Novembre 2009 Par Gaëtan ABSIL Chantal VANDOORNE Réflexions

Un décret suffit-il à promouvoir la promotion de la santé? Le décret de promotion de la santé ouvre-t-il ou enferme-t-il les pratiques, facilite-t-il ou entrave-t-il les collaborations? Est-il intéressant de différencier le dispositif de promotion de la santé (instances, programmes, services prévus par ce décret) et le référentiel (base conceptuelle, recommandations de pratiques)?
Promulguée en 1986 dans la Charte d’Ottawa, la ‘promotion de la santé’ propose une approche globale – élargie au bien-être – et politique – associée à la participation – de la santé. En 1997, un décret officialise les idées d’Ottawa en Communauté française de Belgique et structure le secteur «promotion de la santé». L’APES-ULg participe au dispositif décrétal en tant que Service Communautaire de Promotion de la Santé, mais il utilise aussi plus largement le cadre conceptuel de promotion de la santé en tant que service universitaire sollicité pour des études en matière de santé publique et de prévention.
Depuis plus de 20 ans, les idées faîtières d’Ottawa tentent de renouveler les approches de la santé. Au cours des dernières années, les tentatives de rapprochement de la promotion de la santé et de la médecine préventive, l’ouverture à l’action intersectorielle notamment au travers des actions territoriales, l’accent mis sur les inégalités de santé et la variété des déterminants de santé, en ont rendu les enjeux plus sensibles.
En effet, 20 ans, c’est aussi une durée suffisante pour que des idées et des pratiques commencent à se sédimenter. L’ouverture multidisciplinaire découlant de l’approche globale de la santé et de la diversification des modes d’interventions se pose en tension avec une fermeture du champ professionnel de la promotion de la santé, provoquée d’un côté par un sentiment de justesse et d’autarcie quant aux principes d’Ottawa et de l’autre par la persistance du modèle bio-médical dans les esprits et les pratiques de nombreux acteurs.
Le découragement, le sentiment d’isolement et d’incompréhension guettent ces professionnels spécialisés en promotion de la santé face à la difficulté de positionner la promotion de la santé au sein des structures et des dispositifs.
Plusieurs débats menés au sein de l’équipe de l’APES-ULg, plusieurs discussions à l’occasion de l’accompagnement de projets ou de rencontres internationales, nous ont amenés à questionner les spécificités de la promotion de la santé. Par exemple, quelles sont les différences et les proximités de la promotion de la santé avec l’éducation permanente, le développement durable ou encore la médecine préventive?
Un sentiment – assez dérangeant – flottait au-dessus de nos discussions. Si la promotion de lasanté signifie approche globale de l’individu et prise en compte des déterminants sociaux de la santé, pourquoi ce secteur ne peut-il mieux exploiter les acquis récents des autres champs disciplinaires, alors même que la santé offre un terrain de développement aux recherches des autres disciplines? Comment ces apports pourraient-ils diversifier nos cadres de référence ou nos approches? Pourquoi est-il si difficile pour des secteurs voisins tels que l’environnement ou le social d’un côté, le soin et l’hospitalier de l’autre, d’intégrer cette approche?
En Communauté française de Belgique, le décret portant organisation de la promotion de la santé et de la médecine préventive a eu 12 ans. Sa révision pour y intégrer des éléments facilitant les programmes organisés de médecine préventive a maintenant 5 ans. Et pourtant ces nombreuses questions restent, parfois de manière implicite, en filigrane des dialogues entre professionnels tout comme des débats dans les instances officielles.
Le décret de 1997 a officialisé un référentiel et organisé (ou ré-organisé) un dispositif, mais ce dispositif ne peut suffire à saturer le référentiel sommairement présenté ci-dessus. Par ailleurs l’expérience montre que ce référentiel pénètre difficilement auprès des usagers eux-mêmes et des autres secteurs d’activité, voire même des décideurs politiques et acteurs institutionnels directement concernés par les politiques de santé et de prévention.
Les tentatives pour communiquer largement autour de la promotion de la santé semblent peu efficaces. L’intégration de la médecine préventive dans le décret de promotion de la santé ressemble à un mariage arrangé et les protagonistes peinent à lui donner un sens commun et harmonieux. Et pourtant, l’ouverture de la médecine préventive à la promotion de la santé pourrait servir de passerelle à une meilleure intégration des pratiques curatives et préventives. Des initiatives heureuses existent en ce sens ; quelques-unes sont présentées dans ce dossier. Toutefois elles paraissent encore trop isolées: recherches-actions, expériences pilotes, analyses de faisabilité, dont la diffusion rencontre de nombreux freins.
En misant sur la promotion de la santé, les acteurs et décideurs de la Communauté française de Belgique ont-ils choisi un référentiel inadéquat, auquel seule une marge d’individus peut adhérer car il représente une vision de l’homme et un projet sociétal trop typé? Au contraire avons-nous une vision trop exigeante, trop monolithique de ce référentiel qui, dans les faits, progresserait à bas bruit et de façon partielle dans de nombreuses pratiques? Sommes-nous tout simplement trop impatients de le voir reconnaître par tous? Nous sommes-nous trompés de dispositif ou tout simplement nous trompons-nous de chemin pour implanter ce référentiel? Enfin, y avons-nous consacré suffisamment de moyens?
Les deux contributions suivantes tentent d’ouvrir la réflexion autour de ces questions.
La première propose un cadre pour l’analyse des usages des termes «promotion de la santé», «éducation pour la santé», «prévention» tels que perçus par l’auteur au travers de ses contacts avec les professionnels du champ. La deuxième propose un regard extérieur sur les liens entre les pratiques et le décret, au départ d’interviews d’acteurs de la Communauté française œuvrant dans le champ de la promotion de la santé et de la médecine préventive.
Gaëtan Absil et Chantal Vandoorne , APES-ULg