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people plant tree, developing, taking a risk, support and solvin

Des stratégies pour promouvoir la santé des Bruxellois∙es en contexte de pandémie 

Le 23 Mai 22

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En collaboration avec la COCOF, les Cabinets Maron-Trachte, le CBPS, Cultures & Santé, la FBPSanté, Question Santé et le Réseau Safe Ta Night

Dans cet article, nous décrivons brièvement un travail de recherche évaluative, menée fin 2021 en Région Bruxelles-Capitale, qui s’est penchée sur deux objets interreliés : une dynamique de concertation de crise, d’une part, et des projets et services mis en œuvre en réponse aux enjeux de la pandémie de COVID-19, d’autre part. Ce travail de recherche a pris la forme d’un recueil d’expériences1 qui est à découvrir sur le site du RESO : www.uclouvain.be/reso.

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« Stratégies concertées » ou pas ?

La dynamique de concertation de crise sera très vite désignée sous l’appellation de « stratégies concertées COVID bruxelloises », en référence aux stratégies concertées IST-VIH2 développées par un réseau d’acteur∙rices pour définir un cadre de référence commun au secteur de la prévention IST/hépatites/VIH. Ces stratégies concertées IST-VIH sont le résultat d’un travail d’élaboration de plusieurs années reposant sur la méthode de planification PRECEDE-PROCEED3. Il est important de préciser que la dynamique de concertation qui nous intéresse ici n’avait pas pour finalité d’élaborer un cadre de référence pour promouvoir la santé en contexte de pandémie et prévenir la propagation de la COVID-19. Nous préférons dès lors utiliser les termes de « dynamique de concertation de crise » pour marquer la démarcation avec les stratégies concertées IST-VIH.

Origine du recueil

A l’origine de la recherche, il y a une série d’acteur∙rices bruxellois∙es (détaillé∙es dans la liste ci-dessous) rassemblé∙es au sein d’un comité d’accompagnement (CA) et d’un comité de pilotage « promotion de la santé » (COPIL-PS) formés fin 2020. C’est à l’initiative de la COCOF et du Cabinet de la Secrétaire d’État et Ministre-Présidente Barbara Trachte que le CA voit le jour avec pour objectif de soutenir la mise en œuvre d’actions de promotion de la santé et de prévention de la COVID-19 à destination de publics aux besoins spécifiques ainsi que des actions de soutien aux professionnel∙les de la santé et du social en contact avec ces publics. Le COPIL-PS naît quant à lui du besoin des acteur∙rices de promotion de la santé participant au CA de se fédérer pour soutenir le déploiement de stratégies de promotion de la santé en contexte de pandémie.

Les premières réunions du CA sont mouvementées : la pression et l’urgence pèsent sur les discussions et le manque de perspective à moyen terme est déstabilisant. Pourtant les attentes sont grandes. Les difficultés ressenties ainsi que le caractère unique de l’expérience mettent en lumière la nécessité pour les membres du CA d’être soutenus pour tirer des leçons de cette expérience. Ainsi, quelques mois après la mise en place du CA et du COPIL-PS, le RESO (service universitaire de promotion de la santé situé à l’UCLouvain) rejoint la dynamique de concertation pour apporter ce soutien dans une démarche de recherche évaluative et participative.

Membres du CA et du COPIL-PS
CACommission communautaire française – COCOF
CACabinet de la Secrétaire d’État et Ministre-Présidente Barbara Trachte
CACrisis Manager COCOM
CALe Collège intermutualiste bruxellois représenté par les Mutualités Libres
CAOutbreak Support Team Belta
CAService de Prévention et d’Aide à la Jeunesse
CA & COPIL-PSCentre bruxellois de Promotion de la Santé – CBPS
CA & COPIL-PSCultures&Santé
CA & COPIL-PSFédération Bruxelloise de Promotion de la Santé
CA & COPIL-PSLes Pissenlits
CA & COPIL-PSQuestion Santé
CA & COPIL-PSRéseau Safe Ta Night : Ex-Aequo, Fédération Laïque des Centres de Planning Familial, Modus Vivendi et la Plateforme Prévention Sida

Démarches méthodologiques

La démarche évaluative a poursuivi deux objectifs, définis avec le COPIL-PS, la COCOF et la représentante du cabinet de la Ministre Barbara Trachte afin que ceux-ci répondent aux besoins des principales parties prenantes et contribuent à faire évoluer les travaux du CA et du COPIL-PS. Sur base de ces objectifs, le RESO a proposé deux démarches méthodologiques distinctes.

Le premier objectif de la recherche évaluative portait sur la mise en dialogue des parties prenantes du CA, ingrédient essentiel d’une concertation. Il s’agissait pour les membres du CA d’apprendre de cette expérience de concertation de crise. Au travers d’entretiens semi-directifs avec les parties prenantes du CA, nous avons cherché à clarifier le récit du CA – son histoire –, ses liens avec le contexte de pandémie, les caractéristiques du cadre de la concertation et ses effets. Compte tenu de l’importance pour le CA et le COPIL-PS de s’approprier pleinement les résultats de cette démarche, l’analyse des informations recueillies a fait l’objet de séances de délibération au sein du CA.

Le second objectif visait à mettre en lumière les projets et services mis en œuvre par certaines parties prenantes. Ces projets et services avaient de commun qu’ils reposaient sur des fondamentaux en promotion de la santé et qu’ils contribuaient à l’effort de prévention de la COVID-19. Au travers d’entretiens avec les chargé∙es de projet, nous avons cherché à capitaliser (c’est-à-dire passer de l’expérience aux connaissances) ces initiatives pour mettre en avant leurs particularités et intérêts en contexte de pandémie ainsi que leurs effets. Les résultats de ces analyses ont fait l’objet d’allers-retours entre les chercheuses et les chargé∙es de projet des structures impliquées.

Un recueil d’expériences en guise de rapport de recherche

Les résultats de cette recherche évaluative devaient, entre autres, permettre d’alimenter les réflexions en cours dans le cadre de la mise à jour du Plan Stratégique de Promotion de la Santé 2023-2027 et de l’élaboration du Plan Social-Santé Intégré pour la Région de Bruxelles-Capitale. A cette fin, le CA et le COPIL ont chacun formulé des recommandations qui sont à découvrir sur le site du RESO (www.uclouvain.be/reso).

Ils devaient également aider à visibiliser la pertinence des stratégies de promotion de la santé en contexte de pandémie. C’est dans cette optique que les résultats de la recherche ont pris la forme d’un recueil d’expériences qui montre comment les stratégies et principes de promotion de la santé ont contribué à répondre aux enjeux socio-sanitaires de la pandémie de COVID-19. Ce recueil ne prétend pas à l’exhaustivité ; de nombreux autres projets et services s’inscrivant dans cette démarche de promotion de la santé ont participé à lutter contre les iniquités en lien avec la pandémie. Le choix de se limiter à ces initiatives s’explique uniquement par le contexte de la réalisation de ce travail de recherche. 

La présentation de ces initiatives est structurée selon les stratégies dans lesquelles elles s’inscrivent. Pour définir ces stratégies, les chercheuses se sont basées sur des objectifs généraux et stratégiques proposés par la COCOF et retravaillés avec le COPIL-PS qu’elles ont croisés avec les travaux de chercheur∙euses canadien∙nes4,5. Ces dernier∙ères ont développé un cadre de préparation aux situations d’urgence de santé publique basé sur des valeurs communes à celles des démarches de promotion de la santé telles que l’équité.

A la suite de cet article, nous présentons brièvement ces stratégies et les initiatives capitalisées dans le cadre de ce travail de recherche.  

hands with speech balloon

Des stratégies et des initiatives en contexte de pandémie

  • Elaborer un plan d’action au moyen d’un processus de planification dynamique et collaboratif

En Région Bruxelles-Capitale, deux espaces de concertation multi-acteur·rices illustrent cet objectif général : il s’agit du CA et du COPIL-PS présentés ci-dessus. Cette double dynamique de concertation aura permis, d’une part, d’améliorer la capacité de ses membres à contribuer à la gestion de la crise et, d’autre part, de permettre une timide dissémination des stratégies de promotion de la santé dans les pratiques de gestion de la crise.

  • Etablir des liens, des partenariats et se baser sur des réseaux solides

Plusieurs organisations bruxelloises ont travaillé dans ce sens ce qui a permis une meilleure circulation de l’information, une réactivité plus rapide et plus importante, la fédération d’acteur·rices autour d’idées communes, ainsi qu’une amélioration de la capacité d’adaptation, de flexibilité et de résilience organisationnelle.

La FBPS, les Pissenlits et l’Observatoire du Sida et des Sexualités ont coordonné un projet de concertation rassemblant plus d’une trentaine d’acteur·rices œuvrant dans des démarches communautaires. Cette concertation aura permis, entre autres, de définir les apports des démarches communautaires en santé dans la lutte contre les inégalités sociales de santé, notamment en situation de pandémie. D’autre part, le réseau Safe Ta Night, composé de 4 associations – Modus Vivendi, la Plateforme Prévention Sida, Ex-Aequo et la Fédération Laïque des Centres de Planning Familia – est un réseau préexistant à la crise sanitaire qui s’est mobilisé pour cocréer des actions de Réduction des Risques en milieu festif, intégrant des messages de prévention de la COVID-19.

  • Comprendre les besoins et les ressources des communautés et générer des dynamiques locales

Plusieurs organisations ont eu recours à des analyses de situation (aussi appelées « diagnostic ») pour bien comprendre la nature de la problématique rencontrée par certains groupes en contexte de pandémie et identifier les leviers sur lesquels reposer leurs actions ou recommandations.

C’est le cas du CBPS qui s’est intéressé aux professionnel∙les relais (des secteurs social-santé) pour mieux comprendre l’impact de la COVID-19 sur leurs pratiques et aboutir, à la suite d’un processus participatif, à des recommandations pour une gestion de crise plus équitable. Le réseau Safe Ta Night a également réalisé un diagnostic en amont de la construction de son projet pour mieux comprendre les comportements à risque des « jeunes fêtard∙es » en contexte de pandémie. A la suite de cette étape, les partenaires ont élaboré, de manière participative, deux campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, renforcées par des actions d’outreach (démarche d’aller vers les publics). Un réseau de plusieurs AMO (service d’action en milieu ouvert) a également mené une étape de diagnostic communautaire qui a eu pour effet de créer une dynamique de mobilisation de jeunes, accompagnée par les AMO, qui a abouti à la création et à la diffusion d’une campagne centrée sur le thème de la liberté en contexte de pandémie, également renforcée par des actions d’outreach.

  • Soutenir les professionnel·les de la santé et du social

Durant la pandémie, les professionnel·les des secteurs de la santé et du social ont été particulièrement mobilisé·es en tant que relais des mesures de prévention de la COVID-19 auprès des usager∙ères des services sociaux et de santé. Rapidement, les acteur∙rices qui viennent en support à ces professionnel∙les ont identifié un besoin de renforcer les capacités des individus à gérer une situation de crise sanitaire.

Ce soutien a pris différentes formes. Cultures&Santé et Question Santé ont par exemple développé des outils pédagogiques sur des thématiques traitant de la COVID-19 (gestes barrières, vaccination, etc.) afin de soutenir les professionnel∙les relais à entrer en dialogue avec les personnes auprès desquelles iels interviennent. Ces outils ont été conçus pour rendre l’information accessible en tenant compte des niveaux de littératie en santé de la population. Ces acteur·rices, ainsi que le CBPS, ont également réalisé des séances de formation-sensibilisation et des intervisions avec les professionnel·les relais afin de les soutenir.

  • Apprendre et évaluer les processus et résultats

Les projets et services susmentionnés représentent des objets d’innovation dans le sens où ils se sont déployés dans un contexte nouveau et complexe. Il convient dès lors de créer une mémoire collective et de tirer les enseignements de cette expérience pour apprendre et s’adapter dans le futur. Tel que mentionné au début de cet article, cette démarche d’évaluation fut accompagnée par le service du RESO-UCLouvain, à la demande des membres du COPIL-PS et de l’administration de la COCOF. Les résultats de cette démarche ont été formalisés et sont proposés sous la forme d’un rapport intitulé « Promouvoir la santé en contexte de pandémie »1 et qui est disponible sur le site du RESO.

Pandémie et promotion de la santé

Les actions bruxelloises brièvement présentées ci-dessus ont en commun d’être fondées sur des valeurs et des stratégies dites de « promotion de la santé ». En sa qualité de stratégie de santé publique, la promotion de la santé est une composante essentielle d’une gestion de crise sanitaire (6). C’est ce que nous illustrons dans ce recueil de stratégies et d’actions concrètes que nous vous invitons à découvrir sur le site du RESO (www.uclouvain.be/reso).  

Références

  1. Rousseaux R. & Malengreaux S. (2022) Promouvoir la santé en contexte de pandémie – recueil d’expériences bruxelloises. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 34p. [cité le 11-05-22] Disponible sur : https://uclouvain.be/instituts-recherche/irss/reso/pandemie-et-promotion-de-la-sante.html
  2. Stratégies concertées IST-VIH. Observatoire du sida et des sexualités.  [cité le 11-05-22] Disponible sur : https://www.strategiesconcertees.be/
  3. Green L. & Kreuter M.W. (2005) Health program planning: An educational and ecological approach (4th ed.). New York: McGraw Hill.
  4. Khan Y., O’Sullivan T., Brown A.D., et al. (2018).  Public health emergency preparedness : a framework to promote resilience. BMC Public Health, 18:1344. https://doi.org/10.1186/s12889-018-6250-7
  5. Khan Y., Brown A.D., Gagliardi A.R., et al. (2019). Are we prepared ? The development of performance indicators for public health emergency preparedness using a modified Delphi approach. PLoS ONE, 14(12). https://doi.org/10.1371/journal.pone.0226489
  6. Scheen B., Aujoulat I., Lu pour vous : Stephan Van den Broucke, Why health promotion matters to the COVID-19 pandemic, and vice versa. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/ IRSS-RESO, 2020, 2 p. Disponible sur : https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/irss/reso/lu-pour-vous.html

four diverse male and female senior friends wearing face masks s

Vaccessible:
les actions de vaccination bruxelloises sous la loupe

Le 23 Mai 22

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À la demande de l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, l’UCLouvain (Sophie Thunus et Alexis Creten) et l’Université libre de Bruxelles (Céline Mahieu), dans le cadre du Brussels Studies Institute, ont réalisé une étude qualitative sur un ensemble d’initiatives de vaccination de proximité à Bruxelles.Sur la base du credo politique « nous ne laissons personne de côté », les chercheur.e.s ont examiné un certain nombre de projets et d’initiatives qui ont le même objectif : si les Bruxellois et Bruxelloises ne viennent pas aux centres de vaccination, les vaccins viendront à eux. En d’autres termes : si vous ne pouvez pas mobiliser certaines personnes, mobilisez les soins de santé.

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De quoi les publics ont-ils besoin ? Comment les acteurs professionnels de la santé et du social participent-ils à la sensibilisation ? Comment les dispositifs contribuent-ils à une approche adaptée à ces besoins ? Comment ces dispositifs sont-ils articulés ?  Ce sont les questions auxquelles l’étude tente de répondre en s’intéressant en particulier au sens que les publics et les professionnels donnent à leur action.

Face au débat souvent polarisé entre les pour ou contre la vaccination, cette étude laisse entrevoir des positions plus nuancées. En effet, les lectures qui assimilent telle ou telle catégorie de population à une attitude spécifique par rapport à la vaccination présentent le risque de pousser les personnes hésitantes à afficher plus de résistance.

Ni slogans commerciaux ni promesses politiques, mais de l’information. Ni jugement ni menace, mais des explications

Il ressort de l’étude que l’approche par catégories socio-démographiques (âge, sexe, quartier, niveau socio-économique), employée pour cibler les populations et évaluer les initiatives de vaccination, est contreproductive. Elle accentue les risques de stigmatisation de telle ou telle partie de la population : les jeunes, les habitants de tel quartier, etc. L’étude propose donc de passer d’une approche basée sur ces catégories à une approche fondée sur les besoins. Ceux-ci se résument en trois mots : l’accessibilité au système de santé, l’acceptabilité des outils de sensibilisation à la vaccination, et la confiance dans les prestataires de soins et dans la science elle-même.

Pour sortir d’une communication paternaliste et culpabilisante, l’étude préconise de mettre davantage l’accent sur une communication transparente, claire, et centrée sur la connaissance et la compréhension du coronavirus et du vaccin. Pour éviter que les populations ne se sentent instrumentalisées, les auteur·es suggèrent de remettre la santé publique et la promotion de la santé au cœur de la communication sur la vaccination.

Diversifier les dispositifs, mais les coordonner

Compte tenu de ces observations, les chercheur.e.s encouragent à préserver et à renforcer une offre diversifiée et comprenant : premièrement des grands centres pour une vaccination rapide, deuxièmement des lieux mobiles et pop-up dans l’espace public qui peuvent répondre aux questions des passants hésitants, et troisièmement des lieux où la vaccination est ouverte à la discussion car une relation de confiance existe ou peut se développer entre le prestataire de soins et le patient. Afin de résumer les caractéristiques principales de ces différentes initiatives, l’étude a identifié trois types de dispositifs de vaccination dénommé « l’invitation », « la proposition » et « la relation ».

Cependant, l’étude souligne un manque de coordination qui ne permet pas de tirer profit de la complémentarité de ces nombreuses initiatives. Celles-ci souffrent aussi de l’absence de perspective sur le long terme, ce qui contrarie les acteurs professionnels dans leur volonté d’ancrer la sensibilisation à la vaccination dans des enjeux de santé publique de long terme.

Impliquer les professionnels de la santé et du social comme de véritables acteurs, non de simples exécutants

Les acteurs professionnels ne sont pas de simples « intermédiaires » mais bien des « médiateurs » qui façonnent activement la stratégie vaccinale au travers de leurs recommandations et de leurs actions auprès de la population. L’étude a montré qu’au sein d’un même métier, il existe une hétérogénéité de représentations et de pratiques en matière de sensibilisation à la vaccination. En tenir compte permettrait une meilleure collaboration entre pouvoirs publics et professionnels. La plupart de ces derniers refusent en particulier de participer à des actions perçues comme trop contrôlantes ou réduisant la santé de leurs usagers à la vaccination. La confiance que ces acteurs professionnels ont construite avec leurs publics est en effet une ressource sur laquelle on peut s’appuyer pour déployer des actions plus proactives en matière de sensibilisation à la vaccination mais c’est aussi un rapport fragile, précieux.

Ces recommandations ne permettront pas de rallier tout le monde. Le credo « nous ne laissons personne derrière » n’est, pour ceux qui ont été laissés derrière pendant des générations, rien de plus qu’un appel vide de sens.  Pour eux, la confiance est un processus à long terme qui commence par une écoute réelle de ce qu’ils pensent.

Pour consulter le rapport, rendez-vous sur le site de la COCOM (www.ccc-gcc.brussels) > Observatoire de la Santé et du Social > publications > rapports externes > vaccessible.

Cet article est paru initialement sur le site de la Commission Communautaire Commune (COCOM), sous le titre « Vaccessible : une étude qualitative des actions locales de vaccination implémentées en Région de Bruxelles-Capitale face à la pandémie de coronavirus ». Nous remercions l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale pour leur aimable autorisation de reproduction.

OMS: des pistes pour enrayer la progression de l’obésité

Le 1 Juin 22

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Le nouveau Rapport sur l’obésité dans la Région européenne de l’OMS 2022, publié le 3 mai par le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe, révèle que les taux de surpoids et d’obésité ont atteint des proportions épidémiques dans toute la Région et continuent de grimper ; aucun des 53 États membres de la Région n’est actuellement en bonne voie d’atteindre l’un des objectifs mondiaux de l’OMS dans le domaine des maladies non transmissibles (MNT), à savoir enrayer la progression de l’obésité pour 2025.

De nouvelles données sur l’obésité et la surcharge pondérale

Ce rapport, lancé le 3 mai à l’occasion d’un événement pour la presse et présenté au Congrès européen sur l’obésité, révèle que dans la Région européenne, 59 % des adultes et près d’un enfant sur 3 (29 % des garçons et 27 % des filles) sont en surpoids ou obèses. La prévalence de l’obésité chez les adultes de la Région européenne est supérieure à celle de toutes les autres Régions de l’OMS, à l’exception des Amériques.

Le surpoids et l’obésité figurent parmi les principales causes de décès et d’invalidité dans la Région européenne. Selon des estimations récentes, ils seraient à l’origine de plus de 1,2 million de décès par an, ce qui correspond à plus de 13 % de la mortalité globale dans la Région.

L’obésité augmente le risque de contracter de nombreuses MNT (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète sucré de type 2, maladies respiratoires chroniques, etc.). Par exemple, l’obésité est considérée comme l’une des causes d’au moins 13 types de cancer et est probablement directement responsable d’au moins 200 000 nouveaux cas de cancer par an dans la Région, un chiffre qui devrait encore augmenter dans les prochaines années. Le surpoids et l’obésité sont également le principal facteur de risque d’invalidité, à l’origine de 7 % du nombre total d’années vécues avec une invalidité dans la Région.

Les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont touché de manière disproportionnée les personnes en surcharge pondérale ou obèses. La pandémie a entraîné des changements défavorables dans les habitudes de consommation alimentaire et d’activité physique, lesquels auront des effets sur la santé des populations dans les années à venir, et ne seront réversibles qu’au prix d’efforts considérables.

L’obésité en Europe, une « épidémie » qui se prolonge

Pour faire face à cette épidémie qui s’aggrave, ce rapport recommande une série d’interventions et d’options stratégiques que les États membres peuvent envisager pour prévenir et combattre l’obésité dans la Région, en mettant l’accent sur la nécessité de reconstruire en améliorant après la pandémie de COVID-19.

« L’obésité fait fi des frontières. En Europe et en Asie centrale, pas un seul pays ne remplira l’objectif d’arrêter la progression de l’obésité, qui est l’une des cibles mondiales de l’OMS en matière de MNT », a déclaré le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe. « Il existe une énorme diversité entre les pays de notre Région, mais ils sont tous confrontés à un certain degré de difficulté. En créant des environnements plus favorables, en promouvant les investissements et l’innovation dans le domaine de la santé, et en mettant en place des systèmes performants et résilients, nous pouvons modifier la trajectoire de l’obésité dans la Région. »

L’obésité n’est pas seulement un facteur de risque, mais aussi une maladie

L’obésité est une maladie complexe qui présente un risque pour la santé. Ses causes sont bien plus complexes que la simple combinaison d’une mauvaise alimentation et d’une inactivité physique. Ce rapport présente les bases factuelles les plus récentes, en soulignant à quel point la vulnérabilité à un surpoids corporel malsain aux premiers stades de la vie peut influencer la tendance à l’obésité d’une personne.

Des facteurs environnementaux propres à la vie dans les sociétés hautement informatisées de l’Europe moderne sont d’autres causes de l’obésité. Par exemple, le rapport analyse comment le marketing numérique de produits alimentaires peu sains auprès des enfants et la prolifération des jeux sédentaires en ligne contribuent à la vague croissante du surpoids et de l’obésité dans la Région européenne. Mais ce rapport examine aussi comment les outils numériques pourraient ouvrir des possibilités de promouvoir la santé et le bien-être et d’en discuter.

Quelles politiques les pays peuvent-ils adopter ?

La lutte contre l’obésité est fondamentale pour la concrétisation des objectifs de développement durable et constitue l’une des priorités reprises dans le Programme de travail européen 2020-2025 de l’OMS.

Le nouveau rapport de l’OMS décrit dans quelle mesure les politiques ciblant les déterminants environnementaux et commerciaux d’une mauvaise alimentation à l’échelle de toute la population sont susceptibles d’être les plus efficaces pour inverser l’évolution de l’épidémie d’obésité, en luttant contre les inégalités sur le plan diététique et en instaurant des systèmes alimentaires durables sur le plan environnemental.

L’obésité est un phénomène complexe, avec des déterminants et des conséquences sanitaires aux multiples facettes, ce qui signifie qu’aucune intervention ne peut, à elle seule, arrêter la progression de l’épidémie.

Toute politique nationale visant à résoudre les problèmes de surpoids et d’obésité doit être soutenue par un engagement politique à un haut niveau. Elle doit également être de grande envergure, atteindre les individus durant tout le parcours de vie et cibler les inégalités. Les efforts de prévention de l’obésité doivent prendre en compte les déterminants de la maladie au sens plus large, et les options stratégiques doivent s’éloigner des démarches centrées sur l’individu et s’attaquer aux facteurs structurels de l’obésité.

Le rapport de l’OMS relève quelques politiques spécifiques qui semblent prometteuses pour réduire les niveaux d’obésité et de surpoids :

  • l’application de mesures fiscales (telles que la taxation des boissons sucrées ou les subventions aux aliments sains) ;
  • des restrictions concernant le marketing de produits alimentaires peu sains auprès des enfants ;
  • un accès facilité aux services de prise en charge de l’obésité et du surpoids dans les services de soins primaires, dans le cadre de la couverture sanitaire universelle ;
  • des efforts pour améliorer l’alimentation et l’activité physique durant toute la vie, notamment par des soins administrés pendant la période préconceptionnelle et la grossesse, la promotion de l’allaitement au sein, la prise de mesures en milieu scolaire et les interventions visant à créer des environnements où les aliments sains et les possibilités de pratiquer une activité physique sont plus facilement accessibles et moins chers.

Cet article est issu du communiqué de presse, publié le 03/05/2022 (Coppenhague). Pour le consulter, ainsi que le rapport complet, rendez-vous sur le site de l’OMS Europe www.euro.who.int/fr > media center > press releases > 2022

diverse young friends laughing over drinks together in a bar

Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues

Le 27 Avr 22

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Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues sont un phénomène partiellement compris et sous-estimé. Comment alors les détecter, les prévenir et mieux soutenir les victimes ? Et plus largement, comment changer de paradigme et instaurer une culture du consentement ?

diverse young friends laughing over drinks together in a bar

La notion de violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues englobe à la fois la soumission chimique (par exemple administrer une drogue à une personne, à son insu ou sous la contrainte, pour faciliter un crime à son encontre) et la vulnérabilité chimique (comme l’état de vulnérabilité dans lequel se trouve une personne suite à une consommation volontaire de drogues, alcool compris)1 .

La consommation de drogues, qu’elle soit volontaire ou involontaire, modifie les comportements des victimes, affecte leurs perceptions et capacités à analyser les situations et leur dangerosité, prendre des décisions, se défendre, exprimer leur consentement ou leur non-consentement, et demander de l’aide. Elle peut mener à la perte de conscience et/ou à une amnésie temporaire ou permanente, selon le(s) produit(s) consommé(s) et certaines caractéristiques individuelles (corpulence, habitudes de consommation…). Les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues induisent souvent un sentiment de vulnérabilité chez les personnes victimes. Il est dès lors fréquent que ces dernières ne rapportent pas les agressions sexuelles aux autorités ou le fasse tardivement ; or, plus le temps passe, moins les drogues utilisées sont détectables. Ce sentiment de vulnérabilité est de plus aggravé par la complexité administrative et la lenteur du système judiciaire, mais aussi par la crainte de ne pas être cru·e voire d’être blamé·e, en particulier dans les cas où les victimes ont consommé volontairement des drogues (Garcia et al, 2021 ; Anderson et al, 2017).

Nous n’avons qu’une compréhension partielle du phénomène, et les données disponibles actuellement montrent clairement une sous-estimation de la réalité. De plus, il est souvent difficile de distinguer les consommations volontaires et involontaires, notamment dans les contextes festifs, où les consommations récréatives sont courantes. Les données tendent à indiquer que la prévalence de crimes « d’opportunité » serait plus élevée que celle de crimes « proactifs » (voire prémédités), contrairement aux représentations qui circulent au sein de la société (Anderson et al, 2017).

GHB, « drogue du viol » ?

A dose normale, le GHB (et ses précurseurs) a un effet euphorisant, désinhibant et aphrodisiaque, similaire à celui de l’alcool. Mais en cas de forte dose ou de prise combinée d’alcool ou d’autres dépresseurs (benzodiazépines, barbituriques, etc.), son action est hypnotique (avec amnésie voire perte de conscience), et peut même entrainer des convulsions voire un coma (et dans les cas les plus sévères, le décès par dépression respiratoire). Les effets hypnotiques-désinhibants de cette substance en font une substance potentiellement dangereuse et son utilisation dans certains cas pour faciliter les agressions sexuelles explique qu’elle ait été baptisée « drogue du viol ». Néanmoins, la recherche épingle d’une part que les agressions sexuelles facilitées par la consommation de drogues sont plus souvent opportunistes, et d’autre part, que le GHB est beaucoup moins souvent détecté que l’alcool, les benzodiazépines et d’autres drogues (cannabis, MDMA, antidépresseurs).

Prévenir, détecter, soutenir

Certaines réactions et actions entendant lutter contre les violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues tendent à se focaliser sur lesdites drogues et à les considérer comme le problème à régler. Les substances psychoactives sont toutefois un moyen mobilisé dans le cadre d’un crime. Le réel problème est la perpétuation de violences sexistes et sexuelles.

Il est dès lors nécessaire de mettre en place des dispositifs limitant les risques liés à la consommation (volontaire et involontaire) de drogues, en adaptant les lieux de rencontre et de fête. La lutte contre les violences repose aussi sur l’amélioration de nos connaissances et le renforcement des actions de prévention et de sensibilisation à la fois en matière de consommation de produits psychoactifs et de consentement. Il est également central d’améliorer l’aide et la prise en charge des personnes victimes par les services de soins et par les autorités publiques (police, justice) et d’encourager les victimes à porter plainte.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles reposera enfin et surtout sur une réelle politique de sensibilisation, de prévention et de lutte contre la culture du viol. Il est important que des animations d’éducation à la vie sexuelle et affective soient dispensées à toutes et tous et puissent aborder (avec une approche critique et de manière adaptée selon l’âge) les notions de genre et de consentement.

Pistes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles2

Adapter les environnement festifs (publics et privés)

  • Renforcer les dispositifs de prévention et de réduction des risques liés à la sexualité, aux violences et à la consommation de drogues (attention à son entourage, testing des produits, relax zone en cas de malaise ou bad trip, eau gratuite, personne référente en cas de harcèlement ou agression, etc.).
  • Mettre à disposition de l’information et du matériel de réduction des risques liés à la consommation de drogues (tableau des mélanges Trip Sit, pipettes GHB, etc.).
  • Sensibiliser et former le personnel de sécurité et de service (consommation de drogues, consentement, discriminations en raison du genre ou de l’orientation sexuelle, écoute et prise en charge des victimes, gestion des comportements violents, auto-défense verbale et physique, etc.).
  • Sensibiliser les publics festifs (stands, maraudes, etc.).
  • Mettre en place une ligne téléphonique ou un système interne de signalement ou d’urgence.
  • Encourager les personnes victimes, leur entourage et les témoins à intervenir ou à prévenir le personnel de sécurité.
  • Adresser des messages de sensibilisation (en faisant attention à ne pas faire porter la responsabilité sur les – potentielles – victimes).
  • Proposer un dispositif d’écoute et de soutien aux victimes tout au long du moment festif et après.

Prévenir les violences sexistes et sexuelles

  • Soutenir la recherche scientifique afin d’améliorer la compréhension du phénomène et adopter les stratégies de prévention et de santé publique les plus adaptées.
  • Promouvoir les normes sociales protégeant contre les violences (intervenir en tant que témoin, devenir allié·e3 ).
  • Enseigner les compétences participant à la prévention des violences (apprentissage socio-émotionnel, écoute active, empathie, sexualité saine et positive, compétences pour des relations amoureuses saines, etc.) tout au long de la vie et de manière adaptée selon l’âge.
  • Fournir des opportunités d’empouvoirement4 et de soutien aux femmes, minorités sexuelles et de genre, et aux jeunes filles.
  • Créer des environnements sécures (écoles, milieu professionnel, communauté…).
  • Soutenir les victimes afin de réduire les dommages sur leur santé physique et mentale.

Renforcer la réponse judiciaire

  • Elaborer, diffuser et garder à jour des directives et protocoles portant sur la prise en charge des crimes de violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues (prélèvement d’échantillons, examen clinique, analyse toxicologique, accompagnement non-jugeant, etc.)5 .
  • Améliorer la connaissance de la loi auprès des professionnel·les en contact avec les victimes.
  • Renforcer les moyens financiers et humains injectés dans l’application de la loi (prévention, accompagnement et soutien, examen clinique, enquête policière, poursuites judiciaires).
  • Améliorer et systématiser le prélèvement d’échantillons toxicologiques pour appuyer les enquêtes policières.
  • Lutter contre le sentiment d’impunité des auteur·es de crimes sexuels.
  • Dissuader les (potentiel.les) auteur·es en promouvant l’amélioration de la détection des drogues et de la réponse judiciaire.

Encourager le dépôt de plainte

  • Informer la population sur le phénomène afin d’améliorer la détection des violences et des cas de soumission chimique.
  • Encourager les victimes à chercher de l’aide au plus vite et à déposer plainte.
  • Lutter contre la crainte des victimes de ne pas être cru·es voire d’être blamé·es par les autorités pour leur consommation de drogues et/ou leur agression.
  • Améliorer la connaissance de la loi auprès de la population générale (i.e. le caractère criminel des violences sexuelles et de la soumission chimique, les obligations de la police lors du dépôt d’une plainte, etc.).

Soutenir les victimes

  • Renforcer les dispositifs d’aide et de soutien aux victimes de violences sexistes et sexuelles (par exemple, SOS Viol).
  • Améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes (non-jugement, explication des procédures…).
  • Améliorer la disponibilité et l’accessibilité de la prise en charge médicale d’urgence par un personnel formé.
  • Renforcer ou créer des unités policières et hospitalières spécialisées (par exemple, en Belgique, les Centres de Prévention des Violences sexuelles).
  • Former les professionnel·les en contact avec les victimes.

Changer de paradigme : la culture du consentement

Les violences sexistes et sexuelles s’ancrent dans un cadre social et culturel qui leur est favorable. Lutter efficacement et durablement contre celles-ci requiert de soutenir un réel changement de paradigme dont la visée est d’atteindre une culture du consentement. Au sein d’une culture reposant sur le consentement, la société et les individus qui la composent placent l’autonomie corporelle au centre de leurs valeurs et attitudes et considèrent qu’une personne est la mieux placée pour déterminer ses propres désirs et besoins. Une culture du consentement cherche à créer des solidarités et de l’empathie envers les victimes de violences sexistes et sexuelles6.

Elle ne marque pas la fin de la drague ni celle de la sexualité, mais encourage les relations saines et égalitaires basées sur la communication et l’enthousiasme. Elle ne promeut pas non plus l’abstentionnisme sexuel en cas de consommation de drogues, mais invite à adopter une attitude réflexive et attentive aux autres et à soi-même. La culture du consentement dépasse même la sexualité et s’applique à l’ensemble des interactions quotidiennes (partager une photo, prendre dans les bras, etc.).

Les vagues féministes successives, les mouvements LGBTQI+7 et intersectionnels, ainsi que les mouvements #metoo, #balancetonporc, et plus récemment #balancetonbar et #balancetonfolklore, ont participé à libérer la parole autour des violences sexistes et sexuelles, y compris en lien avec la consommation de drogues, à épingler certains dysfonctionnements de l’appareil judiciaire et à conscientiser à l’échelle de la société les mécanismes systémiques qui maintiennent les rapports de domination et les violences qu’ils impliquent.

Changer de paradigme et s’orienter vers une culture du consentement est un travail complexe et long, qui prend son appui sur la conduite de réelles discussions au sujet des stéréotypes de genre, de la sexualité, des rapports de domination, des violences et du consentement, mais aussi sur une opération préventive de fond et sur le long terme (des discriminations et violences sexistes, sexuelles, physiques, économiques, cyber, émotionnelles et institutionnelles) et l’affirmation des réponses législatives et judiciaires.

Qu’est-ce que la culture du viol ?

La culture du viol regroupe un ensemble d’attitudes et de croyances erronées, qui persistent cependant et sont largement transmises et diffusées au sein des sociétés hétéropatriarcales (c’est-à-dire les sociétés au sein desquelles le genre masculin et l’hétérosexualité dominent les autres genres et orientations sexuelles). Ces attitudes et croyances participent à dénier, justifier, minimiser et banaliser les agressions sexuelles, majoritairement commises par des hommes à l’encontre de femmes, voire à faire reposer la faute et la responsabilité sur les victimes (« la victime a bu de l’alcool/l’a bien cherché/est sortie seule/portait une jupe/a dragué son agresseur », etc.). Elles participent également à instaurer un tabou autour des agressions sexuelles dont les hommes sont victimes, et à perpétuer des représentations racistes et homophobes des sexualités et désirs masculins.

La culture du viol repose notamment sur la croyance selon laquelle les hommes sont des sujets désirants qui ne savent pas contrôler leurs « pulsions sexuelles », qu’ils sont par « nature des prédateurs sexuels », et que leur valeur dépend de leur capital de « virilité » et de « conquêtes sexuelles » ; et que les femmes sont des objets de désir auxquels il revient de « faire attention ». Les stéréotypes de genre masculin et féminin, hétéronormés, sont à la fois nocifs pour les individus (se plier à des normes incompatibles et irréalistes, voire en contradiction avec son identité) et à la vie en société (catégoriser les individus et discriminer celles et ceux qui n’entrent pas dans la norme, voire les sanctionner – notamment les personnes LGBTQI+). Faire reposer la responsabilité et la culpabilité sur les épaules des victimes est une violence supplémentaire et constitue un obstacle dans la libération de la parole, la recherche d’aide, le dépôt de plaintes et l’application de la loi. Il est essentiel de souligner que les victimes de violences ne sont en aucun cas responsables des agissements de leurs auteur·es.

Eurotox asbl est l’Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles. Pour découvrir ses actualités, ainsi que d’autres analyses, rendez-vous sur www.eurotox.org

Références

Anderson, L., Flynn, A. & Schumann, J. (2017). A global epidemiological perspective on the toxicology of drug-facilitated sexual assault: A systematic review. Journal of forensic and legal medicine. 47. 46-54.

Basile, K.C., DeGue, S., Jones, K., Freire, K., Dills, J., Smith, S.G., Raiford, J.L. (2016). STOP SV: A Technical Package to Prevent Sexual Violence. Atlanta, GA: National Center for Injury Prevention and Control, Centers for Disease Control and Prevention.

CEIP-A (2019). « Soumission chimique. Résultats de l’enquête 2019 ». Centre d’Evaluation et d’Information sur les Pharmacologie et d’Addictovigilance d’IDF. Document réalisé avec le soutien de l’ANSM. France : Paris.

EMCDDA (2008). “Sexual assaults facilitated by drugs or alcohol”. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Lisbon.

Fédération Canadienne des Étudiantes et Étudiants (2016). Une vision nationale pour une culture du consentement dans l’éducation post-secondaire.

García, M. G., Pérez-Cárceles, M. D., Osuna, E., & Legaz, I. (2021). Drug-facilitated sexual assault and other crimes: A systematic review by countries. Journal of forensic and legal medicine, 79, 102151.

Mabille, B. (2019). Les allié.e.s de la lutte antiraciste : Partie 1. BePax asbl. Analyse.

[1] Une étude menée en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a relevé que les agressions sexuelles représentent plus de la moitié (54%) des cas de soumissions chimiques identifiés. Les victimes de soumission chimique et de vulnérabilité chimique sont majoritairement des femmes, représentant respectivement 66% et 91% des cas (CEIP-A, 2019).

[2] EMCDDA (2008) et les revues de la littérature scientifique de Garcia et al, 2021 et Anderson et al, 2017. En ce qui concerne les stratégies de prévention des violences sexistes et sexuelles, voir Basile et al (2016).

[3] Les allié·es sont des personnes qui ne subissent pas une oppression (racisme, sexisme, homophobie, validisme, etc.) mais qui vont s’associer aux personnes qui en sont victimes pour combattre ensemble le système oppresseur (Mabille, 2019).

[4] Du terme anglais « empowerment », désigne le processus d’autonomisation par lequel une personne ou un groupe acquiert davantage de pouvoir d’action et de décision par rapport aux systèmes de domination qui l’oppressent, à son environnement et à sa vie.

[5] Voir par exemple la boîte à outils du National sexual violence resource center.

[6] Fédération Canadienne des Étudiantes et Étudiants (2016). Voir aussi la bande dessinée d’Emma « C’est pas bien, mais… ».

[7] Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Queer et Intersexes. Le signe « + » signifie que le sigle est inclusif de toute identité, orientation sexuelle ou comportements non-hétéronormés ou non-cisgenres.

father and brother with newborn child in icu bed

Limiter autant que possible
la séparation parents-nouveau-né

Le 27 Avr 22

Publié dans la catégorie :

[Bruxelles, le 22 mars 2022] Les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre un nouveau-né et ses parents. Une séparation juste après la naissance peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant. Or il n’est pas rare qu’un nouveau-né – surtout s’il est prématuré – doive être hospitalisé en néonatologie pendant quelques jours ou semaines. Les recherches en psychologie du développement ont été à l’origine des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille » qui visent à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. Ces soins sont déjà proposés dans de nombreux hôpitaux belges, mais pas dans tous. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport qui analyse les modèles de soins de développement décrits dans la littérature et la manière dont ils pourraient être optimalisés en Belgique.

father and brother with newborn child in icu bed

Environ 120 000 bébés naissent chaque année en Belgique, et 12 % d’entre eux doivent être pris en charge en néonatologie, parfois pour quelques jours, mais parfois aussi pour plusieurs semaines. Les deux tiers sont des prématurés (c’est-à-dire qu’ils sont nés avant 37 semaines de grossesse) et les autres sont des bébés nés à terme mais qui nécessitent des soins intensifs pour d’autres causes (p. ex. une malformation congénitale).

L’attachement, un concept fondamental

Or, on le sait depuis les années 1950, les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre le nouveau-né et ses parents. Tout nouveau-né est biologiquement programmé pour rechercher la proximité physique d’un adulte qui réponde à son besoin de protection, et réciproquement, le bébé stimule ses parents à lui offrir proximité, tendresse et confort. Une séparation précoce du nouveau-né et de ses parents peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant, tant en termes de santé physique que de santé mentale.

Les soins de développement centrés sur le nouveau-né et sa famille

Le concept d’attachement a fait l’objet de très nombreuses recherches en psychologie développementale ces trente dernières années, pour mener au déploiement des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille ». Ces soins reposent sur un ensemble de principes visant tous à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. La forme probablement la mieux connue chez nous est le soin « peau à peau » aussi appelée « kangourou » qui consiste à positionner le nouveau-né nu, poitrine contre poitrine et peau contre peau, avec l’un des parents. L’Initiative Hôpital Amis des Bébés, qui a été introduite en Belgique par le SPF Santé publique pour encourager l’allaitement maternel, fait aussi partie de cette démarche.

Mais les soins de développement comprennent beaucoup d’autres dimensions, notamment permettre aux parents d’avoir accès à l’enfant 24h sur 24, les former à comprendre les signaux émis par leur enfant et à y répondre, les familiariser avec des soins potentiellement intimidants et les soutenir dans cette expérience émotionnellement fragilisante, etc.

Pour les soignants, les soins de développement sont très exigeants, car ils nécessitent énormément de temps et de précautions vis-à-vis de l’enfant, mais aussi d’attention et de disponibilité vis-à-vis des parents. Sans parler des nombreuses formations nécessaires pour se maintenir à jour, car les connaissances scientifiques évoluent rapidement dans ce domaine. 

Déjà bien présents dans les services de néonatologie belges, mais pas encore partout

Beaucoup d’hôpitaux belges proposent déjà les soins de développement dans leurs unités de néonatologie, mais c’est encore loin d’être le cas de tous. C’est pour cette raison que le KCE a réalisé l’étude publiée aujourd’hui. Quels sont les modèles de soins de développement décrits dans la littérature qui sont les plus valables ? Quelles sont les meilleures pratiques mises en œuvre dans d’autres pays pour réduire la séparation entre l’enfant et ses parents ?  Comment les parents vivent-ils une telle situation ? Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’expansion des soins de développement en Belgique ? Comment solutionner les problèmes identifiés ? L’accent a été mis dans ce rapport sur les nouveau-nés prématurés mais ces résultats sont bien sûr valables pour tous les bébés admis en soins néonatals, et ce tout particulièrement dans le contexte actuel de raccourcissement des durées de séjour des mamans en maternité.

Des recommandations à court et à long terme

Les recommandations du KCE portent à la fois sur le court et le long terme. C’est en effet un travail de longue haleine qui sera nécessaire pour favoriser la diffusion de cette philosophie dans les hôpitaux. Par exemple, c’est dès aujourd’hui qu’il faut repenser l’architecture des services néonatals pour y faire plus de place aux parents, ou objectiver la charge de travail des soignants afin de mieux définir le cadre du personnel nécessaire. C’est aussi maintenant, dans la foulée de la réforme des hôpitaux, qu’il faut clarifier le financement des unités néonatales intensives (NIC) et locales (N*) et des transferts entre elles.

Mais en attendant ces changements qui prendront du temps – et des moyens –, certaines mesures peuvent déjà être mises en place. Elles nécessiteront une certaine créativité pour pouvoir réduire au minimum la séparation entre les parents et leur enfant et prévoir pour eux des solutions d’accompagnement et d’hébergement. S’y ajoutent quelques recommandations qui dépassent le cadre strict de services de néonatologie et qui ont une portée plus sociétale, comme le renforcement des services d’aide aux familles à domicile ou la prolongation du congé de naissance pour les pères ou les co-parents dont l’enfant est hospitalisé à la naissance.

Retrouvez le rapport sur le site du KCE : https://kce.fgov.be/fr/limiter-autant-que-possible-la-séparation-parents-nouveau-né

Limiter autant que possible la séparation parents-nouveau-né 

Le 7 Avr 22

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[Bruxelles, le 22 mars 2022] Les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre un nouveau-né et ses parents. Une séparation juste après la naissance peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant. Or il n’est pas rare qu’un nouveau-né – surtout s’il est prématuré – doive être hospitalisé en néonatologie pendant quelques jours ou semaines. Les recherches en psychologie du développement ont été à l’origine des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille » qui visent à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. Ces soins sont déjà proposés dans de nombreux hôpitaux belges, mais pas dans tous. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport qui analyse les modèles de soins de développement décrits dans la littérature et la manière dont ils pourraient être optimalisés en Belgique.

Environ 120 000 bébés naissent chaque année en Belgique, et 12 % d’entre eux doivent être pris en charge en néonatologie, parfois pour quelques jours, mais parfois aussi pour plusieurs semaines. Les deux tiers sont des prématurés (c’est-à-dire qu’ils sont nés avant 37 semaines de grossesse) et les autres sont des bébés nés à terme mais qui nécessitent des soins intensifs pour d’autres causes (p. ex. une malformation congénitale).

L’attachement, un concept fondamental

Or, on le sait depuis les années 1950, les premiers jours de vie sont cruciaux pour la création du lien d’attachement entre le nouveau-né et ses parents. Tout nouveau-né est biologiquement programmé pour rechercher la proximité physique d’un adulte qui réponde à son besoin de protection, et réciproquement, le bébé stimule ses parents à lui offrir proximité, tendresse et confort. Une séparation précoce du nouveau-né et de ses parents peut perturber la constitution de ce lien profond et avoir des conséquences sur le développement ultérieur de l’enfant, tant en termes de santé physique que de santé mentale.

Les soins de développement centrés sur le nouveau-né et sa famille

Le concept d’attachement a fait l’objet de très nombreuses recherches en psychologie développementale ces trente dernières années, pour mener au déploiement des « soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille ». Ces soins reposent sur un ensemble de principes visant tous à minimiser la séparation entre un nouveau-né et ses parents et à favoriser les interactions entre eux en toutes circonstances. La forme probablement la mieux connue chez nous est le soin « peau à peau » aussi appelée « kangourou » qui consiste à positionner le nouveau-né nu, poitrine contre poitrine et peau contre peau, avec l’un des parents. L’Initiative Hôpital Amis des Bébés, qui a été introduite en Belgique par le SPF Santé publique pour encourager l’allaitement maternel, fait aussi partie de cette démarche.

Mais les soins de développement comprennent beaucoup d’autres dimensions, notamment permettre aux parents d’avoir accès à l’enfant 24h sur 24, les former à comprendre les signaux émis par leur enfant et à y répondre, les familiariser avec des soins potentiellement intimidants et les soutenir dans cette expérience émotionnellement fragilisante, etc.

Pour les soignants, les soins de développement sont très exigeants, car ils nécessitent énormément de temps et de précautions vis-à-vis de l’enfant, mais aussi d’attention et de disponibilité vis-à-vis des parents. Sans parler des nombreuses formations nécessaires pour se maintenir à jour, car les connaissances scientifiques évoluent rapidement dans ce domaine.

Déjà bien présents dans les services de néonatologie belges, mais pas encore partout

Beaucoup d’hôpitaux belges proposent déjà les soins de développement dans leurs unités de néonatologie, mais c’est encore loin d’être le cas de tous. C’est pour cette raison que le KCE a réalisé l’étude publiée aujourd’hui. Quels sont les modèles de soins de développement décrits dans la littérature qui sont les plus valables ? Quelles sont les meilleures pratiques mises en œuvre dans d’autres pays pour réduire la séparation entre l’enfant et ses parents ? Comment les parents vivent-ils une telle situation ? Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’expansion des soins de développement en Belgique ? Comment solutionner les problèmes identifiés ? L’accent a été mis dans ce rapport sur les nouveau-nés prématurés mais ces résultats sont bien sûr valables pour tous les bébés admis en soins néonatals, et ce tout particulièrement dans le contexte actuel de raccourcissement des durées de séjour des mamans en maternité.

Des recommandations à court et à long terme

Les recommandations du KCE portent à la fois sur le court et le long terme. C’est en effet un travail de longue haleine qui sera nécessaire pour favoriser la diffusion de cette philosophie dans les hôpitaux. Par exemple, c’est dès aujourd’hui qu’il faut repenser l’architecture des services néonatals pour y faire plus de place aux parents, ou objectiver la charge de travail des soignants afin de mieux définir le cadre du personnel nécessaire. C’est aussi maintenant, dans la foulée de la réforme des hôpitaux, qu’il faut clarifier le financement des unités néonatales intensives (NIC) et locales (N*) et des transferts entre elles.

Mais en attendant ces changements qui prendront du temps – et des moyens –, certaines mesures peuvent déjà être mises en place. Elles nécessiteront une certaine créativité pour pouvoir réduire au minimum la séparation entre les parents et leur enfant et prévoir pour eux des solutions d’accompagnement et d’hébergement. S’y ajoutent quelques recommandations qui dépassent le cadre strict de services de néonatologie et qui ont une portée plus sociétale, comme le renforcement des services d’aide aux familles à domicile ou la prolongation du congé de naissance pour les pères ou les co-parents dont l’enfant est hospitalisé à la naissance.

Pour accéder au dossier complet: Les soins de développement centrés sur l’enfant prématuré et sa famille en néonatologie – KCE (fgov.be)

happy diverse people together in the park

La promotion de la santé,
une exigence éthique pour la santé publique 

Le 24 Mar 22

Publié dans la catégorie :

La lutte contre l’épidémie de Covid-19 nous montre de manière cinglante que, sur le terrain de l’action en santé publique, les logiques de promotion de la santé sont bel et bien minoritaires. Pendant cette période de crise, la décision politique et sanitaire se base largement sur un modèle hygiéniste. Ce dernier s’est déployé comme si la promotion de la santé (appelée à devenir à ses origines une « nouvelle santé publique1 ») n’avait jamais existé, comme si tout un corpus d’enseignements n’avait pu franchir les murs des écoles, comme si un ensemble de pratiques menées depuis un demi-siècle à différentes échelles n’avaient pas démontré leur efficacité et été reconnues scientifiquement.

Faire face à une problématique complexe

À l’apparition du virus SARS-CoV-2, les gouvernements ont dû décider et agir dans l’urgence face à sa propagation exponentielle. Rivés sur des objectifs précis, les autorités souhaitaient absolument éviter un effondrement des services hospitaliers (donc le tri des malades) et une surmortalité causée par la Covid-19 directement observable. Avec un horizon brouillé par l’incertitude, avec le défi imposé par la présence de personnes porteuses asymptomatiques et par l’apparition de variants à la contagiosité croissante, le politique et les experts qui ont leurs oreilles, se sont appuyés sur deux piliers : la gestion du risque épidémique c’est-à-dire ici l’impératif de maîtriser le plus rapidement possible la propagation du virus souvent dans un esprit « quoi qu’il en coûte » et une forme de responsabilité morale c’est-à-dire résumer la question Covid-19 à une lutte du bien contre le mal légitimant des politiques de prescription, de restriction et de sanction. Dans cette optique, la pandémie est plus vue comme un obstacle à franchir que comme un phénomène complexe qui s’infiltre dans tous les domaines de la société et qui se nourrit d’un terreau socioculturel inégalitaire.

Des balises valorielles

En santé publique, il est souvent fait appel à 4 balises éthiques2 pour légitimer des mesures ou actions. Ainsi, celles-ci doivent être pensées et mises en œuvre : pour un mieux-être de la population (principe de bienfaisance), pour ne pas lui nuire (principe de non-malfaisance), dans la perspective de renforcer les capacités des individus de décider par eux-mêmes (principe d’autonomie) et dans une visée d’équité (principe de justice). Dans la pratique, on se rend très vite compte que ces principes entrent en tension. Il y a donc lieu de faire entrer d’autres critères pour réaliser les meilleurs arbitrages possibles.

James Childress3, par exemple, en propose 5 : la nécessité (est-ce que, dans les conditions données, l’action est incontournable ?), l’efficacité (est-ce que l’action produit le résultat attendu ?), la proportionnalité (est-ce que l’action, compte tenu des contraintes qui y sont associées, est justifiée par la situation et en rapport avec le résultat envisagé ?), le moindre mal (est-ce que la nuisance causée par l’action est plus faible que celle causée par l’inaction ou d’autres choix d’action ?) et la justification publique (les fondements sur lesquels l’action se base sont-ils énoncés de manière claire et transparente ?). Pour bien faire, l’évaluation de l’adéquation des mesures et actions doit approcher les enjeux de manière globale, et donc tenir compte d’effets indirects (la solution pour répondre à une problématique peut créer d’autres problèmes parfois plus graves sur d’autres terrains) et différés (les mesures choisies peuvent avoir des impacts à plus ou moins long terme).

Le modèle hégémonique en trois exemples

Le 17 mars 2020, la Première ministre Sophie Wilmès annonce le confinement généralisé de la population. Les écoles, lieux culturels et de loisirs ainsi que la plupart des magasins ferment. Les entreprises doivent pratiquer le télétravail, et chacun·e est sommé·e de rester chez soi sauf pour des déplacements jugés essentiels par les autorités. Tout contrevenant s’expose à des sanctions. La police est sur le qui-vive. Il s’agit là d’une limitation de libertés inédites depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est justifiée par le politique par la nécessité de limiter les contacts entre personnes afin de prendre le contrôle sur l’épidémie et de protéger les plus vulnérables face à un virus encore méconnu. Quelques semaines plus tard, la famille royale filmée par un drone est rassemblée sur l’immense pelouse de son palais pour encourager les Belges à tenir bon. Cette image empreinte de bons sentiments souligne avec ironie le caractère inégalitaire d’une mesure universelle ; entre celles et ceux qui peuvent jouir d’espaces intérieurs et extérieurs confortables et agréables, et d’autres cloîtré·es à plusieurs dans quelques mètres carrés sans accès direct à un coin de verdure4.

Cette assignation à résidence pendant plusieurs semaines entraîne inévitablement une série de répercussions néfastes sur la santé (anxiété, report de soins, épuisement émotionnel, violence domestique…) et ses déterminants (perte de revenus, isolement social, fracture numérique, décrochage scolaire…) et ce, de façon différenciée auprès des divers groupes de la population à court et à long terme. Même si quelques leviers d’atténuation des méfaits ont été activés par les exécutifs5, force est de constater que cette mesure d’hygiène prise pour le bien commun répond difficilement aux critères de non-nuisance, d’équité et d’autonomie. Dès lors, était-ce un mal nécessaire ? Était-ce une mesure proportionnée dans son rapport fin-moyens ?

La communication des pouvoirs publics joue un rôle central en vue de faire adhérer la population aux batteries de dispositions préventives qui sont prises. S’il y a parfois un réel souci d’expliquer et de donner du sens aux normes et recommandations, le ton est souvent paternaliste avec une série de ressorts utilisés qui ont la caractéristique de faire peser la responsabilité de la situation sur les épaules des individus. Pour dicter les comportements raisonnables, les autorités ont fortement joué sur les émotions, brandissant tantôt la menace (« La vague suivante approche, maîtrisez-vous ») tantôt la récompense (« Encore un dernier effort, la vie normale nous attend »). La culpabilisation a également été utilisée en rejetant le fardeau de mesures drastiques sur les personnes et leur conduite laxiste (« Le confinement est le résultat du non-respect des gestes barrières ») ou en pointant l’irresponsabilité de celles et ceux qui ne suivent pas le chemin tout indiqué (« C’est une épidémie de non-vaccinés »). Ne brave-t-on pas le principe d’autonomie quand on use allègrement d’un registre infantilisant ? Prendre une posture moralisatrice et donc disqualifiante vis-à-vis des « déviants » ne contribue-t-il pas à créer, au nom de la santé publique, un climat anxiogène et d’antagonismes nuisible pour la société ?

Décembre 2020, le vaccin arrive et constitue, pour les gouvernements, la clé pour sortir de la crise. Le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke répète alors que « la vaccination n’est pas imposée », que « la participation est volontaire » que « ceux qui ne veulent pas être vaccinés ont le droit de ne pas être vaccinés ». Il n’y a alors aucune intention de réclamer un certificat de vaccination pour accéder à des lieux ou événements publics. Moins d’une année plus tard, alors que la couverture vaccinale est plutôt bonne et qu’un rebond épidémique se profile, un pass sanitaire est exigé pour accéder aux restaurants, salles de sports, espaces culturels… Ce sésame est intitulé Covid Safe Ticket, supposant que les lieux qui l’exigent à l’entrée sont sûrs6. Si l’objectif avoué est de diminuer la circulation du virus tout en maintenant des secteurs d’activité ouverts, l’objectif sous-jacent est d’inciter, par la contrainte, les hésitants et résistants vaccinaux à franchir le pas7.

Certes, les gouvernements de notre pays font tout pour faciliter l’accès pour toutes et tous à l’outil de protection qu’est la vaccination, mais pour atteindre l’excellence vaccinale, leur stratégie semble être aussi de dresser des barrières face à celles et ceux qui n’adoptent pas le comportement attendu. Exclure sur ces fondements une part de la population d’une partie de la vie de la cité peut-il constituer un levier adéquat de santé collective ? La santé épidémiologique justifie-t-elle vraiment cette rupture d’égalité entre citoyen·nes ?

Ces mesures phares prises par les autorités ou les discours portés par celles-ci illustrent l’approche dominante, approche qui place les défenseurs des principes de promotion de la santé dans un profond inconfort. Car, au contraire de la moralisation qui occupe largement le terrain et qui bouscule les balises valorielles citées en début d’article, l’approche de promotion de la santé s’appuie sur ce que Philippe Lecorps8 appelle une responsabilité éthique.

S’adapter aux singularités

La promotion de la santé se veut une démarche éthique car intersubjective. Elle se joue sur le terrain de la rencontre et du dialogue. La promotion de la santé, c’est s’intéresser aux motivations des personnes et chercher le sens de leurs comportements pour créer et faire évoluer un ensemble de stratégies favorables à la santé. C’est donner des réponses adaptées aux réalités singulières des personnes, des réponses en phase avec leur situation, leur histoire et leurs valeurs, en étant conscient des contradictions qui les traversent. Lorsque la santé publique se borne à prescrire, restreindre et pénaliser, elle s’inscrit dans une logique d’ordre moral. En effet, les experts produisent en surplomb des normes qui permettent de rejoindre certains objectifs de santé et attendent en retour que la population s’y soumette sans sourciller.

Voilà ce qu’écrivait à ce propos Philippe Lecorps dans un article pour Éducation Santé en 2005 : « La santé publique appuyée sur l’expertise scientifique énonce les règles du vivre s’imposant comme guide moral. En revanche, la promotion de la santé rappelle qu’il ne s’agit pas seulement de vivre, mais plutôt d’exister, c’est-à-dire de trouver une manière propre d’être au monde9 ». L’action de promotion de la santé se passe indubitablement dans la proximité, à travers des démarches d’écoute, d’information, d’accompagnement, d’enrichissement des représentations, de renforcement des compétences afin que chacun et chacune puisse se réaliser en effectuant ses propres choix, en lien avec les personnes et l’environnement qui l’entourent. Elle renonce dès lors clairement à une visée de maîtrise totale des corps et des esprits.

Peser sur les structures profondes

Le deuxième axe à travers lequel la promotion de la santé soutient une exigence éthique, relève de la création de cadres de protection structurelle, la plaçant inévitablement dans le champ politique. La santé n’est plus ici une question individuelle et de comportements mais bien une question collective et de conditions soutenant l’autonomie des populations et permettant un « vivre ensemble plus juste ». La santé doit ainsi bénéficier de décisions politiques dans l’ensemble des secteurs de l’action publique. Dans ce sens, la promotion de la santé plaide pour que les environnements matériels, physiques, sociaux, culturels, administratifs, économiques soient davantage protecteurs et générateurs de santé et d’égalité. En ce qui concerne le contexte coronavirus, cela peut être, par exemple, un investissement massif pour assurer une aération optimale des locaux partagés ou la régularisation des personnes sans-papiers pour faciliter leur accès aux soins préventifs ; plus largement, une amélioration des conditions de travail, de logement, d’apprentissage, de mobilité, de l’accès aux services publics… mais aussi la création d’un climat social porteur basé sur la confiance mutuelle et la solidarité. Se préoccuper des déterminants structurels de la santé n’entraîne aucunement une déresponsabilisation des citoyen·nes.

Au contraire, chaque sujet, en promotion de la santé, est interrogé sur son rapport au monde et est encouragé à contribuer, par la réflexion, le plaidoyer voire la mobilisation, aux changements utiles pour sa santé et la santé collective. Ainsi, selon Philippe Lecorps et Jean-Bernard Paturet, la santé publique devrait « abandonner la position réductrice d’une mission de conversion » et « s’ouvrir à une dynamique beaucoup plus exaltante : inventer les conditions de possibilité politiques, sociales, économiques pour que s’articulent le bien commun et la reconnaissance du sujet, les aléas du désir et l’engagement citoyen10 ».

Nourrir la démocratie en santé

Le dernier axe qui sera souligné ici a trait à la participation démocratique, qui n’a pas eu la place qu’elle requiert dans la gestion politique d’une telle crise. C’est l’État dans sa verticalité qui s’est plutôt imposé, avec des mesures fortes, sans trop de marges d’ajustement, ayant peu fait l’objet de débats démocratiques. Par ailleurs, pour décider, le pouvoir politique s’est principalement appuyé sur l’expertise biomédicale, une expertise encore trop souvent déconnectée des réalités sociales. Si cette expertise scientifique est indispensable pour, entre autres, identifier des leviers prophylactiques, elle doit, pour parer une syndémie11, être associée non seulement à d’autres savoirs scientifiques (notamment les sciences humaines) mais aussi à une expertise issue des vécus à différents niveaux (professionnel·les, habitant·es, patient·es…).

La promotion de la santé en œuvrant à la reconnaissance des savoirs des citoyen·nes et de leurs capacités à participer aux décisions concernant leur santé offre justement une horizontalité, facteur d’adaptabilité, de confiance et d’efficacité. Bernadette Rousille et Jean-Pierre Deschamps vont plus loin en avançant que « ce n’est pas à l’expert, mais au citoyen (instances représentatives, conférences citoyennes, associations, communautés…) que revient de faire le nouage entre les finalités et l’action12 ». La participation est un élément cardinal de la responsabilité éthique dans le sens où elle remet en question des rapports de pouvoir (re)producteurs d’inégalités.

Dans cette pandémie, ce sont certaines catégories de population déjà touchées par des inégalités sociales et de santé qui ont été le plus impactées par le virus mais aussi et surtout par les dispositions indifférenciées prises pour contenir sa propagation13. Dès lors, le « décider avec les gens », y compris et surtout avec les catégories sociales qu’on entend peu ou pas, contribuera à une meilleure proportionnalité des actions que le « décider pour eux », parfois à leur détriment.

Agir autrement ?

En regardant le fil de la crise, deux questions viennent à l’esprit : aurions-nous pu faire autrement ? Qu’auraient pu produire sur les courbes de l’épidémie, la santé globale et le climat social, des mesures et actions basées sur une autre vision ? Il ne faut d’abord pas sous-estimer la difficulté d’organiser une politique de santé dans ces conditions inédites. Il est aussi utile de souligner que le contexte n’était au départ pas favorable pour le déploiement d’une approche fondée sur la responsabilité éthique. En effet, le pouvoir politique voit encore l’agir pour la santé essentiellement sous le prisme de la gestion de la maladie, est plutôt frileux quand il s’agit de soutenir des processus reposant sur la confiance et la participation, et investit insuffisamment en vue d’agir de manière coordonnée sur les facteurs sociaux déterminant la santé et les inégalités. Mais, des espoirs pour agir différemment à l’avenir existent ; car la crise a permis de fertiliser et de mettre en valeur de nombreuses initiatives citoyennes solidaires ainsi que les pratiques d’une multitude d’acteurs de proximité – d’ailleurs financés par les autorités publiques – œuvrant dans des logiques à la fois protectrices et émancipatrices : maisons médicales, associations communautaires, services sociaux, organisations de promotion de la santé…

Ces pratiques constituent une source inspirante à partir de laquelle l’ensemble des politiques de santé de demain devraient se penser afin que celles-ci deviennent plus justes et respectueuses de l’humain dans toute sa diversité et complexité. Il s’agirait alors de créer un modèle de santé publique plaçant au centre du jeu non plus une morale hygiéniste mais bien l’éthique, considérée non seulement comme un énoncé de valeurs mais aussi comme une démarche faisant l’objet de débats démocratiques14.

Bibliographie inspirante

CAMBON L., ALLA F. & RIDDE V., Santé publique : Pour l’empowerment plutôt que pour l’infantilisation, in : AOC Media, juillet 2020

CAMBON L., BERGERON H., CASTEL P., RIDDE V. & ALLA F., Quand la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 se fait sans la promotion de la santé, in : Global Health Promotion, Vol 28 (2), 2021, pp. 92-95

GAVARD-PERRET M.-L., N’GOALA & WILHELM M.-C., Covid 19 : Quand culpabilisation et infantilisation diminuent l’efficacité de l’appel à la responsabilité individuelle, in : Datacovid.org [en ligne]

GRAVEL S., DOUCET H., BATTAGLINI A., LAUDY D., BOUTHILLIER M.-È., BOUCHERON L. & FOURNIER M., Éthique et santé publique : Quelle place pour l’autonomie ?, in : Responsabilité sociale et éthique de la recherche, Vol 12, n°1, 2010, pp. 227-250

Comité d’éthique de santé publique (Commission de l’éthique en science en technologie), Cadre de réflexion sur les enjeux éthiques liés à la pandémie de Covid-19, Québec, 2020 [en ligne]

LECORPS P., Éthique et morale en promotion de la santé, in : Education Santé, Hors-série 1, 2005, pp. 9-14

LECORPS P. & PATURET J.-B., Santé publique du biopouvoir à la démocratie, Rennes, Editions de l’Ecole nationale de la santé publique, 1999, 186p.

PERETTI-WATEL P. & CHATEAUNEUF-MACLES A., Sociologie du risque et crises sanitaires : un éclairage sur la pandémie du coronavirus, in : SES.ens Ressources en sciences économiques et sociales, avril 2020 [en ligne]

PERETTI-WATEL P. & MOATTI J.-P., Le principe de prévention : Le culte de la santé et ses dérives, Paris, Le Seuil, 2009

PEZERIL C., Du Sida au Covid : Les leçons de la lutte contre le VIH, in : La vie des idées, octobre 2020 [en ligne]

ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, pp. 87-91

[1] La conférence qui fonde la promotion de la santé en 1986 à Ottawa était sous-titrée « Vers une nouvelle santé publique ». Les signataires de la charte d’Ottawa attribue alors à la promotion de la santé une visée émancipatrice en la définissant comme « le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et, d’améliorer celle-ci », (OMS, 1986).

[2] PERETTI-WATEL P. & MOATTI J.-P., Le principe de prévention : Le culte de la santé et ses dérives, Paris, Le Seuil, 2009, pp. 84-85.

[3] Ibid.

[4] Et sans possibilité de s’isoler en cas d’infection.

[5] Chômage temporaire, moratoire sur les faillites, interdiction d’expulsion domiciliaire…

[6] Car fréquentés uniquement par des personnes ayant été vaccinées, des personnes attestant d’un test de dépistage négatif et des personnes ayant eu la Covid-19 dans les 6 derniers mois. Cette dénomination fait notamment fi de l’efficacité relative des vaccins pour casser les chaînes de transmission.

[7] Plusieurs déclarations politiques l’ont laissé entendre.

[8] Philippe Lecorps est un ancien professeur à l’École des hautes études de santé publique (Rennes).

[9] LECORPS P., Ethique et morale en promotion de la santé, in : Education Santé, Hors-série 1, 2005.

[10] LECORPS P. & J.-B. PATURET, Santé publique du biopouvoir à la démocratie, Rennes, École nationale de santé publique, p.113.

[11] Une syndémie caractérise un entrelacement de maladies, de facteurs biologiques, sociaux et environnementaux qui, par leur synergie, aggravent les conséquences de ces maladies sur une population (Singer & Mendenhall, 2017). En fonction des niveaux sociaux des individus, de leurs âges et de leur situation géographique, le coronavirus frappe différemment (HORTON, 2020).

[12] ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, p. 91.

[13] REA A. & RACAPE J., Inégalités sociales et COVID-19, Communication au 24e Congrès des économistes, Bruxelles, novembre 2021.

[14] ROUSSILLE B. & DESCHAMPS J-P., Aspects éthiques de l’éducation pour la santé… ou les limites de la bienfaisance, in : Santé publique, Vol 25 (2), 2013, p. 91.

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Santé mentale et lien social

Le 24 Fév 22

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De nombreux termes entrés dans notre vocabulaire ces deux dernières années traduisent un ébranlement dans notre rapport à l’autre : gestes barrières, distanciation sociale, distanciel. Lors du colloque organisé par le CRéSaM (Centre de Référence en Santé Mentale), dans le cadre de la semaine pour la santé mentale en octobre 2021, certains observateurs ont souligné que ceux-ci auraient pu être choisis plus judicieusement, en prenant en compte leur dimension symbolique. L’expression « gestes protecteurs » plutôt que « barrière » qui met l’emphase sur la solidarité plutôt que sur l’éloignement a notamment été évoquée. Toutefois, l’entrée de ces termes dans notre vocabulaire courant témoigne d’une situation inédite qui a vu se réduire, au gré des mesures sanitaires et de confinement, nos interactions sociales à leur expression minimale ; l’Autre étant potentiellement devenu source de danger, dans un contexte d’incertitude sans cesse renouvelée.

Rapidement après les premières mesures de confinement, de nombreux professionnels ont tiré la sonnette d’alarme, craignant les effets délétères de cette mise entre parenthèses de nos rapports sociaux sur la santé mentale de la population. En effet, cette période inédite (des confinements et des mesures restrictives pour endiguer l’épidémie) a vu croître les problématiques liées à la santé mentale : troubles anxieux, états dépressifs, troubles alimentaires… Une étude mondiale, parue début octobre 2021 dans The Lancet, montre que de manière générale les cas de dépression et d’anxiété ont augmenté de plus d’un quart dans le monde en 2020. L’augmentation de cas est chiffrée à 28% pour les troubles dépressifs majeurs et 26% pour les troubles anxieux1 . Un constat difficile, qui a amené certains acteurs professionnels à questionner et réinventer leurs pratiques.

C’est pour aborder ce lien ténu entre santé mentale et lien social que le CRéSaM a réuni un panel de représentants d’associations de terrain, dans le cadre de la semaine de la santé mentale en octobre 2021 : François Vilain (cofondateur de « la Bulle d’Oxy’GEM »), Stefania Marsella (chargée de projets à la Fédération des Maisons Médicales) et Stéphanie Adam (Psychiatre au Service de Santé Mentale d’Hermée à l’initiative du projet « La Croisée »). Un échange ponctué par les interventions croisées d’Anne-Françoise Janssen (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté), de Christine Vander Borght (Centre de Formation et de Supervision en Institution, Centre Chapelle-aux-Champs) et de François Wyngaerden (Institut de Recherche Santé et société, Faculté de Santé Publique, UCLouvain).

Santé (mentale) et lien social, de quoi parle-t-on ?

Avant de revenir sur les témoignages et échanges qui ont émaillé cette matinée, il convient de s’arrêter brièvement sur les définitions de santé mentale et de lien social.
La santé mentale est entendue comme « un état de bien-être dans lequel une personne est consciente de ses capacités, peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté » (OMS). En phase avec la définition large de la santé, cette définition de la santé mentale ne se limite donc pas à l’absence de maladie. Comme le précise Minds Genève, une association de promotion de la santé mentale suisse, « une personne avec un trouble psychique peut atteindre un bon niveau de santé mentale, et une personne sans trouble diagnostiqué peut expérimenter une grande souffrance psychologique »2 .

Le lien social désigne quant à lui « l’ensemble des relations qui unissent un individu aux autres et à la société, depuis la famille, les amis, jusqu’aux mécanismes institués de la solidarité »3 . C’est à travers lui que nous allons être capables de mobiliser des ressources affectives, matérielles informationnelles ou encore émotionnelles qui vont nous permettre de satisfaire nos besoins fondamentaux4 , voire de faire face aux difficultés de la vie. Nous allons pouvoir par exemple trouver du soutien et du réconfort, expérimenter la solidarité, mais aussi, éprouver un sentiment d’appartenance au groupe et de reconnaissance, qui vont nous permettre de nous sentir intégrés dans la société. C’est donc à travers nos interactions, petites ou grandes, nos rituels partagés, nos échanges quotidiens que (se) vit ce lien social.

L’impact du lien social sur la santé

Le lien social semble jouer un rôle particulièrement déterminant sur la santé, et a fortiori la santé mentale. L’Observatoire de la Santé du Hainaut, dans son analyse de la littérature5 sur les liens complexes entre santé et lien social en période de pandémie, met en exergue plusieurs études qui viennent confirmer cette hypothèse. Ainsi au niveau de la santé, de manière globale :

• L’absence (ou la perte) du lien social a été associée

à une augmentation de la pression artérielle et du cholestérol

à une activation des mécanismes de stress psychique et psychologique ;

à une augmentation des maladies cardiovasculaires ;

à une altération importante du système immunitaire qui reste une protection importante contre les maladies les plus létales.

• L’isolement relationnel s’avère significativement associé à un moindre recours aux soins.

Pour la santé mentale plus particulièrement, la synthèse pointe entre autres que :

• les contacts entre les personnes pourraient jouer le rôle de facteurs protecteurs contre le risque de dépression ;
• le réseau relationnel procurerait avant tout un soutien permettant de modérer le stress suscité par certains événements ou situations ;
• le mécanisme d’isolement social agit de manière directe mais également de manière rétroactive pour entretenir et augmenter l’impact sur la santé mentale. Autrement dit, « les personnes isolées sont plus fréquemment sujettes aux troubles psychiques comme la dépression, et les personnes vivant avec des troubles psychiques sont plus souvent isolées »6.

Crise sanitaire et renforcement des inégalités

Nous n’avons pas tous vécu cette crise sanitaire de la même manière : selon que nous ayons été entourés ou non, que nous disposions ou pas d’un logement confortable et suffisamment spacieux, d’une certaine stabilité financière ou a contrario que nous connaissions une situation précaire, certains d’entre nous se sont trouvés davantage vulnérabilisés. Si la crise sanitaire a profondément affecté le lien social, elle a aussi souvent joué le rôle de révélateur de situations d’isolement social et d’inégalités pré-existantes7 . Ainsi, Anne-Françoise Janssen (RWLP) témoigne de la situation des personnes qui vivent dans la pauvreté : « elles étaient déjà fragilisées bien avant le covid et l’ont été davantage pendant. Tous les lieux de lien social qui sont des lieux « inconditionnels » sont des choses qui n’existent plus actuellement puisque toute démarche impose de répondre à une série de conditions pour pouvoir y avoir accès. Cela souligne l’importance de tels lieux car on ne voit que trop comment, pour les personnes vivant la pauvreté, cette désaffiliation sociale fait des dégâts (…). Ce qui ressort d’une vie dans la pauvreté, c’est une vie dans un isolement social ». Et d’illustrer : «au moment du covid, une jeune militante témoin du vécu a fait un texte qui s’appelle « vie appauvrie, vie confinée » faisant le parallélisme entre ce que tout un chacun a vécu au moment de la pandémie en termes de privations et (de manque) d’accès au lien social et ce qu’est une vie dans la pauvreté où, finalement, c’est le quotidien ».

Notre interlocutrice invite donc à être attentifs à l’écueil de la « psychiatrisation du social ». Elle précise : « on parle beaucoup de santé mentale, conséquences, description des symptômes, souffrance psychique (…). Mais je pense qu’il y a aussi à se questionner sur les conditions de vie des personnes au départ. Comment les personnes qui vivent dans la pauvreté ont-elles accès à un logement décent, à un revenu… ? ». Logement, emploi, accès aux droits sociaux sont autant de domaines qui ont été fortement impactés par la crise sanitaire. Ainsi, parmi les organisations de lutte contre la pauvreté, 80% ont vu leur public augmenter durant cette période8. Les trois-quarts de ces institutions pointent par ailleurs la solitude comme la problématique s’étant le plus aggravée. Presque la moitié d’entre elles témoignent d’un impact important sur la santé mentale de leur public. Pour les personnes en proie à des difficultés quotidiennes pour satisfaire des besoins pourtant bien essentiels, il parait en effet difficile de mobiliser des ressources pour « aller bien ». Un constat corroboré par l’association de promotion de la santé mentale Minds Genève qui rappelle que « les inégalités sociales sont associées à un risque accru de souffrir d’un trouble mental ». Et précise : « en mettant en place des mesures pour améliorer les conditions de vie à tous les âges, on peut à la fois améliorer la santé mentale de la population et réduire les risques liés aux inégalités sociales »9.

Des initiatives de terrain

Au cœur de cette matinée d’échanges, quelques questions ont balisé la réflexion : quels liens se sont renforcés ou créés, entre des lieux dits de “socialisation” et des espaces dédiés aux soins de santé mentale ? Quelle posture les intervenants sont-ils amenés à adopter dans ces dispositifs, et quelle place les usagers et leurs proches peuvent-ils prendre ? D’autres acteurs sont-ils amenés à investir ces dispositifs ? Avec quels enjeux et quels défis ?

En associant dispositifs thérapeutiques et renforcement du lien social, approche individuelle et collective, ces initiatives s’appuient sur des leviers d’actions éprouvés par le champ de la promotion de la santé. Elles se basent d’abord sur l’action communautaire, c’est-à-dire qu’elles visent la participation concrète de la communauté à laquelle elles s’adressent, que ce soit à la fixation des objectifs, à la prise de décision et la co-construction du projet. Se faisant, cette démarche contribue à développer les compétences psychosociales des membres de la communauté : s’exprimer en public, coopérer, construire un argumentaire… sont autant de compétences qui vont permettre à chacun de s’adapter à son environnement et de renforcer son pouvoir d’agir.
Le terrain d’action privilégié des projets mis en exergue est celui des « milieux de vie ». Par-là, il faut entendre, les espaces où les individus vivent, travaillent, se divertissent et interagissent entre eux. Ces espaces influencent les personnes qui les traversent, de la même manière que ces dernières les façonnent à leur tour, de sorte que l’on peut parler d’une relation d’interdépendance. En axant leurs interventions sur les milieux de vie et en créant des environnements favorables au développement des interactions sociales, ces initiatives visent in fine à soutenir positivement les comportements de ceux qui les habitent.

« Les maisons médicales et l’offre communautaire de santé (mentale) »

Dans les maisons médicales, la porte d’entrée est souvent celle du médecin généraliste, que le patient consulte pour des troubles somatiques ou des difficultés sur le plan psychique. C’est la santé au sens large qui guide les pratiques, comme le précise Stefania Marsella : « c’est un état de bien-être que l’on va soutenir, entre autres via les consultations individuelles et dans des espaces collectifs ».

Conscientes que le lien social est un déterminant de santé majeur, les équipes des maisons médicales réalisent en effet, outre leurs missions de 1ère ligne, des activités dites « non-curatives ». Elles prennent la forme d’actions communautaires en promotion de la santé, en prévention et en éducation à la santé, qui s’adressent à leur public cible sur base d’un diagnostic communautaire, « c’est à dire que l’on essaie d’identifier des problématiques communes, des besoins, des demandes et on essaie d’y répondre par des dispositifs collectifs », complète notre interlocutrice.

Dans ces espaces, la thématique est parfois un prétexte pour créer du lien. Ainsi, un cours de cuisine vise autant à aborder l’alimentation qu’à cultiver ce lien. Et Stefania Marsella précise : « l’idée est que les personnes puissent s’approprier leur santé et puissent la nourrir autrement dans des espaces où ils sont en lien avec d’autres. On va porter une attention particulière aux personnes fragilisées socialement. Le fait de cette proximité en maison médicale va favoriser l’accès à ces espaces dans lesquels des liens peuvent se créer. »

Christine Vander Borght parle de la notion de narrativité comme d’une notion qui fait sens, à savoir « la manière dont chacun d’entre nous racontons et construisons notre vie ». Et de préciser : « ces groupes, ce sont vraiment des supports pour parler de soi différemment, pour apprendre et échanger. Apprendre sur soi-même, mais aussi apprendre des autres ».

« La Croisée à Herstal : un espace de convivialité inconditionnel né pendant le confinement, ouvert à tout citoyen désireux de bénéficier d’un moment de partage, de bienveillance, d’échange, d’accueil »

Pour le Service de Santé Mentale d’Hermée, dans l’arrondissement de Liège, la question de l’articulation entre pratiques cliniques et lien social n’est pas neuve. « L’épisode covid a été une occasion de mettre en place des choses qu’on avait en tête depuis de nombreuses années10. Cela a permis un coup d’arrêt qui nous a donné du temps pour mettre en place ce genre de choses, ça a plutôt été un catalyseur » relate Stéphanie Adam.

Le projet « Sortez couverts » est né de cette opportunité fortuite. Partant du constat que les personnes âgées dans les structures de leur institution ne disposaient pas de masques, quelques professionnels se sont mis en tête de les produire eux-mêmes. De fil en aiguille, d’autres – usagers, proches, professionnels – les ont rejoints, chacun avec leurs compétences et leurs expériences pour rendre ce projet possible. Un défi de taille, au moment où la Belgique vivait son premier confinement. Comment trouver des élastiques ? Du tissu ? Puis comment coud-on des masques ? Mais un défi relevé haut la main, puisque ce ne sont pas moins de 11.000 masques qui ont été réalisés et distribués à une dizaine d’associations. Forts du succès de cette expérience, le groupe nouvellement formé a continué sur sa lancée solidaire auprès des personnes sans-abris et, plus tard, des personnes sinistrées lors des inondations. Les prescrits sanitaires s’allégeant, le groupe a décidé d’investir le hall d’un bâtiment appartenant à l’organisation et a été rejoint dans cette aventure par d’autres groupements locaux et associations. C’est ce lieu qui est devenu « La Croisée », un espace qui permet à celui ou celle qui le souhaite de faire une pause dans un environnement favorisant la proximité et l’échange entre différents acteurs, qu’ils soient citoyens, usagers en santé mentale, soignants ou intervenants du monde associatif, et qui, parallèlement, encourage les initiatives participatives venant, à leur tour, nourrir le projet. Stéphanie Adam explique ainsi : « petit à petit, les gens proposent des choses et on aide à ce que cela puisse se mettre en place. Le fil, c’est vraiment cette question de lien social et de comment on peut faire concrètement pour garder ce lien. Finalement, ce qui est essentiel, c’est d’être ensemble, on ne sait pas ce qu’on va faire, mais on est là, et on est là avec d’autres, dans le lien. Par exemple, nous recevons une série de boites vides : « qu’est-ce qu’on fait ? » s’est-on demandé à la Croisée. Les réponses, elles, sont collectives : on va demander aux citoyens de remplir ces boites. Et toutes ces boites sont devenues une donnerie ».

Christine Vander Borght rappelle à cet égard la notion de réseau : « on sait qu’un réseau peut être quelque chose de très fermé – comme les réseaux défensifs par exemple – mais c’est aussi une grande opportunité d’ouverture, de partage, de lignes de fuite ». S’appuyant sur la notion de rhizome, elle prend pour exemple le réseau d’échange de savoirs où chacun apporte sa pierre à l’édifice en étant tour à tour offreur et demandeur, dans une logique de réciprocité.

« La Bulle d’Oxy’GEM à Mons : un lieu d’accueil ouvert sur la cité »

OxyGEM est un lieu d’accueil dans la cité pour les différents usagers en santé mentale de la ville de Mons. Il s’inspire du modèle des GEM, pour Groupement d’Entraide Mutuelle11 . C’est un projet qui vise à favoriser la participation de chacun et la resocialisation au travers de l’action communautaire.

En effet, l’association fait l’amer constat que la maladie mentale et le parcours des usagers en santé mentale les amène, souvent, à un isolement social. D’où, pointe-t-elle, l’importance de mettre en place un dispositif de resociabilisation. C’est l’objectif que poursuit le projet « Bulle d’OxyGEM », en permettant à des usagers de rentrer « dans un dispositif d’aidance et d’« entre-aidance », dans une dynamique de co-gestion », comme l’illustre François Vilain : « l’endroit est entièrement co-géré par les usagers en santé mentale. Ce sont eux qui mettent en place les projets, les activités et qui dynamisent l’endroit au quotidien ».

Un témoignage qui fait écho aux propos de François Wyngaerden sur l’importance des réseaux sociaux (au sens large du terme) qu’il définit comme un ensemble de ressources que l’on a autour de nous à titre personnel et la manière dont celles-ci sont articulées – et ce, peu importe que l’on soit usager, accompagnant, professionnel ou pair aidant. Notre réseau social, précise-t-il ainsi, nous offre aussi beaucoup de ressources en termes d’objectifs personnels et en termes de sens car les différents groupes dans lesquels nous nous investissons à travers différents projets et à travers des relations de droits, de confiance, d’échanges nous donnent des éléments d’identité collective qui nous structurent ».

Pour conclure

La santé mentale est multi-factorielle. Elle repose sur un ensemble de déterminants, eux-mêmes en interrelation. Outre les facteurs individuels (santé physique, facteurs génétiques, genre, intelligence émotionnelle et sociale), elle est influencée par un ensemble de déterminants socio-économiques (éducation, emploi, réseau social…) et sociétaux (notamment, l’environnement, la politique et la culture dans laquelle nous évoluons)12 .S’il joue bel et bien un rôle prépondérant sur la qualité de vie des individus, et a fortiori, sur leur sentiment de bien-être, le lien social s’inscrit lui-même dans un système d’interrelations complexes avec ces autres déterminants de la santé.

La recherche suggère donc qu’en agissant simultanément et en cohérence sur ces déterminants, dans une démarche transversale et multidisciplinaire, on pourra le plus adéquatement améliorer la santé des individus. L’échelle locale, voire micro-locale, est par ailleurs plébiscitée comme terrain privilégié des actions visant à lutter contre l’isolement en promotion de la santé13 .

Ainsi, les initiatives porteuses de lien social ont un rôle prépondérant pour « faire santé mentale », comme en témoignent toutes les personnes ayant pris part à cette journée.

La Semaine de la Santé Mentale

Le programme 2021 est disponible sur le site www.semaine-sante-mentale.be. Toutes les interventions qui se sont tenues pourront être réécoutées prochainement sur le site.

L’édition 2022 se tiendra du 10 au 16 octobre. Toutes les infos seront disponibles sur le site.

Le CRéSAM

Cette asbl soutient l’action des professionnels de la santé mentale et leur intégration dans le réseau de soin en santé mentale.

Pour en savoir plus: www.cresam.be

  1. https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2821%2902143-7
  2. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  3. CUSSET P.-Y., Le lien social, Armand Collin, collection 128, Paris, 2007, p. 5 via https://www.cultures-sante.be/nos-outils/outils-education-permanente/item/57-le-glossaire-de-culturessante.html p. 15
  4. https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/2020/06/2020_06_10_Le-lien-social-et-la-sante.pdf
  5. https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/2020/06/2020_06_10_Le-lien-social-et-la-sante.pdf
  6. https://www.fabrique-territoires-sante.org/sites/default/files/dossier_isolement_social.pdf
  7. Voir également https://educationsante.be/reflexions-sur-la-situation-de-la-sante-mentale-en-belgique-et-les-besoins-du-secteur/
  8. https://www.kbs-frb.be/fr/le-covid-19-renforce-la-pauvrete-ce-que-les-organisations-de-lutte-contre-la-pauvrete-nous-disent
  9. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  10. L’association évoque un projet pré-existant à la crise sanitaire qui combine à Soumagne initiatives de proximité animées par les services psy (un dressing pour rien, mais aussi une école de devoir qui est aussi un endroit où on peut venir se poser, boire un café, chercher deux assiettes si on en a besoin…) et réseau de soutien de traitement des troubles de la dépression et de l’humeur dans la communauté.
  11. Sur le sujet : https://www.cairn.info/revue-les-politiques-sociales-2016-1-page-48.htm
  12. https://minds-ge.ch/wp-content/uploads/2020/02/facteurs_sante_mentale.pdf
  13. https://www.fabrique-territoires-sante.org/sites/default/files/dossier_isolement_social.pdf

food donation to needy, needy: providing food to needy people wh

COVID-19 : amplificateur d’inégalités sociales de santé

Le 25 Jan 22

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food donation to needy, needy: providing food to needy people wh

Le 12 octobre 2021, l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH) organisait une journée de réflexion intitulée « Inégalités sociales de santé et COVID-19 ». L’occasion pour les professionnel.les de la santé présent.es, de faire le point sur les nombreuses séquelles laissées par cette crise sanitaire inédite, notamment chez les plus vulnérables.

Plusieurs expert.es ont ainsi pu partager leur expérience de terrain et leur analyse de la situation. Toutes les interventions ont convergé vers un même constat :  la crise sanitaire a amplifié les inégalités sociales déjà présentes avant la crise. Le coronavirus peut infecter tout le monde mais « tout le monde » n’y est pas exposé de la même manière. Les mesures prises (distanciation sociale, bulle sociale, télétravail, métiers essentiels…) résonnent différemment selon nos contextes de vie, nos capitaux sociaux et économiques, renforçant ainsi les inégalités sociales existantes.

C’est Helen Barthe-Batsalle, directrice de l’OSH, qui a posé le contexte de cette journée en rappelant l’importance de la question des inégalités d’accès aux droits fondamentaux, au sein des missions de l’OSH. La santé des individus, considérée comme un droit fondamental, varie en fonction de certaines conditions comme l’accès à un logement, à l’éducation, à une alimentation saine et suffisante, à un travail décent, à un environnement sain, à une justice sociale… L’ensemble de ces déterminants de santé, distribués de manière inégale au sein de la population, génère des inégalités sociales de santé et impacte la manière dont les individus font face à la crise sanitaire.

Les intervenant.es invité.es ont ensuite pu témoigner des effets directs de cette crise sur leur public et des impacts dans leur champ d’action.

« L’impact de la crise sur les populations les plus précaires et sur la pauvreté en Région wallonne »

Bernard De Vos (Délégué général aux Droits de l’Enfant) appuie le fait que la crise n’a fait que révéler et amplifier les problèmes préexistants avant la crise sanitaire tels que la pauvreté, le décrochage et l’abandon scolaire, les difficultés relationnelles au sein des familles, le maintien des liens dans les familles séparées…

Les mesures dictées pour endiguer la propagation du virus n’ont pas été vécues de la même manière par toutes les familles. Lorsque le confinement a été annoncé, certaines d’entre elles ont été renvoyées à leur situation personnelle. Si les conditions de vie des sphères privées n’étaient pas optimales en temps « normal », elles l’ont été encore moins durant l’épidémie. 

La période de confinement a par ailleurs été très compliquée pour les enfants qui évoluent dans un contexte où maltraitance et/ou négligence sont présentes. Ces enfants se sont retrouvés confrontés à leurs tortionnaires avec très peu de contacts extérieurs. Il a fallu attendre un certain temps pour que les services d’aide se réorganisent et puissent reprendre contact avec ces enfants via une écoute active par téléphone et/ou internet.

Les enfants porteurs d’un handicap ont également souffert durant cette période. La plupart n’ont plus eu accès à leur institution et se sont retrouvés totalement à charge de leur famille.
Bernard Devos déplore qu’au moment de la réouverture, on ait donné la priorité aux écoles et non à un système éducatif qui inclut les écoles de devoirs, les services d’Aide en Milieu Ouvert (AMO), ainsi que tous les autres services associatifs qui agissent en soutien scolaire. En pensant globalement au système éducatif, on n’oublie pas celles et ceux qui en ont le plus besoin et on tente de réduire les inégalités sociales entre les enfants.

Il terminera son intervention en déplorant qu’au cours de la crise, aucun discours n’ait été adressé directement aux enfants et aux jeunes pour leur expliquer l’état de la situation et le choix des mesures prises. Les informations ont toujours été données de manière unilatérale sans aucune adaptation de langage. Cette tâche a été laissée aux familles avec des compétences qui leurs sont propres et très inégales d’une famille à l’autre. Il a fallu attendre que la situation dérape à certains endroits dans notre pays et que les pédopsychiatres montrent leur inquiétude par rapport à la santé mentale de la jeunesse pour qu’on adapte l’information à ce public cible et qu’on le laisse s’exprimer sur la manière dont il a vécu l’application des mesures.

 « Avec la crise sanitaire, l’insécurité alimentaire »

Durant la première période de confinement, les demandes d’aide alimentaire (principalement sous forme de colis alimentaire) ont augmenté de 30% en Région wallonne, explique Catherine Rousseau (chargée de projets à la Fédération des Services Sociaux). Suite à cette première vague, celles-ci ont continué d’augmenter mais moins rapidement. Aujourd’hui, les demandes tendent à se stabiliser mais à un chiffre encore trop élevé. La difficulté de faire appel à l’aide alimentaire est également mise en évidence et les raisons en sont diverses : gêne d’y recourir, méconnaissance des services, fermeture des structures d’aide…

Face à cette situation, la Fédération des Services Sociaux (FDSS) met en évidence plusieurs recommandations afin de répondre à l’urgence en temps de crise.

  • La première porte sur la quantité, la qualité et le respect de la dignité

Dans ce contexte de crise sanitaire, de nombreuses demandes n’ont pu être satisfaites. À cela s’ajoute le manque de respect de la dignité humaine comme les longues files dans l’espace public, l’absence de choix des denrées correspondant aux besoins ou aux préférences des personnes, un manque de qualité et de diversité de certains produits (produits frais ou recours à des invendus)…
Il convient donc d’accueillir toutes les demandes et de les orienter vers les services les plus aptes à y répondre. De même, l’aide alimentaire nécessite une diversification de l’offre pour mieux répondre aux besoins des familles et des personnes dans le besoin (colis ou soutien financier).

  • La seconde porte sur l’organisation et l’accessibilité

Il s’agit d’encourager un assouplissement des critères d’accessibilité, l’élargissement de l’offre ainsi que la diversification des formes d’aides, afin de répondre au mieux aux nouveaux besoins qui sont apparus. L’implication des bénéficiaires dans les prises de décisions relatives à l’organisation des services d’aide alimentaire est également préconisée.

  • La troisième porte sur le caractère structurel de l’alimentation de qualité

De nouvelles politiques structurelles fortes soutenant un système de démocratie alimentaire (une alimentation saine, en suffisance et de qualité pour tous) ainsi qu’un système alimentaire inclusif doivent voir le jour. Celles-ci permettront de lutter contre les inégalités sociales face à l’alimentation, d’assurer l’accès à un revenu décent pour tous, à l’inclusion et à la protection sociale.

« Quand vieillissement et pandémie se croisent »

Au travers de son exposé, Violaine Wathelet (secrétaire politique d’Enéo, le mouvement des aînés de la MC) a souhaité mettre en évidence le lourd tribut payé par les ainés durant la crise mais également la stigmatisation dont ils sont souvent victimes dans notre société. 

Cette crise a mis à jour un certain nombre de dysfonctionnements relatifs aux Maisons de Repos et aux Maisons de Repos et de Soins, comme le manque de coordination avec les autres structures de soins, des cas de maltraitance, un personnel en sous-effectif ainsi que la difficulté de prendre en considération tous les aspects de la santé comme la dimension psychologique.

Les personnes âgées, souvent mises de côté, sont sujettes à de nombreux stéréotypes, certains laissant croire qu’elles ne sont plus capables de décider ce qui est le mieux pour elles-mêmes. Or lorsqu’on envisage la vieillesse par la porte du vieillissement biologique, l’attention portée aux plus âgé.es se centre presque essentiellement sur le curatif délaissant ainsi le care c’est à dire le bien-être.

Le COVID-19 ou la COVID-19 : juste une question de genre? »

La parole est donnée à Manoë Jacquet (coordinatrice de Femmes et Santé et responsable du réseau « Femmes, genre et santé »). Au-delà du débat de genre autour du mot « COVID », la maladie et ses complications ne semblent pas avoir affecté les hommes et les femmes de la même manière. Les chiffres montrent que les femmes ont été plus nombreuses à contracter le virus alors que les hommes ont développé des formes plus graves de la maladie et présenté un taux de mortalité plus élevé. Les femmes ont en effet été particulièrement exposées au risque de contamination du fait des secteurs d’activité où elles sont majoritaires. C’est le cas du secteur hospitalier où elles représentent 80 % du personnel, des maisons de repos et de soins (88 %), des maisons de repos pour personnes âgées (86,5 %), des crèches (96 %), de l’aide à domicile (95 %) ou du commerce de détail ou en grandes surfaces (60 %).

Comme l’ont souligné les intervenant.es précédent.es, les mesures spécifiques qui ont été mises en application pour limiter la transmission du virus n’ont pas engendré les mêmes conséquences pour toute la population. Elles ont été construites sur un modèle de famille « standard » en perte de vitesse et qui correspond de moins en moins au modèle actuel.

“De l’intersectionnalité à la syndémie : COVID-19 et inégalités sociales de santé”

Charlotte Pezeril (docteure en anthropologie sociale et directrice de l’Observatoire du Sida et des Sexualités à l’ULB) aborde la question de la crise COVID sous l’approche de la réduction des risques (comme elle l’a été pour le VIH). Cette stratégie suggère de faire confiance aux individus dans le choix de stratégies adéquates en fonction de leur situation et de leur capacité d’agir.

En référence et en comparaison avec la problématique du VIH, ce qui a été mis de côté dès le départ de la crise sanitaire, c’est d’abord l’exclusion de la promotion de la santé au profit d’une approche épidémio-médicale. La crise du VIH avait pourtant démontré l’importance de la responsabilisation et non pas de la criminalisation des comportements à risque. La responsabilisation, c’est reconnaitre la capacité de réflexion et d’action des citoyens. Pour qu’elle soit opérationnelle, il faut leur donner les moyens de pouvoir l’exercer, comme leur expliquer les bienfaits et les risques de la vaccination par exemple. Les citoyennes et citoyens pourront alors faire un choix éclairé en fonction des coûts-bénéfices de chacune des stratégies.

La crise COVID a été présentée comme une pandémie. Or, selon Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, il faut étendre ce concept et parler de « syndémie ». Une position que Charlotte Pezeril partage également.  Une syndémie se définit par la synergie de plusieurs maladies ou problèmes concentrés de manière anormalement élevée dans une population donnée. Dans le cadre de la crise sanitaire qui nous occupe actuellement, cela revient à mettre l’accent sur le côté viral de la maladie (la COVID) en prenant en compte l’ensemble des pathologies chroniques non transmissibles (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires…). Toutes ces pathologies ont fortement augmenté depuis une trentaine d’années dans nos pays occidentaux, notamment en raison de la pollution atmosphérique, de la malbouffe et également de l’accroissement des inégalités sociales.

« La crise sanitaire comme révélatrice et amplificatrice de la fracture numérique. »

André Delacharlerie est responsable de L’Observatoire du numérique et du programme Education à l’Agence du Numérique. Selon le dernier Baromètre 2021 de maturité numérique des citoyens wallons1, l’Agence du Numérique et du Service Public de Wallonie recommande plus d’éducation au numérique et plus d’inclusion de tous.

Ainsi, l’éducation du numérique doit être renforcée à plusieurs niveaux :

  • dès l’école fondamentale par une éducation aux concepts du numérique et par une utilisation du numérique dans tous les apprentissages ;
  • dans les formations qualifiantes auprès des Jeunes (IFAPME) et les demandeurs d’emploi (FOREM) ;
  • au long du parcours professionnel par la formation continuée dans les entreprises ;
  • pour tous les citoyens par des actions de soutien à l’inclusion dans le monde associatif et des programmes d’éducation permanente via les grands médias.

En parallèle, il est important que des actions d’aide à l’équipement et à la connexion des plus démunis soient mis en place tout en veillant à l’ergonomie des interfaces informatiques.

Un bilan ?

L’ensemble de ces interventions illustre combien il est important que la santé et les actions de promotion de la santé soient inscrites au sein de toutes les politiques de manière à développer une action de santé publique efficace et collective.

À l’heure où l’on prône l’universalisme proportionné dans les actions de promotion de la santé, il est décevant de constater que dans la gestion d’une crise sanitaire comme celle du COVID, tout a été géré de manière universelle. Il est important de donner les moyens aux individus d’adopter les réponses efficaces pour mieux gérer les impacts de cette crise.

Cependant, concluons sur une note positive en soulignant que durant cette crise de nombreuses initiatives solidaires et bénévoles ont vu le jour. Et pour reprendre les mots de Marius Gilbert : « Remettre le collectif au cœur de nos sociétés, voilà bien le défi pour demain ».

[1] Ce baromètre vient d’être publié très récemment et porte sur 2 184 réponses qui ont été collectées entre le 28 janvier et le 19 mars 2021 auprès d’un échantillon de la population résidant en Wallonie et âgée de 15 ans et plus. Cet échantillon a été structuré de manière à garantir une représentation valide des deux genres, de toutes les classes d’âge, des différentes catégories socioprofessionnelles, des différents niveaux d’éducation et de tous les types de ménages. La collecte s’est effectuée au départ d’une sollicitation téléphonique réalisée pour 70% sur des numéros de lignes mobiles et pour 30% sur des lignes fixes

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Quel impact du covid sur le travail de première ligne bruxellois ?

Le 20 Déc 21

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Pour une question de confort de lecture, l’usage du masculin est utilisé dans ce texte lorsqu’il est question des personnes, quel que soit leur genre.

À l’automne 2020, les campagnes de prévention et les mesures sanitaires bruxelloises en réponse à la pandémie de Covid-19, n’ont pas semblé suffisamment efficaces. En témoignent les chiffres de contamination et l’arrivée de la deuxième vague qui affecte particulièrement les quartiers les plus défavorisés de la capitale. Face à ce constat, le Centre Bruxellois de Promotion de la Santé (CBPS) a été chargé par la Ministre Barbara Trachte, dans le cadre des « stratégies concertées Covid », de mener en 2021 un diagnostic avec des professionnels des secteurs médico-sociaux de proximité intervenant auprès des populations vulnérables.

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L’objectif : explorer les besoins des usagers identifiés par les professionnels, leurs propres besoins, leurs adaptations, vécus et positionnements par rapport aux attentes des pouvoirs publiques d’en faire des agents de prévention de la pandémie. L’ambition est également de tirer des leçons de la crise afin de s’en inspirer en cas de nouvelles pandémies. Une trentaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des travailleurs médico-sociaux issus de 22 institutions (CPAS, communes et associations), réparties sur 15 communes bruxelloises. Les entretiens ont été menés entre février et avril 2021, soit environ un an après le début de la pandémie et le premier confinement en Belgique.

Des attitudes multiples face au virus et aux mesures sanitaires

Globalement les intervenants rencontrés font état, contrairement à l’image véhiculée dans les médias, d’usagers relativement coopérants et respectueux des mesures sanitaires. Néanmoins, ils relèvent aussi nombre de répercussions psychiques et sociales de ces mesures sur leurs bénéficiaires et de multiples attitudes de ces derniers envers le virus et sa gestion par les pouvoirs publiques. Il en ressort que d’une part, l’adoption de ces mesures repose sur des fondements relativement fragiles et d’autre part, les conséquences de ces mesures sont ressenties pour une part importante des professionnels de première ligne comme allant à l’encontre de leurs missions médico-sociales.

Parmi les difficultés rencontrées et vis-à-vis desquelles les intervenants se sentent démunis, il y a chez une minorité de leurs usagers soit une surestimation de la dangerosité du virus, soit une sous-estimation de celle-ci. Les premiers sont des personnes particulièrement anxieuses d’être contaminées, au point de s’enfermer chez elles, sans sortir pendant plusieurs semaines, bien au-delà du degré d’isolement imposé par les autorités. Cette peur de la contamination, qui touche plus particulièrement les mères de familles monoparentales en situation de précarité, est directement attachée à l’angoisse de ne plus pouvoir assumer le ménage, les enfants, la scolarité, de ne plus pouvoir prendre soin des proches. Cette anxiété génère une difficulté pour ces personnes de sortir de leur isolement et de faire valoir des aides dont elles pourraient légitimement bénéficier. Ceci les place dans une situation de fragilité en les plongeant dans une incertitude face à une maladie ressentie comme incontrôlable. Cette incertitude est d’autant plus à prendre en compte qu’à terme, elle peut entraver la capacité des personnes à agir et à adopter des conduites de prévention1.

A l’opposé de ces personnes qui se coupent de toute relation, les professionnels font parfois état de rares cas de personnes qui minimisent la dangerosité du virus, n’adhérent pas du tout aux mesures, voire sont plus enclines à adhérer aux théories « complotistes ». Cette adhésion s’inscrit souvent dans un processus de méfiance envers les informations officielles sur le virus et le besoin de retrouver des certitudes pour dépasser le caractère anxiogène qu’elles véhiculent2. Au-delà de ces cas extrêmes, les personnes rencontrées notent plutôt une tendance d’une part minoritaire de leurs usagers à relativiser la dangerosité du virus. Cette relativisation, présente davantage parmi les jeunes des quartiers défavorisés, s’inscrit dans une méfiance envers les politiques sanitaires qui se fonde, entre autres, sur les discriminations et le sentiment d’abandon dont ces personnes se sentent victimes. Elle se développe dans une relation critique envers les politiques sanitaires de personnes qui préfèrent s’informer via des sources d’informations alternatives (médias indépendants ou réseaux sociaux) et leurs pairs. 

Par ailleurs, les professionnels eux-mêmes expriment différents points de vue par rapport au virus et aux mesures de protection. C’est le cas, notamment, des intervenants sociaux de terrain qui ont parfois le sentiment que leur sécurité a parfois été sacrifiée en début de pandémie (absence de matériel de protection, côté arbitraire de la mise en télétravail des professionnels). La question de la vaccination, et encore plus sa promotion, divise également les travailleurs. Par contre, ils sont dans l’ensemble d’accord pour affirmer que la vaccination est du ressort de leur vie privée et de celle de leurs usagers.

Les interventions des autorités sous la critique des travailleurs médico-sociaux

Pour les travailleurs, dans la gestion de la crise menée par les autorités nationales et régionales, plusieurs éléments se sont révélés contre-productifs à l’égard de leurs missions d’accompagnement et de leurs publics. Tout d’abord, les campagnes de communication et de prévention de masse (telles que « Flatten the curve3») sont perçues comme déconnectées de la réalité vécue par les populations les plus vulnérables et les plus précarisées, stigmatisantes et culpabilisantes, et en particulier vis-à-vis des jeunes. Or, une communication déficiente envers ce type de population amoindrit la considération de ces populations à l’égard des institutions publiques4. Ensuite, les directives émises par les autorités et les représentants sectoriels (l’enfance, l’enseignement, la santé, etc.) ont été extrêmement complexes et confuses aux yeux des intervenants (trop changeantes, mises à jour régulières et parfois tardives, contradictoires entre les différents niveaux de pouvoir). Enfin, un autre élément contre-productif, relaté par les professionnels, est l’instrumentalisation par moments de la gestion de la crise par des politiques à des fins électorales ou populistes en dépit de son impact direct sur leur travail.

Par ailleurs, l’intensité des sanctions administratives menées par les forces de l’ordre, leur caractère parfois violent et discriminant, et plus particulièrement à l’égard des jeunes des quartiers paupérisés, est vu par les intervenants comme détruisant le travail de cohésion qu’ils mènent avec ce public. Cette «confrontation» de logiques répressive et préventive, si elle préexiste à la crise, s’est à leurs yeux exacerbée avec celle-ci. Elle en appelle à trouver des dynamiques de complémentarité plutôt que d’opposition de ces logiques.

Des adaptations attendues difficilement compatibles avec les missions médico-sociales de première ligne

Les travailleurs médico-sociaux de proximité sont souvent perçus comme des relais aisément mobilisables pour favoriser l’adoption de comportements de protection et promouvoir la vaccination contre le Covid-19. Or, pour une part des répondants, cette mission s’assimile davantage à un travail de contrôle et de maintien de l’ordre qui peut aller à l’encontre du travail social et compromettre le lien établi avec des usagers et usagères vulnérables. De plus, ils sont nombreux à ne pas se sentir suffisamment outillés pour aborder les questions relatives à la prévention de maladies ou à estimer tout simplement que cette mission n’est pas de leur ressort. Sur ce point, les travailleurs sociaux se différencient de leurs responsables hiérarchiques et des travailleurs médicaux. Ces deux dernières catégories de professionnels estiment eux plus souvent que la prévention fait partie intégrante de leurs fonctions. Plus spécifiquement, les professionnels du social trouvent plus souvent préférables que cette mission soit réservée à du personnel médical externe au service ; ce personnel étant notamment perçu comme plus légitime et en dehors des enjeux de cohésion sociale des services.

Concernant spécifiquement la vaccination, une part non négligeable des travailleurs rencontrés (± 1/3) expriment leur incertitude quant à ses bienfaits. Dans ces circonstances, ces derniers refusent de faire une démarche proactive envers leur public et se limitent à répondre à des demandes d’information au même titre que n’importe quelle autre tâche administrative ou sociale.

Enfin, pour beaucoup de travailleurs, la crise a des répercussions éthiques sur leur pratique. La bureaucratisation et la dématérialisation de leur service, la déshumanisation et la numérisation de la relation d’aide, la disparition des espaces de rencontre (maisons de jeunes, visites à domicile, espaces collectifs…) ont pour conséquence de compromettre la prise en charge, les liens construits et la relation de confiance établis avec les personnes fragilisées. Derrière ces conséquences, c’est le sens même de leur pratique qui est remis en question. C’est particulièrement le cas du télétravail qui est souvent considéré comme se prêtant mal à l’intervention médico-sociale de première ligne, comme requérant des moyens matériels supplémentaires et générant, in fine, une surcharge de travail.

Des populations fragilisées et une exclusion sociale renforcée

Tous les répondants font état d’une détérioration de la situation sociale de leurs usagers et d’une précarisation, en raison notamment de la fermeture de nombreux services publics et sociaux, de la réduction de l’accès à certains droits comme le RIS ou encore de la perte de revenus. Le sentiment d’être abandonné par les politiques, la sensation d’isolement et de l’exclusion sont quelques-unes des répercussions observées par les professionnels chez leurs bénéficiaires.

Au-delà de cet accroissement des inégalités sociales qui touchent leurs usagers et usagères aux conditions de vie fragiles, les travailleurs sont aussi inquiets de la dégradation de la santé mentale de leurs bénéficiaires et de la montée des violences intrafamiliales qui ne sont plus détectées et prises en charge.

Par ailleurs, à côté de leurs usagers habituels composés, entre autres, de jeunes, de personnes âgées, de sans-abris, de sans-papiers, les intervenants sociaux font part de l’arrivée de nouveaux publics (jeunes diplômés, étudiants, indépendants de l’HoReCa, professionnels du monde culturel, etc.) qui tombent dans les conditions d’accès à l’aide sociale.

L’accompagnement médico-social de première ligne en difficulté

Avec la crise, l’accompagnement des publics vulnérables par les services de proximité est devenu plus complexe. De nombreux services ont été fermés (12 des 22 services interrogés) et la reprise n’a pas toujours été simple (équipes en sous-effectifs, rattrapage des retards, anxiété des travailleurs, etc.). L’accès limité, et souvent numérique, des institutions publiques et privées (mutuelles, banques, caisses d’allocation de chômage, etc.) a engendré une charge de travail supplémentaire pour les acteurs de proximité qui ont dû accompagner leurs usagers n’ayant pas accès ou ne maîtrisant pas ces nouvelles technologies.

Par ailleurs, le télétravail a impacté la capacité des intervenants à travailler en équipe pour gérer les situations complexes de leurs usagers, qui exigent une prise en charge pluridisciplinaire. Enfin, plusieurs répondants, et en particulier les assistants sociaux des CPAS, font état d’une détérioration psychique de leur état (épuisement émotionnel, angoisse de la boîte mail, perte d’empathie, etc.) pour exercer convenablement leur profession.

La crise : un révélateur d’inégalités structurelles préoccupantes

La non-adhésion de la population aux mesures préconisées est généralement interprétée comme un manque d’information. Or, pour adhérer, il faut aussi se sentir faire partie de la société, se sentir reconnu en tant que personne dans les mesures prises, disposer de capacités d’adaptation suffisantes (équipement informatique, ressources financières pour acheter le matériel de protection, aptitude à gérer son anxiété, sentiment d’appartenance, attitude de confiance envers les autorités5, faculté de se projeter dans l’avenir, etc.). Ces conditions font plus souvent défaut parmi les populations vulnérables et la crise a accentué cette situation. Elle implique de penser, dès à présent et de manière prospective, les mesures destinées aux populations fragilisées en regard de cet enjeu de cohésion sociale et de réduction d’un fossé entre ces populations et les autorités publiques. Elle implique de prendre rapidement d’autres mesures de prévention qui prennent en compte les différentes dimensions de la vie des populations vulnérables, leurs conditions de vie et qui s’appuient sur la connaissance des professionnels à l’égard de leur public.

Une prévention adaptée aux intervenants

Concernant les intervenants, il faut une nécessaire congruence entre l’exercice de leurs missions et des sollicitations des autorités en temps de crise. Cette conciliation en appelle à repenser les métiers essentiels en leur permettant d’assurer leurs missions de base dans des conditions suffisantes de protection ; à définir avec les professionnels, sur base de l’expérience présente, des directives claires à adopter dans le cadre d’une nouvelle pandémie ; à préciser avec eux, dans une logique de complémentarité, le rôle que chacun peut jouer en fonction de sa profession.

Il semble aussi primordial de développer une approche intégrée de la prévention incluant également la dimension mentale et sociale de cette dernière et impliquant les divers intervenants gravitant autour des populations fragilisées.  

[1] Kmiec R. et Roland-Lévy C., « Risque et construction sociale : une approche interculturelle », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2014/1, 101 :69-99.

[2] Barras C., « Prévention menaçante, prévention prévenante : regards anthropologiques sur un concept polysémique, Prospective Jeunesse. Drogues, Santé, Prévention,2021, 94 :4-8.

[3] Ce slogan de campagne, que l’on peut traduire par « aplanir la courbe », faisait référence aux interventions des épidémiologistes et autres experts de santé publique évoquant le nombre de personnes admises à l’hôpital par rapport au nombre de personnes infectées par le virus sur une ligne du temps.

[4] Mercier M. & al., Exclusion et sciences humaines. Exclusion en sciences humaines. Recherche commanditée par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de la Communauté française de Belgique. Rapport de recherche interuniversitaire (FUNDP, ULg, UMH, ULB, UCL), 2003.

[5] La confiance accordée à la source d’information est plus importante dans l’adhésion aux mesures que la qualité même de l’information diffusée (Cougnon L.-A. & al. (2020), in Déconfinement Sociétal. Apport d’expertises académiques).

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Les 40 ans de Question Santé, ou comment penser la communication aujourd’hui ?

Le 20 Déc 21

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Le 22 octobre dernier, l’asbl Question Santé fêtait ses 40 ans. Quarante années consacrées à rendre l’information santé accessible et ce, dans un souci d’émancipation de l’usager. Dans le cadre de cet anniversaire, une table ronde s’est tenue sur les évolutions de cette communication santé et sur le contexte de tension actuelle autour de la question. Compte-rendu des échanges.

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Communiquer en santé c’est tout un programme. C’est en tout cas le programme de Question Santé depuis 40 ans : dès sa naissance en 1981 et ses premiers subsides en éducation permanente, l’association se pose la question de la communication autour de la santé. Bien sûr, en 40 ans, les choses ont évolué, des fiches-techniques à la mise sur pied du tout nouveau site internet de Question Santé, en passant par la création de multiples outils de communication, éducatifs, d’animation, des campagnes de sensibilisation et l’accompagnement et le conseil aux structures de promotion de la santé. Jusqu’à cette communication de crise autour du Covid qui nous occupe depuis plus d’un an et demi, avec la sensibilisation à la vaccination, aux gestes barrières, la publication d’outils de promotion de la santé ou dans le cadre des stratégies concertées.

Pour aborder la question de la communication santé sous tension, avaient été réunis sur l’estrade, Matthieu Méan, coordinateur de l’équipe de première ligne de Modus Vivendi, actif dans la réduction des risques pour les usagers de drogues, Godefroi Glibert, responsable de projets à la Plateforme Prévention Sida, Sophie Lefèvre, chargée de communication à la Direction Santé de l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance), ainsi que Mark Hunyadi, professeur de philosophie morale et politique à l’UCLouvain, venu préalablement entretenir le public présent de ses réflexions sur la confiance dans un contexte numérique. Pour animer le débat, notre journaliste maison Pascale Gruber.

Quelles préoccupations en matière de communication ?

Un premier questionnement portait sur les préoccupations en termes de communication pour les trois associations de terrain, avant la crise sanitaire. Pour Matthieu Méan (Modus Videndi), il va sans dire que cette préoccupation se pose depuis longtemps, mais s’est transformée avec l’apparition des réseaux sociaux qui sont devenus rapidement incontournables. « Facebook, mais aussi Instagram, c’est très important aujourd’hui. Certes nous organisons toujours des permanences, trois fois par semaine, mais nous avons également créé un espace de permanence digital, pour permettre à ceux qui ne peuvent ou n’osent pas franchir le seuil de l’association de pouvoir entrer en contact avec notre service. »

Idem pour Godefroi Glibert (Plateforme Prévention Sida) qui confirme cette importance des réseaux sociaux, mais temporise : « Personnellement, je suis assez mitigé envers les GAFA qui représentent une menace pour les relations entre les personnes. En promotion de la santé, le message va vraiment passer, percoler, quand à un moment, à un instant d’une relation interpersonnelle, on emporte l’adhésion et qu’alors, un changement peut se produire. La question est donc : comment être proche en utilisant les réseaux sociaux ? On n’y arrive pas toujours, c’est sûr. On essaie. Un exemple : sur notre site Internet, on parle en « vous ». Sur Facebook, on parle en « tu », pour aller vers une proximité plus importante. »

Le numérique pour toucher son public ?

Sophie Lefèvre (ONE) estime pour sa part qu’il faut s’interroger sur l’accessibilité de l’outil numérique pour tous « car s’il se généralise, il n’est pas pour autant abordable pour une série de publics. J’ai déjà entendu : ‘Tout le monde sait utiliser un smartphone et va sur Internet’, mais ce n’est pas encore une réalité. On fait appel à des capacités de littératie médiatique (comme on parle de littératie en santé) que tout le monde n’a pas. Parmi les chiffres cités par la Fondation Roi Baudouin en matière de fracture numérique, j’ai été interpellée par ceux montrant une sous-utilisation de l’e-santé : seulement 16 % des personnes se sentent à l’aise avec l’outil numérique en santé. C’est pour cela que je plaide vraiment pour une utilisation multimodale des canaux d’information. »

En guise de relance, Pascale Gruber (QS) posait la question un peu iconoclaste de savoir si le numérique atteint en fin de compte sa cible. Pour Godefroi Glibert, « Avec le numérique, tout est comptabilisé, le temps de rebond, les temps de visites, etc. Mais en même temps, c’est vrai que l’on a peu de retours. Or c’est important d’être en contact avec les publics, d’être dans les festivals, les fêtes, avec un stand d’information, il faut aller sensibiliser dans les écoles. »  Mathieu Méan enfonce le clou : « Les réseaux sociaux sont un appui. Mais ils ne peuvent absolument pas se substituer à ce que l’on fait sur le terrain. Cela étant, au moment du confinement, on a dû trouver d’autres solutions. Donc, on a proposé des tables de discussion sur les réseaux sociaux. Avant, en présentiel, on arrivait, pour les gros événements, à 30 personnes. Avec la discussion en ligne, on est monté à 1.500. Donc, c’est intéressant. Mais c’est aussi très loin des journées festives où l’on en touche 30.000. »

Information ou communication ?

Il s’agit aussi de replacer la question de la communication dans le contexte actuel de l’infobésité ou l’excès d’information propre à l’ère numérique. Comme l’a souligné Mark Hunyadi (UCLouvain), « Avec la multiplication des réseaux de communication et des messages, différents à chaque fois, l’utilisateur ne sait plus comment s’orienter dans cette immense manne, cette mer à messages. En fait, cette prolifération dévalue les informations elles-mêmes. Un message à faire passer, sur ceci ou sur cela, tout le monde en a. Mais c’est très différent des informations, supposées être vraies, vérifiées et donc vérifiables. Je me demande dans quelle mesure cette prolifération des messages de la com’ et les stratégies de com’ ne participent pas à cette défiance généralisée. »

Pour Sophie Lefèvre (ONE), la clé réside dans l’éducation aux médias, mais aussi dans l’expérience des personnes avec les institutions. Quand elles sont déçues, la confiance est rompue. Ça peut être le cas si, par les expériences de vie que l’on a, la manière d’être intégré dans la société, on se rend compte qu’on est en marge, pas pris en compte… « D’où l’importance de ne pas laisser des gens sur le côté, de prendre en compte la diversité. S’adresser à une famille avec Papa, Maman, Boule et Bill et le SUV, comme cela a pu être le cas avec le Covid, cela ne va pas : ceux qui ne correspondent pas à ce schéma vont se sentir à l’écart et vont rejeter les messages qu’on a envie de faire passer… »

Bernadette Taeymans, directrice de l’asbl Question Santé jusqu’en 2020, resitue les enjeux : « Si on se rapporte à 1981, quand Question Santé est née, l’information était aux mains du pouvoir médical. Parfois, il y avait une Encyclopédie médicale dans les maisons, et c’est tout. Il n’y avait pas moyen d’avoir accès à l’information santé sans passer par le pouvoir médical. Donc, il y a quarante ans, l’enjeu de Question Santé était de donner accès à cette info. »

Aujourd’hui, cet enjeu est bouleversé, il y a de l’info partout et de la communication partout. La question est donc de savoir comment aider les personnes à trouver leur chemin et à faire des choix éclairés en matière de santé. « On ne sait plus très bien comment être entendu, sachant qu’avec les outils du numérique, mais aussi avec les médias en général, ce qui attire et intéresse, ce sont les infos qui sortent du lot, créent l’événement, choquent… Or, en éducation permanente comme en promotion de la santé, on n’est pas là pour choquer ou pour faire peur. Donc le risque est de ne pas être entendus dans le brouhaha et cette dérégulation informationnelle. On est donc vraiment dans un moment assez compliqué. Comment continuer à travailler en restant en accord avec nos objectifs et nos valeurs, et, en même temps, en arrivant à toucher le public ? »

Une réflexion partagée par les participants à cette table ronde qui plaident pour un usage raisonné des réseaux sociaux, pour des messages de qualité, qui sensibilisent sans choquer et en restant connectés à tous les publics, dans l’interpersonnel, mais sans bouder le numérique, tout en gardant la confiance. Tout un challenge !

Mark Hunyadi : « Quelle confiance dans un contexte numérique ? »

Lors de cet après-midi de réflexion qui ouvrait les festivités des 40 ans de Question Santé, Marc Hunyadi, philosophe et professeur à l’UCL, est venu parler de son ouvrage « Au début est la confiance »1,

publié en pleine pandémie et qui a beaucoup résonné durant cette crise sanitaire. Son propos est de documenter la notion de confiance qui a été mise à rude épreuve durant cette période. Pour Mark Hunyadi, « La perte de confiance que la crise sanitaire a entraînée s’est avérée extrêmement large car elle a touché à notre relation aux objets, à l’environnement où le virus était présent, mais aussi à nos interactions avec les personnes, possiblement contaminées, ainsi qu’à la confiance dans les institutions amenées à gérer cette crise. »

Or la confiance est transversale à l’ensemble de l’agir humain et s’appuie sur des attentes réciproques de comportements qui sous-tendent le collectif. Sans confiance, comment fonctionner ? « Quand on circule en voiture sur la route, on s’attend à des comportements dans le chef des autres usagers de la route, en fonction de la sécurité routière. Pourtant il n’y a pas de véritable définition de la confiance, ni dans le chef des philosophes, ni chez les grands auteurs. Les économistes utilisent cette notion mais dans une vision réductrice et utilisatrice, en l’associant à la prise de risque et à la gestion de l’incertitude. »

Dans ce contexte, l’auteur pointe le numérique comme un élément qui a modalisé fortement le collectif et in fine la confiance, notamment en la médecine. Cela a été le cas durant le Covid, mais aussi bien au-delà de la crise sanitaire que nous avons traversée. « De plus en plus, le numérique devient une médiation obligée au monde, que ce soit pour des achats, des réservations, le contrôle de son diabète, repérer des champignons, obtenir un CST… Chacun satisfait ses besoins dans sa petite bulle, dans son cockpit, en gérant sa relation au monde derrière son écran. Et ça a été d’autant plus vrai avec le Covid. Dans un tel système, la sécurité tend à remplacer la confiance naturelle. »

Quant à la médecine dans un tel paysage, si le numérique a permis des progrès extraordinaires et des acquis sans précédent, on assiste, pour Mark Hunyadi, à une numérisation de celle-ci : « Les gens se plaignent : « On ne nous écoute plus, on nous mesure ». La médecine devient uniquement technologique, quantitative, ne fonctionne plus que sur des mesures, au détriment de la relation médicale et la perte de la dimension relationnelle. L’Evidence-Based Medecine qui avait pour but, il y a 20-30 ans, d’évaluer la littérature médicale est devenu le paradigme général, avec une substitution tendancielle de la relation technique à la relation naturelle. » De plus en plus la relation fiduciaire est mise à mal et l’inquiétude de Mark Hunyadi réside dans le fait que si la confiance est remplacée par la sécurité, tout devient automatisé. « Obéir à des machines fait de nous des machines obéissantes, des pièces du système. C’est pourquoi des associations comme Question Santé sont salutaires. Car elle est merveilleusement résistante parce qu’elle installe de la proximité là où le numérique met de la distance froide. A Question Santé, on met du commun, du sens là où le numérique en est bien incapable. »

[1] Mark Hunyadi, « Au début est la confiance », Editions Le bord de l’eau, 2020, 240 p.

fondt cancer

L’interdiction de la vente de tabac aux moins de 18 ans, 2 ans après.

Le 23 Déc 21

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Le premier novembre a marqué les 2 ans d’interdiction de la vente de tabac aux moins de 18 ans en Belgique. Pour renforcer la mesure prise il y 2 ans, la Fondation contre le Cancer interpelle à nouveau les autorités pour qu’elles se donnent les moyens de mettre en place un plan antitabac ambitieux.

Une mesure importante, mais pour la Fondation contre le Cancer, il faut aller plus loin

Le nombre de jeunes qui fument est en baisse, mais cela cache des inégalités. De manière générale, les parents des adolescents constatent que leurs enfants, et les amis de leurs enfants fument de moins en moins. Cela peut donner l’impression que la lutte contre le tabac est terminée et que le problème va se résoudre de lui-même. Cependant, des efforts sont encore à fournir ; des études ont montré par exemple que les jeunes des classes socio-économiques moins favorisées sont plus entourés par des fumeurs ce qui les expose plus au risque de devenir eux-mêmes fumeurs, et qu’ils ont également plus de difficultés à arrêter.

La Fondation contre le Cancer met tout en oeuvre pour que chaque jeune puisse être protégé du tabac, et ne commence jamais à fumer.  

L’objectif de l’industrie du tabac : le renouvellement de ses clients

Les jeunes restent une proie idéale pour l’industrie du tabac qui recherche encore et toujours ses clients de demain. Elle va donc cibler les mineurs afin de maintenir le nombre de fumeurs et faire perdurer son activité, malgré les lois et les interdits toujours plus nombreux.

Pourquoi les adolescents sont-ils particulièrement visés? Les jeunes se sentent invulnérables, et ils n’ont pas peur d’avoir un cancer, ils ne s’inquiètent pas trop du fait que leur tabagisme d’aujourd’hui pourra un jour les confronter à la maladie.  Chaque jeune qui commence à fumer est convaincu qu’il pourra s’arrêter à temps, quand il le voudra. La gravité de la dépendance à la nicotine et l’impact sur le circuit de la récompense dans le cerveau sont largement sous-estimés, tant par les jeunes que par les adultes. Or les jeunes qui tendent à multiplier l’expérience de comportements à risque finissent trop souvent par en faire une habitude. 

Le cerveau des jeunes réagit différemment à la nicotine que celui des adultes. Le noyau central de toutes les addictions est un petit circuit neurologique qui s’appelle le « circuit de la récompense ». C’est un moteur qui donne le goût du plaisir, l’envie d’aller de l’avant en faisant les choses que l’on aime. Dans le circuit de la récompense, la force de la nicotine est équivalente à celle d’une drogue dure ! Ajoutez à cela que le circuit de la récompense est encore plus sensible à l’exposition aux produits psychotropes avant la maturité du cerveau, vers l’âge de 23 ans. Tout nous dit, dans la littérature scientifique, que nous devrions absolument protéger nos jeunes de fumer au moins jusqu’à l’âge de 23 ans.

Que demande la Fondation contre le Cancer pour aller plus loin ?

Pour renforcer la mesure prise il y 2 ans, la Fondation contre le Cancer interpelle à nouveau les autorités pour qu’elles se donnent les moyens de mettre en place un plan antitabac ambitieux. Il s’agit de mettre en oeuvre plusieurs mesures visant à :

  • diminuer les points de ventes et y interdire les displays
  • interdire les distributeurs automatiques de produits nicotiniques
  • interdire la vente des produits nicotiniques hors magasins licenciés (comme cela se passe par exemple sur des festivals comme Tomorrowland)
  • instaurer une augmentation significative des taxes, les jeunes étant très sensibles à cette mesure
  • mettre en place un remboursement pour les substituts nicotiniques

« La Fondation contre le Cancer espère que le gouvernement continuera sur la voie des augmentations fermes … mais il est indispensable de prendre également des mesures fortes afin de permettre l’accès aux aides au sevrage et aux substituts de nicotine pour aider les fumeurs à arrêter. Pour que les jeunes ne commencent pas à fumer il faut également soutenir les parents et enseignants qui fument encore. » nous dit Suzanne Gabriels, expert Prévention Tabac de la Fondation contre le Cancer.

marche pour le climat

L’approche One Health :
un changement de paradigme indispensable en santé publique

Le 23 Sep 21

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Eric Muraille est Maître de recherches F.R.S.-FNRS., rattaché au Laboratoire de Parasitologie de l’Université Libre de Bruxelles, et ULB Center for Research in Immunology (U-CRI).

marche pour le climat

La pandémie de SARS-CoV-2, un révélateur de la fragilité de nos sociétés

Apparue en novembre 2019 dans la région de Wuhan en Chine, l’épidémie du nouveau coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2) causant la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) s’est rapidement muée en pandémie. Au 21 mars 2020, en 4 mois, elle avait déjà gagné plus de 160 pays et causé plus de 20 000 morts. En août 2021, bien que des mesures exceptionnelles de distanciation sociale aient été appliquées sur l’ensemble de la planète et que plusieurs vaccins sûrs et efficaces aient été validés et distribués, nous peinons toujours à maîtriser cette pandémie qui a déjà causé officiellement plus de 4.5 millions de morts. Un chiffre considéré comme très sous-estimé par de nombreuses organisations1 et qui serait dans les faits plus proche du double.

Depuis la tristement célèbre pandémie de grippe espagnole de 1918, responsable de plus de 50 millions de morts, la vaccination de masse, la découverte des antibiotiques et antiviraux, une meilleure compréhension des infections, l’amélioration des services de santé ainsi que la création d’organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé (WHO) ont fortement accru notre capacité à gérer les épidémies. Mais, par d’autres aspects, nos sociétés sont également devenues structurellement beaucoup plus fragiles face aux épidémies.

Par exemple, le vieillissement des populations ainsi que la forte occurrence de bronchopneumopathie chronique obstructive (COPD) contribuent à aggraver le bilan des infections pulmonaires. La proportion d’individus de plus de 65 ans dans nos sociétés a fortement augmenté ces dernières décennies et cette fraction de la population est plus susceptible aux infections virales2 . Plus de 250 millions d’individus dans le monde souffrent de COPD due au tabagisme et à la pollution. La COPD augmente fortement la susceptibilité aux infections pulmonaires3 en réduisant l’efficacité de la réponse immune. Lors d’infection par le SARS-CoV-2, les patients présentant une COPD affichent un taux de mortalité deux fois supérieur à la norme4 .

Le sous-financement et la gestion managériale de la recherche fondamentale5 ainsi que des services de santé6 , dénoncés depuis de nombreuses années, réduisent notre capacité d’anticiper et de répondre aux épidémies. Les chercheurs sont précarisés et les réseaux coopératifs entre équipes de recherche fragilisés. Cette situation ne favorise pas le maintien des compétences et l’exploration de nouveaux domaines de recherche pouvant contribuer à mieux connaître les agents infectieux émergents et à identifier les nouvelles menaces. La pratique du flux tendu dans les hôpitaux est devenue la norme7 , ce qui réduit leur capacité à faire face à des crises sanitaires majeures. En début de pandémie de Covid-19, l’Italie a notamment dû pratiquer un tri des malades8 , ce qui pose de sérieuses questions éthiques.

Il est bien établi que notre système économique favorise l’émergence mais aussi la dissémination des agents infectieux. Les activités agricoles, par exemple, sont associées à 25% de toutes les émergences d’agents infectieux9 . En 2018, on comptait plus de 4.3 milliards de passagers aériens et plus de 37 millions de vols10 . Cette interconnexion rend quasi inéluctable la dissémination mondiale extrêmement rapide des agents pathogènes à partir d’un certain niveau de contagiosité.

L’interconnexion des économies nationales rend nos systèmes économiques extrêmement fragiles face aux épidémies. Les conséquences économiques de celles-ci, bien que difficiles à quantifier, sont considérables. On estime que les pertes économiques mondiales liées à l’épidémie de SARS-CoV en 2003 seraient proches de 40 milliards de dollars11 . Dans l’hypothèse où la pandémie de SARS-CoV-2 serait maîtrisée fin 2021, les experts estiment qu’elle aura alors coûté aux États-Unis entre 3 00012 et 16 000 milliards de dollars13 . Ces coûts gigantesques grèvent le budget des États et réduisent le financement des services publics, ce qui affecte nos sociétés dans leur ensemble.

Enfin, de nombreux experts ont pointé la gestion chaotique et souvent inefficace de la pandémie de SARS-CoV-2 par les gouvernements occidentaux. En l’absence de vaccins et de traitements spécifiques, les seules mesures possibles au cours des 9 premiers mois de l’épidémie étaient de limiter la propagation du virus à l’aide de tests, de traçage ainsi que l’imposition du port du masque et de la distanciation sociale. Avec le recul, cette riposte, qui nécessitait surtout une bonne organisation et une bonne communication avec les citoyens, s’est souvent avérée trop tardive pour empêcher la propagation du virus et surtout très désordonnée. Chaque gouvernement a mis en œuvre sa propre stratégie, conduisant à une absence de coordination internationale qui a parfois généré des situations absurdes.

Par exemple, certains pays européens ont opté au début de la pandémie pour une stratégie de confinement14 tandis que d’autres ont adopté une stratégie de « laisser faire » avec l’espoir d’obtenir rapidement une immunité collective naturelle15 . Ce manque de coordination a même été observé entre régions ou États d’un même pays. Par exemple, aux États-Unis, chaque État a mené sa propre politique de lutte, indépendamment de ce que faisaient ses voisins, ce qui s’est avéré particulièrement contre-productif16 . La crise du Covid-19 a également été caractérisée par une attitude antiscience de plusieurs dirigeants politiques, comme les présidents Trump et Bolsonaro, qui ont publiquement nié la dangerosité de l’épidémie, l’efficacité des mesures de distanciation sociale ou prôné des thérapies non validées. Cela a généré de fortes divisions politiques et réduit l’acceptation par les citoyens des mesures de santé publique.

Pourtant, en appliquant une stricte politique de confinement, de dépistage, de tracing des contacts des individus infectés et de mise en quarantaine de ceux-ci, la Chine, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud et Taiwan ont pu drastiquement limiter le nombre de décès sur leur territoire. Mais la majorité des autres pays ont été incapables d’appliquer ces mesures assez rapidement ou avec efficacité. Ces échecs ont conduit les éditeurs de revues scientifiques réputées, telles que The Lancet17 et The New England Journal of Medicine18 , à condamner fermement la gestion politique de la pandémie de Covid-19 en Europe et aux USA. Le WHO a également fréquemment fustigé la trop faible réactivité de nombreux gouvernements dans la lutte contre la pandémie19 .

Ces échecs démontrent la nécessité de changer drastiquement de stratégie de santé publique face aux menaces globales. Une stratégie réactive est très coûteuse, difficile à mettre en œuvre dans l’urgence et à faire accepter par la population. Il est donc indispensable de tenter d’anticiper ces menaces et surtout de les prévenir en agissant sur les conditions favorisant leur émergence. C’est ce que prône la nouvelle approche de la santé publique connue comme One Health (une seule santé).

One Health, une vision unifiée de la santé

One Health constitue aujourd’hui le cadre conceptuel de référence de la plupart des organisations nationales et internationales de santé publique, comme l’Organisation mondiale de la santé (WHO), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la Santé animale (OIE) ainsi que les centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américains.

One Health peut se résumer à la reconnaissance de l’interconnexion du vivant.

C’est-à-dire de l’interconnexion entre santé humaine, santé animale et état des écosystèmes, et ce sur base des évidences scientifiques accumulées en plus d’un demi-siècle. Historiquement, on peut reconstituer sa genèse en trois grandes étapes.

1. Le terme One medicine (une médecine)

Il fut introduit en 1984 par Calvin Schwabe, un vétérinaire et épidémiologiste américain, dans son ouvrage Médecine Vétérinaire et Santé Humaine20 . Schwabe proposa le terme One medicine pour souligner que : « Il n’y a aucune différence de paradigme entre médecine humaine et médecine vétérinaire. Les deux sciences partagent un corpus commun de connaissances en anatomie, physiologie, pathologie, sur les origines des maladies chez toutes les espèces ».

L’interconnexion entre santé animale et humaine est aujourd’hui bien documentée en matière d’épidémie. Sur les 1 407 agents pathogènes affectant l’humain, 58 % sont d’origine animale21 , dont un quart capable d’une transmission interhumaine potentiellement source d’épidémie ou de pandémie, à l’instar des virus Influenza et Ebola. De plus, 75 % des maladies infectieuses émergentes sont d’origine animale22 . Schwabe fait également le constat que la collaboration entre vétérinaires et médecins génère des bienfaits qui sont bien plus que simplement additifs. Par exemple, en identifiant chez l’animal une épidémie pouvant affecter l’humain, il est souvent possible de la contrôler plus rapidement et à moindre coût, ce qui se traduit par une réduction des risques et d’importantes économies financières.

Prenons le cas de la brucellose. Cette maladie est due aux bactéries Brucella, dont plusieurs espèces infectent de manière chronique les ruminants domestiques et causent des avortements. L’humain peut être infecté par contact direct avec les animaux touchés ou, le plus souvent, suite à la consommation d’aliments contaminés, mais la transmission entre humains est quasi inexistante. Agir sur le réservoir animal permet ainsi de réduire les coûts économiques liés à la perte du bétail et d’améliorer la santé humaine.

2. Les “12 principes de Manhattan”23

Ils ont été présentés en 2004, lors d’une conférence organisée à New York par la Société pour la conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society).

Le premier de ces principes insiste sur la nécessaire reconnaissance des liens entre santé humaine, santé animale et environnement. Illustrons ces liens par quelques exemples.

Le lien entre l’intrusion de l’humain dans un écosystème et l’apparition d’une épidémie est bien illustré par le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), qui a fait plus de 32 millions de morts entre 1981 et 2018. Son émergence est vraisemblablement due à une augmentation de la chasse et de la consommation de viande de chimpanzé dans la région de Kinshasa (République démocratique du Congo) dans les années 1920-50 : les contacts alors accrus entre humains et primates infectés par le virus de l’immunodéficience simienne ont favorisé l’adaptation de cet agent pathogène à l’humain24 .

On peut également citer pour exemple la maladie de Lyme. Cette pathologie, qui témoigne des liens entre altération de la biodiversité et épidémies25 , est due à une bactérie, Borrelia burgdorferi, transmise par la morsure de tiques. Dans la nature, les tiques se nourrissent sur un grand nombre de vertébrés. Certains, comme les écureuils et les cervidés, sont assez résistants à l’infection. D’autres, telles les souris, y sont en revanche très susceptibles. Suite à un effet de dilution, on trouve ainsi peu de tiques infectées dans les forêts présentant une grande biodiversité. Mais là où elle est faible, dans de petites parcelles boisées où les prédateurs sont donc peu nombreux, les souris peuvent voir leur nombre augmenter, ce qui accroît la fréquence d’infection des tiques et le risque pour l’humain : dans le nord-est des États-Unis et en Europe, un cycle historique de déforestation, de reboisement et de fragmentation des zones boisées a ainsi favorisé la progression de la maladie.

Dernier exemple emblématique : le réchauffement climatique. Il est désormais bien établi qu’il change la donne pour un large éventail de maladies à transmission vectorielle en Europe, et continuera de le faire dans les décennies à venir26 . On sait par exemple que le moustique tigre d’origine asiatique (Aedes albopictus), vecteur de maladies telles que Zika, la dengue et le chikungunya, ou encore la mouche des sables (phlébotome), originaire du Bassin méditerranéen et de l’Afrique du Nord et qui transmet la leishmaniose, se sont désormais établis dans le sud de l’Europe.

Les “12 principes de Manhattan” pointent également la nécessité d’approches holistiques et prospectives des maladies infectieuses émergentes en mêlant des spécialistes de toutes les disciplines et en tenant compte des interconnexions complexes entre espèces. La prévention des épidémies passe notamment par une réduction du commerce d’animaux sauvages en raison de « la menace réelle qu’il représente pour la sécurité socioéconomique mondiale » ; une augmentation des investissements dans les infrastructures de santé et les réseaux de surveillance des maladies infectieuses ; un partage rapide et clair des informations ; une éducation et une sensibilisation des populations et des décideurs politiques à l’interconnexion du vivant.

La conclusion livrée dans le résumé du congrès est sans appel : « Résoudre les menaces d’aujourd’hui et les problèmes de demain ne peut être accompli avec les approches d’hier ». « Nous devons concevoir des solutions adaptatives, prospectives et multidisciplinaires aux défis qui nous attendent sans aucun doute ».

3. Le concept One World, One Health (un seul monde, une seule santé)

Ce concept fut présenté en 2008 lors d’un symposium à Sharm el-Sheikh sur les risques infectieux liés aux contacts des écosystèmes humain et animal27 . Il présente un cadre stratégique global pour réduire les risques d’émergence de nouvelles maladies infectieuses à l’interface animal-humain-écosystèmes.

Pour atteindre cet objectif, plusieurs changements stratégiques importants sont présentés comme indispensables. Il est nécessaire d’initier des actions plus préventives en s’attaquant aux causes profondes et aux moteurs de maladies infectieuses, en particulier à l’interface animal-homme-écosystèmes. De passer d’intervention à court terme à des interventions à long terme. De renforcer des capacités nationales et internationales d’intervention d’urgence afin de prévenir et contrôler les épidémies avant qu’elles ne deviennent régionales et surtout internationales. De promouvoir une large collaboration institutionnelle entre les secteurs et disciplines.

Peu de temps après ce symposium, suite à la pandémie de grippe A due au virus H1N1 de 2008-2009, l’OMS adopta un nouveau programme mondial de lutte contre la grippe basé sur la stratégie One Health et impliquant une surveillance accrue des réservoirs animaux. Et dans le même temps, une première agence One Health fut créée aux États-Unis en collaboration avec les CDCs28. Elle œuvre aujourd’hui à promouvoir un agenda mondial de la sécurité sanitaire29 , en coopération avec de nombreuses autres organisations nationales et internationales, et implique plus de 70 pays.

One Health, EcoHealth et Planetary Health

Depuis l’émergence de One Health, d’autres concepts s’en rapprochant30 , comme EcoHealth et Planetary Health, ont vu le jour et ont été adoptés par la communauté scientifique.

Pour des raisons historiques, One Health reste très focalisée sur la prévention des épidémies pouvant toucher l’humain et donc se soucie principalement de la santé des vertébrés, même si son approche inclus également les écosystèmes. EcoHealth et Planetary Health partagent le même socle conceptuel que One Health mais ont fortement élargi la dimension environnementale, le type de menaces à considérer dans le cadre d’une politique efficace de santé publique et ont introduit des considérations d’équités dans les politiques de santé publique.

L’approche EcoHealth, supportée par le journal EcoHealth, s’axe sur la protection de la biodiversité dans son ensemble et la prévention de toutes les menaces dans le domaine de la santé. Elle s’intéresse donc également aux menaces d’origine non infectieuses comme la pollution atmosphérique ou les polluants contaminant l’environnement. Elle insiste sur la valeur intrinsèque de la biodiversité et la nécessité de trouver des solutions équitables, et donc plus acceptables par les populations, face aux menaces pesant sur la santé humaine.

Planetary Health est l’approche la plus récente. Elle est portée par la fondation Rockefeller et le journal The Lancet. Elle se présente comme une approche globale pour faire face à l’ensemble des menaces croissantes dans le domaine de la santé humaine à l’échelle mondiale. Elle insiste notamment sur la nécessité d’une économie soutenable et respectueuse de la santé animale et humaine ainsi que des écosystèmes.

Si ces trois approches traduisent des sensibilités et des composantes disciplinaires différentes, elles convergent cependant toutes sur la nécessité d’une politique de santé publique basée sur la prévention des menaces en agissant sur les facteurs socio-économiques favorisant leur émergence. Elles s’accordent également sur le constat qu’une partie croissante des causes de décès sont la conséquence directe de notre système socioéconomique. Par exemple, la pollution de l’air cause 9 millions de décès par année, soit 16% des décès totaux (chiffre OMS 2019). Si l’on additionne les décès liés à la pollution, au tabac (8 millions, 13.6%), à l’alcool (3.3 millions, 5.6%) et à l’obésité liée à la consommation d’aliments ultra-transformés (2.8 millions, 4.7%), on constate que 39.9% des causes de décès sont directement liées à la qualité de l’air et à l’alimentation. Bien loin devant les décès liés aux maladies infectieuses.

La conclusion d’un rapport publié en 2015 par la fondation Rockefeller et la Commission Lancet est sans ambiguïté : « Nous hypothéquons la santé des générations futures pour réaliser des gains économiques et de développement dans le présent. En exploitant de manière non durable les ressources de la nature, la civilisation humaine s’est épanouie, mais elle risque à l’avenir d’avoir à faire face à des effets importants sur la santé dus à la dégradation des systèmes de survie de la nature. »31 .

One Health, de la théorie à la pratique

Si le concept One Health s’est imposé depuis les années 2010 dans les agences de santé publique, son application concrète par les décideurs politiques reste encore très timide.

A l’exception de programmes de surveillance ciblé sur des menaces connues, comme celle des virus influenza, on consacre encore trop peu de moyens à détecter l’émergence de nouvelles menaces. L’exemple du SARS-CoV-2 est désormais emblématique. Suite à l’épidémie de SARS-CoV-1 de 2003 et de Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERS-CoV) de 2012, de très nombreuses études ont été consacrées aux coronavirus. Dès 2013, des recherches indiquaient clairement que des coronavirus proches du SARS-CoV-1 et disposant d’un fort potentiel infectieux pour l’humain étaient présents en nature chez les chauves-souris32 33 . Ces études soulignaient la « menace permanente (…) et la nécessité d’une étude et d’une surveillance continues »34 de ces virus. L’épidémie de SARS-CoV-2 de 2019 a pourtant été accueillie avec surprise, voire avec un certain déni, par de nombreux gouvernements.

La prévention de l’apparition de nouveaux agents pathogènes se heurte à la difficulté d’agir sur les conditions socioéconomiques favorisant leur émergence et surtout à l’absence d’une gouvernance mondiale en matière sanitaire. Des mesures internationales coordonnées sont indispensables pour lutter efficacement contre les épidémies. Rappelons que le WHO est une simple agence spécialisée de l’Organisation des Nations unies. Financée par les États et des fondations privées, elle ne dispose d’aucune capacité d’investigation autonome et est tributaire du bon vouloir des gouvernements qui font malheureusement souvent passer l’économie avant la santé publique. Son rôle se borne donc à fournir une expertise et des recommandations aux États. Elle ne peut être tenue pour responsable de l’inaction de ceux-ci.

Une réponse internationale coordonnée n’est possible que si la menace est perçue de la même manière par tous et si les gouvernements fixent des priorités similaires. Son efficacité dépend également de l’acceptation des mesures par la population, ce qui implique souvent des sacrifices en faveur de l’intérêt général. Certaines caractéristiques fondamentales de l’idéologie libérale qui domine les sociétés occidentales rendent problématique cette réponse globale et collective : la neutralité de l’État et le primat de l’individu sur le collectif. D’après John Rawls35 et Charles Larmore36 , le libéralisme préconise que les institutions et les politiques publiques soient neutres. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas censées favoriser une conception spécifique du bien commun. Ce qui est le mieux pour tous est généralement déterminé démocratiquement, par une « compétition d’opinions ». Le libéralisme impose également un strict respect des libertés individuelles et des intérêts privés et tend à rejeter toute forme de collectivisme ou de dictat imposé par le bien commun. Une politique de santé publique inspirée par One Health implique donc certains aménagements de l’idéologie libérale et des choix éthiques. A minima, la santé doit être réhabilitée comme un bien commun et devenir une priorité de l’action des gouvernements car elle est indispensable à toutes les activités économiques ou culturelles au sein d’une société moderne.

Enfin, l’approche One Health repose sur un socle de connaissances scientifiques empiriques et rationnelles. Or, la valeur des connaissances scientifiques elles-mêmes et leur légitimité à éclairer la gouvernance est de plus en plus fréquemment combattue, et ce même au sein des universités. Le mouvement postmoderne37 incarne une défiance envers la science et la rationalité, perçues comme normatrices et outils de domination. De nombreux universitaires, particulièrement en sciences humaines, ont intégré la vision constructiviste de la connaissance faisant des théories scientifiques des constructions sociales et non de véritables descriptions de la réalité38 . Dans cette perspective, les vérités scientifiques ne doivent plus être considérées comme des vérités universelles mais comme des « vérités locales », c’est-à-dire des vérités n’ayant de valeur qu’au sein de certains groupes sociaux.

Ainsi, bien que l’approche One Health ait à de nombreuses reprises prouvé son efficacité, sa mise en application se heurte à un grand nombre de problèmes pratiques (l’absence de gouvernance mondiale), idéologiques (l’absence de définition claire de l’intérêt général, la dominance de l’individu sur le collectif) et même épistémologique (le rejet de la légitimité de la science comme source de vérité). Son application nécessite donc une véritable révolution sociétale. Une révolution qu’il est urgent de mener car face aux menaces globales comme la pollution et le changement climatique, le coût de l’inaction peut s’avérer exorbitant et mener à terme à l’effondrement de nos sociétés.

[1]Https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/22/le-covid-19-a-fait-plus-de-six-millions-de-morts-dans-le-monde_6081100_3244.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[2]https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S128645791000211X?via%3Dihub (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[3]https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(11)60968-9/fulltext (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[4]https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0233147  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[5]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/20/nous-chercheurs-voulons-defendre-l-autonomie-de-la-recherche-et-des-formations_6026543_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[6]https://www.fhf.fr/Presse-Communication/Espace-presse/Communiques-de-presse/La-ligne-rouge-est-depassee-les-hopitaux-devraient-connaitre-un-deficit-historique-de-1-5-milliards-d-euros.-Reformes-structurelles-et-financieres-sont-desormais-vitales  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[7]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/11/coronavirus-l-hopital-ne-peut-pas-fonctionner-comme-une-clinique-privee-qui-choisit-ses-patients-pour-optimiser-sa-plomberie_6032559_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[8]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/16/coronavirus-la-question-du-tri-des-malades-est-un-enjeu-ethique-et-democratique-majeur_6033323_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[9]https://www.nature.com/articles/s41893-019-0293-3  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[10]https://www.icao.int/annual-report-2018/Pages/FR/the-world-of-air-transport-in-2018.aspx  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[11]https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK92473/  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[12]https://www.insurancejournal.com/news/national/2020/12/14/593838.htm (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[13]https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2771764  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[14]https://www.lesoir.be/287310/article/2020-03-15/coronavirus-larmee-requisitionnee-pour-lutter-contre-lepidemie-en-espagne (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[15]https://www.lesoir.be/287724/article/2020-03-17/laisser-faire-le-coronavirus-les-pays-bas-et-le-royaume-uni-misent-sur-une (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[16]R. L. Haffajee, M.M. Mello. Thinking Globally, Acting Locally — The U.S. Response to Covid-19. N Engl J Med. 382, e75 (2020).

[17]R. Horton, Ed., The COVID-19 Catastrophe: What’s Gone Wrong and How to Stop It Happening Again (Policy Press, Cambridge, UK and Medford, MA, 2020)

[18]Editors. Dying in a Leadership Vacuum. N Engl J Med. 383(15), 1479-1480 (2020).

[19]https://www.rtbf.be/info/monde/detail_pour-l-oms-beaucoup-de-pays-n-en-font-pas-assez-pour-combattre-le-coronavirus%C2%A0?id=10449010 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[20]Schwabe C.W. Williams & Wilkins; Baltimore: 1984. Veterinary Medicine and Human Health.

[21]https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/11/12/05-0997_article (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[22]https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2001.0888 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[23]https://www.oneworldonehealth.org/sept2004/owoh_sept04.html (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[24]https://science.sciencemag.org/content/346/6205/56 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[25]https://www.nature.com/articles/nature09575 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[26]https://academic.oup.com/femsle/article/365/2/fnx244/4631076 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[27]https://www.oie.int/doc/ged/D5720.PDF (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[28]https://www.cdc.gov/onehealth/index.html (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[29]https://ghsagenda.org/ (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[30]https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fvets.2017.00163/full (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[31]https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(15)60901-1/fulltext (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[32]https://www.nature.com/articles/nature12711 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[33]https://www.nature.com/articles/nm.3985 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[34]https://www.pnas.org/content/113/11/3048 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[35]J. Rawls, Ed., Theory of Justice (Harvard University Press, Cambridge, MA, 1973)

[36]C. Larmore. Political Liberalism. Political Theory. 18(3), 339-360 (1990)

[37]Jean-François Lyotard. La Condition postmoderne. 1979

[38]Bruno Latour et Steven Woolgar. La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques. 1979

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Transition socio-écologique et urgence climatique,
les « nouveaux » défis de la promotion de la santé !

Le 30 Sep 21

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Epidémie dans les maisons de repos, inondations catastrophiques, en situation de crise les acteurs de la promotion de la santé sont interpellés pour des actions dans l’urgence. Même des citoyens engagés s’interrogent sur l’utilité réelle de ce secteur ! Les conséquences directes et indirectes de la pression exercée par l’anthropocène sur la planète doivent-elles nous faire abandonner toute réflexion et action en matière de prévention et de promotion de la santé ? Certainement pas, il faut continuer, comme on le fait sans relâche depuis une quarantaine d’années, à plaider pour une autre vision de la santé tout en y intégrant davantage les préoccupations pour l’environnement et les troubles climatiques extrêmes.

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Introduction

Convaincus que la promotion de la santé répond aux mêmes enjeux et utilise les mêmes outils conceptuels et opérationnels que ceux de la transition socio-écologique, nous avions préparé avec Chantal Vandoorne et des collègues français du secteur de l’environnement un module de formation « Inégalités sociales de santé et transition socio-écologique » pour la 18ème Université d’été francophone en santé publique à Besançon (FNES, 2021).

Ce module n’a pu avoir lieu faute d’inscriptions suffisantes. Modalités d’enseignement à distance trop contraignantes, sentiment de répétition du discours sur les inégalités sociales et sur la promotion de la santé, difficultés de perception de la pertinence du lien entre santé, environnement et inégalités sociales, ou encore doute sur les possibilités opérationnelles de la promotion de la santé ?

La préparation de cette formation nous fournit cependant l’occasion de repréciser trois axes de réflexion à propos des concepts de transition socio-écologique, de promotion de la santé, d’inégalités sociales de santé. Le premier concerne la place de l’environnement dans les déterminants des inégalités sociales de santé. Le second se penche sur la proximité des démarches de transition socio-écologique et de promotion de la santé. Le troisième s’interroge sur les synergies à créer avec les secteurs de l’environnement et de la sécurité civile, comme nouveaux défis pour la promotion de la santé.

Même dans un contexte d’urgence climatique, il reste essentiel (et urgent) de construire avec les publics les plus précaires des solutions soutenant leur émancipation et leur pouvoir d’agir sur les déterminants sociaux et environnementaux de leur santé.

Inégalités sociales et environnementales de santé

Faut-il répéter les liens établis entre le changement climatique, les inégalités sociales et la santé ?

Les documents internationaux qui établissent ces liens ne manquent pas tant au niveau du GIEC (climat.be 2021, Smith 2014) que de l’OMS (WHO 2021) : inondations, vagues de chaleur, maladies infectieuses… Partout dans le monde et chez nous, les populations les plus précaires sont les plus soumises aux aléas du changement climatique. (Dupuis 2013)

Prenons cependant des exemples proches de nous.

Eric Deffet (2021), journaliste au Soir, présente une carte des revenus médians par quartier à Verviers réalisée par le Centre Jacky Morael à partir des données de Statbel, dans un article du 29 juillet « Les quartiers ravagés par les inondations sont souvent les plus pauvres ». Il fait la relation avec les quartiers du bord de la Vesdre les plus touchés par l’inondation.

De même, il est éclairant de faire la relation entre la cartographie des revenus médians dans les quartiers les plus urbanisés de Bruxelles (Wayens et al 2016) ou encore de la perception de la qualité du logement et de l’environnement (Wayens 2016) avec la carte sur les ilots de fraicheur (ou plutôt de l’absence d’ilots de fraicheurs !) proposée par Bruxelles Environnement (2021).

La crise pandémique Covid-19 nous a aussi montré à suffisance les liens entre pauvreté et contamination, hospitalisation ou encore adhésion vaccinale (UIPES 2020, OSH 2020).

Transition socio-écologique et promotion de la santé

Pour présenter les concepts de transition écologique et de transition socio-écologique, citons la DREAL-BFC (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bourgogne – Franche Comté) partenaire du module.

« […] la notion de transition écologique est née d’un mouvement citoyen en Angleterre, initié notamment par l’agronome Rob Hobkins, et qui a pris rapidement une ampleur internationale.

Il s’agit d’un processus de transformations de la société par le renouvellement de nos façons de consommer, de produire, de travailler, d’urbaniser, de se déplacer, mais plus largement de tous les aspects de nos modes de vie dans l’optique de répondre aux enjeux environnementaux, mais aussi sociaux. 

Afin d’articuler la lutte contre la pauvreté et celle pour le climat, la biodiversité, la préservation des ressources, le bien-être, etc., c’est le concept de « transition socio-écologique » qui est proposé par le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD). La logique est ascendante : elle n’est plus de poursuivre des objectifs fixés à l’avance par les pouvoirs publics, mais de co-construire de multiples chemins de transition à partir des citoyens, des associations, des entreprises, et toutes les composantes de la société civile.

La transition socio-écologique se construit alors « de proche en proche par des expérimentations qui s’appuient sur le lien social et souvent sur des formes d’économie plus collaborative, de pair en pair, poursuivant des finalités écologiques. Ces expérimentations émanent de valeurs et d’alternatives concrètes qui se nourrissent les unes les autres pour donner sens à l’action » (CGDD 2017, p. 6). »

De cette introduction et surtout de la lecture des deux rapports français du CGDD (Commissariat général au développement durable) de 2015 et 2017, la proximité avec la démarche de la promotion de la santé est claire : émancipation et pouvoir d’agir des personnes et des communautés en particulier les plus précaires, multi-déterminisme des facteurs qui influencent l’environnement comme la santé, inégalités sociales face à l’environnement comme face à la santé, actions par les milieux de vie et les territoires locaux, villes en transition en miroir des villes en santé (Réseau français des villes santé 2014)… les enjeux et les stratégies sont semblables.

Lydie Laigle (2015), en nous invitant à analyser les rapports entre la cohésion sociétale et la transition écologique, évoque des fondements qui sont familiers aux acteurs de la promotion de la santé. Elle mentionne les relations inégalitaires des êtres humains aux transformations de l’environnement et elle fait appel aux éthiques de la justice de Rawls. Elle insiste sur les capabilités des individus et des collectifs de s’adosser sur des relations d’expériences à leur milieu pour en mobiliser les ressources et susciter des innovations sociales et des formes alternatives de coopération. Favoriser la résilience et la réduction des risques semble une voie prometteuse. Elle pourrait l’être à condition de rester attentif au risque d’aggraver les inégalités sociales par des approches qui amplifient la responsabilité individuelle. La résilience doit être une opportunité de construire d’autres rapports nature-société, de déployer des pratiques émancipatrices. L’action publique doit alors dépasser les politiques normatives d’assistance et de compensation pour soutenir les initiatives d’adaptation localisées, éthiques et coopératives, et les capacités citoyennes d’agir.

D’autres références peuvent être mobilisées dans le sens de cette proximité. Citons par exemple l’article de Jacques Morel « Déclaration pour une santé planétaire » en mai 2020. Il y présente la déclaration de Rotorua de l’UIEPS en 2019 et les liens entre la promotion de la santé et le changement climatique.

Mais si les défis et les démarches sont communs, pourquoi n’y-a-t-il pas une mise en commun des ressources ? C’était le dernier axe de réflexion du module.  

Comment faire pour que les politiques territoriales et les interventions de proximité mises en place pour prévenir et corriger les iniquités en matière de santé comme en matière d’environnement avancent de manière moins sectorisée ?  Pourquoi ne pas concevoir et construire des interventions de proximité de réduction des inégalités sociales et environnementales de santé en lien avec les enjeux de la transition, en attachant une attention aux synergies entre acteurs et aux dynamiques qui accroissent le pouvoir de dire et d’agir des citoyens ?

Les « nouveaux » défis de la promotion de la santé

Le premier défi est celui de la contribution de la promotion de la santé à la transition socio-écologique.

La promotion de la santé travaille déjà dans une perspective de transition socio-écologique en particulier dans le domaine de l’alimentation durable et inclusive comme le montre le projet Interreg AD-In.

La proximité avec le secteur de l’ERE (Education Relative à l’Environnement) ne date pas non plus d’hier (Partoune 2006). L’asbl Réseau Idée a aussi invité à plusieurs reprises des opérateurs de la promotion de la santé et propose de nombreuses références relatives à la santé.

positive company workers playing with jigsaw puzzle during team building activity

Mais ne faudrait-il pas aller plus loin ? Plus loin dans la concertation, la coordination et surtout la coopération !  

Nous préconisons un rapprochement structurel des acteurs « promotion – éducation – santé – environnement ». Attention, il ne s’agit pas de se cantonner au domaine actuel « santé environnement » (Luong 2017) qui n’envisage le plus souvent que l’impact « médical » des nuisances directes liées à l’environnement comme les pollutions par le bruit, l’eau ou encore l’air, domaine attribué d’ailleurs institutionnellement au Ministre en charge de l’environnement.

Non, il s’agit de refonder simultanément les bases conceptuelles et opérationnelle des secteurs de la santé et de l’environnement pour en faire un véritable outil d’une politique croisée de la transition sociale, sanitaire et écologique.

Prenons l’exemple prometteur du Plan wallon alimentation activité physique et santé publié en 2018,et pointons ses atouts et ses faiblesses

Parmi ses atouts : une démarche de co-construction multi-acteurs avec des représentants des secteurs de la santé, de l’enseignement, de l’environnement, mais aussi de la recherche ou de l’économie et donc des objectifs partagés ; une conception élargie de l’alimentation et de l’activité physique s’inscrivant dans la transition sociétale comme l’alimentation durable ou l’activité physique et la mobilité ; des références explicites à la transformation des modes de vie, la diminution des inégalités sociales de santé, le numérique, la participation citoyenne et la mobilisation de toutes les politiques.

Sa principale faiblesse : un plan porté en responsabilité par un seul secteur et un seul budget en limitant drastiquement la portée effective.

Pourtant un objectif commun et des moyens y afférent peuvent multiplier l’impact d’une politique au bénéfice de la population. Prenons l’exemple de l’objectif opérationnel 3.5.1 du WALAPSanté : « Renforcer l’accès à des espaces publics proches, de bonne qualité et multifonctions comme par exemple des espaces verts, de récréation, de détente, de repos et des équipements sportifs. ». La réalisation de cet objectif pourrait (devrait) être une option à proposer aux habitants au moment de la reconstruction des zones sinistrées par les inondations.  Elle peut dégager des gains appréciables et directs en matière de santé, d’environnement, de qualité de vie, mais aussi à moyen terme de lutte contre le changement climatique et ses aléas. Elle nécessite néanmoins un accompagnement des acteurs locaux et des citoyens dans la conception et l’utilisation de ces espaces à des fins de santé, de cohésion sociale et de sécurité.

Il faut clairement et rapidement aller plus loin dans la démarche de co-opération : inscrire la promotion de la santé dans le cadre de la transition socio-écologique, identifier voire désigner des relais institués dans les différents secteurs, dégager des ressources budgétaires communes, identifier un lieu, une instance de prospective et de monitoring commune. Tous les efforts doivent être rassemblés pour faire face à la crise climatique dans son ensemble de manière préventive, sans attendre les catastrophes futures.

Urgence et promotion de la santé

Cependant cette vision stratégique du futur de la promotion de la santé au sein de la transition socio-écologique ne suffit pas ! Nous ne sommes plus dans la perspective d’une transition douce. Sans devenir collapsologues et craindre l’effondrement, nous pouvons, nous devons envisager des événements problématiques plus fréquent et plus graves.

Crise sanitaire et inondations ont montré la nécessité de clarifier l’apport de la promotion de la santé au cœur de l’urgence et de la crise. Quel rôle alors pour les professionnels de la promotion de la santé au-delà de leur engagement dans la transition de la société ? C’est le second défi.

Il faut répondre aux critiques des gestionnaires de crise même si elles sont parfois infondées… A chacun son métier. Ce n’est pas parce que nous avons des pompiers capables de faire face à un incendie qu’il ne faut pas développer des actions de prévention sur la sécurité passive des bâtiments, sur les alarmes, sur les mesures individuelles de précaution.  Augmenter le nombre de pompiers est une stratégie, comme de leur demander d’assurer toutes les facettes de la gestion du risque y compris celles de la prévention. Mais polyvalence ne signifie pas nécessairement expertises et compétences.

Le secteur de la promotion de la santé répond présent au cours de la crise COVID-19 (CLPS 2020). S’inspirant des stratégies de la promotion de la santé, les acteurs de promotion de la santé ont renforcé le développement des aptitudes individuelles, celles du pouvoir d’agir en particulier, travaillé avec les communautés de professionnels et d’habitants. Mais ne faut-il pas investir d’autres outils et d’autres stratégies ? Serait-il judicieux de s’inspirer des expertises développées dans des champs plus spécifiques de la prévention : la prévention des accidents domestiques, la prévention et la protection au travail, l’analyse et de la réduction du risque.

Pourrait-on créer un dialogue constructif et non substitutif dans le champ de la prévention et de l’éducation avec les gestionnaires du risque environnemental et ceux de la sécurité civile ? L’expérience et les ressources du secteur de la promotion et de l’éducation pour la santé seraient des atouts pour développer des mesures d’éducation pour faire face au risque climatique comme l’inondation ou la vague de chaleur, comme on le fait dans certains pays en matière de risque sismique ou cyclonique.

Références

  • AD-in. Projet transfrontalier Interreg. Blog (ad-in.eu), consulté le 29 août 2021.
  • Aigle L. « De la résilience sociétale à la transition écologique » in CGDD. « Société résiliente, transition écologique et cohésion sociale : études de quelques initiatives de transition en France, premiers enseignements. », Etudes et documents n°124, mai 2015.
  • Bruxelles Environnement. « Cartographie des îlots de fraîcheur dans la Région de Bruxelles-Capitale », Cartographie des îlots de fraîcheur à Bruxelles | Bruxelles Environnement, consulté le 29 août 2021.
  • Climat.be. « Conséquences sur la santé »,  Santé (climat.be), consulté le 29 août 2021.
  • Comité de concertation des CLPS wallons. « Crise sanitaire de la Covid 19 : l’expérience des CLPS wallons en tant qu’acteurs de promotion de la santé. », Education Santé, Octobre 2020.
  • Commissariat général au développement durable. « Société résiliente, transition écologique et cohésion sociale : études de quelques initiatives de transition en France, premiers enseignements. », Etudes et documents n°124, mai 2015.
  • Commissariat général au développement durable. « Initiatives citoyennes et transition écologique : quels enjeux pour l’action publique ? », Théma, juin 2017.
  • Deffet E. « Les quartiers ravagés par les inondations sont souvent les plus pauvres », Le Soir, 29 juillet 2021.
  • DREAL. « Du développement durable à la transition socio-écologique », Démarches de développement durable – Portail internet DREAL Bourgogne-Franche-Comté (developpement-durable.gouv.fr), consulté le 29 août 2021.
  • Dupuis P. « Inégaux devant les caprices du climat. », Education Santé, Juillet 2013.
  • Ferron C. « La transition socio-écologique : réduire les fractures sociales dans le monde d’après. », Education Santé, Septembre 2020.
  • FNES. Université d’été francophone en santé publique. Programme 2021. Université d’été 2021 – 18ème édition : programme & inscriptions – FNES
  • Luong J. « Santé environnementale : inégalités et inconnues. », Education santé, juillet 2017.
  • Morel J. « Déclaration pour une santé planétaire », Education Santé, Mai 2020.
  • OSH. « Quand le masque tombe … la crise de la pandémie du COVID-19 dans l’aggravation des inégalités sociales de santé. Education Santé, Juillet 2020.
  • Partoune C. « L’éducation relative à l’environnement et à la santé : une approche globale. Quelques grilles de lecture pour situer nos pratiques pédagogiques. », Congrès pluraliste des sciences – Louvain-la-Neuve, 23 août 2006.  Orbi.uliege , Microsoft Word – Actes-ere.doc (uliege.be)
  • Réseau Idée. https://www.reseau-idee.be/presentation/, consulté le 29 août 2021.
  • Réseau français des villes santé de l’OMS. « La résilience communautaire et la santé pour tous. », janvier 2014.
  • Smith K.R. and al. « Human health: impacts, adaptation, and co-benefits. », In: Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, pp. 709-754, 2014.
  • UIEPS. « COVID-19 un mélange des déterminants sociaux de la santé et une intensification des inégalités de santé existantes. », Education Santé, Juillet 2020.
  • WALAPSanté. Promouvoir la santé de toutes et de tous par l’alimentation et l’activité physique. Proposition de référentiel stratégique. Octobre 2018. WALAPSanté (wallonie.be), consulté le 30 août 2021.
  • Wayens, B. « L’environnement du logement », in Atlas de la santé et du social de Bruxelles-Capitale, chapitre 8, 2016.
  • Wayens, B. et al. « Les revenus », in Atlas de la santé et du social de Bruxelles-Capitale, chapitre 5, 2016.
  • WHO. « Climate change and health », https://www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/climate-change-and-health, consulté le 29 août 2021.

environmental activists march in city. a french sign is seen close up, depicting planet earth and saying together, during a street demonstration by eco activists, with copy space on the right

La lutte contre les changements climatiques:
la santé peut y gagner deux fois

Le 23 Sep 21

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Les changements climatiques sont à l’œuvre et notre trajectoire suit pour l’instant celles des scénarios élevés d’émissions de gaz à effet de serre. Des politiques d’atténuation ambitieuses sont nécessaires pour éviter le pire. Ces politiques doivent d’une part tenir compte des inégalités sociales dans leur élaboration, et d’autre part être pensées sous l’angle des potentiels avantages qu’elles offrent en matière de santé publique… car ces derniers sont nombreux.

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Des risques émergents pour la santé

Les changements climatiques sont en cours. Et les scénarios élevés de réchauffement deviennent les plus probables tant le monde tarde à réagir. Or, une planète plus chaude de 4 à 5°C, l’espèce humaine ne l’a jamais connue. Même avec les efforts d’atténuation les plus ambitieux, nos sociétés vont devoir s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Le secteur de la santé est particulièrement concerné.

Les impacts sanitaires de ces changements sont déjà perceptibles. Les vagues de chaleur et les évènements extrêmes augmentent en fréquence et en intensité. Plus imperceptibles en revanche sont les effets véhiculés par les écosystèmes et les systèmes humains. Or, la dégradation de la qualité de l’air, l’augmentation des pollens allergisants, la nouvelle distribution des maladies à vecteur et l’augmentation d’autres maladies infectieuses sont des risques à prendre très au sérieux. Il en va de même pour les effets du dérèglement climatique sur la santé mentale, les conditions de vie et les systèmes de santé qui sont potentiellement ravageurs.

Par ailleurs, ces risques se répartissent inéquitablement au sein de la population, l’âge, l’état de santé et les conditions de vie étant les principaux déterminants de la vulnérabilité. Les changements climatiques agissent en réalité comme un facteur aggravant les inégalités sociales de santé.

Les politiques climatiques

Pour limiter l’ampleur des changements climatiques, il faudra réduire fortement et durablement les émissions de gaz à effet de serre (GES), ce qui, avec l’adaptation, est susceptible de limiter les risques liés à ces changements1 . Selon le GIEC, les émissions annuelles mondiales doivent être divisées par deux d’ici 2030 et atteindre zéro net d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5°C, tout en reconnaissant qu’aucun niveau de réchauffement global n’est considéré comme sûr2 .

En Belgique, les émissions de GES proviennent dans l’ordre essentiellement de l’industrie (production et consommation d’énergie, processus industriels), du transport, du chauffage (résidentiel et tertiaire) et de l’agriculture. Dès lors, pour limiter le réchauffement planétaire, il convient de diminuer drastiquement les émissions de ces différents secteurs. Une transformation est nécessaire dans la façon dont nous effectuons nos activités telles que générer de l’énergie, voyager, développer nos collectivités, manger et produire nos aliments.

Dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’Accord de Paris a été conclu en 2015. La Belgique est signataire de cet accord. L’objectif central de celui-ci est de limiter l’augmentation de la température mondiale à un niveau nettement inférieur à 2°C, et de viser une augmentation maximale de 1,5°C par rapport au niveau préindustriel3 .

Concrètement, la Belgique dispose d’un objectif de réduction contraignante des émissions de 35% en 2030 par rapport à 2005 pour les secteurs non couverts par le système communautaire d’échange de quotas d’émissions. Si les émissions ont diminué au cours des dernières années, il semble que cet objectif sera difficilement atteint alors même que les 27 pays de l’Union européenne ont décidé en décembre 2020 d’atteindre une baisse nette de leurs émissions d' »au moins 55 % » d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, contre – 40 % précédemment, afin d’atteindre en 2050 la neutralité carbone.

Pour ce faire, les stratégies des entités fédérées misent fortement sur les sources d’énergie renouvelable pour la production d’électricité, sur l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les secteurs industriels et sur la transition vers une économie circulaire. Dans le secteur des transports, chacune des stratégies régionales souligne l’importance du transfert modal pour limiter la part de la voiture individuelle en faveur de modes de transport alternatifs tels que le transport actif (marche et vélo), les véhicules électriques légers et les modes de transport partagés (transports en commun et véhicules partagés). Dans le secteur des bâtiments, les différentes stratégies misent sur l’amélioration de l’efficacité énergétique du parc immobilier au moyen de normes ambitieuses pour les nouvelles constructions et de l’amélioration accélérée et significative de la performance énergétique du parc immobilier existant. Tendre en 2050 vers un parc de bâtiments tertiaires neutre en énergie pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, le refroidissement et l’éclairage est également poursuivi4 .

Des co-bénéfices pour la santé

Non seulement la réduction des émissions atténuerait les impacts directs et indirects des changements climatiques sur la santé sur le long terme, mais ces mesures d’atténuation auraient également des impacts positifs beaucoup plus immédiats sur la santé.  C’est ce que l’on appelle les co-bénéfices pour la santé de la lutte contre les changements climatiques.

Ainsi, la réduction des émissions produites par la combustion des énergies fossiles pour la production d’électricité, la production industrielle, les transports et le chauffage des bâtiments diminuera la pollution de l’air en microparticules et en oxydes d’azote et par conséquent le poids des maladies respiratoires et cardiovasculaires5 . Les mesures prises pour favoriser les déplacements actifs et les transports en commun participent également à réduire le risque de maladies liées à l’inactivité physique et l’obésité. La sécurité routière pourrait également se retrouver renforcée et les méfaits de la pollution liée au bruit seraient réduits6 .

Les régimes alimentaires actuels contribuent à la fois aux maladies non transmissibles, aux émissions de gaz à effet de serre, à la perte de biodiversité et aux changements dans l’utilisation de l’eau et des terres. Promouvoir une alimentation moins polluante revient à promouvoir un régime alimentaire plus sain qui fait la part belle aux produits alimentaires d’origine végétale7 . La baisse de la consommation de viande, et spécifiquement de la viande de ruminants, diminuerait également les émissions de méthane. Ce dernier est un puissant gaz à effet de serre et il est également responsable de la formation d’ozone troposphérique. Des réductions du méthane pourraient donc à la fois réduire la morbidité et la mortalité de la population liées à la pollution de l’air et celles liées au forçage climatique8 .

Les mesures d’adaptation engendrent également des co-bénéfices pour la santé. Une politique d’aménagement du territoire basée sur le verdissement des villes en vue d’améliorer la qualité de l’air et de diminuer la vulnérabilité à la chaleur favorisera aussi l’activité physique, un mode de vie plus sain et le bien-être physique et mental des habitants9 . En revanche, la climatisation comme mesure d’adaptation est quant à elle une arme à double tranchant: d’une part, l’utilisation de la climatisation réduit la mortalité liée à la canicule par rapport à l’absence totale de la climatisation; et d’autre part, elle est préjudiciable à la santé, car elle contribue aux changements climatiques, elle aggrave la pollution de l’air en augmentant considérablement la demande en électricité les jours chauds et elle renforce l’effet d’îlot de chaleur urbain10 . Cette mesure d’adaptation devrait donc plutôt être utilisée là où elle est indispensable et laisser le plus possible la place à la climatisation naturelle et à une isolation performante des bâtiments. Les rénovations énergétiques diminuent l’exposition à la chaleur, au froid, aux moisissures et à l’humidité extrêmes et améliorent la qualité de l’air intérieur grâce à une meilleure ventilation. Ces mesures améliorent la santé générale, la santé respiratoire et la santé mentale11 .

Bon nombre des mesures d’atténuation et d’adaptation en réponse aux changements climatiques sont donc des mesures « sans regret », qui réduisent directement le poids des maladies non transmissibles. Ces stratégies permettront également de réduire les pressions pesant sur les budgets de santé nationaux, offrant potentiellement d’importantes économies en termes de coûts, et permettant d’investir en faveur de systèmes de santé plus solides et plus résistants12 .

Si l’on tient compte de la valeur économique des co-bénéfices pour la santé humaine et de la création d’opportunités industrielles à faible émission de carbone, le retour sur investissement de ces mesures pourrait être positif en termes économiques. Ces avantages économiques seront probablement maximisés et les coûts minimisés si des mesures politiques fortes sont prises le plus rapidement possible pour accélérer la transition à faible émission de carbone13 .

Le risque de renforcer les inégalités sociales

Ces mesures doivent être promues, mais elles devront être bien pensées afin d’éviter de creuser les inégalités sociales. Les effets régressifs de l’imposition d’une taxe carbone sont à ce titre emblématiques. Pour leur part, les améliorations écoénergétiques peuvent hausser la valeur des biens immobiliers, entraîner des déplacements de populations et de plus grandes disparités socioéconomiques.

De même les coûts initiaux de rénovations des logements ne doivent pas être un obstacle pour les faibles revenus. Les opérations de rénovations urbaines peuvent également entraîner des coûts de logement plus élevés. Toutes ces répercussions négatives peuvent être atténuées grâce à une conception efficace des politiques et à la redistribution des revenus14 . La lutte contre les changements climatiques et la transition écologique sont bels et bien des enjeux de santé publique et de solidarité.

La convergence du développement durable et de la promotion de la santé

Tout ceci illustre donc bien à quel point la convergence des objectifs du développement durable avec ceux de santé publique est forte. L’approche et les stratégies du développement durable sont d’ailleurs conceptuellement très proches de la promotion de la santé comme l’a formalisé la déclaration de Shanghai15. Celle-ci est la porte d’entrée toute désignée pour intégrer pleinement les enjeux climatiques. La multiplicité et la variété des impacts dus aux changements climatiques sur les déterminants non médicaux de la santé, par ailleurs largement marqués par des inégalités sociales, rendent plus pertinente que jamais l’adoption d’une approche de promotion de la santé pour prévenir ce risque émergent pour la santé.

Le Thermomètre Solidaris de 2019 met en évidence une réelle attente de la part des Belges francophones pour recevoir plus d’informations sur les conséquences sanitaires des changements climatiques. En effet, si un répondant sur deux déclare se sentir bien informé quant aux impacts des changements climatiques sur sa santé, 73 % d’entre eux souhaitent davantage être informés sur ces questions16 . Plus que de la simple information, il conviendrait d’augmenter les capacités des personnes, et plus particulièrement des personnes plus vulnérables (comme les personnes âgées, en mauvais état de santé ou défavorisées sur le plan socio-économique) à affronter ce risque. Les actions d’éducation à la santé et de préparation du public doivent tenir compte des différences d’exposition, de sensibilité et de capacité d’adaptation des différents groupes17 .

Il convient donc d’agir à la fois sur les « environnements de santé » et les caractéristiques individuelles en renforçant la capacité d’agir. Il existe une réelle opportunité pour que les mesures de lutte contre le réchauffement global, qu’elles soient à portée collective ou individuelle, permettent d’agir conjointement sur l’environnement et les déterminants de la santé, et donc de viser aussi l’équité en santé. Ainsi, par le biais des changements des habitudes et des comportements (en matière de mobilité, d’alimentation…), de l’amélioration des compétences personnelles et sociales, de l’action sur les milieux de vie (hébergement, travail…), et plus largement sur l’organisation de la société, il est possible de promouvoir conjointement la santé et l’environnement.

La santé et l’équité doivent être au cœur de l’indispensable lutte contre les changements climatiques. Les professionnels de la santé, et de la promotion de la santé en particulier, peuvent contribuer à ce que les changements climatiques ne soient pas la plus grande menace sanitaire du 21ème siècle, et que la lutte contre le réchauffement global soit pour sa part, la plus grande opportunité de santé publique.

[1]GIEC (2014a). Changements climatiques 2014: Rapport de synthèse. Contribution des Groupes de travail I, II et III au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Genève, Suisse, GIEC, 161 p.

[2]WATTS N. et al. (2019). “The 2019 report of The Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate”. The Lancet, 394 (10211): 1836-1878.

[3]https://climat.be/doc/national-lt-strategy-fr.pdf

[4]https://climat.be/doc/national-lt-strategy-fr.pdf

[5]WATTS N. et al. (2015). “Health and climate change: policy responses to protect public health”. The Lancet, 386 (10006): 1861 : 1914

[6] Association canadienne des médecins pour l’environnement (2019). Boîte à outils sur les changements climatiques à l’intention des professionnels de la santé: Module 6 -Contre les changements climatiques dans les établissements de soins de santé, Toronto, 41 p.

[7]WATTS N. et al. (2019)., op. cit.

[8]IPCC (2014). Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge and New York, Cambridge University Press, 1132 p.

[9] WATTS N. et al. (2015), op. cit.

[10] WATTS N. et al. (2019),  op. cit.

[11] Association canadienne des médecins pour l’environnement, op. cit.

[12] WATTS N. et al. (2019), op. cit.

[13] Ibid.

[14] Association canadienne des médecins pour l’environnement, op. cit.

[15] OMS (2016). Déclaration de Shanghai sur la promotion de la santé dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Neuvième conférence mondiale sur la promotion de santé, Shanghai, 2p. 

[16] INSTITUT SOLIDARIS (2020). Thermomètre – Comment percevons-nous l’impact du réchauffement climatique et des pollutions environnementales sur notre santé ? Bruxelles, Solidaris, 130 p.

[17] PAAVOLA J. (2017). “Health impacts of climate change and health and social inequalities in the UK”. Environmental Health, 16 (113): 61-68

Faire face à une crise et se préparer pour l’avenir, deux défis à relever avec la promotion de la santé !

Le 28 Sep 21

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Dans ce contexte de crise sanitaire, nous entendons fréquemment ce rapprochement fait entre la pandémie Covid-19 et des préoccupations de santé environnementale1 . Les acteurs de la promotion de la santé sont directement concernés et mis à contribution pour d’une part faire face à la crise sanitaire et d’autre part pour aider à révéler des liens subtils entre les soubresauts des écosystèmes et notre santé. A première vue des préoccupations complémentaires mais avec entre les deux un changement d’échelle dans le temps et dans l’espace et des notions d’écologie difficiles à manier comme la «biodiversité». Sommes-nous prêts à faire le saut ?

Ce texte a été publié dans La grande minute doc, n°1-2021, publié par l’IREPS Nouvelle-Aquitaine. Nous les remercions pour leur aimable autorisation de reproduction. Retrouvez le texte initial sur LaGrandeMinuteDoc-1-Irepsna.pdf.

La lutte contre le coronavirus s’appuie d’abord sur des gestes barrières avec peu de conséquences néfastes pour l’environnement. Mais l’utilisation de produits nettoyants et/ou désinfectants, ainsi que la consommation des masques et de diverses fournitures jetables, souvent constituées de matière plastique peuvent réellement poser problème. Il ne faut pas sous-estimer ce que coûtent sur le plan environnemental l’ensemble de tous les process, depuis la fabrication des produits jusqu’à la gestion des déchets. Nous pourrions chercher à suivre les effets des biocides que nous répandons autour de nous, que nous inhalons ou que nous manipulons sans toujours prendre les précautions que cela demande pourtant. De nombreux acteurs s’en préoccupent déjà sérieusement, notamment parmi les Etablissements Recevant du Public (ERP), et c’est un premier lien entre COVID-19 et santé environnementale.

Dans nos mains du gel hydroalcoolique et des télécommandes

Parallèlement nous subissons le confinement, imposant a priori un mode de vie économe et sans danger. Mais il s’avère qu’il montre vite les limites de l’espace dans lequel nous sommes confinés. S’agit-il d’un petit appartement sans balcon au dixième étage d’un immeuble en zone urbanisée ou bien d’un pied-à-terre spacieux entouré d’une végétation luxuriante ? Tout ce qui nous entoure a alors le don de nous faire changer d’air ou à l’inverse de nous faire tourner en rond entre les écrans, dans un bain de rayonnements divers. En contrepartie de la réduction des déplacements il n’y aura sans doute jamais eu autant de flux de données entre les serveurs et une telle surchauffe des réseaux. Deux autres liens assez évidents donc entre COVID-19 et santé environnementale, maintenant bien connus d’acteurs de terrain œuvrant pour le lien social : des situations de cumul de l’isolement et d’environnements défavorables d’une part, l’adoption pour un temps ou pour longtemps de modes de vie sédentaires et très connectés.

Dans ce contexte d’urgence face à l’épidémie prenant le pas sur d’autres préoccupations, des voix s’élèvent malgré tout pour maintenir des engagements de choix des solutions les plus écologiques possibles. Avec d’autres, les acteurs de l’Education à l’Environnement et au Développement Durable (EEDD) et ceux de la promotion de la santé se font entendre pour que la santé environnementale ne soit pas oubliée et proposent de véritables stratégies de survie en milieu hostile, en guidant vers les éco-gestes toujours valables en situation de crise sanitaire (le Do It Yourself ou faire soi-même des produits ménagers simples et sans danger, encouragé par exemple par les Centres Permanents d’Initiation à l’Environnement).

Mais si la prise de conscience et les engagements sur le terrain en restaient là nous ne ferions en fait qu’aborder trop partiellement le sujet. L’épidémie de COVID-19 nous a appris très tôt, dès le mois de mars 2020, que nous avions d’autres interactions avec la biosphère, avec des conséquences potentiellement considérables. Tout particulièrement lorsque des populations continuent d’aller chercher un apport alimentaire non négligeable en prélevant sur une faune sauvage habitant des milieux semi-naturels très perturbés par les activités humaines (braconnage des pangolins par exemple).

Quand la santé tire ses forces et ses faiblesses des écosystèmes et de la biodiversité

C’est ce que nous sommes en train d’apprendre comme si c’était la première grande leçon de ce genre : des causes humaines de la dégradation de certains équilibres naturels provoquent des causes de mise en danger pour des populations entières. Des phénomènes d’une telle ampleur que cela remet en cause l’image d’une nature généreuse et «protectrice», soutien de notre bien-être.

Pour aller un peu plus loin nous pouvons dire que lorsque l’environnement «pose problème» à la santé humaine cela provient d’au moins trois grands cas de figure :

  1. Quand certaines caractéristiques du monde vivant créent des difficultés sans cause humaine préalable : c’est le cas des pollens provenant d’une zone boisée provoquant des allergies ou encore celui des moustiques se développant dans une zone humide et devenant vecteurs de certaines maladies,
  2. Lorsque des activités humaines volontaires bien identifiées sont à l’origine de la présence de substances toxiques dans notre environnement : les particules fines dans l’air que nous respirons par exemple, ou encore l’utilisation de pesticides pouvant migrer de la plante vers le sol, puis vers les aquifères,
  3. Enfin, sans doute le cas le plus problématique en raison de l’ampleur des phénomènes, quand l’humanité agit pour son développement et que les conséquences de ses actes entraînent directement ou indirectement de nouvelles confrontations avec les éléments naturels : c’est manifestement le cas pour le SARS-CoV-2 ainsi que pour le changement climatique qui doivent tous les deux beaucoup à la civilisation industrielle.

La COVID-19 provoque l’irruption de cette image schématique mais percutante de l’enchaînement d’un facteur déclenchant de la responsabilité des hommes conduisant à l’apparition d’un élément pathogène et à des conséquences inattendues. C’est dans le cas présent la transmission du virus de l’animal à l’homme puis la pandémie, comme cela semble maintenant clairement établi. Le changement climatique, causé par les activités humaines, révélera progressivement l’étendue des dégâts qu’il peut causer et qui s’articuleront aussi autour des évolutions de la faune et de la flore (comme avec les espèces invasives).

Cette situation peut donc être à l’origine d’un changement de regard sur une santé environnementale qui fait sa mue et qui rejoint ce qu’avait initié le mouvement One Health2 , en français Une seule santé. Un changement de perspective et d’échelle de temps aussi pour la promotion de la santé amenée à embrasser cette si longue chaîne de causes à effets. Celle qui se déroule entre, au départ, les conditions semi-naturelles façonnées par l’homme, ensuite les répercussions sur la biodiversité3 (faune et flore, espèces et écosystèmes), puis enfin des situations défavorables ou favorables aux êtres humains.

Susciter et animer la transition socio-écologique avec des arguments en faveur de la santé

La promotion de la santé a bien cette vocation à faire apparaître la globalité des déterminants de santé et à montrer les liens qu’ils entretiennent entre eux, grâce à son approche intersectorielle. Si la promotion de la santé est une clé pour ouvrir cette complexité, puis est en mesure d’éclairer et de diffuser largement la compréhension des liens entre environnement et santé, c’est aussi un défi pour elle de se saisir des grands bouleversements planétaires que sont l’érosion de la biodiversité et le changement climatique. Il s’agit en effet d’une mission à mener en amont des crises à venir. Ceci constitue un véritable changement d’échelle de temps alors que la préoccupation est encore à contre-courant de ce qui anime actuellement les publics. C’est aussi un changement de «relation à l’espace» car la question se pose globalement et est assez évidente à l’échelle planétaire (la situation dans l’arctique, les courants océaniques, etc.) mais reste plus discrète encore dans les territoires et n’est pas encore perçue localement.

Enfin le détour par l’écologie comme science contribuant à expliquer ces phénomènes ne va pas de soi, même si c’est bien dans les débats entre écologues que nous trouverons une partie des clés de compréhension de la dynamique des écosystèmes, de la biodiversité et des services qu’elle rend, ceux qu’elle ne rendra plus, de la place de l’humanité dans ces évolutions…

Avec la COVID-19 la promotion de la santé va davantage se préoccuper de l’état et de la gestion des environnements proches et lointains, ainsi que de leurs conséquences directes et indirectes sur la santé. Les enjeux sont considérables et méritent qu’elle s’y consacre, notamment en Nouvelle-Aquitaine, première région agricole et forestière de France. Elle a des atouts pour favoriser l’appropriation de ces questions par les citoyen·ne·s. En évitant l’écueil de l’anxiété démobilisatrice elle peut rendre accessible les arguments scientifiques, co-construire les réponses appropriées avec les habitants. Elle favorisera d’autant mieux l’émergence de mobilisations collectives en s’appuyant sur un diagnostic des changements globaux et de leurs conséquences prévisibles à moyen-terme dans les territoires.

La promotion de la santé est légitime pour susciter une meilleure possession par toutes et tous, communautés et individus, des liens entre environnement et santé et des moyens d’engager une transition socio-écologique4 préventive. Pour leur montrer comment passer les obstacles et faire en sorte que cette transition pour une meilleure santé grâce à un environnement plus sain soit à notre portée, entre nos mains.

Entretien avec Linda Cambon5

Avec la Covid-19, sommes-nous à un tournant du regard que nous portons sur la biodiversité ?

L.C. – Il le faudrait. Cette énième épidémie nous rappelle à quel point les caractéristiques de notre fonctionnement mondial nous mettent en péril. La mondialisation des systèmes de production animale, la vente d’animaux sauvages vivants, le tourisme de masse, le commerce international, l’hypermobilité sont les facteurs qui conduisent à la situation que nous vivons. Nous mettons la planète à mal et en recueillons les fruits. Cela dit, je ne suis pas sûre que les responsables se rendent compte des liens qui existent entre l’écosystème et ce qui se produit. Par exemple, en France, au moment même où nous luttons contre cette pandémie, une loi vient d’être prise par la ministre en charge de l’environnement permettant la réintroduction des néonicotinoïdes dans les cultures dont la betterave alors même que cet insecticide avait été interdit en raison de sa toxicité humaine et environnementale. Nous sommes donc loin d’une approche « One health », une seule santé.

L’approche One Health «une seule santé» veut-elle nous faire prendre conscience des liens entre qualité de l’environnement et santé humaine ?

L.C. – Oui. L’approche One Health (Une seule santé) rappelle que 75 % des maladies infectieuses émergentes sont d’origine animale. Les épidémies d’origine zoonotique sont liées aux perturbations de la dynamique des interactions entre les populations d’humains, d’agents infectieux, de réservoirs animaux, et parfois d’insectes vecteurs. C’est la modification des habitats des différentes espèces (déforestation, urbanisation, etc), les changements environnementaux, climatiques et socio-économiques, et les concentrations d’espèce qui modifient les probabilités d’interactions entre chaque population et la circulation d’agents infectieux entre elles. Plus que la prise de conscience, cette approche convoque donc des stratégies globales de respect de l’écosystème que les responsables n’ont pas encore intégré. En effet, nous le voyons bien, alors que l’émergence de nouvelles pandémies virales d’origine zoonotique avait été maintes fois prédite par la communauté scientifique, il n’y a ni anticipation, ni synergie entre les pays dans les réponses apportées. Les mesures restent hétéroclites (et parfois contradictoires), alors qu’une pandémie est un problème supranational.

La «santé de l’environnement», la «santé des milieux naturels», cela existe vraiment ?

L.C. – Il est courant d’inventer ou modifier des termes pour renforcer le discours politique. Cela fait partie du plaidoyer. Parler de santé de l’écosystème ou des milieux naturels plutôt que de qualité va dans ce sens. La santé humaine dépend de l’écosystème (la disponibilité de sources d’eau douce, de nourriture, de carburant, la qualité de l’air, etc.) car la perte de biodiversité a des conséquences directes non négligeables sur la santé si les services de l’écosystème ne répondent plus aux besoins des populations. La qualité ou la santé de l’écosystème est donc essentielle à l’homme. Parler de santé de l’environnement contribuera peut-être à rapprocher dans les consciences la santé animale et des milieux à celle de l’Homme.

A long terme un équilibre de la nature et des activités humaines respectueuses de l’environnement pourrait-il conduire à un monde sans risque sanitaire ?

L.C. – La question est moins celle du long terme que celle du courage politique. Je ne crois pas que l’on puisse prévenir tous les risques sanitaires, mais une approche par déterminant ici s’applique. Nous connaissons les conséquences de la maltraitance de l’environnement mais nous continuons en nous aveuglant de ces connaissances ou en continuant à mettre en compétition nos intérêts (enrichissement, tourisme versus pollution, appauvrissement par exemple) et nos ministères (santé versus agriculture) et en n’investissant pas dans les solutions alternatives protectrices de l’écosystème (énergie propre, culture biologique, tourisme et consommation durable, etc.). Nous multiplions les COPs et les conférences citoyennes sur l’environnement sans en appliquer véritablement les mesures. Je crois que si des mesures étaient prises avec courage, nous n’aurions pas besoin d’attendre longtemps pour voir les résultats.

Pour en savoir plus

Pour suivre l’actualité de ces sujets avec l’IREPS Nouvelle-Aquitaine

[1] La santé environnementale, selon la définition de l’OMS, comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures.

[2] L’approche dite «One Health» s’intéresse aux liens fondamentaux entre la santé humaine et celle des animaux et des écosystèmes, ainsi que sur la valeur ajoutée des collaborations interdisciplinaires et intersectorielles dans ce domaine. Cette approche intégrée de la santé repose notamment sur le renforcement des capacités des autorités sanitaires en matière de prévention, de préparation et d’intervention face aux foyers de maladies.

[3] La biodiversité : c’est le tissu vivant de notre planète. Cela recouvre l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie (plantes, animaux, champignons, bactéries, etc.) ainsi que toutes les relations et interactions qui existent, d’une part, entre les organismes vivants eux-mêmes, d’autre part, entre ces organismes et leurs milieux de vie. Nous autres, humains, appartenons à une espèce – Homo sapiens – qui constitue l’un des fils de ce tissu. La notion même de biodiversité est complexe, car elle comprend trois niveaux interdépendants : la diversité des milieux de vie à toutes les échelles, la diversité des espèces, la diversité des individus au sein de chaque espèce.

[4] La transition socio-écologique : évolution vers un nouveau modèle économique et social, un modèle de développement durable qui renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble pour répondre aux grands enjeux environnementaux, ceux du changement climatique, de la rareté des ressources, de la perte accélérée de la biodiversité et de la multiplication des risques sanitaires environnementaux.

[5] PhD-HDR, titulaire Chaire Prévention ISPED-SpF, Equipe MeRISP Centre Inserm U1219, Bordeaux Population Health, Université de Bordeaux.

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La santé des Belges à l’épreuve des changements climatiques

Le 28 Sep 21

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La communauté scientifique, les mouvements citoyens et l’actualité ne cessent d’alerter sur l’urgence d’agir contre le réchauffement global. Épisodes caniculaires plus fréquents, pollutions atmosphériques aggravées, allongement des périodes propices aux allergies, migrations de certaines maladies à vecteur, etc., sont autant d’exemples de risques associés aux changements climatiques et qui affecteront la santé dans nos régions. Selon l’OMS, les changements climatiques représentent la plus grande menace pour les systèmes de santé dans le monde au 21ème siècle. Comme souvent, les risques qui pèsent sur la santé se répartiront inégalement au sein de la population.

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Cet article a été rédigé en mars 2020.

Les changements climatiques en cours et à venir

Le réchauffement du système climatique est sans équivoque et l’influence de l’homme est clairement établie. Les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique sont en cause. La moyenne globale de la température à la surface de la Terre a augmenté de 1°C par rapport aux niveaux préindustriels et le retard pris dans les efforts d’atténuation place le monde sur la trajectoire d’un niveau élevé d’émissions qui, selon les projections, devrait aboutir à un réchauffement global compris entre 2,6 et 4,8°C d’ici la fin du siècle1 . Une planète aussi chaude, notre espèce n’en a jamais connu.

En Belgique, si une élévation généralisée des températures est anticipée, les projections prévoient également un renforcement du caractère saisonnier des précipitations. Les précipitations hivernales seront plus importantes tandis que les étés seront plus secs et plus chauds. Outre ces tendances saisonnières, les projections prévoient une augmentation de la fréquence des évènements extrêmes que sont les pluies intenses et les canicules2 .

Le dernier rapport The Lancet Countdown on health and climate change met en garde : si nous continuons sur cette trajectoire, un enfant né aujourd’hui vivra dans un monde plus chaud de 4°C en moyenne, et verra sa santé menacée par les changements climatiques à toutes les étapes de sa vie3. Voyons comment.

Des impacts directs

L’impact le plus immédiat et le plus direct des changements climatiques sur la santé humaine se manifeste par l’augmentation constante de la température moyenne mondiale et par l’augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la durée des chaleurs extrêmes. Les conséquences physiopathologiques de l’exposition à la chaleur chez l’homme comprennent le stress thermique et le coup de chaleur, les lésions rénales aiguës et l’exacerbation de l’insuffisance cardiaque congestive4 . Plus que la mise en échec de la thermorégulation de l’organisme, c’est surtout l’effet déclenchant sur diverses maladies ou l’aggravation de phénomènes pathologiques préexistants qui devraient engendrer une surmorbidité et une surmortalité estivale5.

Les étés chauds de 2003 et 2006 ont provoqué une augmentation de la mortalité toutes causes confondues en Belgique (environ 1230 décès supplémentaires en 2003 et 1263 décès en 20066). Or, selon le scénario d’émissions les plus élevées (RCP8.5), les vagues de chaleur extrêmes telles que celle qui s’est produite en 2003 devraient se produire aussi souvent que tous les deux ans dans la seconde moitié du 21ème siècle7. Dans toutes les régions du monde, la proportion de populations vulnérables à l’exposition à la chaleur augmente. Mais l’Europe est la région la plus vulnérable en raison de sa population plus âgée, de son haut taux d’urbanisation et de la prévalence élevée des maladies cardiovasculaires et respiratoires et du diabète8. Or, en Belgique, les personnes âgées de 80 ans et plus étaient 412 098 en 2003, elles étaient 654 084 en 2019 et leur effectif devrait se situer autour de 1 255 008 en 20509.

Les changements climatiques peuvent également affecter directement la santé en raison de l’augmentation prévue des évènements météorologiques extrêmes. Si une tendance à la hausse de ces évènements n’a pas encore été enregistrée par l’Institut royal de météorologie, c’est en revanche déjà le cas au niveau mondial, principalement en raison de l’augmentation des inondations et des tempêtes10. L’accroissement du risque d’incendie de forêt inquiète également la communauté scientifique et les autorités sanitaires. Ces évènements extrêmes peuvent entrainer des décès et des blessures accidentelles, désorganiser des systèmes de soins, entrainer une pollution de l’eau (dans le cas des inondations) et de l’air (dans le cas des feux sauvages). Par ailleurs, dans les mois et années qui suivent les évènements météorologiques extrêmes, des répercussions sur la santé mentale peuvent apparaître comme les troubles du sommeil, l’anxiété, les phobies, le stress post-traumatique, la dépression voire des tendances suicidaires, surtout en cas de troubles psychiques antérieurs ou lorsque les populations ont dû être déplacées11.

Figure : Les relations entre les changements climatiques et la santé

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Source : WATTS N. et al. (2018). “The 2018 report of the Lancet Countdown on health and climate change: shaping the health of nations for centuries to come”. The Lancet, 392 (10163): 2479–2514

Des impacts indirects véhiculés par les écosystèmes

En modifiant les écosystèmes, les changements climatiques pourraient indirectement engendrer des impacts sur la santé. La dégradation de la qualité de l’air, les modifications bioclimatiques influençant la production des allergènes aériens et la présence de vecteurs de maladies infectieuses sont particulièrement redoutées.

La pollution atmosphérique est le plus grand risque environnemental pour la santé en Europe. Environ 400 000 décès prématurés ont été attribués à la pollution atmosphérique en 201812 (9380 en 2016 en Belgique13). Ces décès résultent de maladies cardiovasculaires, respiratoires et de cancers. Étant donné les modifications de température, de luminosité et de précipitations attendues, les concentrations d’ozone troposphérique et de microparticules risquent d’augmenter en Europe14.

La concentration dans l’air de pollens allergisants pourrait elle aussi augmenter. Nous observons déjà des tendances au déplacement de la floraison, à la prolongation de la saison et à l’augmentation des quantités de pollen de fin d’été15 . En se conjuguant, ces différentes tendances renforceraient l’occurrence et la sévérité des allergies respiratoires, rhinite ou asthme16 . Par ailleurs, le déplacement en latitude ou en altitude de l’aire de répartition de différentes plantes, dont certaines fortement allergisantes, engendrera une nouvelle géographie des pollens17 . La colonisation de nos contrées par l’ambroisie en est une illustration et constitue une réelle préoccupation en matière de santé.

La communauté scientifique s’inquiète également depuis de nombreuses années de ce que les changements climatiques vont probablement contribuer à influencer l’émergence de certaines maladies infectieuses ainsi que leur distribution géographique. Les changements climatiques, parce qu’ils impliquent dans certaines situations un climat plus chaud, plus humide (ou plus sec), devraient induire des changements substantiels dans la répartition géographique et saisonnière des vecteurs et de leurs maladies associées en Europe et pourraient permettre l’établissement de maladies exotiques actuellement absentes du continent18 . Actuellement, les craintes se portent vers la borréliose de Lyme (déjà présente en Belgique) transmise par des tiques. L’évolution de l’implantation du moustique tigre asiatique qui transmet les virus de la dengue, du chikungunya et du zika fait également l’objet d’inquiétudes de même que les vecteurs du virus du Nil occidental et de la leishmaniose.

Des impacts indirects véhiculés par le système social

Enfin, quatre effets indirects des changements climatiques véhiculés par le système social apparaissent essentiels à anticiper. Il s’agit des risques pesant sur la sécurité alimentaire, des conséquences en matière de santé mentale, des répercussions socioéconomiques attendues et enfin des pressions qui s’exerceront sur le système de santé.

En matière de sécurité alimentaire, si les risques pesant sur la disponibilité des denrées semblent moins concerner un pays comme la Belgique, il convient de souligner que les pays développés ne seront de toute façon pas épargnés par la hausse et la volatilité des prix induites par les changements climatiques en raison de la mondialisation du marché alimentaire19 . Or celles-ci risquent de se répercuter sur les comportements d’achat des populations les moins aisées tentées de se rabattre sur des aliments transformés, de moindre qualité nutritionnelle, souvent très gras et sucrés mais assez peu sensibles aux fluctuations tarifaires des produits de base20 .

Concernant la santé mentale, en plus des impacts des évènements météorologiques extrêmes, les changements climatiques peuvent entraîner un sentiment de perte de sens suscitée par le fait de voir notre environnement et nos biens être endommagés, ainsi que nos opportunités diminuées21 . Ce sentiment est connu sous le nom de « solastalgie » ou « éco-anxiété ». Les messages alarmants concernant l’avenir de notre environnement alimentent cette éco-anxiété qui se traduit par des troubles anxieux en lien avec la peur de la fin du monde (sous la forme d’attaques de panique ou d’angoisses plus diffuses pouvant conduire à des troubles du sommeil, un manque de motivation, des troubles de concentration) allant même parfois jusqu’à l’épisode dépressif22 .

Un autre impact indirect sur la santé très préoccupant est la fragilisation des conditions socioéconomiques de la population en général et de certaines franges en particulier que pourrait engendrer le réchauffement global. En effet, les changements climatiques entraînent déjà des pertes économiques et on s’attend à une accélération de celles-ci avec l’augmentation du nombre d’évènements climatiques extrêmes et la multiplication des sinistres. Une autre répercussion économique largement évoquée par la littérature est la perte de productivité. La hausse des températures et les vagues de chaleur limitent de plus en plus la capacité de travail de diverses populations et le phénomène est appelé à s’amplifier. À titre illustratif, les régions du sud des États-Unis auraient perdu 15 à 20% des heures potentielles de travail de jour pendant le mois le plus chaud de 201823 . Au bout du compte, les incidences des changements climatiques devraient ralentir la croissance économique dans son ensemble et entraver les efforts de lutte contre la pauvreté24 .

Enfin, les systèmes de santé vont également être soumis à une pression croissante, ce qui pourrait avoir des répercussions en matière d’accès aux soins. Même si la crise sanitaire provoquée par la Covid-19 n’est, a priori, pas corrélée aux changements climatiques, elle n’en est pas moins une illustration de l’ampleur avec laquelle notre système de santé peut être mis sous pression, à la fois sur le plan économique et sur le plan organisationnel. Aussi, par son impact sur la transmission des maladies infectieuses et les conséquences sanitaires des vagues de chaleur, de la pollution de l’air ou des inondations, le réchauffement global risque de mettre sous pression le système de santé, l’afflux soudain d’un grand nombre de personnes malades dans les structures de santé monopolisant une grande partie des ressources du système. Les taux de mortalité des autres maladies pour lesquelles les malades peineraient à accéder à des soins pourraient ainsi augmenter25 . Par ailleurs, les risques pesant sur les infrastructures et leur accessibilité (pannes de courant, endommagement du réseau routier, des bâtiments) doivent être pris en compte26 . Il est important de noter que le réchauffement global « agit comme un multiplicateur des risques, exacerbant nombre des problèmes auxquels les communautés sont déjà confrontées, et renforçant la corrélation entre plusieurs risques sanitaires, ce qui les rend plus susceptibles de se produire simultanément »27 . Enfin, les évolutions attendues du climat, en l’absence d’adaptation, provoqueront inévitablement des dépenses de santé supplémentaires. Ces dépenses seront à charge de la société via le remboursement des soins de santé, ou bien viendront gonfler les dépenses de santé des ménages.

Des vulnérabilités inégales au sein de la population

L’interconnexion des systèmes climatiques et des écosystèmes, et l’interdépendance des économies et des sociétés font que personne ne sera épargné par les conséquences des changements climatiques. Néanmoins, les effets des changements climatiques sur la santé ne seront pas les mêmes pour tous en raison des différences d’exposition, de sensibilité et de capacité d’adaptation qui ensemble concourent à des différences de vulnérabilité des individus et des groupes28 .

Les impacts sanitaires du réchauffement global vont donc inégalement se répartir au sein des territoires et de la population. De manière générale, les personnes âgées, les personnes malades ou à mobilité réduite, et les groupes les plus pauvres ou marginalisés seront les plus affectés.

En effet, pour des raisons à la fois physiologiques, socioéconomiques et comportementales, les personnes âgées sont les plus exposées aux tempêtes, inondations, vagues de chaleur et autres évènements extrêmes, mais aussi à la dégradation de la qualité de l’air et à certaines maladies infectieuses climato-sensibles29 . Elles sont moins mobiles et ont donc plus de difficulté à éviter les situations dangereuses et sont aussi plus susceptibles de vivre seules. Par ailleurs, elles sont également plus nombreuses à souffrir de problèmes de santé qui limitent la capacité du corps à répondre à des facteurs de stress tels que la chaleur et la pollution de l’air30 . Les personnes âgées sont également plus susceptibles de se faire prescrire des médicaments, dont certains sont associés à un risque accru de décès lié à la chaleur.

L’état de santé est également un facteur clé de la vulnérabilité aux conséquences des changements climatiques. En effet, les maladies chroniques comme le diabète et les cardiopathies ischémiques amplifient le risque de décès ou de maladies graves associés à des températures ambiantes élevées31 . Au même titre que les maladies respiratoires chroniques, elles amplifient aussi le risque lié à la pollution atmosphérique. La consommation de certains médicaments (par exemple les antihypertenseurs, les antidépresseurs et les antipsychotiques) a une incidence sur la sensibilité à la chaleur en nuisant à la fonction de réfrigération du corps ou la rétention d’eau et du sel32 .

Enfin, la capacité à s’adapter ou à se rétablir peut être moindre en raison de faibles revenus. Les populations défavorisées sur le plan socioéconomique vivent par ailleurs plus souvent dans des logements de moindre qualité (notamment du point de vue de l’isolation), dans des quartiers plus densément peuplés, plus pollués et moins bien équipés (en espaces verts notamment), ce qui les expose plus aux vagues de chaleur et à la pollution atmosphérique33 .

Conclusion

Même avec les efforts d’atténuation les plus ambitieux, nos sociétés vont devoir s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Le secteur de la santé est particulièrement concerné car les changements climatiques vont influencer de manière croissante la santé en agissant d’une part sur les déterminants environnementaux de la santé, mais également à travers le vieillissement de la population, l’état du système de soins et les répercussions socioéconomiques.

Par ailleurs, ces risques se répartissent inéquitablement au sein de la population, l’âge, l’état de santé et les conditions de vie étant les principaux déterminants de la vulnérabilité. Les changements climatiques agissent en réalité comme un facteur aggravant les inégalités sociales de santé.

En 2014, l’OMS affirmait que les changements climatiques seront la question déterminante pour les systèmes de santé au 21ème siècle. La crise sanitaire provoquée par le Covid-19 illustre bien l’importance de doter le système de santé d’un bon niveau de résilience face à des chocs de grande ampleur. Selon l’OMS, un système de santé résilient face aux changements climatiques est « un système capable d’anticiper les chocs et stress liés au climat, d’y réagir, d’y faire face, de s’y adapter, et de se rétablir, de façon à améliorer durablement la santé des populations, malgré un climat instable »34 . Un tel objectif est réalisable à condition que tous les professionnels de la santé y contribuent à leur niveau.

[1] WATTS N. et al. (2017b). “The Lancet Countdown on health and climate change: from 25 years of inaction to a global transformation for public health”, The Lancet, 391: 581-630

[2] DE RIDDER K. et al. (2020b). Evaluation of the socio-economic impact of climate change in Belgium, study commissioned by the national climate commission,Etude commandée par la commission nationale climat, 253 p.

[3] WATTS N. et al. (2019). “The 2019 report of The Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate”. The Lancet, 394 (10211): 1836-1878.

[4] Ibid.

[5] BESANCENOT J-P. (2015). « Changement climatique et santé ». Environnement, Risques & Santé, 14 (5) : 394-414.

[6] SCIENTIFIC INSTITUTE OF PUBLIC HEALTH (2009). Climate change and health – Set-up of monitoring of potential effects of climate change on human health and on the health of animals in Belgium. Bruxelles, Unit Environment and Health, 54 p.

[7] EUROPEAN ENVIRONMENT AGENCY (EEA) (2020). Healthy environment, healthy lives: how the environment influences health and well-being in Europe. Luxembourg, Publications Office of the European Union, 165 p.

[8] WATTS N. et al. (2019), op. cit.

[9] Calculs personnels sur base des données de population « 1991-2019 : observations, Statbel; 2020-2071 : perspectives – mise à jour COVID-19″, BFP et Statbel, Bureau fédéral du Plan; SPF Economie – Statbel.

[10] SCIENTIFIC INSTITUTE OF PUBLIC HEALTH, op. cit.

[11] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit.

[12] European Environment Agency (EEA), (2020), op. cit.

[13] EUROPEAN ENVIRONMENT AGENCY (EEA) (2019). Air quality in Europe – 2019 Report. Luxembourg, Publications Office of the European Union, 99 p.

[14] SCIENTIFIC INSTITUTE OF PUBLIC HEALTH, op. cit.

[15] CLOT B. (2008). « Pollen de l’air et risque d’allergie : l’évolution récente », Environnement, Risques & Santé ,7(6) : 431 – 434

[16] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit. 

[17] Ibid.

[18] EUROPEAN ENVIRONMENT AGENCY (EEA), (2020), op. cit.

[19] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit.

[20] Ibid.

[21] IPCC (2014). Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge and New York, Cambridge University Press, 1132 p.

[22] FOND G. et Al. (2019). « Psychiatrie et réchauffement climatique ». L’encéphale, 45(1) : 1-2

[23] WATTS N. et al, (2019), op. cit.

[24] GIEC (2014b). Changements climatiques 2014 : Rapport de synthèse – Résumé à l’intention des décideurs, p.16.

[25] Ibid.

[26] PAAVOLA J. (2017). “Health impacts of climate change and health and social inequalities in the UK”. Environmental Health, 16 (113): 61-68

[27] WATTS N. et al. (2017b), op. cit. , p. 582.

[28] PAAVOLA J., op. cit.

[29] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit.

[30] IPCC, op. cit.

[31] Ibid.

[32] Ministère de la santé et des soins de longue durée – direction des politiques et des programmes de santé publique   (2016).  Trousse de l’Ontario sur le changement climatique et la santé, Ontario, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 58 p.

[33] IPCC, op. cit.

[34] OMS (2016). Cadre opérationnel pour renforcer la résilience des systèmes de santé face au changement climatique. Genève, Organisation mondiale de la Santé, p. 8.

Le télétravail en questions, ses atouts, ses failles…
et après ?

Le 24 Août 21

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Et si le télétravail était l’occasion de repenser nos vies ?

Certains l’adorent. D’autres l’aiment un peu moins… Le télétravail s’est imposé à un bon nombre de travailleurs avec la pandémie de la Covid-19. Un an plus tard, quel bilan en tirer ? Pour Question Santé, derrière les avantages et les inconvénients de cette nouvelle organisation de travail se cache surtout l’opportunité de questionner la valeur du travail dans nos vies.

Vivre peut-il se résumer à avoir un “boulot pour survivre” ? Une société où le travail ne serait plus seulement une base journalière de rémunération compétitive mais un service à soi et à la communauté, qui ait du sens, soit varié, n’occupe plus la majeure partie de nos journées (transports compris), est-ce une utopie ou une nécessité ? Devons-nous nous résigner ou choisir de discuter des avantages, sinon de la nécessité pour tous, d’un rythme de travail, d’espace et de temps à la mesure de nos besoins humains ?

Et si nous profitions du changement pour repenser la direction dans laquelle faire évoluer notre société… ? 

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