Articles de la catégorie : Réflexions

Regards sur les vieillissements

Le 30 Déc 20

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Regards sur les vieillissements

On vit de plus en plus longtemps, de quoi se réjouir: la plupart d’entre nous n’ont pas envie de quitter le monde trop tôt. Pourtant, ce constat suscite en général des regards plutôt lourds: d’un côté, focalisation sur les problèmes liés au vieillissement démographique (maladie, dépendance, poids des vieux sur la sécurité sociale, concurrence intergénérationnelle, etc.). De l’autre, analyse, décodage, déconstruction: sociologues, anthropologues, historiens, philosophes, experts en santé publique et bien d’autres conjuguent leurs efforts pour cerner le sujet.

Et cela n’a pas l’air facile: on est frappé de voir la part que prend, dans tout ce foisonnement, la définition même du sujet: c’est quoi un vieux, qu’est-ce que la vieillesse a de spécifique… Bref, de quoi parle-t-on?

La dernière livraison de Santé conjuguée, le périodique de la Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones, consacre un épais dossier à la problématique des vieillissements.

La vieillesse, ça n’existe pas, affirme Michael Singleton dans un texte passionnant évoqué en première partie de ce dossier: c’est un concept, qui n’a pas d’existence tangible dans la réalité. L’erreur serait d’oublier que les concepts et les classifications, certes utiles pour débroussailler quelque peu la complexité du monde, traitent d’abstractions et non de vivants: «n’existent que des vivants, les uns tout aussi irréductiblement singuliers et historiquement situés que les autres». Et ces vivants ne deviennent pas des ‘vieux’ d’un jour à l’autre: tous les bébés se réveillent un peu plus vieux chaque matin.

Il est dès lors plus juste de parler des vieillissements, en tant que processus qui se déroulent au long cours selon des manières et des temporalités infiniment variées, dans une multiplicité de positions subjectives, elles-mêmes fluctuantes et incertaines.

Mais n’avons-nous pas souvent tendance à ranger l’autre dans une catégorie à partir d’une de ses facettes (la nationalité, le sexe, la couleur de peau…)? Un tel étiquetage fait violence aux personnes ainsi désignées, surtout lorsqu’elles-mêmes y adhèrent faute de pouvoir l’analyser et y résister: ainsi, certaines études montrent que les personnes ayant une image négative du vieillissement récupèrent moins vite leur autonomie après une période de dépendance. L’épidémiologiste Antoine Flahaut en concluait, dans un précédent dossier, qu’il est urgent de bousculer les stéréotypes assassinsNote bas de page.

Subjectivités et EBM

Alain Cherbonnier ouvre ainsi le sujet: après avoir exprimé le vécu personnel d’un «membre du public cible», il analyse les représentations et le vocabulaire relatif aux «personnes âgées». Ensuite, Michael Singleton nous emmène ailleurs, à d’autres époques, avec un petit voyage qui vient bousculer toutes les évidences: pas de doute, nous n’avons pas affaire à un phénomène naturel mais bien à une construction sociale qu’il convient d’examiner avec attention – et de déconstruire minutieusement.

Les soignants de première ligne sont aux prises avec ces questions, eux qui accompagnent les patients «du berceau au tombeau». Et l’on perçoit, à travers ceux qui s’expriment dans la deuxième partie de ce dossier, l’importance de leur rôle: ils peuvent accélérer le vieillissement d’une personne s’ils adoptent un regard stéréotypé, ou au contraire soutenir son trajet de vie en le rencontrant de manière singulière. Prendre une position juste implique d’articuler sans cesse la subjectivité – la leur, celle de leurs patients – et l’Evidence Based Medicine; la pratique et la théorie; le soin et l’engagement social. Mais ils ne sont pas à l’abri des sentiments d’impuissance, de colère parfois: l’organisation du système de santé ou, plus largement, le système social dans lequel il s’inscrit, produit souvent l’impasse. C’est notamment le cas lorsque surviennent des problèmes de dépendance qui menacent la possibilité de terminer sa vie chez soi.

Les témoignages recueillis par Madeleine Litt, ainsi que ceux de Miguelle Benrubi et de Stefania Marsella, montrent bien que la question sociale traverse toujours les questions de santé. Jusqu’à la mort elle-même: plus les gens sont pauvres, plus ils risquent de mourir à l’hôpital, s’indignent Michel Roland et Marie-Louise Fisette. Jetant un regard sur leur longue carrière de médecin et d’infirmière en maison médicale, ils rappellent que seule une approche interdisciplinaire permet d’aborder à temps et de manière adéquate les différentes facettes du vieillissement.

La mort, largement occultée dans notre société, est bien présente dans les propos et les soucis éthiques des soignants: Martine Verhelst montre, grâce à une réflexion sensible menée avec des patients venus d’ailleurs, à quel point l’histoire de la mort est aussi celle du trajet de vie.

Tandis que Thierry Pepersack qui travaille, lui, en deuxième ligne puisqu’il est gérontologue, soulève la question de l’acharnement thérapeutique à travers l’histoire de Philomène: une vieille dame dont le parcours émaillé de solitude, de dépression et de maladie d’Alzheimer, permet d’aborder beaucoup d’autres questions rencontrées par les soignants.

La troisième partie de ce dossier dépasse la première ligne des soins pour approfondir certains aspects du maintien à domicile. Des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles évoquent une récente étude, réalisée dans le cadre d’un programme soutenu par l’INAMI, sur l’efficience respective de différentes modalités d’accompagnement du grand âge. Une autre équipe, pluri-institutionnelle, propose des modalités d’action communautaire propres à soutenir le maintien à domicile – en analysant dans un second temps les obstacles à ce type d’approche. Marinette Mormont, elle, décrit différentes options d’habitats alternatifs visant le «bien vieillir ensemble» – et elle questionne: pistes d’avenir ou luxe de privilégiés?

Regard panoramique pour la dernière partie de ce dossier: Pierre Drielsma propose une réflexion détaillée sur la manière dont le système capitaliste influence les relations intergénérationnelles et la perception des «vieux», Christian Legrève pointe la question du travail après la retraite, nous évoquons certaines analyses qui mettent en garde contre les fausses évidences souvent répandues en matière de coût du vieillissement.

En point d’orgue, une réflexion de l’association ‘Courants d’âge’ qui débusque avec vigilance les dessous économiques des politiques européennes prônant le vieillissement actif.

Beaucoup d’autres contributions auraient pu être sollicitées: le lecteur trouvera quelques références utiles en conclusion de ce dossier.

Santé conjuguée n° 72, dossier ‘Devenir… Regards sur les vieillissements, 10 euros. Abonnement annuel (frais de port compris): 30 euros Belgique, 40 euros CEE, 50 euros autres pays. Courriel: fmm@fmm.be. Internet: https://www.maisonmedicale.org.

Antoine Flahaut, «Élixir de jouvence», Santé conjuguée n° 65 juillet 2013.

La prévention quaternaire: primum non nocere

Le 30 Déc 20

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La prévention quaternaire: primum non nocere

La prévention est aujourd’hui au cœur de nos politiques de santé. Mais prévenir sans raison garder, c’est aussi ouvrir la voie à une anxiété sans limites, que ce soit celle des usagers ou des professionnels de la santé. En luttant contre cette hypocondrie généralisée, la prévention dite ‘quaternaire’ entend nous protéger de la surmédicalisation. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, nous ne sommes pas tous malades!

«Primum non nocere» («D’abord ne pas nuire»): voici l’un des principes essentiels dans l’exercice médical. Pourtant, aujourd’hui, sous l’effet conjoint de la financiarisation de l’industrie pharmaceutique et de politiques publiques de santé tentées par le risque zéro, de nombreux médecins se sentent entraînés malgré eux vers le surdiagnostic et, en corollaire, vers la surmédicalisation. Pour un médecin, «ne rien faire» est devenu un acte de résistance qui suppose certains risques, comme celui de voir ses patients s’en aller en quête d’un autre prescripteur ou comme de s’exposer à la ‘faute médicale’ – car il semble que l’on soit généralement plus sévère envers celui qui n’agit pas qu’envers celui qui agit, même à tort.

Ne pas prescrire lorsque ce n’est pas nécessaire, c’est pourtant protéger ses patients des effets secondaires, de la dépendance aux médicaments ou encore de frais inutiles. C’est aussi leur redonner confiance en leurs capacités d’aller bien.

Ces dérives de la pratique médicale que n’aurait pas dédaignées le Molière du «Malade imaginaire» restent pourtant peu débattues aujourd’hui. Le silence est d’autant plus pesant que les médias, sans même parler des pressions directes qu’exerce sur certains d’entre eux l’industrie pharmaceutique, se perçoivent souvent comme les relais nécessaires des politiques de prévention, mettant ici l’accent sur la journée du diabète, là sur les nouveaux chiffres de l’hypertension, ici encore sur la nécessité du vaccin contre le papillomavirus.

Avertir son prochain sur les dangers du tabac, de l’alcool et de la malbouffe – nouveaux péchés mortels – est devenu un devoir civique auquel journalistes et citoyens bien intentionnés se plient volontiers. Et pourtant, comme le très sérieux épidémiologiste anglais Richard Wilkinson, auteur de «Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous» (Les Petits Matins, 2013)Note bas de page, le rappelait récemment, si on considère l’ensemble des facteurs de risque, «ne pas avoir d’amis est plus nocif pour la santé que de fumer». Façon un peu rieuse de dire que l’importance de la composante psychosociale a souvent tendance à disparaître sous les campagnes massives de prévention qui, en compartimentant la santé en problématiques isolées, nous font oublier l’essentiel.

La prévention manquante

Marc Jamoulle, médecin de famille à Gilly depuis 40 ans, ne sait que trop à quel point il est devenu compliqué de mettre en cause les politiques de santé. Inspiré par les idées d’Ivan Illich, penseur de l’écologie politique, et du psychiatre Michael Balint, auteur du «Médecin, son malade et la maladie», il a élaboré dès 1986 le concept de ‘prévention quaternaire’ avec son ami le Dr Michel Roland. Ce concept, qui désigne l’attitude visant à protéger la population de la surmédicalisation, a ensuite été accepté par le Comité international de classification de la WONCA (Organisation mondiale des médecins généralistes) et sa définition publiée en 2003 dans le WONCA Dictionary of General/Family Practice.Pour l’élaborer, Marc Jamoulle est parti d’un schéma très simple: le ressenti du patient est placé en abscisse et la quête du médecin en ordonnée. En traçant une croix au milieu de ce carré, on obtient alors une table à double entrée et quatre situations différentes, qui construisent une typologie de leurs relations au fil du temps.

La première situation est celle du patient qui se sent bien et du médecin qui ne trouve pas de maladie. Elle correspond aux actions de prévention primaire: immunisation mais aussi éducation thérapeutique. Mais chez ces mêmes patients qui se sentent bien, le médecin peut aussi pratiquer un dépistage: il va alors, en prescrivant par exemple une mammographie, parier sur la présence d’un cancer chez sa patiente. On parlera de prévention secondaire. Le troisième cas correspond à la situation où le patient est effectivement malade et où le médecin le sait: il va alors le soigner mais aussi tenter d’éviter les complications liées à sa maladie: c’est ce qu’on appelle la prévention tertiaire.

Mais que se passe-t-il dans le carré restant? «Il recouvre ces cas très fréquents où le patient se sent mal et où le médecin ne trouve rien», explique Marc Jamoulle. «C’est à ce moment que deux anxiétés se rencontrent. Le patient a peur et se demande s’il n’a pas la même maladie que son voisin. Le médecin se demande s’il n’est pas en train de passer à côté de quelque chose de grave. C’est alors que se pose la question des examens complémentaires. Si le médecin s’y refuse, le patient cherche souvent un autre dispensateur. La rencontre de ces deux angoisses est donc en grande partie responsable d’importantes dépenses de santé inutiles».

Car c’est un fait: l’idée que nous sommes tous ‘malades’ s’est progressivement imposée. Alzheimer, cancer, dépression: les statistiques sont si alarmantes que nous ne voyons pas comment nous-mêmes y échapperions. Comme si ça ne suffisait pas, Internet a engendré une population non négligeable de ‘cybercondriaques’ qui écument les forums en envisageant le pire…

Par leurs études et leur formation, les médecins sont de leur côté éduqués à chercher et à trouver la maladie. Ils forment donc avec les patients d’aujourd’hui un duo détonant face auquel la prévention quaternaire apporte une réponse raisonnable.

La souffrance n’est pas la maladie

Les malades imaginaires ou ‘worried well’ comme disent les Anglo-saxons ne sont bien sûr pas d’affreux menteurs mais souvent de grands anxieux en quête de diagnostic. «Une femme vient me voir en me disant qu’elle est dépressive. Si j’en reste là, il y a beaucoup de chances qu’elle ressorte dix minutes plus tard avec sa prescription d’antidépresseurs. Mais si je parle avec elle et que j’ouvre la boîte de la parole, elle me dira ce qui ne va pas… C’est pourquoi j’ai toujours une boîte de Kleenex sur mon bureau! J’ai récemment eu une patiente dans ce cas: après deux grossesses, elle était visiblement en deuil de son ancien corps. Or un deuil n’est pas une maladie», explique le Dr Jamoulle. Certes, il est le premier à le rappeler: les médecins ne sont pas des psys. Mais ils ne sont pas non plus de simples prescripteurs. «On peut reconnaître la souffrance sans reconnaître la maladie. Or, aujourd’hui, à l’heure où les prêtres disparaissent, nous, les médecins, sommes les seuls payés pour entendre la plainte. Il est certain que nous ne devons pas passer à côté d’une situation dramatique mais nous devons aussi pouvoir dire à nos patients: vous êtes bien portant mais triste ou en deuil et je vous refuse d’être malade», explique-t-il.

Cette tentation de médicaliser toute souffrance est aussi révélatrice de la frontière que nos sociétés s’évertuent à tracer entre les maux de l’âme et ceux du corps, ces derniers apparaissant souvent comme moins honteux. Tous les spécialistes de la douleur chronique, pourtant, vous le diront: ce n’est pas parce que la souffrance physique est réelle qu’elle n’est pas étroitement en lien avec la souffrance psychique. «Notre formation nous pousse à être dualistes mais il faut résister à cela. Quatre patientes sont récemment venues me voir avec un diagnostic de fibromyalgie. Mais il se trouve que trois d’entre elles sont des femmes battues… Quant à la dernière, il semblerait qu’elle soit en réalité atteinte d’une grave maladie rhumatismale qui n’avait pas été diagnostiquée», poursuit le Dr Jamoulle. Par ailleurs, pour ce médecin de famille, l’élaboration de certaines catégories diagnostiques telle la fibromyalgie relève surtout d’un mélange d’ignorance, d’incompétence et de culpabilité de la part des médecins. «C’est impensable aujourd’hui de dire à une patiente: vous souffrez énormément mais nous ne savons pas ce que vous avez.»

De la Belgique à l’Amérique du Sud

Reconnue au niveau international, la prévention quaternaire n’en reste pas moins marginale dans la formation académique des médecins. Mais à l’heure où les scandales liés à l’industrie pharmaceutique ont ébranlé la confiance, les jeunes professionnels sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser, désireux de revenir vers une médecine davantage centrée sur le patient.La médecine basée sur les preuves, communément appelée ‘Evidence Based Medicine’(EBM), est bien sûr la première voie pour éviter la surmédicalisation: parce qu’elle permet d’évaluer les bénéfices ou dommages à partir d’études cliniques, elle autorise un dialogue argumenté et fructueux avec le patient.

Reste à prendre en compte son histoire personnelle, contrepoint nécessaire aux recommandations à large échelle. Cette approche appelée ‘Narrative based Medicine’ permet non seulement de tenir compte des antécédents familiaux et personnels de chacun mais aussi de mettre à profit le lien de confiance entre le patient et le médecin. «Nous, médecins généralistes, travaillons dans le temps, ce qui veut dire que l’acte thérapeutique que nous posons aujourd’hui devient une prévention pour demain. C’est une dynamique où la prévention n’est pas à part», explique encore le Dr Jamoulle.Étonnamment, c’est aujourd’hui en Amérique du Sud que le concept élaboré par ce médecin belge semble avoir trouvé le plus d’échos. Des groupes ‘P4’ s’y sont ainsi développés un peu partout et, en mars dernier, un groupe d’intérêt Prévention Quaternaire a été fondé au sein même du Wonca CIMF, la branche ibéro-américaine de l’Organisation mondiale des médecins généralistes.

Et l’Asie commence aussi s’intéresser à cette ‘attitude quaternaire’. Car au-delà de l’argument éthique, la prévention de la surmédicalisation apparaît comme une piste pour sauver nos systèmes de santé du naufrage. Plus riches et moins malades? À cette perspective, on se sent déjà mieux…

Voir l’article ‘L’égalité est meilleure pour tous’, Hervé Avalosse, Éducation Santé n° 307, janvier 2015.

Des progrès décisifs au profit des patients

Le 30 Déc 20

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Des progrès décisifs au profit des patients

Mois après mois depuis 35 ans, la revue Prescrire aide des dizaines de milliers de soignants à choisir au mieux parmi les options de soins disponibles. Le numéro spécial d’août 2015 de la revue Prescrire explorait ce qui constitue un progrès décisif au profit des patients.

Dans les faits, les véritables progrès thérapeutiques sont minoritaires, et parfois difficiles à repérer. Certains progrès semblent « évidents », quand ils permettent de prolonger la vie, sans détériorer sa qualité de manière disproportionnée ; de réduire une souffrance ; d’éviter des complications ou des effets indésirables graves. Ce fut le cas des premiers antirétroviraux, puis des premières « trithérapies » pour le traitement des patients porteurs du HIV.

Ces progrès ont été le fruit d’importants investissements publics dans la recherche. Les progrès dont ont bénéficié des patients atteints de certaines maladies rares sont aussi le résultat de volontés publiques fortes, et d’une régulation favorable aux progrès.

D’autres progrès sont moins flagrants, mais utiles, par exemple quand ils visent à mieux protéger les personnes : ajout d’un bouchon-sécurité au conditionnement d’un médicament dangereux pour réduire le risque d’ingestion accidentelle par un enfant ; dispositif de mise en sécurité d’une aiguille pour réduire le risque de piqûre accidentelle d’un soignant. Ces progrès sont le résultat du travail d’équipes, au sein des firmes ou des agences, qui pensent à l’amélioration de l’emploi des médicaments.

D’autres progrès, liés à des médicaments anciens qui ne sont plus protégés par un brevet, ne sont guère valorisés, hormis quelques exceptions. Pourtant, poursuivre l’évaluation de ces médicaments, optimiser leurs posologies, rechercher des formes mieux tolérées, inventer des conditionnements plus adaptés, sont autant de sources de réels progrès pour les patients.

Mesures sociales et environnementales parfois très efficaces

Disparition des nécroses de la mâchoire dans les usines d’allumettes, diminution de l’incidence des goitres, baisse du nombre de personnes tuées sur les routes : trois exemples d’amélioration de la santé de la population sans médicament.

Le recours aux professionnels de santé, aux médicaments et autres soins médicaux sont des moyens parmi d’autres pour obtenir des progrès de l’état de santé de la population, à plus ou moins large échelle. Les exemples sont nombreux. Dans les trois cas présentés dans le numéro spécial d’été de Prescrire, des mesures de prévention sociales ou environnementales ont été source de grands progrès.

À partir des années 1830, la fabrication de nouvelles allumettes au phosphore blanc provoque chez les ouvrières des nécroses de la mâchoire, une maladie aux conséquences lourdes. Fondé en 1892, le syndicat ouvrier des manufactures d’État fait pression sur le gouvernement en lançant des grèves. L’État trouve une solution technique de remplacement, puis interdit l’utilisation du phosphore blanc en 1906. Les nécroses de mâchoires disparaissent.

Au 19e siècle, les carences sévères en iode concernent de nombreux pays. On les repère par leurs manifestations les plus visibles : le goitre et le crétinisme. Aux États-Unis d’Amérique, les médecins proposent d’enrichir le sel alimentaire en iode, non pas par une mesure contraignante, mais en s’appuyant sur le volontariat des fabricants, qui participent de fait pleinement à la campagne.

Au début des années 1950 en France, les assureurs lancent en accord avec la gendarmerie nationale des actions de prévention routière et contribuent à la collecte de données sur les accidentés. À partir des années 1960, la question de l’insécurité routière, de plus en plus médiatisée, devient prioritaire dans l’agenda politique. De nombreuses mesures sont alors prises au fil des ans, avec une réduction importante du nombre de morts sur la route.

Pour des soins plus efficients, les autorités doivent investir dans des essais cliniques!

Le 30 Déc 20

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Pour des soins plus efficients, les autorités doivent investir dans des essais cliniques!

Beaucoup de questions de soins de santé importantes pour la société ne trouvent pas de réponse dans les essais cliniques menés par l’industrie pharmaceutique. Ainsi, il n’y a que peu d’études qui comparent un traitement médicamenteux et une autre approche.

Dans une nouvelle étude, le Centre fédéral d’expertise des soins de Santé (KCE) arrive à la conclusion que le financement de tels essais cliniques par des moyens publics serait un excellent investissement. Il plaide donc pour que nous prenions exemple sur d’autres pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, où cela se fait depuis des années.

Le KCE souligne l’importance de la sélection des questions prioritaires à investiguer et de l’existence d’infrastructures professionnelles et de réseaux d’expertise. Il est également important que les résultats de ces études soient mis en pratique au quotidien sur le terrain. À ces conditions, des programmes de recherche clinique financés par le secteur public pourront contribuer à un système de soins de santé plus efficient et à des soins de meilleure qualité.

Les essais commerciaux ne répondent pas toujours aux questions importantes pour la société

Avant qu’une firme pharmaceutique ne reçoive l’autorisation de commercialiser un médicament, celui-ci doit faire l’objet d’une série d’études cliniques (c’est-à-dire être testé sur des patients). Ces études doivent apporter des preuves que le nouveau produit est suffisamment sûr et efficace. Ce qui n’est pas nécessairement suffisant pour les praticiens de terrain et pour l’assurance maladie. En effet, savoir qu’un nouveau traitement est efficace est une chose, mais savoir s’il est plus efficace que les traitements existants en est une autre. Or les firmes ne sont pas toujours obligées de comparer l’efficacité de leurs produits à ceux de la concurrence.

En outre, les essais pharmaceutiques commerciaux sont souvent effectués avec des patients sélectionnés selon des critères très spécifiques. Ils ne sont donc pas représentatifs des patients rencontrés en pratique courante, souvent plus âgés, porteurs de plusieurs pathologies, etc.

Des traitements et des maladies sans grand intérêt pour l’industrie

Il est logique que certains sujets d’étude ne présentent que peu d’intérêt pour l’industrie, notamment parce qu’il s’agit de secteurs peu rentables, comme les traitements qui ne s’adressent qu’à de petits groupes cibles (par exemple les enfants, les maladies rares). À plus forte raison, ceci vaut pour des traitements non-médicamenteux, comme une modification de style de vie (manger sain, faire du sport, etc.), une technique chirurgicale, une psychothérapie, ou encore le dépistage systématique de certaines maladies.

Le KCE a donc exploré la pertinence du financement de ce type d’études avec des moyens publics, ainsi que les conditions qui devraient être mises en place le cas échéant.

Investir dans des programmes de recherche publics serait rentable

Certains pays, notamment le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ont mis sur pied depuis plusieurs années des programmes de recherche clinique financés par les pouvoirs publics. Les chercheurs du KCE ont estimé qu’un tel programme de recherche clinique serait un investissement très utile pour notre pays. Il ne contribuerait pas seulement à une utilisation plus efficiente des deniers publics, mais aussi à des soins de meilleure qualité pour les patients.

Trois conditions essentielles

Pour être couronné de succès, ce programme devrait viser un haut niveau de qualité pour un investissement aussi limité que possible. Sur base de l’analyse des bonnes pratiques en cours à l’étranger, le KCE a identifié les conditions nécessaires pour atteindre cet objectif. Elles sont au nombre de trois : une bonne sélection des questions pertinentes à investiguer, une infrastructure professionnelle avec des experts organisés en réseaux et une attention suffisante apportée à l’implantation des résultats dans la pratique quotidienne.

Une bonne sélection des questions de recherche

Une première condition de succès est que les études portent sur des questions qui ont un impact direct sur les pratiques cliniques et sur l’efficience des soins de santé.

Une infrastructure professionnelle et des experts organisés en réseau

Les études cliniques sont très coûteuses parce qu’elles requièrent des collaborateurs très spécialisés, des procédures standardisées, des infrastructures adéquates, et énormément de temps. Si l’on décide de financer un programme de recherche clinique avec des moyens publics, il faut également mettre sur pied un réseau de professionnels formés à gérer les essais cliniques dans les centres participants.

Pour certains sujets de recherche, comme par exemple les maladies rares, il est préférable de mener les études à l’échelle internationale. Pour cela, la Belgique aurait intérêt à se faire membre d’organisations internationales telles qu’ECRIN (European Clinical Research Infrastructure Network), qui soutiennent et accompagnent des essais transnationaux européens.Un avantage indirect de la mise en place d’un réseau professionnel de soutien aux essais cliniques serait de renforcer l’attractivité de notre pays aussi pour les études commerciales réalisées par l’industrie. Ceci pourrait donc contribuer à un meilleur ancrage local du secteur de la recherche appliquée. Un autre avantage est que la participation à des essais cliniques familiarise les praticiens avec les principes de l’Evidence-Based Medicine.

Implantation: de la recherche à la pratique

Enfin, les fruits des investissements publics ne pourront être récoltés que si suffisamment d’attention est accordée à la diffusion et à la mise en œuvre des résultats des études dans la pratique quotidienne sur le terrain, via les décisions de remboursement.

Les braconniers font-ils les meilleurs gendarmes?

Le 30 Déc 20

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Les braconniers font-ils les meilleurs gendarmes?

Philip Morris et la contrebande de cigarettes

[D’après une fiche d’information du Smoke Free Partnership]

En 2004, la Commission européenne et dix États membres de l’Union européenne (UE) ont conclu un accord d’une durée de douze ans avec Philip Morris International (PMI) visant à s’attaquer au problème du commerce illicite des produits du tabac.

Depuis, tous les États membres de l’UE ont signé cet accord. Suite à celui-ci, d’autres accords ont été conclus avec Japan Tobacco International (accord avec JTI) en décembre 2007, avec British American Tobacco (accord avec BAT) en juillet 2010 et avec Imperial Tobacco (accord avec ITL) en septembre 2010.En 2000, la Commission européenne (CE) et dix États membres (EM) de l’UE ont intenté un procès à trois fabricants mondiaux de produits du tabac, à savoir Philip Morris International, R.J. Reynolds, et Japan Tobacco International, accusant les fabricants «d’une machination mondiale actuelle visant à faire la contrebande de cigarettes, à blanchir les recettes du trafic de stupéfiants, à entraver la surveillance de l’industrie du tabac par les gouvernements, à fixer les prix de manière déloyale, à corrompre des agents publics étrangers, et à faire du commerce illégal avec des groupes terroristes et des États commanditaires d’actes de terrorisme».

Suite à la procédure judiciaire, le règlement de l’affaire concernant PMI a eu lieu en 2004 et celui concernant JTI en 2007, les paiements de ces deux fabricants à la Commission européenne et aux États membres se montant à plus de 1,6 milliard de dollars américains, au vu des pertes de recettes fiscales en rapport avec le commerce illicite. Le règlement de l’affaire concernant PMI a pris la forme d’un accord juridiquement contraignant. Les négociations (classées secrètes) concernant l’accord avec PMI ont commencé en 2001, peu de temps après le début du procès.

L’accord avec Philip Morris International

Dans le cadre de cet accord, PMI doit effectuer des paiements annuels de 1,25 milliard de dollars américains pendant 12 ans et lutter contre la contrebande future de ses cigarettes au moyen des mesures suivantes:

  • contrôle du système de distribution et des sous-traitants auxquels PMI fournit ses cigarettes;
  • mesures de suivi et de traçabilité qui devraient permettre aux autorités de retracer les cigarettes de contrebande de manière indépendante jusqu’au sous-traitant qui les achetées à PMI;
  • paiements relatifs aux saisies équivalant au montant des taxes évitées par la fraude, qui devront être effectués immédiatement en cas de saisie de produits authentiques de PMI dès lors que le volume des cigarettes dépasse le seuil de 50 000;
  • plafonds des ventes afin que celles-ci correspondent à une demande légitime dans le marché de destination spécifié, de sorte à éviter un excès d’offre et la diversion résultante des produits du tabac vers des filières illicites.

Dix questions qui fâchent

Les sommes payées à l’UE et aux États membres sont-elles utilisées pour combattre le commerce illicite?

Le budget de l’Union reçoit 9,7 % des paiements annuels effectués par les quatre fabricants de tabac (y compris PMI), conformément aux accords de l’UE avec ces derniers. Les 90,3 % restants sont versés aux États membres. Les montants perçus par la Commission et les États membres ne sont affectés à aucune action spécifique, et peu d’EM partagent des informations concernant les paiements. Par conséquent, on ne sait pas clairement comment l’argent généré par l’accord est utilisé.

L’accord avec PMI est-il adapté au but visé?

Il y a dix ans, au début de la négociation de l’accord, l’UE avait principalement affaire à des saisies de grands volumes de produits du tabac illicites. Cependant, depuis lors, le marché des produits du tabac illicites de l’UE a changé, sachant qu’en moyenne les saisies actuelles de cigarettes illicites comportent moins de 7 500 cigarettes par opération, ce qui est bien en-dessous du seuil de 50 000 cigarettes nécessaire pour que des paiements aient lieu. Par conséquent, les paiements relatifs aux saisies de cigarettes illicites se sont avérés étonnamment faibles jusqu’à présent. De plus, seulement 0,5 % des 3,8 milliards de cigarettes saisies dans l’UE en 2012 se sont révélées être authentiques.

Les agents des douanes déterminent-ils si les saisies contiennent des produits authentiques ou de contrefaçon?

Les agents de douane ont recours à l’industrie pour déterminer si les cigarettes sont authentiques (sujettes à des paiements relatifs aux saisies) ou de contrefaçon (non sujettes à des paiements relatifs aux saisies). Selon l’ensemble des accords, le ‘fabricant pertinent’, dans ce cas PMI, a le droit d’examiner les cigarettes saisies et d’envoyer un rapport sur leur authenticité à l’OLAF, l’Office européen de lutte antifraude. Si le fabricant conclut que les cigarettes sont de contrefaçon, le rapport doit contenir des documents et les résultats de l’examen visant à soutenir cette conclusion.

Y a-t-il une évaluation indépendante pour déterminer si les produits sont authentiques ou de contrefaçon?

L’accord prévoit que cette détermination soit effectuée par le fabricant. Cependant, si l’OLAF ou tout État membre participant à l’accord n’est pas de cet avis, la question sera soumise à un laboratoire indépendant identifié par l’accord. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2004 et jusqu’au 31 octobre 2013, les cigarettes saisies n’ont jamais été analysées par un laboratoire indépendant;autrement dit, toute la détermination s’est fondée sur les évaluations de l’industrie du tabac.

Comment PMI et les autres principaux fabricants de produits du tabac décident-ils si les produits saisis sont authentiques ou de contrefaçon?

Les fabricants de produits du tabac ont recours à un système appelé Codentify®, lequel a été développé en interne par PMI et dont la licence d’utilisation a été fournie gratuitement aux autres fabricants de produits du tabac (JTI, BAT, ITL).Le système Codentify®, qui répond à une exigence de l’accord en matière de développement d’un mécanisme pour réduire la contrebande, génère numériquement un algorithme à 12 chiffres pour chaque paquet de cigarettes. Ce système est censé faciliter le suivi des paquets de cigarettes au sein de la chaîne d’approvisionnement, en les authentifiant au moyen d’un code individuel lisible par une machine, lequel contient, entre autres informations, la date, l’origine, le niveau des taxes et la destination du produit.

L’accord avec PMI est-il efficace pour aider les EM à récupérer les recettes fiscales qui avaient été perdues?

L’intention des paiements relatifs aux saisies (tels que prévus dans l’accord avec PMI) était, d’une part, de dissuader PMI de continuer à participer au commerce illicite de ses cigarettes, en punissant le fabricant à chaque fois qu’il y avait une saisie d’un grand volume de ses cigarettes, et, d’autre part, de permettre aux États membres de l’UE de récupérer les recettes fiscales qui avaient été perdues.Cependant, la détermination de l’authenticité ou de la contrefaçon des cigarettes saisies est avant tout effectuée par le fabricant. Par conséquent, il n’est peut-être pas surprenant que l’industrie du tabac ait, à ce jour, trouvé que la majorité des cigarettes saisies étaient de contrefaçon, ce qui signifie des paiements faibles pour les cigarettes saisies et une compensation négligeable des pertes de recettes fiscales des États membres. Lors de la période 2004-2013, il a été avancé que 3,2 milliards (78 %) des cigarettes saisies étaient de contrefaçon.

PMI soutient-il les mesures de traçabilité établies dans la réglementation de l’UE?

En 2014, PMI et d’autres fabricants de produits du tabac tels que BAT et ITL ont contesté la directive sur les produits du tabac (2014/40/UE) devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’action demande l’annulation de l’intégralité de la directive, y compris son article 15 qui exige un système de suivi et de traçabilité de la chaîne d’approvisionnement licite dans l’ensemble de l’UE, ainsi que des dispositifs de sécurité visibles et invisibles. Le contrôle juridictionnel pourrait prendre trois ans. Cela signifie que l’OLAF envisage le renouvellement d’un accord juridique avec PMI, une société qui remet en cause la règlementation de l’UE, tout en accordant à cette société la possibilité de continuer à contrôler le système de suivi et traçabilité avec sa propre technologie (Codentify®).

L’OLAF a-t-il effectué une évaluation de l’impact de l’accord avec PMI?

La Commission Juncker a déclaré: «pour s’assurer que l’action de l’UE soit efficace, la Commission évaluera l’impact des politiques, de la législation, des accords commerciaux et d’autres mesures, à tous les stades, de la planification à la mise en oeuvre et au bilan». Mais la Commission a aussi affirmé que l’accord était efficace, sans avoir mené une évaluation de son impact. Selon les déclarations officielles, les services de la Commission et les États membres ont déjà tenu des réunions exploratoires avec PMI, et des discussions au sujet d’un renouvellement de l’accord sont en cours.

Les discussions actuelles à propos du renouvellement de l’accord avec PMI respectent-elles la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT)?

La CCLAT est le premier traité sanitaire international et elle a été développée en réponse à la mondialisation de l’épidémie de tabagisme. L’UE et tous ses États membres ont ratifié cette convention et ont par conséquent des obligations juridiques de mise en oeuvre de ses articles.

Les Parties devraient être responsables de leurs actes et agir dans la transparence en cas d’interaction avec l’industrie du tabac. Les directives précisent aussi que les Parties ne devraient avoir d’interaction avec l’industrie du tabac que «lorsque cela est nécessaire et en se limitant strictement à ce qui est nécessaire pour leur permettre de réglementer efficacement l’industrie du tabac et les produits du tabac».

Il n’est pas clair si l’interaction entre la Commission (y compris l’OLAF) et PMI se limite strictement à ce qui est nécessaire parce que le contenu de ces réunions est tenu secret. Depuis 10 ans, des demandes d’accès aux documents montrent que l’OLAF a eu de nombreuses réunions avec PMI et les trois autres principaux fabricants de produits du tabac, mais des informations détaillées concernant ces réunions n’ont pas été publiées. Il se peut que le partenariat entre l’UE et PMI contrevienne aux directives pour l’application de l’article 5.3 de la CCLAT, lesquelles spécifient que les Parties ne devraient ni accepter, ni soutenir, ni agréer les «partenariats» avec l’industrie du tabac lors de toute initiative liée à l’élaboration ou à l’application de politiques de santé publique.

Y a-t-il d’autres mécanismes pour lutter contre le commerce illicite de produits du tabac dans l’UE?

Outre l’article 15 de la directive sur les produits du tabac mentionné ci-dessus, l’UE a d’autres mesures à sa disposition pour lutter contre le commerce illicite de produits du tabac. Le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, négocié en vertu de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, a été adopté le 12 novembre 2012 à la cinquième session de la Conférence des Parties et est actuellement ouvert à la ratification, l’acceptation, l’approbation ou l’adhésion des Parties à la CCLAT de l’OMS.

L’UE a signé le Protocole le 20 décembre 2013. Le 4 mai 2015, la Commission européenne a annoncé que l’UE devrait ratifier le Protocole et a exhorté le Conseil d’adopter une décision en ce sens, avec le consentement du Parlement européen. Le Protocole fournit des outils pour prévenir et contrebalancer le commerce illicite des produits du tabac, par le biais de mesures nationales et de coopération internationale visant à contrôler la chaîne d’approvisionnement des produits du tabac.

En dépit des arguments avancés par l’industrie, et en se basant sur les informations disponibles utilisées par PMI et les autres principaux fabricants de produits du tabac pour suivre leurs produits, on peut voir que Codentify® ne se conforme pas aux exigences du Protocole, à savoir que le système de suivi et de traçabilité instauré par chaque Partie soit «contrôlé par elle».

Le Protocole devrait prévoir un système global qui soit indépendant de l’industrie du tabac et qui serait par conséquent une solution plus efficace au problème du commerce illicite que l’accord actuel avec PMI et que les autres accords avec les principaux fabricants de produits du tabac.

Smoke Free Partnership, rue de l’Industrie 24, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 430 73 58. Internet: www.smokefreepartnership.eu.

Le gouvernement fédéral en échec face au tabac

Le 30 Déc 20

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La protection des jeunes est particulièrement défaillante!

La journée mondiale sans tabac a donné l’occasion à la Coalition nationale contre le tabac de juger sévèrement la politique de la Belgique en la matière.

Huit mois après sa prise de fonction, le bilan du gouvernement fédéral est particulièrement médiocre en ce qui concerne sa politique de lutte contre le tabac. En effet, rien n’est fait pour décourager le tabagisme: la protection des jeunes est minimaliste et les mesures visant à décourager l’usage du tabac sont tout bonnement absentes.

Depuis octobre 2014, le gouvernement et les partis de la coalition au pouvoir n’ont pas augmenté les taxes sur les cigarettes; la taxation du tabac à rouler a trop faiblement augmenté; le débat sur l’adoption du paquet neutre a été refusé par le rejet des audiences au Sénat sur ce sujet et aucune initiative n’a été prise pour décourager l’usage du tabac, maintenant ou pour les années à venir.

Selon la dernière Enquête nationale de santé, 1 Belge sur 4 fume encore. Le nombre de fumeurs a certes diminué pendant une longue période, mais cette tendance n’est plus d’actualité aujourd’hui. Depuis 2008, le nombre de fumeur n’a diminué que de 2%. Cette baisse est plus faible que prévu et nécessite d’engager des efforts supplémentaires dans la lutte contre l’usage du tabac. Le tabagisme des femmes jeunes continue d’augmenter, il s’agit là d’un phénomène émergent.

Par ailleurs, le tabagisme est fortement lié à la situation socio-économique. Ainsi, selon l’enquête, le tabagisme est plutôt une habitude de personnes et de milieux sociaux n’ayant pas bénéficié d’un enseignement supérieur. De ce fait, le tabac crée et renforce les inégalités de santé entre les différents groupes sociaux de notre société.

Les jeunes insuffisamment protégés

Notre pays agit trop peu en vue de protéger les jeunes de la fumée de tabac et de la dépendance au tabac. Du reste, ceux qui veulent résister à la tentation de fumer doivent être particulièrement déterminés. De fait, dans l’enseignement secondaire professionnel, 1 jeune sur 3 fume. De même, en Belgique, les produits du tabac sont relativement bon marché en raison d’une faible politique de prix et de taxation.

Le tabac à rouler est d’ailleurs le moins cher de tous. Accessibles en divers lieux de vente, les cigarettes manufacturées et le tabac à rouler font encore l’objet de publicités, souvent aux côtés de friandises et de magazines. Ainsi, dans notre pays, la publicité pour le tabac est encore et toujours exposée sur des lieux stratégiques: à l’intérieur et à l’extérieur des kiosques à journaux, l’industrie du tabac continue de faire la promotion de ses produits.

Ce qui manque à notre pays c’est une approche cohérente et efficace composée de diverses mesures se renforçant mutuellement. La Belgique est à la traîne par rapport aux mesures positives mises en oeuvre dans les pays voisins.

Cinq mesures pour sauver des vies

Dans le cadre de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai dernier, les organisations membres de la Coalition nationale contre le tabac ont demandé instamment au gouvernement de s’atteler enfin à la lutte contre le tabagisme. En outre, à l’occasion de la transposition de la Directive européenne 2014/40/UE sur les produits du tabac en mai 2016, elles prônent aussi la prise des mesures suivantes:

  1. Après l’Irlande, la Finlande, la Suède, l’Italie, l’Estonie, Chypre, Malte, l’Islande, la Norvège, la Bulgarie, la Croatie et l’Ukraine: l’interdiction totale de la publicité pour le tabac dans et sur la devanture des points de vente.
  2. Après l’Islande, la Norvège, l’Irlande, la Finlande, le Royaume-Uni, la Hongrie, la Croatie et l’Ukraine: l’interdiction de présentation des produits du tabac de manière visible dans les points de vente.
  3. Après l’Australie, l’Irlande, le Royaume-Uni et la France: l’introduction du paquet neutre pour les produits du tabac (à savoir sans logos ou couleurs attrayantes).
  4. L’augmentation significative du prix du tabac à rouler d’au moins 1€ et du prix des cigarettes manufacturées d’au moins 0,50€ en 2015.
  5. Après la France, le Royaume-Uni et l’Irlande: l’introduction d’une loi renforçant la protection des enfants en voiture par une interdiction de fumer pendant le transport de ces derniers.

En somme, la Coalition nationale contre le tabac demande de renverser la tendance et de faire de la protection de la santé de tous une priorité.

Chaque année, en Belgique, de 14 à 15 000 personnes meurent des suites du tabagisme. De même, le nombre de femmes victimes du cancer du poumon augmente. En 2011, 6710 personnes sont décédées d’un cancer du poumon en Belgique, dont 4868 hommes et 1842 femmes.

Coalition nationale contre le tabac

La Coalition nationale contre le tabac répond au souhait de l’Europe Contre le Cancer que les coalitions nationales des États membres de l’Union européenne réalisent une stratégie internationale de prévention du tabagisme. Elle a donc comme objectif de traduire une stratégie internationale de prévention du tabagisme au niveau de la situation belge et d’en stimuler la réalisation dans notre pays.

La Coalition est, actuellement, la seule association regroupant des organismes actifs et représentatifs, dans le domaine du tabagisme, des trois communautés linguistiques de notre pays. De la sorte, la Journée mondiale sans tabac annuelle bénéficie d’une visibilité médiatique concertée, cohérente et fédérale.

Les membres de la Coalition nationale contre le tabac sont: Fondation contre le Cancer, Association pharmaceutique belge (APB), Arbeitsgemeinschaft Für Suchtvorbeugung und Lebenbewältigung (ASL), Ligue cardiologique belge, Fonds des Affections Respiratoires (FARES), Kom op tegen Kanker (KOTK), Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH), Service d’Étude et de Prévention du Tabagisme (SEPT), Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG), Vlaams Instituut voor Gezondheidspromotie en Ziektepreventie (VIGeZ), Vlaamse Vereniging voor Respiratoire Gezondheidszorg en Tuberculosebestrijding (VRGT).

En 2015, la coalition est présidée par la Fondation contre le Cancer.Adresse: Coalition nationale contre le tabac, chée de Louvain 479, 1030 Bruxelles. Tél.: 02 736 99 99.

Mes stress d’école

Le 30 Déc 20

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Mes stress d’école

«Le monde serait meilleur si on pouvait mettre des patrouilles de police à la sortie de chaque école»Le

6 mai dernier, la plateforme ‘Concertation Réflexion École Police Bruxelles (CREPB)’ organisait une matinée d’échanges et de débats destinée aux acteurs scolairse et de manière plus générale aux acteurs de la promotion de la santé des jeunes et de la prévention des assuétudes.

On nous avait annoncé un ‘événement original sur un modèle inédit, très interactif et participatif’, nous n’avons pas été déçus.

La matinée avait attiré à la Tricoterie (Saint-Gilles) un nombreux public de plus de 200 personnes. Animée par un David LallemandNote bas de page en très grande forme, elle était structurée par trois capsules vidéo d’une dizaine de minutes dans lesquelles des jeunes s’interrogeaient et questionnaient des adultes sur le rôle de l’école, la ‘place’ de la police à l’école et exprimaient aussi leurs propres sentiments par rapport aux consommations. Comme l’avait précisé le maître de cérémonie au début, il s’agissait bien de travailler avec des savoirs d’experts sans évacuer le ressenti.

La bonne idée: les intervenants ‘prévus’ étaient dispersés dans la salle, parmi les participants, et disposaient tous d’un temps de parole limité, pour permettre un large débat avec le public, parfois consensuel, parfois contradictoire (ce qui est plus amusant, avouons-le).

Le thème du jour étant ‘Drogue – Police – École’, plusieurs représentants de la force publique ont donc eu l’occasion de s’exprimer sur les descentes de police avec chiens pisteurs dans les écoles, rares dans certaines communes bruxelloises, plus fréquentes dans d’autres.

Il n’y avait guère de contestation quant à la remarquable inefficacité de ces interventions en termes de quantités de substances saisies, vraiment dérisoires. Par contre, sur l’effet produit par les descentes sur les élèves, certains jugeaient le ‘traumatisme’ qu’elles peuvent provoquer salutaire, d’autres soulignant au contraire que la ‘peur’ de se faire coincer ajoute encore du piment à la tentation de consommer, ou encore qu’il en faut plus pour ‘traumatiser’ les ados…

La citation en tête du texte est authentique, elle ne reflète pas vraiment l’opinion dominante à la Tricoterie, qui y voyait plutôt le ‘meilleur des mondes’ dénoncé déjà en 1932 par Aldous Huxley qu’un ‘monde meilleur’. Même si tous s’accordaient sur l’idée que la police a bien un rôle à jouer au sein des écoles, les autres représentants des forces de l’ordre ont partagé avec la salle une vision plus nuancée de leur travail…

Glané au cours de cette matinée stimulante: rappelant la coexistence de deux ‘modèles préventifs’ incompatibles, la prohibition de l’usage plutôt que la gestion des modes d’usage (réduction des risques), un intervenant illustra sa préférence par un spectaculaire ‘Joint du matin chagrin, pétard du soir espoir’. Certes, la formule est choc et ne cadre pas vraiment avec ce que l’on entend généralement par ‘prévention’. Elle a pourtant le mérite d’être en phase avec le réel : un monde sans drogues est une chimère, a fortiori une école aussi. En conséquence, la prévention ne peut être portée que par une éducation aux consommations. Y voir une banalisation ou pire, une incitation, consiste à se voiler la face. Confier à la police un rôle de prévention participe du même mouvement, celui du déni de réalité. Par essence, la police n’a d’autres choix que de porter un discours fondé sur l’interdit. Si ce discours recèle quelques vertus elles n’ont que peu à voir avec une prévention se voulant à la fois efficace, pertinente et respectueuse des jeunes.Relevons aussi la présence insupportable du responsable d’une entreprise privée française de remédiation scolaire aux préoccupations manifestement aux antipodes de celles de cet événement. Mais comment diable ce trouble-fête intempestif s’était-il retrouvé parmi nous?Note bas de page

Enfin, la ‘conclusion’ du toujours judicieux Paul Herman a fini d’emporter l’adhésion du public (à l’exception, sans doute, des forces de police en présence) avec un texte à la fois drôle et empreint d’une lucidité assassine pour qui ne voit pas dans l’imaginaire d’Huxley une grille de lecture pour un futur de plus en plus proche.

Il s’agissait en réalité d’un comédien chargé de mettre un peu d’ambiance dans la matinée si nécessaire. Mission accomplie !

Nos lecteurs se souviennent sans doute de son travail dans l’émission citoyenne ‘Quand les jeunes s’en mêlent’. Travaillant pour le Délégué général aux Droits de l’Enfant de la FWB, il n’a rien perdu de sa philosophie nourrie par l’éducation permanente.

Dépistage du VIH: dépistage décentralisé et démédicalisé

Le 30 Déc 20

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Dépistage du VIH: dépistage décentralisé et démédicalisé

À l’heure actuelle, la stratégie de dépistage de pointe du VIH est médicalisée et centralisée, c’est-à-dire effectuée par un professionnel de la santé en milieu clinique.

Cette stratégie de pointe utilise des tests en laboratoire (dosages immunoenzymatiques, immunotransfert) effectués sur des échantillons de sang et les résultats finaux des tests sont communiqués lors d’une consultation en face-à-face chez un médecin/professionnel de la santé. Il est important de souligner que, pour la plupart des personnes (y compris les mineurs d’âge), cette stratégie reste l’option privilégiée pour le test du VIH.

Nouvelles recommandations en faveur d’un dépistage décentralisé et démédicalisé

Les recommandations et lignes directrices les plus récentes relatives aux stratégies de dépistage du VIH ainsi que le Plan national VIH belge prévoient une série de conditions préalables pour les stratégies de dépistage décentralisé et démédicalisé.

Le recours aux stratégies décentralisées et démédicalisées doit être réservé aux personnes qui, dans le cas contraire, passeraient à travers les mailles du filet de la stratégie actuelle. Au cours des dernières années, plusieurs programmes offrant des solutions alternatives à plusieurs aspects de la stratégie de pointe existante ont été développés et fait l’objet de projets pilotes. Parmi ces alternatives figurent:

  • la collecte d’échantillons au cours d’activités de sensibilisation;
  • l’utilisation de tests VIH rapides;
  • l’utilisation d’échantillons de salive (plutôt que des échantillons de sang)
  • la communication des résultats des tests par téléphone/SMS/internet;
  • et l’implication de personnel non professionnel de la santé, qui pourrait faciliter, voire participer au processus de dépistage du VIH.

Chacun de ces éléments est examiné dans cet avis.

Comité directeur

Une exigence préliminaire est de standardiser la phase de pré-test de tels projets de dépistage. Compte tenu du fait qu’il s’agit d’un processus qui concerne tant la dimension médicale que les aspects relatifs aux travaux en laboratoire et aux communautés à risque, le CSS recommande la mise en place d’un comité directeur. Ce comité serait chargé d’évaluer la pertinence d’un programme dans lequel le dépistage décentralisé et démédicalisé sera proposé par l’une des structures autorisées à le faire.

Recueil et traitement de données

Les données doivent être recueillies et traitées (liaison avec les soins, surveillance…) au sein d’une structure unique au large champ d’activités (Institut scientifique de santé publique). Le programme actuel doit être harmonisé (soins intégrés).

Formation

Compte tenu du contexte dans lequel est effectué le dépistage décentralisé et démédicalisé, il est nécessaire de se forger une idée précise du niveau de qualité ainsi obtenu. Cela requiert la mise en place d’un système d’assurance de qualité pour le dépistage décentralisé et démédicalisé.

Par conséquent, le CSS conseille aux autorités de santé publique belges de mettre sur pied une formation continue spécifique pour les personnes concernées.

L’avis dans son intégralité se trouve sur le site internet du Conseil Supérieur de la Santé.

L’industrie agro-alimentaire et la santé

Le 30 Déc 20

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L’industrie agro-alimentaire et la santé

FEVIA, la Fédération belge de l’industrie alimentaire, soutient l’appel récent de l’OMS à adopter une attitude responsable quant à la consommation de sucres. Toutefois, l’industrie alimentaire plaide en faveur d’un débat sociétal plus large sur l’alimentation et la santé, plutôt que de se focaliser sur des nutriments pris individuellement comme les sucres par exemple.

Selon Chris Moris, Directeur général de FEVIA, «le vrai défi est de stimuler les consommateurs à trouver un équilibre entre l’ingestion de nutriments et de calories et la dépense énergétique. Le vrai débat concerne donc la balance énergétique. La politique en matière d’enseignement et de sport y joue un rôle. FEVIA demande aux autorités de réunir les parties concernées par ce débat et veut y collaborer de manière constructive».

Un style de vie sain et des habitudes alimentaires saines sont essentiels

Quelle qu’en soit la source, une consommation excessive de calories, combinée à une activité physique insuffisante, augmente le risque d’obésité et de maladies non transmissibles comme le diabète ou les maladies cardio-vasculaires, rappelle la FEVIA. Une politique qui veut s’attaquer fondamentalement à ces défis doit aussi encourager les consommateurs à adopter un style de vie sain. Ce n’est qu’ensuite que les adaptations de l’offre auront aussi un réel effet.

«Dans le débat sur des problèmes complexes tels que l’obésité ou le diabète, on pointe trop souvent du doigt des nutriments individuels comme les sucres. Le nombre de calories ingérées doit certes être raisonnable mais nous devons surtout être pleinement conscients qu’une solution n’est possible que si l’on s’attaque aux vraies causes», ajoute Chris Moris. «Nous devons donc aussi oser parler de tous les aspects d’un style de vie sain : respectons-nous les recommandations de la pyramide alimentaire ? Bougeons-nous suffisamment ? Conscientisons-nous suffisamment nos enfants sur l’importance d’une alimentation saine et d’une activité physique suffisante ? Un vrai débat avec tous les acteurs concernés est donc nécessaire !».

Seule une approche concertée, avec la contribution de toutes les parties concernées, peut conduire à des résultats concrets. L’industrie alimentaire est consciente que la consommation énergétique totale, y compris celle des sucres, est trop élevée et que les entreprises alimentaires doivent prendre leurs responsabilités. Pour ce faire, FEVIA travaille sur trois piliers.

  • Plus que dans nos pays voisins, les entreprises alimentaires belges réalisent des efforts d’innovation et beaucoup de ces innovations de produits sont destinées à améliorer la composition nutritionnelle des denrées. Aujourd’hui, dans les rayons des magasins, le consommateur trouve un large assortiment de produits à faible teneur en sucres, des produits sans sucres ni édulcorants. Des portions plus petites sont également disponibles. Il est donc plus que jamais possible de se composer une alimentation équilibrée. Le défi est de garantir la sécurité alimentaire, les fonctions technologiques de certains ingrédients (comme le sucre) et de maintenir le goût. Ni la santé publique, ni l’économie belge n’ont en effet intérêt à voir des denrées alimentaires délaissées par le consommateur…
  • Le consommateur doit aussi être capable de choisir en connaissance de cause. C’est pourquoi, l’industrie alimentaire s’engage à reprendre un étiquetage clair et transparent, avec des informations sur les nutriments importants tels les sucres ainsi que sur le nombre de calories. Toutes ces informations permettent au consommateur de comparer les produits et de pouvoir faire des choix éclairés sur l’alimentation qui convient le mieux à son style de vie.
  • L’industrie alimentaire belge s’engage aussi en matière de marketing responsable. Le code de publicité de FEVIA, contrôlé de manière indépendante par le Jury d’Éthique Publicitaire et le Belgian Pledge, en sont de beaux exemples. Les signataires du Belgian Pledge s’engagent spécifiquement à ne plus faire de publicité envers les enfants de moins de 12 ans, sauf pour des aliments et des boissons qui répondent à des critères nutritionnels spécifiques (plus d’infos sur www.belgianpledge.be).

Réaction d’un acteur

Tout en saluant l’appel à la concertation de la Fédération belge de l’Industrie alimentaire (FEVIA), la Mutualité socialiste Solidaris estime que ses efforts ne vont pas assez vite et pas assez loin en ce qui concerne la reformulation des produits et en matière d’étiquetage.

Une alimentation de qualité passe par une information claire et honnête

La FEVIA est en faveur du système des GDA (‘Guideline Daily Amounts’ ou en français ‘Repères nutritionnels journaliers’) qui évite l’utilisation d’un code couleur (rouge pour les produits à haute teneur en sel et vert pour ceux qui en comptent moins par exemple) pour avertir le consommateur de la teneur en sucre, graisse et sel notamment. L’industrie avance des raisons économiques et invoque la responsabilisation des consommateurs. En cela, elle ne joue pas le jeu d’une information claire et honnête en regard par exemple des portions de référence qui servent à exprimer les repères nutritionnels journaliers. Il suffit de voir les portions de céréales prises comme référence (30 g) qui sont largement en deçà de ce qui est consommé lors d’un petit déjeuner.

De plus, l’alimentation est un domaine très marqué par les inégalités sociales, qu’il convient de prendre en compte quand on désire faire évoluer les habitudes de consommation. Pour Solidaris, la seule information ou bonne volonté du consommateur ne suffit pas à modifier des comportements alimentaires qui se sont installés durant plusieurs décennies sur base d’une offre alimentaire agroindustrielle. Tous les acteurs doivent prendre leurs responsabilités face au phénomène de la malbouffe en Belgique.

Afin de débattre de ces questions, Solidaris a développé récemment une plateforme sur le site www.alimentationdequalite.be. Tous les acteurs ne manqueront pas d’y être conviés, au premier rang desquels l’industrie alimentaire. Cette concertation a pour objectif de constituer un embryon de Conseil de l’alimentation rassemblant tous les acteurs du système alimentaire, des producteurs aux consommateurs en passant par les représentants de la santé, du social ou encore de l’environnement. Un tel Conseil fait malheureusement encore défaut dans notre pays.

L’utilisation des antibiotiques dans l’élevage devrait augmenter de 67% d’ici à 2030

Le 30 Déc 20

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L’utilisation des antibiotiques dans l’élevage devrait augmenter de 67% d’ici à 2030

Communiqué par l’Université libre de Bruxelles

Une équipe de chercheurs de l’Université de Princeton, de l’International Livestock Research Institute, de l’Université libre de Bruxelles et du Center for Disease Dynamics, Economics and Policy vient de mener pour la première fois une évaluation globale de la consommation d’antibiotiques dans l’élevage, et prédit une augmentation rapide durant les 15 prochaines années.

La demande globale pour les protéines animales augmente considérablement et les antibiotiques sont utilisés dans l’élevage à des fins préventives, curatives, voire comme promoteurs de croissance. Aux Etats-Unis, on estime que leur utilisation dans l’élevage représente près de 80% de toutes les ventes d’antibiotiques.

De nombreux travaux suggèrent un lien entre l’utilisation d’antibiotiques et l’émergence de bactéries résistantes qui pourraient avoir un impact important en santé humaine. Jusqu’à présent, cependant, aucune estimation quantitative de la consommation globale d’antibiotiques dans le secteur de l’élevage n’était disponible, alors qu’il s’agit d’un élément important pour évaluer les conséquences potentielles de leur usage massif.

L’étudeNote bas de page démontre que la consommation globale d’antibiotiques dans l’élevage devrait augmenter de près de 67% entre 2010 et 2030. Cinq pays, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, devraient présenter à eux-seuls une augmentation de près de 99% de la consommation d’antibiotiques, chiffre qui doit être comparé à l’augmentation de leur population sur la même période qui ne devrait être que de 13%, selon les auteurs.

En raison des volumes concernés, cette augmentation soulève des questions fondamentales sur notre capacité à conserver l’efficacité des antibiotiques dans les prochaines décennies.

«L’invention des antibiotiques fut une révolution de la santé publique du 20e siècle» a déclaré l’auteur senior de l’article, Ramanan Laxminarayan, chercheur au Princeton Environmental Institute. «Leur efficacité et la vie de millions de personnes autour du monde sont à présent en danger en raison de l’augmentation globale de la résistance aux antibiotiques, qui est largement influencée par leur consommation».

Deux tiers (66%) de l’augmentation globale de cette consommation sont dus au nombre croissant d’animaux du secteur de l’élevage. Le tiers restant peut être attribué à des changements dans les pratiques d’élevage, avec une proportion accrue d’animaux élevés dans des exploitations intensives.

«L’élevage est essentiel à la survie de près d’un milliard d’éleveurs pauvres» a déclaré Tim Robinson, chercheur à l’International Livestock Research Institute. «Ces personnes élèvent leurs animaux dans des systèmes extensifs et n’utilisent pas d’antibiotiques à des fins préventives ou comme promoteur de croissance, mais parfois simplement pour traiter leurs animaux lorsqu’ils sont malades. Si les antibiotiques sont moins efficaces, plus difficiles à obtenir, ou simplement plus chers, ces éleveurs seront les premiers à en payer le prix».

Cette étude se concentre sur les bovins, les poulets et les porcs, ces deux dernières espèces représentant la plus grande part de la consommation. Une des limites de cette première évaluation globale réside dans l’utilisation de données limitées sur les usages des antibiotiques. En effet, l’étude se base sur un jeu de données limité aux ventes recensées dans seulement 32 pays, principalement dans des économies riches de pays de l’OCDE. «Un facteur limitant de cette première évaluation est le manque de données vétérinaires sur les ventes d’antibiotiques dans de nombreux pays», note le premier auteur de l’étude, Thomas Van Boeckel, chercheur post-doctorant au Department of Ecology and Evolutionary Biology de Princeton.

La disponibilité de données globales fiables est essentielle pour les scientifiques et décideurs politiques pour à la fois mesurer l’étendue du problème, et envisager des solutions. «Parfois, ces données ne sont tout simplement pas collectées en raison de la faiblesse des systèmes de surveillance vétérinaire, mais parfois les obstacles sont plutôt d’ordre politique ou législatif. Avec ce travail, nous espérons déclencher une prise de conscience de l’importance de ces données pour appuyer des politiques globales et concertées de lutte contre la résistance aux antibiotiques» a encore déclaré Thomas Van Boeckel.

«La résistance aux antibiotiques est dangereuse. C’est une menace globale qui ne montre actuellement aucun signe de ralentissement» selon R. Laxminarayan. «Nos résultats permettent de progresser dans la compréhension de leur usage, des effets de cette consommation sur la santé humaine, une étape cruciale pour contrer les problèmes de résistance».

Cette recherche a été financée via le ‘U.S. Department of Homeland Security’, l’OCDE, la ‘Bill & Melinda Gates Foundation’, le programme RAPIDD, le ‘National Institutes of Health Fogarty International Center’ et le ‘Princeton University Grand Challenges Program’.

Etude ‘Global trends in antimicrobial use in food animals’ dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, menée par Thomas Van Boeckel, ancient doctorant de l’ULB, actuellement chercheur post-doctorant à l’université de Princeton, et co-signée par Marius Gilbert -Lutte biologique et Ecologie Spatiale, Ecole Interfacultaire de Bioingénieurs, Faculté des Sciences de l’ULB.

La littératie en santé : comprendre l’incompréhension

Le 30 Déc 20

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La littératie en santé : comprendre l’incompréhension

Le concept a la cote, les activités foisonnent, la recherche creuse et progresse, l’intérêt politique international semble marqué : la littératie en santé a le vent en poupe, en Europe comme de l’autre côté de l’Atlantique. À l’heure où la promotion de la santé déplore les ralentissements qu’elle subit, le phénomène fait figure d’exception. Échanges avec deux chercheurs, un Belge et un Québécois, un psychologue et un avocat, qui ne se sont jamais rencontrés mais sont aussi passionnés l’un que l’autre par les enjeux de la littératie en santé.

Pour définir la littératie en santé, le professeur belge Stephan Van den Broucke dépasse l’acception commune : “Selon un consensus important, la littératie en santé réfère à la capacité des individus à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des informations utiles pour pouvoir fonctionner dans le domaine de la santé et agir en faveur de leur santé. On y inclut parfois aussi la motivation nécessaire pour utiliser ces compétences. Il s’agit donc d’abord d’éléments personnels. Mais il ne faut pas oublier le rôle du contexte, qui impose ses propres exigences”.

Du côté québécois aussi, on voit désormais la littératie en santé comme le résultat de l’interaction entre les capacités d’une personne – capacités à reconnaître son besoin d’information en matière de santé, à trouver cette information, à la comprendre et à l’utiliser pour prendre des décisions éclairées sur sa santé – et les exigences d’un système de santé de plus en plus complexe.

Aucune différence de part et d’autre de l’Atlantique, donc ? “Le concept est le même en Amérique du Nord et en Europe, mais avec des accents différents”, nuance Stephan Van de Broucke. “En Amérique, la notion est bien connue depuis quelques décennies, mais essentiellement considérée dans le cadre des soins de santé et en particulier des rapports patient-médecin. En Europe, où l’utilisation du concept remonte au début des années 2000, l’accent a été d’emblée mis sur le rôle de la littératie en santé dans l’éducation pour la santé et la promotion de la santé”.

Pour l’avocat québécois, une question d’éthique

Michel T. Giroux est avocat et docteur en philosophie. Il dirige l’Institut de consultation et de recherche en éthique et en droit (ICRED), situé à Québec. En avril 2014, une journée de colloque sur la littératie en santé intitulée ‘Comprendre l’incompréhension: la communication avec l’usager’ organisée par l’ICRED a attiré plus de 100 personnes. Pas mal pour un sujet aussi pointu.

Mais pourquoi un avocat et éthicien s’intéresse-t-il à ce concept ? “Parce que derrière les enjeux de communication, il s’agit bien d’une question de justice, d’équité dans l’accès aux soins et services. La personne qui a un faible niveau de littératie est moins qu’une autre en mesure d’exercer son autonomie et d’accéder aux services dont elle a besoin et auxquels elle a droit”. Pour la petite histoire, son intérêt est né d’une situation bien concrète : dans le cadre d’une recherche clinique, Michel T. Giroux et son équipe devaient obtenir, comme toujours, le consentement éclairé des sujets. C’est alors qu’il s’est aperçu que la compréhension du formulaire de consentement posait problème à bon nombre de participants. «Un problème que l’on n’observe pas uniquement en recherche clinique, mais aussi au sein de la relation d’aide et de soins» précise-t-il.

Pour le psychologue belge, un moyen et un indicateur d’efficacité

Stephan Van den Broucke, quant à lui, est professeur de psychologie de la santé à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université catholique de Louvain et donne aussi cours à la Katholieke Universiteit Leuven. Avec un pied en Wallonie et l’autre en Flandre, son expertise dépasse toutefois largement les frontières belges, puisqu’il enseigne également à l’Université Paris Descartes, est éditeur associé de la revue scientifique renommée Health Promotion International et membre du Comité de direction et Vice-président de l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé (UIPES).

Pour lui, l’enjeu de la littératie en santé est celui de l’efficacité de nos actions : “Les avantages d’un bon niveau de littératie en santé sont multiples: des choix plus éclairés, une plus grande auto-efficacité, des attitudes et comportements de santé plus positifs, une prévention accrue, de meilleurs résultats de santé, une diminution du coût des soins de santé… Par conséquent, de bons niveaux de littératie en santé améliorent la santé globale de la population”Note bas de page, écrit-t-il dans un récent article, en soulignant aussi que c’est surtout la question des inégalités qui l’intéresse et le motive.

Une conférencière québécoise présente au colloque du 24 avril, Linda Shohet, fondatrice et directrice générale du Centre d’alphabétisation du Québec, renchérit sur l’argument économique en affirmant que “le rendement est meilleur si l’on investit dans l’éducation des personnes ayant la littératie la plus basse plutôt que dans les technologies médicales”, puisque les consultations médicales, les appels téléphoniques, l’utilisation des soins d’urgence s’en verront diminués tandis que la prévention sera augmentée.

Le concept de littératie en santé présente un autre avantage aux yeux de Stephan Van den Broucke : il permet de montrer que l’éducation pour la santé a des effets. “En promotion de la santé, on est toujours confronté à la difficulté de montrer que ce que l’on fait est efficace. On est souvent accusé de manque d’efficacité, faute de pouvoir démontrer des résultats sur les comportements liés à la santé dans la population. On oublie cependant que ces comportements ne sont pas seulement influencés par les interventions éducatives, mais par un éventail de facteurs” explique-t-il. “Les variations du niveau de littératie en santé représentent des indicateurs immédiats permettant de mesurer plus finement l’impact des actions d’éducation pour la santé que le comportement, qui est un output éloigné”.

Une très grande minorité

Certaines personnes ont un niveau de littératie en santé trop bas pour prendre soin d’elles-mêmes de manière autonome. “Le problème concerne une très grande minorité”, affirme Stephan Van den Broucke. Il est important de voir les niveaux de littératie comme un continuum, sans opposer ceux qui comprendraient tout à ceux qui ne comprendraient rien.

Les enquêtes canadiennes menées depuis une dizaine d’années distinguent plusieurs niveaux de littératie : 14% des Canadiens seraient seulement capables de décoder des mots et des phrases, 34,3% peuvent lire et comprendre un texte simple sans aucune inférenceNote bas de page, 35,5% sont en mesure de lire et de tirer des conclusions et enfin 13,9% à peine, sont capables d’inférences complexes. Si les niveaux inférieurs suffisent généralement pour fonctionner au quotidien, la plupart des communications en santé requièrent le niveau de littératie le plus élevé. Michel T. Giroux souligne que par conséquent, six Canadiens sur dix sont incapables d’obtenir certains renseignements et services de santé auxquels ils ont pourtant droit, de les comprendre et d’agir en conséquence.

Stephan Van de Broucke a quant à lui mené une recherche utilisant les données de presque 10 000 affiliés des Mutualités chrétiennesNote bas de page et comparé ses résultats avec ceux d’une vaste étude européenne à laquelle il a lui-même contribué il y a quelques années. Constat : avec trois Belges sur dix qui ont une connaissance limitée des matières touchant à la santé et un sur dix qui en a une connaissance insuffisante pour poser des choix de santé éclairés, la Belgique se situe au milieu des pays européens. Elle remporte de moins bons résultats que les Pays-Bas mais se classe mieux que la Bulgarie ou l’Autriche, par exempleNote bas de page. La recherche a également montré que les personnes présentant un niveau insuffisant étaient plus nombreuses parmi les francophones que parmi les néerlandophones.

Un médiateur des inégalités de santé

Il est démontré qu’un niveau élevé de littératie en santé est lié de façon significative à un bon état de santé perçu et à une faible prévalence de plusieurs maladies.

Au Québec, on souligne surtout qu’une bonne communication au sein du système de santé et une relation de confiance entre patient et médecin font partie des clés de l’efficacité thérapeutique.

En Belgique, on met plutôt l’accent sur le fait que la littératie est corrélée avec les comportements de santé : les personnes qui présentent un niveau de littératie en santé moins élevé adoptent des comportements moins favorables à leur santé.

La littératie en santé serait-elle donc un déterminant de la santé parmi d’autres ? Pas tout à fait, nuance Stephan Van den Broucke : “Il faut plutôt la concevoir comme un médiateur important des effets des facteurs sociaux, tels que le niveau de revenus ou d’éducation par exemple.” L’étude réalisée à partir des données des Mutualités chrétiennes a notamment montré que la littératie en santé avait bien un effet médiateur dans la relation entre le niveau d’éducation et l’alimentation, l’activité physique ou encore la prise de médicaments. Ainsi, entre les inégalités sociales qui existent au sein de la société et les inégalités de santé qui leur sont corrélées, la littératie pourrait jouer un rôle de médiation : une hypothèse qui tient la route et pour laquelle des confirmations partielles existent, même si la littérature n’est pas assez développée pour le prouver complètement. “Il manque encore un modèle intégratif explicitant les liens entre les différentes composantes et la force de ces liens”, déplore le professeur.

De quoi dépend le niveau de littératie en santé ?

La littératie est elle-même influencée par les déterminants sociaux. Sans surprise, certains publics se révèlent plus à risque de présenter un faible niveau de littératie en santé : au Canada, ce sont les personnes âgées, les immigrants récents, les personne dont la langue maternelle n’est pas une langue officielle (le français ou l’anglais) et les bénéficiaires de l’aide sociale. En Belgique, le niveau d’éducation est le facteur corrélé le plus important, mais il faut aussi considérer la situation socio-économique, le statut social, l’appartenance à un groupe minoritaire, l’âge (les plus à risque sont les 18-24 ans) et le sexe (les femmes présentent de meilleurs scores que les hommes).

Michel T. Giroux et son institut identifient quatre éléments constitutifs de la littératie: la scolarisation, l’univers culturel, l’environnement social et la condition psychologique. L’effet de cette dernière peut d’ailleurs être surprenant: on a déjà vu un patient présentant un haut niveau de scolarité devenir imperméable aux propos de son médecin dès l’instant où a été prononcé le mot ‘cancer’. De même, les médecins qui deviennent eux-mêmes patients peuvent voir leur niveau de compréhension chuter sous l’effet de l’anxiété par exemple.

Éviter d’utiliser le concept sans rien changer

Améliorer la littératie en santé pour améliorer l’état de santé passe par plusieurs stratégies. Il est essentiel de ne pas la considérer comme un problème individuel, mais de cibler différents niveaux.

“On cherche à améliorer la littératie en santé en haussant le niveau de littératie des adultes et en abaissant les demandes du système de santé en matière de littératie”, indique officiellement le Conseil canadien sur l’apprentissageNote bas de page.

L’action sur les individus, qui dépasse largement le rôle du secteur des soins de santé, cherche à augmenter les compétences individuelles.

L’action sur le système vise à faciliter le contexte et la navigation au sein de celui-ci par les usagers. Concrètement, il s’agit par exemple pour un hôpital de réduire les barrières administratives qui peuvent entraver l’accès aux soins, ou encore d’outiller son personnel en lui proposant des moyens d’identifier les personnes à risque et de faciliter la communicationNote bas de page.

“Les professionnels de la santé ont pour mission de servir la population, ils doivent donc s’assurer d’être compris par celle-ci et d’ajuster leurs exigences”, estime Michel T. Giroux.

Acquérir des aptitudes individuelles, réorienter les services de santé… Deux des stratégies déjà préconisées par la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, il y a près de 30 ans. “Il faut pourtant éviter d’utiliser ce nouveau concept sans rien changer”, avertit Stephan Van den Broucke. “Les actions d’aujourd’hui sont encore surtout des interventions individuelles. Changer un système prend du temps. Mais la société reconnaît le problème, ce qui est encourageant. Et puisque c’est un problème de société, tout le monde doit prendre ses responsabilités: les soins de santé mais aussi l’enseignement, les organisations de patients, les organismes de personnes âgées…”

Intérêt international et national

Le Canada n’est pas inactif en la matière, avec plusieurs initiatives telles que la Charte de Calgary pour la littératie en santé rédigée en 2009. Aux États-Unis, il existe même des standards de littératie en santé qui sont pris en considération dans l’accréditation des hôpitaux.

Cependant, “c’est en Europe que la croissance de l’intérêt politique est la plus marquée” affirme Michel T. Giroux. Un point de vue partagé par le spécialiste belge, qui s’intéresse aussi aux politiques de santé. La littératie en santé a été reconnue comme un domaine d’action prioritaire au sein de la Stratégie de la Commission Européenne 2008-2013. Celle-ci a notamment financé une étude réalisée par un consortium de huit pays européensNote bas de page, qui a montré que près de la moitié des citoyens interrogés ont un niveau de littératie en santé inadéquat ou problématique. Plusieurs autres projets européens sont actuellement en cours. Du côté de l’OMS, des travaux sont menés depuis l’an 2000, et en 2013 le Comité régional européen a publié ‘Health literacy, the solid facts’, un rapport qui fait le tour du problème et des solutions.

La Belgique a emboîté le pas plus récemment. Aujourd’hui, l’intérêt va en croissant : dans un récent rapport, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) considère la littératie en santé comme un indicateur de la qualité des soins.

La création des ‘Well Done – MSD Health Literacy Awards’Note bas de page, des prix qui récompensent les actions exemplaires en faveur de la littératie en santé, a suscité un certain intérêt médiatique. Et enfin, la littératie en santé est (indirectement) mentionnée dans l’accord de gouvernement du 9 octobre 2014. Un paragraphe y évoque les auto-soins et l’autogestion de la santé : “Les initiatives qui encouragent la prise en charge et la gestion par soi-même sont stimulées. Dans cette optique, une attention particulière sera accordée à la promotion des connaissances en matière de santé auprès de la population, à une meilleure formation des dispensateurs de soins, pour ce qui concerne l’encouragement de la prise en charge personnelle, à une autogestion de la santé, et à la mise à disposition du patient d’informations accessibles à tous”.

Un pas en avant, peut-être, à condition toutefois de ne pas tomber dans un piège : de la reconnaissance d’un problème collectif à la responsabilisation individuelle, le pas est vite franchi. En mettant l’accent sur un déficit de compétences qui serait à l’origine de comportements peu favorables à la santé, on risque d’oublier d’autres déterminants sociaux, économiques, culturels ou environnementaux de la santé. Et l’on sait que la représentation que l’on a d’un problème influence les solutions qui sont envisagées.

Van den Broucke, S. (2014). Health literacy: a critical concept for public health. Archives of Public Health, 72(1), 10.

Près de 50% de la population souffre donc d’ ‘analphabétisme fonctionnel’, c’est-à-dire est en mesure de lire des mots détachés en comprenant leur sens mais sans pouvoir faire de lien entre les idées d’une phrase ou d’un paragraphe à l’autre. Une réalité troublante, selon Michel T. Giroux, qui est masquée par le fait que sous l’effet de la honte, les gens font semblant de comprendre.

Van den Broucke, S. et Renwart, A. (2014). La littératie en santé en Belgique: un médiateur des inégalités sociales et des comportements de santé. Louvain la Neuve: Université catholique de Louvain. Les faits saillants sont présentés dans la version en ligne du numéro 305 d’Éducation Santé.

La comparaison est cependant limitée pour des raisons méthodologiques liées à la taille de l’échantillon.

Conseil canadien sur l’apprentissage (2007). Littératie en santé au Canada: résultats initiaux de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes, Ottawa, Canada, p.11.

Pour améliorer la détection des patients présentant un faible niveau de littératie, Linda Shohet suggère d’utiliser des indicateurs tels que ‘Lisez-vous le journal?’ qui permettent d’éviter le questionnement direct susceptible d’être source de honte ou de gêne. Pour améliorer la communication, elle propose d’inviter le patient à choisir la meilleure manière de recevoir des explications médicales: «Est-ce que ce serait plus facile si je dessine, si on regarde sur internet?» ainsi que d’encourager les médecins à donner davantage la parole au patient, à l’inviter à expliquer dans ses mots ce qu’il a compris. Une évaluation de cette technique appliquée à l’échelle d’un hôpital – le projet teach back – a montré qu’elle générait moins de réadmissions, moins d’appels téléphoniques et une plus grande adhésion au traitement.

La European Health Literacy Survey 2011, dont Stephan van den Broucke coordonna le début des travaux.

Un regard d’intervenants sur les indicateurs de performance en promotion de la santé

Le 30 Déc 20

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Le travail mené par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) sur les ‘indicateurs de performance en promotion de la santé’Note bas de page est intéressant à plus d’un titre. D’abord, il a le mérite de considérer la promotion de la santé comme un des éléments constitutifs du système de santé belge. Ensuite, il tente de dépasser les indicateurs classiques de santé physique en abordant, notamment, la notion de littératie en santé. Enfin, il s’attelle à débroussailler un champ d’investigation complexe qui en raison de ce caractère ne pourra jamais être appréhendé dans sa totalité. Cela dit, il nous semble qu’il aurait pu mieux encore s’inspirer du paradigme de la promotion de la santé.

Parfaitement conscients que vouloir mesurer l’impact de la promotion de la santé est loin d’être une sinécure, notre propos à l’égard de la démarche réalisée par le KCE est d’y apporter notre regard de praticiens afin de l’améliorer. Si nous prenons la plume à ce sujet, c’est aussi parce que nous éprouvons parfois des difficultés à relier ces indicateurs aux pratiques menées en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Accroître la participation citoyenne et diminuer les inégalités

Pour commencer, deux éléments fondamentaux auraient, d’après nous, pu être davantage pris en considération par les auteurs dans la sélection des indicateurs. Premièrement, la promotion de la santé vise, comme prévu dans la Charte d’Ottawa de 1986, le bien-être et confère aux populations et aux personnes davantage de maîtrise sur l’amélioration de leur santé. Il s’agit donc d’«augmenter la capacité des personnes à choisir et maîtriser leur projet de vie et à agir sur leur environnement dans un souci de bien-être collectif et individuel»Note bas de page.

Ce souci de rendre les populations et les personnes actrices de leur bien-être, mérite qu’il y ait davantage d’indicateurs qui témoignent de cette prise d’autonomie. Ainsi, le reflet de cette autonomisation passe, non seulement, par l’élaboration ou la recherche d’indicateurs relatifs à l’acquisition de compétences psychosociales (médiation par les pairs, capacité à demander de l’aide, renforcement de l’expression de soi, etc.) mais aussi, sur le plan politique, par la recherche d’indicateurs qui permettent de suivre l’évolution des mesures destinées à renforcer les égalités sociales (amélioration de l’accès aux soins, diminution des risques professionnels, renforcement de l’intégration sociale, réduction de la pauvreté, etc.).

Les recommandations de collecter des informations sur le concept de littératie en santé vont heureusement dans ce sens mais cette avancée reste, néanmoins, marginale par rapport à tout ce qui s’effectue sur le terrain. Pour nous, les indicateurs proposés reflètent peu notre souci d’accroître la participation citoyenne et d’atténuer les inégalités sociales de santé qui s’appliquent, aussi, parfois aux relations intervenants-bénéficiaires.

Bien-être et qualité de vie

Deuxièmement, la promotion de la santé est une démarche pratique qui a évolué et s’est transformée au fil du temps. Il ne s’agit donc pas d’une notion abstraite mais d’une réalité pragmatique. Or, à partir du moment où dans les interventions, nous mettons davantage les personnes au centre de l’action, c’est la définition même de la santé qui se transforme avec, notamment, un accent plus marqué sur sa dimension subjective. Sur le terrain, cette dimension se retrouve particulièrement bien dans les concepts de bien-être et de qualité de la vie qui se sont en partie substitués au concept de santé, notamment parce que les personnes se reconnaissent mieux dans ces notions.

Ces deux fondements de la promotion de la santé nous paraissent peu transparaître dans les indicateurs proposés, qui restent à nos yeux, en grande partie, des manifestations objectivement mesurables (surpoids, usage de tabac, consommation de fruits, offre d’activités physiques, etc.) en lien avec la dimension physique de la santé.

Ce peu de considération pour la dimension psychique et sociale est particulièrement interpellant. Il nous renvoie, d’abord, à une démarche de promotion de la santé qui serait confinée à une ‘approche préventive’ au sein de laquelle les bénéficiaires n’auraient pas la capacité de poser des choix à l’égard de leur santé et ne seraient, in fine, que les réceptacles passifs des politiques qui leur sont destinées. Pour nous, acteurs de promotion de la santé, ce confinement est en soi peu acceptable parce qu’il met en marge un pan important de notre travail. En outre, en symbolisant davantage une approche orientée sur le risque, les indicateurs sélectionnés reflètent particulièrement mal l’aspect positif de la promotion de la santé (estime de soi, satisfaction au travail, soutien social, etc.) qui est pourtant l’un des fondements de la démarche et de la ‘mutation’ de l’éducation à la santé en promotion de la santé.

Il nous renvoie, ensuite, à une conception de la santé qui considère la dimension sociale et psychique des personnes comme étant entièrement déterminée par la dimension physique. Sur ce point, nous éprouvons quelques difficultés à établir des liens entre les indicateurs et les effets qu’ils sont censés mesurer dans le modèle de Nutbeam. À titre d’exemple, en regard de ce modèle, les indicateurs choisis pour évaluer les «effets sur le plan social (qualité de vie, autonomie fonctionnelle, équité)» et les «effets sur la santé (diminution de la mortalité, morbidité et des incapacités)» de la promotion de la santé sont:

  • le pourcentage d’adultes en surpoids ou obèses,
  • le pourcentage d’adultes obèses,
  • la moyenne de dents cariées, manquantes ou obturées à l’âge de 12-14 ans,
  • le taux de diagnostic du VIH dans la population belge.

Si, en matière de santé physique, ces mesures respectent plus ou moins les critères de qualité d’un bon indicateur à savoir être valides (représentent bien les effets sur la santé), fiables (ont les mêmes effets sur la santé lorsqu’ils sont réappliqués dans des conditions semblables), spécifiques (ne varient que lorsque les effets sur la santé varient) et sensibles (varient dès que les effets sur la santé varient), il est difficilement concevable de pouvoir faire, en tant qu’acteurs de promotion de la santé, le même rapprochement qualitatif entre ces indicateurs et, comme le font les auteurs du travail, des notions d’équité ou de qualité de vie.

Explorer la réalité des acteurs

Concernant cette dernière notion, nous sommes d’ailleurs loin de la définition de l’OMS de 1994Note bas de page qui, en plaçant la personne au centre du jeu, évite le dogmatisme d’une approche qui appréhenderait «la qualité de vie indépendamment des gens qui la vivent, sans considération pour leurs vécus et les systèmes de valeurs qui les animent»Note bas de page.

En caricaturant la situation, n’est-ce pas un des problèmes de l’approche choisie par les auteurs de cette recherche qui paraissent avoir chaussé leurs lunettes d’experts en soins de santé pour appréhender les interventions de promotion de la santé? Qui semblent s’être attachés à appliquer des méthodes scientifiquement rigoureuses à un objet de recherche sans en avoir préalablement cerné tous les contours, sans en avoir repéré les différentes facettes et composantes?

Avant de réaliser une recherche sur des indicateurs de promotion de la santé, n’aurait-il pas été pertinent d’analyser préalablement la manière dont la démarche s’est développée auprès des acteurs de promotion de la santé – exploration qui en sciences sociales est l’une des étapes de la construction du modèle d’analyseNote bas de page – afin de mieux faire correspondre les indicateurs à notre réalité d’intervenants.

Pour illustrer ce travail d’exploration, prenons un exemple. Si nous souhaitons nous faire une idée précise du taux d’activité physique dans la population, nous avons besoin d’explorer les diverses dimensions de la vie où la population étudiée effectue des activités physiques (pratiques sportives, activités domestiques, loisirs actifs, activités professionnelles, etc.). Ce travail de défrichement constitue un moyen de ne pas avoir une vision trop stéréotypée de la situation réelle en nous permettant, par exemple, d’élaborer un indicateur synthétique basé sur différentes informations. En outre, le recours à de multiples informations pour construire l’indicateur a souvent l’avantage de pouvoir atténuer les biais issus de la manière de collecter les données et l’imperfection même d’un indicateur simpleNote bas de page.N’aurait-il pas fallu réaliser ce type d’exploration pour opérer une sélection d’indicateurs plus à même de refléter la diversité des situations que couvre la promotion de la santé?

Dépasser la prévention ‘traditionnelle’

Comme déjà souligné dans la première partie, les actions de promotion de la santé ne sont pas exclusivement centrées sur des facteurs associés à un problème de santé physique, une maladie ou un accident. Elles portent aussi sur des déterminants (promotion d’un environnement sain, capacité de gestion du stress, amélioration de l’intégration scolaire, renforcement de la confiance en soi, etc.) du bien-être en général et font appel à des stratégies qui dépassent le cadre de la prévention ‘traditionnelle’ (développement communautaire, démarche intersectorielle, réduction des risques en milieux festifs, etc.).

Elles sont de préférence, pour nous intervenants, le fruit de la participation des bénéficiaires et des autres secteurs partenaires. Elles sont au croisement de multiples disciplines (socio-pédagogie, psychosociologie, épidémiologie, démographie, anthropologie, etc.); positionnement qui, à nos yeux, appelle à la mise en place d’approche interdisciplinaire lorsqu’elle est un objet d’étude. Schématiquement, en promotion de la santé, l’intersectorialité est à la pratique ce que l’interdisciplinarité est à la recherche et l’interministérialité au politique. Ce principe de cohérence entre pratique, recherche et politique mériterait d’avoir une place plus importante dans la méthode choisie pour sélectionner les indicateurs d’autant plus que les démarches menées aux frontières disciplinaires sont souvent sources d’innovationNote bas de page. Ce croisement des regards qui permet une appréhension plus globale se retrouve également dans les recommandations de NutbeamNote bas de page lorsqu’il prône de combiner les approches quantitatives et qualitatives dans l’élaboration de l’évaluation de la promotion de la santé. En effet, cette combinaison, que nous défendons dans nos pratiques, constitue un bon moyen de ne pas être dans une approche simpliste de la promotion de la santé qui se résumerait à l’observation de quelques indicateursNote bas de page. Elle offre ainsi l’avantage de replacer ces indicateurs dans leur contexte, de mieux saisir les conditions de leur émergence et de mieux comprendre la manière dont ils s’agencent les uns avec les autres.

Pour finir et rebondir sur l’avantage de combiner les approches méthodologiques, il paraît important de ne pas oublier les limites de l’approche par indicateurs surtout si ces derniers se réfèrent à des comportements humains. En effet, dans l’étude des conduites humaines, «une même relation statistique peut faire l’objet de plusieurs interprétations souvent très différentes»Note bas de page. En d’autres termes, c’est le critère d’‘interprétabilité des résultats’ de la fluctuation éventuelle des indicateurs qui présente des fondements en partie caducs.

Exemples concrets

Prenons l’indicateur de ‘consommation d’alcool problématique chez les personnes de plus de 15 ans’. Il est construit sur l’échelle de mesure CAGE qui est «destinée à identifier la consommation problématique liée à la dépendance alcoolique»Note bas de page. Or, cette mesure n’est pas exempte de risque d’erreur d’interprétation. En effet, cette échelle est construite sur base de la réponse à quatre informations: avoir ressenti un besoin de diminuer sa consommation d’alcool, avoir été irrité par des critiques concernant sa consommation d’alcool, se sentir coupable à l’égard de sa consommation d’alcool, avoir eu un besoin d’alcool dès le matin. La réponse positive à deux de ces questions vous classe en consommateurs problématiques. Si cette échelle donne des résultats relativement probants dans une population d’adultes, ils sont, par contre, moins convaincants lorsqu’ils sont appliqués aux adolescents et aux jeunes. En effet, ces derniers, en raison notamment de leur moindre expérience, ont des conduites de consommation moins régulées. Un abus d’alcool de leur part ne peut donc pas être mis sur le même pied qu’un abus d’alcool à l’âge adulte. De plus, ces conduites s’intègrent aussi dans des relations parents-enfants caractérisées, entre autres, par des interdits parentaux. Soumis au contrôle parental, les jeunes sont donc plus enclins à être l’objet de remarques que ne le sont les adultes. Enfin, n’oublions pas que sous l’influence de l’évolution des connaissances, «des comportements jugés anodins dans le passé acquièrent le statut de risque dans le présent»Note bas de page. Cette évolution du rapport au risque est susceptible d’influencer le regard des personnes sur leurs conduites. Ainsi, par exemple, une femme enceinte qui boit, de temps en temps, un verre de vin sera plus susceptible que par le passé d’avoir l’impression de boire trop d’alcool ou encore de recevoir les remarques de son entourage. En d’autres termes, ce que nous indique ce type d’échelle varie vraisemblablement avec le temps et perd donc progressivement de sa fiabilité.

Prenons un autre exemple montrant la faiblesse des indicateurs relatifs à des conduites humaines pour évaluer des politiques spécifiques à un secteur: le ‘pourcentage de gens faisant au moins 30 minutes d’activité physique par jour’. D’un point de vue économique, les activités sportives (VTT, randonnée, jogging, etc.) sont devenues des ‘objets de consommation’Note bas de page et «la société est saisie par le sport parce que le sport est saisi par l’économie»Note bas de page. Ces activités sportives sont aussi en phase avec une partie des valeurs et normes (dépassement de soi, recherche de plaisir, compétition, etc.), produites par les divers secteurs d’activités (économique, politique, culturelle, sanitaire, etc.) et véhiculées par les médias. Associer les fluctuations de telles conduites humaines à une politique sectorielle s’avère donc particulièrement réducteur.

En résumé, pour «mesurer l’efficacité de la promotion de la santé», il semble d’abord important de bien cerner ce qu’est la promotion de la santé, d’ensuite impliquer davantage la multitude d’acteurs qui la ‘font’ pour élaborer cette ‘mesure’ et, enfin, de combiner plusieurs approches scientifiques pour effectuer cette observation.Voici quelques pistes de travail qui nous paraissent opportunes. Elles appellent à nous mettre autour de la table pour choisir et élaborer ensemble, intervenants et chercheurs, des ‘indicateurs’ qui couvrent davantage notre champ d’intervention.

Programme quinquennal et législation de promotion de la santé de la Communauté française 1998-2003, Direction Générale de la Santé, Ministère de la Communauté française).

«La perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit d’un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement» .

Lefèvre C., Insertion et qualité de vie: une approche multidimensionnelle, in L’insertion: défi pour l’analyse, enjeu pour l’action (G. Liénard éd.), Mardaga, 2001, 119-139.

Quivy R. et Van Campenhoudt L., Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, 1995, 294p.

De Singly F., L’enquête et ses méthodes. Le questionnaire, Armand Colin, 2005, 128p.

Dogan M., Pahre R., L’innovation dans les sciences sociales: la marginalité créatrice, PUF, 1991, 322p.

Nutbeam D. (1998), Evaluating health promotion – progress, problems and solutions, in Health Promotion International, 13(1):27-44.

Une telle simplification peut s’avérer légitime si nous souhaitions réaliser des comparaisons internationales pour lesquelles nous avons besoin de dénominateurs communs aux divers pays étudiés, ce qui à notre connaissance n’est pas un objectif poursuivi ici.

Leigh (1999), cité par Peretti-Watel P. (2004), Du recours au paradigme épidémiologique pour l’étude des conduites à risque, in Revue française de sociologie, 45-1: 103-132.

Bayingana K, Demarest S, Gisle L, Hesse E, Miermans PJ, Tafforeau J, Van der Heyden J. (2006), Enquête de Santé par Interview, Belgique, 2004, Service d’Épidémiologie, Institut Scientifique de Santé Publique, D/2006/2505/3, IPH/EPI REPORTS N° 2006 – 034, Bruxelles.

Favresse D. (2010), Les conduites à risque à l’adolescence, qu’en est-il? Comment sortir de l’alarmisme sans pour autant tomber dans la banalisation, in Prospective Jeunesse, Dossier «Le risque, une histoire de vie», 54:10-16.

Augustin J.-P. (2002), «La diversification territoriale des activités sportives», in L’Année sociologique, 2, 52:417-435.

Betbèze J.-P. & al. (1987), cités par Augustin J.-P. (2002), op. cit.

L’avenir des soins de santé… Pensons ‘soins’ mais aussi ‘santé’ !

Le 30 Déc 20

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En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, les médias relaient quasi quotidiennement à des prises de position sur l’avenir de la sécurité sociale et plus particulièrement du système des soins de santé.

C’est que la masse financière en jeu est importante (environ 26 milliards d’euros par an); de quoi aiguiser les tentations comptables d’économies.

Les réactions inquiètes des usagers et des acteurs sociaux et professionnels reflètent bien l’attachement de la population à un système qui garantit, dans une large mesure, l’accès à des soins médicaux de qualité. Les propositions visant à pérenniser le modèle concernent le mode de financement des hôpitaux, une politique rationnelle des médicaments, une meilleure utilisation des soins de première ligne, etc.

Système de soins et système de santé

Étonnamment, l’option d’un renforcement des politiques de promotion de la santé et de la prévention, qui relève pourtant d’une évidence de santé publique et du bon sens, semble peu à l’ordre du jour, pour ne pas dire pas du tout. Cela s’explique peut-être par l’absence de tradition dans la mise en place efficiente de programmes de promotion de la santé et de prévention, peut-être aussi par la dispersion des responsabilités entre les différents niveaux de pouvoir, dispersion que l’actuelle réforme de l’État ne résout pas, peut-être encore par le caractère dérisoire des budgets spécifiques alloués à la promotion de la santé, se traduisant, sur le terrain, par un manque criant de moyens mais aussi par un désintérêt non seulement de nos responsables politiques mais aussi des médias et des commentateurs de la vie politique et sociale.

La confusion encore très (trop) répandue entre ce que l’on appelle un système de soins et ce que doit être un système de santé nourrit cette situation de faiblesse des politiques de promotion de la santé dans notre pays.

Des soins de qualité sont nécessaires mais pas suffisants pour apporter de manière réellement équitable les conditions de maintien d’une bonne santé pour tous. L’Organisation mondiale de la santé a synthétisé les connaissances scientifiques sur le sujet : les conditions de naissance et de vie, la qualité de l’environnement et du logement, le bien-être au travail, l’emploi, le revenu, le niveau d’éducation sont des déterminants majeurs de la santé.

En Belgique, de nombreuses études (enquêtes nationales de santé, tableaux de bord de la santé en Hainaut, à Bruxelles, en Wallonie, rapports de la Fondation Roi Baudouin) ont documenté et quantifié l’impact de ces facteurs sur la santé des Belges.

Quelques chiffres en illustrent l’ampleur: on constate un écart d’espérance de vie de 7 ans entre classes sociales défavorisées et aisées; cet écart est de 18 ans si l’on s’intéresse à l’espérance de vie en bonne santé; on observe également 50% de sur-incidence des maladies cardiovasculaires chez les plus défavorisées, etc. Ces inégalités sociales en matière de santé s’installent dès l’enfance.

Les conditions de vie entrainent une distribution inéquitable suivant les groupes sociaux des facteurs de risque et de protection, en particulier par rapport aux maladies chroniques. Et ces maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires et diabète) représentent 67 % des causes de décès en Wallonie soit quelque 24.600 décès annuels. L’OMS et la plupart des organisations internationales de santé publique et médicales s’accordent pour lier ces problèmes de santé à quatre facteurs de risque principaux sur lesquels il est possible d’intervenir : le tabagisme, le déséquilibre alimentaire, la sédentarité et une consommation abusive d’alcool. En agissant prioritairement sur les trois premiers facteurs de risque communs, on peut espérer réduire de 50 % la charge des maladies chroniques. D’après l’OMS, en Europe, les pathologies non transmissibles représentent 77 % de la charge de morbidité, c’est-à-dire le poids des années de vie perdues prématurément (avant 70 ans) et des années vécues avec les maladies et les handicaps qu’elles occasionnent. De plus, elles sont responsables de près d’un tiers des causes d’hospitalisation et elles occasionnent des traitements lourds humainement et coûteux pour la sécurité sociale.

Faire enfin ce que tout le monde sait

Le constat est clair : les luttes et politiques sociales des dernières décennies ont permis un accès relativement équitable aux soins mais pas à la santé ! Plus que jamais en cette période de crise qui fragilise de larges couches de la population, les politiques de santé ne peuvent se limiter au seul maintien de soins de qualité.

Deux voies d’actions complémentaires peuvent être proposées :

  • intégrer les dimensions bien-être, santé, équité dans toutes les politiques publiques (logement, emploi, éducation, culture, petite enfance, revenus, environnement, mobilité…). Cette façon d’agir est une réalité dans certains pays. Elle est grandement dépendante des orientations politiques et de la capacité de nos décideurs à coordonner des plans d’action cohérents entre les niveaux de pouvoirs, y compris locaux;
  • renforcer structurellement la promotion de la santé et en faire une composante à part entière des politiques publiques et d’un véritable système de santé.

Ce n’est pas une révolution… C’est simplement mettre en pratique ce que «tout le monde pense» et ce que «tout le monde sait» : la promotion de la santé vise à créer des conditions de vie qui permettent le développement du bien-être ! Elle donne à la population un meilleur contrôle sur les moyens de préserver et d’améliorer sa santé.

Cela va donc bien au-delà de la simple information du public. Bien sûr cette information est indispensable : elle doit être accessible à tous, scientifiquement valide, éclairante, ni culpabilisante, ni moralisatrice. Mais cela n’est pas suffisant. Il faut aussi améliorer les conditions et les environnements de vie et de travail pour les rendre propices au bien-être et à la santé.

Menus équilibrés dans les cantines scolaires, espaces verts dans les quartiers, villes et villages piétons et cyclistes admis, protection de la qualité de l’air, qualité et accessibilité, y compris financière, de l’offre alimentaire, régulation éthique du marketing visant les enfants, protection contre la fumée du tabac, actions de renforcement des liens sociaux, promotion de l’activité physique de loisir, lutte contre la pollution sonore, promotion des modes de transport collectif… sont quelques illustrations de l’action de promotion de la santé dans les milieux de vie.

La promotion de la santé ne peut donc se concevoir qu’avec la participation des acteurs sociaux et économiques, professionnels des soins, élus, enseignants, élèves, éducateurs, associations, clubs, familles, professionnels…

Elle doit s’appuyer sur un approfondissement du débat démocratique sur les choix de société qui conditionnent la qualité de vie et l’équité.

En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, pourquoi ne pas ouvrir le débat autour de la réforme de notre système de santé !

Texte paru le 12 novembre 2014 dans La Libre Belgique et reproduit avec son aimable autorisation

Le mitan de la vie. Vers un nouveau rapport à la santé?

Le 30 Déc 20

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Le mitan de la vie. Vers un nouveau rapport à la santé?

Plus que jamais, l’individu est invité à devenir acteur de sa santé. Pour autant, cette injonction quasi permanente à l’autonomie dans le champ de santé nous amène à nous interroger sur la capacité réelle dont disposent les individus pour faire face à cette nouvelle responsabilité.

Comment exercent-ils une influence personnelle sur leur santé? Quelles en sont les limites et quels sont les facteurs qui à l’inverse semblent favoriser leur implication? Le mitan de la vie, nous éclaire sur ces questions centrales dans une société où la santé est au coeur de toutes les préoccupations et où modifier durablement les comportements des individus constitue un enjeu de taille.

À chaque étape de la vie, l’état de santé se caractérise par des interactions complexes entre des facteurs à la fois socio-environnementaux, économiques et individuels (Dahlgren et Whitehead, 1991). Et si le poids respectif de chaque déterminant n’est pas connu, il a cependant été démontré que certains comportements individuels défavorables exposent les individus à des facteurs de risque responsables de pathologies connues pour être les premières causes de décès dans de nombreux pays.

La sphère de la santé est donc un terrain privilégié pour étudier les processus d’autorégulation et pour s’interroger sur les pratiques et les stratégies mises en oeuvre par les individus pour rester en bonne santé (Bandura, 2007).

L’étude compréhensive que nous avons menée, basée sur des entretiens biographiques, nous éclaire sur trois points:

  • de quelle manière et sous quelles formes les individus exercent-ils une influence personnelle sur leur santé?
  • quelles sont les limites à cette capacité d’agir sur sa santé?
  • quels sont les facteurs qui, à l’inverse, contribuent à favoriser leur agentivitéNote bas de page ?

C’est le mitan de la vie, période où se manifestent les premiers signes de vieillissement associés à des changements psychologiques mais également à une transformation de la perception du rapport à soi et aux autres (Boutinet, 2010) qui nous a semblé intéressant à investiguer. C’est souvent l’occasion de réinterroger son rapport à soi et à son propre corps (Millet-Bartoli, 2002) et cette prise de conscience s’avère particulièrement riche pour favoriser un travail réflexif sur son vécu, sur ses expériences et sur ses pratiques vis-à-vis de sa santé.

Exercer une influence personnelle sur sa santé

En cherchant à comprendre de quelle manière et sous quelles formes les individus peuvent exercer une influence personnelle sur leur santé, nous avons pu observer la grande diversité de comportements et de compétences mobilisées, tels que:

  • être capable de rechercher de l’information sur Internet dans le domaine de la santé, de l’analyser et de la synthétiser;
  • être capable d’appuyer ses décisions et ses actes sur l’information traitée stratégiquement;
  • être capable de planifier une action avec des buts à atteindre pour contribuer à préserver son capital santé, telle que la reprise d’une activité sportive ou l’arrêt du tabac;
  • être capable de réajuster son comportement à partir des signaux envoyés par son corps (fatigue, prise de poids, essoufflement…);
  • être capable de faire des choix entre plusieurs approches thérapeutiques (médecine allopathique ou alternative);
  • être capable d’avoir une pensée critique pour être en mesure d’argumenter avec les équipes médicales.

C’est donc un sujet capable d’autoréguler sa santé que nous avons rencontré au fil de nos entretiens, capable d’observer sa propre conduite, capable d’avoir une pensée critique pour être en mesure de choisir une stratégie tout en surveillant son exécution et d’en évaluer son processus.

Mais toutes ces conduites restent influencées à la fois par les environnements dans lesquels les personnes évoluent et par des facteurs personnels tels que le niveau d’étude, les parcours de santé, les expériences de soins ou encore les échanges avec les médecins ou l’entourage.

Quelles sont les limites à cette capacité d’agir sur sa santé?

Tout d’abord, si les individus semblent plutôt disposés à s’auto-organiser, à se comporter de façon proactive et à activer des mécanismes d’autoréflexion et d’autorégulation (Carré, 2007) notre étude fait également apparaître une tension entre ce sujet acteur de sa santé, volontaire, responsable, souhaitant s’impliquer dans les choix qui déterminent sa santé et un sentiment souvent décrit d’impuissance face au destin et surtout face à la maladie associée à la fatalité.

La maladie décrite comme provenant de l’extérieur – le destin – et dont le déclenchement serait le plus souvent attribué à la malchance voire à une forme de déterminisme semble alors échapper à toute forme de contrôle personnel.

Le vocabulaire, à cet égard, est des plus significatifs. On «attrape» une maladie. Cela vous «tombe dessus» et tous les témoignages montrent à quel point les personnes se sentent démunies face à ce qui leur apparaît comme inéluctable et qu’elles sont alors obligées de subir.

Et ce sont finalement les mêmes personnes qui durant l’entretien ont fait état d’une conviction forte en leur capacité à se maintenir en bonne santé qui doutent tout aussi fortement de leur efficacité à se prémunir des maladies.

Véritable tension entre ce qui serait déterminé par des facteurs externes, parfois difficiles à identifier, qu’il s’agisse de l’hérédité ou de l’environnement, et ce qui pourrait résulter du comportement personnel qu’elles ressentent pourtant comme une évidence, c’est-à-dire leur capacité à jouer un rôle déterminant pour se maintenir en bonne santé.

Il est tout aussi intéressant de constater à quel point ces mêmes personnes entretiennent avec le monde médical un rapport ambigu à la fois teinté d’admiration devant le savoir détenu par les médecins et les prouesses rendues possibles grâce au progrès technologique mais aussi empreint d’une profonde méfiance à son égard.

Et elles sont nombreuses à déplorer le manque de transparence mais également le manque de disponibilité, d’écoute ou encore d’attention de la part des médecins. Parfois, ce sont même leurs compétences qui sont remises en cause tant les scandales à répétition et les crises sanitaires mettent leur confiance à rude épreuve.

Finalement, faute de pouvoir s’appuyer de façon inconditionnelle sur le médecin, il faudrait se livrer à un exercice périlleux: pouvoir concilier à la fois ce que «l’on ressent avec son corps» qui indiscutablement aurait une valeur, tout en acceptant que seul le médecin dispose de connaissances scientifiques, savoir détenu par l’expert et devant lequel on doit bien s’incliner.

Cette juxtaposition entre savoirs académiques – qui sont toutefois parfois remis en cause – et savoirs profanes acquis au fil des expériences de la vie témoigne d’une véritable ambivalence et semble engendrer beaucoup de confusion dans l’esprit des individus.

Car finalement qui détient véritablement l’expertise? Le médecin qui est reconnu par ses pairs et par les institutions ou bien cet individu qui connait mieux que quiconque son corps et qui dispose d’un savoir expérientiel singulier?

Ainsi interroger les individus sur les choix qu’ils font en matière d’automédication (Fainzang, 2012) ou même à quel moment ils prennent la décision de consulter un médecin est très révélateur de ce point de vue: on s’auto-observe, on cherche des informations sur Internet, on lit, on en parle autour de soi et seulement si tout cela ne suffit pas, on ira alors consulter un médecin.

Pour autant, cette nouvelle perspective n’est pas toujours facilitante pour s’impliquer dans sa santé et derrière cette délicate articulation entre savoirs détenus par les experts et compétences mobilisées par les personnes, transparaissent beaucoup de tâtonnements et d’ajustements qui souvent freinent le processus d’autorégulation de la santé.

Qu’est-ce qui favorise l’implication dans la gestion de sa santé?

S’interroger sur les facteurs qui peuvent permettre aux individus d’exercer une influence sur leur santé, c’est se poser deux questions:

  • dans quelle mesure leurs propres expériences passées peuvent expliquer leurs conduites actuelles?
  • quel peut être l’impact de l’environnement sur leurs comportements vis-à-vis de leur santé?

Le mitan de la vie, période décrite à la fois comme une période de bilan, de prise de conscience sur le temps qui passe et sur ce corps qui se transforme mais également comme une occasion d’être plus en accord avec soi-même serait en quelque sorte un temps propice à la réflexion et à l’introspection.

Les premiers signes de vieillissement se font sentir mais sont parfois compensés par un sentiment nouveau de bien-être ou même par davantage de sérénité. Réalisation des ambitions professionnelles et construction des rapports avec les autres ont occupé bien souvent les années qui précèdent et il est temps de se demander si les choix de vie sont toujours en accord avec soi-même.

Il est aussi temps d’accepter une image corporelle altérée par le temps ou une énergie qui décline. C’est alors l’occasion de prendre davantage soin de soi. Souvent décrit comme le temps de la rencontre avec soi, c’est une période intense d’auto-analyse avec souvent un sentiment de complétude lorsque s’achève cette phase d’introspection parfois douloureuse.

La conscience du temps qui passe est souvent associée aux limites de son corps, au déclin de certaines de ses facultés et à la finitude de sa vie. Ce corps qui se transforme réclame alors plus d’attentions en nous rappelant que les soins que nous lui apportons influent sur notre santé. C’est aussi l’occasion, après avoir passé des années à prendre soin des autres, de prendre enfin un peu plus soin de soi.

Et qu’il s’agisse de prendre le temps de partir à la rencontre de soi, d’observer le travail des années et du temps qui passe ou encore de prendre davantage soin de soi, tout semble contribuer à rendre les individus encore plus actifs dans la gestion de leur santé, plus responsables et plus impliqués dans les choix qui la déterminent.

Si les individus utilisent leur influence personnelle pour agir sur leur santé et contribuent ainsi à la façonner, ils ne peuvent pour autant considérer qu’ils opèrent de façon totalement autonome. Ils évoluent dans des contextes qui vont contribuer à faciliter ou à l’inverse complexifier leur démarche.

Ainsi pour beaucoup d’entre eux, être responsable de sa santé, c’est avant tout savoir s’orienter vers les bonnes ressources et vers les personnes les plus compétentes.

Et lorsqu’ils sont à la recherche de ressources externes, ils se dirigent soit vers des professionnels de santé pour leur expertise, soit vers des pairs avec lesquels ils vont pouvoir échanger de l’information relative aux problématiques de santé.

Le professionnel de santé est alors perçu comme un partenaire en qui on peut avoir confiance et avec lequel il est possible de co-construire une démarche de santé.

Il n’y aurait plus cette asymétrie entre d’un part un médecin tout puissant car reconnu comme l’expert et disposant d’un savoir scientifique et d’un autre côté le malade impuissant puisqu’incompétent. Le médecin apparait en quelque sorte comme une personne ressource sur laquelle le sujet acteur de sa santé peut s’appuyer pour exercer la responsabilité qui resterait la sienne, celle qui consiste soit à se maintenir en bonne santé, soit à recouvrer la santé.

Et de l’avis même des personnes que nous avons rencontrées, il pourrait même y avoir une corrélation entre d’un côté le rôle joué par le médecin en termes d’information et d’accompagnement et d’un autre l’implication des individus dans la gestion de leur santé.

Conclusion

À l’issue de cette analyse, nous sommes confortés dans l’idée que les individus confrontés désormais à un monde complexe plein de défis à relever, doivent être capables à la fois de formuler de bons jugements à propos de leurs propres capacités, de prévoir les effets probables de leurs conduites, de mesurer les opportunités qui se présentent à eux mais également les contraintes afin de régler leur comportement en conséquence (Fenouillet et Carré, 2009).

Notre analyse nous amène à considérer qu’ils sont davantage en mesure de s’impliquer efficacement dans la gestion de leur santé s’ils disposent de bons jugements sur leurs capacités à se maintenir en bonne santé, s’ils peuvent s’appuyer sur leurs expériences passées pour anticiper les effets probables de leurs comportements et enfin s’ils connaissent l’environnement dans lequel ils évoluent avec ses contraintes et ses opportunités pour adapter leurs comportements en conséquence.

Néanmoins pour y parvenir, ils vont, non seulement, devoir à la fois s’appuyer sur de solides capacités cognitives, métacognitives et autorégulatrices mais également être soutenus tout au long de ce processus par un environnement qui soit à la fois incitatif et facilitateur.

Bibliographie

  • BANDURA Albert (2010) L’importance de l’autorégulation dans la promotion de la santé, Pratiques de formation, analyses. Usagers – experts: la part du savoir des malades dans le système de santé, n° 58-59, Janvier – Juin 2010
  • BANDURA Albert (2007) (trad. Jacques Lecomte), Auto-efficacité: le sentiment d’efficacité personnelle, Paris, De Boeck, 2007, 2e éd.
  • BOUTINET Jean Pierre (2013) Psychologie de la vie adulte, Collection Que sais-je?
  • CARRÉ Philippe (2005) L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir. Éditions Dunod
  • FAINZANG Sylvie (2012) L’automédication ou les mirages de l’autonomie, Éditions PUF
  • MILLET-BARTOLI Françoise (2002). La crise du milieu de vie: une deuxième chance. Paris: Odile Jacob
  • Sous la direction de FENOUILLET Fabien et CARRÉ Philippe (2009) Traité de psychologie de la motivation, Éditions Dunod

L’agentivité est le fait d’exercer une influence personnelle sur son propre fonctionnement et sur son environnement. Paul Ricoeur évoque à ce propos la ‘puissance personnelle d’agir’.

De la promotion du sucre dans les écoles françaises pendant les cours ?

Le 30 Déc 20

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Communiqué de presse de la Revue Prescrire, n° 369 de juillet 2014Quand la publicité auprès des enfants passe par l’école, l’investissement promotionnel peut avoir des retombées pendant toute la vie. Cela n’a pas empêché le Ministère de l’éducation nationale français d’ouvrir en 2013 les portes de l’école aux producteurs de sucre.La prévention de l’obésité dès l’enfance est un des grands enjeux de santé publique. En France, où les intérêts agroalimentaires sont considérables, les pouvoirs publics semblent avoir beaucoup de mal à mettre en place des règles protégeant les enfants contre les aliments industriels sucrés/salés/gras. Fin 2013, le Ministère de l’éducation nationale a signé un accord avec l’organisme de défense de la filière du sucre autorisant celle-ci à fournir le contenu de cours sur l’alimentation, de la maternelle à la terminale, ainsi que celui de la formation continue des enseignants.Outre le mélange des genres inacceptable, de nombreux documents destinés aux enseignants sont en fait de la publicité. Ainsi par exemple dans une plaquette destinée aux enseignants pour la maternelle et le cours élémentaire, après un cours sur les 4 goûts, le reste des séances est consacré à la promotion du sucre par divers jeux.Dans d’autres documents, la consommation de sucre est associée aux performances intellectuelles: «glucose et neurones: un cocktail performant», «optimiser ses performances intellectuelles», «plus vif et plus attentif».L’accord est présenté comme visant à la fois à valoriser les métiers de l’alimentation et à développer le ‘goût’ des enfants, qui est quasiment réduit à celui du ‘sucré’.L’accord obtenu par la filière du sucre est une défaite pour la santé publique. Vive les enseignants qui refuseront de se transformer en hommes et femmes sandwichs!

Une initiation à l’évaluation d’impact sur la santé

Le 30 Déc 20

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Une initiation à l’évaluation d’impact sur la santé

L’évaluation d’impact sur la santé (EIS) applique une ‘lunette santé’ à un projet ou à une proposition de politique élaborés pour d’autres motifs que la santé. S’inspirant directement des études d’impact environnemental, en intégrant les concepts de promotion de la santé et le courant des déterminants sociaux de la santé, elle produit non seulement de l’information sur les risques du projet envisagé pour la santé des populations, mais aussi sur les solutions possibles. Introduction à ce concept en plein développement au Québec, en Europe et ailleurs dans le monde.Invitant ses quelque 600 participants quotidiens à ‘emprunter des voies convergentes’, l’édition 2013 des Journées annuelles de santé publique s’est tenue du 25 au 27 novembre de l’an passé à Montréal. La programmation aussi diversifiée que passionnante valorisait la complémentarité des stratégies, des actions et des disciplines pour viser la santé et le bien-être des populations.Dans ce cadre, un atelier méthodologique portant sur l’évaluation d’impact sur la santé des politiques publiques avait parfaitement sa place. En effet, cette pratique est née de la convergence de plusieurs disciplines, appliquant à la santé une technique issue du monde de l’environnement, et requiert une collaboration intersectorielle et multidisciplinaire.La journée était préparée et présentée par Louise St-Pierre, par ailleurs vice-présidente de la section des Amériques du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (RÉFIPS), et sa collaboratrice Julie Castonguay, toutes deux travaillant pour le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santéNote bas de page.L’atelier a attiré plusieurs dizaines d’acteurs de santé publique, originaires de divers pays francophones, tous souhaitant influencer le développement des politiques publiques locales et régionales dans un sens favorable à la santé.

Définition et principes de base

Selon la définition du Ministère de la Santé et des Services sociaux du QuébecNote bas de page, l’évaluation d’impact sur la santé «vise à dresser un tableau des effets anticipés de politiques, de programmes et de projets sur la santé d’une population et sur les différents groupes qui la composent. La mise en lumière des effets potentiels sur la santé permet ainsi d’éclairer la prise de décision». Puisque l’atelier se voulait une introduction à la pratique, les formatrices ont pris le temps de revenir sur quelques principes de base.Tout d’abord, le modèle d’application de l’évaluation d’impact sur la santé promu par le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé a pour objectif de soutenir les décisions politiques, sans les contraindre. Il s’agit de formuler à la demande et à l’attention des décideurs des recommandations visant à modérer les effets négatifs sur la santé d’une politique, d’un projet ou d’un programme et à en promouvoir les effets positifs.Il existe d’autres modèles d’application de l’évaluation d’impact sur la santé, qui visent par exemple à produire des avis de santé publique ou à jouer un rôle de plaidoyer pour influencer les politiques.Alors que certaines évaluations d’impact sur la santé sont issues des autorités et misent essentiellement sur les données scientifiques, d’autres sont entièrement portées par les communautés et reposent sur les savoirs populaires. Les évaluations d’impact sur la santé réalisées en soutien à la décision veulent atteindre un juste milieu entre ces pôles, en faisant appel aux expertises scientifiques et citoyennes de façon équilibrée.Ensuite, l’évaluation d’impact sur la santé porte mal son nom – ou traduit mal son appellation anglaise d’ ‘Health Impact Assessment’ (HIA) – puisqu’il s’agit en fait d’une estimation prospective et non rétrospective, c’est-à-dire réalisée avant la mise en place d’un projet et qui ne vise pas à porter un jugement sur celui-ci. S’inspirant de l’évaluation d’impact environnementale, elle adopte une approche holistique en s’intéressant aux effets potentiels d’une politique sur l’ensemble des déterminants de la santé ainsi que sur les inégalités sociales de santé.Par ailleurs, l’évaluation d’impact sur la santé vise à identifier les impacts potentiels sur la santé de toutes sortes de projets et programmes, excepté précisément ceux qui visent la santé. Elle s’inscrit ainsi dans le champ de la santé dans toutes les politiques (‘Health in All Policies’) promu par l’Organisation mondiale de la santé et l’Union européenne, qui connaît un essor intéressantNote bas de page.Enfin, ce modèle d’application de l’évaluation d’impact sur la santé s’intéresse aux politiques publiques et non aux projets de promoteurs privés. Bien que des évaluations d’impact sur la santé puissent être réalisées à différents paliers gouvernementaux, l’atelier portait spécifiquement sur les projets mis en œuvre au niveau municipal (ou communal), où les évaluations d’impact sur la santé sont les plus fréquentes. Les multiples exemples présentés au cours de la journée provenaient donc de ce niveau de pouvoir.

Une structure en cinq étapes

Après cette introduction, les participants ont pu apprendre et, en sous-groupes, appliquer à un cas fictif les étapes de l’évaluation d’impact sur la santé. L’atelier visait en effet à les outiller pour entamer une démarche collaborative d’évaluation d’impact sur la santé des politiques publiques dans leur région ou leur localité.L’évaluation d’impact sur la santé suit une démarche structurée qui comprend les cinq étapes suivantesNote bas de page:1. Le dépistage: il s’agit d’abord d’identifier les déterminants de la santé qui peuvent être touchés par la proposition, et ce pour les différents groupes de population;2. Le cadrage: il faut ensuite sélectionner, parmi les effets supposés, ceux pour lesquels une recherche de données et une analyse seront effectuées et concevoir un cadre logique représentant graphiquement les hypothèses de liens;3. L’analyse: par après, il est essentiel de chercher des données sur le profil de la communauté touchée et de vérifier chaque effet supposé aux étapes précédentes, à partir de la littérature et des données fournies par la population elle-même;4. Les recommandations et le rapport: les résultats pertinents de l’analyse sont rédigés et les recommandations qui en émergent sont formulées à l’attention des décideurs, dans un langage accessible à tous les partenaires;5. L’évaluation: le travail s’achève sur une évaluation du processus de l’EIS menée (ressources utilisées, satisfaction des partenaires…) et de ses effets directs et indirects sur la prise de décision. Lorsque c’est possible, cette dernière étape comprend aussi la supervision de l’implantation des mesures suggérées et le suivi des impacts réels du projet sur la santé de la population.

Efficacité prouvée

Ce modèle d’application de l’évaluation d’impact sur la santé peut être considéré comme une avenue intéressante pour favoriser l’adoption de politiques publiques favorables à la santé et développer des collaborations avec le milieu municipal.Cependant, puisque ses recommandations n’ont aucun caractère contraignant, la question de son efficacité à influencer la prise de décision se pose légitimement. Une analyse de 54 évaluations d’impact sur la santé menées en Australie a démontré que 66% d’entre elles avaient eu une efficacité directe, c’est-à-dire avaient entraîné un ou des changements dans le projet étudié, que 23% avaient surtout mené à une prise de conscience des décideurs, que 6% avaient été utilisées de manière opportuniste, souvent pour faire valoir un projet, et que 6% n’avaient pas eu d’efficacité. Les résultats de cette étude récente corroborent ce qui a été trouvé antérieurement en Europe et aux États-Unis. Dans la grande majorité des cas, l’évaluation d’impact sur la santé permet donc de changer les façons de travailler et suscite de multiples prises de conscience, partages et apprentissages.

Expériences québécoises

Pour démontrer les retombées positives que peuvent entraîner les évaluations d’impact sur la santé, l’atelier s’est achevé sur une présentation animée de plusieurs projets réalisés au cours des dernières années en Montérégie, une région située au Sud-est de Montréal. À ce jour, près d’une dizaine d’évaluations d’impact sur la santé y ont été menées par la Direction de santé publiqueNote bas de page de cette région pionnière en collaboration avec le milieu municipal et une trentaine d’autres sont prévues d’ici à la fin de l’année 2015.Les conditions favorables à la mise en œuvre d’une évaluation d’impact sur la santé et les modèles collaboratifs ont été présentés et discutés à travers plusieurs projets visant le développement domiciliaire, le développement du territoire, la revitalisation ou encore le développement social d’une municipalitéNote bas de page.L’expérience montre que l’engagement de partenaires qui n’ont, de prime abord, pas de préoccupation de santé publique est non seulement possible, mais se révèle en outre bien souvent bénéfique pour leurs propres intérêts. Par exemple, un promoteur immobilier qui collabore à une évaluation d’impact sur la santé et qui intègre ses recommandations en montrant une préoccupation réelle pour la santé de la population verra généralement augmenter l’acceptabilité de son projet.Par ailleurs, étant donné que les municipalités n’ont aucune obligation de travailler en collaboration avec les acteurs de santé publique, lorsqu’un maire décide de se lancer dans une évaluation d’impact sur la santé, c’est volontairement qu’il accepte de soumettre son projet à leur regard. Pour augmenter les chances de succès de cette collaboration, il revient donc à ces derniers de privilégier une approche intersectorielle, de favoriser le dialogue, de tenir compte des particularités du contexte, d’adapter leur langage en vue d’atteindre une compréhension commune, de prendre en compte les besoins et capacités des décideurs et de se garder de toute attitude prescriptive. Le sentiment de confiance mutuelle, indispensable au succès de l’opération, repose en effet sur le respect de la légitimité de chacun.

Une stratégie de promotion de la santé

La santé est la résultante de ses multiples déterminants. Pour la promouvoir, il faut donc agir sur une multiplicité de fronts, qui se situent en-dehors du secteur de la santé lui-même. En 1986, la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé identifiait cinq stratégies d’action, parmi lesquelles figurait, en première position, l’élaboration de politiques publiques favorables à la santé : «La promotion de la santé va bien au-delà des soins. Elle inscrit la santé à l’ordre du jour des responsables politiques des divers secteurs en les éclairant sur les conséquences que leurs décisions peuvent avoir sur la santé, et en leur faisant admettre leur responsabilité à cet égard.» L’évaluation d’impact sur la santé propose une technique concrète, structurée et efficace pour atteindre cet objectif aux niveaux locaux et régionaux. Une pratique prometteuse, dont on ne peut que souhaiter un vaste déploiement dans les prochaines années, au Québec comme ailleurs.

Le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé est l’un des six Centres de collaboration nationale en santé publique du Canada, dont la mission est la synthèse et la diffusion des connaissances afin d’améliorer les politiques et les pratiques en santé publique. Son mandat spécifique est d’accroître l’expertise des acteurs de santé publique en matière de politiques favorables à la santé à travers le développement, le partage et l’utilisation de connaissances. Il s’intéresse particulièrement aux politiques publiques susceptibles d’avoir une influence favorable sur les déterminants sociaux, économiques et environnementaux de la santé.

HAMEL G. et al., Guide pratique : Évaluation d’impact sur la santé lors de l’élaboration de projet de loi et de règlement au Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec, 2006. La définition de l’Organisation mondiale de la santé (disponible sur www.who.int/hia/en) est aussi une excellente référence.

Relire à ce sujet l’article de Christian De Bock : Un dialogue politique sur les inégalités sociales de santé, Éducation Santé, n° 290, juin 2013 (https://educationsante.be/es/article.php?id=1591)

Ces cinq étapes sont notamment détaillées dans la brochure L’Évaluation d’Impact sur la Santé (EIS): une aide à la décision publique pour des choix sains, durables et équitables publiée par l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé (UIPES), téléchargeable sur : www.iuhpe.org/images/GWG/HIA/PrincipesDirecteursEIS.pdf

Dans chacune des 17 régions du Québec, la Direction de santé publique a le mandat de s’assurer que les différents acteurs de la communauté mettent en œuvre les meilleures pratiques en matière de promotion de la santé, de prévention de la maladie, des problèmes psychosociaux et des traumatismes ainsi que de protection de la santé publique. Elle assume également des fonctions de surveillance de l’état de santé et de bien-être de la population ainsi que d’évaluation des programmes.

Plusieurs rapports et documents de référence peuvent être consultés à l’adresse suivante: https://extranet.santemonteregie.qc.ca/sante-publique/promotion-prevention/eis.fr.html

Les comportements alimentaires sains : juste une question de moyens et d’éducation?

Le 30 Déc 20

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Les comportements alimentaires sains : juste une question de moyens et d’éducation?

L’adoption de comportements alimentaires sains est encore souvent perçue comme dépendant uniquement du choix des personnes. Selon cette vision, la malbouffe relèverait donc de la seule responsabilité individuelle. Or d’autres facteurs explicatifs sont communément avancés, comme les moyens financiers dont disposent les personnes et leur niveau d’éducation.Si ces deux aspects sont déterminants, ils sont loin d’être les seuls. Outre le fait que les acteurs de la filière alimentaire (industrie, distributeurs etc.) déterminent l’enveloppe des choix possibles, les décisions d’achats des consommateurs ne sont pas seulement guidées par leurs moyens financiers et leur perception des informations se rapportant aux produits. Elles sont aussi largement déterminées par le goût, qui reste le critère d’achat numéro un. Or, le goût est socialement construit, il est influencé entre autres par la culture familiale, les identités et les appartenances sociales.L’existence d’inégalités sociales en matière d’alimentation est avérée, comme en témoigne la plus grande prévalence de l’obésité chez les populations défavorisées. Ces inégalités sont également mises en évidence par l’analyse des dépenses pour certains types de produits. Ainsi, la consommation de poissons, de fruits et de légumes frais augmente avec le statut social.Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les différences de revenus n’entraînent pas de grands écarts de la part relative de l’alimentaire dans le budget total. La différence en valeur des budgets accordés à l’alimentation serait due «au changement qualitatif de nourriture qu’entraîne une hausse de revenus»Note bas de page.Même si la part des dépenses liées à l’alimentation a fortement diminué depuis plusieurs décennies, elle reste l’un des premiers postes pesant sur des ménages (surtout les plus défavorisés) qui doivent effectuer un arbitrage au niveau de leurs engagements. Or, le contexte économique actuel, caractérisé par l’augmentation des dépenses contraintes comme le logement, l’augmentation du désir de consommation de produits de nouvelles technologies ou encore la perception d’une baisse du pouvoir d’achat, conduit les ménages à arbitrer leurs dépenses en défaveur de l’alimentationNote bas de page.Étant donné que l’alimentation est un déterminant de la santé majeur, ces inégalités de pouvoir d’achat se muent en inégalités sociales de santé. C’est clair, le revenu disponible est un facteur déterminant de la consommation alimentaire mais il n’explique pas tout.Il a été mis en évidence que l’alimentation et l’activité physique sont fortement liés au statut socio-économique dans l’enfance, même si celui-ci a changé au cours de la vie. Cela suggère que d’autres facteurs que le seul aspect financier jouent un rôle dans les comportements alimentaires. En effet, les goûts et comportements des individus sont modelés notamment par les traditions familiales, les conditions sociales d’existence et de travail, la culture locale ou encore le système de valeurs.

Complexité des niveaux d’influence

C’est ce qu’exprime la hiérarchie de Veblen (voir schéma) qui répertorie différents niveaux d’influences sur les comportement de consommation avec dans l’ordre: la culture (qui définit des styles de vies), la sous-culture (générations, groupes nationalités, groupes religieux, groupes ethniques et groupes régionaux), la classe sociale (qui définit un système de valeurs, des intérêts, des modes de vie et des comportements), les groupes de référence (groupes auxquels on n’appartient pas mais qui exercent une attirance ou une répulsion), les groupes de contact (amis, voisins, collègues, pairs etc.) et enfin la famille, qui est le groupe d’influence le plus direct et le plus durableNote bas de page.

Hiérarchie de Veblen

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Source: M. Padilla, S. Jazi, M. Seltene, 2001

Freins socio-culturels

Il apparaît donc qu’il existe des déterminants socio-culturels des comportements alimentaires qui constituent autant de freins à l’adoption d’une alimentation saine qu’il convient de déconstruire. Quels sont-ils? Pourquoi les normes d’alimentation ne sont-elles pas adoptées par tous? Une étude de Masullo et Régnier (2009), s’est penchée sur ces questions et a apporté des éléments de réponse très intéressants.Les freins sont nombreux et ne se réduisent pas aux seules contraintes économiques. Les goûts, les styles de vie et les représentations collectives jouent également un rôle. En effet, la consommation alimentaire constitue «un espace où se forgent et se lisent goûts et identité de classe, auxquels peuvent venir se heurter les normes actuelles de santé publique en matière d’alimentation». En conséquence, «la capacité à produire et à intégrer les normes relève des appartenances sociales»Note bas de page.L’étude met ainsi en évidence une nette opposition entre les catégories aisées, qui diffusent et s’approprient plus aisément les normes actuelles, et les catégories défavorisées. Plusieurs éléments d’explication sont mis en avant. Chez ces dernières, les goûts alimentaires sont guidés par un souci d’intégration sociale. En effet, consommer ne signifie pas seulement acquérir des biens matériels mais est une forme de participation à la vie sociale. Le fait que le choix des ménages défavorisés se porte plus volontiers sur des produits industriels est justement une manière de participer à la société de consommation dont ils sont exclus sous bien des aspects.Le rapport à l’alimentation que l’on transmet à ses enfants diffère également selon les milieux. En milieu aisé, l’accent sera plus mis sur l’inculcation de principes tandis qu’il sera mis, en milieu modeste, sur l’abondance et l’exercice d’une forme de choix. De même, les représentations du lien entre alimentation et santé et la signification de l’acte de prendre soin de son corps s’opposent.Les catégories aisées adopteront une approche plus préventive du régime alimentaire et s’attacheront à contrôler le poids, tandis que les catégories plus modestes feront plutôt régime si elles y sont contraintes pour des raisons de santé (approche curative). Ces dernières peuvent voir dans la perte de poids une fragilisation du corps, que l’on aura tendance à consolider non par l’activité physique mais par le renforcement de l’intérieur.Enfin, les repères normatifs en matière de corpulence ne sont pas les mêmes, l’intérêt pour la minceur augmentant avec le statut socialNote bas de page. En conséquence, les personnes en surpoids ou obèses qui sont issues de milieux modestes sont «conscientes de ce fait mais se trouvent également dans une situation de normalité de fait dans leur groupe»Note bas de page.Autre apport intéressant de l’étude de Masullo et Régnier: la classe intermédiaire ne s’approprie pas les normes actuelles d’alimentation et de corpulence de manière homogène. Les catégories intermédiaires intégrées et modestes en ascension manifestent hyper adhésion et bonne volonté tandis que les catégories modestes et populaires adoptent une posture critique.Ceci peut s’expliquer par l’importance de l’intégration sociale, qui favorise l’attention aux normes et qui modère donc l’effet de pauvreté. La trajectoire sociale est également une explication. La volonté de conformité aux normes d’alimentation et de corpulence chez les individus en trajectoire d’ascension sociale, ou chez ceux qui redoutent une forme de déclassement est plus grande car, à travers la corpulence est lue la position sociale. Enfin, la structure familiale joue également un rôle. L’arrivée d’un enfant, par exemple, va déclencher l’attention aux normes tandis que les accidents de la vie (rupture, deuil) peuvent au contraire l’abaisser.Ainsi, aux côté des groupes favorisés, qui diffusent et s’approprient facilement les normes d’alimentation et de corpulence, figurent ceux qui manifestent une forme de réaction populaire, qui expriment une forme de ‘liberté’ du point de vue des contraintes morale, économique et sociale, un refus à l’égard d’un surcroît de contraintes, à la différence de ceux qui cèdent à la pression normative.Pour conclure, le revenu ou encore le niveau d’éducation ne suffisent donc pas à expliquer les comportements alimentaires. La réception et la diversité de la mise en pratique des normes nutritionnelles s’expliquent donc aussi par les représentations de l’alimentation, celles du corps, la symbolique de la maladie, le lien établi ou non entre santé et alimentation. Et ces représentations collectives et identités sont propres à chaque classe. Il ne suffit pas d’augmenter les revenus ou de baisser les prix, ou encore ‘d’éduquer’ pour modifier les choix alimentaires. Des recommandations de santé qui ne tiendraient pas compte des systèmes de valeurs, des goûts et des styles de vie se révèleraient donc inefficaces. Au contraire, elles risqueraient d’augmenter les inégalités de santé en étant plus efficaces dans les milieux aisés que dans les milieux défavorisés.©Stéphanie Jassogne

DUQUESNE, B., ‘Hypermoderne, le mangeur belge?’, ULg Gembloux Agro-Bio Tech, Unité d’Économie et Développement rural. p. 5.

HÉBEL, P., (2008), ‘Alimentation. Se nourrir d’abord, se faire du bien ensuite’, Crédoc -Consommation et modes de vie, n° 209 – février 2008.

M. PADILLA, S. JAZI, M. SELTENE, (2001), ‘Les comportements alimentaires. Concepts et méthodes’, Options méditerranéennes, Sér. B/n°32, 2001- Les filières du lait et dérivés en Méditerranée.

MASULLO, A. et RÉGNIER, F. (2009), ‘Obésité, goûts et consommation. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale’, Revue française de sociologie, 2009/4 Vol. 50, p.751.

MASULLO, A. et RÉGNIER, F. (2009), op.cit., p.760.

MASULLO, A. et RÉGNIER, F. (2009), op.cit., p. 757 et 758.

Le Sida est toujours une maladie homosexuelle

Le 30 Déc 20

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Le Sida est toujours une maladie homosexuelle

Mon propos n’est pas un propos institutionnel. Je vais le revendiquer comme le mien, seulement le mien, même s’il part d’un constat qui découle directement de l’activité que je développe depuis un peu plus de 4 ans au 190…

Pour ceux qui l’ignorent, le 190 est le seul centre de santé sexuelle actuellement actif en France qui suit les principes posés par le Plan national de lutte contre le sida (bien qu’il existât avant la rédaction du plan) et il concerne une population qui, autour de 80%, est homosexuelle masculine. Il recrute essentiellement par bouche-à-oreille et cela explique une population assez homogène au sein de laquelle il est possible de voir émerger des phénomènes qui, ailleurs, seraient noyés dans la masse. Le 190 est donc un observatoire et jouit d’une sorte d’‘effet loupe’. C’est à la fois sa limite et son intérêt.

Depuis le début de l’épidémie, nos discours ont intériorisé l’homophobie. La spécificité gay a toujours été minimisée dans l’espace public, pour ne pas stigmatiser une population, alors même que, depuis plusieurs années, on réalise enfin que la situation est comparable dans les pays du sud. Le message erroné selon lequel «l’hétérosexualité serait le principal mode de transmission du VIH» est rappelé dans tous les médias et même dans les formations de professionnel(le)s et de volontaires, oubliant tout simplement de ramener les choses à la taille des populations.

Cette affirmation récurrente est construite suivant un calcul aussi stupide que celui qui affirmerait que les hétéros contribuent beaucoup plus à l’impôt sur le revenu que les homos. En considérant les proportions des populations, on arrive à un rapport de 1 à 200 ainsi que l’a fort bien montré le travail de l’Institut de Veille Sanitaire sur l’incidence du VIH.

Mieux, on surexpose les situations où des personnes des deux sexes, hétérosexuelles, n’appartenant à aucun groupe à forte prévalence, sont infectées par le VIH. C’est l’angle mort de la déclaration obligatoire: l’appartenance communautaire du partenaire contaminant est extrêmement mal renseignée. Pour ma part, en 27 ans d’exercice, je n’ai à peu près jamais vu un ‘hétéro bon teint’ contaminé par d’autres que des personnes ayant des rapports homosexuels, usagères de drogues, appartenant aux communautés africaines ou caribéennes et cela nous montre que ce n’est qu’en privilégiant les approches ciblées qu’on pourra être efficace sur le reliquat épidémique en population générale. Cette affirmation a fait l’objet d’un certain nombre d’études qui convergent dans ce sens.Or, la situation est la suivante:

  • la politique française de lutte contre le sida s’adresse à la population générale, avec des focus particuliers sur les groupes exposés, alors que c’est essentiellement à eux qu’elle devrait s’adresser pour l’intérêt de tous;
  • les nouvelles approches combinées – et à ce titre on ne peut occulter l’intérêt majeur de certaines approches de dépistage communautaires utilisant les Tests Rapides d’Orientation Diagnostiques (Trod) – sont réduites à des expérimentations dont les lendemains sont bien incertains. Les Trod sont en train de basculer depuis les initiatives communautaires – efficaces – vers les CDAG (Centres de Dépistage Anonyme et Gratuit) – inutiles – en dépit d’un avis négatif du rapport de la Haute Autorité de Santé;
  • le plan national 2010-2014 qui, bien qu’imparfait, avait le mérite de proposer des approches communautaires renouvelées, a été placé au fond d’un tiroir, nonobstant quelques déclinaisons cosmétiques.

Le problème n’est pas seulement qu’on sacrifie aujourd’hui les gays, et en particulier les jeunes gays, à l’intérêt général mais, surtout, que cet intérêt général n’existe pas.

Enfin, en récupérant des concepts hérités des pays du sud où l’homosexualité n’a pas de visibilité ni d’organisation, on a ‘invisibilisé’ les gays en les rebaptisant ‘HSH’ et la chasse à l’homo non communautaire devient le parangon de la prévention. Or, qui voyons-nous arriver dans nos consultations VIH: des homosexuels, des gays, des pédés, des folles (parfois hurleuses), des tapioles et une minorité de HSH. Mieux, ce n’est pas toute la ‘communauté’ gay qui se contamine, mais une partie de cette communauté qui est relativement identifiable si l’on veut bien s’en donner la peine. Le militantisme a fondu sous le caritatif et il est mieux vu de s’occuper des honteuses que des gays assumés.

Qu’est-ce qui n’a pas changé?

À commencer, beaucoup d’entre nous. La lutte contre le sida est aux mains de personnes – militants, notables, soignants – plutôt âgés et dont l’histoire personnelle est celle du sida – je me compte parmi elles. La relève n’a pas été organisée et, quand elle existe, elle est étouffée par la légitimité des vétérans. Nous sommes pourtant absolument incapables de comprendre ce que signifie le VIH pour quelqu’un qui est entré dans la sexualité au moment où les trithérapies commençaient à devenir tout à fait vivables. Nous reprochons aux nouvelles générations de ne pas prendre la mesure de la maladie et de son impact, tout en étant incapables de la décrire sans références aux années noires.

Ce qui n’a pas changé, non plus, c’est le rejet des séropositifs. La pitié devenue un terreau moins fertile puisque, tout de même et c’est vrai, il n’y a plus «mort d’homme», le constat qu’on peut faire concernant la jeune génération, c’est qu’elle a perdu le contact avec la maladie au point qu’elle est aussi incapable que nous de la définir dans son acception contemporaine. Mieux, elle base ses stratégies, de plus en plus, sur l’exclusion. «Don’t ask don’t tell» (ne pas demander, ne pas dire) reste le mot d’ordre principal, comme dans l’armée américaine naguère.

L’homophobie n’a pas changé, en dépit du sentiment d’une meilleure acceptation sociale de l’homosexualité. Les parcours individuels sont toujours, et pour longtemps, marqués par la honte initiale, la transgression qui va suivre, la libération permise par la migration vers la grande ville ou la capitale entrainant la désinhibition qui favorise le risque, surtout à un âge où celui-ci participe à la construction de soi.

Surtout, notre discours préventif est, en partie à juste titre, basé sur la modification des comportements alors que le principal risque est représenté par la prévalence. Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Quand le principal facteur de risque est la prévalence, nous nous focalisons uniquement sur les circonstances de la contamination. Mais ce focus mis sur la prévalence contredit une doxa ancienne qui veut ne pas parler de groupes à risques, comme si ce n’était pas le sida qui discriminait les homosexuels mais le constat de leur vulnérabilité environnementale.

De plus, nous restons prisonniers de nos conceptions caritatives. La vulnérabilité, la précarité sont nos ennemis et notre culture du social nous porte à prêter assistance aux paumés, aux pauvres filles, aux incultes et aux planqués, induisant que l’élite serait protégée. Ce n’est que le reflet de notre organisation sociale où les élites se protègent entre elles et arbitrent qui est vulnérable ou pas. Or, notre épidémie, c’est avant tout aujourd’hui des homosexuels, qui appartiennent souvent aux classes dites moyennes ou supérieures. Logique puisque, historiquement, les minorités sont poussées vers une émancipation sociale compensatrice qui leur permet de contourner les discriminations dont elles sont l’objet.

Enfin, et c’est particulièrement frappant lorsqu’on analyse les réactions des individus et encore plus celle des soignant.e.s, on continue d’associer l’importance du risque au statut du partenaire, comme si le TasP (traitement comme prévention) n’avait jamais existé. Il suffit que quelqu’un se présente aux urgences après une séance de touche-pipi avec un séropositif pour qu’il se voit prescrire quatre semaines de trithérapie, en l’absence de tout risque, alors que les choses sont bien plus aléatoires en cas de rapport sexuel complet avec une personne de statut inconnu. Certes les recommandations ont évolué mais elles ne sont pas déclinées dans la pratique (elles ne l’ont d’ailleurs jamais été).

Ce qui a changé

L’homosexualité a changé, du moins pour certains. Nous savons tous que les principaux ressorts de l’homophobie sont toujours à l’oeuvre, nous n’ignorons pas que les parcours individuels d’exclusion sont toujours nombreux, mais une nouvelle catégorie d’homos a vu le jour. Ils sont de bon milieu, leur orientation sexuelle a été accueillie de manière bienveillante par leur entourage, ils n’ont même plus besoin d’être artiste, coiffeur ou infirmier pour se planquer dans un milieu réputé tolérant, ils suivent les parcours de leur classe sociale et entrent dans la banque, ils n’ont plus besoin de la protection de la communauté et se retrouvent du coup exposés car ils ont compris que le sida, ce n’était pas pour eux, comme tous les problèmes des classes inférieures.

«Ce n’est pas possible que j’aie le sida, normalement, je devais avoir une vie dorée» (Etudiant en école de commerce chic et chère, 23 ans)

On se protège moins, c’est un constat que tout le monde peut faire, mais qui doit être tempéré. D’une part, il y a toujours eu des contaminations et il n’est pas certain qu’avant 2003 on se protégeait tellement plus qu’aujourd’hui. C’était moins visible, jamais revendiqué, et l’on oublie qu’une bonne partie de l’organisation communautaire de la sexualité non protégée concerne avant tous des personnes qui sont déjà séropositives. En témoigne leur incidence nettement accrue des IST. Mais les gays se protègent toujours, bien plus que leurs congénères hétérosexuels, sauf que, pour eux, un accroc dans la prévention a bien plus de conséquences du fait de la prévalence.

Je me demande toujours ce que le Swiss Statement a changé à la prévention. Il a changé la vie des séropos, c’est certain, et d’abord vis-à-vis d’eux-mêmes. Le fait de ne plus se considérer comme une bombe virale a permis à beaucoup d’entre eux de réparer une partie du sentiment de dévaluation qu’ils ont pu ressentir à l’issue de leur contamination, vécue comme un échec.

Mais cela n’a en aucun cas suffit à lever l’opprobre sur les séropos, de la part des séronégatifs. En outre, la population gay séronégative n’a pas reçu le message. On peut trouver moralement troublant que des hommes séropositifs considèrent qu’ils puissent dire à un partenaire qu’ils sont séronégatifs parce qu’ils sont sous traitement efficace puisque, finalement, ce serait tout comme.

Mais cette attitude, fort minoritaire, ne peut être comprise si l’on omet que le fait d’annoncer leur séropositivité sera le plus souvent le déclencheur d’un rejet assez brutal et, disons-le, assez sale, indépendamment de l’effet protecteur du traitement et même de l’utilisation d’un préservatif.

Ce que le Swiss Statement a changé réside dans deux éléments principaux:

  • le premier, c’est que les jeunes séropos n’ont aucune réticence à être traités, au contraire. C’est un facteur préventif d’une importance capitale, qui se heurte aujourd’hui en grande partie au refus de nombre de médecins d’appliquer la recommandation de traitement universel;
  • le second, encore assez marginal, c’est que certaines personnes commencent à comprendre que le risque, c’est le séronégatif. On commence à voir des gays séronégatifs qui limitent leurs rapports non protégés aux situations où ils sont en présence de partenaires séropositifs traités et qui ont, à mon sens, compris pas mal de choses.

Ce qui a changé, bien entendu, c’est la pyramide des âges. Elle s’étend vers les extrêmes et les jeunes, très jeunes gays, sont très largement concernés. Je ne suis pas certain qu’ils ont une moindre conscience du sida. Ni qu’ils se protègent moins que les autres. Ce qui a changé, c’est que le virus circule beaucoup plus chez eux qu’avant, qu’un jeune séropo de 19 ans a plus de risque d’être en primo-infection qu’un vieux séropo quinquagénaire, et que l’invisibilité désormais requise des séropos fait que la maladie est pour eux désincarnée et qu’ils reconvoquent les bonnes vieilles protections imaginaires (le clean et le crade, le riche et le pauvre, le gros et le maigre etc.) qui prévalaient à une époque où personne ne connaissait rien à rien. Ils ne sont ni plus bêtes ni plus intelligents que leurs aînés, ils ont simplement intégré le message qu’on leur balance à longueur de temps: le sida c’est les pervers, les moches, les «précaires», les chaudasses, bref, ceux qu’ils n’aiment pas, en un mot, les pauvres. La sélection des partenaires constitue le principal système de prévention auquel s’ajoute un système de «sex friends» qui n’existait pas auparavant dans cette catégorie d’âge. Finalement, les vieilles conceptions sont toujours opérantes, alors que les nouvelles leur ont échappé…

Ce qui a changé, tout le monde le sait, c’est la prévalence des Infections sexuellement transmissibles (IST). Les arguments en faveur d’un dépistage exhaustif et méthodique des IST s’accumulent depuis des lustres dans les pays anglo-saxons. N’oublions pas qu’elles constituent des portes d’entrées magnifiques pour le VIH où qu’elles se trouvent, et même dans le pharynx.

Or, malgré un frémissement dont le 190 est largement à l’origine, ce dépistage n’est pas organisé. Et encore moins pour les séropositifs, condamnés, parce qu’ils sont suivis, à un dépistage itératif strictement sérologique. Nous avons, l’an dernier, fait une pré étude sur la prévalence du mycoplasma genitalum, en compilant un peu plus d’une centaine de check-ups sexuels maison, sans sélection. Aucune découverte de VIH, ni d’hépatite B, une découverte d’hépatite C. Pour la syphilis, nous sommes à 4%. Mais pour le gonocoque, la chlamydia, le mycoplasme, nous sommes entre 10 et 13%… Les dépistages les plus rentables sont ceux qui ne sont jamais proposés et que l’assurance maladie refuse de prendre en charge sur plusieurs sites.

J’imagine qu’il s’agit de l’une des deux explications principales à la «faible» prévalence du VIH chez nos usagers (0,5% en 3 ans contre 3,8% dans la population de PREVAGAY) alors qu’ils sont presque 30% à être porteurs d’une IST.

Ce qui a changé, c’est l’importance des drogues. La drogue, en contexte sexuel gay, est un élément du parcours sexuel transgressif depuis des lustres. Le poppers a longtemps été le produit princeps, quasi identitaire, et il le reste. Les drogues de synthèse, à partir du boum de l’XTA dans les années 80, ont beaucoup été utilisées entre autres par les séropos, comme un remède à l’ennui sexuel (cf. les premiers écrits de Guillaume Dustan).

Le second pas à être franchi, du moins en France, est contemporain de l’arrivée du GHB, au milieu des années 2000. Mais l’éventail aujourd’hui disponible, avec la terrifiante progression des cathinones, induit un changement contextuel majeur. Impossible de ne pas parler du slam. Je suis frappé de constater à quel point il existe un déni de la communauté en ce qui concerne le développement de cette pratique de toxicomanie injectable en contexte sexuel homo. Le discours associatif gay le plus répandu énonce que la pratique est très limitée et, surtout, que le nombre d’usagers stagne. C’est faux, re-faux et archi-faux. En 3 ans, tout le monde sait ce que c’est et un grand nombre y a été au moins confronté.

La pratique, réservée à des clubbers séropos de 35-55 ans, a glissé vers les 20-25 ans et nous observons le départ de feu d’une nouvelle épidémie, toujours homosexuelle, mais construite sur des modes de transmission qui ne sont plus sexuels mais liés à l’injection, où la coinfection avec l’hépatite C devient la règle. Nous l’observons à travers notre télescope, vous l’observerez dans 2 à 3 ans au quotidien. Les produits eux-mêmes commencent à glisser. Ceux qui commencent à redouter les cathinones injectent à nouveau de la cocaïne, et les autres, qui ont épuisé les cathinones, se mettent au crystal, dont l’Europe se croyait protégée malgré la diffusion considérable de cette drogue aux États-Unis.

Ce qui a changé: les modes de relations sociales. Les bars, les sex-clubs, ferment ou trouvent leur fréquentation raréfiée, vieillie et de plus en plus séropositive. Les partouzes se développent, en particulier chez la jeune génération, et sont bien à l’écart de ce que la communauté avait pu mettre en place dans les lieux de sexe. Ces derniers étaient devenus des lieux d’information. Les soirées privées sont des lieux de désinformation. Le groupe, au lieu d’être protecteur, devient facilitateur.

Quelles perspectives?

Arrêter de nous conter des fables. En France, le sida est une épidémie homosexuelle et moins de 1% de la population adulte encaisse 50% de l’épidémie. Le facteur environnemental y constitue le principal déterminant du risque.

Admettre qu’on ne pourra pas faire mieux avec la prévention comportementale. Le dépistage répété du VIH et des IST est un outil majeur. Les Trod, les autotests, sont des outils merveilleux à condition qu’on autorise les personnes à y avoir recours dans de bonnes conditions et qu’ils n’écartent pas – c’est le principal risque – les usagers du dépistage des IST qui reste très largement à améliorer.

Banaliser la séropositivité parce que, à quasi 20% de prévalence, elle est déjà banale. Mais la sérophobie, ou tout simplement la séroméfiance, est aujourd’hui le principal support de l’épidémie. Et cela n’a rien à voir avec la banalisation de l’expérience de la séropositivité.

Dépister et traiter. Notre arsenal thérapeutique est considérable et la population concernée est demandeuse. Je ne peux pas concevoir que des jeunes séropos doivent venir au 190 pour bénéficier d’un traitement du VIH qu’on leur refuse ailleurs.

Sortir du misérabilisme, des poncifs sociaux et aller là où les choses se passent, dans les petites communautés très actives sexuellement. Et, vis-à-vis d’elles, sortir du concept hypocrite de non jugement pour passer enfin à celui d’acceptation.

En terminer avec les concepts idiots de communautarisme et ranimer l’idée noble d’universalisme, c’est à dire la prise en compte de tous, y compris des minorités avec leurs spécificités. Sans quoi on ne promeut qu’un majoritarisme qui est sa négation même. Enfin, réaliser que le sacrifice des jeunes gays au profit d’on ne sait qui constitue l’une des manifestations les plus violentes et les plus sournoises de l’homophobie, vêtue des habits de la respectabilité, de la tolérance et de l’universalisme.

Cette tribune est une version légèrement abrégée de la présentation faite par Michel Ohayon lors de la Convention nationale organisée par Sandrine Fournier de Sidaction le 6 juin 2014.

Elle a été publiée par Yagg.com, le premier média LGBT francophone. Nous la reproduisons avec l’aimable autorisation de l’auteur et de Yagg.com.

Merci à Charles d’avoir attiré notre attention sur ce texte.