Les firmes pharmaceutiques privilégient les actionnaires pour leurs informations sur les médicaments, plutôt que les agences publiques chargées de les réguler.
La Bourse contribue à une dérive insoutenable du prix des nouveaux médicaments. Mais son influence néfaste sur la santé ne s’arrête pas là.Aux États-Unis d’Amérique, l’agence du médicament a critiqué la firme Orexigen Therapeutics pour avoir adressé publiquement à l’autorité boursière du pays des résultats de l’analyse intermédiaire d’un essai clinique sur l’un de ses médicaments. Cette divulgation est de nature à compromettre la validité scientifique de l’essai exigé par l’agence.
En Allemagne, l’autorité chargée de l’évaluation des technologies de santé a reproché à la firme Chiesi d’avoir transmis à l’autorité boursière des Etats-Unis des informations sur l’un de ses médicaments (une thérapie génique). En effet, cette autorité a reçu ces informations, susceptibles de modifier sa décision, de l’autorité boursière étatsunienne et non de la firme.
Dans ces deux cas, une firme a informé en priorité les autorités boursières, et par là-même les opérateurs financiers, de données relatives à la balance bénéfices-risques d’un médicament.
Ces exemples montrent à nouveau le poids des intérêts financiers dans le domaine biomédical. C’est l’occasion de rappeler que les contrôles mis en place dans le domaine du médicament l’ont été en réaction à des catastrophes sanitaires. Ces avancées sont fragiles et parfois remises en cause frontalement. Patients, soignants et autorités sanitaires doivent défendre avec énergie les contrôles du marché du médicament par les autorités sanitaires, contre les appétits envahissants de ceux qui tirent tout ou partie de leurs revenus des opérations boursières.
Les récentes attaques terroristes et les tensions qu’elles ont mises en lumière en Belgique soulignent une nouvelle fois la nécessité de renforcer la connaissance mutuelle et de favoriser le dialogue entre musulmans et non musulmans, pour réduire l’incompréhension et lutter contre le repli sur l’entre soi.Cette conviction a inspiré la Fondation Roi Baudouin, qui a fait réaliser deux études complémentaires sur cette problématique.En octobre 2014, elle publiait un état des lieux des relations entre les musulmans et les non musulmans à Bruxelles réalisé par le Centre Interdisciplinaire d’Études de l’Islam dans le Monde Contemporain (Cismoc) de l’UCL, sous la direction de Brigitte Maréchal: ‘Musulmans et non musulmans à Bruxelles, entre tensions et ajustements réciproques’.Cette étude pointait la difficile construction des relations et les malaises réciproques qui pèsent sur le vivre ensemble, perceptibles en particulier dans certains milieux: écoles, hôpitaux, lieux de travail, institutions, maisons de jeunes, tous lieux au sein desquels émergent des crispations liées à l’accroissement des références à l’islam.Document consultable à l’adresse: https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2014/313315?hq_e=el&hq_m=4042645&hq_l=9&hq_v=7467f0cdb4Plus récemment, la Fondation a publié le rapport d’une recherche-action, également réalisée par l’équipe du Cismoc, dans le prolongement de l’étude de 2014: ‘Musulmans et non musulmans en Belgique: des pratiques prometteuses favorisent le vivre ensemble’Cette recherche identifie et analyse, dans les trois régions du pays, des pratiques, des projets, des connaissances, des compétences et des attitudes qui favorisent le dialogue entre musulmans et non musulmans, dans les domaines de l’éducation, de la jeunesse, de la culture, du travail, de la santé, des médias et du dialogue interconvictionnel.Par la valorisation de ces pratiques dites ‘prometteuses’, la Fondation espère inspirer d’autres acteurs, contribuer ainsi à (re)créer un climat de confiance et à renforcer la cohésion sociale.Document consultable à l’adresse: https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2015/20151123_AD?hq_e=el&hq_m=4042645&hq_l=8&hq_v=7467f0cdb4
Ce texte est adapté de la note ‘Avis d’initiative émanant du Groupe permanent de suivi de la Convention internationale des droits de l’enfant (GP CIDE) relatif à la transversalité des politiques publiques relatives aux enfants et aux jeunes’ référencée en fin d’article.
Les bénéfices escomptés
La transversalité est devenue un mot d’ordre gorgé de promesses. L’Observatoire de l’Enfance, la Jeunesse et l’Aide à la Jeunesse (OEJAJ) n’est d’ailleurs pas en reste en la matière, lui qui, déjà en 1999, était institué pour promouvoir une meilleure articulation entre les différentes politiques sectorielles qui visent les enfants et les jeunes. L’appel à la transversalité n’a cessé, depuis, de nourrir tous les discours.
C’est que les bénéfices escomptés de la transversalité sont nombreux et intuitivement évidents… surtout par les dommages que son absence induit: manque de cohérence, perte de temps et d’énergie dus à la multiplication d’initiatives et de politiques qui s’ignorent, redondances, effets contre-productifs, voire effets pervers.
Des politiques transversales sont donc censées limiter ou écarter ces dommages: en mutualisant les énergies, en visant la cohérence, en créant des effets multiplicateurs.
En impliquant des acteurs de secteurs différents, elle est également censée favoriser l’accès de chacun-e aux informations, aux outils et à la diversité des approches des uns et des autres.
D’un point de vue politique, elle permet parfois aussi de maintenir à l’agenda des thèmes peu visibles pour l’opinion publique.
Mais la transversalité trouve surtout sa raison d’être et sa plus-value en recentrant l’attention sur le bien-être et les droits de tous les enfants et de tous les jeunes, dans leur globalité et leurs différentes facettes, comme nous y incite la Convention internationale des Droits de l’Enfant (CIDE).
Les obstacles
Si la nécessité de politiques et d’actions transversales en faveur des enfants et des jeunes fait consensus, leur mise en œuvre concrète demeure cependant périlleuse.
Les obstacles à la collaboration se situent à trois niveaux:
au niveau des autorités de tutelle, il est difficile de neutraliser les rapports de pouvoir existant entre les différents champs de compétences;
au niveau des secteurs, les opérateurs institués veillent chacun à exercer leurs missions dans leur propre champ d’action et des difficultés peuvent être rencontrées au croisement des différentes prérogatives;
au niveau des acteurs individuels, l’absence de culture et de références communes, de même que la méconnaissance de la réalité et des logiques d’action de l’autre, peuvent entraver la construction d’une politique transversale.
Ces constats ne sont pas insurmontables. Plusieurs exemples réussis montrent que le temps, la communication entre acteurs, l’information permettent de franchir les difficultés initiales inhérentes aux exercices de collaboration. Autrement dit, il faut pouvoir prendre en considération la culture, le vocabulaire, le contexte, les missions et les marges de manœuvre de chacun des acteurs, ce qui nécessite la mise en place de dispositifs où les différentes parties prenantes sont mises sur un pied d’égalité.
On constate également que les personnes qui ont connu un parcours professionnel transectoriel ou transdisciplinaire ont une approche positive de la transversalité et s’engagent plus facilement dans la coopération intersectorielle.
Les leviers de la transversalité
Plusieurs enseignements ont pu être tirés de ces exemples positifs et réussis: ils constituent autant de leviers pour mener des actions transversales et consolider les collaborations et les synergies entre acteurs.
On ne les reprendra pas tous ici mais on pointera plus particulièrement ceux qui concernent le plus directement les acteurs de terrain eux-mêmes:
La reconnaissance des identités propres des acteurs et de la diversité de leurs références et de leurs cultures est le terreau préalable à la construction d’une démarche transversale, les acteurs ne pouvant s’ouvrir aux autres et collaborer véritablement que si leurs qualités propres sont connues et reconnues. L’objectif est de co-construire un projet transversal tout en veillant à clarifier ensemble les missions de chacun dans son champ de compétences en lien avec celui des autres, d’articuler (distinguer et relier) les missions spécifiques et de faire émerger des points communs et des dynamiques transversales;Il est important que la participation des différents acteurs fasse sens pour chacun afin de les maintenir mobilisés. Les acteurs doivent pouvoir s’approprier la politique et les actions menées. Pour cela, la définition d’une stratégie globale claire et cohérente, de même que l’implication des décideurs politiques sont nécessaires;
La participation des bénéficiaires, à savoir les enfants et les jeunes, doit être prévue de manière à assurer la pertinence de la politique. Mais il faut des conditions particulières de temps, de formation, de langage, de clarté… pour impliquer les premiers intéressés (voir l’article ‘Qui a peur de la participation des enfants et des jeunes?’ dans ce numéro);
Les instances et les lieux de transversalité doivent être si possible pérennes et dynamiques. Pour y faciliter la participation des acteurs, il est indispensable de rendre leurs modalités organisationnelles lisibles, cohérentes, et harmonieuses. De plus, il est important de disposer d’un coordinateur clairement identifié pour piloter le processus de transversalité. Le rôle de correspondant est également essentiel pour assurer l’articulation entre l’organe transversal et les secteurs spécifiques;
Il est essentiel de promouvoir la transversalité à l’échelon opérationnel également. À ce titre, les protocoles de collaboration impliquant les acteurs de terrain constituent des initiatives à promouvoir. Ils favorisent la mise en relation des opérateurs, les incitent à prendre en considération la culture de l’autre et à formaliser concrètement les champs d’intervention de chacun (voir Collaborations et protocoles à l’adresse);
Les synergies en réseau entre secteurs sont également un vecteur de transversalité (ex.: séminaires sur la lutte contre la pauvreté mis en place par le Délégué général aux droits de l’enfant, l’ONE et la Direction générale de l’Aide à la Jeunesse; formations conjointes du personnel de l’ONE et de l’aide à la jeunesse en matière de prévention de la maltraitance).
Le mercredi 14 octobre 2015 était présenté le Plan d’action e-Santé par les autorités publiques compétentes. À cette occasion, Maggie De Block, Ministre de la Santé, a rappelé que le processus de l’eSanté ne peut se développer sans l’engagement des patients.
La Ligue des Usagers des Services de santé, membre actif du Comité de Concertation des Utilisateurs de la Plateforme eHealth, réaffirme son soutien et encourage la mise en place d’outils qui aideront le patient dans la prise en charge de sa santé. Elle tient aussi à attirer l’attention des autorités sur un élément clé pour la concrétisation de ce Plan, le consentement éclairé du patient. Il constitue le sésame ouvrant différents types d’échanges de données (hub-metahub, dossier pharmaceutique partagé et d’autres à venir).
Le consentement éclairé du patient est l’élément fondateur permettant l’entrée du patient dans le système. Ce geste proactif du patient doit se faire en pleine connaissance de cause, car il est un signe de la confiance du patient dans le système.
Actuellement, les patients sont trop rarement correctement informés sur la portée de leur consentement. Diverses actions de la LUSS (concertations menées avec les associations de patients, séance d’information, etc.) nous amènent à constater que lorsque le patient donne son consentement à l’hôpital ou chez le médecin, il pense donner ce consentement uniquement pour l’échange de données entre médecins et hôpitaux. Il n’a, en général, pas conscience qu’il a aussi donné son consentement au pharmacien pour ouvrir un dossier pharmaceutique partagé, ainsi que pour les échanges entre les autres prestataires de soins (dentiste, infirmier, kiné, …) qui rejoindront bientôt la liste des professionnels de la santé pouvant échanger les données de santé de leurs patients. La LUSS demande fermement, comme annoncé par les autorités, que le patient se voie confirmer son consentement par un courrier officiel.
La LUSS rappelle que le patient est la première personne concernée par l’échange de données. Elle insiste fortement sur la nécessité d’une communication correcte, complète et réaliste de la portée du consentement. Il est obligatoire que le patient sache où et par qui ses données seront partagées. Il doit pouvoir consentir ou refuser en toute connaissance de cause. Sans cela, le système perd toute notion de confiance sur lequel il doit être basé.
Pour faire du partage électronique de données de santé un outil performant, il est désormais plus que temps que tous les acteurs concernés, notamment les professionnels de santé, se saisissent de l’opportunité d’améliorer la prise en charge et le suivi des patients.
La LUSS appelle les autorités à faire vraiment du patient l’acteur concerné qu’il doit pouvoir être et à faire du Plan eSanté un système qui évolue de manière durable en veillant à combiner le respect du patient avec le souci d’efficacité. Il en va de la sécurité du patient et du respect de son rôle dans le processus!
Elle a édité à l’intention du grand public le dépliant ‘Votre santé au centre de nos préoccupations – Guide du consentement éclairé pour le partage électronique des données de santé’.
On vit de plus en plus longtemps, de quoi se réjouir: la plupart d’entre nous n’ont pas envie de quitter le monde trop tôt. Pourtant, ce constat suscite en général des regards plutôt lourds: d’un côté, focalisation sur les problèmes liés au vieillissement démographique (maladie, dépendance, poids des vieux sur la sécurité sociale, concurrence intergénérationnelle, etc.). De l’autre, analyse, décodage, déconstruction: sociologues, anthropologues, historiens, philosophes, experts en santé publique et bien d’autres conjuguent leurs efforts pour cerner le sujet.
Et cela n’a pas l’air facile: on est frappé de voir la part que prend, dans tout ce foisonnement, la définition même du sujet: c’est quoi un vieux, qu’est-ce que la vieillesse a de spécifique… Bref, de quoi parle-t-on?
La dernière livraison de Santé conjuguée, le périodique de la Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones, consacre un épais dossier à la problématique des vieillissements.
La vieillesse, ça n’existe pas, affirme Michael Singleton dans un texte passionnant évoqué en première partie de ce dossier: c’est un concept, qui n’a pas d’existence tangible dans la réalité. L’erreur serait d’oublier que les concepts et les classifications, certes utiles pour débroussailler quelque peu la complexité du monde, traitent d’abstractions et non de vivants: «n’existent que des vivants, les uns tout aussi irréductiblement singuliers et historiquement situés que les autres». Et ces vivants ne deviennent pas des ‘vieux’ d’un jour à l’autre: tous les bébés se réveillent un peu plus vieux chaque matin.
Il est dès lors plus juste de parler des vieillissements, en tant que processus qui se déroulent au long cours selon des manières et des temporalités infiniment variées, dans une multiplicité de positions subjectives, elles-mêmes fluctuantes et incertaines.
Mais n’avons-nous pas souvent tendance à ranger l’autre dans une catégorie à partir d’une de ses facettes (la nationalité, le sexe, la couleur de peau…)? Un tel étiquetage fait violence aux personnes ainsi désignées, surtout lorsqu’elles-mêmes y adhèrent faute de pouvoir l’analyser et y résister: ainsi, certaines études montrent que les personnes ayant une image négative du vieillissement récupèrent moins vite leur autonomie après une période de dépendance. L’épidémiologiste Antoine Flahaut en concluait, dans un précédent dossier, qu’il est urgent de bousculer les stéréotypes assassins.
Subjectivités et EBM
Alain Cherbonnier ouvre ainsi le sujet: après avoir exprimé le vécu personnel d’un «membre du public cible», il analyse les représentations et le vocabulaire relatif aux «personnes âgées». Ensuite, Michael Singleton nous emmène ailleurs, à d’autres époques, avec un petit voyage qui vient bousculer toutes les évidences: pas de doute, nous n’avons pas affaire à un phénomène naturel mais bien à une construction sociale qu’il convient d’examiner avec attention – et de déconstruire minutieusement.
Les soignants de première ligne sont aux prises avec ces questions, eux qui accompagnent les patients «du berceau au tombeau». Et l’on perçoit, à travers ceux qui s’expriment dans la deuxième partie de ce dossier, l’importance de leur rôle: ils peuvent accélérer le vieillissement d’une personne s’ils adoptent un regard stéréotypé, ou au contraire soutenir son trajet de vie en le rencontrant de manière singulière. Prendre une position juste implique d’articuler sans cesse la subjectivité – la leur, celle de leurs patients – et l’Evidence Based Medicine; la pratique et la théorie; le soin et l’engagement social. Mais ils ne sont pas à l’abri des sentiments d’impuissance, de colère parfois: l’organisation du système de santé ou, plus largement, le système social dans lequel il s’inscrit, produit souvent l’impasse. C’est notamment le cas lorsque surviennent des problèmes de dépendance qui menacent la possibilité de terminer sa vie chez soi.
Les témoignages recueillis par Madeleine Litt, ainsi que ceux de Miguelle Benrubi et de Stefania Marsella, montrent bien que la question sociale traverse toujours les questions de santé. Jusqu’à la mort elle-même: plus les gens sont pauvres, plus ils risquent de mourir à l’hôpital, s’indignent Michel Roland et Marie-Louise Fisette. Jetant un regard sur leur longue carrière de médecin et d’infirmière en maison médicale, ils rappellent que seule une approche interdisciplinaire permet d’aborder à temps et de manière adéquate les différentes facettes du vieillissement.
La mort, largement occultée dans notre société, est bien présente dans les propos et les soucis éthiques des soignants: Martine Verhelst montre, grâce à une réflexion sensible menée avec des patients venus d’ailleurs, à quel point l’histoire de la mort est aussi celle du trajet de vie.
Tandis que Thierry Pepersack qui travaille, lui, en deuxième ligne puisqu’il est gérontologue, soulève la question de l’acharnement thérapeutique à travers l’histoire de Philomène: une vieille dame dont le parcours émaillé de solitude, de dépression et de maladie d’Alzheimer, permet d’aborder beaucoup d’autres questions rencontrées par les soignants.
La troisième partie de ce dossier dépasse la première ligne des soins pour approfondir certains aspects du maintien à domicile. Des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles évoquent une récente étude, réalisée dans le cadre d’un programme soutenu par l’INAMI, sur l’efficience respective de différentes modalités d’accompagnement du grand âge. Une autre équipe, pluri-institutionnelle, propose des modalités d’action communautaire propres à soutenir le maintien à domicile – en analysant dans un second temps les obstacles à ce type d’approche. Marinette Mormont, elle, décrit différentes options d’habitats alternatifs visant le «bien vieillir ensemble» – et elle questionne: pistes d’avenir ou luxe de privilégiés?
Regard panoramique pour la dernière partie de ce dossier: Pierre Drielsma propose une réflexion détaillée sur la manière dont le système capitaliste influence les relations intergénérationnelles et la perception des «vieux», Christian Legrève pointe la question du travail après la retraite, nous évoquons certaines analyses qui mettent en garde contre les fausses évidences souvent répandues en matière de coût du vieillissement.
En point d’orgue, une réflexion de l’association ‘Courants d’âge’ qui débusque avec vigilance les dessous économiques des politiques européennes prônant le vieillissement actif.
Beaucoup d’autres contributions auraient pu être sollicitées: le lecteur trouvera quelques références utiles en conclusion de ce dossier.
Santé conjuguée n° 72, dossier ‘Devenir… Regards sur les vieillissements, 10 euros. Abonnement annuel (frais de port compris): 30 euros Belgique, 40 euros CEE, 50 euros autres pays. Courriel: fmm@fmm.be. Internet: https://www.maisonmedicale.org.
Antoine Flahaut, «Élixir de jouvence», Santé conjuguée n° 65 juillet 2013.
La prévention est aujourd’hui au cœur de nos politiques de santé. Mais prévenir sans raison garder, c’est aussi ouvrir la voie à une anxiété sans limites, que ce soit celle des usagers ou des professionnels de la santé. En luttant contre cette hypocondrie généralisée, la prévention dite ‘quaternaire’ entend nous protéger de la surmédicalisation. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, nous ne sommes pas tous malades!
«Primum non nocere» («D’abord ne pas nuire»): voici l’un des principes essentiels dans l’exercice médical. Pourtant, aujourd’hui, sous l’effet conjoint de la financiarisation de l’industrie pharmaceutique et de politiques publiques de santé tentées par le risque zéro, de nombreux médecins se sentent entraînés malgré eux vers le surdiagnostic et, en corollaire, vers la surmédicalisation. Pour un médecin, «ne rien faire» est devenu un acte de résistance qui suppose certains risques, comme celui de voir ses patients s’en aller en quête d’un autre prescripteur ou comme de s’exposer à la ‘faute médicale’ – car il semble que l’on soit généralement plus sévère envers celui qui n’agit pas qu’envers celui qui agit, même à tort.
Ne pas prescrire lorsque ce n’est pas nécessaire, c’est pourtant protéger ses patients des effets secondaires, de la dépendance aux médicaments ou encore de frais inutiles. C’est aussi leur redonner confiance en leurs capacités d’aller bien.
Ces dérives de la pratique médicale que n’aurait pas dédaignées le Molière du «Malade imaginaire» restent pourtant peu débattues aujourd’hui. Le silence est d’autant plus pesant que les médias, sans même parler des pressions directes qu’exerce sur certains d’entre eux l’industrie pharmaceutique, se perçoivent souvent comme les relais nécessaires des politiques de prévention, mettant ici l’accent sur la journée du diabète, là sur les nouveaux chiffres de l’hypertension, ici encore sur la nécessité du vaccin contre le papillomavirus.
Avertir son prochain sur les dangers du tabac, de l’alcool et de la malbouffe – nouveaux péchés mortels – est devenu un devoir civique auquel journalistes et citoyens bien intentionnés se plient volontiers. Et pourtant, comme le très sérieux épidémiologiste anglais Richard Wilkinson, auteur de «Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous» (Les Petits Matins, 2013), le rappelait récemment, si on considère l’ensemble des facteurs de risque, «ne pas avoir d’amis est plus nocif pour la santé que de fumer». Façon un peu rieuse de dire que l’importance de la composante psychosociale a souvent tendance à disparaître sous les campagnes massives de prévention qui, en compartimentant la santé en problématiques isolées, nous font oublier l’essentiel.
La prévention manquante
Marc Jamoulle, médecin de famille à Gilly depuis 40 ans, ne sait que trop à quel point il est devenu compliqué de mettre en cause les politiques de santé. Inspiré par les idées d’Ivan Illich, penseur de l’écologie politique, et du psychiatre Michael Balint, auteur du «Médecin, son malade et la maladie», il a élaboré dès 1986 le concept de ‘prévention quaternaire’ avec son ami le Dr Michel Roland. Ce concept, qui désigne l’attitude visant à protéger la population de la surmédicalisation, a ensuite été accepté par le Comité international de classification de la WONCA (Organisation mondiale des médecins généralistes) et sa définition publiée en 2003 dans le WONCA Dictionary of General/Family Practice.Pour l’élaborer, Marc Jamoulle est parti d’un schéma très simple: le ressenti du patient est placé en abscisse et la quête du médecin en ordonnée. En traçant une croix au milieu de ce carré, on obtient alors une table à double entrée et quatre situations différentes, qui construisent une typologie de leurs relations au fil du temps.
La première situation est celle du patient qui se sent bien et du médecin qui ne trouve pas de maladie. Elle correspond aux actions de prévention primaire: immunisation mais aussi éducation thérapeutique. Mais chez ces mêmes patients qui se sentent bien, le médecin peut aussi pratiquer un dépistage: il va alors, en prescrivant par exemple une mammographie, parier sur la présence d’un cancer chez sa patiente. On parlera de prévention secondaire. Le troisième cas correspond à la situation où le patient est effectivement malade et où le médecin le sait: il va alors le soigner mais aussi tenter d’éviter les complications liées à sa maladie: c’est ce qu’on appelle la prévention tertiaire.
Mais que se passe-t-il dans le carré restant? «Il recouvre ces cas très fréquents où le patient se sent mal et où le médecin ne trouve rien», explique Marc Jamoulle. «C’est à ce moment que deux anxiétés se rencontrent. Le patient a peur et se demande s’il n’a pas la même maladie que son voisin. Le médecin se demande s’il n’est pas en train de passer à côté de quelque chose de grave. C’est alors que se pose la question des examens complémentaires. Si le médecin s’y refuse, le patient cherche souvent un autre dispensateur. La rencontre de ces deux angoisses est donc en grande partie responsable d’importantes dépenses de santé inutiles».
Car c’est un fait: l’idée que nous sommes tous ‘malades’ s’est progressivement imposée. Alzheimer, cancer, dépression: les statistiques sont si alarmantes que nous ne voyons pas comment nous-mêmes y échapperions. Comme si ça ne suffisait pas, Internet a engendré une population non négligeable de ‘cybercondriaques’ qui écument les forums en envisageant le pire…
Par leurs études et leur formation, les médecins sont de leur côté éduqués à chercher et à trouver la maladie. Ils forment donc avec les patients d’aujourd’hui un duo détonant face auquel la prévention quaternaire apporte une réponse raisonnable.
La souffrance n’est pas la maladie
Les malades imaginaires ou ‘worried well’ comme disent les Anglo-saxons ne sont bien sûr pas d’affreux menteurs mais souvent de grands anxieux en quête de diagnostic. «Une femme vient me voir en me disant qu’elle est dépressive. Si j’en reste là, il y a beaucoup de chances qu’elle ressorte dix minutes plus tard avec sa prescription d’antidépresseurs. Mais si je parle avec elle et que j’ouvre la boîte de la parole, elle me dira ce qui ne va pas… C’est pourquoi j’ai toujours une boîte de Kleenex sur mon bureau! J’ai récemment eu une patiente dans ce cas: après deux grossesses, elle était visiblement en deuil de son ancien corps. Or un deuil n’est pas une maladie», explique le Dr Jamoulle. Certes, il est le premier à le rappeler: les médecins ne sont pas des psys. Mais ils ne sont pas non plus de simples prescripteurs. «On peut reconnaître la souffrance sans reconnaître la maladie. Or, aujourd’hui, à l’heure où les prêtres disparaissent, nous, les médecins, sommes les seuls payés pour entendre la plainte. Il est certain que nous ne devons pas passer à côté d’une situation dramatique mais nous devons aussi pouvoir dire à nos patients: vous êtes bien portant mais triste ou en deuil et je vous refuse d’être malade», explique-t-il.
Cette tentation de médicaliser toute souffrance est aussi révélatrice de la frontière que nos sociétés s’évertuent à tracer entre les maux de l’âme et ceux du corps, ces derniers apparaissant souvent comme moins honteux. Tous les spécialistes de la douleur chronique, pourtant, vous le diront: ce n’est pas parce que la souffrance physique est réelle qu’elle n’est pas étroitement en lien avec la souffrance psychique. «Notre formation nous pousse à être dualistes mais il faut résister à cela. Quatre patientes sont récemment venues me voir avec un diagnostic de fibromyalgie. Mais il se trouve que trois d’entre elles sont des femmes battues… Quant à la dernière, il semblerait qu’elle soit en réalité atteinte d’une grave maladie rhumatismale qui n’avait pas été diagnostiquée», poursuit le Dr Jamoulle. Par ailleurs, pour ce médecin de famille, l’élaboration de certaines catégories diagnostiques telle la fibromyalgie relève surtout d’un mélange d’ignorance, d’incompétence et de culpabilité de la part des médecins. «C’est impensable aujourd’hui de dire à une patiente: vous souffrez énormément mais nous ne savons pas ce que vous avez.»
De la Belgique à l’Amérique du Sud
Reconnue au niveau international, la prévention quaternaire n’en reste pas moins marginale dans la formation académique des médecins. Mais à l’heure où les scandales liés à l’industrie pharmaceutique ont ébranlé la confiance, les jeunes professionnels sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser, désireux de revenir vers une médecine davantage centrée sur le patient.La médecine basée sur les preuves, communément appelée ‘Evidence Based Medicine’(EBM), est bien sûr la première voie pour éviter la surmédicalisation: parce qu’elle permet d’évaluer les bénéfices ou dommages à partir d’études cliniques, elle autorise un dialogue argumenté et fructueux avec le patient.
Reste à prendre en compte son histoire personnelle, contrepoint nécessaire aux recommandations à large échelle. Cette approche appelée ‘Narrative based Medicine’ permet non seulement de tenir compte des antécédents familiaux et personnels de chacun mais aussi de mettre à profit le lien de confiance entre le patient et le médecin. «Nous, médecins généralistes, travaillons dans le temps, ce qui veut dire que l’acte thérapeutique que nous posons aujourd’hui devient une prévention pour demain. C’est une dynamique où la prévention n’est pas à part», explique encore le Dr Jamoulle.Étonnamment, c’est aujourd’hui en Amérique du Sud que le concept élaboré par ce médecin belge semble avoir trouvé le plus d’échos. Des groupes ‘P4’ s’y sont ainsi développés un peu partout et, en mars dernier, un groupe d’intérêt Prévention Quaternaire a été fondé au sein même du Wonca CIMF, la branche ibéro-américaine de l’Organisation mondiale des médecins généralistes.
Et l’Asie commence aussi s’intéresser à cette ‘attitude quaternaire’. Car au-delà de l’argument éthique, la prévention de la surmédicalisation apparaît comme une piste pour sauver nos systèmes de santé du naufrage. Plus riches et moins malades? À cette perspective, on se sent déjà mieux…
Mois après mois depuis 35 ans, la revue Prescrire aide des dizaines de milliers de soignants à choisir au mieux parmi les options de soins disponibles. Le numéro spécial d’août 2015 de la revue Prescrire explorait ce qui constitue un progrès décisif au profit des patients.
Dans les faits, les véritables progrès thérapeutiques sont minoritaires, et parfois difficiles à repérer. Certains progrès semblent « évidents », quand ils permettent de prolonger la vie, sans détériorer sa qualité de manière disproportionnée ; de réduire une souffrance ; d’éviter des complications ou des effets indésirables graves. Ce fut le cas des premiers antirétroviraux, puis des premières « trithérapies » pour le traitement des patients porteurs du HIV.
Ces progrès ont été le fruit d’importants investissements publics dans la recherche. Les progrès dont ont bénéficié des patients atteints de certaines maladies rares sont aussi le résultat de volontés publiques fortes, et d’une régulation favorable aux progrès.
D’autres progrès sont moins flagrants, mais utiles, par exemple quand ils visent à mieux protéger les personnes : ajout d’un bouchon-sécurité au conditionnement d’un médicament dangereux pour réduire le risque d’ingestion accidentelle par un enfant ; dispositif de mise en sécurité d’une aiguille pour réduire le risque de piqûre accidentelle d’un soignant. Ces progrès sont le résultat du travail d’équipes, au sein des firmes ou des agences, qui pensent à l’amélioration de l’emploi des médicaments.
D’autres progrès, liés à des médicaments anciens qui ne sont plus protégés par un brevet, ne sont guère valorisés, hormis quelques exceptions. Pourtant, poursuivre l’évaluation de ces médicaments, optimiser leurs posologies, rechercher des formes mieux tolérées, inventer des conditionnements plus adaptés, sont autant de sources de réels progrès pour les patients.
Mesures sociales et environnementales parfois très efficaces
Disparition des nécroses de la mâchoire dans les usines d’allumettes, diminution de l’incidence des goitres, baisse du nombre de personnes tuées sur les routes : trois exemples d’amélioration de la santé de la population sans médicament.
Le recours aux professionnels de santé, aux médicaments et autres soins médicaux sont des moyens parmi d’autres pour obtenir des progrès de l’état de santé de la population, à plus ou moins large échelle. Les exemples sont nombreux. Dans les trois cas présentés dans le numéro spécial d’été de Prescrire, des mesures de prévention sociales ou environnementales ont été source de grands progrès.
À partir des années 1830, la fabrication de nouvelles allumettes au phosphore blanc provoque chez les ouvrières des nécroses de la mâchoire, une maladie aux conséquences lourdes. Fondé en 1892, le syndicat ouvrier des manufactures d’État fait pression sur le gouvernement en lançant des grèves. L’État trouve une solution technique de remplacement, puis interdit l’utilisation du phosphore blanc en 1906. Les nécroses de mâchoires disparaissent.
Au 19e siècle, les carences sévères en iode concernent de nombreux pays. On les repère par leurs manifestations les plus visibles : le goitre et le crétinisme. Aux États-Unis d’Amérique, les médecins proposent d’enrichir le sel alimentaire en iode, non pas par une mesure contraignante, mais en s’appuyant sur le volontariat des fabricants, qui participent de fait pleinement à la campagne.
Au début des années 1950 en France, les assureurs lancent en accord avec la gendarmerie nationale des actions de prévention routière et contribuent à la collecte de données sur les accidentés. À partir des années 1960, la question de l’insécurité routière, de plus en plus médiatisée, devient prioritaire dans l’agenda politique. De nombreuses mesures sont alors prises au fil des ans, avec une réduction importante du nombre de morts sur la route.
Beaucoup de questions de soins de santé importantes pour la société ne trouvent pas de réponse dans les essais cliniques menés par l’industrie pharmaceutique. Ainsi, il n’y a que peu d’études qui comparent un traitement médicamenteux et une autre approche.
Dans une nouvelle étude, le Centre fédéral d’expertise des soins de Santé (KCE) arrive à la conclusion que le financement de tels essais cliniques par des moyens publics serait un excellent investissement. Il plaide donc pour que nous prenions exemple sur d’autres pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, où cela se fait depuis des années.
Le KCE souligne l’importance de la sélection des questions prioritaires à investiguer et de l’existence d’infrastructures professionnelles et de réseaux d’expertise. Il est également important que les résultats de ces études soient mis en pratique au quotidien sur le terrain. À ces conditions, des programmes de recherche clinique financés par le secteur public pourront contribuer à un système de soins de santé plus efficient et à des soins de meilleure qualité.
Les essais commerciaux ne répondent pas toujours aux questions importantes pour la société
Avant qu’une firme pharmaceutique ne reçoive l’autorisation de commercialiser un médicament, celui-ci doit faire l’objet d’une série d’études cliniques (c’est-à-dire être testé sur des patients). Ces études doivent apporter des preuves que le nouveau produit est suffisamment sûr et efficace. Ce qui n’est pas nécessairement suffisant pour les praticiens de terrain et pour l’assurance maladie. En effet, savoir qu’un nouveau traitement est efficace est une chose, mais savoir s’il est plus efficace que les traitements existants en est une autre. Or les firmes ne sont pas toujours obligées de comparer l’efficacité de leurs produits à ceux de la concurrence.
En outre, les essais pharmaceutiques commerciaux sont souvent effectués avec des patients sélectionnés selon des critères très spécifiques. Ils ne sont donc pas représentatifs des patients rencontrés en pratique courante, souvent plus âgés, porteurs de plusieurs pathologies, etc.
Des traitements et des maladies sans grand intérêt pour l’industrie
Il est logique que certains sujets d’étude ne présentent que peu d’intérêt pour l’industrie, notamment parce qu’il s’agit de secteurs peu rentables, comme les traitements qui ne s’adressent qu’à de petits groupes cibles (par exemple les enfants, les maladies rares). À plus forte raison, ceci vaut pour des traitements non-médicamenteux, comme une modification de style de vie (manger sain, faire du sport, etc.), une technique chirurgicale, une psychothérapie, ou encore le dépistage systématique de certaines maladies.
Le KCE a donc exploré la pertinence du financement de ce type d’études avec des moyens publics, ainsi que les conditions qui devraient être mises en place le cas échéant.
Investir dans des programmes de recherche publics serait rentable
Certains pays, notamment le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ont mis sur pied depuis plusieurs années des programmes de recherche clinique financés par les pouvoirs publics. Les chercheurs du KCE ont estimé qu’un tel programme de recherche clinique serait un investissement très utile pour notre pays. Il ne contribuerait pas seulement à une utilisation plus efficiente des deniers publics, mais aussi à des soins de meilleure qualité pour les patients.
Trois conditions essentielles
Pour être couronné de succès, ce programme devrait viser un haut niveau de qualité pour un investissement aussi limité que possible. Sur base de l’analyse des bonnes pratiques en cours à l’étranger, le KCE a identifié les conditions nécessaires pour atteindre cet objectif. Elles sont au nombre de trois : une bonne sélection des questions pertinentes à investiguer, une infrastructure professionnelle avec des experts organisés en réseaux et une attention suffisante apportée à l’implantation des résultats dans la pratique quotidienne.
Une bonne sélection des questions de recherche
Une première condition de succès est que les études portent sur des questions qui ont un impact direct sur les pratiques cliniques et sur l’efficience des soins de santé.
Une infrastructure professionnelle et des experts organisés en réseau
Les études cliniques sont très coûteuses parce qu’elles requièrent des collaborateurs très spécialisés, des procédures standardisées, des infrastructures adéquates, et énormément de temps. Si l’on décide de financer un programme de recherche clinique avec des moyens publics, il faut également mettre sur pied un réseau de professionnels formés à gérer les essais cliniques dans les centres participants.
Pour certains sujets de recherche, comme par exemple les maladies rares, il est préférable de mener les études à l’échelle internationale. Pour cela, la Belgique aurait intérêt à se faire membre d’organisations internationales telles qu’ECRIN (European Clinical Research Infrastructure Network), qui soutiennent et accompagnent des essais transnationaux européens.Un avantage indirect de la mise en place d’un réseau professionnel de soutien aux essais cliniques serait de renforcer l’attractivité de notre pays aussi pour les études commerciales réalisées par l’industrie. Ceci pourrait donc contribuer à un meilleur ancrage local du secteur de la recherche appliquée. Un autre avantage est que la participation à des essais cliniques familiarise les praticiens avec les principes de l’Evidence-Based Medicine.
Implantation: de la recherche à la pratique
Enfin, les fruits des investissements publics ne pourront être récoltés que si suffisamment d’attention est accordée à la diffusion et à la mise en œuvre des résultats des études dans la pratique quotidienne sur le terrain, via les décisions de remboursement.
[D’après une fiche d’information du Smoke Free Partnership]
En 2004, la Commission européenne et dix États membres de l’Union européenne (UE) ont conclu un accord d’une durée de douze ans avec Philip Morris International (PMI) visant à s’attaquer au problème du commerce illicite des produits du tabac.
Depuis, tous les États membres de l’UE ont signé cet accord. Suite à celui-ci, d’autres accords ont été conclus avec Japan Tobacco International (accord avec JTI) en décembre 2007, avec British American Tobacco (accord avec BAT) en juillet 2010 et avec Imperial Tobacco (accord avec ITL) en septembre 2010.En 2000, la Commission européenne (CE) et dix États membres (EM) de l’UE ont intenté un procès à trois fabricants mondiaux de produits du tabac, à savoir Philip Morris International, R.J. Reynolds, et Japan Tobacco International, accusant les fabricants «d’une machination mondiale actuelle visant à faire la contrebande de cigarettes, à blanchir les recettes du trafic de stupéfiants, à entraver la surveillance de l’industrie du tabac par les gouvernements, à fixer les prix de manière déloyale, à corrompre des agents publics étrangers, et à faire du commerce illégal avec des groupes terroristes et des États commanditaires d’actes de terrorisme».
Suite à la procédure judiciaire, le règlement de l’affaire concernant PMI a eu lieu en 2004 et celui concernant JTI en 2007, les paiements de ces deux fabricants à la Commission européenne et aux États membres se montant à plus de 1,6 milliard de dollars américains, au vu des pertes de recettes fiscales en rapport avec le commerce illicite. Le règlement de l’affaire concernant PMI a pris la forme d’un accord juridiquement contraignant. Les négociations (classées secrètes) concernant l’accord avec PMI ont commencé en 2001, peu de temps après le début du procès.
L’accord avec Philip Morris International
Dans le cadre de cet accord, PMI doit effectuer des paiements annuels de 1,25 milliard de dollars américains pendant 12 ans et lutter contre la contrebande future de ses cigarettes au moyen des mesures suivantes:
contrôle du système de distribution et des sous-traitants auxquels PMI fournit ses cigarettes;
mesures de suivi et de traçabilité qui devraient permettre aux autorités de retracer les cigarettes de contrebande de manière indépendante jusqu’au sous-traitant qui les achetées à PMI;
paiements relatifs aux saisies équivalant au montant des taxes évitées par la fraude, qui devront être effectués immédiatement en cas de saisie de produits authentiques de PMI dès lors que le volume des cigarettes dépasse le seuil de 50 000;
plafonds des ventes afin que celles-ci correspondent à une demande légitime dans le marché de destination spécifié, de sorte à éviter un excès d’offre et la diversion résultante des produits du tabac vers des filières illicites.
Dix questions qui fâchent
Les sommes payées à l’UE et aux États membres sont-elles utilisées pour combattre le commerce illicite?
Le budget de l’Union reçoit 9,7 % des paiements annuels effectués par les quatre fabricants de tabac (y compris PMI), conformément aux accords de l’UE avec ces derniers. Les 90,3 % restants sont versés aux États membres. Les montants perçus par la Commission et les États membres ne sont affectés à aucune action spécifique, et peu d’EM partagent des informations concernant les paiements. Par conséquent, on ne sait pas clairement comment l’argent généré par l’accord est utilisé.
L’accord avec PMI est-il adapté au but visé?
Il y a dix ans, au début de la négociation de l’accord, l’UE avait principalement affaire à des saisies de grands volumes de produits du tabac illicites. Cependant, depuis lors, le marché des produits du tabac illicites de l’UE a changé, sachant qu’en moyenne les saisies actuelles de cigarettes illicites comportent moins de 7 500 cigarettes par opération, ce qui est bien en-dessous du seuil de 50 000 cigarettes nécessaire pour que des paiements aient lieu. Par conséquent, les paiements relatifs aux saisies de cigarettes illicites se sont avérés étonnamment faibles jusqu’à présent. De plus, seulement 0,5 % des 3,8 milliards de cigarettes saisies dans l’UE en 2012 se sont révélées être authentiques.
Les agents des douanes déterminent-ils si les saisies contiennent des produits authentiques ou de contrefaçon?
Les agents de douane ont recours à l’industrie pour déterminer si les cigarettes sont authentiques (sujettes à des paiements relatifs aux saisies) ou de contrefaçon (non sujettes à des paiements relatifs aux saisies). Selon l’ensemble des accords, le ‘fabricant pertinent’, dans ce cas PMI, a le droit d’examiner les cigarettes saisies et d’envoyer un rapport sur leur authenticité à l’OLAF, l’Office européen de lutte antifraude. Si le fabricant conclut que les cigarettes sont de contrefaçon, le rapport doit contenir des documents et les résultats de l’examen visant à soutenir cette conclusion.
Y a-t-il une évaluation indépendante pour déterminer si les produits sont authentiques ou de contrefaçon?
L’accord prévoit que cette détermination soit effectuée par le fabricant. Cependant, si l’OLAF ou tout État membre participant à l’accord n’est pas de cet avis, la question sera soumise à un laboratoire indépendant identifié par l’accord. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2004 et jusqu’au 31 octobre 2013, les cigarettes saisies n’ont jamais été analysées par un laboratoire indépendant;autrement dit, toute la détermination s’est fondée sur les évaluations de l’industrie du tabac.
Comment PMI et les autres principaux fabricants de produits du tabac décident-ils si les produits saisis sont authentiques ou de contrefaçon?
Les fabricants de produits du tabac ont recours à un système appelé Codentify®, lequel a été développé en interne par PMI et dont la licence d’utilisation a été fournie gratuitement aux autres fabricants de produits du tabac (JTI, BAT, ITL).Le système Codentify®, qui répond à une exigence de l’accord en matière de développement d’un mécanisme pour réduire la contrebande, génère numériquement un algorithme à 12 chiffres pour chaque paquet de cigarettes. Ce système est censé faciliter le suivi des paquets de cigarettes au sein de la chaîne d’approvisionnement, en les authentifiant au moyen d’un code individuel lisible par une machine, lequel contient, entre autres informations, la date, l’origine, le niveau des taxes et la destination du produit.
L’accord avec PMI est-il efficace pour aider les EM à récupérer les recettes fiscales qui avaient été perdues?
L’intention des paiements relatifs aux saisies (tels que prévus dans l’accord avec PMI) était, d’une part, de dissuader PMI de continuer à participer au commerce illicite de ses cigarettes, en punissant le fabricant à chaque fois qu’il y avait une saisie d’un grand volume de ses cigarettes, et, d’autre part, de permettre aux États membres de l’UE de récupérer les recettes fiscales qui avaient été perdues.Cependant, la détermination de l’authenticité ou de la contrefaçon des cigarettes saisies est avant tout effectuée par le fabricant. Par conséquent, il n’est peut-être pas surprenant que l’industrie du tabac ait, à ce jour, trouvé que la majorité des cigarettes saisies étaient de contrefaçon, ce qui signifie des paiements faibles pour les cigarettes saisies et une compensation négligeable des pertes de recettes fiscales des États membres. Lors de la période 2004-2013, il a été avancé que 3,2 milliards (78 %) des cigarettes saisies étaient de contrefaçon.
PMI soutient-il les mesures de traçabilité établies dans la réglementation de l’UE?
En 2014, PMI et d’autres fabricants de produits du tabac tels que BAT et ITL ont contesté la directive sur les produits du tabac (2014/40/UE) devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’action demande l’annulation de l’intégralité de la directive, y compris son article 15 qui exige un système de suivi et de traçabilité de la chaîne d’approvisionnement licite dans l’ensemble de l’UE, ainsi que des dispositifs de sécurité visibles et invisibles. Le contrôle juridictionnel pourrait prendre trois ans. Cela signifie que l’OLAF envisage le renouvellement d’un accord juridique avec PMI, une société qui remet en cause la règlementation de l’UE, tout en accordant à cette société la possibilité de continuer à contrôler le système de suivi et traçabilité avec sa propre technologie (Codentify®).
L’OLAF a-t-il effectué une évaluation de l’impact de l’accord avec PMI?
La Commission Juncker a déclaré: «pour s’assurer que l’action de l’UE soit efficace, la Commission évaluera l’impact des politiques, de la législation, des accords commerciaux et d’autres mesures, à tous les stades, de la planification à la mise en oeuvre et au bilan». Mais la Commission a aussi affirmé que l’accord était efficace, sans avoir mené une évaluation de son impact. Selon les déclarations officielles, les services de la Commission et les États membres ont déjà tenu des réunions exploratoires avec PMI, et des discussions au sujet d’un renouvellement de l’accord sont en cours.
Les discussions actuelles à propos du renouvellement de l’accord avec PMI respectent-elles la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT)?
La CCLAT est le premier traité sanitaire international et elle a été développée en réponse à la mondialisation de l’épidémie de tabagisme. L’UE et tous ses États membres ont ratifié cette convention et ont par conséquent des obligations juridiques de mise en oeuvre de ses articles.
Les Parties devraient être responsables de leurs actes et agir dans la transparence en cas d’interaction avec l’industrie du tabac. Les directives précisent aussi que les Parties ne devraient avoir d’interaction avec l’industrie du tabac que «lorsque cela est nécessaire et en se limitant strictement à ce qui est nécessaire pour leur permettre de réglementer efficacement l’industrie du tabac et les produits du tabac».
Il n’est pas clair si l’interaction entre la Commission (y compris l’OLAF) et PMI se limite strictement à ce qui est nécessaire parce que le contenu de ces réunions est tenu secret. Depuis 10 ans, des demandes d’accès aux documents montrent que l’OLAF a eu de nombreuses réunions avec PMI et les trois autres principaux fabricants de produits du tabac, mais des informations détaillées concernant ces réunions n’ont pas été publiées. Il se peut que le partenariat entre l’UE et PMI contrevienne aux directives pour l’application de l’article 5.3 de la CCLAT, lesquelles spécifient que les Parties ne devraient ni accepter, ni soutenir, ni agréer les «partenariats» avec l’industrie du tabac lors de toute initiative liée à l’élaboration ou à l’application de politiques de santé publique.
Y a-t-il d’autres mécanismes pour lutter contre le commerce illicite de produits du tabac dans l’UE?
Outre l’article 15 de la directive sur les produits du tabac mentionné ci-dessus, l’UE a d’autres mesures à sa disposition pour lutter contre le commerce illicite de produits du tabac. Le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, négocié en vertu de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, a été adopté le 12 novembre 2012 à la cinquième session de la Conférence des Parties et est actuellement ouvert à la ratification, l’acceptation, l’approbation ou l’adhésion des Parties à la CCLAT de l’OMS.
L’UE a signé le Protocole le 20 décembre 2013. Le 4 mai 2015, la Commission européenne a annoncé que l’UE devrait ratifier le Protocole et a exhorté le Conseil d’adopter une décision en ce sens, avec le consentement du Parlement européen. Le Protocole fournit des outils pour prévenir et contrebalancer le commerce illicite des produits du tabac, par le biais de mesures nationales et de coopération internationale visant à contrôler la chaîne d’approvisionnement des produits du tabac.
En dépit des arguments avancés par l’industrie, et en se basant sur les informations disponibles utilisées par PMI et les autres principaux fabricants de produits du tabac pour suivre leurs produits, on peut voir que Codentify® ne se conforme pas aux exigences du Protocole, à savoir que le système de suivi et de traçabilité instauré par chaque Partie soit «contrôlé par elle».
Le Protocole devrait prévoir un système global qui soit indépendant de l’industrie du tabac et qui serait par conséquent une solution plus efficace au problème du commerce illicite que l’accord actuel avec PMI et que les autres accords avec les principaux fabricants de produits du tabac.
Smoke Free Partnership, rue de l’Industrie 24, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 430 73 58. Internet: www.smokefreepartnership.eu.
La protection des jeunes est particulièrement défaillante!
La journée mondiale sans tabac a donné l’occasion à la Coalition nationale contre le tabac de juger sévèrement la politique de la Belgique en la matière.
Huit mois après sa prise de fonction, le bilan du gouvernement fédéral est particulièrement médiocre en ce qui concerne sa politique de lutte contre le tabac. En effet, rien n’est fait pour décourager le tabagisme: la protection des jeunes est minimaliste et les mesures visant à décourager l’usage du tabac sont tout bonnement absentes.
Depuis octobre 2014, le gouvernement et les partis de la coalition au pouvoir n’ont pas augmenté les taxes sur les cigarettes; la taxation du tabac à rouler a trop faiblement augmenté; le débat sur l’adoption du paquet neutre a été refusé par le rejet des audiences au Sénat sur ce sujet et aucune initiative n’a été prise pour décourager l’usage du tabac, maintenant ou pour les années à venir.
Selon la dernière Enquête nationale de santé, 1 Belge sur 4 fume encore. Le nombre de fumeurs a certes diminué pendant une longue période, mais cette tendance n’est plus d’actualité aujourd’hui. Depuis 2008, le nombre de fumeur n’a diminué que de 2%. Cette baisse est plus faible que prévu et nécessite d’engager des efforts supplémentaires dans la lutte contre l’usage du tabac. Le tabagisme des femmes jeunes continue d’augmenter, il s’agit là d’un phénomène émergent.
Par ailleurs, le tabagisme est fortement lié à la situation socio-économique. Ainsi, selon l’enquête, le tabagisme est plutôt une habitude de personnes et de milieux sociaux n’ayant pas bénéficié d’un enseignement supérieur. De ce fait, le tabac crée et renforce les inégalités de santé entre les différents groupes sociaux de notre société.
Les jeunes insuffisamment protégés
Notre pays agit trop peu en vue de protéger les jeunes de la fumée de tabac et de la dépendance au tabac. Du reste, ceux qui veulent résister à la tentation de fumer doivent être particulièrement déterminés. De fait, dans l’enseignement secondaire professionnel, 1 jeune sur 3 fume. De même, en Belgique, les produits du tabac sont relativement bon marché en raison d’une faible politique de prix et de taxation.
Le tabac à rouler est d’ailleurs le moins cher de tous. Accessibles en divers lieux de vente, les cigarettes manufacturées et le tabac à rouler font encore l’objet de publicités, souvent aux côtés de friandises et de magazines. Ainsi, dans notre pays, la publicité pour le tabac est encore et toujours exposée sur des lieux stratégiques: à l’intérieur et à l’extérieur des kiosques à journaux, l’industrie du tabac continue de faire la promotion de ses produits.
Ce qui manque à notre pays c’est une approche cohérente et efficace composée de diverses mesures se renforçant mutuellement. La Belgique est à la traîne par rapport aux mesures positives mises en oeuvre dans les pays voisins.
Cinq mesures pour sauver des vies
Dans le cadre de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai dernier, les organisations membres de la Coalition nationale contre le tabac ont demandé instamment au gouvernement de s’atteler enfin à la lutte contre le tabagisme. En outre, à l’occasion de la transposition de la Directive européenne 2014/40/UE sur les produits du tabac en mai 2016, elles prônent aussi la prise des mesures suivantes:
Après l’Irlande, la Finlande, la Suède, l’Italie, l’Estonie, Chypre, Malte, l’Islande, la Norvège, la Bulgarie, la Croatie et l’Ukraine: l’interdiction totale de la publicité pour le tabac dans et sur la devanture des points de vente.
Après l’Islande, la Norvège, l’Irlande, la Finlande, le Royaume-Uni, la Hongrie, la Croatie et l’Ukraine: l’interdiction de présentation des produits du tabac de manière visible dans les points de vente.
Après l’Australie, l’Irlande, le Royaume-Uni et la France: l’introduction du paquet neutre pour les produits du tabac (à savoir sans logos ou couleurs attrayantes).
L’augmentation significative du prix du tabac à rouler d’au moins 1€ et du prix des cigarettes manufacturées d’au moins 0,50€ en 2015.
Après la France, le Royaume-Uni et l’Irlande: l’introduction d’une loi renforçant la protection des enfants en voiture par une interdiction de fumer pendant le transport de ces derniers.
En somme, la Coalition nationale contre le tabac demande de renverser la tendance et de faire de la protection de la santé de tous une priorité.
Chaque année, en Belgique, de 14 à 15 000 personnes meurent des suites du tabagisme. De même, le nombre de femmes victimes du cancer du poumon augmente. En 2011, 6710 personnes sont décédées d’un cancer du poumon en Belgique, dont 4868 hommes et 1842 femmes.
Coalition nationale contre le tabac
La Coalition nationale contre le tabac répond au souhait de l’Europe Contre le Cancer que les coalitions nationales des États membres de l’Union européenne réalisent une stratégie internationale de prévention du tabagisme. Elle a donc comme objectif de traduire une stratégie internationale de prévention du tabagisme au niveau de la situation belge et d’en stimuler la réalisation dans notre pays.
La Coalition est, actuellement, la seule association regroupant des organismes actifs et représentatifs, dans le domaine du tabagisme, des trois communautés linguistiques de notre pays. De la sorte, la Journée mondiale sans tabac annuelle bénéficie d’une visibilité médiatique concertée, cohérente et fédérale.
Les membres de la Coalition nationale contre le tabac sont: Fondation contre le Cancer, Association pharmaceutique belge (APB), Arbeitsgemeinschaft Für Suchtvorbeugung und Lebenbewältigung (ASL), Ligue cardiologique belge, Fonds des Affections Respiratoires (FARES), Kom op tegen Kanker (KOTK), Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH), Service d’Étude et de Prévention du Tabagisme (SEPT), Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG), Vlaams Instituut voor Gezondheidspromotie en Ziektepreventie (VIGeZ), Vlaamse Vereniging voor Respiratoire Gezondheidszorg en Tuberculosebestrijding (VRGT).
En 2015, la coalition est présidée par la Fondation contre le Cancer.Adresse: Coalition nationale contre le tabac, chée de Louvain 479, 1030 Bruxelles. Tél.: 02 736 99 99.
«Le monde serait meilleur si on pouvait mettre des patrouilles de police à la sortie de chaque école»Le
6 mai dernier, la plateforme ‘Concertation Réflexion École Police Bruxelles (CREPB)’ organisait une matinée d’échanges et de débats destinée aux acteurs scolairse et de manière plus générale aux acteurs de la promotion de la santé des jeunes et de la prévention des assuétudes.
On nous avait annoncé un ‘événement original sur un modèle inédit, très interactif et participatif’, nous n’avons pas été déçus.
La matinée avait attiré à la Tricoterie (Saint-Gilles) un nombreux public de plus de 200 personnes. Animée par un David Lallemand en très grande forme, elle était structurée par trois capsules vidéo d’une dizaine de minutes dans lesquelles des jeunes s’interrogeaient et questionnaient des adultes sur le rôle de l’école, la ‘place’ de la police à l’école et exprimaient aussi leurs propres sentiments par rapport aux consommations. Comme l’avait précisé le maître de cérémonie au début, il s’agissait bien de travailler avec des savoirs d’experts sans évacuer le ressenti.
La bonne idée: les intervenants ‘prévus’ étaient dispersés dans la salle, parmi les participants, et disposaient tous d’un temps de parole limité, pour permettre un large débat avec le public, parfois consensuel, parfois contradictoire (ce qui est plus amusant, avouons-le).
Le thème du jour étant ‘Drogue – Police – École’, plusieurs représentants de la force publique ont donc eu l’occasion de s’exprimer sur les descentes de police avec chiens pisteurs dans les écoles, rares dans certaines communes bruxelloises, plus fréquentes dans d’autres.
Il n’y avait guère de contestation quant à la remarquable inefficacité de ces interventions en termes de quantités de substances saisies, vraiment dérisoires. Par contre, sur l’effet produit par les descentes sur les élèves, certains jugeaient le ‘traumatisme’ qu’elles peuvent provoquer salutaire, d’autres soulignant au contraire que la ‘peur’ de se faire coincer ajoute encore du piment à la tentation de consommer, ou encore qu’il en faut plus pour ‘traumatiser’ les ados…
La citation en tête du texte est authentique, elle ne reflète pas vraiment l’opinion dominante à la Tricoterie, qui y voyait plutôt le ‘meilleur des mondes’ dénoncé déjà en 1932 par Aldous Huxley qu’un ‘monde meilleur’. Même si tous s’accordaient sur l’idée que la police a bien un rôle à jouer au sein des écoles, les autres représentants des forces de l’ordre ont partagé avec la salle une vision plus nuancée de leur travail…
Glané au cours de cette matinée stimulante: rappelant la coexistence de deux ‘modèles préventifs’ incompatibles, la prohibition de l’usage plutôt que la gestion des modes d’usage (réduction des risques), un intervenant illustra sa préférence par un spectaculaire ‘Joint du matin chagrin, pétard du soir espoir’. Certes, la formule est choc et ne cadre pas vraiment avec ce que l’on entend généralement par ‘prévention’. Elle a pourtant le mérite d’être en phase avec le réel : un monde sans drogues est une chimère, a fortiori une école aussi. En conséquence, la prévention ne peut être portée que par une éducation aux consommations. Y voir une banalisation ou pire, une incitation, consiste à se voiler la face. Confier à la police un rôle de prévention participe du même mouvement, celui du déni de réalité. Par essence, la police n’a d’autres choix que de porter un discours fondé sur l’interdit. Si ce discours recèle quelques vertus elles n’ont que peu à voir avec une prévention se voulant à la fois efficace, pertinente et respectueuse des jeunes.Relevons aussi la présence insupportable du responsable d’une entreprise privée française de remédiation scolaire aux préoccupations manifestement aux antipodes de celles de cet événement. Mais comment diable ce trouble-fête intempestif s’était-il retrouvé parmi nous?
Enfin, la ‘conclusion’ du toujours judicieux Paul Herman a fini d’emporter l’adhésion du public (à l’exception, sans doute, des forces de police en présence) avec un texte à la fois drôle et empreint d’une lucidité assassine pour qui ne voit pas dans l’imaginaire d’Huxley une grille de lecture pour un futur de plus en plus proche.
Il s’agissait en réalité d’un comédien chargé de mettre un peu d’ambiance dans la matinée si nécessaire. Mission accomplie !
Nos lecteurs se souviennent sans doute de son travail dans l’émission citoyenne ‘Quand les jeunes s’en mêlent’. Travaillant pour le Délégué général aux Droits de l’Enfant de la FWB, il n’a rien perdu de sa philosophie nourrie par l’éducation permanente.
À l’heure actuelle, la stratégie de dépistage de pointe du VIH est médicalisée et centralisée, c’est-à-dire effectuée par un professionnel de la santé en milieu clinique.
Cette stratégie de pointe utilise des tests en laboratoire (dosages immunoenzymatiques, immunotransfert) effectués sur des échantillons de sang et les résultats finaux des tests sont communiqués lors d’une consultation en face-à-face chez un médecin/professionnel de la santé. Il est important de souligner que, pour la plupart des personnes (y compris les mineurs d’âge), cette stratégie reste l’option privilégiée pour le test du VIH.
Nouvelles recommandations en faveur d’un dépistage décentralisé et démédicalisé
Les recommandations et lignes directrices les plus récentes relatives aux stratégies de dépistage du VIH ainsi que le Plan national VIH belge prévoient une série de conditions préalables pour les stratégies de dépistage décentralisé et démédicalisé.
Le recours aux stratégies décentralisées et démédicalisées doit être réservé aux personnes qui, dans le cas contraire, passeraient à travers les mailles du filet de la stratégie actuelle. Au cours des dernières années, plusieurs programmes offrant des solutions alternatives à plusieurs aspects de la stratégie de pointe existante ont été développés et fait l’objet de projets pilotes. Parmi ces alternatives figurent:
la collecte d’échantillons au cours d’activités de sensibilisation;
l’utilisation de tests VIH rapides;
l’utilisation d’échantillons de salive (plutôt que des échantillons de sang)
la communication des résultats des tests par téléphone/SMS/internet;
et l’implication de personnel non professionnel de la santé, qui pourrait faciliter, voire participer au processus de dépistage du VIH.
Chacun de ces éléments est examiné dans cet avis.
Comité directeur
Une exigence préliminaire est de standardiser la phase de pré-test de tels projets de dépistage. Compte tenu du fait qu’il s’agit d’un processus qui concerne tant la dimension médicale que les aspects relatifs aux travaux en laboratoire et aux communautés à risque, le CSS recommande la mise en place d’un comité directeur. Ce comité serait chargé d’évaluer la pertinence d’un programme dans lequel le dépistage décentralisé et démédicalisé sera proposé par l’une des structures autorisées à le faire.
Recueil et traitement de données
Les données doivent être recueillies et traitées (liaison avec les soins, surveillance…) au sein d’une structure unique au large champ d’activités (Institut scientifique de santé publique). Le programme actuel doit être harmonisé (soins intégrés).
Formation
Compte tenu du contexte dans lequel est effectué le dépistage décentralisé et démédicalisé, il est nécessaire de se forger une idée précise du niveau de qualité ainsi obtenu. Cela requiert la mise en place d’un système d’assurance de qualité pour le dépistage décentralisé et démédicalisé.
Par conséquent, le CSS conseille aux autorités de santé publique belges de mettre sur pied une formation continue spécifique pour les personnes concernées.
FEVIA, la Fédération belge de l’industrie alimentaire, soutient l’appel récent de l’OMS à adopter une attitude responsable quant à la consommation de sucres. Toutefois, l’industrie alimentaire plaide en faveur d’un débat sociétal plus large sur l’alimentation et la santé, plutôt que de se focaliser sur des nutriments pris individuellement comme les sucres par exemple.
Selon Chris Moris, Directeur général de FEVIA, «le vrai défi est de stimuler les consommateurs à trouver un équilibre entre l’ingestion de nutriments et de calories et la dépense énergétique. Le vrai débat concerne donc la balance énergétique. La politique en matière d’enseignement et de sport y joue un rôle. FEVIA demande aux autorités de réunir les parties concernées par ce débat et veut y collaborer de manière constructive».
Un style de vie sain et des habitudes alimentaires saines sont essentiels
Quelle qu’en soit la source, une consommation excessive de calories, combinée à une activité physique insuffisante, augmente le risque d’obésité et de maladies non transmissibles comme le diabète ou les maladies cardio-vasculaires, rappelle la FEVIA. Une politique qui veut s’attaquer fondamentalement à ces défis doit aussi encourager les consommateurs à adopter un style de vie sain. Ce n’est qu’ensuite que les adaptations de l’offre auront aussi un réel effet.
«Dans le débat sur des problèmes complexes tels que l’obésité ou le diabète, on pointe trop souvent du doigt des nutriments individuels comme les sucres. Le nombre de calories ingérées doit certes être raisonnable mais nous devons surtout être pleinement conscients qu’une solution n’est possible que si l’on s’attaque aux vraies causes», ajoute Chris Moris. «Nous devons donc aussi oser parler de tous les aspects d’un style de vie sain : respectons-nous les recommandations de la pyramide alimentaire ? Bougeons-nous suffisamment ? Conscientisons-nous suffisamment nos enfants sur l’importance d’une alimentation saine et d’une activité physique suffisante ? Un vrai débat avec tous les acteurs concernés est donc nécessaire !».
Seule une approche concertée, avec la contribution de toutes les parties concernées, peut conduire à des résultats concrets. L’industrie alimentaire est consciente que la consommation énergétique totale, y compris celle des sucres, est trop élevée et que les entreprises alimentaires doivent prendre leurs responsabilités. Pour ce faire, FEVIA travaille sur trois piliers.
Plus que dans nos pays voisins, les entreprises alimentaires belges réalisent des efforts d’innovation et beaucoup de ces innovations de produits sont destinées à améliorer la composition nutritionnelle des denrées. Aujourd’hui, dans les rayons des magasins, le consommateur trouve un large assortiment de produits à faible teneur en sucres, des produits sans sucres ni édulcorants. Des portions plus petites sont également disponibles. Il est donc plus que jamais possible de se composer une alimentation équilibrée. Le défi est de garantir la sécurité alimentaire, les fonctions technologiques de certains ingrédients (comme le sucre) et de maintenir le goût. Ni la santé publique, ni l’économie belge n’ont en effet intérêt à voir des denrées alimentaires délaissées par le consommateur…
Le consommateur doit aussi être capable de choisir en connaissance de cause. C’est pourquoi, l’industrie alimentaire s’engage à reprendre un étiquetage clair et transparent, avec des informations sur les nutriments importants tels les sucres ainsi que sur le nombre de calories. Toutes ces informations permettent au consommateur de comparer les produits et de pouvoir faire des choix éclairés sur l’alimentation qui convient le mieux à son style de vie.
L’industrie alimentaire belge s’engage aussi en matière de marketing responsable. Le code de publicité de FEVIA, contrôlé de manière indépendante par le Jury d’Éthique Publicitaire et le Belgian Pledge, en sont de beaux exemples. Les signataires du Belgian Pledge s’engagent spécifiquement à ne plus faire de publicité envers les enfants de moins de 12 ans, sauf pour des aliments et des boissons qui répondent à des critères nutritionnels spécifiques (plus d’infos sur www.belgianpledge.be).
Réaction d’un acteur
Tout en saluant l’appel à la concertation de la Fédération belge de l’Industrie alimentaire (FEVIA), la Mutualité socialiste Solidaris estime que ses efforts ne vont pas assez vite et pas assez loin en ce qui concerne la reformulation des produits et en matière d’étiquetage.
Une alimentation de qualité passe par une information claire et honnête
La FEVIA est en faveur du système des GDA (‘Guideline Daily Amounts’ ou en français ‘Repères nutritionnels journaliers’) qui évite l’utilisation d’un code couleur (rouge pour les produits à haute teneur en sel et vert pour ceux qui en comptent moins par exemple) pour avertir le consommateur de la teneur en sucre, graisse et sel notamment. L’industrie avance des raisons économiques et invoque la responsabilisation des consommateurs. En cela, elle ne joue pas le jeu d’une information claire et honnête en regard par exemple des portions de référence qui servent à exprimer les repères nutritionnels journaliers. Il suffit de voir les portions de céréales prises comme référence (30 g) qui sont largement en deçà de ce qui est consommé lors d’un petit déjeuner.
De plus, l’alimentation est un domaine très marqué par les inégalités sociales, qu’il convient de prendre en compte quand on désire faire évoluer les habitudes de consommation. Pour Solidaris, la seule information ou bonne volonté du consommateur ne suffit pas à modifier des comportements alimentaires qui se sont installés durant plusieurs décennies sur base d’une offre alimentaire agroindustrielle. Tous les acteurs doivent prendre leurs responsabilités face au phénomène de la malbouffe en Belgique.
Afin de débattre de ces questions, Solidaris a développé récemment une plateforme sur le site www.alimentationdequalite.be. Tous les acteurs ne manqueront pas d’y être conviés, au premier rang desquels l’industrie alimentaire. Cette concertation a pour objectif de constituer un embryon de Conseil de l’alimentation rassemblant tous les acteurs du système alimentaire, des producteurs aux consommateurs en passant par les représentants de la santé, du social ou encore de l’environnement. Un tel Conseil fait malheureusement encore défaut dans notre pays.
Une équipe de chercheurs de l’Université de Princeton, de l’International Livestock Research Institute, de l’Université libre de Bruxelles et du Center for Disease Dynamics, Economics and Policy vient de mener pour la première fois une évaluation globale de la consommation d’antibiotiques dans l’élevage, et prédit une augmentation rapide durant les 15 prochaines années.
La demande globale pour les protéines animales augmente considérablement et les antibiotiques sont utilisés dans l’élevage à des fins préventives, curatives, voire comme promoteurs de croissance. Aux Etats-Unis, on estime que leur utilisation dans l’élevage représente près de 80% de toutes les ventes d’antibiotiques.
De nombreux travaux suggèrent un lien entre l’utilisation d’antibiotiques et l’émergence de bactéries résistantes qui pourraient avoir un impact important en santé humaine. Jusqu’à présent, cependant, aucune estimation quantitative de la consommation globale d’antibiotiques dans le secteur de l’élevage n’était disponible, alors qu’il s’agit d’un élément important pour évaluer les conséquences potentielles de leur usage massif.
L’étude démontre que la consommation globale d’antibiotiques dans l’élevage devrait augmenter de près de 67% entre 2010 et 2030. Cinq pays, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, devraient présenter à eux-seuls une augmentation de près de 99% de la consommation d’antibiotiques, chiffre qui doit être comparé à l’augmentation de leur population sur la même période qui ne devrait être que de 13%, selon les auteurs.
En raison des volumes concernés, cette augmentation soulève des questions fondamentales sur notre capacité à conserver l’efficacité des antibiotiques dans les prochaines décennies.
«L’invention des antibiotiques fut une révolution de la santé publique du 20e siècle» a déclaré l’auteur senior de l’article, Ramanan Laxminarayan, chercheur au Princeton Environmental Institute. «Leur efficacité et la vie de millions de personnes autour du monde sont à présent en danger en raison de l’augmentation globale de la résistance aux antibiotiques, qui est largement influencée par leur consommation».
Deux tiers (66%) de l’augmentation globale de cette consommation sont dus au nombre croissant d’animaux du secteur de l’élevage. Le tiers restant peut être attribué à des changements dans les pratiques d’élevage, avec une proportion accrue d’animaux élevés dans des exploitations intensives.
«L’élevage est essentiel à la survie de près d’un milliard d’éleveurs pauvres» a déclaré Tim Robinson, chercheur à l’International Livestock Research Institute. «Ces personnes élèvent leurs animaux dans des systèmes extensifs et n’utilisent pas d’antibiotiques à des fins préventives ou comme promoteur de croissance, mais parfois simplement pour traiter leurs animaux lorsqu’ils sont malades. Si les antibiotiques sont moins efficaces, plus difficiles à obtenir, ou simplement plus chers, ces éleveurs seront les premiers à en payer le prix».
Cette étude se concentre sur les bovins, les poulets et les porcs, ces deux dernières espèces représentant la plus grande part de la consommation. Une des limites de cette première évaluation globale réside dans l’utilisation de données limitées sur les usages des antibiotiques. En effet, l’étude se base sur un jeu de données limité aux ventes recensées dans seulement 32 pays, principalement dans des économies riches de pays de l’OCDE. «Un facteur limitant de cette première évaluation est le manque de données vétérinaires sur les ventes d’antibiotiques dans de nombreux pays», note le premier auteur de l’étude, Thomas Van Boeckel, chercheur post-doctorant au Department of Ecology and Evolutionary Biology de Princeton.
La disponibilité de données globales fiables est essentielle pour les scientifiques et décideurs politiques pour à la fois mesurer l’étendue du problème, et envisager des solutions. «Parfois, ces données ne sont tout simplement pas collectées en raison de la faiblesse des systèmes de surveillance vétérinaire, mais parfois les obstacles sont plutôt d’ordre politique ou législatif. Avec ce travail, nous espérons déclencher une prise de conscience de l’importance de ces données pour appuyer des politiques globales et concertées de lutte contre la résistance aux antibiotiques» a encore déclaré Thomas Van Boeckel.
«La résistance aux antibiotiques est dangereuse. C’est une menace globale qui ne montre actuellement aucun signe de ralentissement» selon R. Laxminarayan. «Nos résultats permettent de progresser dans la compréhension de leur usage, des effets de cette consommation sur la santé humaine, une étape cruciale pour contrer les problèmes de résistance».
Cette recherche a été financée via le ‘U.S. Department of Homeland Security’, l’OCDE, la ‘Bill & Melinda Gates Foundation’, le programme RAPIDD, le ‘National Institutes of Health Fogarty International Center’ et le ‘Princeton University Grand Challenges Program’.
Etude ‘Global trends in antimicrobial use in food animals’ dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, menée par Thomas Van Boeckel, ancient doctorant de l’ULB, actuellement chercheur post-doctorant à l’université de Princeton, et co-signée par Marius Gilbert -Lutte biologique et Ecologie Spatiale, Ecole Interfacultaire de Bioingénieurs, Faculté des Sciences de l’ULB.
Le concept a la cote, les activités foisonnent, la recherche creuse et progresse, l’intérêt politique international semble marqué : la littératie en santé a le vent en poupe, en Europe comme de l’autre côté de l’Atlantique. À l’heure où la promotion de la santé déplore les ralentissements qu’elle subit, le phénomène fait figure d’exception. Échanges avec deux chercheurs, un Belge et un Québécois, un psychologue et un avocat, qui ne se sont jamais rencontrés mais sont aussi passionnés l’un que l’autre par les enjeux de la littératie en santé.
Pour définir la littératie en santé, le professeur belge Stephan Van den Broucke dépasse l’acception commune : “Selon un consensus important, la littératie en santé réfère à la capacité des individus à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des informations utiles pour pouvoir fonctionner dans le domaine de la santé et agir en faveur de leur santé. On y inclut parfois aussi la motivation nécessaire pour utiliser ces compétences. Il s’agit donc d’abord d’éléments personnels. Mais il ne faut pas oublier le rôle du contexte, qui impose ses propres exigences”.
Du côté québécois aussi, on voit désormais la littératie en santé comme le résultat de l’interaction entre les capacités d’une personne – capacités à reconnaître son besoin d’information en matière de santé, à trouver cette information, à la comprendre et à l’utiliser pour prendre des décisions éclairées sur sa santé – et les exigences d’un système de santé de plus en plus complexe.
Aucune différence de part et d’autre de l’Atlantique, donc ? “Le concept est le même en Amérique du Nord et en Europe, mais avec des accents différents”, nuance Stephan Van de Broucke. “En Amérique, la notion est bien connue depuis quelques décennies, mais essentiellement considérée dans le cadre des soins de santé et en particulier des rapports patient-médecin. En Europe, où l’utilisation du concept remonte au début des années 2000, l’accent a été d’emblée mis sur le rôle de la littératie en santé dans l’éducation pour la santé et la promotion de la santé”.
Pour l’avocat québécois, une question d’éthique
Michel T. Giroux est avocat et docteur en philosophie. Il dirige l’Institut de consultation et de recherche en éthique et en droit (ICRED), situé à Québec. En avril 2014, une journée de colloque sur la littératie en santé intitulée ‘Comprendre l’incompréhension: la communication avec l’usager’ organisée par l’ICRED a attiré plus de 100 personnes. Pas mal pour un sujet aussi pointu.
Mais pourquoi un avocat et éthicien s’intéresse-t-il à ce concept ? “Parce que derrière les enjeux de communication, il s’agit bien d’une question de justice, d’équité dans l’accès aux soins et services. La personne qui a un faible niveau de littératie est moins qu’une autre en mesure d’exercer son autonomie et d’accéder aux services dont elle a besoin et auxquels elle a droit”. Pour la petite histoire, son intérêt est né d’une situation bien concrète : dans le cadre d’une recherche clinique, Michel T. Giroux et son équipe devaient obtenir, comme toujours, le consentement éclairé des sujets. C’est alors qu’il s’est aperçu que la compréhension du formulaire de consentement posait problème à bon nombre de participants. «Un problème que l’on n’observe pas uniquement en recherche clinique, mais aussi au sein de la relation d’aide et de soins» précise-t-il.
Pour le psychologue belge, un moyen et un indicateur d’efficacité
Stephan Van den Broucke, quant à lui, est professeur de psychologie de la santé à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université catholique de Louvain et donne aussi cours à la Katholieke Universiteit Leuven. Avec un pied en Wallonie et l’autre en Flandre, son expertise dépasse toutefois largement les frontières belges, puisqu’il enseigne également à l’Université Paris Descartes, est éditeur associé de la revue scientifique renommée Health Promotion International et membre du Comité de direction et Vice-président de l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé (UIPES).
Pour lui, l’enjeu de la littératie en santé est celui de l’efficacité de nos actions : “Les avantages d’un bon niveau de littératie en santé sont multiples: des choix plus éclairés, une plus grande auto-efficacité, des attitudes et comportements de santé plus positifs, une prévention accrue, de meilleurs résultats de santé, une diminution du coût des soins de santé… Par conséquent, de bons niveaux de littératie en santé améliorent la santé globale de la population”, écrit-t-il dans un récent article, en soulignant aussi que c’est surtout la question des inégalités qui l’intéresse et le motive.
Une conférencière québécoise présente au colloque du 24 avril, Linda Shohet, fondatrice et directrice générale du Centre d’alphabétisation du Québec, renchérit sur l’argument économique en affirmant que “le rendement est meilleur si l’on investit dans l’éducation des personnes ayant la littératie la plus basse plutôt que dans les technologies médicales”, puisque les consultations médicales, les appels téléphoniques, l’utilisation des soins d’urgence s’en verront diminués tandis que la prévention sera augmentée.
Le concept de littératie en santé présente un autre avantage aux yeux de Stephan Van den Broucke : il permet de montrer que l’éducation pour la santé a des effets. “En promotion de la santé, on est toujours confronté à la difficulté de montrer que ce que l’on fait est efficace. On est souvent accusé de manque d’efficacité, faute de pouvoir démontrer des résultats sur les comportements liés à la santé dans la population. On oublie cependant que ces comportements ne sont pas seulement influencés par les interventions éducatives, mais par un éventail de facteurs” explique-t-il. “Les variations du niveau de littératie en santé représentent des indicateurs immédiats permettant de mesurer plus finement l’impact des actions d’éducation pour la santé que le comportement, qui est un output éloigné”.
Une très grande minorité
Certaines personnes ont un niveau de littératie en santé trop bas pour prendre soin d’elles-mêmes de manière autonome. “Le problème concerne une très grande minorité”, affirme Stephan Van den Broucke. Il est important de voir les niveaux de littératie comme un continuum, sans opposer ceux qui comprendraient tout à ceux qui ne comprendraient rien.
Les enquêtes canadiennes menées depuis une dizaine d’années distinguent plusieurs niveaux de littératie : 14% des Canadiens seraient seulement capables de décoder des mots et des phrases, 34,3% peuvent lire et comprendre un texte simple sans aucune inférence, 35,5% sont en mesure de lire et de tirer des conclusions et enfin 13,9% à peine, sont capables d’inférences complexes. Si les niveaux inférieurs suffisent généralement pour fonctionner au quotidien, la plupart des communications en santé requièrent le niveau de littératie le plus élevé. Michel T. Giroux souligne que par conséquent, six Canadiens sur dix sont incapables d’obtenir certains renseignements et services de santé auxquels ils ont pourtant droit, de les comprendre et d’agir en conséquence.
Stephan Van de Broucke a quant à lui mené une recherche utilisant les données de presque 10 000 affiliés des Mutualités chrétiennes et comparé ses résultats avec ceux d’une vaste étude européenne à laquelle il a lui-même contribué il y a quelques années. Constat : avec trois Belges sur dix qui ont une connaissance limitée des matières touchant à la santé et un sur dix qui en a une connaissance insuffisante pour poser des choix de santé éclairés, la Belgique se situe au milieu des pays européens. Elle remporte de moins bons résultats que les Pays-Bas mais se classe mieux que la Bulgarie ou l’Autriche, par exemple. La recherche a également montré que les personnes présentant un niveau insuffisant étaient plus nombreuses parmi les francophones que parmi les néerlandophones.
Un médiateur des inégalités de santé
Il est démontré qu’un niveau élevé de littératie en santé est lié de façon significative à un bon état de santé perçu et à une faible prévalence de plusieurs maladies.
Au Québec, on souligne surtout qu’une bonne communication au sein du système de santé et une relation de confiance entre patient et médecin font partie des clés de l’efficacité thérapeutique.
En Belgique, on met plutôt l’accent sur le fait que la littératie est corrélée avec les comportements de santé : les personnes qui présentent un niveau de littératie en santé moins élevé adoptent des comportements moins favorables à leur santé.
La littératie en santé serait-elle donc un déterminant de la santé parmi d’autres ? Pas tout à fait, nuance Stephan Van den Broucke : “Il faut plutôt la concevoir comme un médiateur important des effets des facteurs sociaux, tels que le niveau de revenus ou d’éducation par exemple.” L’étude réalisée à partir des données des Mutualités chrétiennes a notamment montré que la littératie en santé avait bien un effet médiateur dans la relation entre le niveau d’éducation et l’alimentation, l’activité physique ou encore la prise de médicaments. Ainsi, entre les inégalités sociales qui existent au sein de la société et les inégalités de santé qui leur sont corrélées, la littératie pourrait jouer un rôle de médiation : une hypothèse qui tient la route et pour laquelle des confirmations partielles existent, même si la littérature n’est pas assez développée pour le prouver complètement. “Il manque encore un modèle intégratif explicitant les liens entre les différentes composantes et la force de ces liens”, déplore le professeur.
De quoi dépend le niveau de littératie en santé ?
La littératie est elle-même influencée par les déterminants sociaux. Sans surprise, certains publics se révèlent plus à risque de présenter un faible niveau de littératie en santé : au Canada, ce sont les personnes âgées, les immigrants récents, les personne dont la langue maternelle n’est pas une langue officielle (le français ou l’anglais) et les bénéficiaires de l’aide sociale. En Belgique, le niveau d’éducation est le facteur corrélé le plus important, mais il faut aussi considérer la situation socio-économique, le statut social, l’appartenance à un groupe minoritaire, l’âge (les plus à risque sont les 18-24 ans) et le sexe (les femmes présentent de meilleurs scores que les hommes).
Michel T. Giroux et son institut identifient quatre éléments constitutifs de la littératie: la scolarisation, l’univers culturel, l’environnement social et la condition psychologique. L’effet de cette dernière peut d’ailleurs être surprenant: on a déjà vu un patient présentant un haut niveau de scolarité devenir imperméable aux propos de son médecin dès l’instant où a été prononcé le mot ‘cancer’. De même, les médecins qui deviennent eux-mêmes patients peuvent voir leur niveau de compréhension chuter sous l’effet de l’anxiété par exemple.
Éviter d’utiliser le concept sans rien changer
Améliorer la littératie en santé pour améliorer l’état de santé passe par plusieurs stratégies. Il est essentiel de ne pas la considérer comme un problème individuel, mais de cibler différents niveaux.
“On cherche à améliorer la littératie en santé en haussant le niveau de littératie des adultes et en abaissant les demandes du système de santé en matière de littératie”, indique officiellement le Conseil canadien sur l’apprentissage.
L’action sur les individus, qui dépasse largement le rôle du secteur des soins de santé, cherche à augmenter les compétences individuelles.
L’action sur le système vise à faciliter le contexte et la navigation au sein de celui-ci par les usagers. Concrètement, il s’agit par exemple pour un hôpital de réduire les barrières administratives qui peuvent entraver l’accès aux soins, ou encore d’outiller son personnel en lui proposant des moyens d’identifier les personnes à risque et de faciliter la communication.
“Les professionnels de la santé ont pour mission de servir la population, ils doivent donc s’assurer d’être compris par celle-ci et d’ajuster leurs exigences”, estime Michel T. Giroux.
Acquérir des aptitudes individuelles, réorienter les services de santé… Deux des stratégies déjà préconisées par la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, il y a près de 30 ans. “Il faut pourtant éviter d’utiliser ce nouveau concept sans rien changer”, avertit Stephan Van den Broucke. “Les actions d’aujourd’hui sont encore surtout des interventions individuelles. Changer un système prend du temps. Mais la société reconnaît le problème, ce qui est encourageant. Et puisque c’est un problème de société, tout le monde doit prendre ses responsabilités: les soins de santé mais aussi l’enseignement, les organisations de patients, les organismes de personnes âgées…”
Intérêt international et national
Le Canada n’est pas inactif en la matière, avec plusieurs initiatives telles que la Charte de Calgary pour la littératie en santé rédigée en 2009. Aux États-Unis, il existe même des standards de littératie en santé qui sont pris en considération dans l’accréditation des hôpitaux.
Cependant, “c’est en Europe que la croissance de l’intérêt politique est la plus marquée” affirme Michel T. Giroux. Un point de vue partagé par le spécialiste belge, qui s’intéresse aussi aux politiques de santé. La littératie en santé a été reconnue comme un domaine d’action prioritaire au sein de la Stratégie de la Commission Européenne 2008-2013. Celle-ci a notamment financé une étude réalisée par un consortium de huit pays européens, qui a montré que près de la moitié des citoyens interrogés ont un niveau de littératie en santé inadéquat ou problématique. Plusieurs autres projets européens sont actuellement en cours. Du côté de l’OMS, des travaux sont menés depuis l’an 2000, et en 2013 le Comité régional européen a publié ‘Health literacy, the solid facts’, un rapport qui fait le tour du problème et des solutions.
La Belgique a emboîté le pas plus récemment. Aujourd’hui, l’intérêt va en croissant : dans un récent rapport, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) considère la littératie en santé comme un indicateur de la qualité des soins.
La création des ‘Well Done – MSD Health Literacy Awards’, des prix qui récompensent les actions exemplaires en faveur de la littératie en santé, a suscité un certain intérêt médiatique. Et enfin, la littératie en santé est (indirectement) mentionnée dans l’accord de gouvernement du 9 octobre 2014. Un paragraphe y évoque les auto-soins et l’autogestion de la santé : “Les initiatives qui encouragent la prise en charge et la gestion par soi-même sont stimulées. Dans cette optique, une attention particulière sera accordée à la promotion des connaissances en matière de santé auprès de la population, à une meilleure formation des dispensateurs de soins, pour ce qui concerne l’encouragement de la prise en charge personnelle, à une autogestion de la santé, et à la mise à disposition du patient d’informations accessibles à tous”.
Un pas en avant, peut-être, à condition toutefois de ne pas tomber dans un piège : de la reconnaissance d’un problème collectif à la responsabilisation individuelle, le pas est vite franchi. En mettant l’accent sur un déficit de compétences qui serait à l’origine de comportements peu favorables à la santé, on risque d’oublier d’autres déterminants sociaux, économiques, culturels ou environnementaux de la santé. Et l’on sait que la représentation que l’on a d’un problème influence les solutions qui sont envisagées.
Van den Broucke, S. (2014). Health literacy: a critical concept for public health. Archives of Public Health, 72(1), 10.
Près de 50% de la population souffre donc d’ ‘analphabétisme fonctionnel’, c’est-à-dire est en mesure de lire des mots détachés en comprenant leur sens mais sans pouvoir faire de lien entre les idées d’une phrase ou d’un paragraphe à l’autre. Une réalité troublante, selon Michel T. Giroux, qui est masquée par le fait que sous l’effet de la honte, les gens font semblant de comprendre.
La comparaison est cependant limitée pour des raisons méthodologiques liées à la taille de l’échantillon.
Conseil canadien sur l’apprentissage (2007). Littératie en santé au Canada: résultats initiaux de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes, Ottawa, Canada, p.11.
Pour améliorer la détection des patients présentant un faible niveau de littératie, Linda Shohet suggère d’utiliser des indicateurs tels que ‘Lisez-vous le journal?’ qui permettent d’éviter le questionnement direct susceptible d’être source de honte ou de gêne. Pour améliorer la communication, elle propose d’inviter le patient à choisir la meilleure manière de recevoir des explications médicales: «Est-ce que ce serait plus facile si je dessine, si on regarde sur internet?» ainsi que d’encourager les médecins à donner davantage la parole au patient, à l’inviter à expliquer dans ses mots ce qu’il a compris. Une évaluation de cette technique appliquée à l’échelle d’un hôpital – le projet teach back – a montré qu’elle générait moins de réadmissions, moins d’appels téléphoniques et une plus grande adhésion au traitement.
La European Health Literacy Survey 2011, dont Stephan van den Broucke coordonna le début des travaux.
Le travail mené par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) sur les ‘indicateurs de performance en promotion de la santé’est intéressant à plus d’un titre. D’abord, il a le mérite de considérer la promotion de la santé comme un des éléments constitutifs du système de santé belge. Ensuite, il tente de dépasser les indicateurs classiques de santé physique en abordant, notamment, la notion de littératie en santé. Enfin, il s’attelle à débroussailler un champ d’investigation complexe qui en raison de ce caractère ne pourra jamais être appréhendé dans sa totalité. Cela dit, il nous semble qu’il aurait pu mieux encore s’inspirer du paradigme de la promotion de la santé.
Parfaitement conscients que vouloir mesurer l’impact de la promotion de la santé est loin d’être une sinécure, notre propos à l’égard de la démarche réalisée par le KCE est d’y apporter notre regard de praticiens afin de l’améliorer. Si nous prenons la plume à ce sujet, c’est aussi parce que nous éprouvons parfois des difficultés à relier ces indicateurs aux pratiques menées en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Accroître la participation citoyenne et diminuer les inégalités
Pour commencer, deux éléments fondamentaux auraient, d’après nous, pu être davantage pris en considération par les auteurs dans la sélection des indicateurs. Premièrement, la promotion de la santé vise, comme prévu dans la Charte d’Ottawa de 1986, le bien-être et confère aux populations et aux personnes davantage de maîtrise sur l’amélioration de leur santé. Il s’agit donc d’«augmenter la capacité des personnes à choisir et maîtriser leur projet de vie et à agir sur leur environnement dans un souci de bien-être collectif et individuel».
Ce souci de rendre les populations et les personnes actrices de leur bien-être, mérite qu’il y ait davantage d’indicateurs qui témoignent de cette prise d’autonomie. Ainsi, le reflet de cette autonomisation passe, non seulement, par l’élaboration ou la recherche d’indicateurs relatifs à l’acquisition de compétences psychosociales (médiation par les pairs, capacité à demander de l’aide, renforcement de l’expression de soi, etc.) mais aussi, sur le plan politique, par la recherche d’indicateurs qui permettent de suivre l’évolution des mesures destinées à renforcer les égalités sociales (amélioration de l’accès aux soins, diminution des risques professionnels, renforcement de l’intégration sociale, réduction de la pauvreté, etc.).
Les recommandations de collecter des informations sur le concept de littératie en santé vont heureusement dans ce sens mais cette avancée reste, néanmoins, marginale par rapport à tout ce qui s’effectue sur le terrain. Pour nous, les indicateurs proposés reflètent peu notre souci d’accroître la participation citoyenne et d’atténuer les inégalités sociales de santé qui s’appliquent, aussi, parfois aux relations intervenants-bénéficiaires.
Bien-être et qualité de vie
Deuxièmement, la promotion de la santé est une démarche pratique qui a évolué et s’est transformée au fil du temps. Il ne s’agit donc pas d’une notion abstraite mais d’une réalité pragmatique. Or, à partir du moment où dans les interventions, nous mettons davantage les personnes au centre de l’action, c’est la définition même de la santé qui se transforme avec, notamment, un accent plus marqué sur sa dimension subjective. Sur le terrain, cette dimension se retrouve particulièrement bien dans les concepts de bien-être et de qualité de la vie qui se sont en partie substitués au concept de santé, notamment parce que les personnes se reconnaissent mieux dans ces notions.
Ces deux fondements de la promotion de la santé nous paraissent peu transparaître dans les indicateurs proposés, qui restent à nos yeux, en grande partie, des manifestations objectivement mesurables (surpoids, usage de tabac, consommation de fruits, offre d’activités physiques, etc.) en lien avec la dimension physique de la santé.
Ce peu de considération pour la dimension psychique et sociale est particulièrement interpellant. Il nous renvoie, d’abord, à une démarche de promotion de la santé qui serait confinée à une ‘approche préventive’ au sein de laquelle les bénéficiaires n’auraient pas la capacité de poser des choix à l’égard de leur santé et ne seraient, in fine, que les réceptacles passifs des politiques qui leur sont destinées. Pour nous, acteurs de promotion de la santé, ce confinement est en soi peu acceptable parce qu’il met en marge un pan important de notre travail. En outre, en symbolisant davantage une approche orientée sur le risque, les indicateurs sélectionnés reflètent particulièrement mal l’aspect positif de la promotion de la santé (estime de soi, satisfaction au travail, soutien social, etc.) qui est pourtant l’un des fondements de la démarche et de la ‘mutation’ de l’éducation à la santé en promotion de la santé.
Il nous renvoie, ensuite, à une conception de la santé qui considère la dimension sociale et psychique des personnes comme étant entièrement déterminée par la dimension physique. Sur ce point, nous éprouvons quelques difficultés à établir des liens entre les indicateurs et les effets qu’ils sont censés mesurer dans le modèle de Nutbeam. À titre d’exemple, en regard de ce modèle, les indicateurs choisis pour évaluer les «effets sur le plan social (qualité de vie, autonomie fonctionnelle, équité)» et les «effets sur la santé (diminution de la mortalité, morbidité et des incapacités)» de la promotion de la santé sont:
le pourcentage d’adultes en surpoids ou obèses,
le pourcentage d’adultes obèses,
la moyenne de dents cariées, manquantes ou obturées à l’âge de 12-14 ans,
le taux de diagnostic du VIH dans la population belge.
Si, en matière de santé physique, ces mesures respectent plus ou moins les critères de qualité d’un bon indicateur à savoir être valides (représentent bien les effets sur la santé), fiables (ont les mêmes effets sur la santé lorsqu’ils sont réappliqués dans des conditions semblables), spécifiques (ne varient que lorsque les effets sur la santé varient) et sensibles (varient dès que les effets sur la santé varient), il est difficilement concevable de pouvoir faire, en tant qu’acteurs de promotion de la santé, le même rapprochement qualitatif entre ces indicateurs et, comme le font les auteurs du travail, des notions d’équité ou de qualité de vie.
Explorer la réalité des acteurs
Concernant cette dernière notion, nous sommes d’ailleurs loin de la définition de l’OMS de 1994 qui, en plaçant la personne au centre du jeu, évite le dogmatisme d’une approche qui appréhenderait «la qualité de vie indépendamment des gens qui la vivent, sans considération pour leurs vécus et les systèmes de valeurs qui les animent».
En caricaturant la situation, n’est-ce pas un des problèmes de l’approche choisie par les auteurs de cette recherche qui paraissent avoir chaussé leurs lunettes d’experts en soins de santé pour appréhender les interventions de promotion de la santé? Qui semblent s’être attachés à appliquer des méthodes scientifiquement rigoureuses à un objet de recherche sans en avoir préalablement cerné tous les contours, sans en avoir repéré les différentes facettes et composantes?
Avant de réaliser une recherche sur des indicateurs de promotion de la santé, n’aurait-il pas été pertinent d’analyser préalablement la manière dont la démarche s’est développée auprès des acteurs de promotion de la santé – exploration qui en sciences sociales est l’une des étapes de la construction du modèle d’analyse – afin de mieux faire correspondre les indicateurs à notre réalité d’intervenants.
Pour illustrer ce travail d’exploration, prenons un exemple. Si nous souhaitons nous faire une idée précise du taux d’activité physique dans la population, nous avons besoin d’explorer les diverses dimensions de la vie où la population étudiée effectue des activités physiques (pratiques sportives, activités domestiques, loisirs actifs, activités professionnelles, etc.). Ce travail de défrichement constitue un moyen de ne pas avoir une vision trop stéréotypée de la situation réelle en nous permettant, par exemple, d’élaborer un indicateur synthétique basé sur différentes informations. En outre, le recours à de multiples informations pour construire l’indicateur a souvent l’avantage de pouvoir atténuer les biais issus de la manière de collecter les données et l’imperfection même d’un indicateur simple.N’aurait-il pas fallu réaliser ce type d’exploration pour opérer une sélection d’indicateurs plus à même de refléter la diversité des situations que couvre la promotion de la santé?
Dépasser la prévention ‘traditionnelle’
Comme déjà souligné dans la première partie, les actions de promotion de la santé ne sont pas exclusivement centrées sur des facteurs associés à un problème de santé physique, une maladie ou un accident. Elles portent aussi sur des déterminants (promotion d’un environnement sain, capacité de gestion du stress, amélioration de l’intégration scolaire, renforcement de la confiance en soi, etc.) du bien-être en général et font appel à des stratégies qui dépassent le cadre de la prévention ‘traditionnelle’ (développement communautaire, démarche intersectorielle, réduction des risques en milieux festifs, etc.).
Elles sont de préférence, pour nous intervenants, le fruit de la participation des bénéficiaires et des autres secteurs partenaires. Elles sont au croisement de multiples disciplines (socio-pédagogie, psychosociologie, épidémiologie, démographie, anthropologie, etc.); positionnement qui, à nos yeux, appelle à la mise en place d’approche interdisciplinaire lorsqu’elle est un objet d’étude. Schématiquement, en promotion de la santé, l’intersectorialité est à la pratique ce que l’interdisciplinarité est à la recherche et l’interministérialité au politique. Ce principe de cohérence entre pratique, recherche et politique mériterait d’avoir une place plus importante dans la méthode choisie pour sélectionner les indicateurs d’autant plus que les démarches menées aux frontières disciplinaires sont souvent sources d’innovation. Ce croisement des regards qui permet une appréhension plus globale se retrouve également dans les recommandations de Nutbeam lorsqu’il prône de combiner les approches quantitatives et qualitatives dans l’élaboration de l’évaluation de la promotion de la santé. En effet, cette combinaison, que nous défendons dans nos pratiques, constitue un bon moyen de ne pas être dans une approche simpliste de la promotion de la santé qui se résumerait à l’observation de quelques indicateurs. Elle offre ainsi l’avantage de replacer ces indicateurs dans leur contexte, de mieux saisir les conditions de leur émergence et de mieux comprendre la manière dont ils s’agencent les uns avec les autres.
Pour finir et rebondir sur l’avantage de combiner les approches méthodologiques, il paraît important de ne pas oublier les limites de l’approche par indicateurs surtout si ces derniers se réfèrent à des comportements humains. En effet, dans l’étude des conduites humaines, «une même relation statistique peut faire l’objet de plusieurs interprétations souvent très différentes». En d’autres termes, c’est le critère d’‘interprétabilité des résultats’ de la fluctuation éventuelle des indicateurs qui présente des fondements en partie caducs.
Exemples concrets
Prenons l’indicateur de ‘consommation d’alcool problématique chez les personnes de plus de 15 ans’. Il est construit sur l’échelle de mesure CAGE qui est «destinée à identifier la consommation problématique liée à la dépendance alcoolique». Or, cette mesure n’est pas exempte de risque d’erreur d’interprétation. En effet, cette échelle est construite sur base de la réponse à quatre informations: avoir ressenti un besoin de diminuer sa consommation d’alcool, avoir été irrité par des critiques concernant sa consommation d’alcool, se sentir coupable à l’égard de sa consommation d’alcool, avoir eu un besoin d’alcool dès le matin. La réponse positive à deux de ces questions vous classe en consommateurs problématiques. Si cette échelle donne des résultats relativement probants dans une population d’adultes, ils sont, par contre, moins convaincants lorsqu’ils sont appliqués aux adolescents et aux jeunes. En effet, ces derniers, en raison notamment de leur moindre expérience, ont des conduites de consommation moins régulées. Un abus d’alcool de leur part ne peut donc pas être mis sur le même pied qu’un abus d’alcool à l’âge adulte. De plus, ces conduites s’intègrent aussi dans des relations parents-enfants caractérisées, entre autres, par des interdits parentaux. Soumis au contrôle parental, les jeunes sont donc plus enclins à être l’objet de remarques que ne le sont les adultes. Enfin, n’oublions pas que sous l’influence de l’évolution des connaissances, «des comportements jugés anodins dans le passé acquièrent le statut de risque dans le présent». Cette évolution du rapport au risque est susceptible d’influencer le regard des personnes sur leurs conduites. Ainsi, par exemple, une femme enceinte qui boit, de temps en temps, un verre de vin sera plus susceptible que par le passé d’avoir l’impression de boire trop d’alcool ou encore de recevoir les remarques de son entourage. En d’autres termes, ce que nous indique ce type d’échelle varie vraisemblablement avec le temps et perd donc progressivement de sa fiabilité.
Prenons un autre exemple montrant la faiblesse des indicateurs relatifs à des conduites humaines pour évaluer des politiques spécifiques à un secteur: le ‘pourcentage de gens faisant au moins 30 minutes d’activité physique par jour’. D’un point de vue économique, les activités sportives (VTT, randonnée, jogging, etc.) sont devenues des ‘objets de consommation’ et «la société est saisie par le sport parce que le sport est saisi par l’économie». Ces activités sportives sont aussi en phase avec une partie des valeurs et normes (dépassement de soi, recherche de plaisir, compétition, etc.), produites par les divers secteurs d’activités (économique, politique, culturelle, sanitaire, etc.) et véhiculées par les médias. Associer les fluctuations de telles conduites humaines à une politique sectorielle s’avère donc particulièrement réducteur.
En résumé, pour «mesurer l’efficacité de la promotion de la santé», il semble d’abord important de bien cerner ce qu’est la promotion de la santé, d’ensuite impliquer davantage la multitude d’acteurs qui la ‘font’ pour élaborer cette ‘mesure’ et, enfin, de combiner plusieurs approches scientifiques pour effectuer cette observation.Voici quelques pistes de travail qui nous paraissent opportunes. Elles appellent à nous mettre autour de la table pour choisir et élaborer ensemble, intervenants et chercheurs, des ‘indicateurs’ qui couvrent davantage notre champ d’intervention.
Programme quinquennal et législation de promotion de la santé de la Communauté française 1998-2003, Direction Générale de la Santé, Ministère de la Communauté française).
«La perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit d’un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement» .
Lefèvre C., Insertion et qualité de vie: une approche multidimensionnelle, in L’insertion: défi pour l’analyse, enjeu pour l’action (G. Liénard éd.), Mardaga, 2001, 119-139.
Quivy R. et Van Campenhoudt L., Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, 1995, 294p.
De Singly F., L’enquête et ses méthodes. Le questionnaire, Armand Colin, 2005, 128p.
Dogan M., Pahre R., L’innovation dans les sciences sociales: la marginalité créatrice, PUF, 1991, 322p.
Nutbeam D. (1998), Evaluating health promotion – progress, problems and solutions, in Health Promotion International, 13(1):27-44.
Une telle simplification peut s’avérer légitime si nous souhaitions réaliser des comparaisons internationales pour lesquelles nous avons besoin de dénominateurs communs aux divers pays étudiés, ce qui à notre connaissance n’est pas un objectif poursuivi ici.
Leigh (1999), cité par Peretti-Watel P. (2004), Du recours au paradigme épidémiologique pour l’étude des conduites à risque, in Revue française de sociologie, 45-1: 103-132.
Bayingana K, Demarest S, Gisle L, Hesse E, Miermans PJ, Tafforeau J, Van der Heyden J. (2006), Enquête de Santé par Interview, Belgique, 2004, Service d’Épidémiologie, Institut Scientifique de Santé Publique, D/2006/2505/3, IPH/EPI REPORTS N° 2006 – 034, Bruxelles.
Favresse D. (2010), Les conduites à risque à l’adolescence, qu’en est-il? Comment sortir de l’alarmisme sans pour autant tomber dans la banalisation, in Prospective Jeunesse, Dossier «Le risque, une histoire de vie», 54:10-16.
Augustin J.-P. (2002), «La diversification territoriale des activités sportives», in L’Année sociologique, 2, 52:417-435.
En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, les médias relaient quasi quotidiennement à des prises de position sur l’avenir de la sécurité sociale et plus particulièrement du système des soins de santé.
C’est que la masse financière en jeu est importante (environ 26 milliards d’euros par an); de quoi aiguiser les tentations comptables d’économies.
Les réactions inquiètes des usagers et des acteurs sociaux et professionnels reflètent bien l’attachement de la population à un système qui garantit, dans une large mesure, l’accès à des soins médicaux de qualité. Les propositions visant à pérenniser le modèle concernent le mode de financement des hôpitaux, une politique rationnelle des médicaments, une meilleure utilisation des soins de première ligne, etc.
Système de soins et système de santé
Étonnamment, l’option d’un renforcement des politiques de promotion de la santé et de la prévention, qui relève pourtant d’une évidence de santé publique et du bon sens, semble peu à l’ordre du jour, pour ne pas dire pas du tout. Cela s’explique peut-être par l’absence de tradition dans la mise en place efficiente de programmes de promotion de la santé et de prévention, peut-être aussi par la dispersion des responsabilités entre les différents niveaux de pouvoir, dispersion que l’actuelle réforme de l’État ne résout pas, peut-être encore par le caractère dérisoire des budgets spécifiques alloués à la promotion de la santé, se traduisant, sur le terrain, par un manque criant de moyens mais aussi par un désintérêt non seulement de nos responsables politiques mais aussi des médias et des commentateurs de la vie politique et sociale.
La confusion encore très (trop) répandue entre ce que l’on appelle un système de soins et ce que doit être un système de santé nourrit cette situation de faiblesse des politiques de promotion de la santé dans notre pays.
Des soins de qualité sont nécessaires mais pas suffisants pour apporter de manière réellement équitable les conditions de maintien d’une bonne santé pour tous. L’Organisation mondiale de la santé a synthétisé les connaissances scientifiques sur le sujet : les conditions de naissance et de vie, la qualité de l’environnement et du logement, le bien-être au travail, l’emploi, le revenu, le niveau d’éducation sont des déterminants majeurs de la santé.
En Belgique, de nombreuses études (enquêtes nationales de santé, tableaux de bord de la santé en Hainaut, à Bruxelles, en Wallonie, rapports de la Fondation Roi Baudouin) ont documenté et quantifié l’impact de ces facteurs sur la santé des Belges.
Quelques chiffres en illustrent l’ampleur: on constate un écart d’espérance de vie de 7 ans entre classes sociales défavorisées et aisées; cet écart est de 18 ans si l’on s’intéresse à l’espérance de vie en bonne santé; on observe également 50% de sur-incidence des maladies cardiovasculaires chez les plus défavorisées, etc. Ces inégalités sociales en matière de santé s’installent dès l’enfance.
Les conditions de vie entrainent une distribution inéquitable suivant les groupes sociaux des facteurs de risque et de protection, en particulier par rapport aux maladies chroniques. Et ces maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires et diabète) représentent 67 % des causes de décès en Wallonie soit quelque 24.600 décès annuels. L’OMS et la plupart des organisations internationales de santé publique et médicales s’accordent pour lier ces problèmes de santé à quatre facteurs de risque principaux sur lesquels il est possible d’intervenir : le tabagisme, le déséquilibre alimentaire, la sédentarité et une consommation abusive d’alcool. En agissant prioritairement sur les trois premiers facteurs de risque communs, on peut espérer réduire de 50 % la charge des maladies chroniques. D’après l’OMS, en Europe, les pathologies non transmissibles représentent 77 % de la charge de morbidité, c’est-à-dire le poids des années de vie perdues prématurément (avant 70 ans) et des années vécues avec les maladies et les handicaps qu’elles occasionnent. De plus, elles sont responsables de près d’un tiers des causes d’hospitalisation et elles occasionnent des traitements lourds humainement et coûteux pour la sécurité sociale.
Faire enfin ce que tout le monde sait
Le constat est clair : les luttes et politiques sociales des dernières décennies ont permis un accès relativement équitable aux soins mais pas à la santé ! Plus que jamais en cette période de crise qui fragilise de larges couches de la population, les politiques de santé ne peuvent se limiter au seul maintien de soins de qualité.
Deux voies d’actions complémentaires peuvent être proposées :
intégrer les dimensions bien-être, santé, équité dans toutes les politiques publiques (logement, emploi, éducation, culture, petite enfance, revenus, environnement, mobilité…). Cette façon d’agir est une réalité dans certains pays. Elle est grandement dépendante des orientations politiques et de la capacité de nos décideurs à coordonner des plans d’action cohérents entre les niveaux de pouvoirs, y compris locaux;
renforcer structurellement la promotion de la santé et en faire une composante à part entière des politiques publiques et d’un véritable système de santé.
Ce n’est pas une révolution… C’est simplement mettre en pratique ce que «tout le monde pense» et ce que «tout le monde sait» : la promotion de la santé vise à créer des conditions de vie qui permettent le développement du bien-être ! Elle donne à la population un meilleur contrôle sur les moyens de préserver et d’améliorer sa santé.
Cela va donc bien au-delà de la simple information du public. Bien sûr cette information est indispensable : elle doit être accessible à tous, scientifiquement valide, éclairante, ni culpabilisante, ni moralisatrice. Mais cela n’est pas suffisant. Il faut aussi améliorer les conditions et les environnements de vie et de travail pour les rendre propices au bien-être et à la santé.
Menus équilibrés dans les cantines scolaires, espaces verts dans les quartiers, villes et villages piétons et cyclistes admis, protection de la qualité de l’air, qualité et accessibilité, y compris financière, de l’offre alimentaire, régulation éthique du marketing visant les enfants, protection contre la fumée du tabac, actions de renforcement des liens sociaux, promotion de l’activité physique de loisir, lutte contre la pollution sonore, promotion des modes de transport collectif… sont quelques illustrations de l’action de promotion de la santé dans les milieux de vie.
La promotion de la santé ne peut donc se concevoir qu’avec la participation des acteurs sociaux et économiques, professionnels des soins, élus, enseignants, élèves, éducateurs, associations, clubs, familles, professionnels…
Elle doit s’appuyer sur un approfondissement du débat démocratique sur les choix de société qui conditionnent la qualité de vie et l’équité.
En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, pourquoi ne pas ouvrir le débat autour de la réforme de notre système de santé !
Texte paru le 12 novembre 2014 dans La Libre Belgique et reproduit avec son aimable autorisation
Plus que jamais, l’individu est invité à devenir acteur de sa santé. Pour autant, cette injonction quasi permanente à l’autonomie dans le champ de santé nous amène à nous interroger sur la capacité réelle dont disposent les individus pour faire face à cette nouvelle responsabilité.
Comment exercent-ils une influence personnelle sur leur santé? Quelles en sont les limites et quels sont les facteurs qui à l’inverse semblent favoriser leur implication? Le mitan de la vie, nous éclaire sur ces questions centrales dans une société où la santé est au coeur de toutes les préoccupations et où modifier durablement les comportements des individus constitue un enjeu de taille.
À chaque étape de la vie, l’état de santé se caractérise par des interactions complexes entre des facteurs à la fois socio-environnementaux, économiques et individuels (Dahlgren et Whitehead, 1991). Et si le poids respectif de chaque déterminant n’est pas connu, il a cependant été démontré que certains comportements individuels défavorables exposent les individus à des facteurs de risque responsables de pathologies connues pour être les premières causes de décès dans de nombreux pays.
La sphère de la santé est donc un terrain privilégié pour étudier les processus d’autorégulation et pour s’interroger sur les pratiques et les stratégies mises en oeuvre par les individus pour rester en bonne santé (Bandura, 2007).
L’étude compréhensive que nous avons menée, basée sur des entretiens biographiques, nous éclaire sur trois points:
de quelle manière et sous quelles formes les individus exercent-ils une influence personnelle sur leur santé?
quelles sont les limites à cette capacité d’agir sur sa santé?
quels sont les facteurs qui, à l’inverse, contribuent à favoriser leur agentivité ?
C’est le mitan de la vie, période où se manifestent les premiers signes de vieillissement associés à des changements psychologiques mais également à une transformation de la perception du rapport à soi et aux autres (Boutinet, 2010) qui nous a semblé intéressant à investiguer. C’est souvent l’occasion de réinterroger son rapport à soi et à son propre corps (Millet-Bartoli, 2002) et cette prise de conscience s’avère particulièrement riche pour favoriser un travail réflexif sur son vécu, sur ses expériences et sur ses pratiques vis-à-vis de sa santé.
Exercer une influence personnelle sur sa santé
En cherchant à comprendre de quelle manière et sous quelles formes les individus peuvent exercer une influence personnelle sur leur santé, nous avons pu observer la grande diversité de comportements et de compétences mobilisées, tels que:
être capable de rechercher de l’information sur Internet dans le domaine de la santé, de l’analyser et de la synthétiser;
être capable d’appuyer ses décisions et ses actes sur l’information traitée stratégiquement;
être capable de planifier une action avec des buts à atteindre pour contribuer à préserver son capital santé, telle que la reprise d’une activité sportive ou l’arrêt du tabac;
être capable de réajuster son comportement à partir des signaux envoyés par son corps (fatigue, prise de poids, essoufflement…);
être capable de faire des choix entre plusieurs approches thérapeutiques (médecine allopathique ou alternative);
être capable d’avoir une pensée critique pour être en mesure d’argumenter avec les équipes médicales.
C’est donc un sujet capable d’autoréguler sa santé que nous avons rencontré au fil de nos entretiens, capable d’observer sa propre conduite, capable d’avoir une pensée critique pour être en mesure de choisir une stratégie tout en surveillant son exécution et d’en évaluer son processus.
Mais toutes ces conduites restent influencées à la fois par les environnements dans lesquels les personnes évoluent et par des facteurs personnels tels que le niveau d’étude, les parcours de santé, les expériences de soins ou encore les échanges avec les médecins ou l’entourage.
Quelles sont les limites à cette capacité d’agir sur sa santé?
Tout d’abord, si les individus semblent plutôt disposés à s’auto-organiser, à se comporter de façon proactive et à activer des mécanismes d’autoréflexion et d’autorégulation (Carré, 2007) notre étude fait également apparaître une tension entre ce sujet acteur de sa santé, volontaire, responsable, souhaitant s’impliquer dans les choix qui déterminent sa santé et un sentiment souvent décrit d’impuissance face au destin et surtout face à la maladie associée à la fatalité.
La maladie décrite comme provenant de l’extérieur – le destin – et dont le déclenchement serait le plus souvent attribué à la malchance voire à une forme de déterminisme semble alors échapper à toute forme de contrôle personnel.
Le vocabulaire, à cet égard, est des plus significatifs. On «attrape» une maladie. Cela vous «tombe dessus» et tous les témoignages montrent à quel point les personnes se sentent démunies face à ce qui leur apparaît comme inéluctable et qu’elles sont alors obligées de subir.
Et ce sont finalement les mêmes personnes qui durant l’entretien ont fait état d’une conviction forte en leur capacité à se maintenir en bonne santé qui doutent tout aussi fortement de leur efficacité à se prémunir des maladies.
Véritable tension entre ce qui serait déterminé par des facteurs externes, parfois difficiles à identifier, qu’il s’agisse de l’hérédité ou de l’environnement, et ce qui pourrait résulter du comportement personnel qu’elles ressentent pourtant comme une évidence, c’est-à-dire leur capacité à jouer un rôle déterminant pour se maintenir en bonne santé.
Il est tout aussi intéressant de constater à quel point ces mêmes personnes entretiennent avec le monde médical un rapport ambigu à la fois teinté d’admiration devant le savoir détenu par les médecins et les prouesses rendues possibles grâce au progrès technologique mais aussi empreint d’une profonde méfiance à son égard.
Et elles sont nombreuses à déplorer le manque de transparence mais également le manque de disponibilité, d’écoute ou encore d’attention de la part des médecins. Parfois, ce sont même leurs compétences qui sont remises en cause tant les scandales à répétition et les crises sanitaires mettent leur confiance à rude épreuve.
Finalement, faute de pouvoir s’appuyer de façon inconditionnelle sur le médecin, il faudrait se livrer à un exercice périlleux: pouvoir concilier à la fois ce que «l’on ressent avec son corps» qui indiscutablement aurait une valeur, tout en acceptant que seul le médecin dispose de connaissances scientifiques, savoir détenu par l’expert et devant lequel on doit bien s’incliner.
Cette juxtaposition entre savoirs académiques – qui sont toutefois parfois remis en cause – et savoirs profanes acquis au fil des expériences de la vie témoigne d’une véritable ambivalence et semble engendrer beaucoup de confusion dans l’esprit des individus.
Car finalement qui détient véritablement l’expertise? Le médecin qui est reconnu par ses pairs et par les institutions ou bien cet individu qui connait mieux que quiconque son corps et qui dispose d’un savoir expérientiel singulier?
Ainsi interroger les individus sur les choix qu’ils font en matière d’automédication (Fainzang, 2012) ou même à quel moment ils prennent la décision de consulter un médecin est très révélateur de ce point de vue: on s’auto-observe, on cherche des informations sur Internet, on lit, on en parle autour de soi et seulement si tout cela ne suffit pas, on ira alors consulter un médecin.
Pour autant, cette nouvelle perspective n’est pas toujours facilitante pour s’impliquer dans sa santé et derrière cette délicate articulation entre savoirs détenus par les experts et compétences mobilisées par les personnes, transparaissent beaucoup de tâtonnements et d’ajustements qui souvent freinent le processus d’autorégulation de la santé.
Qu’est-ce qui favorise l’implication dans la gestion de sa santé?
S’interroger sur les facteurs qui peuvent permettre aux individus d’exercer une influence sur leur santé, c’est se poser deux questions:
dans quelle mesure leurs propres expériences passées peuvent expliquer leurs conduites actuelles?
quel peut être l’impact de l’environnement sur leurs comportements vis-à-vis de leur santé?
Le mitan de la vie, période décrite à la fois comme une période de bilan, de prise de conscience sur le temps qui passe et sur ce corps qui se transforme mais également comme une occasion d’être plus en accord avec soi-même serait en quelque sorte un temps propice à la réflexion et à l’introspection.
Les premiers signes de vieillissement se font sentir mais sont parfois compensés par un sentiment nouveau de bien-être ou même par davantage de sérénité. Réalisation des ambitions professionnelles et construction des rapports avec les autres ont occupé bien souvent les années qui précèdent et il est temps de se demander si les choix de vie sont toujours en accord avec soi-même.
Il est aussi temps d’accepter une image corporelle altérée par le temps ou une énergie qui décline. C’est alors l’occasion de prendre davantage soin de soi. Souvent décrit comme le temps de la rencontre avec soi, c’est une période intense d’auto-analyse avec souvent un sentiment de complétude lorsque s’achève cette phase d’introspection parfois douloureuse.
La conscience du temps qui passe est souvent associée aux limites de son corps, au déclin de certaines de ses facultés et à la finitude de sa vie. Ce corps qui se transforme réclame alors plus d’attentions en nous rappelant que les soins que nous lui apportons influent sur notre santé. C’est aussi l’occasion, après avoir passé des années à prendre soin des autres, de prendre enfin un peu plus soin de soi.
Et qu’il s’agisse de prendre le temps de partir à la rencontre de soi, d’observer le travail des années et du temps qui passe ou encore de prendre davantage soin de soi, tout semble contribuer à rendre les individus encore plus actifs dans la gestion de leur santé, plus responsables et plus impliqués dans les choix qui la déterminent.
Si les individus utilisent leur influence personnelle pour agir sur leur santé et contribuent ainsi à la façonner, ils ne peuvent pour autant considérer qu’ils opèrent de façon totalement autonome. Ils évoluent dans des contextes qui vont contribuer à faciliter ou à l’inverse complexifier leur démarche.
Ainsi pour beaucoup d’entre eux, être responsable de sa santé, c’est avant tout savoir s’orienter vers les bonnes ressources et vers les personnes les plus compétentes.
Et lorsqu’ils sont à la recherche de ressources externes, ils se dirigent soit vers des professionnels de santé pour leur expertise, soit vers des pairs avec lesquels ils vont pouvoir échanger de l’information relative aux problématiques de santé.
Le professionnel de santé est alors perçu comme un partenaire en qui on peut avoir confiance et avec lequel il est possible de co-construire une démarche de santé.
Il n’y aurait plus cette asymétrie entre d’un part un médecin tout puissant car reconnu comme l’expert et disposant d’un savoir scientifique et d’un autre côté le malade impuissant puisqu’incompétent. Le médecin apparait en quelque sorte comme une personne ressource sur laquelle le sujet acteur de sa santé peut s’appuyer pour exercer la responsabilité qui resterait la sienne, celle qui consiste soit à se maintenir en bonne santé, soit à recouvrer la santé.
Et de l’avis même des personnes que nous avons rencontrées, il pourrait même y avoir une corrélation entre d’un côté le rôle joué par le médecin en termes d’information et d’accompagnement et d’un autre l’implication des individus dans la gestion de leur santé.
Conclusion
À l’issue de cette analyse, nous sommes confortés dans l’idée que les individus confrontés désormais à un monde complexe plein de défis à relever, doivent être capables à la fois de formuler de bons jugements à propos de leurs propres capacités, de prévoir les effets probables de leurs conduites, de mesurer les opportunités qui se présentent à eux mais également les contraintes afin de régler leur comportement en conséquence (Fenouillet et Carré, 2009).
Notre analyse nous amène à considérer qu’ils sont davantage en mesure de s’impliquer efficacement dans la gestion de leur santé s’ils disposent de bons jugements sur leurs capacités à se maintenir en bonne santé, s’ils peuvent s’appuyer sur leurs expériences passées pour anticiper les effets probables de leurs comportements et enfin s’ils connaissent l’environnement dans lequel ils évoluent avec ses contraintes et ses opportunités pour adapter leurs comportements en conséquence.
Néanmoins pour y parvenir, ils vont, non seulement, devoir à la fois s’appuyer sur de solides capacités cognitives, métacognitives et autorégulatrices mais également être soutenus tout au long de ce processus par un environnement qui soit à la fois incitatif et facilitateur.
Bibliographie
BANDURA Albert (2010) L’importance de l’autorégulation dans la promotion de la santé, Pratiques de formation, analyses. Usagers – experts: la part du savoir des malades dans le système de santé, n° 58-59, Janvier – Juin 2010
BANDURA Albert (2007) (trad. Jacques Lecomte), Auto-efficacité: le sentiment d’efficacité personnelle, Paris, De Boeck, 2007, 2e éd.
BOUTINET Jean Pierre (2013) Psychologie de la vie adulte, Collection Que sais-je?
CARRÉ Philippe (2005) L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir. Éditions Dunod
FAINZANG Sylvie (2012) L’automédication ou les mirages de l’autonomie, Éditions PUF
MILLET-BARTOLI Françoise (2002). La crise du milieu de vie: une deuxième chance. Paris: Odile Jacob
Sous la direction de FENOUILLET Fabien et CARRÉ Philippe (2009) Traité de psychologie de la motivation, Éditions Dunod
L’agentivité est le fait d’exercer une influence personnelle sur son propre fonctionnement et sur son environnement. Paul Ricoeur évoque à ce propos la ‘puissance personnelle d’agir’.
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