devenues une donnerie ».

Christine Vander Borght rappelle à cet égard la notion de réseau : « on sait qu’un réseau peut être quelque chose de très fermé – comme les réseaux défensifs par exemple – mais c’est aussi une grande opportunité d’ouverture, de partage, de lignes de fuite ». S’appuyant sur la notion de rhizome, elle prend pour exemple le réseau d’échange de savoirs où chacun apporte sa pierre à l’édifice en étant tour à tour offreur et demandeur, dans une logique de réciprocité.

« La Bulle d’Oxy’GEM à Mons : un lieu d’accueil ouvert sur la cité »

OxyGEM est un lieu d’accueil dans la cité pour les différents usagers en santé mentale de la ville de Mons. Il s’inspire du modèle des GEM, pour Groupement d’Entraide Mutuelle11 . C’est un projet qui vise à favoriser la participation de chacun et la resocialisation au travers de l’action communautaire.

En effet, l’association fait l’amer constat que la maladie mentale et le parcours des usagers en santé mentale les amène, souvent, à un isolement social. D’où, pointe-t-elle, l’importance de mettre en place un dispositif de resociabilisation. C’est l’objectif que poursuit le projet « Bulle d’OxyGEM », en permettant à des usagers de rentrer « dans un dispositif d’aidance et d’« entre-aidance », dans une dynamique de co-gestion », comme l’illustre François Vilain : « l’endroit est entièrement co-géré par les usagers en santé mentale. Ce sont eux qui mettent en place les projets, les activités et qui dynamisent l’endroit au quotidien ».

Un témoignage qui fait écho aux propos de François Wyngaerden sur l’importance des réseaux sociaux (au sens large du terme) qu’il définit comme un ensemble de ressources que l’on a autour de nous à titre personnel et la manière dont celles-ci sont articulées – et ce, peu importe que l’on soit usager, accompagnant, professionnel ou pair aidant. Notre réseau social, précise-t-il ainsi, nous offre aussi beaucoup de ressources en termes d’objectifs personnels et en termes de sens car les différents groupes dans lesquels nous nous investissons à travers différents projets et à travers des relations de droits, de confiance, d’échanges nous donnent des éléments d’identité collective qui nous structurent ».

Pour conclure

La santé mentale est multi-factorielle. Elle repose sur un ensemble de déterminants, eux-mêmes en interrelation. Outre les facteurs individuels (santé physique, facteurs génétiques, genre, intelligence émotionnelle et sociale), elle est influencée par un ensemble de déterminants socio-économiques (éducation, emploi, réseau social…) et sociétaux (notamment, l’environnement, la politique et la culture dans laquelle nous évoluons)12 .S’il joue bel et bien un rôle prépondérant sur la qualité de vie des individus, et a fortiori, sur leur sentiment de bien-être, le lien social s’inscrit lui-même dans un système d’interrelations complexes avec ces autres déterminants de la santé.

La recherche suggère donc qu’en agissant simultanément et en cohérence sur ces déterminants, dans une démarche transversale et multidisciplinaire, on pourra le plus adéquatement améliorer la santé des individus. L’échelle locale, voire micro-locale, est par ailleurs plébiscitée comme terrain privilégié des actions visant à lutter contre l’isolement en promotion de la santé13 .

Ainsi, les initiatives porteuses de lien social ont un rôle prépondérant pour « faire santé mentale », comme en témoignent toutes les personnes ayant pris part à cette journée.

La Semaine de la Santé Mentale

Le programme 2021 est disponible sur le site www.semaine-sante-mentale.be. Toutes les interventions qui se sont tenues pourront être réécoutées prochainement sur le site.

L’édition 2022 se tiendra du 10 au 16 octobre. Toutes les infos seront disponibles sur le site.

Le CRéSAM

Cette asbl soutient l’action des professionnels de la santé mentale et leur intégration dans le réseau de soin en santé mentale.

Pour en savoir plus: www.cresam.be

  1. https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2821%2902143-7
  2. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  3. CUSSET P.-Y., Le lien social, Armand Collin, collection 128, Paris, 2007, p. 5 via https://www.cultures-sante.be/nos-outils/outils-education-permanente/item/57-le-glossaire-de-culturessante.html p. 15
  4. https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/2020/06/2020_06_10_Le-lien-social-et-la-sante.pdf
  5. https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/2020/06/2020_06_10_Le-lien-social-et-la-sante.pdf
  6. https://www.fabrique-territoires-sante.org/sites/default/files/dossier_isolement_social.pdf
  7. Voir également https://educationsante.be/reflexions-sur-la-situation-de-la-sante-mentale-en-belgique-et-les-besoins-du-secteur/
  8. https://www.kbs-frb.be/fr/le-covid-19-renforce-la-pauvrete-ce-que-les-organisations-de-lutte-contre-la-pauvrete-nous-disent
  9. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  10. L’association évoque un projet pré-existant à la crise sanitaire qui combine à Soumagne initiatives de proximité animées par les services psy (un dressing pour rien, mais aussi une école de devoir qui est aussi un endroit où on peut venir se poser, boire un café, chercher deux assiettes si on en a besoin…) et réseau de soutien de traitement des troubles de la dépression et de l’humeur dans la communauté.
  11. Sur le sujet : https://www.cairn.info/revue-les-politiques-sociales-2016-1-page-48.htm
  12. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  13. https://www.fabrique-territoires-sante.org/sites/default/files/dossier_isolement_social.pdf

food donation to needy, needy: providing food to needy people wh

COVID-19 : amplificateur d’inégalités sociales de santé

Le 25 Jan 22

Publié dans la catégorie :

food donation to needy, needy: providing food to needy people wh

Le 12 octobre 2021, l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH) organisait une journée de réflexion intitulée « Inégalités sociales de santé et COVID-19 ». L’occasion pour les professionnel.les de la santé présent.es, de faire le point sur les nombreuses séquelles laissées par cette crise sanitaire inédite, notamment chez les plus vulnérables.

Plusieurs expert.es ont ainsi pu partager leur expérience de terrain et leur analyse de la situation. Toutes les interventions ont convergé vers un même constat :  la crise sanitaire a amplifié les inégalités sociales déjà présentes avant la crise. Le coronavirus peut infecter tout le monde mais « tout le monde » n’y est pas exposé de la même manière. Les mesures prises (distanciation sociale, bulle sociale, télétravail, métiers essentiels…) résonnent différemment selon nos contextes de vie, nos capitaux sociaux et économiques, renforçant ainsi les inégalités sociales existantes.

C’est Helen Barthe-Batsalle, directrice de l’OSH, qui a posé le contexte de cette journée en rappelant l’importance de la question des inégalités d’accès aux droits fondamentaux, au sein des missions de l’OSH. La santé des individus, considérée comme un droit fondamental, varie en fonction de certaines conditions comme l’accès à un logement, à l’éducation, à une alimentation saine et suffisante, à un travail décent, à un environnement sain, à une justice sociale… L’ensemble de ces déterminants de santé, distribués de manière inégale au sein de la population, génère des inégalités sociales de santé et impacte la manière dont les individus font face à la crise sanitaire.

Les intervenant.es invité.es ont ensuite pu témoigner des effets directs de cette crise sur leur public et des impacts dans leur champ d’action.

« L’impact de la crise sur les populations les plus précaires et sur la pauvreté en Région wallonne »

Bernard De Vos (Délégué général aux Droits de l’Enfant) appuie le fait que la crise n’a fait que révéler et amplifier les problèmes préexistants avant la crise sanitaire tels que la pauvreté, le décrochage et l’abandon scolaire, les difficultés relationnelles au sein des familles, le maintien des liens dans les familles séparées…

Les mesures dictées pour endiguer la propagation du virus n’ont pas été vécues de la même manière par toutes les familles. Lorsque le confinement a été annoncé, certaines d’entre elles ont été renvoyées à leur situation personnelle. Si les conditions de vie des sphères privées n’étaient pas optimales en temps « normal », elles l’ont été encore moins durant l’épidémie. 

La période de confinement a par ailleurs été très compliquée pour les enfants qui évoluent dans un contexte où maltraitance et/ou négligence sont présentes. Ces enfants se sont retrouvés confrontés à leurs tortionnaires avec très peu de contacts extérieurs. Il a fallu attendre un certain temps pour que les services d’aide se réorganisent et puissent reprendre contact avec ces enfants via une écoute active par téléphone et/ou internet.

Les enfants porteurs d’un handicap ont également souffert durant cette période. La plupart n’ont plus eu accès à leur institution et se sont retrouvés totalement à charge de leur famille.
Bernard Devos déplore qu’au moment de la réouverture, on ait donné la priorité aux écoles et non à un système éducatif qui inclut les écoles de devoirs, les services d’Aide en Milieu Ouvert (AMO), ainsi que tous les autres services associatifs qui agissent en soutien scolaire. En pensant globalement au système éducatif, on n’oublie pas celles et ceux qui en ont le plus besoin et on tente de réduire les inégalités sociales entre les enfants.

Il terminera son intervention en déplorant qu’au cours de la crise, aucun discours n’ait été adressé directement aux enfants et aux jeunes pour leur expliquer l’état de la situation et le choix des mesures prises. Les informations ont toujours été données de manière unilatérale sans aucune adaptation de langage. Cette tâche a été laissée aux familles avec des compétences qui leurs sont propres et très inégales d’une famille à l’autre. Il a fallu attendre que la situation dérape à certains endroits dans notre pays et que les pédopsychiatres montrent leur inquiétude par rapport à la santé mentale de la jeunesse pour qu’on adapte l’information à ce public cible et qu’on le laisse s’exprimer sur la manière dont il a vécu l’application des mesures.

 « Avec la crise sanitaire, l’insécurité alimentaire »

Durant la première période de confinement, les demandes d’aide alimentaire (principalement sous forme de colis alimentaire) ont augmenté de 30% en Région wallonne, explique Catherine Rousseau (chargée de projets à la Fédération des Services Sociaux). Suite à cette première vague, celles-ci ont continué d’augmenter mais moins rapidement. Aujourd’hui, les demandes tendent à se stabiliser mais à un chiffre encore trop élevé. La difficulté de faire appel à l’aide alimentaire est également mise en évidence et les raisons en sont diverses : gêne d’y recourir, méconnaissance des services, fermeture des structures d’aide…

Face à cette situation, la Fédération des Services Sociaux (FDSS) met en évidence plusieurs recommandations afin de répondre à l’urgence en temps de crise.

  • La première porte sur la quantité, la qualité et le respect de la dignité

Dans ce contexte de crise sanitaire, de nombreuses demandes n’ont pu être satisfaites. À cela s’ajoute le manque de respect de la dignité humaine comme les longues files dans l’espace public, l’absence de choix des denrées correspondant aux besoins ou aux préférences des personnes, un manque de qualité et de diversité de certains produits (produits frais ou recours à des invendus)…
Il convient donc d’accueillir toutes les demandes et de les orienter vers les services les plus aptes à y répondre. De même, l’aide alimentaire nécessite une diversification de l’offre pour mieux répondre aux besoins des familles et des personnes dans le besoin (colis ou soutien financier).

  • La seconde porte sur l’organisation et l’accessibilité

Il s’agit d’encourager un assouplissement des critères d’accessibilité, l’élargissement de l’offre ainsi que la diversification des formes d’aides, afin de répondre au mieux aux nouveaux besoins qui sont apparus. L’implication des bénéficiaires dans les prises de décisions relatives à l’organisation des services d’aide alimentaire est également préconisée.

  • La troisième porte sur le caractère structurel de l’alimentation de qualité

De nouvelles politiques structurelles fortes soutenant un système de démocratie alimentaire (une alimentation saine, en suffisance et de qualité pour tous) ainsi qu’un système alimentaire inclusif doivent voir le jour. Celles-ci permettront de lutter contre les inégalités sociales face à l’alimentation, d’assurer l’accès à un revenu décent pour tous, à l’inclusion et à la protection sociale.

« Quand vieillissement et pandémie se croisent »

Au travers de son exposé, Violaine Wathelet (secrétaire politique d’Enéo, le mouvement des aînés de la MC) a souhaité mettre en évidence le lourd tribut payé par les ainés durant la crise mais également la stigmatisation dont ils sont souvent victimes dans notre société. 

Cette crise a mis à jour un certain nombre de dysfonctionnements relatifs aux Maisons de Repos et aux Maisons de Repos et de Soins, comme le manque de coordination avec les autres structures de soins, des cas de maltraitance, un personnel en sous-effectif ainsi que la difficulté de prendre en considération tous les aspects de la santé comme la dimension psychologique.

Les personnes âgées, souvent mises de côté, sont sujettes à de nombreux stéréotypes, certains laissant croire qu’elles ne sont plus capables de décider ce qui est le mieux pour elles-mêmes. Or lorsqu’on envisage la vieillesse par la porte du vieillissement biologique, l’attention portée aux plus âgé.es se centre presque essentiellement sur le curatif délaissant ainsi le care c’est à dire le bien-être.

Le COVID-19 ou la COVID-19 : juste une question de genre? »

La parole est donnée à Manoë Jacquet (coordinatrice de Femmes et Santé et responsable du réseau « Femmes, genre et santé »). Au-delà du débat de genre autour du mot « COVID », la maladie et ses complications ne semblent pas avoir affecté les hommes et les femmes de la même manière. Les chiffres montrent que les femmes ont été plus nombreuses à contracter le virus alors que les hommes ont développé des formes plus graves de la maladie et présenté un taux de mortalité plus élevé. Les femmes ont en effet été particulièrement exposées au risque de contamination du fait des secteurs d’activité où elles sont majoritaires. C’est le cas du secteur hospitalier où elles représentent 80 % du personnel, des maisons de repos et de soins (88 %), des maisons de repos pour personnes âgées (86,5 %), des crèches (96 %), de l’aide à domicile (95 %) ou du commerce de détail ou en grandes surfaces (60 %).

Comme l’ont souligné les intervenant.es précédent.es, les mesures spécifiques qui ont été mises en application pour limiter la transmission du virus n’ont pas engendré les mêmes conséquences pour toute la population. Elles ont été construites sur un modèle de famille « standard » en perte de vitesse et qui correspond de moins en moins au modèle actuel.

“De l’intersectionnalité à la syndémie : COVID-19 et inégalités sociales de santé”

Charlotte Pezeril (docteure en anthropologie sociale et directrice de l’Observatoire du Sida et des Sexualités à l’ULB) aborde la question de la crise COVID sous l’approche de la réduction des risques (comme elle l’a été pour le VIH). Cette stratégie suggère de faire confiance aux individus dans le choix de stratégies adéquates en fonction de leur situation et de leur capacité d’agir.

En référence et en comparaison avec la problématique du VIH, ce qui a été mis de côté dès le départ de la crise sanitaire, c’est d’abord l’exclusion de la promotion de la santé au profit d’une approche épidémio-médicale. La crise du VIH avait pourtant démontré l’importance de la responsabilisation et non pas de la criminalisation des comportements à risque. La responsabilisation, c’est reconnaitre la capacité de réflexion et d’action des citoyens. Pour qu’elle soit opérationnelle, il faut leur donner les moyens de pouvoir l’exercer, comme leur expliquer les bienfaits et les risques de la vaccination par exemple. Les citoyennes et citoyens pourront alors faire un choix éclairé en fonction des coûts-bénéfices de chacune des stratégies.

La crise COVID a été présentée comme une pandémie. Or, selon Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, il faut étendre ce concept et parler de « syndémie ». Une position que Charlotte Pezeril partage également.  Une syndémie se définit par la synergie de plusieurs maladies ou problèmes concentrés de manière anormalement élevée dans une population donnée. Dans le cadre de la crise sanitaire qui nous occupe actuellement, cela revient à mettre l’accent sur le côté viral de la maladie (la COVID) en prenant en compte l’ensemble des pathologies chroniques non transmissibles (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires…). Toutes ces pathologies ont fortement augmenté depuis une trentaine d’années dans nos pays occidentaux, notamment en raison de la pollution atmosphérique, de la malbouffe et également de l’accroissement des inégalités sociales.

« La crise sanitaire comme révélatrice et amplificatrice de la fracture numérique. »

André Delacharlerie est responsable de L’Observatoire du numérique et du programme Education à l’Agence du Numérique. Selon le dernier Baromètre 2021 de maturité numérique des citoyens wallons1, l’Agence du Numérique et du Service Public de Wallonie recommande plus d’éducation au numérique et plus d’inclusion de tous.

Ainsi, l’éducation du numérique doit être renforcée à plusieurs niveaux :

  • dès l’école fondamentale par une éducation aux concepts du numérique et par une utilisation du numérique dans tous les apprentissages ;
  • dans les formations qualifiantes auprès des Jeunes (IFAPME) et les demandeurs d’emploi (FOREM) ;
  • au long du parcours professionnel par la formation continuée dans les entreprises ;
  • pour tous les citoyens par des actions de soutien à l’inclusion dans le monde associatif et des programmes d’éducation permanente via les grands médias.

En parallèle, il est important que des actions d’aide à l’équipement et à la connexion des plus démunis soient mis en place tout en veillant à l’ergonomie des interfaces informatiques.

Un bilan ?

L’ensemble de ces interventions illustre combien il est important que la santé et les actions de promotion de la santé soient inscrites au sein de toutes les politiques de manière à développer une action de santé publique efficace et collective.

À l’heure où l’on prône l’universalisme proportionné dans les actions de promotion de la santé, il est décevant de constater que dans la gestion d’une crise sanitaire comme celle du COVID, tout a été géré de manière universelle. Il est important de donner les moyens aux individus d’adopter les réponses efficaces pour mieux gérer les impacts de cette crise.

Cependant, concluons sur une note positive en soulignant que durant cette crise de nombreuses initiatives solidaires et bénévoles ont vu le jour. Et pour reprendre les mots de Marius Gilbert : « Remettre le collectif au cœur de nos sociétés, voilà bien le défi pour demain ».

[1] Ce baromètre vient d’être publié très récemment et porte sur 2 184 réponses qui ont été collectées entre le 28 janvier et le 19 mars 2021 auprès d’un échantillon de la population résidant en Wallonie et âgée de 15 ans et plus. Cet échantillon a été structuré de manière à garantir une représentation valide des deux genres, de toutes les classes d’âge, des différentes catégories socioprofessionnelles, des différents niveaux d’éducation et de tous les types de ménages. La collecte s’est effectuée au départ d’une sollicitation téléphonique réalisée pour 70% sur des numéros de lignes mobiles et pour 30% sur des lignes fixes

brussels in corona time covid 19 virus lockdown belgium

Quel impact du covid sur le travail de première ligne bruxellois ?

Le 20 Déc 21

Publié dans la catégorie :

Pour une question de confort de lecture, l’usage du masculin est utilisé dans ce texte lorsqu’il est question des personnes, quel que soit leur genre.

À l’automne 2020, les campagnes de prévention et les mesures sanitaires bruxelloises en réponse à la pandémie de Covid-19, n’ont pas semblé suffisamment efficaces. En témoignent les chiffres de contamination et l’arrivée de la deuxième vague qui affecte particulièrement les quartiers les plus défavorisés de la capitale. Face à ce constat, le Centre Bruxellois de Promotion de la Santé (CBPS) a été chargé par la Ministre Barbara Trachte, dans le cadre des « stratégies concertées Covid », de mener en 2021 un diagnostic avec des professionnels des secteurs médico-sociaux de proximité intervenant auprès des populations vulnérables.

brussels in corona time covid 19 virus lockdown belgium

L’objectif : explorer les besoins des usagers identifiés par les professionnels, leurs propres besoins, leurs adaptations, vécus et positionnements par rapport aux attentes des pouvoirs publiques d’en faire des agents de prévention de la pandémie. L’ambition est également de tirer des leçons de la crise afin de s’en inspirer en cas de nouvelles pandémies. Une trentaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des travailleurs médico-sociaux issus de 22 institutions (CPAS, communes et associations), réparties sur 15 communes bruxelloises. Les entretiens ont été menés entre février et avril 2021, soit environ un an après le début de la pandémie et le premier confinement en Belgique.

Des attitudes multiples face au virus et aux mesures sanitaires

Globalement les intervenants rencontrés font état, contrairement à l’image véhiculée dans les médias, d’usagers relativement coopérants et respectueux des mesures sanitaires. Néanmoins, ils relèvent aussi nombre de répercussions psychiques et sociales de ces mesures sur leurs bénéficiaires et de multiples attitudes de ces derniers envers le virus et sa gestion par les pouvoirs publiques. Il en ressort que d’une part, l’adoption de ces mesures repose sur des fondements relativement fragiles et d’autre part, les conséquences de ces mesures sont ressenties pour une part importante des professionnels de première ligne comme allant à l’encontre de leurs missions médico-sociales.

Parmi les difficultés rencontrées et vis-à-vis desquelles les intervenants se sentent démunis, il y a chez une minorité de leurs usagers soit une surestimation de la dangerosité du virus, soit une sous-estimation de celle-ci. Les premiers sont des personnes particulièrement anxieuses d’être contaminées, au point de s’enfermer chez elles, sans sortir pendant plusieurs semaines, bien au-delà du degré d’isolement imposé par les autorités. Cette peur de la contamination, qui touche plus particulièrement les mères de familles monoparentales en situation de précarité, est directement attachée à l’angoisse de ne plus pouvoir assumer le ménage, les enfants, la scolarité, de ne plus pouvoir prendre soin des proches. Cette anxiété génère une difficulté pour ces personnes de sortir de leur isolement et de faire valoir des aides dont elles pourraient légitimement bénéficier. Ceci les place dans une situation de fragilité en les plongeant dans une incertitude face à une maladie ressentie comme incontrôlable. Cette incertitude est d’autant plus à prendre en compte qu’à terme, elle peut entraver la capacité des personnes à agir et à adopter des conduites de prévention1.

A l’opposé de ces personnes qui se coupent de toute relation, les professionnels font parfois état de rares cas de personnes qui minimisent la dangerosité du virus, n’adhérent pas du tout aux mesures, voire sont plus enclines à adhérer aux théories « complotistes ». Cette adhésion s’inscrit souvent dans un processus de méfiance envers les informations officielles sur le virus et le besoin de retrouver des certitudes pour dépasser le caractère anxiogène qu’elles véhiculent2. Au-delà de ces cas extrêmes, les personnes rencontrées notent plutôt une tendance d’une part minoritaire de leurs usagers à relativiser la dangerosité du virus. Cette relativisation, présente davantage parmi les jeunes des quartiers défavorisés, s’inscrit dans une méfiance envers les politiques sanitaires qui se fonde, entre autres, sur les discriminations et le sentiment d’abandon dont ces personnes se sentent victimes. Elle se développe dans une relation critique envers les politiques sanitaires de personnes qui préfèrent s’informer via des sources d’informations alternatives (médias indépendants ou réseaux sociaux) et leurs pairs. 

Par ailleurs, les professionnels eux-mêmes expriment différents points de vue par rapport au virus et aux mesures de protection. C’est le cas, notamment, des intervenants sociaux de terrain qui ont parfois le sentiment que leur sécurité a parfois été sacrifiée en début de pandémie (absence de matériel de protection, côté arbitraire de la mise en télétravail des professionnels). La question de la vaccination, et encore plus sa promotion, divise également les travailleurs. Par contre, ils sont dans l’ensemble d’accord pour affirmer que la vaccination est du ressort de leur vie privée et de celle de leurs usagers.

Les interventions des autorités sous la critique des travailleurs médico-sociaux

Pour les travailleurs, dans la gestion de la crise menée par les autorités nationales et régionales, plusieurs éléments se sont révélés contre-productifs à l’égard de leurs missions d’accompagnement et de leurs publics. Tout d’abord, les campagnes de communication et de prévention de masse (telles que « Flatten the curve3») sont perçues comme déconnectées de la réalité vécue par les populations les plus vulnérables et les plus précarisées, stigmatisantes et culpabilisantes, et en particulier vis-à-vis des jeunes. Or, une communication déficiente envers ce type de population amoindrit la considération de ces populations à l’égard des institutions publiques4. Ensuite, les directives émises par les autorités et les représentants sectoriels (l’enfance, l’enseignement, la santé, etc.) ont été extrêmement complexes et confuses aux yeux des intervenants (trop changeantes, mises à jour régulières et parfois tardives, contradictoires entre les différents niveaux de pouvoir). Enfin, un autre élément contre-productif, relaté par les professionnels, est l’instrumentalisation par moments de la gestion de la crise par des politiques à des fins électorales ou populistes en dépit de son impact direct sur leur travail.

Par ailleurs, l’intensité des sanctions administratives menées par les forces de l’ordre, leur caractère parfois violent et discriminant, et plus particulièrement à l’égard des jeunes des quartiers paupérisés, est vu par les intervenants comme détruisant le travail de cohésion qu’ils mènent avec ce public. Cette «confrontation» de logiques répressive et préventive, si elle préexiste à la crise, s’est à leurs yeux exacerbée avec celle-ci. Elle en appelle à trouver des dynamiques de complémentarité plutôt que d’opposition de ces logiques.

Des adaptations attendues difficilement compatibles avec les missions médico-sociales de première ligne

Les travailleurs médico-sociaux de proximité sont souvent perçus comme des relais aisément mobilisables pour favoriser l’adoption de comportements de protection et promouvoir la vaccination contre le Covid-19. Or, pour une part des répondants, cette mission s’assimile davantage à un travail de contrôle et de maintien de l’ordre qui peut aller à l’encontre du travail social et compromettre le lien établi avec des usagers et usagères vulnérables. De plus, ils sont nombreux à ne pas se sentir suffisamment outillés pour aborder les questions relatives à la prévention de maladies ou à estimer tout simplement que cette mission n’est pas de leur ressort. Sur ce point, les travailleurs sociaux se différencient de leurs responsables hiérarchiques et des travailleurs médicaux. Ces deux dernières catégories de professionnels estiment eux plus souvent que la prévention fait partie intégrante de leurs fonctions. Plus spécifiquement, les professionnels du social trouvent plus souvent préférables que cette mission soit réservée à du personnel médical externe au service ; ce personnel étant notamment perçu comme plus légitime et en dehors des enjeux de cohésion sociale des services.

Concernant spécifiquement la vaccination, une part non négligeable des travailleurs rencontrés (± 1/3) expriment leur incertitude quant à ses bienfaits. Dans ces circonstances, ces derniers refusent de faire une démarche proactive envers leur public et se limitent à répondre à des demandes d’information au même titre que n’importe quelle autre tâche administrative ou sociale.

Enfin, pour beaucoup de travailleurs, la crise a des répercussions éthiques sur leur pratique. La bureaucratisation et la dématérialisation de leur service, la déshumanisation et la numérisation de la relation d’aide, la disparition des espaces de rencontre (maisons de jeunes, visites à domicile, espaces collectifs…) ont pour conséquence de compromettre la prise en charge, les liens construits et la relation de confiance établis avec les personnes fragilisées. Derrière ces conséquences, c’est le sens même de leur pratique qui est remis en question. C’est particulièrement le cas du télétravail qui est souvent considéré comme se prêtant mal à l’intervention médico-sociale de première ligne, comme requérant des moyens matériels supplémentaires et générant, in fine, une surcharge de travail.

Des populations fragilisées et une exclusion sociale renforcée

Tous les répondants font état d’une détérioration de la situation sociale de leurs usagers et d’une précarisation, en raison notamment de la fermeture de nombreux services publics et sociaux, de la réduction de l’accès à certains droits comme le RIS ou encore de la perte de revenus. Le sentiment d’être abandonné par les politiques, la sensation d’isolement et de l’exclusion sont quelques-unes des répercussions observées par les professionnels chez leurs bénéficiaires.

Au-delà de cet accroissement des inégalités sociales qui touchent leurs usagers et usagères aux conditions de vie fragiles, les travailleurs sont aussi inquiets de la dégradation de la santé mentale de leurs bénéficiaires et de la montée des violences intrafamiliales qui ne sont plus détectées et prises en charge.

Par ailleurs, à côté de leurs usagers habituels composés, entre autres, de jeunes, de personnes âgées, de sans-abris, de sans-papiers, les intervenants sociaux font part de l’arrivée de nouveaux publics (jeunes diplômés, étudiants, indépendants de l’HoReCa, professionnels du monde culturel, etc.) qui tombent dans les conditions d’accès à l’aide sociale.

L’accompagnement médico-social de première ligne en difficulté

Avec la crise, l’accompagnement des publics vulnérables par les services de proximité est devenu plus complexe. De nombreux services ont été fermés (12 des 22 services interrogés) et la reprise n’a pas toujours été simple (équipes en sous-effectifs, rattrapage des retards, anxiété des travailleurs, etc.). L’accès limité, et souvent numérique, des institutions publiques et privées (mutuelles, banques, caisses d’allocation de chômage, etc.) a engendré une charge de travail supplémentaire pour les acteurs de proximité qui ont dû accompagner leurs usagers n’ayant pas accès ou ne maîtrisant pas ces nouvelles technologies.

Par ailleurs, le télétravail a impacté la capacité des intervenants à travailler en équipe pour gérer les situations complexes de leurs usagers, qui exigent une prise en charge pluridisciplinaire. Enfin, plusieurs répondants, et en particulier les assistants sociaux des CPAS, font état d’une détérioration psychique de leur état (épuisement émotionnel, angoisse de la boîte mail, perte d’empathie, etc.) pour exercer convenablement leur profession.

La crise : un révélateur d’inégalités structurelles préoccupantes

La non-adhésion de la population aux mesures préconisées est généralement interprétée comme un manque d’information. Or, pour adhérer, il faut aussi se sentir faire partie de la société, se sentir reconnu en tant que personne dans les mesures prises, disposer de capacités d’adaptation suffisantes (équipement informatique, ressources financières pour acheter le matériel de protection, aptitude à gérer son anxiété, sentiment d’appartenance, attitude de confiance envers les autorités5, faculté de se projeter dans l’avenir, etc.). Ces conditions font plus souvent défaut parmi les populations vulnérables et la crise a accentué cette situation. Elle implique de penser, dès à présent et de manière prospective, les mesures destinées aux populations fragilisées en regard de cet enjeu de cohésion sociale et de réduction d’un fossé entre ces populations et les autorités publiques. Elle implique de prendre rapidement d’autres mesures de prévention qui prennent en compte les différentes dimensions de la vie des populations vulnérables, leurs conditions de vie et qui s’appuient sur la connaissance des professionnels à l’égard de leur public.

Une prévention adaptée aux intervenants

Concernant les intervenants, il faut une nécessaire congruence entre l’exercice de leurs missions et des sollicitations des autorités en temps de crise. Cette conciliation en appelle à repenser les métiers essentiels en leur permettant d’assurer leurs missions de base dans des conditions suffisantes de protection ; à définir avec les professionnels, sur base de l’expérience présente, des directives claires à adopter dans le cadre d’une nouvelle pandémie ; à préciser avec eux, dans une logique de complémentarité, le rôle que chacun peut jouer en fonction de sa profession.

Il semble aussi primordial de développer une approche intégrée de la prévention incluant également la dimension mentale et sociale de cette dernière et impliquant les divers intervenants gravitant autour des populations fragilisées.  

[1] Kmiec R. et Roland-Lévy C., « Risque et construction sociale : une approche interculturelle », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2014/1, 101 :69-99.

[2] Barras C., « Prévention menaçante, prévention prévenante : regards anthropologiques sur un concept polysémique, Prospective Jeunesse. Drogues, Santé, Prévention,2021, 94 :4-8.

[3] Ce slogan de campagne, que l’on peut traduire par « aplanir la courbe », faisait référence aux interventions des épidémiologistes et autres experts de santé publique évoquant le nombre de personnes admises à l’hôpital par rapport au nombre de personnes infectées par le virus sur une ligne du temps.

[4] Mercier M. & al., Exclusion et sciences humaines. Exclusion en sciences humaines. Recherche commanditée par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de la Communauté française de Belgique. Rapport de recherche interuniversitaire (FUNDP, ULg, UMH, ULB, UCL), 2003.

[5] La confiance accordée à la source d’information est plus importante dans l’adhésion aux mesures que la qualité même de l’information diffusée (Cougnon L.-A. & al. (2020), in Déconfinement Sociétal. Apport d’expertises académiques).