L’approche des compétences psychosociales en promotion de la santé est souvent abordée dans la littérature mais n’est pas encore assez visible concrètement sur le terrain. En quoi cette approche est-elle un levier en promotion de la santé ? Comment les intervenants éducatifs peuvent-ils l’intégrer dans leurs pratiques pour soutenir la santé mentale des enfants et des jeunes ?
Beaucoup d’encre a coulé sur les effets de la crise sanitaire sur la santé mentale, en particulier celle des jeunes. Des pistes d’actions émergent peu à peu. Nous avons voulu nous pencher sur une approche qui agit en amont des problèmes de santé mentale et plus généralement de comportement de santé, celle des compétences psychosociales (CPS). En quoi cette approche soutient-elle le développement global de la personne ? En quoi favorise-t-elle le développement des facteurs de protection de la santé ?
Compétences psychosociales (CPS) et promotion de la santé
L’émergence de cette approche dans le champ de la prévention et la promotion de la santé a été fort liée à l’évolution même du concept de santé, qui est passé de l’absence de maladie à un état de bien-être physique, mental et social, et une ressource de la vie quotidienne.
En 1986 déjà, la Charte d’Ottawa identifie comme stratégie d’intervention le renforcement des aptitudes individuelles et la participation des populations. Même si les CPS n’y sont pas explicitement citées, celle-ci y faisait donc déjà référence par la notion de « life skills » ou « aptitudes indispensables à la vie » avec la finalité de « donner aux individus davantage de maitrise sur leur propre santé ».
Extrait de la Charte d’Ottawa – Acquisition d’aptitudes individuelles
« La promotion de la santé appuie le développement individuel et social grâce à l’information, à l’éducation pour la santé et au perfectionnement des aptitudes indispensables à la vie. Ce faisant, elle donne aux gens davantage de possibilités de contrôle de leur propre santé et de leur environnement et les rend mieux aptes à faire des choix judicieux. Il est crucial de permettre aux gens d’apprendre à faire face à tous les stades de leur vie et à se préparer à affronter les traumatismes et les maladies chroniques. Ce travail doit être facilité dans le cadre scolaire, familial, professionnel et communautaire et une action doit être menée par l’intermédiaires des organismes éducatifs, professionnels, commerciaux et bénévoles et dans les institutions elles-mêmes.«
Ce n’est que dans les années 90 que le concept des compétences psychosociales est explicitement introduit par l’OMS qui les définit comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement. Les CPS ont un rôle important à jouer dans la promotion de la santé dans son sens le plus large, en termes de bien-être physique, mental et social »[1].
Même si cette définition reste une référence, Santé publique France [2] l’a récemment actualisée et définit les CPS comme « un ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives » [3].
Nous remarquerons que les termes utilisés pour désigner les CPS varient en fonction des disciplines. En promotion de la santé, on parlera de compétences psychosociales ou compétences utiles à la vie (life skills). Dans les champs de l’éducation et de la prévention, on parle plutôt de compétences sociales et émotionnelles ou compétences socio-émotionnelles. Les économistes mentionnent les termes de compétences socio-comportementales et compétences sociales ou compétences transversales [4].
Classification des CPS
Afin de compléter les aspects théoriques, il nous semble utile de mentionner les diverses classifications de CPS développées. Elles nous permettent en effet de mieux cerner le concept et ce qu’il revêt.
La première classification est celle développée par l’OMS dans les années 90 qui présente les CPS en 5 couples de compétences : savoir résoudre des problèmes- savoir prendre des décisions ; avoir une pensée créative – avoir une pensée critique ; savoir communiquer efficacement – être habile dans les relations interpersonnelles ; avoir conscience de soi – avoir de l’empathie pour les autres ; savoir gérer son stress – savoir gérer ses émotions.
L’OMS présente ensuite, en 2001, une classification en 3 groupes de CPS : cognitives, émotionnelles et sociales. Enfin, en 2021, Santé publique France identifiera 9 CPS générales (comprenant au total 21 CPS spécifiques) : 3 CPS cognitives (avoir conscience de soi, capacité de maîtrise de soi, prendre des décisions constructives) ; 3 CPS émotionnelles (avoir conscience de ses émotions et de son stress, réguler ses émotions et gérer son stress); 3 CPS sociales (communiquer de façon constructive, développer des relations constructives, et résoudre des difficultés). [5]
Cette classification théorique nous permet probablement d’y voir un peu plus clair mais ce qui nous intéresse en promotion de la santé c’est surtout de comprendre comment s’exerce une CPS et comment celle-ci peut avoir un effet sur la santé et le bien-être.
L’exercice des CPS
Pour mieux comprendre à quoi correspond l’exercice d’une CPS, passons par la définition du terme compétence. Celle-ci est définie par Tardiff comme « un savoir agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » [6]. Les compétences sont psychosociales lorsqu’elles font appel aux ressources cognitives, émotionnelles et sociales. C’est en mobilisant ces ressources de façon combinée et appropriée, que l’on exerce une compétence psychosociale face aux aléas de la vie [7].
Des compétences représentent donc des habilités, des aptitudes… les CPS peuvent donc s’apprendre, se cultiver, être modifiées, renforcées. Elles se développent notamment grâce aux interactions familiales et sociales tout au long de la vie. La mobilisation des ressources qui composent les CPS est influencée et déterminée par trois éléments : la situation (ou contexte), l’état émotionnel et physique de la personne, les expériences personnelles passées. [8]
On comprendra que les CPS se vivent dans l’action : c’est face à une situation que l’on exerce une compétence psychosociale. Par exemple, une personne fait face à une situation stressante, c’est dans ce contexte qu’elle fera appel à ses ressources sociales, émotionnelles et/ou cognitives pour les mobiliser et agir face à cette situation.
Les CPS comme facteurs de protection
La santé mentale ne se résume pas à une absence de troubles psychologiques. Elle inclut des aspects liés au bien-être, la joie de vivre, l’optimisme, la confiance en soi, la capacité relationnelle et la régulation émotionnelle. Il ne s’agit pas d’un état figé mais d’une recherche constante d’équilibre entre contraintes et ressources. [9]
Comme la santé globale, la santé mentale dépend d’une multitude de facteurs qui interagissent entre eux. Certains y sont favorables (les facteurs de protection) et d’autres le sont moins (les facteurs de risques). Ces facteurs qui comprennent non seulement les caractéristiques individuelles d’une personne mais également le contexte socio-économique dans lequel elle vit, son environnement ou encore la société dans laquelle elle est intégrée. Ces déterminants s’influencent mutuellement et c’est de leur combinaison que résulte l’état de santé mentale d’une personne. A titre d’exemple, l’isolement social, la pauvreté, le chômage ou l’échec scolaire influent négativement sur la santé mentale ; à l’inverse le soutien social, de bonnes relations familiales, la sécurité économique ou la réussite professionnelle représentent des facteurs protecteurs.
Soutenir le développement des CPS, c’est augmenter les ressources des individus pour qu’ils puissent agir favorablement sur leur santé dans leurs choix de vie. En effet, des CPS peu développées peuvent être à la source de divers comportements défavorables à la santé : être incapable de gérer un échec, subir un aléa de la vie, des émotions, un stress, avoir des difficultés à faire des choix…
Mais c’est aussi agir sur les contextes de vie pour que les personnes soient placées dans des conditions favorables à l’exercice de l’une ou l’autre CPS.
Si par exemple, des jeunes ont la capacité d’exprimer une opinion ou des propositions mais que le cadre scolaire ou familial ne laisse pas la place à l’avis des jeunes ou n’en tient pas compte, ce contexte n’est alors pas cohérent et ne soutient pas l’exercice de CPS dans une approche d’empowerment. Il n’occasionnera alors que des frustrations chez les jeunes. A contrario, un cadre favorable leur permettra de développer voire de renforcer leurs compétences psychosociales.
Renforcer les CPS c’est donc contribuer à améliorer des facteurs de protection, c’est en cela que l’approche constitue un levier en promotion de la santé. Les CPS sont aujourd’hui reconnues comme un déterminant majeur de la santé et du bien-être. Elles se situent à la jonction entre le champ de la promotion de la santé et celui de la prévention de problèmes de santé physique et de santé mentale. [10]
Les bénéfices de l’approche
Il est à noter que les CPS sont considérées comme des « compétences transversales, génériques et interdisciplinaires, se caractérisant par un haut niveau de transférabilité, et une mobilisation à large spectre transcendant les milieux, disciplines et secteurs d’intervention« . [11]
Plusieurs programmes de développement des CPS existent, certains optent pour une approche thématique (autour d’un problème de santé comme le tabagisme), d’autres optent pour une approche plus globale de développement positif : donner des ressources et promouvoir la santé et le bien-être. Les données de recherche ont mis en évidence les bénéfices du renforcement des CPS : il favorise l’adaptation sociale et la réussite éducative, il contribue à prévenir la consommation de substances psychoactives, les problèmes de santé mentale ainsi que les comportements violents et les comportements sexuels à risque. [12]
En milieu scolaire, les recherches ont identifié les bénéfices des interventions portant sur le renforcement des CPS : une amélioration significative de l’estime de soi, des relations positives avec les pairs et les enseignants, de leurs résultats scolaires, et une réduction des symptômes de stress, d’anxiété et de dépression, ainsi qu’une diminution des violences et du harcèlement en contexte scolaire.
Les CPS développées améliorent donc le bien-être psychologique, la qualité relationnelle, les comportements favorables à la santé, l’empowerment [13], la capacité de résilience [14], ainsi que la santé globale.
Pour que des bénéfices soient observés, des critères d’efficacité ont été mis en évidence et élaborés grâce à l’évaluation de programmes CPS. Le développement des CPS n’est pas une recette miracle mais reste un déterminant majeur de la santé globale. Il est cependant important de tenir compte de certains critères d’efficacité afin de pouvoir favoriser l’émergence des bénéfices des actions et projets. Ainsi plusieurs facteurs clés ou critères d’efficacité ont été mis en en évidence grâce à l’étude et l’évaluation de programmes CPS (disponibles au niveau international). [15]
Renforcer les CPS, oui mais comment?
Les parents sont bien entendu en première ligne lorsque l’on parle du renforcement des CPS des enfants et des jeunes. Mais les professionnels de l’éducation sont également des acteurs incontournables. C’est dans leurs différents milieux de vie que les enfants et les jeunes se développent et évoluent en relation avec les autres.
Le renforcement des CPS passe par trois axes principaux : l’expérimentation et la généralisation des expériences, la posture des intervenants éducatifs et la mise en place d’environnements favorables.
Les professionnels et bénévoles travaillant avec les enfants et les jeunes peuvent contribuer au renforcement des CPS de leurs publics grâce à l’animation d’ateliers collectifs expérientiels. Ces ateliers, mis en place de manière régulière, sont structurés selon une trame précise qui permet le développement des CPS.
La pédagogie expérientielle et participative est essentielle et permet aux enfants et aux jeunes d’expérimenter des situations, de se questionner, et de réfléchir au transfert des CPS dans la vie de tous les jours. La partie réflexive est essentielle.
De plus, par sa manière d’interagir avec l’enfant ou le jeune, l’intervenant va contribuer au développement des CPS du jeune mais également de ses propres CPS. Cela passe donc par une posture professionnelle soutenant le développement des CPS.
Enfin, l’action sur les contextes favorables à l’exercice des CPS concerne notamment la création d’un cadre bienveillant et sécurisant nécessaire pour la participation aux ateliers mais aussi en intégrant cette approche à toutes les pratiques plus informelles comme l’accueil, les moments « hors activité ».
Pour en savoir plus
La MC, en collaboration avec Ocarina et Cultures&Santé, organise en 2023 des journées de sensibilisation à destination des intervenants éducatifs dans plusieurs régions (les lieux seront précisés ultérieurement)
Ces journées seront l’occasion de découvrir l’approche des CPS en promotion de la santé et de l’expérimenter via des ateliers.
Cela se passera :
- Le 28/03 (Namur)
- Le 4/04 (Nivelles)
- Le 27/04 (Verviers)
- Le 23 mai (Charleroi)
- Le 17/10 (Mouscron)
- Le 14/11 (Bastogne)
- Le 21/11 (Liège)
- Le 28/11 ou 05/12 (Bruxelles) (date à confirmer)
Plus d’info: www.mc.be/competences-psychosociales
Quelques points d’attention
On pourrait penser que cette approche met l’accent sur la responsabilité individuelle et mettrait dans l’ombre les autres facteurs qui influencent la santé comme les facteurs environnementaux et contextuels. Or « la promotion de la santé s’appuie sur de nombreux champs de recherche (sociologie, psychologie, géographie…) qui appréhendent l’individu et la société différemment : au niveau des CPS, cela se traduit par la prise en compte de facteurs sociaux qui relativisent la responsabilité de l’individu. » [16]
Le renforcement des compétences psychosociales, comme toute action de promotion de la santé, tente d’agir simultanément sur plusieurs déterminants de la santé : l’action sur l’environnement de vie a donc toute sa place.
Si par exemple, une action autour des CPS ne tient pas compte des conditions de vie du public, celle-ci peut contribuer à accentuer les inégalités sociales de santé.
Il est à noter aussi qu’une réflexion éthique est nécessaire auprès des intervenants qui par leurs actions contribuent au renforcement des CPS : se focaliser sur certaines compétences au détriment d’autres (par exemple les compétences cognitives plutôt que les compétences sociales) mènerait à stigmatiser les personnes qui ne répondraient pas à ces exigences.
De même, réfléchir et questionner sa posture professionnelle pour qu’elle soit en phase avec l’approche des CPS est essentiel mais peut être perçu comme inconfortable.
Conclusion
L’approche des CPS a toute sa place dans les actions de prévention et de promotion de la santé, encore plus dans nos contextes de crise où chaque personne doit faire appel à ses ressources cognitives, émotionnelles et sociales pour exercer des compétences dans des contextes pas toujours favorables.
Soutenir le renforcement des CPS auprès des enfants et des jeunes c’est investir pour leur bien-être, c’est les aider à développer des facteurs de protection pour leur santé mentale. Les intervenants éducatifs ont un rôle clé à jouer par leur posture professionnelle et les actions qu’ils peuvent mettre en place pour permettre à leurs publics de développer et expérimenter leurs CPS.
[1] World Health Organization, Life skills education in schools, Geneva, WHO, 1997
[2] En France, une stratégie de développement des compétences psychosociales (CPS) interministérielle, est déclinée sur 15 ans (2022-2037). Elle présente des objectifs ambitieux pour qu’au moins 30 % des jeunes de 13 à 18 ans de la « génération 2037 » bénéficient d’interventions pluriannuelles sur les CPS et que cela soit renforcé également auprès des parents et des adultes en première ligne avec les jeunes (enseignants, éducateurs, professionnels de secteur social, de l’insertion etc.).
[5] ibid.
[8] Cultures&Santé, Focus santé n°4, p.7.
[9] Promotion de la santé mentale Genève, Minds, La santé mentale ce n’est pas que dans la tête
[10] LAMBOY B., GUILLEMONT J., « Développer les compétences psychosociales des enfants et des parents : pourquoi et comment ? », Devenir, 2014/4 (Vol. 26), p. 307-325.
[11] Santé publique France, Les compétences psychosociales: un référentiel pour un déploiement auprès des enfants et des jeunes. Synthèse de l’état des connaissances scientifiques et théoriques réalisé en 2021.
[12] ibid.
[13] L’empowerment est un processus ou une approche qui vise à permettre aux individus, aux communautés, aux organisations d’avoir plus de pouvoir d’action et de décision, plus d’influence sur leur environnement et leur vie. (Cultures & Santé)
[14] Résilience : construire après avoir résisté à un traumatisme sévère, une situation déstabilisante, un accident de parcours OU aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques (Larousse).
[15] Santé publique France, Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques, février 2022.
[16] Cultures&Santé, « Compétences psychosociales des adultes et promotion de la santé », Focus Santé n°4, 2016.