Le 12 octobre 2021, l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH) organisait une journée de réflexion intitulée « Inégalités sociales de santé et COVID-19 ». L’occasion pour les professionnel.les de la santé présent.es, de faire le point sur les nombreuses séquelles laissées par cette crise sanitaire inédite, notamment chez les plus vulnérables.
Plusieurs expert.es ont ainsi pu partager leur expérience de terrain et leur analyse de la situation. Toutes les interventions ont convergé vers un même constat : la crise sanitaire a amplifié les inégalités sociales déjà présentes avant la crise. Le coronavirus peut infecter tout le monde mais « tout le monde » n’y est pas exposé de la même manière. Les mesures prises (distanciation sociale, bulle sociale, télétravail, métiers essentiels…) résonnent différemment selon nos contextes de vie, nos capitaux sociaux et économiques, renforçant ainsi les inégalités sociales existantes.
C’est Helen Barthe-Batsalle, directrice de l’OSH, qui a posé le contexte de cette journée en rappelant l’importance de la question des inégalités d’accès aux droits fondamentaux, au sein des missions de l’OSH. La santé des individus, considérée comme un droit fondamental, varie en fonction de certaines conditions comme l’accès à un logement, à l’éducation, à une alimentation saine et suffisante, à un travail décent, à un environnement sain, à une justice sociale… L’ensemble de ces déterminants de santé, distribués de manière inégale au sein de la population, génère des inégalités sociales de santé et impacte la manière dont les individus font face à la crise sanitaire.
Les intervenant.es invité.es ont ensuite pu témoigner des effets directs de cette crise sur leur public et des impacts dans leur champ d’action.
« L’impact de la crise sur les populations les plus précaires et sur la pauvreté en Région wallonne »
Bernard De Vos (Délégué général aux Droits de l’Enfant) appuie le fait que la crise n’a fait que révéler et amplifier les problèmes préexistants avant la crise sanitaire tels que la pauvreté, le décrochage et l’abandon scolaire, les difficultés relationnelles au sein des familles, le maintien des liens dans les familles séparées…
Les mesures dictées pour endiguer la propagation du virus n’ont pas été vécues de la même manière par toutes les familles. Lorsque le confinement a été annoncé, certaines d’entre elles ont été renvoyées à leur situation personnelle. Si les conditions de vie des sphères privées n’étaient pas optimales en temps « normal », elles l’ont été encore moins durant l’épidémie.
La période de confinement a par ailleurs été très compliquée pour les enfants qui évoluent dans un contexte où maltraitance et/ou négligence sont présentes. Ces enfants se sont retrouvés confrontés à leurs tortionnaires avec très peu de contacts extérieurs. Il a fallu attendre un certain temps pour que les services d’aide se réorganisent et puissent reprendre contact avec ces enfants via une écoute active par téléphone et/ou internet.
Les enfants porteurs d’un handicap ont également souffert durant cette période. La plupart n’ont plus eu accès à leur institution et se sont retrouvés totalement à charge de leur famille.
Bernard Devos déplore qu’au moment de la réouverture, on ait donné la priorité aux écoles et non à un système éducatif qui inclut les écoles de devoirs, les services d’Aide en Milieu Ouvert (AMO), ainsi que tous les autres services associatifs qui agissent en soutien scolaire. En pensant globalement au système éducatif, on n’oublie pas celles et ceux qui en ont le plus besoin et on tente de réduire les inégalités sociales entre les enfants.
Il terminera son intervention en déplorant qu’au cours de la crise, aucun discours n’ait été adressé directement aux enfants et aux jeunes pour leur expliquer l’état de la situation et le choix des mesures prises. Les informations ont toujours été données de manière unilatérale sans aucune adaptation de langage. Cette tâche a été laissée aux familles avec des compétences qui leurs sont propres et très inégales d’une famille à l’autre. Il a fallu attendre que la situation dérape à certains endroits dans notre pays et que les pédopsychiatres montrent leur inquiétude par rapport à la santé mentale de la jeunesse pour qu’on adapte l’information à ce public cible et qu’on le laisse s’exprimer sur la manière dont il a vécu l’application des mesures.
« Avec la crise sanitaire, l’insécurité alimentaire »
Durant la première période de confinement, les demandes d’aide alimentaire (principalement sous forme de colis alimentaire) ont augmenté de 30% en Région wallonne, explique Catherine Rousseau (chargée de projets à la Fédération des Services Sociaux). Suite à cette première vague, celles-ci ont continué d’augmenter mais moins rapidement. Aujourd’hui, les demandes tendent à se stabiliser mais à un chiffre encore trop élevé. La difficulté de faire appel à l’aide alimentaire est également mise en évidence et les raisons en sont diverses : gêne d’y recourir, méconnaissance des services, fermeture des structures d’aide…
Face à cette situation, la Fédération des Services Sociaux (FDSS) met en évidence plusieurs recommandations afin de répondre à l’urgence en temps de crise.
- La première porte sur la quantité, la qualité et le respect de la dignité
Dans ce contexte de crise sanitaire, de nombreuses demandes n’ont pu être satisfaites. À cela s’ajoute le manque de respect de la dignité humaine comme les longues files dans l’espace public, l’absence de choix des denrées correspondant aux besoins ou aux préférences des personnes, un manque de qualité et de diversité de certains produits (produits frais ou recours à des invendus)…
Il convient donc d’accueillir toutes les demandes et de les orienter vers les services les plus aptes à y répondre. De même, l’aide alimentaire nécessite une diversification de l’offre pour mieux répondre aux besoins des familles et des personnes dans le besoin (colis ou soutien financier).
- La seconde porte sur l’organisation et l’accessibilité
Il s’agit d’encourager un assouplissement des critères d’accessibilité, l’élargissement de l’offre ainsi que la diversification des formes d’aides, afin de répondre au mieux aux nouveaux besoins qui sont apparus. L’implication des bénéficiaires dans les prises de décisions relatives à l’organisation des services d’aide alimentaire est également préconisée.
- La troisième porte sur le caractère structurel de l’alimentation de qualité
De nouvelles politiques structurelles fortes soutenant un système de démocratie alimentaire (une alimentation saine, en suffisance et de qualité pour tous) ainsi qu’un système alimentaire inclusif doivent voir le jour. Celles-ci permettront de lutter contre les inégalités sociales face à l’alimentation, d’assurer l’accès à un revenu décent pour tous, à l’inclusion et à la protection sociale.
« Quand vieillissement et pandémie se croisent »
Au travers de son exposé, Violaine Wathelet (secrétaire politique d’Enéo, le mouvement des aînés de la MC) a souhaité mettre en évidence le lourd tribut payé par les ainés durant la crise mais également la stigmatisation dont ils sont souvent victimes dans notre société.
Cette crise a mis à jour un certain nombre de dysfonctionnements relatifs aux Maisons de Repos et aux Maisons de Repos et de Soins, comme le manque de coordination avec les autres structures de soins, des cas de maltraitance, un personnel en sous-effectif ainsi que la difficulté de prendre en considération tous les aspects de la santé comme la dimension psychologique.
Les personnes âgées, souvent mises de côté, sont sujettes à de nombreux stéréotypes, certains laissant croire qu’elles ne sont plus capables de décider ce qui est le mieux pour elles-mêmes. Or lorsqu’on envisage la vieillesse par la porte du vieillissement biologique, l’attention portée aux plus âgé.es se centre presque essentiellement sur le curatif délaissant ainsi le care c’est à dire le bien-être.
“Le COVID-19 ou la COVID-19 : juste une question de genre? »
La parole est donnée à Manoë Jacquet (coordinatrice de Femmes et Santé et responsable du réseau « Femmes, genre et santé »). Au-delà du débat de genre autour du mot « COVID », la maladie et ses complications ne semblent pas avoir affecté les hommes et les femmes de la même manière. Les chiffres montrent que les femmes ont été plus nombreuses à contracter le virus alors que les hommes ont développé des formes plus graves de la maladie et présenté un taux de mortalité plus élevé. Les femmes ont en effet été particulièrement exposées au risque de contamination du fait des secteurs d’activité où elles sont majoritaires. C’est le cas du secteur hospitalier où elles représentent 80 % du personnel, des maisons de repos et de soins (88 %), des maisons de repos pour personnes âgées (86,5 %), des crèches (96 %), de l’aide à domicile (95 %) ou du commerce de détail ou en grandes surfaces (60 %).
Comme l’ont souligné les intervenant.es précédent.es, les mesures spécifiques qui ont été mises en application pour limiter la transmission du virus n’ont pas engendré les mêmes conséquences pour toute la population. Elles ont été construites sur un modèle de famille « standard » en perte de vitesse et qui correspond de moins en moins au modèle actuel.
“De l’intersectionnalité à la syndémie : COVID-19 et inégalités sociales de santé”
Charlotte Pezeril (docteure en anthropologie sociale et directrice de l’Observatoire du Sida et des Sexualités à l’ULB) aborde la question de la crise COVID sous l’approche de la réduction des risques (comme elle l’a été pour le VIH). Cette stratégie suggère de faire confiance aux individus dans le choix de stratégies adéquates en fonction de leur situation et de leur capacité d’agir.
En référence et en comparaison avec la problématique du VIH, ce qui a été mis de côté dès le départ de la crise sanitaire, c’est d’abord l’exclusion de la promotion de la santé au profit d’une approche épidémio-médicale. La crise du VIH avait pourtant démontré l’importance de la responsabilisation et non pas de la criminalisation des comportements à risque. La responsabilisation, c’est reconnaitre la capacité de réflexion et d’action des citoyens. Pour qu’elle soit opérationnelle, il faut leur donner les moyens de pouvoir l’exercer, comme leur expliquer les bienfaits et les risques de la vaccination par exemple. Les citoyennes et citoyens pourront alors faire un choix éclairé en fonction des coûts-bénéfices de chacune des stratégies.
La crise COVID a été présentée comme une pandémie. Or, selon Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, il faut étendre ce concept et parler de « syndémie ». Une position que Charlotte Pezeril partage également. Une syndémie se définit par la synergie de plusieurs maladies ou problèmes concentrés de manière anormalement élevée dans une population donnée. Dans le cadre de la crise sanitaire qui nous occupe actuellement, cela revient à mettre l’accent sur le côté viral de la maladie (la COVID) en prenant en compte l’ensemble des pathologies chroniques non transmissibles (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires…). Toutes ces pathologies ont fortement augmenté depuis une trentaine d’années dans nos pays occidentaux, notamment en raison de la pollution atmosphérique, de la malbouffe et également de l’accroissement des inégalités sociales.
« La crise sanitaire comme révélatrice et amplificatrice de la fracture numérique. »
André Delacharlerie est responsable de L’Observatoire du numérique et du programme Education à l’Agence du Numérique. Selon le dernier Baromètre 2021 de maturité numérique des citoyens wallons1, l’Agence du Numérique et du Service Public de Wallonie recommande plus d’éducation au numérique et plus d’inclusion de tous.
Ainsi, l’éducation du numérique doit être renforcée à plusieurs niveaux :
- dès l’école fondamentale par une éducation aux concepts du numérique et par une utilisation du numérique dans tous les apprentissages ;
- dans les formations qualifiantes auprès des Jeunes (IFAPME) et les demandeurs d’emploi (FOREM) ;
- au long du parcours professionnel par la formation continuée dans les entreprises ;
- pour tous les citoyens par des actions de soutien à l’inclusion dans le monde associatif et des programmes d’éducation permanente via les grands médias.
En parallèle, il est important que des actions d’aide à l’équipement et à la connexion des plus démunis soient mis en place tout en veillant à l’ergonomie des interfaces informatiques.
Un bilan ?
L’ensemble de ces interventions illustre combien il est important que la santé et les actions de promotion de la santé soient inscrites au sein de toutes les politiques de manière à développer une action de santé publique efficace et collective.
À l’heure où l’on prône l’universalisme proportionné dans les actions de promotion de la santé, il est décevant de constater que dans la gestion d’une crise sanitaire comme celle du COVID, tout a été géré de manière universelle. Il est important de donner les moyens aux individus d’adopter les réponses efficaces pour mieux gérer les impacts de cette crise.
Cependant, concluons sur une note positive en soulignant que durant cette crise de nombreuses initiatives solidaires et bénévoles ont vu le jour. Et pour reprendre les mots de Marius Gilbert : « Remettre le collectif au cœur de nos sociétés, voilà bien le défi pour demain ».
[1] Ce baromètre vient d’être publié très récemment et porte sur 2 184 réponses qui ont été collectées entre le 28 janvier et le 19 mars 2021 auprès d’un échantillon de la population résidant en Wallonie et âgée de 15 ans et plus. Cet échantillon a été structuré de manière à garantir une représentation valide des deux genres, de toutes les classes d’âge, des différentes catégories socioprofessionnelles, des différents niveaux d’éducation et de tous les types de ménages. La collecte s’est effectuée au départ d’une sollicitation téléphonique réalisée pour 70% sur des numéros de lignes mobiles et pour 30% sur des lignes fixes