Mai 2009 Par M. BEGIN Dossier

Le Canada et les autres pays de niveau socio-économique équivalent ont connu une importante amélioration de l’état de santé de leur population. Pourtant, les progrès accomplis ne profitent pas à tous de manière équitable. L’amélioration de la santé a été plus importante pour les catégories sociales favorisées. Si une petite fille qui vient au monde aujourd’hui au Canada, en Europe ou au Japon peut s’attendre à vivre au-delà de 80 ans, elle vivrait moins de 45 ans en Afrique subsaharienne. L’espérance de vie à la naissance est même en recul sur le continent africain.
Aucune raison innée n’explique que la situation soit ainsi. Les plus pauvres des pauvres ont une bien plus mauvaise santé que la majorité d’entre nous et ils meurent prématurément. Ces inégalités se déclinent entre pays riches, pays émergents et pays pauvres, mais aussi à l’intérieur de chaque pays, pauvre ou riche. Le rapport de la Commission des déterminants sociaux de l’OMS, Combler le fossé en une génération : instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé donne nombre d’exemples de ces iniquités.

Les déterminants sociaux de la santé: l’évidence scientifique

En connaît-on assez pour agir? Des sceptiques, autant que des gens de bonne volonté, se demandent sans doute si le problème est suffisamment étudié pour passer à l’action.
C’est sûrement la première réaction d’universitaires, de fonctionnaires ou d’agent-es de planification socio-sanitaire. Première réaction bien légitime quand on pense aux ressources limitées et aux erreurs de politiques et programmes du passé qui ne nous ont pas éclairés parce qu’ils n’ont pas été évalués. Pourtant, la réponse est clairement positive: oui, nous en savons assez – et nous avons l’argent – pour aller de l’avant et commencer à changer les choses. Et il y a urgence à agir car la justice sociale est affaire de vie ou de mort . L’injustice sociale tue à grande échelle .
Le cadre théorique de la dynamique des déterminants sociaux de la santé quant à la création des inégalités et, partant, de l’iniquité en santé, est établi depuis certainement 20 ans, travaillé et retravaillé, raffiné, clarifié, épuré. Il en existe de nombreuses expressions, du cadre conceptuel de Fraser Mustard (1988) à celui de Dahlgren et Whitehead (1991), en passant par celui de Michael Marmot. La Commission sur les déterminants sociaux de la santé de l’OMS offre aujourd’hui sa version, essayant de remonter aux causes des causes des conditions de santé et de maladie. Ce cadre démontre qu’un premier jeu d’influences se fait sentir dans les circonstances de la vie quotidienne, tandis qu’à un autre niveau il s’agit des structures sociales, économiques et politiques.
Il reste qu’il faut poursuivre la recherche pour combler des trous dans la connaissance, surtout quant à la situation dans les pays d’économies émergentes et dans les pays pauvres. Il ne s’agit pas tellement d’essais cliniques randomisés et contrôlés, devenus la règle d’or en médecine, mais de nombreuses autres approches méthodologiques, quantitatives et qualitatives, tout aussi rigoureuses et valables. Il suffit quelquefois de développer des banques de données de base, de les standardiser ou encore de les traduire de langues singulières à des langues utilisées sur le plan international.
S’il n’existe pas de données de base, on conclut inévitablement qu’il n’y a pas de problème! Or, il y a annuellement des millions de naissances d’enfants, nés presque toujours dans des familles pauvres, marginalisées ou déplacées, qui ne sont pas enregistrées. Ces enfants sont ainsi privés d’une identité officielle et par là de tout ce à quoi donne droit une telle identité. La recherche appliquée pourra par ailleurs nous aider aussi à mieux comprendre la complexité des relations entre les déterminants socio-économiques et leur influence sur l’état de santé: qui joue quel rôle et dans quelles conditions?

Les recommandations de la Commission pour l’action

La Commission a regroupé ses recommandations spécifiques sous trois principes d’action:
-améliorer les conditions de la vie quotidienne – les circonstances dans lesquelles les gens naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent;
-s’attaquer à la répartition inéquitable du pouvoir, de l’argent et des ressources – les causes structurelles de ces conditions de vie;
-mesurer le problème, évaluer l’action, former des intervenants et susciter l’implication du public.
La Commission a choisi de ne pas établir un ordre dans ses recommandations ni d’en choisir quelques-unes comme étant plus importantes ou plus urgentes. Les différents chapitres du rapport s’attachent aux situations auxquelles il faut s’attaquer et on y retrouve une description des faits et des pistes d’actions.
Voici quelques-unes des thématiques qui y sont analysées: le développement de la petite enfance, l’équité entre les sexes, les environnements urbains dans lesquels vivent maintenant la masse des êtres humains, les conditions de travail, la sécurité sociale, la pauvreté, les systèmes de santé.
Le rapport traite aussi des forces structurelles qui forment les conditions de vie quotidienne: le financement équitable, le rôle du marché et la bonne gouvernance mondiale.
Le changement social dans une société consiste en plusieurs avenues différentes de réformes qui se développent en parallèle, répondant à des sensibilités et à des logiques internes différentes, jusqu’à un point de rencontre réel ou virtuel. Il ne sert à rien de rêver du grand plan directeur: il n’existe que sur papier, s’il existe.
Ces recommandations ne seront pas toutes bien intégrées comme on le souhaiterait idéalement. Ces étapes prendront du temps, car nous avançons plutôt à petits pas. Il faut informer, lire le rapport, le discuter, le mettre à l’ordre du jour de son groupe de travail, de son association professionnelle. Il s’agit d’un travail de longue haleine et c’est pourquoi il est urgent de commencer maintenant.
Des outils bien différents, pouvant quelquefois paraître bien innocents, peuvent devenir de puissants moteurs de changement, s’il y a volonté politique et demande des citoyens et des groupes. Il faut entendre la voix de celles et ceux qui ont créé des projets pour réduire les inégalités sociales, qui entreprennent l’étude des iniquités dans leurs communautés, qui mobilisent les individus et les familles en vue d’un lendemain meilleur.
Que nous soyons en recherche en santé publique, ou dans un dispensaire, ou dans les écoles, ou dans un projet avec des familles immigrantes, ou à l’Université, ou dans un ministère, nous pouvons faire bouger des choses en travaillant sur les conditions quotidiennes dont nous sommes les témoins privilégiés.

Avons-nous les moyens de répondre aux connaissances?

Il a été établi que la réhabilitation globale des bidonvilles du monde – système d’eau potable, canalisation d’égouts, logements salubres – coûterait 100 milliards de dollars américains. Somme affolante? Pas du tout! Les gouvernements du monde ont annoncé à l’automne 2008, en toute hâte, des plans de rescousse de l’incompétence, de la corruption, de la mauvaise gestion, du manque de vision, de l’avarice personnelle de leurs institutions financières et des plus grosses corporations atteignant plus de 5 billions de dollars américains.
Comment se fait-il que ces mêmes gouvernements n’aient pas encore trouvé les malheureux 100 milliards $ requis pour sortir le milliard d’êtres humains vivant dans des conditions urbaines de sous-êtres, soit seulement 2,3 % de ces 5 billions?
La combinaison toxique de politiques sociales inadéquates, d’arrangements économiques injustes et de politique partisane bornée est, en large mesure, responsable de ce qu’une majorité de gens dans le monde ne jouisse pas de la bonne santé biologiquement possible.
Nous pouvons instaurer l’équité en santé en l’espace d’une génération; il le faut et c’est maintenant qu’il faut agir. Ce n’est ni pour les timorés, ni pour les petites natures.
L’Honorable Monique Bégin , CP, MSRC, OC, Université d’Ottawa.