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worried gray haired agronomist or farmer using a tablet while inspecting organic wheat field before the harvest. back lit sunset photo. low angle view.

Droit à l’alimentation et droit à la santé : des liens étroits qui peinent à se concrétiser dans les politiques publiques

Le 1 Déc 22

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L’accès à une alimentation saine et durable paraissait acquis à tous et à toutes jusqu’il y a peu en Belgique. C’est d’ailleurs un droit humain que la Belgique s’est formellement engagé à réaliser, directement en ratifiant le PIDESC [1], indirectement en reconnaissant dans l’article 23 de la Constitution le droit « à mener une vie conforme à la dignité humaine ».

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Ce droit à l’alimentation est garanti de deux manières : d’abord en maintenant artificiellement des prix bas ; ensuite en mettant en œuvre des filets de sécurité sociaux que sont, d’une part, les aides sociales générales tel que le Revenu d’Intégration Sociale, et d’autre part, l’aide alimentaire. Certes, ces dispositifs empêchent que ceux qui ont faim, car il y en a, en meurent : la Fédération des services sociaux estime que 600 000 personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en Belgique en 2021. En revanche, si l’on regarde au niveau des adjectifs de « sains et durables », qui en termes juridiques ne sont pas un luxe, mais bien une condition sine qua non de la réalisation du droit à l’alimentation, nous n’y sommes pas – et pas du tout.

L’auteur est chargé de recherche et de plaidoyer chez FIAN Belgique. Le présent article est inspiré de l’étude « Droit à l’alimentation de qualité et systèmes alimentaire : pourquoi il est si difficile de bien manger en Belgique, et ce qu’on peut y faire » (FIAN 2022), étude à laquelle on se référera pour approfondir la réflexion.

Alimentation et santé

Le droit à la santé est un droit humain fondamental inscrit explicitement dans la constitution. Selon l’OMS, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas, seulement, en une absence de maladie ou d’infirmité ». Or, on sait que l’alimentation est un déterminant majeur de la santé, qu’elle est dite la première des médecines. Cependant, le lien entre alimentation et santé est loin de recevoir toute l’attention qu’elle requiert dans les politiques publiques.

La malnutrition se définit à la fois comme un manque nutritionnel et/ou calorifique (sous-alimentation) ou comme un surplus nutritionnel et/ou calorifique (sur-alimentation). Le lien le plus fort entre alimentation et santé, en Belgique, concerne la sur-alimentation. La moitié de la population est en surpoids, 16% est obèse [2]. Cet état nutritionnel se traduit par une contribution significative [3] aux maladies chroniques les plus fréquentes que sont l’hypertension et les accidents vasculaires cérébraux, les infarctus, le diabète de type 2 et encore certains cancers. En Belgique, entre 11% (2021) et 14% (2020) des décès sont directement liés à la nutrition, ou plutôt à la malnutrition [4]. Soit entre 12 000 et 15 000 personnes par an. Un ratio un peu inférieur à la moyenne mondiale, qui s’établit à 11 millions sur 57 millions de décès par an, soit 19%.

Rappelons que le système alimentaire ne se limite pas à impacter la santé de la population au niveau nutritionnel. Les mauvaises conditions de travail dans le secteur agroalimentaire, l’exposition à des polluants dans l’eau, l’air et le sol et la disponibilité d’aliments contaminés ou dangereux sont des sources de nuisances supplémentaires [5].

Une approche holistique

La réalisation du droit à l’alimentation oblige à prendre en compte tout le « système alimentaire », c’est-à-dire l’ensemble des facteurs et acteurs qui vont produire, transformer, distribuer, encadrer, surveiller, consommer la nourriture. Agir sur la consommation en aval nécessite d’influencer en amont les modes de production, les conditions de formation des prix, l’encadrement du marché, etc.

Pour cela, il faut comprendre dans quel cadre le système alimentaire s’inscrit afin de repérer les leviers d’action et les obstacles au changement. Ceux-ci sont nombreux. Une preuve en est que, malgré les appels récurrents depuis le lancement de la Stratégie mondiale sur l’alimentation et l’exercice physique de l’OMS en 2004, et le premier Plan fédéral nutrition-santé en 2005, peu de progrès significatifs ont été accomplis pendant que la situation nutritionnelle de la population ne cesse de se dégrader.

On ne saurait réaliser le droit à l’alimentation en adoptant une approche « médicalisante », amalgamant « médicaments » et « aliments », ce qui reviendrait à chercher à garantir à chaque individu sa dose de nutriment – éventuellement distribuée en complément alimentaire. En effet, une alimentation saine est également sociale et psychologique, ce que met de côté une approche fondée strictement sur les besoins biologiques. Par exemple, on ne mange jamais aussi mal que quand on mange seul.

Prévenir plutôt que guérir

En matière de nutrition, il est bien plus efficace de prévenir que de guérir. Or, prévenir est rendu difficile par une idée : celle de la responsabilité individuelle devant le choix de son alimentation. Il serait possible de bien manger aujourd’hui, et si « les gens » ne le font pas, c’est par manque d’éducation. Certes, il est possible de bien manger pour pas cher : en passant beaucoup de temps à faire ses courses à la recherche des bons plans, en passant beaucoup de temps en cuisine, et en étant convaincu que bien manger est véritablement quelque chose d’important pour soi, pour les autres, pour la planète. C’est confondre « volonté » et « ressource ». Ce n’est pas parce qu’on veut qu’on peut.

Au contraire, c’est plutôt la quantité de ressources disponibles (en temps, en argent, en connaissance) qui va déterminer la qualité d’un régime alimentaire. Ce n’est pas par manque d’éducation que les familles précarisées mangent le plus mal, mais par manque d’argent. Les travaux sur la question, scientifiques ou de témoignages, sont unanimes [6]. Ce manque rend davantage malades ceux qui ont le moins de ressources, nourrissant un cercle vicieux. En outre, il ne faudrait pas laisser croire que mal manger ne concerne que les plus pauvres : c’est l’ensemble de la population qui ne répond pas aux recommandations nutritionnelles. Malgré la connaissance des messages nutritionnels, seulement 15% de la population belge générale mange les fameuses 5 portions de fruits et légumes par jour [7]. Le chiffre monte à 20% chez les plus diplômés : pas de quoi décrocher la mention.

L’approche curative continue ainsi d’être dominante. On ne sera pris en charge par la sécurité sociale qu’en bout de course, lorsque de mauvaises habitudes alimentaires se concrétisent et s’incarnent en maladie chronique. Et à ce moment-là, ça coûte très cher et c’est très difficile à soigner. Entre temps, on aura été stigmatisé à coup de « faites des efforts mon vieux ». Sciensano estime que le surpoids et l’obésité augmente au minimum la facture en soins de santé de 4,5 milliards d’euros par an [8] ! On paye tout au long de sa vie une mauvaise alimentation, puis on la repaye en soins de santé en vieillissant. Autrement dit, les prix sont faussés et n’intègrent pas toutes les dépenses que ces produits engendrent [9].

Les prix bas de l’industrie

La modernisation du système alimentaire est un héritage significatif du 20e siècle basé sur le pétrole : industrialisation de la production agricole, de la transformation alimentaire, internationalisation de la commercialisation (import et export) et enfin économie d’échelle majeur dans la grande distribution. L’objectif de ce grand modèle agricole connu sous le nom de « révolution verte » ? Assurer une production alimentaire suffisante, à bas coût, tout en vidant les campagnes de ses forces vives pour les reporter dans les faubourgs urbains et faire tourner l’industrie lourde.

Le pari a été remporté. En 1960 en Belgique, 27,6% du budget des ménages était destiné à l’alimentation. Aujourd’hui, il est relégué en seconde position après le logement, bien qu’il remonte dernièrement après avoir été vers 11% entre 2000 et 2018 [10]. En 2020 : 15% du revenu (c’est-à-dire environ 10 € par jour) pour les ménages du premier quintile (les 20% les plus bas), et 16% du revenu (environ 23 € par jour) qui y est consacré pour le dernier quintile (les 20% les plus hauts). La question qui se pose est alors double : savoir si le revenu le plus bas est suffisant pour assurer l’accès à une alimentation « saine et durable », et s’il est vraiment utilisé à cela. On sait déjà que non.

Des choix piégés

Ces deux questions sont piégées, parce que les choix alimentaires qui sont mis à disposition des consommateurs ne sont pas neutres. On ne peut réfléchir comme si les consommateurs étaient libres de dépenser où ils le souhaitent leur budget alimentaire. Au contraire, les choix alimentaires sont pris dans un contexte qui est appelé « environnement alimentaire ». En effet, cette notion met en avant que de nombreux facteurs influencent voire déterminent l’accessibilité des produits, et donc les choix des consommateurs. Il s’agit principalement du prix des produits, de leur disponibilité géographique et physique, de leur adéquation culturelle, mais aussi, les produits qui nous viennent en tête « spontanément » lorsqu’on a faim et qui s’imposent dans l’imaginaire à travers la publicité par exemple. En étant plus ou moins accessibles, ces produits sont plus ou moins consommés, reléguant les aspects nutritionnels à l’arrière-plan. On ira plus facilement au fast-food qui est à côté de chez nous ouvert 20h/24h, qu’au marché paysan une fois par semaine le dimanche matin.

Or, les études montrent que les environnements alimentaires sont « obésogènes » [11]. Ils sont favorables à des produits trop gras, trop salés, trop sucrés. Construire un régime alimentaire équilibré nécessite alors des efforts individuels considérables, des mobilisations de ressources qu’on ne veut pas forcément mettre, même quand on les a. La vie est déjà assez dure comme ça pour en plus la compliquer au moment des repas, qui sont censés être un moment calme, ressourçant, de laisser-aller. Il faut sortir de la responsabilisation individuelle et aller vers des politiques publiques.

Que faire ?

Les pistes sont nombreuses. Le premier ministre lui-même a déclaré en octobre qu’il fallait augmenter le prix des produits malsains, et baisser le prix des produits sains. Différentes taxations et une meilleure distribution des subsides sont envisageables. Réguler la publicité des produits malsains serait un pas important pour arrêter de les banaliser alors qu’ils produisent des effets sociétaux considérablement négatifs. Améliorer l’aide alimentaire ? En donnant plus de moyens, elle fonctionnerait beaucoup mieux. Mais on ne peut demander à un dispositif d’aide sociale de réaliser un droit universel. Socialiser une partie de l’alimentation comme on l’a fait pour la santé pour réaliser le droit à l’alimentation, en donnant à tous les moyens de consommer de bons produits, en fléchant la consommation vers des modes de production souhaitables et respectueux. C’est la piste d’une sécurité sociale de l’alimentation [12].

Bien manger est un droit, on ne devrait pas avoir à s’épuiser ou à s’humilier pour se le voir garantir. Et pourtant…

[1] L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dit que les Etats s’engage à garantir le « droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence ».

[2] Sciensano, enquête de santé sur l’état nutritionnel, 2018.

[3] Contribution, car ces maladies n’ont pas pour seule cause l’alimentation, mais aussi notamment la sédentarité ou le tabagisme.

[4] OCDE, Etat de santé dans l’Union européenne, Profil de santé de la Belgique, 2020 et 2021.

[5] IPES-Food, Alimentation et santé : décryptage. Un examen des pratiques, de l’économie politique et des rapports de force pour construire des systèmes alimentaires plus sains, rapport 2017.

[6] M. Ramel et al., Se nourrir lorsqu’on est pauvre. Analyse et ressenti de personnes en situation de précarité, Montreuil, ATD Quart Monde, 2016 ; A. Osinski, Joos Malfait et FdSS, L’expérience de l’aide alimentaire. Quelles alternatives ? Rapport d’une recherche en croisement des savoirs, Bruxelles, 2019 ; N. Darmon et A. Drewnowski, « Contribution of food prices and diet cost to socioeconomic disparities in diet quality and health: a systematic review and analysis », Nutrition reviews, vol. 73, no 10, 2015, p. 643-660

[7] Eurostat, 2019, Daily consumption of 5 portions or more of fruit and vegetable.

[8] V. Gorasso et al., « Health care costs and lost productivity costs related to excess weight in Belgium », BMC Public Health, vol. 22, no 1, 6 septembre 2022, p. 1693

[9] En plus de la santé, les impacts de l’alimentation sur l’environnement sont énormes, estimés comme supérieurs en coûts aux effets sur la santé. Cf. S. Hendricks et and al., The True Cost and True Price of Food, United Nations, 2021.

[10] P. Defeyt, « Les dépenses alimentaires des belges », Institut pour un développement durable, avril 2020, p. 14

[11] J. Boone-Heinonen et P. Gordon-Larsen, « Obesogenic Environments in Youth: Concepts and Methods from a Longitudinal National Sample », American Journal of Preventive Medicine, vol. 42, no 5, mai 2012, p. e37-e46 ; S. Vandevijvere et al., « The Cost of Diets According to Their Caloric Share of Ultraprocessed and Minimally Processed Foods in Belgium », Nutrients, vol. 12, no 9, Multidisciplinary Digital Publishing Institute, septembre 2020, p. 2787

[12] Un collectif de dizaines d’organisation se penche depuis 2 ans sur la proposition. Plus d’info sur : https://www.fian.be/+-Securite-sociale-de-l-alimentation-+?lang=fr

team better together

La psychologie positive, un levier pour la santé mentale

Le 3 Nov 22

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En cette période où les crises de différentes natures se succèdent sans se ressembler, nos capacités d’adaptation et de changement sont mises à rude épreuve. Entre espoirs d’innovation liés aux avancées de la recherche et sentiment d’impuissance face aux problèmes environnementaux, les réactions peuvent être vives et variées. Les recherches dans le champ de la psychologie positive ont mis en évidence plusieurs processus psychologiques sur lesquels il est possible d’agir afin d’aider les individus, les groupes et les institutions à avancer en direction de solutions constructives qui contribuent par là-même à maintenir une bonne santé mentale et relationnelle.

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La psychologie positive est une orientation relativement récente en psychologie qui propose d’étudier plus spécifiquement les facteurs protecteurs en santé mentale pouvant être développés en amont des problématiques et favoriser ainsi la capacité à faire face aux événements de vie et la résilience. Elle a ainsi été définie comme l’étude des conditions et des processus qui contribuent à l’épanouissement et au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions (1).

Réduire le biais de négativité par rapport à soi, aux autres et à l’existence

Nous avons une tendance naturelle à être davantage marqués par les aspects négatifs du quotidien et à nous remémorer ces événements le soir quand nous rentrons chez nous (2). Ce sont ces dimensions de notre quotidien qui vont aussi avoir tendance à tourner en boucle dans notre tête et nous empêcher d’orienter notre attention vers le moment présent et les personnes qui nous entourent. Or, plus nous ressassons ce qui nous dérange chez l’autre, ce que nous n’avons pas apprécié au travail ou un échec que nous avons essuyé, plus cela oriente notre attention vers d’autres aspects négatifs du quotidien, ce qui à son tour augmente les affects négatifs. On se retrouve alors embarqués dans une dynamique qui peut nous empêcher d’identifier les ressources en nous et autour de nous pour avancer de manière constructive.

Les recherches issues du champ de la psychologie positive ont expérimenté l’efficacité de pratiques permettant de réduire ce biais de négativité en apprenant à observer dans le quotidien d’autres aspects qui passent plus souvent inaperçus et que l’on a tendance à oublier rapidement : les éléments positifs et satisfaisants de la vie de tous les jours. Souvent, nous nous habituons rapidement à ce qui est positif ou agréable dans notre vie. Mais nous pouvons choisir de regarder à nouveau de plus près par exemple en réalisant un journal d’attention dans lequel on note chaque jour une ou plusieurs choses satisfaisantes qui se sont produites comme le fait d’avoir eu une conversation très intéressante avec un collègue ou d’avoir rencontré une personne chaleureuse qui a été à l’écoute. Ce type de pratique permet d’améliorer la satisfaction par rapport à la vie et diminuer les symptômes d’anxiété et de dépression (3). C’est l’un des processus qui permet de maintenir un équilibre psychologique.

Il existe également de nombreuses autres pratiques dont l’objectif est de développer une attitude bienveillante à l’égard de soi en diminuant la tendance à l’auto-critique répétitive négative. Au-delà du changement de regard que l’on porte sur soi grâce à ces pratiques, cela permet de diminuer la tendance à la procrastination et au sentiment d’impuissance face à la situation rencontrée. Cette forme de bienveillance envers soi représente un facteur protecteur important en santé mentale, comme nous avons pu l’observer pendant la période de pandémie auprès des parents (4) ou des étudiants par exemple (5). Développer de la compassion pour soi est aussi associé à de meilleures relations avec les autres, ce qui représente le facteur protecteur le plus important en santé mentale. Les interventions de psychologie positive ciblent ainsi spécifiquement des moyens de cultiver des relations constructives et permettre de développer des relations d’interdépendance positive (6).

Développer une culture de l’interdépendance positive

À une période où l’interdépendance a été au premier plan avec la situation de pandémie qui a mis en évidence de manière spectaculaire nos interdépendances à tous les niveaux : entre humains, avec les animaux, avec l’environnement, nous avons eu tendance à considérer que l’interdépendance était plutôt quelque chose de problématique. Toutefois, cette période a aussi révélé la possibilité de développer une interdépendance positive à travers des comportements solidaires qui ont été mis en œuvre, de nouvelles initiatives dans les villages, les quartiers, les immeubles pour aider les personnes âgées ou les personnes en difficulté pour faire leurs courses et prendre soin d’elles.

Durant cette période nous avons ainsi pris davantage conscience de l’importance de la qualité des relations avec les commerçants, les éboueurs, les voisins, les passants… En raison de la raréfaction des relations sociales en face à face, chaque interaction étant davantage valorisée. Nous avons davantage pris conscience des efforts de chacun, ce qui a pu faire émerger de la gratitude que l’on a pu exprimer envers les soignants en applaudissant le soir à 20h à la fenêtre. Cette expression de gratitude augmente le sentiment de proximité sociale et de confiance, un terreau favorable au développement de ce que l’on appelle l’interdépendance positive.

L’interdépendance positive est liée à la conscience que l’on partage un objectif commun et au fait de considérer que travailler ensemble est plus efficace et plus pertinent parce que l’on peut s’appuyer sur la richesse des différences et des complémentarités.

Cette relation est mutuellement bénéfique grâce au sentiment de lien social : chacun peut recevoir de l’aide sans se sentir inférieur, et peut à son tour apporter une contribution à d’autres à sa manière.

Dans le cadre d’une relation d’interdépendance positive, il s’agit de combiner les compétences complémentaires plutôt que de développer un esprit de compétition. L’idée de fond consiste à accepter que l’humain est incomplet, imparfait, mais que chacun possède des compétences pouvant être mises à profit dans le cadre d’un projet commun. Les recherches ont mis en évidence que la relation d’interdépendance positive offrait un contexte permettant de faire émerger le meilleur de chacun. Dans la relation, grâce au lien de confiance, cela permet d’accéder au mieux à ses compétences et qualités. De plus, le sentiment de proximité relationnelle modifie même la perception des difficultés qui sont alors davantage perçues comme un défi à relever plutôt que des menaces. Ce sentiment de lien social augmente également la vitalité et la persévérance.

Des chercheurs (7) avaient ainsi fait venir des participants au laboratoire en leur proposant de venir accompagné d’un ou une amie. Puis, soit cet ami restait dans la salle d’attente, soit elle entrait dans le laboratoire. Puis l’expérimentateur demandait au participant d’évaluer la raideur de la pente d’une colline. Les chercheurs ont alors observé que lorsque les participants étaient accompagnés d’un ami, ils percevaient la pente comme étant moins raide, comme si cela nous donnait l’impression d’avoir plus d’énergie et de ressources à disposition pour faire face à la situation.
Pourtant, nous vivons dans une société qui sur-valorise l’indépendance, souvent comprise comme le fait de montrer que l’on n’a pas besoin des autres. Il pourrait ainsi être utile de développer une culture de l’interdépendance dès le plus jeune âge. Des recherches dans le champ de l’éducation ont ainsi montré que l’interdépendance de moyens ou de buts augmente la motivation et l’engagement dans la tâche et ainsi la réussite scolaire.

Il existe aujourd’hui de nombreuses pratiques validées par la recherche pouvant contribuer au développement de relations d’interdépendance positive, notamment en favorisant le développement des compétences psychosociales, l’identification des forces et des complémentarités des individus à travers des pratiques de psychologie positive, ou encore grâce aux pratiques de pleine conscience, qui permettent de développer une plus grande ouverture à l’autre et peuvent faire émerger.

Les compétences psychosociales, ou compétences utiles à la vie, sont les ressources sociales (relation aux autres), affectives (émotions, vécu…) et cognitives (connaissances…) à mobiliser, de façon combinée et appropriée, face aux aléas de la vie (a) . Elles permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives (b).

Plus d’infos sur le sujet dans un prochain numéro d’Education Santé en 2023.

(a)https://(a) https://www.promotion-sante-normandie.org/_files/ugd/acc913_d53aa3e22d074f99afc9cdea94e01c37.pdf

(b) Santé publique France 2022

Pendant la période de confinement, avec un collectif de chercheurs et d’associations nous avons souhaité rendre ces outils accessibles pour développer des relations d’interdépendance positive à tous les niveaux dans le champ de l’éducation, à l’école et dans la famille. Vous pouvez retrouver ces outils sur le site https://covidailes.fr.

Pour aller plus loin

  • Shankland, R. (2019). La psychologie positive. 3e édition. Paris, France : Dunod.
  • Shankland, R. (2016). Les pouvoirs de la gratitude. Paris : Odile Jacob.

Rebecca Shankland est Professeure des Universités en psychologie du développement, Université Lumière Lyon 2

Références

(1)  Gable, S. L., & Haidt, J. (2005). What (and why) is positive psychology? Review of General Psychology, 9 (2), 103–110.

(2)  Baumeister, R. F., Bratslavsky, E., Finkenauer, C., & Vohs, K. D. (2001). Bad is stronger than good. Review of General Psychology, 5, 323–370.

(3)  Emmons, R.A., McCullough, M.E. (2003). Counting blessings versus burdens : an experimental investigation of gratitude and subjective well-being in daily life. Journal of Personality and Social Psychology, 84, 377-389.

(4)  Paucsik, M., Urbanowicz, A., Leys, C., Kotsou, I., Baeyens, C., & Shankland, R. (2021). Self-compassion and rumination type mediate the relation between mindfulness and parental burnout. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18, 8811. 

(5)  Paucsik, M., Leys, C., Marais, G., Baeyens, C., & Shankland, R. (2022). Self‐compassion and savoring buffer the impact of the first year of the COVID‐19 pandemic on PhD students’ mental health. Stress & Health. https://doi.org/10.1002/smi.3142.

(6)  Shankland, R., & André, C. (2020). Ces liens qui nous font vivre : Eloge de l’interdépendance. Paris : Odile Jacob. (7)  Schnall, S., Harber, K. D., Stefanucci, J. K., & Proffitt, D. R. (2008). Social Support and the Perception of Geographical Slant. Journal of experimental social psychology, 44(5), 1246–1255.

portrait enfant de dix ans sous la lumière regarde

Santé mentale: la parole aux jeunes

Le 24 Sep 22

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Le Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique de l’UNICEF montre qu’un grand nombre d’enfants hospitalisés en pédopsychiatrie ont d’abord cherché de l’aide dans leur milieu de vie mais ne l’ont pas toujours trouvée. Dans un contexte post-covid où la santé mentale des jeunes est plus que jamais fragilisée, une sensibilisation des professionnels de la santé et de l’éducation à cette question semble indispensable. Écouter les enfants, entendre leur souffrance, les orienter : beaucoup reste à faire en matière de prévention.

portrait enfant de dix ans sous la lumière regarde

Dans des sociétés de la performance portées par un désir d’invulnérabilité, la santé mentale demeure un tabou majeur. Cela est d’autant plus vrai s’agissant des enfants, que l’on se plaît parfois à percevoir comme imperméables à la souffrance psychique. Pourtant, les chiffres sont sans appel : selon les dernières estimations de l’UNICEF, plus de 16,3 % des jeunes âgés de 10 à 19 ans en Belgique sont atteints d’un trouble mental diagnostiqué selon les termes de la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé. Une réalité mal connue, difficile, inconfortable qui amène certains d’entre eux à voir s’interrompre le cours normal de leur vie pour un séjour à l’hôpital, lorsque les envies suicidaires, les troubles du spectre autistique ou les angoisses deviennent envahissants. Nul besoin de préciser qu’il faut ajouter à ce pourcentage les enfants qui n’ont pas été diagnostiqués, sans même parler de l’augmentation inévitable des troubles de santé mentale dans un contexte post-covid qui a brutalement bouleversé le quotidien des plus jeunes, favoriser l’isolement et l’exposition à des informations anxiogènes. « 54,8 % des enfants diagnostiqués sont touchés par des troubles anxieux », précise Maud Dominicy, auteure de l’étude et Advocacy Manager à UNICEF Belgique. « Et on ne parle pas seulement des adolescents, il y a aussi des petits, ce n’est pas une question de ‘crise d’adolescence’. » Les facteurs de risque pour la santé mentale que sont la violence et la pauvreté ont eux aussi été favorisés par la pandémie et les confinements successifs. Les facteurs protecteurs que sont une famille élargie soutenante, l’école et les loisirs ont été quant à eux moins présents. Le sujet est donc brûlant et mérite toute l’attention de la société et des pouvoirs publics.

Formuler des recommandations

En Belgique, selon le Guide vers une nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents, élaboré dans le cadre de la réforme des soins en santé mentale, « chaque enfant ou adolescent a droit à des soins en santé mentale à la mesure de ses besoins en termes d’accessibilité, d’implication, d’approche positive, d’expertise, de qualité et de continuité. L’efficacité et l’impact sur l’enfant et l’adolescent sont toujours pris en considération lors du choix des soins, qui sont de préférence offerts dans le milieu de vie et d’apprentissage. » L’UNICEF a voulu savoir ce qu’il en était dans les faits, sur le terrain, grâce à un travail de plus de deux ans mené auprès de 150 enfants et adolescents entre 6 et 17 ans hospitalisés en unités pédopsychiatriques de jour ou résidentielles. Une démarche qui s’inscrit dans le projet « What Do You Think ? » (Qu’en penses-tu ?), coordonné par UNICEF Belgique depuis 1999. « À chaque fois, nous sommes allés vers des jeunes en situation de vulnérabilité afin de mener des projets participatifs pendant des périodes de deux à trois ans, précise Maud Dominicy. Des enfants porteurs d’un handicap, touchés par la pauvreté, hospitalisés, en IPPJ, migrants et réfugiés… Tous ceux qu’on entend peu dans les structures participatives et dans le débat public en général. » Les avis des enfants ont été recueillis dans le cadre de débats en groupe, organisés en collaboration avec le personnel soignant et selon différentes modalités ludiques ou créatives (atelier peinture, chanson…) : il a été demandé aux jeunes de dégager des priorités, ce qui a permis de faire émerger une vision collective qui frappe par son ambition, son sens pratique et sa justesse. « C’est très bien d’avoir un cadre légal qui vise à axer les pratiques autour des besoins de l’enfant dans son milieu de vie, mais notre souci était de voir ce qu’il en était dans la pratique tout en remettant les enfants au centre : en tant qu’adultes, nous avons des tas d’idées sur ce qu’il faudrait faire mais, avec ce projet, nous voulions donner la parole aux principaux intéressés. » Les paroles recueillies, fortes et touchantes, donnent vie à ce rapport. Ici, c’est un garçon de 10 ans qui décrit le service de santé mentale de ses rêves comme une tente accrochée dans un arbre ; là, une jeune fille de 16 ans qui dit avoir découvert à l’hôpital qu’elle pouvait se faire des amis malgré ses « petites folies »…  

Faire entendre sa voix

« Notre objectif est vraiment de pouvoir relayer leur parole au plus haut niveau, précise Maud Dominicy, auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, un organe qui surveille au niveau mondial la mise en œuvre de la Convention des droits de l’enfant, y compris en Belgique, et qui remet lui-même des recommandations à l’État belge. Un tel rapport a donc un impact direct au niveau des politiques en Belgique mais pas seulement sur les ministres en charge de la santé. On relaie à tous les niveaux, car la prévention a lieu dans la famille, les quartiers, les lieux de loisir et surtout à l’école, donc on s’adresse à tous les niveaux de pouvoir. » Le premier message de ces jeunes semble évident, mais mérite d’être rappelé : ils demandent à être considérés d’abord comme des enfants, avec les mêmes envies que n’importe quel enfant et pas comme des patients, qu’on ne leur colle pas des étiquettes, qu’on ne les réduise pas à une identité psychiatrique. Trois recommandations principales se dégagent ensuite de ce rapport. La première concerne la participation : les enfants et les jeunes font part de leur souhait d’être impliqués dans toutes les décisions qui les concernent dans la société. Ils souhaitent qu’on les prenne davantage en considération et que les adultes cessent de discuter exclusivement entre eux, en particulier en ce qui concerne leur santé mentale. Car comme le prouve ce rapport, ils ont une voix à faire entendre, une expertise collective à valoriser.  

Trouver une oreille attentive

Le deuxième grand volet de recommandations concerne la prévention. « Ils veulent beaucoup plus de services de proximité au niveau de l’aide et de la prévention, commente Maud Dominicy. Ils aimeraient connaître les lieux qui existent dans leur quartier où ils peuvent obtenir de l’aide de qualité, gratuite, car bien souvent, ils ne savent pas vers qui se tourner. » Les jeunes évoquent aussi largement le tabou lié à la santé mentale, leur sentiment de ne pas pouvoir vraiment exprimer un malaise. « Beaucoup pensent que s’ils avaient seulement pu déposer une parole, ils ne seraient pas aujourd’hui hospitalisés, poursuit Maud Dominicy. Beaucoup ont cherché de l’aide mais ne l’ont pas trouvée. D’autres n’ont pas été entendus par les premières lignes à qui ils se sont adressés, médecins généralistes, psychologues ou enseignants. Ceux-ci n’ont pas pu apporter de réponse ou leur ont simplement conseillé de ‘mordre sur leur chique’, ce qui est assez interpellant… » Des enfants évoquent aussi le besoin d’un soutien apporté à leur famille, qu’il soit social, émotionnel et économique. « Certains ont aussi pointé les questions de violence domestique et rappelé les politiques à leur devoir d’un cadre légal contre la violence domestique à l’égard des enfants, qui n’existe toujours pas en Belgique. » Tous estiment que la sensibilisation aux problèmes de santé mentale devrait avoir lieu à l’école. « Ils donnent l’exemple de la visite médicale où la santé mentale n’est jamais abordée. De même, aller aux PMS reste stigmatisant : ils suggèrent donc que tout le monde devrait peut-être y aller afin que chacun soit sur un pied d’égalité… » Si l’école peut générer des problèmes de santé mentale (rapports de pouvoir, harcèlement scolaire, pression à la réussite…), on sait qu’elle est surtout un lieu de résilience et un facteur de protection pour les enfants qui rencontrent des difficultés psychiques. C’est pourquoi elle apparaît dans ce rapport comme le lieu où les enfants en souffrance pourraient/devraient trouver de l’aide. « Tous disent que l’hôpital doit être le dernier recours et tous font le lien entre le fait de ne pas avoir été aidé dans leur famille, quartier, école et leur situation actuelle », insiste Maud Dominicy. Une aide de première ligne que la réforme des soins en santé mentale pour les enfants et adolescents serait censée garantir… « Imaginez des enfants de 6 ans qui doivent rester parfois plusieurs mois dans une structure institutionnelle, privés de communiquer, de leur routine, de leurs parents, etc. L’admission en psychiatrie est toujours un arrachement. » Qui pourrait être évité dans bien des cas.

Plus de jeu, moins de cloisons

Le troisième volet des recommandations concerne le souhait d’une prise en charge adaptée. Globalement, le rapport montre que les enfants sont déjà extrêmement reconnaissants de la prise en charge qu’ils reçoivent dans les services de pédopsychiatrie. « C’est un point très positif car je pense que si l’on avait fait enquête il y a 10 ou 15 ans, on n’aurait pas eu les mêmes résultats, estime Maud Dominicy. En 2008, nous avions interrogé une cinquantaine d’enfants hospitalisés et nous avions été choqués de la situation des droits de l’enfant dans ces structures, mais depuis, le cadre a évolué au niveau légal, une réforme a eu lieu, un travail de plaidoyer, et aujourd’hui on observe une grande reconnaissance de la part des enfants, même s’ils rapportent aussi quelques cas problématiques avec tel ou tel soignant. » 

Parmi les très jeunes patients, beaucoup pointent le fait qu’ils ne comprennent tout simplement pas les questions qu’on leur pose en thérapie, qu’ils sont mal à l’aise avec l’expression par la parole peu adaptée à leur âge ou à leur problématique. Ils suggèrent des thérapies plus multiples et pourquoi pas plus ludiques… « Ils adorent tous jouer et disent tous qu’ils sont sous pression, que le temps de jeu n’est pas suffisant, pointe Maud Dominicy. Par rapport aux crises que nous traversons, le jeu est d’ailleurs clairement un facteur de protection : dans les crises humanitaires, la première chose qu’on fait est de remettre les enfants en jeu et à l’école car ce sont les premiers facteurs de résilience en termes de santé mentale, même quand le traumatisme est très fort, par exemple en situation de guerre et/ou dans le cas de la perte d’un proche. » Tous disent par ailleurs adorer l’école à l’hôpital… mais aimeraient que l’école ressemble aussi à ça à l’extérieur ! Ils pointent aussi le peu de communication avec l’école d’origine qui favorise les situations de décrochage et complique le retour à la vie « normale ».  

Tous les propos recueillis convergent en somme dans le sens d’un décloisonnement : qu’on autorise plus de contacts avec l’extérieur, qu’on cesse de ranger les individus dans des cases, dans des rôles, de séparer l’esprit et le corps, l’élève de l’enfant… Dans le sens, tout simplement, d’une plus grande ouverture et d’une plus grande disponibilité. « Quand on voit qu’un enfant ne va pas bien, il faut pouvoir être là au moins dix minutes avec suffisamment d’empathie… N’oublions pas que beaucoup d’enfants sont directement concernés mais n’oublions pas non plus qu’un enfant sur 4 vit avec un parent qui a un trouble de santé mentale, ce qui peut avoir des répercussions sur sa santé mentale à lui, rappelle Maud Dominicy. Pour que les enfants aillent bien, il faut aussi que les adultes puissent être aidés. » Une prévention qui passe en premier lieu par l’écoute et l’attention à l’autre, qu’on soit professionnel de la santé, de l’éducation ou simple citoyen.

GSM, Wifi… un hôpital déconnecté ? 

Le téléphone portable est au cœur de nos vies et plus encore au cœur de celles des adolescents. Même si l’on peut déplorer l’addiction qu’il génère chez certains, il est aussi devenu un outil de socialisation incontournable, qui permet à la fois de communiquer avec ses amis, de savoir ce qui se passe dans le monde, d’accéder à de la musique, à des séries, à des vidéos, etc. Au sein des unités pédopsychiatriques, son utilisation est régulée, une privation souvent mal vécue par les jeunes. « Dans certains établissements, la durée d’utilisation du GSM augmente en fonction des progrès thérapeutiques du jeune. Ces restrictions leur font bien sentir la particularité de leur situation », explique le rapport UNICEF. « On ne peut joindre les autres qu’en soirée. Ce n’est pas pareil que la vie réelle », commente un jeune. Dans les groupes de discussions, « on doit parfois attendre longtemps pour répondre aux messages des autres. On doit alors expliquer comment ça se fait. C’est difficile. » 

Plusieurs ados reconnaissent aussi l’ambiguïté du lien avec le GSM. « Un GSM peut inciter des personnes mal intentionnées à vous appeler pour sortir d’ici, explique un garçon de 14 ans. Je ne pense pas qu’on doit autoriser si facilement le GSM dans la chambre. Seulement pour les personnes qui ont atteint une certaine étape. Pour que ça soit motivant. » Au-delà du GSM, c’est l’accès au Wifi (tablettes, PC…) qui est souhaité par de nombreux jeunes. Pour certains, un accès accru à la « connexion » faciliterait grandement leur coopération au travail thérapeutique. « Tout le monde serait plus coopératif si on avait cette motivation. Tout le monde serait plus heureux. Si nous n’avons aucune motivation, pourquoi devrions-nous coopérer ? »

Hôpital animaux admis ? 

Qu’il s’agisse du cheval, du dauphin, du chien, le lien avec l’animal est utilisé depuis longtemps comme support à la thérapie. Mais paradoxalement, les enfants hospitalisés doivent vivre l’épreuve d’être séparé de leur animal de compagnie. Dans ce rapport, beaucoup d’enfants évoquent le crève-cœur que cela représente car l’animal leur apporte au quotidien une douceur et un réconfort physique qui leur permettent de mieux affronter leurs angoisses. « Les animaux me calment quand c’est difficile pour moi, et les animaux se calment aussi quand je suis calme. Les animaux connaissent bien les sentiments. Je caresse les animaux et ils sont calmes », explique un jeune garçon. Nombre d’enfants réclament que les hôpitaux autorisent la présence de ces animaux avec qui ils ont développé un lien de confiance et d’affection privilégié. Ils imaginent aussi une sorte de droit de visite pour les animaux de compagnie. Tous disent qu’un animal dans le groupe de vie « rendrait tout le monde heureux ».

« Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique », Rapport « What Do You Think ? », UNICEF Belgique, 2022.  

Télécharger le rapport : https://www.unicef.be/fr/projet-what-do-you-think-sante-mentale

a desperate african woman outside in street feeling anxious

La dépression: une réalité genrée

Le 26 Août 22

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Les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais en moins bonne santé ! Autrement dit, les femmes meurent en moyenne plus tard que les hommes mais elles souffrent davantage de maladies chroniques (qui peuvent se déclencher à différents stades de leur vie). Pourquoi cette différence ? Dans la prise en charge médicale des maladies, les femmes sont généralement plus suivies que les hommes, mais elles sont pourtant moins bien soignées que ces derniers… Dans ce contexte, les FPS vous proposent une étude d’éducation permanente féministe et intersectionnelle sur ce phénomène. On détricote la dépression chez les femmes au regard de la prévention !

Que doit-on savoir sur la dépression?

Ce n’est pas une déprime ou un « mal-être passager », c’est une maladie courante qui demande une prise en charge appropriée et ne doit pas être stigmatisée. Selon l’OMS1 , la dépression résulte d’une interaction complexe de facteurs sociaux, psychologiques (et/ou développementaux), environnementaux et biologiques (génétiques)2 . À noter que l’impact de chacun de ces facteurs varie d’une personne à une autre et, chez une même personne, évolue aussi en fonction d’évènements vécus au cours de la vie. Diagnostiquer un épisode dépressif reste difficile, car il en existe une diversité de formes cliniques, cela peut donc varier d’un·e patient·e à l’autre3 . En outre, dans certains contextes culturels, certaines personnes peuvent exprimer plus facilement leurs changements d’humeur sous la forme de symptômes corporels (par exemple, des douleurs particulières, une certaine fatigue, etc.).

La dépression chez les femmes et les hommes, ça dit quoi ?

Quel que soit le pays, la dépression touche deux fois plus de femmes que d’hommes. La dépression chez les femmes est aussi souvent plus sévère, plus précoce, avec des risques plus grands de rechutes, de tentatives de suicide ou d’aboutir à une maladie chronique. Au même titre que le chômage ou les ruptures conjugales par exemple, le fait d’être une femme est un facteur favorisant la dépression. Sans exclure totalement des facteurs biologiques, de nombreuses inégalités sociales pèsent dans cet écart.

Un paradoxe

Contrairement à ce qu’on peut penser, les troubles dépressifs concernent autant les femmes que les hommes. C’est en réalité la prise en charge de la maladie qui est inégale. Cela s’explique notamment par une méconnaissance des symptômes exprimés différemment par les hommes et les femmes mais aussi par un recours aux soins différent. Cette situation n’explique qu’en partie le sous-diagnostic chez les hommes et surtout, le sur-diagnostic chez les femmes. Il existe des facteurs de risques sociaux plus importants pour les femmes que pour les hommes. Nous en identifions cinq :

Les inégalités socio-économiques

Temps partiels, salaires inégaux, pensions moindres… la précarité économique des femmes est un fait bien établi aujourd’hui. Cette situation renforce les tabous et la stigmatisation autour des maladies mentales : honte ou culpabilité de ne pas jouir d’une certaine sécurité financière, sur-responsabilisation individuelle par rapport aux conditions de vie précaires, mécanismes d’auto-exclusion, mauvaise estime de soi…

Carla Marie Manly, psychologue clinicienne souligne : « quand on stresse à cause de ses finances, on peut devenir très anxieux, voire dépressif »4 . Si on compare les femmes entre elles, celles aux revenus les plus élevés ont 30 % moins de risques de dépression en comparaison aux autres catégories de revenus. Cela se constate aussi de manière générale : plus le niveau socio-économique est élevé, plus la fréquence des troubles dépressifs diminue.

D’autres études ont comparé des hommes et des femmes ayant le même âge, des études et des qualifications professionnelles similaires. Le résultat ? Les femmes ayant un salaire inférieur à celui des hommes étaient 2,5 fois plus touchées par la dépression que les hommes… Les inégalités de genre, qu’elles soient présentes dans le monde du travail ou dans un autre secteur ont donc des impacts notables sur la santé des femmes5 .

Violences : à la racine du mal(-être)

Dans le monde, 1 femme sur 3 subit des violences et ce nombre se multiple par 4 pour les femmes ayant un handicap6 . En réaction à la situation violente (quelle que soit sa forme), de nombreuses femmes peuvent connaitre des troubles du sommeil, de l’alimentation, des conduites addictives et des idées suicidaires. Ces symptômes de la dépression peuvent aussi révéler d’autres troubles comme le syndrome post-traumatique. Il existe 80 % de risques d’avoir un syndrome post-traumatique à la suite d’un viol (qui concerne majoritairement les femmes). Certains traumatismes peuvent durer une vie entière pour 13,8 % des femmes (contre 6 % des hommes dans la même situation).

La dépression est presque doublée chez les femmes lesbiennes ou bisexuelles (24 %) par rapport aux femmes hétérosexuelles (13 %)7 , et encore plus importante chez les personnes transgenres. Selon Estelle Depris, créatrice du podcast « Sans Blanc de rien »8 , les symptômes de troubles dépressifs sont présents chez un certain nombre de personnes racisées, qui s’expliquent par une estime de soi mise à mal, des troubles chroniques ou épisodiques de l’humeur et un affaiblissement physique global9.

De (très) nombreuses études montrent que les minorités vivant des discriminations répétées et quotidiennes sont touchées par la dépression, l’anxiété et des addictions, et sur le long terme, par des problèmes cardio-vasculaires et des cancers.

N’oublions pas que les violences peuvent soit être répétées au cours d’une même période, soit se répéter (et sous différentes formes) au cours d’une vie, ou encore s’accentuer en période de crise. En effet, tant dans l’espace public, numérique, que dans l’espace privé, les violences vécues par les femmes ont augmenté dès le début de la crise sanitaire en mars 2020, particulièrement lors des périodes de confinement10 .

Les normes de genre, défavorables à la santé mentale ?

Dès l’adolescence, les femmes sont incitées à atteindre des standards de féminité inatteignables qui impactent l’estime de soi. À l’âge adulte, ces injonctions sont étendues aux statuts de mère et d’épouse « parfaites » et aux « doubles journées ». Cela pousse à un rapport au corps négatif, à de l’anxiété, à un sentiment d’incapacité et de culpabilité, à un manque de confiance en soi et à des épisodes dépressifs précoces.

Certaines formes de la dépression sont particulières aux femmes dans le sens où elles sont liées à leurs conditions biologiques, c’est-à-dire qu’elles peuvent apparaitre durant la grossesse, l’accouchement, le post-partum et/ou le syndrome prémenstruel (la période avant les règles).

Comment oser parler de ce qui nous pèse, demander de l’aide lorsqu’on est censée être heureuse de devenir mère (la société tendant à idéaliser cette étape de la vie) ? Lorsque les proches comptent sur nous (et bien souvent sur personne d’autre) ? Comment exprimer son mal-être dans une société capitaliste valorisant la productivité à tout prix ?

La responsabilité incessante pour les soins d’autrui

Les femmes se trouvent souvent à la tête du soin à prodiguer, avec un manque cruel de soutien public ou familial, d’autant plus au sein des familles monoparentales. Selon l’OMS, c’est un facteur de risque qui affecte de manière disproportionnée les femmes, au même niveau que les violences sexistes et les inégalités de revenus11 .

Toutefois, ces inégalités ne seront pas prises en compte lorsqu’une dépression pointe le bout de son nez. Xavier Briffault, épidémiologiste et sociologue s’interroge : « Si une femme s’occupe seule de son enfant en bas âge la nuit, elle va pouvoir développer des troubles du sommeil qui entraînent une dépression très sévère. Le biologique est donc altéré, mais l’origine est sociale. Un médecin va-t-il analyser les rapports de pouvoir dans le couple pour expliquer cette dépression ? Les femmes se sentent alors non seulement mal, mais également responsables de leur état »12.

Catherine Markstein, médecin et fondatrice de l’ASBL Femmes et Santé, déplore cette situation : « En réponse à leurs plaintes [liées à une surcharge permanente], les médecins prescrivent trop souvent des anxiolytiques pour un problème social et culturel plus que véritablement individuel… »13 . En 2020, parmi les affilié·e·s Solidaris, 13,3 % des femmes ont consommé des antidépresseurs contre 7,3 % des hommes.

Vous reprendriez bien un peu de care ?

Autre exemple dans le care informel : les femmes constituent 85 % des aidant·e·s proches, âgées généralement de 35 à 64 ans, et qui assurent ces tâches en tant que mères, filles, belles-filles ou épouses/partenaires14 . Dans ce contexte, les aidantes proches souffrent davantage d’anxiété et de symptômes dépressifs que leurs homologues masculins15 . Durant la pandémie, leur santé mentale s’est dégradée, c’est-à-dire qu’une femme aidante sur deux s’est sentie plus dépressive pendant la crise sanitaire, à savoir 48,2 % d’entre elles pour 36,3 % des hommes. Ces dernières développent fréquemment des pathologies telles que des douleurs corporelles chroniques, des maladies cardio-vasculaires ou des risques de déclin cognitif en réaction à ce mal-être.

Ce terme désigne tous les métiers de soin à la personne. Les femmes constituent près de 80 % du personnel travaillant en hôpital, ce chiffre monte à 90 % dans les maisons de repos et les crèches. À titre d’exemple, Statbel comptabilise 98 % de femmes qui sont aides-soignantes à domicile, 91,8 % qui sont infirmières, 85 % qui sont psychologues16 et 96 % travaillant en titres-services (cela monte à 98 % pour les femmes d’origine immigrée à Bruxelles). Le secteur du care est fortement féminisé et précarisé en raison des conditions de travail difficiles (problèmes musculo-squelettiques, horaires inconfortables, etc.) et du revenu perçu. Ces conditions déjà précaires ont été exacerbées avec la pandémie de Covid-19, augmentant leur souffrance au quotidien. Une étude liégeoise menée par le psychiatre William Pitchot est sans appel : « Au cours des prochains mois, même chez les personnes qui, en apparence, se sont bien adaptées, on risque de voir apparaitre des épisodes de burn-out, des problèmes de trouble panique, des dépressions caractérisées, des états de stress post-traumatique ou des addictions. Le taux de suicide va vraisemblablement augmenter, à tout le moins on peut le craindre »17 .

Une dépression ne vient jamais seule

Les personnes ayant des troubles dépressifs ont 70 à 80 % de risque de développer des troubles anxieux. Le risque de suicide est multiplié par 30 au cours d’un épisode dépressif18 . Toutefois, la première cause de décès des personnes dépressives serait cardio-vasculaire. L’inverse est vrai : les personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires ont aussi un risque plus élevé de dépression. Ce n’est pas anodin lorsqu’on sait qu’en Belgique, la première cause de mortalité des femmes – toutes confondues – est déjà liée aux maladies cardio-vasculaires. Être femme et souffrir d’une dépression doubleraient donc potentiellement ce risque de mortalité.

Des coûts humains et financiers

Parmi les incapacités de travail, on trouve principalement les dépressions de longue durée et les burn-out, avec une augmentation de 39 % entre 2016 et 2020. Cela concerne 2/3 des femmes19 . Ces chiffres s’expliquent notamment par la non-reconnaissance de la pénibilité des secteurs majoritairement féminins et racisés (care, vente, etc.), l’insuffisance des politiques de prévention, la dévalorisation salariale et les impacts psychologiques des métiers ayant une grande charge émotionnelle ainsi que, finalement, la conciliation vie privée/vie professionnelle20 . L’OMS estime que le trouble dépressif caractérisé serait la maladie la plus coûteuse sur l’ensemble des maladies en termes de dépenses21 .

À quand un véritable investissement dans la prévention et la prise en charge de la dépression et des troubles de santé mentale ? Le bien-être de la population devrait être une variable prioritaire dans le calcul de croissance de notre pays. En chiffres, cela correspondrait à un véritable retour sur investissements : l’OMS a calculé que chaque dollar investi aux États-Unis dans un traitement élargi de la dépression et de l’anxiété donne un retour sur investissement de 5 dollars22 .

Quelles pistes de solution?

Les FPS ont aussi réfléchi à 7 points d’attention pour un système de santé plus inclusif. En voici 2 en termes de prévention.
⇒ Selon l’OMS, il a été démontré que les programmes de prévention réduisent la dépression23 . Il convient dès lors d’investir et donner sa place de choix à la prévention en :

  • enrayant l’insuffisance chronique des investissements en faveur de la promotion de la santé mentale, de la prévention et de l’éducation permanente (travaillant sur les tabous et les discriminations) ;
  • favorisant la multiplication des canaux, des outils et des publics-cibles de la prévention des troubles de santé mentale (et leur prise en charge précoce) : information et sensibilisation du grand public et des prestataires de soins via des campagnes médiatiques, des programmes scolaires (auprès des élèves et des parents) et de la formation 24, des approches communautaires, etc.

⇒ Partout où se trouve la lutte contre les inégalités fondées sur le genre se trouve la prévention des troubles mentaux. Prévenir les troubles mentaux, c’est donc continuer à lutter pour déconstruire les normes/modèles/schémas sexistes qui sont généralement en défaveur des femmes :

  • en ne banalisant plus la fatigue physique et l’épuisement mental lié à leur condition (issues des « doubles journées », des charges mentales domestique, émotionnelle, sexuelle, médicale, etc.) par des phrases telles que « ça passera », « ça ira mieux quand les enfants seront plus autonomes », etc.
  • en déconstruisant durablement les stéréotypes de la « femme superwoman », de la « nature des femmes, c’est de soigner », etc.
  • en luttant contre l’état d’alerte continuel qui les caractérise dès l’adolescence…

L’égalité, c’est bon pour la santé !

Les inégalités sociales sont des facteurs de risques de nombreuses maladies, pas seulement de la dépression. L’organisation de notre société a encore tendance à reproduire les inégalités dans tous les domaines, que ce soit la santé, l’accès au logement, au travail, à la citoyenneté, etc., mais ce sont pourtant ces facteurs, ces parties de notre vie qui influent sur le rétablissement. Les soins de santé n’en sont finalement qu’une petite part25 . La prévention durable de la dépression et d’autres maladies chroniques nécessite une approche globale dans tous les domaines politiques. Brecht Devleesschauwer, épidémiologiste belge, et Lisa Van Wilder, chercheuse belge en santé publique le soulignent : « en effet, la santé d’une population est principalement déterminée par le climat social et politique général, les inégalités sociales en matière de santé étant « le canari dans la mine de charbon ». C’est précisément là que des signaux d’alarme apparaissent »26 .

De manière globale, être dans une société plus égalitaire permet de réduire les problèmes de santé et d’augmenter le bien-être général de la population27 .
Finalement, lutter contre les inégalités, c’est lutter pour une meilleure santé.
Lutter contre les inégalités, c’est lutter pour un meilleur système de soins.
Lutter contre les inégalités, c’est lutter pour des politiques de santé nécessairement plus inclusives et féministes.

Notre nouvelle campagne sur la santé :

Les stéréotypes de genre, de sexe et les inégalités sociales sont présents tout au long du parcours de soins des femmes, affectant leur santé. Nous avons choisi 3 thématiques illustrant ces différentes étapes du parcours du soin, à savoir :
→ la prévention, au travers de l’exemple de la dépression,
→ la prise en charge, au travers de l’exemple des maladies cardio-vasculaires,
→ le traitement, au travers de l’exemple de la recherche médicale.

Retrouvez tous nos outils de campagne sur notre site internet : https://www.femmesprevoyantes.be/derniere-campagne-2-3/

Contacts: stephanie.jassogne@solidaris.be
fps@solidaris.be

  1. INSERM, « Troubles anxieux : quand l’anxiété devient pathologique », Article en ligne, 2021, https://bit.ly/3LJfcgw.
  2. COTTIN Eva, « Liens entre précarité et souffrance psychique », Analyse FPS, 2021, https://bit.ly/3rlR4Jc
  3. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir durablement », Article en ligne, 2019, https://bit.ly/3I49tQq
  4. BOND Casey, « Ce que cause le stress lié à l’argent sur votre corps et votre santé », Huffingtonpost, 2020, https://bit.ly/3ydKfNz
  5. Ibid.
  6. PAULUS Mai, « Femmes en situation de handicap : une double discrimination violente », Etude ASPH, 2020, https://bit.ly/3Io8Yk8
  7. SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, « Ampleur et impact sur la santé des discriminations et violences vécues par les personnes lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et trans (LGBT) en France », Synthèse du rapport, 2021, https://bit.ly/3saflSq
  8. Le podcast : https://spoti.fi/38M0SFo
  9. DEPRIS Estelle, « Trauma Racial : comment le racisme impacte la santé mentale », Analyse Bepax, 2020, pp. 15-19, https://bit.ly/3GLmxKb.
  10. VIERENDEEL Florence, « Covid-19 et violences faites aux femmes : quels impacts ? », Analyse FPS, 2020, https://bit.ly/3P8ezPY
  11. BERGE Jehanne, « Genre et santé mentale (2/3) : le cumul des violences », Les Grenades RTBF, 22 décembre 2020, https://bit.ly/3kxuI3k
  12. LEGRAND Manon, « La santé mentale inégale avec les femmes », Alter Echos n°429-430, 2016.
  13. BERGE Jehanne, « Genre et santé mentale (2/3)… », op.cit.
  14. Ibid.
  15. Ibid.
  16. JERECZEK Betty, « Pourquoi les femmes s’intéressent plus à la psychologie que les hommes ? », Huffingtonpost, 2021, https://bit.ly/3vCphGG
  17. LI V., « Le terrible impact psychologique de la pandémie sur les médecins et le personnel soignant », Médi-Sphère, 2020, https://www.medi-sphere.be/fr/actualites/covid-le-terrible-impact-de-la-pandemie-sur-les-medecins-et-le-personnel-soignant.html
  18. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir… », op.cit.
  19. WERNAERS Camille, « Accord sur le budget fédéral : quels effets sur les femmes ? », Les Grenades-RTBF, 2021, https://bit.ly/3Iw6NLt
  20. Ibid.
  21. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir… », op. cit.
  22. OMS, « Journée mondiale de la santé mentale 2020 », Campagne 2020, https://bit.ly/3pJluD1
  23. Ibid.
  24. CENTRE FÉDÉRAL D’EXPERTISE DES SOINS DE SANTÉ (KCE), « Soins de santé mentale : il est difficile de savoir si l’offre de soins répond à la demande », Communiqué de presse, 2019, https://bit.ly/38MHEzC
  25. COTTIN Eva, « Liens entre précarité et souffrance psychique », Analyse FPS, 2021, https://bit.ly/3rlR4Jc
  26. DEVLEESSCHAUWER Brecht et VAN WILDER Lisa, « Le fardeau des maladies chroniques », Santé Conjuguée, 2022, https://bit.ly/34VshTv
  27. PICKETT Kate et WILKINSON Richard, Pour vivre heureux, vivons égaux, éd. Les liens qui libèrent, coll. Poche, 2020.

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Des stratégies pour promouvoir la santé des Bruxellois∙es en contexte de pandémie 

Le 23 Mai 22

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En collaboration avec la COCOF, les Cabinets Maron-Trachte, le CBPS, Cultures & Santé, la FBPSanté, Question Santé et le Réseau Safe Ta Night

Dans cet article, nous décrivons brièvement un travail de recherche évaluative, menée fin 2021 en Région Bruxelles-Capitale, qui s’est penchée sur deux objets interreliés : une dynamique de concertation de crise, d’une part, et des projets et services mis en œuvre en réponse aux enjeux de la pandémie de COVID-19, d’autre part. Ce travail de recherche a pris la forme d’un recueil d’expériences1 qui est à découvrir sur le site du RESO : www.uclouvain.be/reso.

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« Stratégies concertées » ou pas ?

La dynamique de concertation de crise sera très vite désignée sous l’appellation de « stratégies concertées COVID bruxelloises », en référence aux stratégies concertées IST-VIH2 développées par un réseau d’acteur∙rices pour définir un cadre de référence commun au secteur de la prévention IST/hépatites/VIH. Ces stratégies concertées IST-VIH sont le résultat d’un travail d’élaboration de plusieurs années reposant sur la méthode de planification PRECEDE-PROCEED3. Il est important de préciser que la dynamique de concertation qui nous intéresse ici n’avait pas pour finalité d’élaborer un cadre de référence pour promouvoir la santé en contexte de pandémie et prévenir la propagation de la COVID-19. Nous préférons dès lors utiliser les termes de « dynamique de concertation de crise » pour marquer la démarcation avec les stratégies concertées IST-VIH.

Origine du recueil

A l’origine de la recherche, il y a une série d’acteur∙rices bruxellois∙es (détaillé∙es dans la liste ci-dessous) rassemblé∙es au sein d’un comité d’accompagnement (CA) et d’un comité de pilotage « promotion de la santé » (COPIL-PS) formés fin 2020. C’est à l’initiative de la COCOF et du Cabinet de la Secrétaire d’État et Ministre-Présidente Barbara Trachte que le CA voit le jour avec pour objectif de soutenir la mise en œuvre d’actions de promotion de la santé et de prévention de la COVID-19 à destination de publics aux besoins spécifiques ainsi que des actions de soutien aux professionnel∙les de la santé et du social en contact avec ces publics. Le COPIL-PS naît quant à lui du besoin des acteur∙rices de promotion de la santé participant au CA de se fédérer pour soutenir le déploiement de stratégies de promotion de la santé en contexte de pandémie.

Les premières réunions du CA sont mouvementées : la pression et l’urgence pèsent sur les discussions et le manque de perspective à moyen terme est déstabilisant. Pourtant les attentes sont grandes. Les difficultés ressenties ainsi que le caractère unique de l’expérience mettent en lumière la nécessité pour les membres du CA d’être soutenus pour tirer des leçons de cette expérience. Ainsi, quelques mois après la mise en place du CA et du COPIL-PS, le RESO (service universitaire de promotion de la santé situé à l’UCLouvain) rejoint la dynamique de concertation pour apporter ce soutien dans une démarche de recherche évaluative et participative.

Membres du CA et du COPIL-PS
CACommission communautaire française – COCOF
CACabinet de la Secrétaire d’État et Ministre-Présidente Barbara Trachte
CACrisis Manager COCOM
CALe Collège intermutualiste bruxellois représenté par les Mutualités Libres
CAOutbreak Support Team Belta
CAService de Prévention et d’Aide à la Jeunesse
CA & COPIL-PSCentre bruxellois de Promotion de la Santé – CBPS
CA & COPIL-PSCultures&Santé
CA & COPIL-PSFédération Bruxelloise de Promotion de la Santé
CA & COPIL-PSLes Pissenlits
CA & COPIL-PSQuestion Santé
CA & COPIL-PSRéseau Safe Ta Night : Ex-Aequo, Fédération Laïque des Centres de Planning Familial, Modus Vivendi et la Plateforme Prévention Sida

Démarches méthodologiques

La démarche évaluative a poursuivi deux objectifs, définis avec le COPIL-PS, la COCOF et la représentante du cabinet de la Ministre Barbara Trachte afin que ceux-ci répondent aux besoins des principales parties prenantes et contribuent à faire évoluer les travaux du CA et du COPIL-PS. Sur base de ces objectifs, le RESO a proposé deux démarches méthodologiques distinctes.

Le premier objectif de la recherche évaluative portait sur la mise en dialogue des parties prenantes du CA, ingrédient essentiel d’une concertation. Il s’agissait pour les membres du CA d’apprendre de cette expérience de concertation de crise. Au travers d’entretiens semi-directifs avec les parties prenantes du CA, nous avons cherché à clarifier le récit du CA – son histoire –, ses liens avec le contexte de pandémie, les caractéristiques du cadre de la concertation et ses effets. Compte tenu de l’importance pour le CA et le COPIL-PS de s’approprier pleinement les résultats de cette démarche, l’analyse des informations recueillies a fait l’objet de séances de délibération au sein du CA.

Le second objectif visait à mettre en lumière les projets et services mis en œuvre par certaines parties prenantes. Ces projets et services avaient de commun qu’ils reposaient sur des fondamentaux en promotion de la santé et qu’ils contribuaient à l’effort de prévention de la COVID-19. Au travers d’entretiens avec les chargé∙es de projet, nous avons cherché à capitaliser (c’est-à-dire passer de l’expérience aux connaissances) ces initiatives pour mettre en avant leurs particularités et intérêts en contexte de pandémie ainsi que leurs effets. Les résultats de ces analyses ont fait l’objet d’allers-retours entre les chercheuses et les chargé∙es de projet des structures impliquées.

Un recueil d’expériences en guise de rapport de recherche

Les résultats de cette recherche évaluative devaient, entre autres, permettre d’alimenter les réflexions en cours dans le cadre de la mise à jour du Plan Stratégique de Promotion de la Santé 2023-2027 et de l’élaboration du Plan Social-Santé Intégré pour la Région de Bruxelles-Capitale. A cette fin, le CA et le COPIL ont chacun formulé des recommandations qui sont à découvrir sur le site du RESO (www.uclouvain.be/reso).

Ils devaient également aider à visibiliser la pertinence des stratégies de promotion de la santé en contexte de pandémie. C’est dans cette optique que les résultats de la recherche ont pris la forme d’un recueil d’expériences qui montre comment les stratégies et principes de promotion de la santé ont contribué à répondre aux enjeux socio-sanitaires de la pandémie de COVID-19. Ce recueil ne prétend pas à l’exhaustivité ; de nombreux autres projets et services s’inscrivant dans cette démarche de promotion de la santé ont participé à lutter contre les iniquités en lien avec la pandémie. Le choix de se limiter à ces initiatives s’explique uniquement par le contexte de la réalisation de ce travail de recherche. 

La présentation de ces initiatives est structurée selon les stratégies dans lesquelles elles s’inscrivent. Pour définir ces stratégies, les chercheuses se sont basées sur des objectifs généraux et stratégiques proposés par la COCOF et retravaillés avec le COPIL-PS qu’elles ont croisés avec les travaux de chercheur∙euses canadien∙nes4,5. Ces dernier∙ères ont développé un cadre de préparation aux situations d’urgence de santé publique basé sur des valeurs communes à celles des démarches de promotion de la santé telles que l’équité.

A la suite de cet article, nous présentons brièvement ces stratégies et les initiatives capitalisées dans le cadre de ce travail de recherche.  

hands with speech balloon

Des stratégies et des initiatives en contexte de pandémie

  • Elaborer un plan d’action au moyen d’un processus de planification dynamique et collaboratif

En Région Bruxelles-Capitale, deux espaces de concertation multi-acteur·rices illustrent cet objectif général : il s’agit du CA et du COPIL-PS présentés ci-dessus. Cette double dynamique de concertation aura permis, d’une part, d’améliorer la capacité de ses membres à contribuer à la gestion de la crise et, d’autre part, de permettre une timide dissémination des stratégies de promotion de la santé dans les pratiques de gestion de la crise.

  • Etablir des liens, des partenariats et se baser sur des réseaux solides

Plusieurs organisations bruxelloises ont travaillé dans ce sens ce qui a permis une meilleure circulation de l’information, une réactivité plus rapide et plus importante, la fédération d’acteur·rices autour d’idées communes, ainsi qu’une amélioration de la capacité d’adaptation, de flexibilité et de résilience organisationnelle.

La FBPS, les Pissenlits et l’Observatoire du Sida et des Sexualités ont coordonné un projet de concertation rassemblant plus d’une trentaine d’acteur·rices œuvrant dans des démarches communautaires. Cette concertation aura permis, entre autres, de définir les apports des démarches communautaires en santé dans la lutte contre les inégalités sociales de santé, notamment en situation de pandémie. D’autre part, le réseau Safe Ta Night, composé de 4 associations – Modus Vivendi, la Plateforme Prévention Sida, Ex-Aequo et la Fédération Laïque des Centres de Planning Familia – est un réseau préexistant à la crise sanitaire qui s’est mobilisé pour cocréer des actions de Réduction des Risques en milieu festif, intégrant des messages de prévention de la COVID-19.

  • Comprendre les besoins et les ressources des communautés et générer des dynamiques locales

Plusieurs organisations ont eu recours à des analyses de situation (aussi appelées « diagnostic ») pour bien comprendre la nature de la problématique rencontrée par certains groupes en contexte de pandémie et identifier les leviers sur lesquels reposer leurs actions ou recommandations.

C’est le cas du CBPS qui s’est intéressé aux professionnel∙les relais (des secteurs social-santé) pour mieux comprendre l’impact de la COVID-19 sur leurs pratiques et aboutir, à la suite d’un processus participatif, à des recommandations pour une gestion de crise plus équitable. Le réseau Safe Ta Night a également réalisé un diagnostic en amont de la construction de son projet pour mieux comprendre les comportements à risque des « jeunes fêtard∙es » en contexte de pandémie. A la suite de cette étape, les partenaires ont élaboré, de manière participative, deux campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, renforcées par des actions d’outreach (démarche d’aller vers les publics). Un réseau de plusieurs AMO (service d’action en milieu ouvert) a également mené une étape de diagnostic communautaire qui a eu pour effet de créer une dynamique de mobilisation de jeunes, accompagnée par les AMO, qui a abouti à la création et à la diffusion d’une campagne centrée sur le thème de la liberté en contexte de pandémie, également renforcée par des actions d’outreach.

  • Soutenir les professionnel·les de la santé et du social

Durant la pandémie, les professionnel·les des secteurs de la santé et du social ont été particulièrement mobilisé·es en tant que relais des mesures de prévention de la COVID-19 auprès des usager∙ères des services sociaux et de santé. Rapidement, les acteur∙rices qui viennent en support à ces professionnel∙les ont identifié un besoin de renforcer les capacités des individus à gérer une situation de crise sanitaire.

Ce soutien a pris différentes formes. Cultures&Santé et Question Santé ont par exemple développé des outils pédagogiques sur des thématiques traitant de la COVID-19 (gestes barrières, vaccination, etc.) afin de soutenir les professionnel∙les relais à entrer en dialogue avec les personnes auprès desquelles iels interviennent. Ces outils ont été conçus pour rendre l’information accessible en tenant compte des niveaux de littératie en santé de la population. Ces acteur·rices, ainsi que le CBPS, ont également réalisé des séances de formation-sensibilisation et des intervisions avec les professionnel·les relais afin de les soutenir.

  • Apprendre et évaluer les processus et résultats

Les projets et services susmentionnés représentent des objets d’innovation dans le sens où ils se sont déployés dans un contexte nouveau et complexe. Il convient dès lors de créer une mémoire collective et de tirer les enseignements de cette expérience pour apprendre et s’adapter dans le futur. Tel que mentionné au début de cet article, cette démarche d’évaluation fut accompagnée par le service du RESO-UCLouvain, à la demande des membres du COPIL-PS et de l’administration de la COCOF. Les résultats de cette démarche ont été formalisés et sont proposés sous la forme d’un rapport intitulé « Promouvoir la santé en contexte de pandémie »1 et qui est disponible sur le site du RESO.

Pandémie et promotion de la santé

Les actions bruxelloises brièvement présentées ci-dessus ont en commun d’être fondées sur des valeurs et des stratégies dites de « promotion de la santé ». En sa qualité de stratégie de santé publique, la promotion de la santé est une composante essentielle d’une gestion de crise sanitaire (6). C’est ce que nous illustrons dans ce recueil de stratégies et d’actions concrètes que nous vous invitons à découvrir sur le site du RESO (www.uclouvain.be/reso).  

Références

  1. Rousseaux R. & Malengreaux S. (2022) Promouvoir la santé en contexte de pandémie – recueil d’expériences bruxelloises. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 34p. [cité le 11-05-22] Disponible sur : https://uclouvain.be/instituts-recherche/irss/reso/pandemie-et-promotion-de-la-sante.html
  2. Stratégies concertées IST-VIH. Observatoire du sida et des sexualités.  [cité le 11-05-22] Disponible sur : https://www.strategiesconcertees.be/
  3. Green L. & Kreuter M.W. (2005) Health program planning: An educational and ecological approach (4th ed.). New York: McGraw Hill.
  4. Khan Y., O’Sullivan T., Brown A.D., et al. (2018).  Public health emergency preparedness : a framework to promote resilience. BMC Public Health, 18:1344. https://doi.org/10.1186/s12889-018-6250-7
  5. Khan Y., Brown A.D., Gagliardi A.R., et al. (2019). Are we prepared ? The development of performance indicators for public health emergency preparedness using a modified Delphi approach. PLoS ONE, 14(12). https://doi.org/10.1371/journal.pone.0226489
  6. Scheen B., Aujoulat I., Lu pour vous : Stephan Van den Broucke, Why health promotion matters to the COVID-19 pandemic, and vice versa. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/ IRSS-RESO, 2020, 2 p. Disponible sur : https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/irss/reso/lu-pour-vous.html

four diverse male and female senior friends wearing face masks s

Vaccessible:
les actions de vaccination bruxelloises sous la loupe

Le 23 Mai 22

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À la demande de l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, l’UCLouvain (Sophie Thunus et Alexis Creten) et l’Université libre de Bruxelles (Céline Mahieu), dans le cadre du Brussels Studies Institute, ont réalisé une étude qualitative sur un ensemble d’initiatives de vaccination de proximité à Bruxelles.Sur la base du credo politique « nous ne laissons personne de côté », les chercheur.e.s ont examiné un certain nombre de projets et d’initiatives qui ont le même objectif : si les Bruxellois et Bruxelloises ne viennent pas aux centres de vaccination, les vaccins viendront à eux. En d’autres termes : si vous ne pouvez pas mobiliser certaines personnes, mobilisez les soins de santé.

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De quoi les publics ont-ils besoin ? Comment les acteurs professionnels de la santé et du social participent-ils à la sensibilisation ? Comment les dispositifs contribuent-ils à une approche adaptée à ces besoins ? Comment ces dispositifs sont-ils articulés ?  Ce sont les questions auxquelles l’étude tente de répondre en s’intéressant en particulier au sens que les publics et les professionnels donnent à leur action.

Face au débat souvent polarisé entre les pour ou contre la vaccination, cette étude laisse entrevoir des positions plus nuancées. En effet, les lectures qui assimilent telle ou telle catégorie de population à une attitude spécifique par rapport à la vaccination présentent le risque de pousser les personnes hésitantes à afficher plus de résistance.

Ni slogans commerciaux ni promesses politiques, mais de l’information. Ni jugement ni menace, mais des explications

Il ressort de l’étude que l’approche par catégories socio-démographiques (âge, sexe, quartier, niveau socio-économique), employée pour cibler les populations et évaluer les initiatives de vaccination, est contreproductive. Elle accentue les risques de stigmatisation de telle ou telle partie de la population : les jeunes, les habitants de tel quartier, etc. L’étude propose donc de passer d’une approche basée sur ces catégories à une approche fondée sur les besoins. Ceux-ci se résument en trois mots : l’accessibilité au système de santé, l’acceptabilité des outils de sensibilisation à la vaccination, et la confiance dans les prestataires de soins et dans la science elle-même.

Pour sortir d’une communication paternaliste et culpabilisante, l’étude préconise de mettre davantage l’accent sur une communication transparente, claire, et centrée sur la connaissance et la compréhension du coronavirus et du vaccin. Pour éviter que les populations ne se sentent instrumentalisées, les auteur·es suggèrent de remettre la santé publique et la promotion de la santé au cœur de la communication sur la vaccination.

Diversifier les dispositifs, mais les coordonner

Compte tenu de ces observations, les chercheur.e.s encouragent à préserver et à renforcer une offre diversifiée et comprenant : premièrement des grands centres pour une vaccination rapide, deuxièmement des lieux mobiles et pop-up dans l’espace public qui peuvent répondre aux questions des passants hésitants, et troisièmement des lieux où la vaccination est ouverte à la discussion car une relation de confiance existe ou peut se développer entre le prestataire de soins et le patient. Afin de résumer les caractéristiques principales de ces différentes initiatives, l’étude a identifié trois types de dispositifs de vaccination dénommé « l’invitation », « la proposition » et « la relation ».

Cependant, l’étude souligne un manque de coordination qui ne permet pas de tirer profit de la complémentarité de ces nombreuses initiatives. Celles-ci souffrent aussi de l’absence de perspective sur le long terme, ce qui contrarie les acteurs professionnels dans leur volonté d’ancrer la sensibilisation à la vaccination dans des enjeux de santé publique de long terme.

Impliquer les professionnels de la santé et du social comme de véritables acteurs, non de simples exécutants

Les acteurs professionnels ne sont pas de simples « intermédiaires » mais bien des « médiateurs » qui façonnent activement la stratégie vaccinale au travers de leurs recommandations et de leurs actions auprès de la population. L’étude a montré qu’au sein d’un même métier, il existe une hétérogénéité de représentations et de pratiques en matière de sensibilisation à la vaccination. En tenir compte permettrait une meilleure collaboration entre pouvoirs publics et professionnels. La plupart de ces derniers refusent en particulier de participer à des actions perçues comme trop contrôlantes ou réduisant la santé de leurs usagers à la vaccination. La confiance que ces acteurs professionnels ont construite avec leurs publics est en effet une ressource sur laquelle on peut s’appuyer pour déployer des actions plus proactives en matière de sensibilisation à la vaccination mais c’est aussi un rapport fragile, précieux.

Ces recommandations ne permettront pas de rallier tout le monde. Le credo « nous ne laissons personne derrière » n’est, pour ceux qui ont été laissés derrière pendant des générations, rien de plus qu’un appel vide de sens.  Pour eux, la confiance est un processus à long terme qui commence par une écoute réelle de ce qu’ils pensent.

Pour consulter le rapport, rendez-vous sur le site de la COCOM (www.ccc-gcc.brussels) > Observatoire de la Santé et du Social > publications > rapports externes > vaccessible.

Cet article est paru initialement sur le site de la Commission Communautaire Commune (COCOM), sous le titre « Vaccessible : une étude qualitative des actions locales de vaccination implémentées en Région de Bruxelles-Capitale face à la pandémie de coronavirus ». Nous remercions l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale pour leur aimable autorisation de reproduction.

OMS: des pistes pour enrayer la progression de l’obésité

Le 1 Juin 22

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Le nouveau Rapport sur l’obésité dans la Région européenne de l’OMS 2022, publié le 3 mai par le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe, révèle que les taux de surpoids et d’obésité ont atteint des proportions épidémiques dans toute la Région et continuent de grimper ; aucun des 53 États membres de la Région n’est actuellement en bonne voie d’atteindre l’un des objectifs mondiaux de l’OMS dans le domaine des maladies non transmissibles (MNT), à savoir enrayer la progression de l’obésité pour 2025.

De nouvelles données sur l’obésité et la surcharge pondérale

Ce rapport, lancé le 3 mai à l’occasion d’un événement pour la presse et présenté au Congrès européen sur l’obésité, révèle que dans la Région européenne, 59 % des adultes et près d’un enfant sur 3 (29 % des garçons et 27 % des filles) sont en surpoids ou obèses. La prévalence de l’obésité chez les adultes de la Région européenne est supérieure à celle de toutes les autres Régions de l’OMS, à l’exception des Amériques.

Le surpoids et l’obésité figurent parmi les principales causes de décès et d’invalidité dans la Région européenne. Selon des estimations récentes, ils seraient à l’origine de plus de 1,2 million de décès par an, ce qui correspond à plus de 13 % de la mortalité globale dans la Région.

L’obésité augmente le risque de contracter de nombreuses MNT (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète sucré de type 2, maladies respiratoires chroniques, etc.). Par exemple, l’obésité est considérée comme l’une des causes d’au moins 13 types de cancer et est probablement directement responsable d’au moins 200 000 nouveaux cas de cancer par an dans la Région, un chiffre qui devrait encore augmenter dans les prochaines années. Le surpoids et l’obésité sont également le principal facteur de risque d’invalidité, à l’origine de 7 % du nombre total d’années vécues avec une invalidité dans la Région.

Les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont touché de manière disproportionnée les personnes en surcharge pondérale ou obèses. La pandémie a entraîné des changements défavorables dans les habitudes de consommation alimentaire et d’activité physique, lesquels auront des effets sur la santé des populations dans les années à venir, et ne seront réversibles qu’au prix d’efforts considérables.

L’obésité en Europe, une « épidémie » qui se prolonge

Pour faire face à cette épidémie qui s’aggrave, ce rapport recommande une série d’interventions et d’options stratégiques que les États membres peuvent envisager pour prévenir et combattre l’obésité dans la Région, en mettant l’accent sur la nécessité de reconstruire en améliorant après la pandémie de COVID-19.

« L’obésité fait fi des frontières. En Europe et en Asie centrale, pas un seul pays ne remplira l’objectif d’arrêter la progression de l’obésité, qui est l’une des cibles mondiales de l’OMS en matière de MNT », a déclaré le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe. « Il existe une énorme diversité entre les pays de notre Région, mais ils sont tous confrontés à un certain degré de difficulté. En créant des environnements plus favorables, en promouvant les investissements et l’innovation dans le domaine de la santé, et en mettant en place des systèmes performants et résilients, nous pouvons modifier la trajectoire de l’obésité dans la Région. »

L’obésité n’est pas seulement un facteur de risque, mais aussi une maladie

L’obésité est une maladie complexe qui présente un risque pour la santé. Ses causes sont bien plus complexes que la simple combinaison d’une mauvaise alimentation et d’une inactivité physique. Ce rapport présente les bases factuelles les plus récentes, en soulignant à quel point la vulnérabilité à un surpoids corporel malsain aux premiers stades de la vie peut influencer la tendance à l’obésité d’une personne.

Des facteurs environnementaux propres à la vie dans les sociétés hautement informatisées de l’Europe moderne sont d’autres causes de l’obésité. Par exemple, le rapport analyse comment le marketing numérique de produits alimentaires peu sains auprès des enfants et la prolifération des jeux sédentaires en ligne contribuent à la vague croissante du surpoids et de l’obésité dans la Région européenne. Mais ce rapport examine aussi comment les outils numériques pourraient ouvrir des possibilités de promouvoir la santé et le bien-être et d’en discuter.

Quelles politiques les pays peuvent-ils adopter ?

La lutte contre l’obésité est fondamentale pour la concrétisation des objectifs de développement durable et constitue l’une des priorités reprises dans le Programme de travail européen 2020-2025 de l’OMS.

Le nouveau rapport de l’OMS décrit dans quelle mesure les politiques ciblant les déterminants environnementaux et commerciaux d’une mauvaise alimentation à l’échelle de toute la population sont susceptibles d’être les plus efficaces pour inverser l’évolution de l’épidémie d’obésité, en luttant contre les inégalités sur le plan diététique et en instaurant des systèmes alimentaires durables sur le plan environnemental.

L’obésité est un phénomène complexe, avec des déterminants et des conséquences sanitaires aux multiples facettes, ce qui signifie qu’aucune intervention ne peut, à elle seule, arrêter la progression de l’épidémie.

Toute politique nationale visant à résoudre les problèmes de surpoids et d’obésité doit être soutenue par un engagement politique à un haut niveau. Elle doit également être de grande envergure, atteindre les individus durant tout le parcours de vie et cibler les inégalités. Les efforts de prévention de l’obésité doivent prendre en compte les déterminants de la maladie au sens plus large, et les options stratégiques doivent s’éloigner des démarches centrées sur l’individu et s’attaquer aux facteurs structurels de l’obésité.

Le rapport de l’OMS relève quelques politiques spécifiques qui semblent prometteuses pour réduire les niveaux d’obésité et de surpoids :

  • l’application de mesures fiscales (telles que la taxation des boissons sucrées ou les subventions aux aliments sains) ;
  • des restrictions concernant le marketing de produits alimentaires peu sains auprès des enfants ;
  • un accès facilité aux services de prise en charge de l’obésité et du surpoids dans les services de soins primaires, dans le cadre de la couverture sanitaire universelle ;
  • des efforts pour améliorer l’alimentation et l’activité physique durant toute la vie, notamment par des soins administrés pendant la période préconceptionnelle et la grossesse, la promotion de l’allaitement au sein, la prise de mesures en milieu scolaire et les interventions visant à créer des environnements où les aliments sains et les possibilités de pratiquer une activité physique sont plus facilement accessibles et moins chers.

Cet article est issu du communiqué de presse, publié le 03/05/2022 (Coppenhague). Pour le consulter, ainsi que le rapport complet, rendez-vous sur le site de l’OMS Europe www.euro.who.int/fr > media center > press releases > 2022

diverse young friends laughing over drinks together in a bar

Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues

Le 27 Avr 22

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Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues sont un phénomène partiellement compris et sous-estimé. Comment alors les détecter, les prévenir et mieux soutenir les victimes ? Et plus largement, comment changer de paradigme et instaurer une culture du consentement ?

diverse young friends laughing over drinks together in a bar

La notion de violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues englobe à la fois la soumission chimique (par exemple administrer une drogue à une personne, à son insu ou sous la contrainte, pour faciliter un crime à son encontre) et la vulnérabilité chimique (comme l’état de vulnérabilité dans lequel se trouve une personne suite à une consommation volontaire de drogues, alcool compris)1 .

La consommation de drogues, qu’elle soit volontaire ou involontaire, modifie les comportements des victimes, affecte leurs perceptions et capacités à analyser les situations et leur dangerosité, prendre des décisions, se défendre, exprimer leur consentement ou leur non-consentement, et demander de l’aide. Elle peut mener à la perte de conscience et/ou à une amnésie temporaire ou permanente, selon le(s) produit(s) consommé(s) et certaines caractéristiques individuelles (corpulence, habitudes de consommation…). Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues induisent souvent un sentiment de vulnérabilité chez les personnes victimes. Il est dès lors fréquent que ces dernières ne rapportent pas les agressions sexuelles aux autorités ou le fasse tardivement ; or, plus le temps passe, moins les drogues utilisées sont détectables. Ce sentiment de vulnérabilité est de plus aggravé par la complexité administrative et la lenteur du système judiciaire, mais aussi par la crainte de ne pas être cru·e voire d’être blamé·e, en particulier dans les cas où les victimes ont consommé volontairement des drogues (Garcia et al, 2021 ; Anderson et al, 2017).

Nous n’avons qu’une compréhension partielle du phénomène, et les données disponibles actuellement montrent clairement une sous-estimation de la réalité. De plus, il est souvent difficile de distinguer les consommations volontaires et involontaires, notamment dans les contextes festifs, où les consommations récréatives sont courantes. Les données tendent à indiquer que la prévalence de crimes « d’opportunité » serait plus élevée que celle de crimes « proactifs » (voire prémédités), contrairement aux représentations qui circulent au sein de la société (Anderson et al, 2017).

GHB, « drogue du viol » ?

A dose normale, le GHB (et ses précurseurs) a un effet euphorisant, désinhibant et aphrodisiaque, similaire à celui de l’alcool. Mais en cas de forte dose ou de prise combinée d’alcool ou d’autres dépresseurs (benzodiazépines, barbituriques, etc.), son action est hypnotique (avec amnésie voire perte de conscience), et peut même entrainer des convulsions voire un coma (et dans les cas les plus sévères, le décès par dépression respiratoire). Les effets hypnotiques-désinhibants de cette substance en font une substance potentiellement dangereuse et son utilisation dans certains cas pour faciliter les agressions sexuelles explique qu’elle ait été baptisée « drogue du viol ». Néanmoins, la recherche épingle d’une part que les agressions sexuelles facilitées par la consommation de drogues sont plus souvent opportunistes, et d’autre part, que le GHB est beaucoup moins souvent détecté que l’alcool, les benzodiazépines et d’autres drogues (cannabis, MDMA, antidépresseurs).

Prévenir, détecter, soutenir

Certaines réactions et actions entendant lutter contre les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues tendent à se focaliser sur lesdites drogues et à les considérer comme le problème à régler. Les substances psychoactives sont toutefois un moyen mobilisé dans le cadre d’un crime. Le réel problème est la perpétuation de violences sexistes et sexuelles.

Il est dès lors nécessaire de mettre en place des dispositifs limitant les risques liés à la consommation (volontaire et involontaire) de drogues, en adaptant les lieux de rencontre et de fête. La lutte contre les violences repose aussi sur l’amélioration de nos connaissances et le renforcement des actions de prévention et de sensibilisation à la fois en matière de consommation de produits psychoactifs et de consentement. Il est également central d’améliorer l’aide et la prise en charge des personnes victimes par les services de soins et par les autorités publiques (police, justice) et d’encourager les victimes à porter plainte.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles reposera enfin et surtout sur une réelle politique de sensibilisation, de prévention et de lutte contre la culture du viol. Il est important que des animations d’éducation à la vie sexuelle et affective soient dispensées à toutes et tous et puissent aborder (avec une approche critique et de manière adaptée selon l’âge) les notions de genre et de consentement.

Pistes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles2

Adapter les environnement festifs (publics et privés)

  • Renforcer les dispositifs de prévention et de réduction des risques liés à la sexualité, aux violences et à la consommation de drogues (attention à son entourage, testing des produits, relax zone en cas de malaise ou bad trip, eau gratuite, personne référente en cas de harcèlement ou agression, etc.).
  • Mettre à disposition de l’information et du matériel de réduction des risques liés à la consommation de drogues (tableau des mélanges Trip Sit, pipettes GHB, etc.).
  • Sensibiliser et former le personnel de sécurité et de service (consommation de drogues, consentement, discriminations en raison du genre ou de l’orientation sexuelle, écoute et prise en charge des victimes, gestion des comportements violents, auto-défense verbale et physique, etc.).
  • Sensibiliser les publics festifs (stands, maraudes, etc.).
  • Mettre en place une ligne téléphonique ou un système interne de signalement ou d’urgence.
  • Encourager les personnes victimes, leur entourage et les témoins à intervenir ou à prévenir le personnel de sécurité.
  • Adresser des messages de sensibilisation (en faisant attention à ne pas faire porter la responsabilité sur les – potentielles – victimes).
  • Proposer un dispositif d’écoute et de soutien aux victimes tout au long du moment festif et après.

Prévenir les violences sexistes et sexuelles

  • Soutenir la recherche scientifique afin d’améliorer la compréhension du phénomène et adopter les stratégies de prévention et de santé publique les plus adaptées.
  • Promouvoir les normes sociales protégeant contre les violences (intervenir en tant que témoin, devenir allié·e3 ).
  • Enseigner les compétences participant à la prévention des violences (apprentissage socio-émotionnel, écoute active, empathie, sexualité saine et positive, compétences pour des relations amoureuses saines, etc.) tout au long de la vie et de manière adaptée selon l’âge.
  • Fournir des opportunités d’empouvoirement4 et de soutien aux femmes, minorités sexuelles et de genre, et aux jeunes filles.
  • Créer des environnements sécures (écoles, milieu professionnel, communauté…).
  • Soutenir les victimes afin de réduire les dommages sur leur santé physique et mentale.

Renforcer la réponse judiciaire

  • Elaborer, diffuser et garder à jour des directives et protocoles portant sur la prise en charge des crimes de violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues (prélèvement d’échantillons, examen clinique, analyse toxicologique, accompagnement non-jugeant, etc.)5 .
  • Améliorer la connaissance de la loi auprès des professionnel·les en contact avec les victimes.
  • Renforcer les moyens financiers et humains injectés dans l’application de la loi (prévention, accompagnement et soutien, examen clinique, enquête policière, poursuites judiciaires).
  • Améliorer et systématiser le prélèvement d’échantillons toxicologiques pour appuyer les enquêtes policières.
  • Lutter contre le sentiment d’impunité des auteur·es de crimes sexuels.
  • Dissuader les (potentiel.les) auteur·es en promouvant l’amélioration de la détection des drogues et de la réponse judiciaire.

Encourager le dépôt de plainte

  • Informer la population sur le phénomène afin d’améliorer la détection des violences et des cas de soumission chimique.
  • Encourager les victimes à chercher de l’aide au plus vite et à déposer plainte.
  • Lutter contre la crainte des victimes de ne pas être cru·es voire d’être blamé·es par les autorités pour leur consommation de drogues et/ou leur agression.
  • Améliorer la connaissance de la loi auprès de la population générale (i.e. le caractère criminel des violences sexuelles et de la soumission chimique, les obligations de la police lors du dépôt d’une plainte, etc.).

Soutenir les victimes

  • Renforcer les dispositifs d’aide et de soutien aux victimes de violences sexistes et sexuelles (par exemple, SOS Viol).
  • Améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes (non-jugement, explication des procédures…).
  • Améliorer la disponibilité et l’accessibilité de la prise en charge médicale d’urgence par un personnel formé.
  • Renforcer ou créer des unités policières et hospitalières spécialisées (par exemple, en Belgique, les Centres de Prévention des Violences sexuelles).
  • Former les professionnel·les en contact avec les victimes.

Changer de paradigme : la culture du consentement

Les violences sexistes et sexuelles s’ancrent dans un cadre social et culturel qui leur est favorable. Lutter efficacement et durablement contre celles-ci requiert de soutenir un réel changement de paradigme dont la visée est d’atteindre une culture du consentement. Au sein d’une culture reposant sur le consentement, la société et les individus qui la composent placent l’autonomie corporelle au centre de leurs valeurs et attitudes et considèrent qu’une personne est la mieux placée pour déterminer ses propres désirs et besoins. Une culture du consentement cherche à créer des solidarités et de l’empathie envers les victimes de violences sexistes et sexuelles6.

Elle ne marque pas la fin de la drague ni celle de la sexualité, mais encourage les relations saines et égalitaires basées sur la communication et l’enthousiasme. Elle ne promeut pas non plus l’abstentionnisme sexuel en cas de consommation de drogues, mais invite à adopter une attitude réflexive et attentive aux autres et à soi-même. La culture du consentement dépasse même la sexualité et s’applique à l’ensemble des interactions quotidiennes (partager une photo, prendre dans les bras, etc.).

Les vagues féministes successives, les mouvements LGBTQI+7 et intersectionnels, ainsi que les mouvements #metoo, #balancetonporc, et plus récemment #balancetonbar et #balancetonfolklore, ont participé à libérer la parole autour des violences sexistes et sexuelles, y compris en lien avec la consommation de drogues, à épingler certains dysfonctionnements de l’appareil judiciaire et à conscientiser à l’échelle de la société les mécanismes systémiques qui maintiennent les rapports de domination et les violences qu’ils impliquent.

Changer de paradigme et s’orienter vers une culture du consentement est un travail complexe et long, qui prend son appui sur la conduite de réelles discussions au sujet des stéréotypes de genre, de la sexualité, des rapports de domination, des violences et du consentement, mais aussi sur une opération préventive de fond et sur le long terme (des discriminations et violences sexistes, sexuelles, physiques, économiques, cyber, émotionnelles et institutionnelles) et l’affirmation des réponses législatives et judiciaires.

Qu’est-ce que la culture du viol ?

La culture du viol regroupe un ensemble d’attitudes et de croyances erronées, qui persistent cependant et sont largement transmises et diffusées au sein des sociétés hétéropatriarcales (c’est-à-dire les sociétés au sein desquelles le genre masculin et l’hétérosexualité dominent les autres genres et orientations sexuelles). Ces attitudes et croyances participent à dénier, justifier, minimiser et banaliser les agressions sexuelles, majoritairement commises par des hommes à l’encontre de femmes, voire à faire reposer la faute et la responsabilité sur les victimes (« la victime a bu de l’alcool/l’a bien cherché/est sortie seule/portait une jupe/a dragué son agresseur », etc.). Elles participent également à instaurer un tabou autour des agressions sexuelles dont les hommes sont victimes, et à perpétuer des représentations racistes et homophobes des sexualités et désirs masculins.

La culture du viol repose notamment sur la croyance selon laquelle les hommes sont des sujets désirants qui ne savent pas contrôler leurs « pulsions sexuelles », qu’ils sont par « nature des prédateurs sexuels », et que leur valeur dépend de leur capital de « virilité » et de « conquêtes sexuelles » ; et que les femmes sont des objets de désir auxquels il revient de « faire attention ». Les stéréotypes de genre masculin et féminin, hétéronormés, sont à la fois nocifs pour les individus (se plier à des normes incompatibles et irréalistes, voire en contradiction avec son identité) et à la vie en société (catégoriser les individus et discriminer celles et ceux qui n’entrent pas dans la norme, voire les sanctionner – notamment les personnes LGBTQI+). Faire reposer la responsabilité et la culpabilité sur les épaules des victimes est une violence supplémentaire et constitue un obstacle dans la libération de la parole, la recherche d’aide, le dépôt de plaintes et l’application de la loi. Il est essentiel de souligner que les victimes de violences ne sont en aucun cas responsables des agissements de leurs auteur·es.

Eurotox asbl est l’Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles. Pour découvrir ses actualités, ainsi que d’autres analyses, rendez-vous sur www.eurotox.org

Références

Anderson, L., Flynn, A. & Schumann, J. (2017). A global epidemiological perspective on the toxicology of drug-facilitated sexual assault: A systematic review. Journal of forensic and legal medicine. 47. 46-54.

Basile, K.C., DeGue, S., Jones, K., Freire, K., Dills, J., Smith, S.G., Raiford, J.L. (2016). STOP SV: A Technical Package to Prevent Sexual Violence. Atlanta, GA: National Center for Injury Prevention and Control, Centers for Disease Control and Prevention.

CEIP-A (2019). « Soumission chimique. Résultats de l’enquête 2019 ». Centre d’Evaluation et d’Information sur les Pharmacologie et d’Addictovigilance d’IDF. Document réalisé avec le soutien de l’ANSM. France : Paris.

EMCDDA (2008). “Sexual assaults facilitated by drugs or alcohol”. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Lisbon.

Fédération Canadienne des Étudiantes et Étudiants (2016). Une vision nationale pour une culture du consentement dans l’éducation post-secondaire.

García, M. G., Pérez-Cárceles, M. D., Osuna, E., & Legaz, I. (2021). Drug-facilitated sexual assault and other crimes: A systematic review by countries. Journal of forensic and legal medicine, 79, 102151.

Mabille, B. (2019). Les allié.e.s de la lutte antiraciste : Partie 1. BePax asbl. Analyse.

[1] Une étude menée en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a relevé que les agressions sexuelles représentent plus de la moitié (54%) des cas de soumissions chimiques identifiés. Les victimes de soumission chimique et de vulnérabilité chimique sont majoritairement des femmes, représentant respectivement 66% et 91% des cas (CEIP-A, 2019).

[2] EMCDDA (2008) et les revues de la littérature scientifique de Garcia et al, 2021 et Anderson et al, 2017. En ce qui concerne les stratégies de prévention des violences sexistes et sexuelles, voir Basile et al (2016).

[3] Les allié·es sont des personnes qui ne subissent pas une oppression (racisme, sexisme, homophobie, validisme, etc.) mais qui vont s’associer aux personnes qui en sont victimes pour combattre ensemble le système oppresseur (Mabille, 2019).

[4] Du terme anglais « empowerment », désigne le processus d’autonomisation par lequel une personne ou un groupe acquiert davantage de pouvoir d’action et de décision par rapport aux systèmes de domination qui l’oppressent, à son environnement et à sa vie.

[5] Voir par exemple la boîte à outils du National sexual violence resource center.

[6] Fédération Canadienne des Étudiantes et Étudiants (2016). Voir aussi la bande dessinée d’Emma « C’est pas bien, mais… ».

[7] Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Queer et Intersexes. Le signe « + » signifie que le sigle est inclusif de toute identité, orientation sexuelle ou comportements non-hétéronormés ou non-cisgenres.

father and brother with newborn child in icu bed

Limiter autant que possible
la séparation parents-nouveau-né

Le 27 Avr 22

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[Bruxelles, le 22 mars 2022] Les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre un nouveau-né et ses parents. Une séparation juste après la naissance peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant. Or il n’est pas rare qu’un nouveau-né – surtout s’il est prématuré – doive être hospitalisé en néonatologie pendant quelques jours ou semaines. Les recherches en psychologie du développement ont été à l’origine des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille » qui visent à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. Ces soins sont déjà proposés dans de nombreux hôpitaux belges, mais pas dans tous. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport qui analyse les modèles de soins de développement décrits dans la littérature et la manière dont ils pourraient être optimalisés en Belgique.

father and brother with newborn child in icu bed

Environ 120 000 bébés naissent chaque année en Belgique, et 12 % d’entre eux doivent être pris en charge en néonatologie, parfois pour quelques jours, mais parfois aussi pour plusieurs semaines. Les deux tiers sont des prématurés (c’est-à-dire qu’ils sont nés avant 37 semaines de grossesse) et les autres sont des bébés nés à terme mais qui nécessitent des soins intensifs pour d’autres causes (p. ex. une malformation congénitale).

L’attachement, un concept fondamental

Or, on le sait depuis les années 1950, les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre le nouveau-né et ses parents. Tout nouveau-né est biologiquement programmé pour rechercher la proximité physique d’un adulte qui réponde à son besoin de protection, et réciproquement, le bébé stimule ses parents à lui offrir proximité, tendresse et confort. Une séparation précoce du nouveau-né et de ses parents peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant, tant en termes de santé physique que de santé mentale.

Les soins de développement centrés sur le nouveau-né et sa famille

Le concept d’attachement a fait l’objet de très nombreuses recherches en psychologie développementale ces trente dernières années, pour mener au déploiement des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille ». Ces soins reposent sur un ensemble de principes visant tous à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. La forme probablement la mieux connue chez nous est le soin « peau à peau » aussi appelée « kangourou » qui consiste à positionner le nouveau-né nu, poitrine contre poitrine et peau contre peau, avec l’un des parents. L’Initiative Hôpital Amis des Bébés, qui a été introduite en Belgique par le SPF Santé publique pour encourager l’allaitement maternel, fait aussi partie de cette démarche.

Mais les soins de développement comprennent beaucoup d’autres dimensions, notamment permettre aux parents d’avoir accès à l’enfant 24h sur 24, les former à comprendre les signaux émis par leur enfant et à y répondre, les familiariser avec des soins potentiellement intimidants et les soutenir dans cette expérience émotionnellement fragilisante, etc.

Pour les soignants, les soins de développement sont très exigeants, car ils nécessitent énormément de temps et de précautions vis-à-vis de l’enfant, mais aussi d’attention et de disponibilité vis-à-vis des parents. Sans parler des nombreuses formations nécessaires pour se maintenir à jour, car les connaissances scientifiques évoluent rapidement dans ce domaine. 

Déjà bien présents dans les services de néonatologie belges, mais pas encore partout

Beaucoup d’hôpitaux belges proposent déjà les soins de développement dans leurs unités de néonatologie, mais c’est encore loin d’être le cas de tous. C’est pour cette raison que le KCE a réalisé l’étude publiée aujourd’hui. Quels sont les modèles de soins de développement décrits dans la littérature qui sont les plus valables ? Quelles sont les meilleures pratiques mises en œuvre dans d’autres pays pour réduire la séparation entre l’enfant et ses parents ?  Comment les parents vivent-ils une telle situation ? Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’expansion des soins de développement en Belgique ? Comment solutionner les problèmes identifiés ? L’accent a été mis dans ce rapport sur les nouveau-nés prématurés mais ces résultats sont bien sûr valables pour tous les bébés admis en soins néonatals, et ce tout particulièrement dans le contexte actuel de raccourcissement des durées de séjour des mamans en maternité.

Des recommandations à court et à long terme

Les recommandations du KCE portent à la fois sur le court et le long terme. C’est en effet un travail de longue haleine qui sera nécessaire pour favoriser la diffusion de cette philosophie dans les hôpitaux. Par exemple, c’est dès aujourd’hui qu’il faut repenser l’architecture des services néonatals pour y faire plus de place aux parents, ou objectiver la charge de travail des soignants afin de mieux définir le cadre du personnel nécessaire. C’est aussi maintenant, dans la foulée de la réforme des hôpitaux, qu’il faut clarifier le financement des unités néonatales intensives (NIC) et locales (N*) et des transferts entre elles.

Mais en attendant ces changements qui prendront du temps – et des moyens –, certaines mesures peuvent déjà être mises en place. Elles nécessiteront une certaine créativité pour pouvoir réduire au minimum la séparation entre les parents et leur enfant et prévoir pour eux des solutions d’accompagnement et d’hébergement. S’y ajoutent quelques recommandations qui dépassent le cadre strict de services de néonatologie et qui ont une portée plus sociétale, comme le renforcement des services d’aide aux familles à domicile ou la prolongation du congé de naissance pour les pères ou les co-parents dont l’enfant est hospitalisé à la naissance.

Retrouvez le rapport sur le site du KCE : https://kce.fgov.be/fr/limiter-autant-que-possible-la-séparation-parents-nouveau-né

Limiter autant que possible la séparation parents-nouveau-né 

Le 7 Avr 22

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[Bruxelles, le 22 mars 2022] Les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre un nouveau-né et ses parents. Une séparation juste après la naissance peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant. Or il n’est pas rare qu’un nouveau-né – surtout s’il est prématuré – doive être hospitalisé en néonatologie pendant quelques jours ou semaines. Les recherches en psychologie du développement ont été à l’origine des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille » qui visent à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. Ces soins sont déjà proposés dans de nombreux hôpitaux belges, mais pas dans tous. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport qui analyse les modèles de soins de développement décrits dans la littérature et la manière dont ils pourraient être optimalisés en Belgique.

Environ 120 000 bébés naissent chaque année en Belgique, et 12 % d’entre eux doivent être pris en charge en néonatologie, parfois pour quelques jours, mais parfois aussi pour plusieurs semaines. Les deux tiers sont des prématurés (c’est-à-dire qu’ils sont nés avant 37 semaines de grossesse) et les autres sont des bébés nés à terme mais qui nécessitent des soins intensifs pour d’autres causes (p. ex. une malformation congénitale).

L’attachement, un concept fondamental

Or, on le sait depuis les années 1950, les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre le nouveau-né et ses parents. Tout nouveau-né est biologiquement programmé pour rechercher la proximité physique d’un adulte qui réponde à son besoin de protection, et réciproquement, le bébé stimule ses parents à lui offrir proximité, tendresse et confort. Une séparation précoce du nouveau-né et de ses parents peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant, tant en termes de santé physique que de santé mentale.

Les soins de développement centrés sur le nouveau-né et sa famille

Le concept d’attachement a fait l’objet de très nombreuses recherches en psychologie développementale ces trente dernières années, pour mener au déploiement des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille ». Ces soins reposent sur un ensemble de principes visant tous à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. La forme probablement la mieux connue chez nous est le soin « peau à peau » aussi appelée « kangourou » qui consiste à positionner le nouveau-né nu, poitrine contre poitrine et peau contre peau, avec l’un des parents. L’Initiative Hôpital Amis des Bébés, qui a été introduite en Belgique par le SPF Santé publique pour encourager l’allaitement maternel, fait aussi partie de cette démarche.

Mais les soins de développement comprennent beaucoup d’autres dimensions, notamment permettre aux parents d’avoir accès à l’enfant 24h sur 24, les former à comprendre les signaux émis par leur enfant et à y répondre, les familiariser avec des soins potentiellement intimidants et les soutenir dans cette expérience émotionnellement fragilisante, etc.

Pour les soignants, les soins de développement sont très exigeants, car ils nécessitent énormément de temps et de précautions vis-à-vis de l’enfant, mais aussi d’attention et de disponibilité vis-à-vis des parents. Sans parler des nombreuses formations nécessaires pour se maintenir à jour, car les connaissances scientifiques évoluent rapidement dans ce domaine.

Déjà bien présents dans les services de néonatologie belges, mais pas encore partout

Beaucoup d’hôpitaux belges proposent déjà les soins de développement dans leurs unités de néonatologie, mais c’est encore loin d’être le cas de tous. C’est pour cette raison que le KCE a réalisé l’étude publiée aujourd’hui. Quels sont les modèles de soins de développement décrits dans la littérature qui sont les plus valables ? Quelles sont les meilleures pratiques mises en œuvre dans d’autres pays pour réduire la séparation entre l’enfant et ses parents ? Comment les parents vivent-ils une telle situation ? Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’expansion des soins de développement en Belgique ? Comment solutionner les problèmes identifiés ? L’accent a été mis dans ce rapport sur les nouveau-nés prématurés mais ces résultats sont bien sûr valables pour tous les bébés admis en soins néonatals, et ce tout particulièrement dans le contexte actuel de raccourcissement des durées de séjour des mamans en maternité.

Des recommandations à court et à long terme

Les recommandations du KCE portent à la fois sur le court et le long terme. C’est en effet un travail de longue haleine qui sera nécessaire pour favoriser la diffusion de cette philosophie dans les hôpitaux. Par exemple, c’est dès aujourd’hui qu’il faut repenser l’architecture des services néonatals pour y faire plus de place aux parents, ou objectiver la charge de travail des soignants afin de mieux définir le cadre du personnel nécessaire. C’est aussi maintenant, dans la foulée de la réforme des hôpitaux, qu’il faut clarifier le financement des unités néonatales intensives (NIC) et locales (N*) et des transferts entre elles.

Mais en attendant ces changements qui prendront du temps – et des moyens –, certaines mesures peuvent déjà être mises en place. Elles nécessiteront une certaine créativité pour pouvoir réduire au minimum la séparation entre les parents et leur enfant et prévoir pour eux des solutions d’accompagnement et d’hébergement. S’y ajoutent quelques recommandations qui dépassent le cadre strict de services de néonatologie et qui ont une portée plus sociétale, comme le renforcement des services d’aide aux familles à domicile ou la prolongation du congé de naissance pour les pères ou les co-parents dont l’enfant est hospitalisé à la naissance.

Pour accéder au dossier complet: Les soins de développement centrés sur l’enfant prématuré et sa famille en néonatologie – KCE (fgov.be)

happy diverse people together in the park

La promotion de la santé,
une exigence éthique pour la santé publique 

Le 24 Mar 22

Publié dans la catégorie :

La lutte contre l’épidémie de Covid-19 nous montre de manière cinglante que, sur le terrain de l’action en santé publique, les logiques de promotion de la santé sont bel et bien minoritaires. Pendant cette période de crise, la décision politique et sanitaire se base largement sur un modèle hygiéniste. Ce dernier s’est déployé comme si la promotion de la santé (appelée à devenir à ses origines une « nouvelle santé publique1 ») n’avait jamais existé, comme si tout un corpus d’enseignements n’avait pu franchir les murs des écoles, comme si un ensemble de pratiques menées depuis un demi-siècle à différentes échelles n’avaient pas démontré leur efficacité et été reconnues scientifiquement.

Faire face à une problématique complexe

À l’apparition du virus SARS-CoV-2, les gouvernements ont dû décider et agir dans l’urgence face à sa propagation exponentielle. Rivés sur des objectifs précis, les autorités souhaitaient absolument éviter un effondrement des services hospitaliers (donc le tri des malades) et une surmortalité causée par la Covid-19 directement observable. Avec un horizon brouillé par l’incertitude, avec le défi imposé par la présence de personnes porteuses asymptomatiques et par l’apparition de variants à la contagiosité croissante, le politique et les experts qui ont leurs oreilles, se sont appuyés sur deux piliers : la gestion du risque épidémique c’est-à-dire ici l’impératif de maîtriser le plus rapidement possible la propagation du virus souvent dans un esprit « quoi qu’il en coûte » et une forme de responsabilité morale c’est-à-dire résumer la question Covid-19 à une lutte du bien contre le mal légitimant des politiques de prescription, de restriction et de sanction. Dans cette optique, la pandémie est plus vue comme un obstacle à franchir que comme un phénomène complexe qui s’infiltre dans tous les domaines de la société et qui se nourrit d’un terreau socioculturel inégalitaire.

Des balises valorielles

En santé publique, il est souvent fait appel à 4 balises éthiques2 pour légitimer des mesures ou actions. Ainsi, celles-ci doivent être pensées et mises en œuvre : pour un mieux-être de la population (principe de bienfaisance), pour ne pas lui nuire (principe de non-malfaisance), dans la perspective de renforcer les capacités des individus de décider par eux-mêmes (principe d’autonomie) et dans une visée d’équité (principe de justice). Dans la pratique, on se rend très vite compte que ces principes entrent en tension. Il y a donc lieu de faire entrer d’autres critères pour réaliser les meilleurs arbitrages possibles.

James Childress3, par exemple, en propose 5 : la nécessité (est-ce que, dans les conditions données, l’action est incontournable ?), l’efficacité (est-ce que l’action produit le résultat attendu ?), la proportionnalité (est-ce que l’action, compte tenu des contraintes qui y sont associées, est justifiée par la situation et en rapport avec le résultat envisagé ?), le moindre mal (est-ce que la nuisance causée par l’action est plus faible que celle causée par l’inaction ou d’autres choix d’action ?) et la justification publique (les fondements sur lesquels l’action se base sont-ils énoncés de manière claire et transparente ?). Pour bien faire, l’évaluation de l’adéquation des mesures et actions doit approcher les enjeux de manière globale, et donc tenir compte d’effets indirects (la solution pour répondre à une problématique peut créer d’autres problèmes parfois plus graves sur d’autres terrains) et différés (les mesures choisies peuvent avoir des impacts à plus ou moins long terme).

Le modèle hégémonique en trois exemples

Le 17 mars 2020, la Première ministre Sophie Wilmès annonce le confinement généralisé de la population. Les écoles, lieux culturels et de loisirs ainsi que la plupart des magasins ferment. Les entreprises doivent pratiquer le télétravail, et chacun·e est sommé·e de rester chez soi sauf pour des déplacements jugés essentiels par les autorités. Tout contrevenant s’expose à des sanctions. La police est sur le qui-vive. Il s’agit là d’une limitation de libertés inédites depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est justifiée par le politique par la nécessité de limiter les contacts entre personnes afin de prendre le contrôle sur l’épidémie et de protéger les plus vulnérables face à un virus encore méconnu. Quelques semaines plus tard, la famille royale filmée par un drone est rassemblée sur l’immense pelouse de son palais pour encourager les Belges à tenir bon. Cette image empreinte de bons sentiments souligne avec ironie le caractère inégalitaire d’une mesure universelle ; entre celles et ceux qui peuvent jouir d’espaces intérieurs et extérieurs confortables et agréables, et d’autres cloîtré·es à plusieurs dans quelques mètres carrés sans accès direct à un coin de verdure4.

Cette assignation à résidence pendant plusieurs semaines entraîne inévitablement une série de répercussions néfastes sur la santé (anxiété, report de soins, épuisement émotionnel, violence domestique…) et ses déterminants (perte de revenus, isolement social, fracture numérique, décrochage scolaire…) et ce, de façon différenciée auprès des divers groupes de la population à court et à long terme. Même si quelques leviers d’atténuation des méfaits ont été activés par les exécutifs5, force est de constater que cette mesure d’hygiène prise pour le bien commun répond difficilement aux critères de non-nuisance, d’équité et d’autonomie. Dès lors, était-ce un mal nécessaire ? Était-ce une mesure proportionnée dans son rapport fin-moyens ?

La communication des pouvoirs publics joue un rôle central en vue de faire adhérer la population aux batteries de dispositions préventives qui sont prises. S’il y a parfois un réel souci d’expliquer et de donner du sens aux normes et recommandations, le ton est souvent paternaliste avec une série de ressorts utilisés qui ont la caractéristique de faire peser la responsabilité de la situation sur les épaules des individus. Pour dicter les comportements raisonnables, les autorités ont fortement joué sur les émotions, brandissant tantôt la menace (« La vague suivante approche, maîtrisez-vous ») tantôt la récompense (« Encore un dernier effort, la vie normale nous attend »). La culpabilisation a également été utilisée en rejetant le fardeau de mesures drastiques sur les personnes et leur conduite laxiste (« Le confinement est le résultat du non-respect des gestes barrières ») ou en pointant l’irresponsabilité de celles et ceux qui ne suivent pas le chemin tout indiqué (« C’est une épidémie de non-vaccinés »). Ne brave-t-on pas le principe d’autonomie quand on use allègrement d’un registre infantilisant ? Prendre une posture moralisatrice et donc disqualifiante vis-à-vis des « déviants » ne contribue-t-il pas à créer, au nom de la santé publique, un climat anxiogène et d’antagonismes nuisible pour la société ?

Décembre 2020, le vaccin arrive et constitue, pour les gouvernements, la clé pour sortir de la crise. Le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke répète alors que « la vaccination n’est pas imposée », que « la participation est volontaire » que « ceux qui ne veulent pas être vaccinés ont le droit de ne pas être vaccinés ». Il n’y a alors aucune intention de réclamer un certificat de vaccination pour accéder à des lieux ou événements publics. Moins d’une année plus tard, alors que la couverture vaccinale est plutôt bonne et qu’un rebond épidémique se profile, un pass sanitaire est exigé pour accéder aux restaurants, salles de sports, espaces culturels… Ce sésame est intitulé Covid Safe Ticket, supposant que les lieux qui l’exigent à l’entrée sont sûrs6. Si l’objectif avoué est de diminuer la circulation du virus tout en maintenant des secteurs d’activité ouverts, l’objectif sous-jacent est d’inciter, par la contrainte, les hésitants et résistants vaccinaux à franchir le pas7.

Certes, les gouvernements de notre pays font tout pour faciliter l’accès pour toutes et tous à l’outil de protection qu’est la vaccination, mais pour atteindre l’excellence vaccinale, leur stratégie semble être aussi de dresser des barrières face à celles et ceux qui n’adoptent pas le comportement attendu. Exclure sur ces fondements une part de la population d’une partie de la vie de la cité peut-il constituer un levier adéquat de santé collective ? La santé épidémiologique justifie-t-elle vraiment cette rupture d’égalité entre citoyen·nes ?

Ces mesures phares prises par les autorités ou les discours portés par celles-ci illustrent l’approche dominante, approche qui place les défenseurs des principes de promotion de la santé dans un profond inconfort. Car, au contraire de la moralisation qui occupe largement le terrain et qui bouscule les balises valorielles citées en début d’article, l’approche de promotion de la santé s’appuie sur ce que Philippe Lecorps8 appelle une responsabilité éthique.

S’adapter aux singularités

La promotion de la santé se veut une démarche éthique car intersubjective. Elle se joue sur le terrain de la rencontre et du dialogue. La promotion de la santé, c’est s’intéresser aux motivations des personnes et chercher le sens de leurs comportements pour créer et faire évoluer un ensemble de stratégies favorables à la santé. C’est donner des réponses adaptées aux réalités singulières des personnes, des réponses en phase avec leur situation, leur histoire et leurs valeurs, en étant conscient des contradictions qui les traversent. Lorsque la santé publique se borne à prescrire, restreindre et pénaliser, elle s’inscrit dans une logique d’ordre moral. En effet, les experts produisent en surplomb des normes qui permettent de rejoindre certains objectifs de santé et attendent en retour que la population s’y soumette sans sourciller.

Voilà ce qu’écrivait à ce propos Philippe Lecorps dans un article pour Éducation Santé en 2005 : « La santé publique appuyée sur l’expertise scientifique énonce les règles du vivre s’imposant comme guide moral. En revanche, la promotion de la santé rappelle qu’il ne s’agit pas seulement de vivre, mais plutôt d’exister, c’est-à-dire de trouver une manière propre d’être au monde9 ». L’action de promotion de la santé se passe indubitablement dans la proximité, à travers des démarches d’écoute, d’information, d’accompagnement, d’enrichissement des représentations, de renforcement des compétences afin que chacun et chacune puisse se réaliser en effectuant ses propres choix, en lien avec les personnes et l’environnement qui l’entourent. Elle renonce dès lors clairement à une visée de maîtrise totale des corps et des esprits.

Peser sur les structures profondes

Le deuxième axe à travers lequel la promotion de la santé soutient une exigence éthique, relève de la création de cadres de protection structurelle, la plaçant inévitablement dans le champ politique. La santé n’est plus ici une question individuelle et de comportements mais bien une question collective et de conditions soutenant l’autonomie des populations et permettant un « vivre ensemble plus juste ». La santé doit ainsi bénéficier de décisions politiques dans l’ensemble des secteurs de l’action publique. Dans ce sens, la promotion de la santé plaide pour que les environnements matériels, physiques, sociaux, culturels, administratifs, économiques soient davantage protecteurs et générateurs de santé et d’égalité. En ce qui concerne le contexte coronavirus, cela peut être, par exemple, un investissement massif pour assurer une aération optimale des locaux partagés ou la régularisation des personnes sans-papiers pour faciliter leur accès aux soins préventifs ; plus largement, une amélioration des conditions de travail, de logement, d’apprentissage, de mobilité, de l’accès aux services publics… mais aussi la création d’un climat social porteur basé sur la confiance mutuelle et la solidarité. Se préoccuper des déterminants structurels de la santé n’entraîne aucunement une déresponsabilisation des citoyen·nes.

Au contraire, chaque sujet, en promotion de la santé, est interrogé sur son rapport au monde et est encouragé à contribuer, par la réflexion, le plaidoyer voire la mobilisation, aux changements utiles pour sa santé et la santé collective. Ainsi, selon Philippe Lecorps et Jean-Bernard Paturet, la santé publique devrait « abandonner la position réductrice d’une mission de conversion » et « s’ouvrir à une dynamique beaucoup plus exaltante : inventer les conditions de possibilité politiques, sociales, économiques pour que s’articulent le bien commun et la reconnaissance du sujet, les aléas du désir et l’engagement citoyen10 ».

Nourrir la démocratie en santé

Le dernier axe qui sera souligné ici a trait à la participation démocratique, qui n’a pas eu la place qu’elle requiert dans la gestion politique d’une telle crise. C’est l’État dans sa verticalité qui s’est plutôt imposé, avec des mesures fortes, sans trop de marges d’ajustement, ayant peu fait l’objet de débats démocratiques. Par ailleurs, pour décider, le pouvoir politique s’est principalement appuyé sur l’expertise biomédicale, une expertise encore trop souvent déconnectée des réalités sociales. Si cette expertise scientifique est indispensable pour, entre autres, identifier des leviers prophylactiques, elle doit, pour parer une syndémie11, être associée non seulement à d’autres savoirs scientifiques (notamment les sciences humaines) mais aussi à une expertise issue des vécus à différents niveaux (professionnel·les, habitant·es, patient·es…).

La promotion de la santé en œuvrant à la reconnaissance des savoirs des citoyen·nes et de leurs capacités à participer aux décisions concernant leur santé offre justement une horizontalité, facteur d’adaptabilité, de confiance et d’efficacité. Bernadette Rousille et Jean-Pierre Deschamps vont plus loin en avançant que « ce n’est pas à l’expert, mais au citoyen (instances représentatives, conférences citoyennes, associations, communautés…) que revient de faire le nouage entre les finalités et l’action12 ». La participation est un élément cardinal de la responsabilité éthique dans le sens où elle remet en question des rapports de pouvoir (re)producteurs d’inégalités.

Dans cette pandémie, ce sont certaines catégories de population déjà touchées par des inégalités sociales et de santé qui ont été le plus impactées par le virus mais aussi et surtout par les dispositions indifférenciées prises pour contenir sa propagation13. Dès lors, le « décider avec les gens », y compris et surtout avec les catégories sociales qu’on entend peu ou pas, contribuera à une meilleure proportionnalité des actions que le « décider pour eux », parfois à leur détriment.

Agir autrement ?

En regardant le fil de la crise, deux questions viennent à l’esprit : aurions-nous pu faire autrement ? Qu’auraient pu produire sur les courbes de l’épidémie, la santé globale et le climat social, des mesures et actions basées sur une autre vision ? Il ne faut d’abord pas sous-estimer la difficulté d’organiser une politique de santé dans ces conditions inédites. Il est aussi utile de souligner que le contexte n’était au départ pas favorable pour le déploiement d’une approche fondée sur la responsabilité éthique. En effet, le pouvoir politique voit encore l’agir pour la santé essentiellement sous le prisme de la gestion de la maladie, est plutôt frileux quand il s’agit de soutenir des processus reposant sur la confiance et la participation, et investit insuffisamment en vue d’agir de manière coordonnée sur les facteurs sociaux déterminant la santé et les inégalités. Mais, des espoirs pour agir différemment à l’avenir existent ; car la crise a permis de fertiliser et de mettre en valeur de nombreuses initiatives citoyennes solidaires ainsi que les pratiques d’une multitude d’acteurs de proximité – d’ailleurs financés par les autorités publiques – œuvrant dans des logiques à la fois protectrices et émancipatrices : maisons médicales, associations communautaires, services sociaux, organisations de promotion de la santé…

Ces pratiques constituent une source inspirante à partir de laquelle l’ensemble des politiques de santé de demain devraient se penser afin que celles-ci deviennent plus justes et respectueuses de l’humain dans toute sa diversité et complexité. Il s’agirait alors de créer un modèle de santé publique plaçant au centre du jeu non plus une morale hygiéniste mais bien l’éthique, considérée non seulement comme un énoncé de valeurs mais aussi comme une démarche faisant l’objet de débats démocratiques14.

Bibliographie inspirante

CAMBON L., ALLA F. & RIDDE V., Santé publique : Pour l’empowerment plutôt que pour l’infantilisation, in : AOC Media, juillet 2020

CAMBON L., BERGERON H., CASTEL P., RIDDE V. & ALLA F., Quand la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 se fait sans la promotion de la santé, in : Global Health Promotion, Vol 28 (2), 2021, pp. 92-95

GAVARD-PERRET M.-L., N’GOALA & WILHELM M.-C., Covid 19 : Quand culpabilisation et infantilisation diminuent l’efficacité de l’appel à la responsabilité individuelle, in : Datacovid.org [en ligne]

GRAVEL S., DOUCET H., BATTAGLINI A., LAUDY D., BOUTHILLIER M.-È., BOUCHERON L. & FOURNIER M., Éthique et santé publique : Quelle place pour l’autonomie ?, in : Responsabilité sociale et éthique de la recherche, Vol 12, n°1, 2010, pp. 227-250

Comité d’éthique de santé publique (Commission de l’éthique en science en technologie), Cadre de réflexion sur les enjeux éthiques liés à la pandémie de Covid-19, Québec, 2020 [en ligne]

LECORPS P., Éthique et morale en promotion de la santé, in : Education Santé, Hors-série 1, 2005, pp. 9-14

LECORPS P. & PATURET J.-B., Santé publique du biopouvoir à la démocratie, Rennes, Editions de l’Ecole nationale de la santé publique, 1999, 186p.

PERETTI-WATEL P. & CHATEAUNEUF-MACLES A., Sociologie du risque et crises sanitaires : un éclairage sur la pandémie du coronavirus, in : SES.ens Ressources en sciences économiques et sociales, avril 2020 [en ligne]

PERETTI-WATEL P. & MOATTI J.-P., Le principe de prévention : Le culte de la santé et ses dérives, Paris, Le Seuil, 2009

PEZERIL C., Du Sida au Covid : Les leçons de la lutte contre le VIH, in : La vie des idées, octobre 2020 [en ligne]

ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, pp. 87-91

[1] La conférence qui fonde la promotion de la santé en 1986 à Ottawa était sous-titrée « Vers une nouvelle santé publique ». Les signataires de la charte d’Ottawa attribue alors à la promotion de la santé une visée émancipatrice en la définissant comme « le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et, d’améliorer celle-ci », (OMS, 1986).

[2] PERETTI-WATEL P. & MOATTI J.-P., Le principe de prévention : Le culte de la santé et ses dérives, Paris, Le Seuil, 2009, pp. 84-85.

[3] Ibid.

[4] Et sans possibilité de s’isoler en cas d’infection.

[5] Chômage temporaire, moratoire sur les faillites, interdiction d’expulsion domiciliaire…

[6] Car fréquentés uniquement par des personnes ayant été vaccinées, des personnes attestant d’un test de dépistage négatif et des personnes ayant eu la Covid-19 dans les 6 derniers mois. Cette dénomination fait notamment fi de l’efficacité relative des vaccins pour casser les chaînes de transmission.

[7] Plusieurs déclarations politiques l’ont laissé entendre.

[8] Philippe Lecorps est un ancien professeur à l’École des hautes études de santé publique (Rennes).

[9] LECORPS P., Ethique et morale en promotion de la santé, in : Education Santé, Hors-série 1, 2005.

[10] LECORPS P. & J.-B. PATURET, Santé publique du biopouvoir à la démocratie, Rennes, École nationale de santé publique, p.113.

[11] Une syndémie caractérise un entrelacement de maladies, de facteurs biologiques, sociaux et environnementaux qui, par leur synergie, aggravent les conséquences de ces maladies sur une population (Singer & Mendenhall, 2017). En fonction des niveaux sociaux des individus, de leurs âges et de leur situation géographique, le coronavirus frappe différemment (HORTON, 2020).

[12] ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, p. 91.

[13] REA A. & RACAPE J., Inégalités sociales et COVID-19, Communication au 24e Congrès des économistes, Bruxelles, novembre 2021.

[14] ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, p. 91.

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Santé mentale et lien social

Le 24 Fév 22

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De nombreux termes entrés dans notre vocabulaire ces deux dernières années traduisent un ébranlement dans notre rapport à l’autre : gestes barrières, distanciation sociale, distanciel. Lors du colloque organisé par le CRéSaM (Centre de Référence en Santé Mentale), dans le cadre de la semaine pour la santé mentale en octobre 2021, certains observateurs ont souligné que ceux-ci auraient pu être choisis plus judicieusement, en prenant en compte leur dimension symbolique. L’expression « gestes protecteurs » plutôt que « barrière » qui met l’emphase sur la solidarité plutôt que sur l’éloignement a notamment été évoquée. Toutefois, l’entrée de ces termes dans notre vocabulaire courant témoigne d’une situation inédite qui a vu se réduire, au gré des mesures sanitaires et de confinement, nos interactions sociales à leur expression minimale ; l’Autre étant potentiellement devenu source de danger, dans un contexte d’incertitude sans cesse renouvelée.

Rapidement après les premières mesures de confinement, de nombreux professionnels ont tiré la sonnette d’alarme, craignant les effets délétères de cette mise entre parenthèses de nos rapports sociaux sur la santé mentale de la population. En effet, cette période inédite (des confinements et des mesures restrictives pour endiguer l’épidémie) a vu croître les problématiques liées à la santé mentale : troubles anxieux, états dépressifs, troubles alimentaires… Une étude mondiale, parue début octobre 2021 dans The Lancet, montre que de manière générale les cas de dépression et d’anxiété ont augmenté de plus d’un quart dans le monde en 2020. L’augmentation de cas est chiffrée à 28% pour les troubles dépressifs majeurs et 26% pour les troubles anxieux1 . Un constat difficile, qui a amené certains acteurs professionnels à questionner et réinventer leurs pratiques.

C’est pour aborder ce lien ténu entre santé mentale et lien social que le CRéSaM a réuni un panel de représentants d’associations de terrain, dans le cadre de la semaine de la santé mentale en octobre 2021 : François Vilain (cofondateur de « la Bulle d’Oxy’GEM »), Stefania Marsella (chargée de projets à la Fédération des Maisons Médicales) et Stéphanie Adam (Psychiatre au Service de Santé Mentale d’Hermée à l’initiative du projet « La Croisée »). Un échange ponctué par les interventions croisées d’Anne-Françoise Janssen (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté), de Christine Vander Borght (Centre de Formation et de Supervision en Institution, Centre Chapelle-aux-Champs) et de François Wyngaerden (Institut de Recherche Santé et société, Faculté de Santé Publique, UCLouvain).

Santé (mentale) et lien social, de quoi parle-t-on ?

Avant de revenir sur les témoignages et échanges qui ont émaillé cette matinée, il convient de s’arrêter brièvement sur les définitions de santé mentale et de lien social.
La santé mentale est entendue comme « un état de bien-être dans lequel une personne est consciente de ses capacités, peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté » (OMS). En phase avec la définition large de la santé, cette définition de la santé mentale ne se limite donc pas à l’absence de maladie. Comme le précise Minds Genève, une association de promotion de la santé mentale suisse, « une personne avec un trouble psychique peut atteindre un bon niveau de santé mentale, et une personne sans trouble diagnostiqué peut expérimenter une grande souffrance psychologique »2 .

Le lien social désigne quant à lui « l’ensemble des relations qui unissent un individu aux autres et à la société, depuis la famille, les amis, jusqu’aux mécanismes institués de la solidarité »3 . C’est à travers lui que nous allons être capables de mobiliser des ressources affectives, matérielles informationnelles ou encore émotionnelles qui vont nous permettre de satisfaire nos besoins fondamentaux4 , voire de faire face aux difficultés de la vie. Nous allons pouvoir par exemple trouver du soutien et du réconfort, expérimenter la solidarité, mais aussi, éprouver un sentiment d’appartenance au groupe et de reconnaissance, qui vont nous permettre de nous sentir intégrés dans la société. C’est donc à travers nos interactions, petites ou grandes, nos rituels partagés, nos échanges quotidiens que (se) vit ce lien social.

L’impact du lien social sur la santé

Le lien social semble jouer un rôle particulièrement déterminant sur la santé, et a fortiori la santé mentale. L’Observatoire de la Santé du Hainaut, dans son analyse de la littérature5 sur les liens complexes entre santé et lien social en période de pandémie, met en exergue plusieurs études qui viennent confirmer cette hypothèse. Ainsi au niveau de la santé, de manière globale :

• L’absence (ou la perte) du lien social a été associée

à une augmentation de la pression artérielle et du cholestérol

à une activation des mécanismes de stress psychique et psychologique ;

à une augmentation des maladies cardiovasculaires ;

à une altération importante du système immunitaire qui reste une protection importante contre les maladies les plus létales.

• L’isolement relationnel s’avère significativement associé à un moindre recours aux soins.

Pour la santé mentale plus particulièrement, la synthèse pointe entre autres que :

• les contacts entre les personnes pourraient jouer le rôle de facteurs protecteurs contre le risque de dépression ;
• le réseau relationnel procurerait avant tout un soutien permettant de modérer le stress suscité par certains événements ou situations ;
• le mécanisme d’isolement social agit de manière directe mais également de manière rétroactive pour entretenir et augmenter l’impact sur la santé mentale. Autrement dit, « les personnes isolées sont plus fréquemment sujettes aux troubles psychiques comme la dépression, et les personnes vivant avec des troubles psychiques sont plus souvent isolées »6.

Crise sanitaire et renforcement des inégalités

Nous n’avons pas tous vécu cette crise sanitaire de la même manière : selon que nous ayons été entourés ou non, que nous disposions ou pas d’un logement confortable et suffisamment spacieux, d’une certaine stabilité financière ou a contrario que nous connaissions une situation précaire, certains d’entre nous se sont trouvés davantage vulnérabilisés. Si la crise sanitaire a profondément affecté le lien social, elle a aussi souvent joué le rôle de révélateur de situations d’isolement social et d’inégalités pré-existantes7 . Ainsi, Anne-Françoise Janssen (RWLP) témoigne de la situation des personnes qui vivent dans la pauvreté : « elles étaient déjà fragilisées bien avant le covid et l’ont été davantage pendant. Tous les lieux de lien social qui sont des lieux « inconditionnels » sont des choses qui n’existent plus actuellement puisque toute démarche impose de répondre à une série de conditions pour pouvoir y avoir accès. Cela souligne l’importance de tels lieux car on ne voit que trop comment, pour les personnes vivant la pauvreté, cette désaffiliation sociale fait des dégâts (…). Ce qui ressort d’une vie dans la pauvreté, c’est une vie dans un isolement social ». Et d’illustrer : «au moment du covid, une jeune militante témoin du vécu a fait un texte qui s’appelle « vie appauvrie, vie confinée » faisant le parallélisme entre ce que tout un chacun a vécu au moment de la pandémie en termes de privations et (de manque) d’accès au lien social et ce qu’est une vie dans la pauvreté où, finalement, c’est le quotidien ».

Notre interlocutrice invite donc à être attentifs à l’écueil de la « psychiatrisation du social ». Elle précise : « on parle beaucoup de santé mentale, conséquences, description des symptômes, souffrance psychique (…). Mais je pense qu’il y a aussi à se questionner sur les conditions de vie des personnes au départ. Comment les personnes qui vivent dans la pauvreté ont-elles accès à un logement décent, à un revenu… ? ». Logement, emploi, accès aux droits sociaux sont autant de domaines qui ont été fortement impactés par la crise sanitaire. Ainsi, parmi les organisations de lutte contre la pauvreté, 80% ont vu leur public augmenter durant cette période8. Les trois-quarts de ces institutions pointent par ailleurs la solitude comme la problématique s’étant le plus aggravée. Presque la moitié d’entre elles témoignent d’un impact important sur la santé mentale de leur public. Pour les personnes en proie à des difficultés quotidiennes pour satisfaire des besoins pourtant bien essentiels, il parait en effet difficile de mobiliser des ressources pour « aller bien ». Un constat corroboré par l’association de promotion de la santé mentale Minds Genève qui rappelle que « les inégalités sociales sont associées à un risque accru de souffrir d’un trouble mental ». Et précise : « en mettant en place des mesures pour améliorer les conditions de vie à tous les âges, on peut à la fois améliorer la santé mentale de la population et réduire les risques liés aux inégalités sociales »9.

Des initiatives de terrain

Au cœur de cette matinée d’échanges, quelques questions ont balisé la réflexion : quels liens se sont renforcés ou créés, entre des lieux dits de “socialisation” et des espaces dédiés aux soins de santé mentale ? Quelle posture les intervenants sont-ils amenés à adopter dans ces dispositifs, et quelle place les usagers et leurs proches peuvent-ils prendre ? D’autres acteurs sont-ils amenés à investir ces dispositifs ? Avec quels enjeux et quels défis ?

En associant dispositifs thérapeutiques et renforcement du lien social, approche individuelle et collective, ces initiatives s’appuient sur des leviers d’actions éprouvés par le champ de la promotion de la santé. Elles se basent d’abord sur l’action communautaire, c’est-à-dire qu’elles visent la participation concrète de la communauté à laquelle elles s’adressent, que ce soit à la fixation des objectifs, à la prise de décision et la co-construction du projet. Se faisant, cette démarche contribue à développer les compétences psychosociales des membres de la communauté : s’exprimer en public, coopérer, construire un argumentaire… sont autant de compétences qui vont permettre à chacun de s’adapter à son environnement et de renforcer son pouvoir d’agir.
Le terrain d’action privilégié des projets mis en exergue est celui des « milieux de vie ». Par-là, il faut entendre, les espaces où les individus vivent, travaillent, se divertissent et interagissent entre eux. Ces espaces influencent les personnes qui les traversent, de la même manière que ces dernières les façonnent à leur tour, de sorte que l’on peut parler d’une relation d’interdépendance. En axant leurs interventions sur les milieux de vie et en créant des environnements favorables au développement des interactions sociales, ces initiatives visent in fine à soutenir positivement les comportements de ceux qui les habitent.

« Les maisons médicales et l’offre communautaire de santé (mentale) »

Dans les maisons médicales, la porte d’entrée est souvent celle du médecin généraliste, que le patient consulte pour des troubles somatiques ou des difficultés sur le plan psychique. C’est la santé au sens large qui guide les pratiques, comme le précise Stefania Marsella : « c’est un état de bien-être que l’on va soutenir, entre autres via les consultations individuelles et dans des espaces collectifs ».

Conscientes que le lien social est un déterminant de santé majeur, les équipes des maisons médicales réalisent en effet, outre leurs missions de 1ère ligne, des activités dites « non-curatives ». Elles prennent la forme d’actions communautaires en promotion de la santé, en prévention et en éducation à la santé, qui s’adressent à leur public cible sur base d’un diagnostic communautaire, « c’est à dire que l’on essaie d’identifier des problématiques communes, des besoins, des demandes et on essaie d’y répondre par des dispositifs collectifs », complète notre interlocutrice.

Dans ces espaces, la thématique est parfois un prétexte pour créer du lien. Ainsi, un cours de cuisine vise autant à aborder l’alimentation qu’à cultiver ce lien. Et Stefania Marsella précise : « l’idée est que les personnes puissent s’approprier leur santé et puissent la nourrir autrement dans des espaces où ils sont en lien avec d’autres. On va porter une attention particulière aux personnes fragilisées socialement. Le fait de cette proximité en maison médicale va favoriser l’accès à ces espaces dans lesquels des liens peuvent se créer. »

Christine Vander Borght parle de la notion de narrativité comme d’une notion qui fait sens, à savoir « la manière dont chacun d’entre nous racontons et construisons notre vie ». Et de préciser : « ces groupes, ce sont vraiment des supports pour parler de soi différemment, pour apprendre et échanger. Apprendre sur soi-même, mais aussi apprendre des autres ».

« La Croisée à Herstal : un espace de convivialité inconditionnel né pendant le confinement, ouvert à tout citoyen désireux de bénéficier d’un moment de partage, de bienveillance, d’échange, d’accueil »

Pour le Service de Santé Mentale d’Hermée, dans l’arrondissement de Liège, la question de l’articulation entre pratiques cliniques et lien social n’est pas neuve. « L’épisode covid a été une occasion de mettre en place des choses qu’on avait en tête depuis de nombreuses années10. Cela a permis un coup d’arrêt qui nous a donné du temps pour mettre en place ce genre de choses, ça a plutôt été un catalyseur » relate Stéphanie Adam.

Le projet « Sortez couverts » est né de cette opportunité fortuite. Partant du constat que les personnes âgées dans les structures de leur institution ne disposaient pas de masques, quelques professionnels se sont mis en tête de les produire eux-mêmes. De fil en aiguille, d’autres – usagers, proches, professionnels – les ont rejoints, chacun avec leurs compétences et leurs expériences pour rendre ce projet possible. Un défi de taille, au moment où la Belgique vivait son premier confinement. Comment trouver des élastiques ? Du tissu ? Puis comment coud-on des masques ? Mais un défi relevé haut la main, puisque ce ne sont pas moins de 11.000 masques qui ont été réalisés et distribués à une dizaine d’associations. Forts du succès de cette expérience, le groupe nouvellement formé a continué sur sa lancée solidaire auprès des personnes sans-abris et, plus tard, des personnes sinistrées lors des inondations. Les prescrits sanitaires s’allégeant, le groupe a décidé d’investir le hall d’un bâtiment appartenant à l’organisation et a été rejoint dans cette aventure par d’autres groupements locaux et associations. C’est ce lieu qui est devenu « La Croisée », un espace qui permet à celui ou celle qui le souhaite de faire une pause dans un environnement favorisant la proximité et l’échange entre différents acteurs, qu’ils soient citoyens, usagers en santé mentale, soignants ou intervenants du monde associatif, et qui, parallèlement, encourage les initiatives participatives venant, à leur tour, nourrir le projet. Stéphanie Adam explique ainsi : « petit à petit, les gens proposent des choses et on aide à ce que cela puisse se mettre en place. Le fil, c’est vraiment cette question de lien social et de comment on peut faire concrètement pour garder ce lien. Finalement, ce qui est essentiel, c’est d’être ensemble, on ne sait pas ce qu’on va faire, mais on est là, et on est là avec d’autres, dans le lien. Par exemple, nous recevons une série de boites vides : « qu’est-ce qu’on fait ? » s’est-on demandé à la Croisée. Les réponses, elles, sont collectives : on va demander aux citoyens de remplir ces boites. Et toutes ces boites sont devenues une donnerie ».

Christine Vander Borght rappelle à cet égard la notion de réseau : « on sait qu’un réseau peut être quelque chose de très fermé – comme les réseaux défensifs par exemple – mais c’est aussi une grande opportunité d’ouverture, de partage, de lignes de fuite ». S’appuyant sur la notion de rhizome, elle prend pour exemple le réseau d’échange de savoirs où chacun apporte sa pierre à l’édifice en étant tour à tour offreur et demandeur, dans une logique de réciprocité.

« La Bulle d’Oxy’GEM à Mons : un lieu d’accueil ouvert sur la cité »

OxyGEM est un lieu d’accueil dans la cité pour les différents usagers en santé mentale de la ville de Mons. Il s’inspire du modèle des GEM, pour Groupement d’Entraide Mutuelle11 . C’est un projet qui vise à favoriser la participation de chacun et la resocialisation au travers de l’action communautaire.

En effet, l’association fait l’amer constat que la maladie mentale et le parcours des usagers en santé mentale les amène, souvent, à un isolement social. D’où, pointe-t-elle, l’importance de mettre en place un dispositif de resociabilisation. C’est l’objectif que poursuit le projet « Bulle d’OxyGEM », en permettant à des usagers de rentrer « dans un dispositif d’aidance et d’« entre-aidance », dans une dynamique de co-gestion », comme l’illustre François Vilain : « l’endroit est entièrement co-géré par les usagers en santé mentale. Ce sont eux qui mettent en place les projets, les activités et qui dynamisent l’endroit au quotidien ».

Un témoignage qui fait écho aux propos de François Wyngaerden sur l’importance des réseaux sociaux (au sens large du terme) qu’il définit comme un ensemble de ressources que l’on a autour de nous à titre personnel et la manière dont celles-ci sont articulées – et ce, peu importe que l’on soit usager, accompagnant, professionnel ou pair aidant. Notre réseau social, précise-t-il ainsi, nous offre aussi beaucoup de ressources en termes d’objectifs personnels et en termes de sens car les différents groupes dans lesquels nous nous investissons à travers différents projets et à travers des relations de droits, de confiance, d’échanges nous donnent des éléments d’identité collective qui nous structurent ».

Pour conclure

La santé mentale est multi-factorielle. Elle repose sur un ensemble de déterminants, eux-mêmes en interrelation. Outre les facteurs individuels (santé physique, facteurs génétiques, genre, intelligence émotionnelle et sociale), elle est influencée par un ensemble de déterminants socio-économiques (éducation, emploi, réseau social…) et sociétaux (notamment, l’environnement, la politique et la culture dans laquelle nous évoluons)12 .S’il joue bel et bien un rôle prépondérant sur la qualité de vie des individus, et a fortiori, sur leur sentiment de bien-être, le lien social s’inscrit lui-même dans un système d’interrelations complexes avec ces autres déterminants de la santé.

La recherche suggère donc qu’en agissant simultanément et en cohérence sur ces déterminants, dans une démarche transversale et multidisciplinaire, on pourra le plus adéquatement améliorer la santé des individus. L’échelle locale, voire micro-locale, est par ailleurs plébiscitée comme terrain privilégié des actions visant à lutter contre l’isolement en promotion de la santé13 .

Ainsi, les initiatives porteuses de lien social ont un rôle prépondérant pour « faire santé mentale », comme en témoignent toutes les personnes ayant pris part à cette journée.

La Semaine de la Santé Mentale

Le programme 2021 est disponible sur le site www.semaine-sante-mentale.be. Toutes les interventions qui se sont tenues pourront être réécoutées prochainement sur le site.

L’édition 2022 se tiendra du 10 au 16 octobre. Toutes les infos seront disponibles sur le site.

Le CRéSAM

Cette asbl soutient l’action des professionnels de la santé mentale et leur intégration dans le réseau de soin en santé mentale.

Pour en savoir plus: www.cresam.be

  1. https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2821%2902143-7
  2. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  3. CUSSET P.-Y., Le lien social, Armand Collin, collection 128, Paris, 2007, p. 5 via https://www.cultures-sante.be/nos-outils/outils-education-permanente/item/57-le-glossaire-de-culturessante.html p. 15
  4. https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/2020/06/2020_06_10_Le-lien-social-et-la-sante.pdf
  5. https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/2020/06/2020_06_10_Le-lien-social-et-la-sante.pdf
  6. https://www.fabrique-territoires-sante.org/sites/default/files/dossier_isolement_social.pdf
  7. Voir également https://educationsante.be/reflexions-sur-la-situation-de-la-sante-mentale-en-belgique-et-les-besoins-du-secteur/
  8. https://www.kbs-frb.be/fr/le-covid-19-renforce-la-pauvrete-ce-que-les-organisations-de-lutte-contre-la-pauvrete-nous-disent
  9. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  10. L’association évoque un projet pré-existant à la crise sanitaire qui combine à Soumagne initiatives de proximité animées par les services psy (un dressing pour rien, mais aussi une école de devoir qui est aussi un endroit où on peut venir se poser, boire un café, chercher deux assiettes si on en a besoin…) et réseau de soutien de traitement des troubles de la dépression et de l’humeur dans la communauté.
  11. Sur le sujet : https://www.cairn.info/revue-les-politiques-sociales-2016-1-page-48.htm
  12. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  13. https://www.fabrique-territoires-sante.org/sites/default/files/dossier_isolement_social.pdf

food donation to needy, needy: providing food to needy people wh

COVID-19 : amplificateur d’inégalités sociales de santé

Le 25 Jan 22

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food donation to needy, needy: providing food to needy people wh

Le 12 octobre 2021, l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH) organisait une journée de réflexion intitulée « Inégalités sociales de santé et COVID-19 ». L’occasion pour les professionnel.les de la santé présent.es, de faire le point sur les nombreuses séquelles laissées par cette crise sanitaire inédite, notamment chez les plus vulnérables.

Plusieurs expert.es ont ainsi pu partager leur expérience de terrain et leur analyse de la situation. Toutes les interventions ont convergé vers un même constat :  la crise sanitaire a amplifié les inégalités sociales déjà présentes avant la crise. Le coronavirus peut infecter tout le monde mais « tout le monde » n’y est pas exposé de la même manière. Les mesures prises (distanciation sociale, bulle sociale, télétravail, métiers essentiels…) résonnent différemment selon nos contextes de vie, nos capitaux sociaux et économiques, renforçant ainsi les inégalités sociales existantes.

C’est Helen Barthe-Batsalle, directrice de l’OSH, qui a posé le contexte de cette journée en rappelant l’importance de la question des inégalités d’accès aux droits fondamentaux, au sein des missions de l’OSH. La santé des individus, considérée comme un droit fondamental, varie en fonction de certaines conditions comme l’accès à un logement, à l’éducation, à une alimentation saine et suffisante, à un travail décent, à un environnement sain, à une justice sociale… L’ensemble de ces déterminants de santé, distribués de manière inégale au sein de la population, génère des inégalités sociales de santé et impacte la manière dont les individus font face à la crise sanitaire.

Les intervenant.es invité.es ont ensuite pu témoigner des effets directs de cette crise sur leur public et des impacts dans leur champ d’action.

« L’impact de la crise sur les populations les plus précaires et sur la pauvreté en Région wallonne »

Bernard De Vos (Délégué général aux Droits de l’Enfant) appuie le fait que la crise n’a fait que révéler et amplifier les problèmes préexistants avant la crise sanitaire tels que la pauvreté, le décrochage et l’abandon scolaire, les difficultés relationnelles au sein des familles, le maintien des liens dans les familles séparées…

Les mesures dictées pour endiguer la propagation du virus n’ont pas été vécues de la même manière par toutes les familles. Lorsque le confinement a été annoncé, certaines d’entre elles ont été renvoyées à leur situation personnelle. Si les conditions de vie des sphères privées n’étaient pas optimales en temps « normal », elles l’ont été encore moins durant l’épidémie. 

La période de confinement a par ailleurs été très compliquée pour les enfants qui évoluent dans un contexte où maltraitance et/ou négligence sont présentes. Ces enfants se sont retrouvés confrontés à leurs tortionnaires avec très peu de contacts extérieurs. Il a fallu attendre un certain temps pour que les services d’aide se réorganisent et puissent reprendre contact avec ces enfants via une écoute active par téléphone et/ou internet.

Les enfants porteurs d’un handicap ont également souffert durant cette période. La plupart n’ont plus eu accès à leur institution et se sont retrouvés totalement à charge de leur famille.
Bernard Devos déplore qu’au moment de la réouverture, on ait donné la priorité aux écoles et non à un système éducatif qui inclut les écoles de devoirs, les services d’Aide en Milieu Ouvert (AMO), ainsi que tous les autres services associatifs qui agissent en soutien scolaire. En pensant globalement au système éducatif, on n’oublie pas celles et ceux qui en ont le plus besoin et on tente de réduire les inégalités sociales entre les enfants.

Il terminera son intervention en déplorant qu’au cours de la crise, aucun discours n’ait été adressé directement aux enfants et aux jeunes pour leur expliquer l’état de la situation et le choix des mesures prises. Les informations ont toujours été données de manière unilatérale sans aucune adaptation de langage. Cette tâche a été laissée aux familles avec des compétences qui leurs sont propres et très inégales d’une famille à l’autre. Il a fallu attendre que la situation dérape à certains endroits dans notre pays et que les pédopsychiatres montrent leur inquiétude par rapport à la santé mentale de la jeunesse pour qu’on adapte l’information à ce public cible et qu’on le laisse s’exprimer sur la manière dont il a vécu l’application des mesures.

 « Avec la crise sanitaire, l’insécurité alimentaire »

Durant la première période de confinement, les demandes d’aide alimentaire (principalement sous forme de colis alimentaire) ont augmenté de 30% en Région wallonne, explique Catherine Rousseau (chargée de projets à la Fédération des Services Sociaux). Suite à cette première vague, celles-ci ont continué d’augmenter mais moins rapidement. Aujourd’hui, les demandes tendent à se stabiliser mais à un chiffre encore trop élevé. La difficulté de faire appel à l’aide alimentaire est également mise en évidence et les raisons en sont diverses : gêne d’y recourir, méconnaissance des services, fermeture des structures d’aide…

Face à cette situation, la Fédération des Services Sociaux (FDSS) met en évidence plusieurs recommandations afin de répondre à l’urgence en temps de crise.

  • La première porte sur la quantité, la qualité et le respect de la dignité

Dans ce contexte de crise sanitaire, de nombreuses demandes n’ont pu être satisfaites. À cela s’ajoute le manque de respect de la dignité humaine comme les longues files dans l’espace public, l’absence de choix des denrées correspondant aux besoins ou aux préférences des personnes, un manque de qualité et de diversité de certains produits (produits frais ou recours à des invendus)…
Il convient donc d’accueillir toutes les demandes et de les orienter vers les services les plus aptes à y répondre. De même, l’aide alimentaire nécessite une diversification de l’offre pour mieux répondre aux besoins des familles et des personnes dans le besoin (colis ou soutien financier).

  • La seconde porte sur l’organisation et l’accessibilité

Il s’agit d’encourager un assouplissement des critères d’accessibilité, l’élargissement de l’offre ainsi que la diversification des formes d’aides, afin de répondre au mieux aux nouveaux besoins qui sont apparus. L’implication des bénéficiaires dans les prises de décisions relatives à l’organisation des services d’aide alimentaire est également préconisée.

  • La troisième porte sur le caractère structurel de l’alimentation de qualité

De nouvelles politiques structurelles fortes soutenant un système de démocratie alimentaire (une alimentation saine, en suffisance et de qualité pour tous) ainsi qu’un système alimentaire inclusif doivent voir le jour. Celles-ci permettront de lutter contre les inégalités sociales face à l’alimentation, d’assurer l’accès à un revenu décent pour tous, à l’inclusion et à la protection sociale.

« Quand vieillissement et pandémie se croisent »

Au travers de son exposé, Violaine Wathelet (secrétaire politique d’Enéo, le mouvement des aînés de la MC) a souhaité mettre en évidence le lourd tribut payé par les ainés durant la crise mais également la stigmatisation dont ils sont souvent victimes dans notre société. 

Cette crise a mis à jour un certain nombre de dysfonctionnements relatifs aux Maisons de Repos et aux Maisons de Repos et de Soins, comme le manque de coordination avec les autres structures de soins, des cas de maltraitance, un personnel en sous-effectif ainsi que la difficulté de prendre en considération tous les aspects de la santé comme la dimension psychologique.

Les personnes âgées, souvent mises de côté, sont sujettes à de nombreux stéréotypes, certains laissant croire qu’elles ne sont plus capables de décider ce qui est le mieux pour elles-mêmes. Or lorsqu’on envisage la vieillesse par la porte du vieillissement biologique, l’attention portée aux plus âgé.es se centre presque essentiellement sur le curatif délaissant ainsi le care c’est à dire le bien-être.

Le COVID-19 ou la COVID-19 : juste une question de genre? »

La parole est donnée à Manoë Jacquet (coordinatrice de Femmes et Santé et responsable du réseau « Femmes, genre et santé »). Au-delà du débat de genre autour du mot « COVID », la maladie et ses complications ne semblent pas avoir affecté les hommes et les femmes de la même manière. Les chiffres montrent que les femmes ont été plus nombreuses à contracter le virus alors que les hommes ont développé des formes plus graves de la maladie et présenté un taux de mortalité plus élevé. Les femmes ont en effet été particulièrement exposées au risque de contamination du fait des secteurs d’activité où elles sont majoritaires. C’est le cas du secteur hospitalier où elles représentent 80 % du personnel, des maisons de repos et de soins (88 %), des maisons de repos pour personnes âgées (86,5 %), des crèches (96 %), de l’aide à domicile (95 %) ou du commerce de détail ou en grandes surfaces (60 %).

Comme l’ont souligné les intervenant.es précédent.es, les mesures spécifiques qui ont été mises en application pour limiter la transmission du virus n’ont pas engendré les mêmes conséquences pour toute la population. Elles ont été construites sur un modèle de famille « standard » en perte de vitesse et qui correspond de moins en moins au modèle actuel.

“De l’intersectionnalité à la syndémie : COVID-19 et inégalités sociales de santé”

Charlotte Pezeril (docteure en anthropologie sociale et directrice de l’Observatoire du Sida et des Sexualités à l’ULB) aborde la question de la crise COVID sous l’approche de la réduction des risques (comme elle l’a été pour le VIH). Cette stratégie suggère de faire confiance aux individus dans le choix de stratégies adéquates en fonction de leur situation et de leur capacité d’agir.

En référence et en comparaison avec la problématique du VIH, ce qui a été mis de côté dès le départ de la crise sanitaire, c’est d’abord l’exclusion de la promotion de la santé au profit d’une approche épidémio-médicale. La crise du VIH avait pourtant démontré l’importance de la responsabilisation et non pas de la criminalisation des comportements à risque. La responsabilisation, c’est reconnaitre la capacité de réflexion et d’action des citoyens. Pour qu’elle soit opérationnelle, il faut leur donner les moyens de pouvoir l’exercer, comme leur expliquer les bienfaits et les risques de la vaccination par exemple. Les citoyennes et citoyens pourront alors faire un choix éclairé en fonction des coûts-bénéfices de chacune des stratégies.

La crise COVID a été présentée comme une pandémie. Or, selon Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, il faut étendre ce concept et parler de « syndémie ». Une position que Charlotte Pezeril partage également.  Une syndémie se définit par la synergie de plusieurs maladies ou problèmes concentrés de manière anormalement élevée dans une population donnée. Dans le cadre de la crise sanitaire qui nous occupe actuellement, cela revient à mettre l’accent sur le côté viral de la maladie (la COVID) en prenant en compte l’ensemble des pathologies chroniques non transmissibles (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires…). Toutes ces pathologies ont fortement augmenté depuis une trentaine d’années dans nos pays occidentaux, notamment en raison de la pollution atmosphérique, de la malbouffe et également de l’accroissement des inégalités sociales.

« La crise sanitaire comme révélatrice et amplificatrice de la fracture numérique. »

André Delacharlerie est responsable de L’Observatoire du numérique et du programme Education à l’Agence du Numérique. Selon le dernier Baromètre 2021 de maturité numérique des citoyens wallons1, l’Agence du Numérique et du Service Public de Wallonie recommande plus d’éducation au numérique et plus d’inclusion de tous.

Ainsi, l’éducation du numérique doit être renforcée à plusieurs niveaux :

  • dès l’école fondamentale par une éducation aux concepts du numérique et par une utilisation du numérique dans tous les apprentissages ;
  • dans les formations qualifiantes auprès des Jeunes (IFAPME) et les demandeurs d’emploi (FOREM) ;
  • au long du parcours professionnel par la formation continuée dans les entreprises ;
  • pour tous les citoyens par des actions de soutien à l’inclusion dans le monde associatif et des programmes d’éducation permanente via les grands médias.

En parallèle, il est important que des actions d’aide à l’équipement et à la connexion des plus démunis soient mis en place tout en veillant à l’ergonomie des interfaces informatiques.

Un bilan ?

L’ensemble de ces interventions illustre combien il est important que la santé et les actions de promotion de la santé soient inscrites au sein de toutes les politiques de manière à développer une action de santé publique efficace et collective.

À l’heure où l’on prône l’universalisme proportionné dans les actions de promotion de la santé, il est décevant de constater que dans la gestion d’une crise sanitaire comme celle du COVID, tout a été géré de manière universelle. Il est important de donner les moyens aux individus d’adopter les réponses efficaces pour mieux gérer les impacts de cette crise.

Cependant, concluons sur une note positive en soulignant que durant cette crise de nombreuses initiatives solidaires et bénévoles ont vu le jour. Et pour reprendre les mots de Marius Gilbert : « Remettre le collectif au cœur de nos sociétés, voilà bien le défi pour demain ».

[1] Ce baromètre vient d’être publié très récemment et porte sur 2 184 réponses qui ont été collectées entre le 28 janvier et le 19 mars 2021 auprès d’un échantillon de la population résidant en Wallonie et âgée de 15 ans et plus. Cet échantillon a été structuré de manière à garantir une représentation valide des deux genres, de toutes les classes d’âge, des différentes catégories socioprofessionnelles, des différents niveaux d’éducation et de tous les types de ménages. La collecte s’est effectuée au départ d’une sollicitation téléphonique réalisée pour 70% sur des numéros de lignes mobiles et pour 30% sur des lignes fixes

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Quel impact du covid sur le travail de première ligne bruxellois ?

Le 20 Déc 21

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Pour une question de confort de lecture, l’usage du masculin est utilisé dans ce texte lorsqu’il est question des personnes, quel que soit leur genre.

À l’automne 2020, les campagnes de prévention et les mesures sanitaires bruxelloises en réponse à la pandémie de Covid-19, n’ont pas semblé suffisamment efficaces. En témoignent les chiffres de contamination et l’arrivée de la deuxième vague qui affecte particulièrement les quartiers les plus défavorisés de la capitale. Face à ce constat, le Centre Bruxellois de Promotion de la Santé (CBPS) a été chargé par la Ministre Barbara Trachte, dans le cadre des « stratégies concertées Covid », de mener en 2021 un diagnostic avec des professionnels des secteurs médico-sociaux de proximité intervenant auprès des populations vulnérables.

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L’objectif : explorer les besoins des usagers identifiés par les professionnels, leurs propres besoins, leurs adaptations, vécus et positionnements par rapport aux attentes des pouvoirs publiques d’en faire des agents de prévention de la pandémie. L’ambition est également de tirer des leçons de la crise afin de s’en inspirer en cas de nouvelles pandémies. Une trentaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des travailleurs médico-sociaux issus de 22 institutions (CPAS, communes et associations), réparties sur 15 communes bruxelloises. Les entretiens ont été menés entre février et avril 2021, soit environ un an après le début de la pandémie et le premier confinement en Belgique.

Des attitudes multiples face au virus et aux mesures sanitaires

Globalement les intervenants rencontrés font état, contrairement à l’image véhiculée dans les médias, d’usagers relativement coopérants et respectueux des mesures sanitaires. Néanmoins, ils relèvent aussi nombre de répercussions psychiques et sociales de ces mesures sur leurs bénéficiaires et de multiples attitudes de ces derniers envers le virus et sa gestion par les pouvoirs publiques. Il en ressort que d’une part, l’adoption de ces mesures repose sur des fondements relativement fragiles et d’autre part, les conséquences de ces mesures sont ressenties pour une part importante des professionnels de première ligne comme allant à l’encontre de leurs missions médico-sociales.

Parmi les difficultés rencontrées et vis-à-vis desquelles les intervenants se sentent démunis, il y a chez une minorité de leurs usagers soit une surestimation de la dangerosité du virus, soit une sous-estimation de celle-ci. Les premiers sont des personnes particulièrement anxieuses d’être contaminées, au point de s’enfermer chez elles, sans sortir pendant plusieurs semaines, bien au-delà du degré d’isolement imposé par les autorités. Cette peur de la contamination, qui touche plus particulièrement les mères de familles monoparentales en situation de précarité, est directement attachée à l’angoisse de ne plus pouvoir assumer le ménage, les enfants, la scolarité, de ne plus pouvoir prendre soin des proches. Cette anxiété génère une difficulté pour ces personnes de sortir de leur isolement et de faire valoir des aides dont elles pourraient légitimement bénéficier. Ceci les place dans une situation de fragilité en les plongeant dans une incertitude face à une maladie ressentie comme incontrôlable. Cette incertitude est d’autant plus à prendre en compte qu’à terme, elle peut entraver la capacité des personnes à agir et à adopter des conduites de prévention1.

A l’opposé de ces personnes qui se coupent de toute relation, les professionnels font parfois état de rares cas de personnes qui minimisent la dangerosité du virus, n’adhérent pas du tout aux mesures, voire sont plus enclines à adhérer aux théories « complotistes ». Cette adhésion s’inscrit souvent dans un processus de méfiance envers les informations officielles sur le virus et le besoin de retrouver des certitudes pour dépasser le caractère anxiogène qu’elles véhiculent2. Au-delà de ces cas extrêmes, les personnes rencontrées notent plutôt une tendance d’une part minoritaire de leurs usagers à relativiser la dangerosité du virus. Cette relativisation, présente davantage parmi les jeunes des quartiers défavorisés, s’inscrit dans une méfiance envers les politiques sanitaires qui se fonde, entre autres, sur les discriminations et le sentiment d’abandon dont ces personnes se sentent victimes. Elle se développe dans une relation critique envers les politiques sanitaires de personnes qui préfèrent s’informer via des sources d’informations alternatives (médias indépendants ou réseaux sociaux) et leurs pairs. 

Par ailleurs, les professionnels eux-mêmes expriment différents points de vue par rapport au virus et aux mesures de protection. C’est le cas, notamment, des intervenants sociaux de terrain qui ont parfois le sentiment que leur sécurité a parfois été sacrifiée en début de pandémie (absence de matériel de protection, côté arbitraire de la mise en télétravail des professionnels). La question de la vaccination, et encore plus sa promotion, divise également les travailleurs. Par contre, ils sont dans l’ensemble d’accord pour affirmer que la vaccination est du ressort de leur vie privée et de celle de leurs usagers.

Les interventions des autorités sous la critique des travailleurs médico-sociaux

Pour les travailleurs, dans la gestion de la crise menée par les autorités nationales et régionales, plusieurs éléments se sont révélés contre-productifs à l’égard de leurs missions d’accompagnement et de leurs publics. Tout d’abord, les campagnes de communication et de prévention de masse (telles que « Flatten the curve3») sont perçues comme déconnectées de la réalité vécue par les populations les plus vulnérables et les plus précarisées, stigmatisantes et culpabilisantes, et en particulier vis-à-vis des jeunes. Or, une communication déficiente envers ce type de population amoindrit la considération de ces populations à l’égard des institutions publiques4. Ensuite, les directives émises par les autorités et les représentants sectoriels (l’enfance, l’enseignement, la santé, etc.) ont été extrêmement complexes et confuses aux yeux des intervenants (trop changeantes, mises à jour régulières et parfois tardives, contradictoires entre les différents niveaux de pouvoir). Enfin, un autre élément contre-productif, relaté par les professionnels, est l’instrumentalisation par moments de la gestion de la crise par des politiques à des fins électorales ou populistes en dépit de son impact direct sur leur travail.

Par ailleurs, l’intensité des sanctions administratives menées par les forces de l’ordre, leur caractère parfois violent et discriminant, et plus particulièrement à l’égard des jeunes des quartiers paupérisés, est vu par les intervenants comme détruisant le travail de cohésion qu’ils mènent avec ce public. Cette «confrontation» de logiques répressive et préventive, si elle préexiste à la crise, s’est à leurs yeux exacerbée avec celle-ci. Elle en appelle à trouver des dynamiques de complémentarité plutôt que d’opposition de ces logiques.

Des adaptations attendues difficilement compatibles avec les missions médico-sociales de première ligne

Les travailleurs médico-sociaux de proximité sont souvent perçus comme des relais aisément mobilisables pour favoriser l’adoption de comportements de protection et promouvoir la vaccination contre le Covid-19. Or, pour une part des répondants, cette mission s’assimile davantage à un travail de contrôle et de maintien de l’ordre qui peut aller à l’encontre du travail social et compromettre le lien établi avec des usagers et usagères vulnérables. De plus, ils sont nombreux à ne pas se sentir suffisamment outillés pour aborder les questions relatives à la prévention de maladies ou à estimer tout simplement que cette mission n’est pas de leur ressort. Sur ce point, les travailleurs sociaux se différencient de leurs responsables hiérarchiques et des travailleurs médicaux. Ces deux dernières catégories de professionnels estiment eux plus souvent que la prévention fait partie intégrante de leurs fonctions. Plus spécifiquement, les professionnels du social trouvent plus souvent préférables que cette mission soit réservée à du personnel médical externe au service ; ce personnel étant notamment perçu comme plus légitime et en dehors des enjeux de cohésion sociale des services.

Concernant spécifiquement la vaccination, une part non négligeable des travailleurs rencontrés (± 1/3) expriment leur incertitude quant à ses bienfaits. Dans ces circonstances, ces derniers refusent de faire une démarche proactive envers leur public et se limitent à répondre à des demandes d’information au même titre que n’importe quelle autre tâche administrative ou sociale.

Enfin, pour beaucoup de travailleurs, la crise a des répercussions éthiques sur leur pratique. La bureaucratisation et la dématérialisation de leur service, la déshumanisation et la numérisation de la relation d’aide, la disparition des espaces de rencontre (maisons de jeunes, visites à domicile, espaces collectifs…) ont pour conséquence de compromettre la prise en charge, les liens construits et la relation de confiance établis avec les personnes fragilisées. Derrière ces conséquences, c’est le sens même de leur pratique qui est remis en question. C’est particulièrement le cas du télétravail qui est souvent considéré comme se prêtant mal à l’intervention médico-sociale de première ligne, comme requérant des moyens matériels supplémentaires et générant, in fine, une surcharge de travail.

Des populations fragilisées et une exclusion sociale renforcée

Tous les répondants font état d’une détérioration de la situation sociale de leurs usagers et d’une précarisation, en raison notamment de la fermeture de nombreux services publics et sociaux, de la réduction de l’accès à certains droits comme le RIS ou encore de la perte de revenus. Le sentiment d’être abandonné par les politiques, la sensation d’isolement et de l’exclusion sont quelques-unes des répercussions observées par les professionnels chez leurs bénéficiaires.

Au-delà de cet accroissement des inégalités sociales qui touchent leurs usagers et usagères aux conditions de vie fragiles, les travailleurs sont aussi inquiets de la dégradation de la santé mentale de leurs bénéficiaires et de la montée des violences intrafamiliales qui ne sont plus détectées et prises en charge.

Par ailleurs, à côté de leurs usagers habituels composés, entre autres, de jeunes, de personnes âgées, de sans-abris, de sans-papiers, les intervenants sociaux font part de l’arrivée de nouveaux publics (jeunes diplômés, étudiants, indépendants de l’HoReCa, professionnels du monde culturel, etc.) qui tombent dans les conditions d’accès à l’aide sociale.

L’accompagnement médico-social de première ligne en difficulté

Avec la crise, l’accompagnement des publics vulnérables par les services de proximité est devenu plus complexe. De nombreux services ont été fermés (12 des 22 services interrogés) et la reprise n’a pas toujours été simple (équipes en sous-effectifs, rattrapage des retards, anxiété des travailleurs, etc.). L’accès limité, et souvent numérique, des institutions publiques et privées (mutuelles, banques, caisses d’allocation de chômage, etc.) a engendré une charge de travail supplémentaire pour les acteurs de proximité qui ont dû accompagner leurs usagers n’ayant pas accès ou ne maîtrisant pas ces nouvelles technologies.

Par ailleurs, le télétravail a impacté la capacité des intervenants à travailler en équipe pour gérer les situations complexes de leurs usagers, qui exigent une prise en charge pluridisciplinaire. Enfin, plusieurs répondants, et en particulier les assistants sociaux des CPAS, font état d’une détérioration psychique de leur état (épuisement émotionnel, angoisse de la boîte mail, perte d’empathie, etc.) pour exercer convenablement leur profession.

La crise : un révélateur d’inégalités structurelles préoccupantes

La non-adhésion de la population aux mesures préconisées est généralement interprétée comme un manque d’information. Or, pour adhérer, il faut aussi se sentir faire partie de la société, se sentir reconnu en tant que personne dans les mesures prises, disposer de capacités d’adaptation suffisantes (équipement informatique, ressources financières pour acheter le matériel de protection, aptitude à gérer son anxiété, sentiment d’appartenance, attitude de confiance envers les autorités5, faculté de se projeter dans l’avenir, etc.). Ces conditions font plus souvent défaut parmi les populations vulnérables et la crise a accentué cette situation. Elle implique de penser, dès à présent et de manière prospective, les mesures destinées aux populations fragilisées en regard de cet enjeu de cohésion sociale et de réduction d’un fossé entre ces populations et les autorités publiques. Elle implique de prendre rapidement d’autres mesures de prévention qui prennent en compte les différentes dimensions de la vie des populations vulnérables, leurs conditions de vie et qui s’appuient sur la connaissance des professionnels à l’égard de leur public.

Une prévention adaptée aux intervenants

Concernant les intervenants, il faut une nécessaire congruence entre l’exercice de leurs missions et des sollicitations des autorités en temps de crise. Cette conciliation en appelle à repenser les métiers essentiels en leur permettant d’assurer leurs missions de base dans des conditions suffisantes de protection ; à définir avec les professionnels, sur base de l’expérience présente, des directives claires à adopter dans le cadre d’une nouvelle pandémie ; à préciser avec eux, dans une logique de complémentarité, le rôle que chacun peut jouer en fonction de sa profession.

Il semble aussi primordial de développer une approche intégrée de la prévention incluant également la dimension mentale et sociale de cette dernière et impliquant les divers intervenants gravitant autour des populations fragilisées.  

[1] Kmiec R. et Roland-Lévy C., « Risque et construction sociale : une approche interculturelle », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2014/1, 101 :69-99.

[2] Barras C., « Prévention menaçante, prévention prévenante : regards anthropologiques sur un concept polysémique, Prospective Jeunesse. Drogues, Santé, Prévention,2021, 94 :4-8.

[3] Ce slogan de campagne, que l’on peut traduire par « aplanir la courbe », faisait référence aux interventions des épidémiologistes et autres experts de santé publique évoquant le nombre de personnes admises à l’hôpital par rapport au nombre de personnes infectées par le virus sur une ligne du temps.

[4] Mercier M. & al., Exclusion et sciences humaines. Exclusion en sciences humaines. Recherche commanditée par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de la Communauté française de Belgique. Rapport de recherche interuniversitaire (FUNDP, ULg, UMH, ULB, UCL), 2003.

[5] La confiance accordée à la source d’information est plus importante dans l’adhésion aux mesures que la qualité même de l’information diffusée (Cougnon L.-A. & al. (2020), in Déconfinement Sociétal. Apport d’expertises académiques).

retro tv receivers set from circa 60s, 70s and 80s of xx century

Les 40 ans de Question Santé, ou comment penser la communication aujourd’hui ?

Le 20 Déc 21

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Le 22 octobre dernier, l’asbl Question Santé fêtait ses 40 ans. Quarante années consacrées à rendre l’information santé accessible et ce, dans un souci d’émancipation de l’usager. Dans le cadre de cet anniversaire, une table ronde s’est tenue sur les évolutions de cette communication santé et sur le contexte de tension actuelle autour de la question. Compte-rendu des échanges.

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Communiquer en santé c’est tout un programme. C’est en tout cas le programme de Question Santé depuis 40 ans : dès sa naissance en 1981 et ses premiers subsides en éducation permanente, l’association se pose la question de la communication autour de la santé. Bien sûr, en 40 ans, les choses ont évolué, des fiches-techniques à la mise sur pied du tout nouveau site internet de Question Santé, en passant par la création de multiples outils de communication, éducatifs, d’animation, des campagnes de sensibilisation et l’accompagnement et le conseil aux structures de promotion de la santé. Jusqu’à cette communication de crise autour du Covid qui nous occupe depuis plus d’un an et demi, avec la sensibilisation à la vaccination, aux gestes barrières, la publication d’outils de promotion de la santé ou dans le cadre des stratégies concertées.

Pour aborder la question de la communication santé sous tension, avaient été réunis sur l’estrade, Matthieu Méan, coordinateur de l’équipe de première ligne de Modus Vivendi, actif dans la réduction des risques pour les usagers de drogues, Godefroi Glibert, responsable de projets à la Plateforme Prévention Sida, Sophie Lefèvre, chargée de communication à la Direction Santé de l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance), ainsi que Mark Hunyadi, professeur de philosophie morale et politique à l’UCLouvain, venu préalablement entretenir le public présent de ses réflexions sur la confiance dans un contexte numérique. Pour animer le débat, notre journaliste maison Pascale Gruber.

Quelles préoccupations en matière de communication ?

Un premier questionnement portait sur les préoccupations en termes de communication pour les trois associations de terrain, avant la crise sanitaire. Pour Matthieu Méan (Modus Videndi), il va sans dire que cette préoccupation se pose depuis longtemps, mais s’est transformée avec l’apparition des réseaux sociaux qui sont devenus rapidement incontournables. « Facebook, mais aussi Instagram, c’est très important aujourd’hui. Certes nous organisons toujours des permanences, trois fois par semaine, mais nous avons également créé un espace de permanence digital, pour permettre à ceux qui ne peuvent ou n’osent pas franchir le seuil de l’association de pouvoir entrer en contact avec notre service. »

Idem pour Godefroi Glibert (Plateforme Prévention Sida) qui confirme cette importance des réseaux sociaux, mais temporise : « Personnellement, je suis assez mitigé envers les GAFA qui représentent une menace pour les relations entre les personnes. En promotion de la santé, le message va vraiment passer, percoler, quand à un moment, à un instant d’une relation interpersonnelle, on emporte l’adhésion et qu’alors, un changement peut se produire. La question est donc : comment être proche en utilisant les réseaux sociaux ? On n’y arrive pas toujours, c’est sûr. On essaie. Un exemple : sur notre site Internet, on parle en « vous ». Sur Facebook, on parle en « tu », pour aller vers une proximité plus importante. »

Le numérique pour toucher son public ?

Sophie Lefèvre (ONE) estime pour sa part qu’il faut s’interroger sur l’accessibilité de l’outil numérique pour tous « car s’il se généralise, il n’est pas pour autant abordable pour une série de publics. J’ai déjà entendu : ‘Tout le monde sait utiliser un smartphone et va sur Internet’, mais ce n’est pas encore une réalité. On fait appel à des capacités de littératie médiatique (comme on parle de littératie en santé) que tout le monde n’a pas. Parmi les chiffres cités par la Fondation Roi Baudouin en matière de fracture numérique, j’ai été interpellée par ceux montrant une sous-utilisation de l’e-santé : seulement 16 % des personnes se sentent à l’aise avec l’outil numérique en santé. C’est pour cela que je plaide vraiment pour une utilisation multimodale des canaux d’information. »

En guise de relance, Pascale Gruber (QS) posait la question un peu iconoclaste de savoir si le numérique atteint en fin de compte sa cible. Pour Godefroi Glibert, « Avec le numérique, tout est comptabilisé, le temps de rebond, les temps de visites, etc. Mais en même temps, c’est vrai que l’on a peu de retours. Or c’est important d’être en contact avec les publics, d’être dans les festivals, les fêtes, avec un stand d’information, il faut aller sensibiliser dans les écoles. »  Mathieu Méan enfonce le clou : « Les réseaux sociaux sont un appui. Mais ils ne peuvent absolument pas se substituer à ce que l’on fait sur le terrain. Cela étant, au moment du confinement, on a dû trouver d’autres solutions. Donc, on a proposé des tables de discussion sur les réseaux sociaux. Avant, en présentiel, on arrivait, pour les gros événements, à 30 personnes. Avec la discussion en ligne, on est monté à 1.500. Donc, c’est intéressant. Mais c’est aussi très loin des journées festives où l’on en touche 30.000. »

Information ou communication ?

Il s’agit aussi de replacer la question de la communication dans le contexte actuel de l’infobésité ou l’excès d’information propre à l’ère numérique. Comme l’a souligné Mark Hunyadi (UCLouvain), « Avec la multiplication des réseaux de communication et des messages, différents à chaque fois, l’utilisateur ne sait plus comment s’orienter dans cette immense manne, cette mer à messages. En fait, cette prolifération dévalue les informations elles-mêmes. Un message à faire passer, sur ceci ou sur cela, tout le monde en a. Mais c’est très différent des informations, supposées être vraies, vérifiées et donc vérifiables. Je me demande dans quelle mesure cette prolifération des messages de la com’ et les stratégies de com’ ne participent pas à cette défiance généralisée. »

Pour Sophie Lefèvre (ONE), la clé réside dans l’éducation aux médias, mais aussi dans l’expérience des personnes avec les institutions. Quand elles sont déçues, la confiance est rompue. Ça peut être le cas si, par les expériences de vie que l’on a, la manière d’être intégré dans la société, on se rend compte qu’on est en marge, pas pris en compte… « D’où l’importance de ne pas laisser des gens sur le côté, de prendre en compte la diversité. S’adresser à une famille avec Papa, Maman, Boule et Bill et le SUV, comme cela a pu être le cas avec le Covid, cela ne va pas : ceux qui ne correspondent pas à ce schéma vont se sentir à l’écart et vont rejeter les messages qu’on a envie de faire passer… »

Bernadette Taeymans, directrice de l’asbl Question Santé jusqu’en 2020, resitue les enjeux : « Si on se rapporte à 1981, quand Question Santé est née, l’information était aux mains du pouvoir médical. Parfois, il y avait une Encyclopédie médicale dans les maisons, et c’est tout. Il n’y avait pas moyen d’avoir accès à l’information santé sans passer par le pouvoir médical. Donc, il y a quarante ans, l’enjeu de Question Santé était de donner accès à cette info. »

Aujourd’hui, cet enjeu est bouleversé, il y a de l’info partout et de la communication partout. La question est donc de savoir comment aider les personnes à trouver leur chemin et à faire des choix éclairés en matière de santé. « On ne sait plus très bien comment être entendu, sachant qu’avec les outils du numérique, mais aussi avec les médias en général, ce qui attire et intéresse, ce sont les infos qui sortent du lot, créent l’événement, choquent… Or, en éducation permanente comme en promotion de la santé, on n’est pas là pour choquer ou pour faire peur. Donc le risque est de ne pas être entendus dans le brouhaha et cette dérégulation informationnelle. On est donc vraiment dans un moment assez compliqué. Comment continuer à travailler en restant en accord avec nos objectifs et nos valeurs, et, en même temps, en arrivant à toucher le public ? »

Une réflexion partagée par les participants à cette table ronde qui plaident pour un usage raisonné des réseaux sociaux, pour des messages de qualité, qui sensibilisent sans choquer et en restant connectés à tous les publics, dans l’interpersonnel, mais sans bouder le numérique, tout en gardant la confiance. Tout un challenge !

Mark Hunyadi : « Quelle confiance dans un contexte numérique ? »

Lors de cet après-midi de réflexion qui ouvrait les festivités des 40 ans de Question Santé, Marc Hunyadi, philosophe et professeur à l’UCL, est venu parler de son ouvrage « Au début est la confiance »1,

publié en pleine pandémie et qui a beaucoup résonné durant cette crise sanitaire. Son propos est de documenter la notion de confiance qui a été mise à rude épreuve durant cette période. Pour Mark Hunyadi, « La perte de confiance que la crise sanitaire a entraînée s’est avérée extrêmement large car elle a touché à notre relation aux objets, à l’environnement où le virus était présent, mais aussi à nos interactions avec les personnes, possiblement contaminées, ainsi qu’à la confiance dans les institutions amenées à gérer cette crise. »

Or la confiance est transversale à l’ensemble de l’agir humain et s’appuie sur des attentes réciproques de comportements qui sous-tendent le collectif. Sans confiance, comment fonctionner ? « Quand on circule en voiture sur la route, on s’attend à des comportements dans le chef des autres usagers de la route, en fonction de la sécurité routière. Pourtant il n’y a pas de véritable définition de la confiance, ni dans le chef des philosophes, ni chez les grands auteurs. Les économistes utilisent cette notion mais dans une vision réductrice et utilisatrice, en l’associant à la prise de risque et à la gestion de l’incertitude. »

Dans ce contexte, l’auteur pointe le numérique comme un élément qui a modalisé fortement le collectif et in fine la confiance, notamment en la médecine. Cela a été le cas durant le Covid, mais aussi bien au-delà de la crise sanitaire que nous avons traversée. « De plus en plus, le numérique devient une médiation obligée au monde, que ce soit pour des achats, des réservations, le contrôle de son diabète, repérer des champignons, obtenir un CST… Chacun satisfait ses besoins dans sa petite bulle, dans son cockpit, en gérant sa relation au monde derrière son écran. Et ça a été d’autant plus vrai avec le Covid. Dans un tel système, la sécurité tend à remplacer la confiance naturelle. »

Quant à la médecine dans un tel paysage, si le numérique a permis des progrès extraordinaires et des acquis sans précédent, on assiste, pour Mark Hunyadi, à une numérisation de celle-ci : « Les gens se plaignent : « On ne nous écoute plus, on nous mesure ». La médecine devient uniquement technologique, quantitative, ne fonctionne plus que sur des mesures, au détriment de la relation médicale et la perte de la dimension relationnelle. L’Evidence-Based Medecine qui avait pour but, il y a 20-30 ans, d’évaluer la littérature médicale est devenu le paradigme général, avec une substitution tendancielle de la relation technique à la relation naturelle. » De plus en plus la relation fiduciaire est mise à mal et l’inquiétude de Mark Hunyadi réside dans le fait que si la confiance est remplacée par la sécurité, tout devient automatisé. « Obéir à des machines fait de nous des machines obéissantes, des pièces du système. C’est pourquoi des associations comme Question Santé sont salutaires. Car elle est merveilleusement résistante parce qu’elle installe de la proximité là où le numérique met de la distance froide. A Question Santé, on met du commun, du sens là où le numérique en est bien incapable. »

[1] Mark Hunyadi, « Au début est la confiance », Editions Le bord de l’eau, 2020, 240 p.

fondt cancer

L’interdiction de la vente de tabac aux moins de 18 ans, 2 ans après.

Le 23 Déc 21

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Le premier novembre a marqué les 2 ans d’interdiction de la vente de tabac aux moins de 18 ans en Belgique. Pour renforcer la mesure prise il y 2 ans, la Fondation contre le Cancer interpelle à nouveau les autorités pour qu’elles se donnent les moyens de mettre en place un plan antitabac ambitieux.

Une mesure importante, mais pour la Fondation contre le Cancer, il faut aller plus loin

Le nombre de jeunes qui fument est en baisse, mais cela cache des inégalités. De manière générale, les parents des adolescents constatent que leurs enfants, et les amis de leurs enfants fument de moins en moins. Cela peut donner l’impression que la lutte contre le tabac est terminée et que le problème va se résoudre de lui-même. Cependant, des efforts sont encore à fournir ; des études ont montré par exemple que les jeunes des classes socio-économiques moins favorisées sont plus entourés par des fumeurs ce qui les expose plus au risque de devenir eux-mêmes fumeurs, et qu’ils ont également plus de difficultés à arrêter.

La Fondation contre le Cancer met tout en oeuvre pour que chaque jeune puisse être protégé du tabac, et ne commence jamais à fumer.  

L’objectif de l’industrie du tabac : le renouvellement de ses clients

Les jeunes restent une proie idéale pour l’industrie du tabac qui recherche encore et toujours ses clients de demain. Elle va donc cibler les mineurs afin de maintenir le nombre de fumeurs et faire perdurer son activité, malgré les lois et les interdits toujours plus nombreux.

Pourquoi les adolescents sont-ils particulièrement visés? Les jeunes se sentent invulnérables, et ils n’ont pas peur d’avoir un cancer, ils ne s’inquiètent pas trop du fait que leur tabagisme d’aujourd’hui pourra un jour les confronter à la maladie.  Chaque jeune qui commence à fumer est convaincu qu’il pourra s’arrêter à temps, quand il le voudra. La gravité de la dépendance à la nicotine et l’impact sur le circuit de la récompense dans le cerveau sont largement sous-estimés, tant par les jeunes que par les adultes. Or les jeunes qui tendent à multiplier l’expérience de comportements à risque finissent trop souvent par en faire une habitude. 

Le cerveau des jeunes réagit différemment à la nicotine que celui des adultes. Le noyau central de toutes les addictions est un petit circuit neurologique qui s’appelle le « circuit de la récompense ». C’est un moteur qui donne le goût du plaisir, l’envie d’aller de l’avant en faisant les choses que l’on aime. Dans le circuit de la récompense, la force de la nicotine est équivalente à celle d’une drogue dure ! Ajoutez à cela que le circuit de la récompense est encore plus sensible à l’exposition aux produits psychotropes avant la maturité du cerveau, vers l’âge de 23 ans. Tout nous dit, dans la littérature scientifique, que nous devrions absolument protéger nos jeunes de fumer au moins jusqu’à l’âge de 23 ans.

Que demande la Fondation contre le Cancer pour aller plus loin ?

Pour renforcer la mesure prise il y 2 ans, la Fondation contre le Cancer interpelle à nouveau les autorités pour qu’elles se donnent les moyens de mettre en place un plan antitabac ambitieux. Il s’agit de mettre en oeuvre plusieurs mesures visant à :

  • diminuer les points de ventes et y interdire les displays
  • interdire les distributeurs automatiques de produits nicotiniques
  • interdire la vente des produits nicotiniques hors magasins licenciés (comme cela se passe par exemple sur des festivals comme Tomorrowland)
  • instaurer une augmentation significative des taxes, les jeunes étant très sensibles à cette mesure
  • mettre en place un remboursement pour les substituts nicotiniques

« La Fondation contre le Cancer espère que le gouvernement continuera sur la voie des augmentations fermes … mais il est indispensable de prendre également des mesures fortes afin de permettre l’accès aux aides au sevrage et aux substituts de nicotine pour aider les fumeurs à arrêter. Pour que les jeunes ne commencent pas à fumer il faut également soutenir les parents et enseignants qui fument encore. » nous dit Suzanne Gabriels, expert Prévention Tabac de la Fondation contre le Cancer.

marche pour le climat

L’approche One Health :
un changement de paradigme indispensable en santé publique

Le 23 Sep 21

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Eric Muraille est Maître de recherches F.R.S.-FNRS., rattaché au Laboratoire de Parasitologie de l’Université Libre de Bruxelles, et ULB Center for Research in Immunology (U-CRI).

marche pour le climat

La pandémie de SARS-CoV-2, un révélateur de la fragilité de nos sociétés

Apparue en novembre 2019 dans la région de Wuhan en Chine, l’épidémie du nouveau coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2) causant la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) s’est rapidement muée en pandémie. Au 21 mars 2020, en 4 mois, elle avait déjà gagné plus de 160 pays et causé plus de 20 000 morts. En août 2021, bien que des mesures exceptionnelles de distanciation sociale aient été appliquées sur l’ensemble de la planète et que plusieurs vaccins sûrs et efficaces aient été validés et distribués, nous peinons toujours à maîtriser cette pandémie qui a déjà causé officiellement plus de 4.5 millions de morts. Un chiffre considéré comme très sous-estimé par de nombreuses organisations1 et qui serait dans les faits plus proche du double.

Depuis la tristement célèbre pandémie de grippe espagnole de 1918, responsable de plus de 50 millions de morts, la vaccination de masse, la découverte des antibiotiques et antiviraux, une meilleure compréhension des infections, l’amélioration des services de santé ainsi que la création d’organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé (WHO) ont fortement accru notre capacité à gérer les épidémies. Mais, par d’autres aspects, nos sociétés sont également devenues structurellement beaucoup plus fragiles face aux épidémies.

Par exemple, le vieillissement des populations ainsi que la forte occurrence de bronchopneumopathie chronique obstructive (COPD) contribuent à aggraver le bilan des infections pulmonaires. La proportion d’individus de plus de 65 ans dans nos sociétés a fortement augmenté ces dernières décennies et cette fraction de la population est plus susceptible aux infections virales2 . Plus de 250 millions d’individus dans le monde souffrent de COPD due au tabagisme et à la pollution. La COPD augmente fortement la susceptibilité aux infections pulmonaires3 en réduisant l’efficacité de la réponse immune. Lors d’infection par le SARS-CoV-2, les patients présentant une COPD affichent un taux de mortalité deux fois supérieur à la norme4 .

Le sous-financement et la gestion managériale de la recherche fondamentale5 ainsi que des services de santé6 , dénoncés depuis de nombreuses années, réduisent notre capacité d’anticiper et de répondre aux épidémies. Les chercheurs sont précarisés et les réseaux coopératifs entre équipes de recherche fragilisés. Cette situation ne favorise pas le maintien des compétences et l’exploration de nouveaux domaines de recherche pouvant contribuer à mieux connaître les agents infectieux émergents et à identifier les nouvelles menaces. La pratique du flux tendu dans les hôpitaux est devenue la norme7 , ce qui réduit leur capacité à faire face à des crises sanitaires majeures. En début de pandémie de Covid-19, l’Italie a notamment dû pratiquer un tri des malades8 , ce qui pose de sérieuses questions éthiques.

Il est bien établi que notre système économique favorise l’émergence mais aussi la dissémination des agents infectieux. Les activités agricoles, par exemple, sont associées à 25% de toutes les émergences d’agents infectieux9 . En 2018, on comptait plus de 4.3 milliards de passagers aériens et plus de 37 millions de vols10 . Cette interconnexion rend quasi inéluctable la dissémination mondiale extrêmement rapide des agents pathogènes à partir d’un certain niveau de contagiosité.

L’interconnexion des économies nationales rend nos systèmes économiques extrêmement fragiles face aux épidémies. Les conséquences économiques de celles-ci, bien que difficiles à quantifier, sont considérables. On estime que les pertes économiques mondiales liées à l’épidémie de SARS-CoV en 2003 seraient proches de 40 milliards de dollars11 . Dans l’hypothèse où la pandémie de SARS-CoV-2 serait maîtrisée fin 2021, les experts estiment qu’elle aura alors coûté aux États-Unis entre 3 00012 et 16 000 milliards de dollars13 . Ces coûts gigantesques grèvent le budget des États et réduisent le financement des services publics, ce qui affecte nos sociétés dans leur ensemble.

Enfin, de nombreux experts ont pointé la gestion chaotique et souvent inefficace de la pandémie de SARS-CoV-2 par les gouvernements occidentaux. En l’absence de vaccins et de traitements spécifiques, les seules mesures possibles au cours des 9 premiers mois de l’épidémie étaient de limiter la propagation du virus à l’aide de tests, de traçage ainsi que l’imposition du port du masque et de la distanciation sociale. Avec le recul, cette riposte, qui nécessitait surtout une bonne organisation et une bonne communication avec les citoyens, s’est souvent avérée trop tardive pour empêcher la propagation du virus et surtout très désordonnée. Chaque gouvernement a mis en œuvre sa propre stratégie, conduisant à une absence de coordination internationale qui a parfois généré des situations absurdes.

Par exemple, certains pays européens ont opté au début de la pandémie pour une stratégie de confinement14 tandis que d’autres ont adopté une stratégie de « laisser faire » avec l’espoir d’obtenir rapidement une immunité collective naturelle15 . Ce manque de coordination a même été observé entre régions ou États d’un même pays. Par exemple, aux États-Unis, chaque État a mené sa propre politique de lutte, indépendamment de ce que faisaient ses voisins, ce qui s’est avéré particulièrement contre-productif16 . La crise du Covid-19 a également été caractérisée par une attitude antiscience de plusieurs dirigeants politiques, comme les présidents Trump et Bolsonaro, qui ont publiquement nié la dangerosité de l’épidémie, l’efficacité des mesures de distanciation sociale ou prôné des thérapies non validées. Cela a généré de fortes divisions politiques et réduit l’acceptation par les citoyens des mesures de santé publique.

Pourtant, en appliquant une stricte politique de confinement, de dépistage, de tracing des contacts des individus infectés et de mise en quarantaine de ceux-ci, la Chine, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud et Taiwan ont pu drastiquement limiter le nombre de décès sur leur territoire. Mais la majorité des autres pays ont été incapables d’appliquer ces mesures assez rapidement ou avec efficacité. Ces échecs ont conduit les éditeurs de revues scientifiques réputées, telles que The Lancet17 et The New England Journal of Medicine18 , à condamner fermement la gestion politique de la pandémie de Covid-19 en Europe et aux USA. Le WHO a également fréquemment fustigé la trop faible réactivité de nombreux gouvernements dans la lutte contre la pandémie19 .

Ces échecs démontrent la nécessité de changer drastiquement de stratégie de santé publique face aux menaces globales. Une stratégie réactive est très coûteuse, difficile à mettre en œuvre dans l’urgence et à faire accepter par la population. Il est donc indispensable de tenter d’anticiper ces menaces et surtout de les prévenir en agissant sur les conditions favorisant leur émergence. C’est ce que prône la nouvelle approche de la santé publique connue comme One Health (une seule santé).

One Health, une vision unifiée de la santé

One Health constitue aujourd’hui le cadre conceptuel de référence de la plupart des organisations nationales et internationales de santé publique, comme l’Organisation mondiale de la santé (WHO), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la Santé animale (OIE) ainsi que les centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américains.

One Health peut se résumer à la reconnaissance de l’interconnexion du vivant.

C’est-à-dire de l’interconnexion entre santé humaine, santé animale et état des écosystèmes, et ce sur base des évidences scientifiques accumulées en plus d’un demi-siècle. Historiquement, on peut reconstituer sa genèse en trois grandes étapes.

1. Le terme One medicine (une médecine)

Il fut introduit en 1984 par Calvin Schwabe, un vétérinaire et épidémiologiste américain, dans son ouvrage Médecine Vétérinaire et Santé Humaine20 . Schwabe proposa le terme One medicine pour souligner que : « Il n’y a aucune différence de paradigme entre médecine humaine et médecine vétérinaire. Les deux sciences partagent un corpus commun de connaissances en anatomie, physiologie, pathologie, sur les origines des maladies chez toutes les espèces ».

L’interconnexion entre santé animale et humaine est aujourd’hui bien documentée en matière d’épidémie. Sur les 1 407 agents pathogènes affectant l’humain, 58 % sont d’origine animale21 , dont un quart capable d’une transmission interhumaine potentiellement source d’épidémie ou de pandémie, à l’instar des virus Influenza et Ebola. De plus, 75 % des maladies infectieuses émergentes sont d’origine animale22 . Schwabe fait également le constat que la collaboration entre vétérinaires et médecins génère des bienfaits qui sont bien plus que simplement additifs. Par exemple, en identifiant chez l’animal une épidémie pouvant affecter l’humain, il est souvent possible de la contrôler plus rapidement et à moindre coût, ce qui se traduit par une réduction des risques et d’importantes économies financières.

Prenons le cas de la brucellose. Cette maladie est due aux bactéries Brucella, dont plusieurs espèces infectent de manière chronique les ruminants domestiques et causent des avortements. L’humain peut être infecté par contact direct avec les animaux touchés ou, le plus souvent, suite à la consommation d’aliments contaminés, mais la transmission entre humains est quasi inexistante. Agir sur le réservoir animal permet ainsi de réduire les coûts économiques liés à la perte du bétail et d’améliorer la santé humaine.

2. Les “12 principes de Manhattan”23

Ils ont été présentés en 2004, lors d’une conférence organisée à New York par la Société pour la conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society).

Le premier de ces principes insiste sur la nécessaire reconnaissance des liens entre santé humaine, santé animale et environnement. Illustrons ces liens par quelques exemples.

Le lien entre l’intrusion de l’humain dans un écosystème et l’apparition d’une épidémie est bien illustré par le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), qui a fait plus de 32 millions de morts entre 1981 et 2018. Son émergence est vraisemblablement due à une augmentation de la chasse et de la consommation de viande de chimpanzé dans la région de Kinshasa (République démocratique du Congo) dans les années 1920-50 : les contacts alors accrus entre humains et primates infectés par le virus de l’immunodéficience simienne ont favorisé l’adaptation de cet agent pathogène à l’humain24 .

On peut également citer pour exemple la maladie de Lyme. Cette pathologie, qui témoigne des liens entre altération de la biodiversité et épidémies25 , est due à une bactérie, Borrelia burgdorferi, transmise par la morsure de tiques. Dans la nature, les tiques se nourrissent sur un grand nombre de vertébrés. Certains, comme les écureuils et les cervidés, sont assez résistants à l’infection. D’autres, telles les souris, y sont en revanche très susceptibles. Suite à un effet de dilution, on trouve ainsi peu de tiques infectées dans les forêts présentant une grande biodiversité. Mais là où elle est faible, dans de petites parcelles boisées où les prédateurs sont donc peu nombreux, les souris peuvent voir leur nombre augmenter, ce qui accroît la fréquence d’infection des tiques et le risque pour l’humain : dans le nord-est des États-Unis et en Europe, un cycle historique de déforestation, de reboisement et de fragmentation des zones boisées a ainsi favorisé la progression de la maladie.

Dernier exemple emblématique : le réchauffement climatique. Il est désormais bien établi qu’il change la donne pour un large éventail de maladies à transmission vectorielle en Europe, et continuera de le faire dans les décennies à venir26 . On sait par exemple que le moustique tigre d’origine asiatique (Aedes albopictus), vecteur de maladies telles que Zika, la dengue et le chikungunya, ou encore la mouche des sables (phlébotome), originaire du Bassin méditerranéen et de l’Afrique du Nord et qui transmet la leishmaniose, se sont désormais établis dans le sud de l’Europe.

Les “12 principes de Manhattan” pointent également la nécessité d’approches holistiques et prospectives des maladies infectieuses émergentes en mêlant des spécialistes de toutes les disciplines et en tenant compte des interconnexions complexes entre espèces. La prévention des épidémies passe notamment par une réduction du commerce d’animaux sauvages en raison de « la menace réelle qu’il représente pour la sécurité socioéconomique mondiale » ; une augmentation des investissements dans les infrastructures de santé et les réseaux de surveillance des maladies infectieuses ; un partage rapide et clair des informations ; une éducation et une sensibilisation des populations et des décideurs politiques à l’interconnexion du vivant.

La conclusion livrée dans le résumé du congrès est sans appel : « Résoudre les menaces d’aujourd’hui et les problèmes de demain ne peut être accompli avec les approches d’hier ». « Nous devons concevoir des solutions adaptatives, prospectives et multidisciplinaires aux défis qui nous attendent sans aucun doute ».

3. Le concept One World, One Health (un seul monde, une seule santé)

Ce concept fut présenté en 2008 lors d’un symposium à Sharm el-Sheikh sur les risques infectieux liés aux contacts des écosystèmes humain et animal27 . Il présente un cadre stratégique global pour réduire les risques d’émergence de nouvelles maladies infectieuses à l’interface animal-humain-écosystèmes.

Pour atteindre cet objectif, plusieurs changements stratégiques importants sont présentés comme indispensables. Il est nécessaire d’initier des actions plus préventives en s’attaquant aux causes profondes et aux moteurs de maladies infectieuses, en particulier à l’interface animal-homme-écosystèmes. De passer d’intervention à court terme à des interventions à long terme. De renforcer des capacités nationales et internationales d’intervention d’urgence afin de prévenir et contrôler les épidémies avant qu’elles ne deviennent régionales et surtout internationales. De promouvoir une large collaboration institutionnelle entre les secteurs et disciplines.

Peu de temps après ce symposium, suite à la pandémie de grippe A due au virus H1N1 de 2008-2009, l’OMS adopta un nouveau programme mondial de lutte contre la grippe basé sur la stratégie One Health et impliquant une surveillance accrue des réservoirs animaux. Et dans le même temps, une première agence One Health fut créée aux États-Unis en collaboration avec les CDCs28. Elle œuvre aujourd’hui à promouvoir un agenda mondial de la sécurité sanitaire29 , en coopération avec de nombreuses autres organisations nationales et internationales, et implique plus de 70 pays.

One Health, EcoHealth et Planetary Health

Depuis l’émergence de One Health, d’autres concepts s’en rapprochant30 , comme EcoHealth et Planetary Health, ont vu le jour et ont été adoptés par la communauté scientifique.

Pour des raisons historiques, One Health reste très focalisée sur la prévention des épidémies pouvant toucher l’humain et donc se soucie principalement de la santé des vertébrés, même si son approche inclus également les écosystèmes. EcoHealth et Planetary Health partagent le même socle conceptuel que One Health mais ont fortement élargi la dimension environnementale, le type de menaces à considérer dans le cadre d’une politique efficace de santé publique et ont introduit des considérations d’équités dans les politiques de santé publique.

L’approche EcoHealth, supportée par le journal EcoHealth, s’axe sur la protection de la biodiversité dans son ensemble et la prévention de toutes les menaces dans le domaine de la santé. Elle s’intéresse donc également aux menaces d’origine non infectieuses comme la pollution atmosphérique ou les polluants contaminant l’environnement. Elle insiste sur la valeur intrinsèque de la biodiversité et la nécessité de trouver des solutions équitables, et donc plus acceptables par les populations, face aux menaces pesant sur la santé humaine.

Planetary Health est l’approche la plus récente. Elle est portée par la fondation Rockefeller et le journal The Lancet. Elle se présente comme une approche globale pour faire face à l’ensemble des menaces croissantes dans le domaine de la santé humaine à l’échelle mondiale. Elle insiste notamment sur la nécessité d’une économie soutenable et respectueuse de la santé animale et humaine ainsi que des écosystèmes.

Si ces trois approches traduisent des sensibilités et des composantes disciplinaires différentes, elles convergent cependant toutes sur la nécessité d’une politique de santé publique basée sur la prévention des menaces en agissant sur les facteurs socio-économiques favorisant leur émergence. Elles s’accordent également sur le constat qu’une partie croissante des causes de décès sont la conséquence directe de notre système socioéconomique. Par exemple, la pollution de l’air cause 9 millions de décès par année, soit 16% des décès totaux (chiffre OMS 2019). Si l’on additionne les décès liés à la pollution, au tabac (8 millions, 13.6%), à l’alcool (3.3 millions, 5.6%) et à l’obésité liée à la consommation d’aliments ultra-transformés (2.8 millions, 4.7%), on constate que 39.9% des causes de décès sont directement liées à la qualité de l’air et à l’alimentation. Bien loin devant les décès liés aux maladies infectieuses.

La conclusion d’un rapport publié en 2015 par la fondation Rockefeller et la Commission Lancet est sans ambiguïté : « Nous hypothéquons la santé des générations futures pour réaliser des gains économiques et de développement dans le présent. En exploitant de manière non durable les ressources de la nature, la civilisation humaine s’est épanouie, mais elle risque à l’avenir d’avoir à faire face à des effets importants sur la santé dus à la dégradation des systèmes de survie de la nature. »31 .

One Health, de la théorie à la pratique

Si le concept One Health s’est imposé depuis les années 2010 dans les agences de santé publique, son application concrète par les décideurs politiques reste encore très timide.

A l’exception de programmes de surveillance ciblé sur des menaces connues, comme celle des virus influenza, on consacre encore trop peu de moyens à détecter l’émergence de nouvelles menaces. L’exemple du SARS-CoV-2 est désormais emblématique. Suite à l’épidémie de SARS-CoV-1 de 2003 et de Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERS-CoV) de 2012, de très nombreuses études ont été consacrées aux coronavirus. Dès 2013, des recherches indiquaient clairement que des coronavirus proches du SARS-CoV-1 et disposant d’un fort potentiel infectieux pour l’humain étaient présents en nature chez les chauves-souris32 33 . Ces études soulignaient la « menace permanente (…) et la nécessité d’une étude et d’une surveillance continues »34 de ces virus. L’épidémie de SARS-CoV-2 de 2019 a pourtant été accueillie avec surprise, voire avec un certain déni, par de nombreux gouvernements.

La prévention de l’apparition de nouveaux agents pathogènes se heurte à la difficulté d’agir sur les conditions socioéconomiques favorisant leur émergence et surtout à l’absence d’une gouvernance mondiale en matière sanitaire. Des mesures internationales coordonnées sont indispensables pour lutter efficacement contre les épidémies. Rappelons que le WHO est une simple agence spécialisée de l’Organisation des Nations unies. Financée par les États et des fondations privées, elle ne dispose d’aucune capacité d’investigation autonome et est tributaire du bon vouloir des gouvernements qui font malheureusement souvent passer l’économie avant la santé publique. Son rôle se borne donc à fournir une expertise et des recommandations aux États. Elle ne peut être tenue pour responsable de l’inaction de ceux-ci.

Une réponse internationale coordonnée n’est possible que si la menace est perçue de la même manière par tous et si les gouvernements fixent des priorités similaires. Son efficacité dépend également de l’acceptation des mesures par la population, ce qui implique souvent des sacrifices en faveur de l’intérêt général. Certaines caractéristiques fondamentales de l’idéologie libérale qui domine les sociétés occidentales rendent problématique cette réponse globale et collective : la neutralité de l’État et le primat de l’individu sur le collectif. D’après John Rawls35 et Charles Larmore36 , le libéralisme préconise que les institutions et les politiques publiques soient neutres. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas censées favoriser une conception spécifique du bien commun. Ce qui est le mieux pour tous est généralement déterminé démocratiquement, par une « compétition d’opinions ». Le libéralisme impose également un strict respect des libertés individuelles et des intérêts privés et tend à rejeter toute forme de collectivisme ou de dictat imposé par le bien commun. Une politique de santé publique inspirée par One Health implique donc certains aménagements de l’idéologie libérale et des choix éthiques. A minima, la santé doit être réhabilitée comme un bien commun et devenir une priorité de l’action des gouvernements car elle est indispensable à toutes les activités économiques ou culturelles au sein d’une société moderne.

Enfin, l’approche One Health repose sur un socle de connaissances scientifiques empiriques et rationnelles. Or, la valeur des connaissances scientifiques elles-mêmes et leur légitimité à éclairer la gouvernance est de plus en plus fréquemment combattue, et ce même au sein des universités. Le mouvement postmoderne37 incarne une défiance envers la science et la rationalité, perçues comme normatrices et outils de domination. De nombreux universitaires, particulièrement en sciences humaines, ont intégré la vision constructiviste de la connaissance faisant des théories scientifiques des constructions sociales et non de véritables descriptions de la réalité38 . Dans cette perspective, les vérités scientifiques ne doivent plus être considérées comme des vérités universelles mais comme des « vérités locales », c’est-à-dire des vérités n’ayant de valeur qu’au sein de certains groupes sociaux.

Ainsi, bien que l’approche One Health ait à de nombreuses reprises prouvé son efficacité, sa mise en application se heurte à un grand nombre de problèmes pratiques (l’absence de gouvernance mondiale), idéologiques (l’absence de définition claire de l’intérêt général, la dominance de l’individu sur le collectif) et même épistémologique (le rejet de la légitimité de la science comme source de vérité). Son application nécessite donc une véritable révolution sociétale. Une révolution qu’il est urgent de mener car face aux menaces globales comme la pollution et le changement climatique, le coût de l’inaction peut s’avérer exorbitant et mener à terme à l’effondrement de nos sociétés.

[1]Https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/22/le-covid-19-a-fait-plus-de-six-millions-de-morts-dans-le-monde_6081100_3244.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[2]https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S128645791000211X?via%3Dihub (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[3]https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(11)60968-9/fulltext (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[4]https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0233147  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[5]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/20/nous-chercheurs-voulons-defendre-l-autonomie-de-la-recherche-et-des-formations_6026543_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[6]https://www.fhf.fr/Presse-Communication/Espace-presse/Communiques-de-presse/La-ligne-rouge-est-depassee-les-hopitaux-devraient-connaitre-un-deficit-historique-de-1-5-milliards-d-euros.-Reformes-structurelles-et-financieres-sont-desormais-vitales  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[7]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/11/coronavirus-l-hopital-ne-peut-pas-fonctionner-comme-une-clinique-privee-qui-choisit-ses-patients-pour-optimiser-sa-plomberie_6032559_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[8]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/16/coronavirus-la-question-du-tri-des-malades-est-un-enjeu-ethique-et-democratique-majeur_6033323_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[9]https://www.nature.com/articles/s41893-019-0293-3  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[10]https://www.icao.int/annual-report-2018/Pages/FR/the-world-of-air-transport-in-2018.aspx  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[11]https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK92473/  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[12]https://www.insurancejournal.com/news/national/2020/12/14/593838.htm (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[13]https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2771764  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[14]https://www.lesoir.be/287310/article/2020-03-15/coronavirus-larmee-requisitionnee-pour-lutter-contre-lepidemie-en-espagne (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[15]https://www.lesoir.be/287724/article/2020-03-17/laisser-faire-le-coronavirus-les-pays-bas-et-le-royaume-uni-misent-sur-une (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[16]R. L. Haffajee, M.M. Mello. Thinking Globally, Acting Locally — The U.S. Response to Covid-19. N Engl J Med. 382, e75 (2020).

[17]R. Horton, Ed., The COVID-19 Catastrophe: What’s Gone Wrong and How to Stop It Happening Again (Policy Press, Cambridge, UK and Medford, MA, 2020)

[18]Editors. Dying in a Leadership Vacuum. N Engl J Med. 383(15), 1479-1480 (2020).

[19]https://www.rtbf.be/info/monde/detail_pour-l-oms-beaucoup-de-pays-n-en-font-pas-assez-pour-combattre-le-coronavirus%C2%A0?id=10449010 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[20]Schwabe C.W. Williams & Wilkins; Baltimore: 1984. Veterinary Medicine and Human Health.

[21]https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/11/12/05-0997_article (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[22]https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2001.0888 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[23]https://www.oneworldonehealth.org/sept2004/owoh_sept04.html (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[24]https://science.sciencemag.org/content/346/6205/56 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[25]https://www.nature.com/articles/nature09575 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[26]https://academic.oup.com/femsle/article/365/2/fnx244/4631076 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[27]https://www.oie.int/doc/ged/D5720.PDF (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[28]https://www.cdc.gov/onehealth/index.html (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[29]https://ghsagenda.org/ (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[30]https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fvets.2017.00163/full (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[31]https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(15)60901-1/fulltext (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[32]https://www.nature.com/articles/nature12711 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[33]https://www.nature.com/articles/nm.3985 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[34]https://www.pnas.org/content/113/11/3048 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[35]J. Rawls, Ed., Theory of Justice (Harvard University Press, Cambridge, MA, 1973)

[36]C. Larmore. Political Liberalism. Political Theory. 18(3), 339-360 (1990)

[37]Jean-François Lyotard. La Condition postmoderne. 1979

[38]Bruno Latour et Steven Woolgar. La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques. 1979

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Transition socio-écologique et urgence climatique,
les « nouveaux » défis de la promotion de la santé !

Le 30 Sep 21

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Epidémie dans les maisons de repos, inondations catastrophiques, en situation de crise les acteurs de la promotion de la santé sont interpellés pour des actions dans l’urgence. Même des citoyens engagés s’interrogent sur l’utilité réelle de ce secteur ! Les conséquences directes et indirectes de la pression exercée par l’anthropocène sur la planète doivent-elles nous faire abandonner toute réflexion et action en matière de prévention et de promotion de la santé ? Certainement pas, il faut continuer, comme on le fait sans relâche depuis une quarantaine d’années, à plaider pour une autre vision de la santé tout en y intégrant davantage les préoccupations pour l’environnement et les troubles climatiques extrêmes.

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Introduction

Convaincus que la promotion de la santé répond aux mêmes enjeux et utilise les mêmes outils conceptuels et opérationnels que ceux de la transition socio-écologique, nous avions préparé avec Chantal Vandoorne et des collègues français du secteur de l’environnement un module de formation « Inégalités sociales de santé et transition socio-écologique » pour la 18ème Université d’été francophone en santé publique à Besançon (FNES, 2021).

Ce module n’a pu avoir lieu faute d’inscriptions suffisantes. Modalités d’enseignement à distance trop contraignantes, sentiment de répétition du discours sur les inégalités sociales et sur la promotion de la santé, difficultés de perception de la pertinence du lien entre santé, environnement et inégalités sociales, ou encore doute sur les possibilités opérationnelles de la promotion de la santé ?

La préparation de cette formation nous fournit cependant l’occasion de repréciser trois axes de réflexion à propos des concepts de transition socio-écologique, de promotion de la santé, d’inégalités sociales de santé. Le premier concerne la place de l’environnement dans les déterminants des inégalités sociales de santé. Le second se penche sur la proximité des démarches de transition socio-écologique et de promotion de la santé. Le troisième s’interroge sur les synergies à créer avec les secteurs de l’environnement et de la sécurité civile, comme nouveaux défis pour la promotion de la santé.

Même dans un contexte d’urgence climatique, il reste essentiel (et urgent) de construire avec les publics les plus précaires des solutions soutenant leur émancipation et leur pouvoir d’agir sur les déterminants sociaux et environnementaux de leur santé.

Inégalités sociales et environnementales de santé

Faut-il répéter les liens établis entre le changement climatique, les inégalités sociales et la santé ?

Les documents internationaux qui établissent ces liens ne manquent pas tant au niveau du GIEC (climat.be 2021, Smith 2014) que de l’OMS (WHO 2021) : inondations, vagues de chaleur, maladies infectieuses… Partout dans le monde et chez nous, les populations les plus précaires sont les plus soumises aux aléas du changement climatique. (Dupuis 2013)

Prenons cependant des exemples proches de nous.

Eric Deffet (2021), journaliste au Soir, présente une carte des revenus médians par quartier à Verviers réalisée par le Centre Jacky Morael à partir des données de Statbel, dans un article du 29 juillet « Les quartiers ravagés par les inondations sont souvent les plus pauvres ». Il fait la relation avec les quartiers du bord de la Vesdre les plus touchés par l’inondation.

De même, il est éclairant de faire la relation entre la cartographie des revenus médians dans les quartiers les plus urbanisés de Bruxelles (Wayens et al 2016) ou encore de la perception de la qualité du logement et de l’environnement (Wayens 2016) avec la carte sur les ilots de fraicheur (ou plutôt de l’absence d’ilots de fraicheurs !) proposée par Bruxelles Environnement (2021).

La crise pandémique Covid-19 nous a aussi montré à suffisance les liens entre pauvreté et contamination, hospitalisation ou encore adhésion vaccinale (UIPES 2020, OSH 2020).

Transition socio-écologique et promotion de la santé

Pour présenter les concepts de transition écologique et de transition socio-écologique, citons la DREAL-BFC (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bourgogne – Franche Comté) partenaire du module.

« […] la notion de transition écologique est née d’un mouvement citoyen en Angleterre, initié notamment par l’agronome Rob Hobkins, et qui a pris rapidement une ampleur internationale.

Il s’agit d’un processus de transformations de la société par le renouvellement de nos façons de consommer, de produire, de travailler, d’urbaniser, de se déplacer, mais plus largement de tous les aspects de nos modes de vie dans l’optique de répondre aux enjeux environnementaux, mais aussi sociaux. 

Afin d’articuler la lutte contre la pauvreté et celle pour le climat, la biodiversité, la préservation des ressources, le bien-être, etc., c’est le concept de « transition socio-écologique » qui est proposé par le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD). La logique est ascendante : elle n’est plus de poursuivre des objectifs fixés à l’avance par les pouvoirs publics, mais de co-construire de multiples chemins de transition à partir des citoyens, des associations, des entreprises, et toutes les composantes de la société civile.

La transition socio-écologique se construit alors « de proche en proche par des expérimentations qui s’appuient sur le lien social et souvent sur des formes d’économie plus collaborative, de pair en pair, poursuivant des finalités écologiques. Ces expérimentations émanent de valeurs et d’alternatives concrètes qui se nourrissent les unes les autres pour donner sens à l’action » (CGDD 2017, p. 6). »

De cette introduction et surtout de la lecture des deux rapports français du CGDD (Commissariat général au développement durable) de 2015 et 2017, la proximité avec la démarche de la promotion de la santé est claire : émancipation et pouvoir d’agir des personnes et des communautés en particulier les plus précaires, multi-déterminisme des facteurs qui influencent l’environnement comme la santé, inégalités sociales face à l’environnement comme face à la santé, actions par les milieux de vie et les territoires locaux, villes en transition en miroir des villes en santé (Réseau français des villes santé 2014)… les enjeux et les stratégies sont semblables.

Lydie Laigle (2015), en nous invitant à analyser les rapports entre la cohésion sociétale et la transition écologique, évoque des fondements qui sont familiers aux acteurs de la promotion de la santé. Elle mentionne les relations inégalitaires des êtres humains aux transformations de l’environnement et elle fait appel aux éthiques de la justice de Rawls. Elle insiste sur les capabilités des individus et des collectifs de s’adosser sur des relations d’expériences à leur milieu pour en mobiliser les ressources et susciter des innovations sociales et des formes alternatives de coopération. Favoriser la résilience et la réduction des risques semble une voie prometteuse. Elle pourrait l’être à condition de rester attentif au risque d’aggraver les inégalités sociales par des approches qui amplifient la responsabilité individuelle. La résilience doit être une opportunité de construire d’autres rapports nature-société, de déployer des pratiques émancipatrices. L’action publique doit alors dépasser les politiques normatives d’assistance et de compensation pour soutenir les initiatives d’adaptation localisées, éthiques et coopératives, et les capacités citoyennes d’agir.

D’autres références peuvent être mobilisées dans le sens de cette proximité. Citons par exemple l’article de Jacques Morel « Déclaration pour une santé planétaire » en mai 2020. Il y présente la déclaration de Rotorua de l’UIEPS en 2019 et les liens entre la promotion de la santé et le changement climatique.

Mais si les défis et les démarches sont communs, pourquoi n’y-a-t-il pas une mise en commun des ressources ? C’était le dernier axe de réflexion du module.  

Comment faire pour que les politiques territoriales et les interventions de proximité mises en place pour prévenir et corriger les iniquités en matière de santé comme en matière d’environnement avancent de manière moins sectorisée ?  Pourquoi ne pas concevoir et construire des interventions de proximité de réduction des inégalités sociales et environnementales de santé en lien avec les enjeux de la transition, en attachant une attention aux synergies entre acteurs et aux dynamiques qui accroissent le pouvoir de dire et d’agir des citoyens ?

Les « nouveaux » défis de la promotion de la santé

Le premier défi est celui de la contribution de la promotion de la santé à la transition socio-écologique.

La promotion de la santé travaille déjà dans une perspective de transition socio-écologique en particulier dans le domaine de l’alimentation durable et inclusive comme le montre le projet Interreg AD-In.

La proximité avec le secteur de l’ERE (Education Relative à l’Environnement) ne date pas non plus d’hier (Partoune 2006). L’asbl Réseau Idée a aussi invité à plusieurs reprises des opérateurs de la promotion de la santé et propose de nombreuses références relatives à la santé.

positive company workers playing with jigsaw puzzle during team building activity

Mais ne faudrait-il pas aller plus loin ? Plus loin dans la concertation, la coordination et surtout la coopération !  

Nous préconisons un rapprochement structurel des acteurs « promotion – éducation – santé – environnement ». Attention, il ne s’agit pas de se cantonner au domaine actuel « santé environnement » (Luong 2017) qui n’envisage le plus souvent que l’impact « médical » des nuisances directes liées à l’environnement comme les pollutions par le bruit, l’eau ou encore l’air, domaine attribué d’ailleurs institutionnellement au Ministre en charge de l’environnement.

Non, il s’agit de refonder simultanément les bases conceptuelles et opérationnelle des secteurs de la santé et de l’environnement pour en faire un véritable outil d’une politique croisée de la transition sociale, sanitaire et écologique.

Prenons l’exemple prometteur du Plan wallon alimentation activité physique et santé publié en 2018,et pointons ses atouts et ses faiblesses

Parmi ses atouts : une démarche de co-construction multi-acteurs avec des représentants des secteurs de la santé, de l’enseignement, de l’environnement, mais aussi de la recherche ou de l’économie et donc des objectifs partagés ; une conception élargie de l’alimentation et de l’activité physique s’inscrivant dans la transition sociétale comme l’alimentation durable ou l’activité physique et la mobilité ; des références explicites à la transformation des modes de vie, la diminution des inégalités sociales de santé, le numérique, la participation citoyenne et la mobilisation de toutes les politiques.

Sa principale faiblesse : un plan porté en responsabilité par un seul secteur et un seul budget en limitant drastiquement la portée effective.

Pourtant un objectif commun et des moyens y afférent peuvent multiplier l’impact d’une politique au bénéfice de la population. Prenons l’exemple de l’objectif opérationnel 3.5.1 du WALAPSanté : « Renforcer l’accès à des espaces publics proches, de bonne qualité et multifonctions comme par exemple des espaces verts, de récréation, de détente, de repos et des équipements sportifs. ». La réalisation de cet objectif pourrait (devrait) être une option à proposer aux habitants au moment de la reconstruction des zones sinistrées par les inondations.  Elle peut dégager des gains appréciables et directs en matière de santé, d’environnement, de qualité de vie, mais aussi à moyen terme de lutte contre le changement climatique et ses aléas. Elle nécessite néanmoins un accompagnement des acteurs locaux et des citoyens dans la conception et l’utilisation de ces espaces à des fins de santé, de cohésion sociale et de sécurité.

Il faut clairement et rapidement aller plus loin dans la démarche de co-opération : inscrire la promotion de la santé dans le cadre de la transition socio-écologique, identifier voire désigner des relais institués dans les différents secteurs, dégager des ressources budgétaires communes, identifier un lieu, une instance de prospective et de monitoring commune. Tous les efforts doivent être rassemblés pour faire face à la crise climatique dans son ensemble de manière préventive, sans attendre les catastrophes futures.

Urgence et promotion de la santé

Cependant cette vision stratégique du futur de la promotion de la santé au sein de la transition socio-écologique ne suffit pas ! Nous ne sommes plus dans la perspective d’une transition douce. Sans devenir collapsologues et craindre l’effondrement, nous pouvons, nous devons envisager des événements problématiques plus fréquent et plus graves.

Crise sanitaire et inondations ont montré la nécessité de clarifier l’apport de la promotion de la santé au cœur de l’urgence et de la crise. Quel rôle alors pour les professionnels de la promotion de la santé au-delà de leur engagement dans la transition de la société ? C’est le second défi.

Il faut répondre aux critiques des gestionnaires de crise même si elles sont parfois infondées… A chacun son métier. Ce n’est pas parce que nous avons des pompiers capables de faire face à un incendie qu’il ne faut pas développer des actions de prévention sur la sécurité passive des bâtiments, sur les alarmes, sur les mesures individuelles de précaution.  Augmenter le nombre de pompiers est une stratégie, comme de leur demander d’assurer toutes les facettes de la gestion du risque y compris celles de la prévention. Mais polyvalence ne signifie pas nécessairement expertises et compétences.

Le secteur de la promotion de la santé répond présent au cours de la crise COVID-19 (CLPS 2020). S’inspirant des stratégies de la promotion de la santé, les acteurs de promotion de la santé ont renforcé le développement des aptitudes individuelles, celles du pouvoir d’agir en particulier, travaillé avec les communautés de professionnels et d’habitants. Mais ne faut-il pas investir d’autres outils et d’autres stratégies ? Serait-il judicieux de s’inspirer des expertises développées dans des champs plus spécifiques de la prévention : la prévention des accidents domestiques, la prévention et la protection au travail, l’analyse et de la réduction du risque.

Pourrait-on créer un dialogue constructif et non substitutif dans le champ de la prévention et de l’éducation avec les gestionnaires du risque environnemental et ceux de la sécurité civile ? L’expérience et les ressources du secteur de la promotion et de l’éducation pour la santé seraient des atouts pour développer des mesures d’éducation pour faire face au risque climatique comme l’inondation ou la vague de chaleur, comme on le fait dans certains pays en matière de risque sismique ou cyclonique.

Références

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  • Morel J. « Déclaration pour une santé planétaire », Education Santé, Mai 2020.
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