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Littératie en santé (Health literacy) et sources d’information

Le 30 Déc 20

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De plus en plus de patients prennent part activement aux décisions liées à leur santé et deviennent des ‘patients éclairés’. Pour assumer ce rôle actif, différentes compétences sont nécessaires. Ces compétences sont l’essence même du concept de ‘littératie en santé’. Ce concept est défini comme « la connaissance, la motivation et les compétences des individus à accédercomprendreévaluer et utiliser l’information de santé en vue de porter des jugements et prendre des décisions dans la vie de tous les jours en ce qui concerne la santé, la prévention des maladies et la promotion de la santé, de manière à maintenir ou améliorer la qualité de vie. »(SØRENSEN K. et al., 2012). Etre un ‘littéraire en santé’ signifie donc bien plus que de disposer d’un savoir ou une connaissance en matière de santé. Il s’agit de compétences, de capacités à agir.

En 2014, une étude menée par la Mutualité chrétienne et l’UCL était la première à mesurer le niveau de littératie en santé dans la population belge, montrant que 4 belges sur 10 n’avaient pas un niveau de compétence suffisant en matière de santé. Bien que ces résultats étaient très semblables aux ceux d’autres pays européens, ils méritaient une confirmation. C’est pourquoi, en 2016, la MC et l’UCL ont organisé une nouvelle enquête. Au-delà de l’évaluation du niveau de littératie en santé, cette étude visait également à mieux savoir si le public interrogé recherche des informations en santé, sur quels thèmes, auprès de quelles sources, ainsi que ce qu’il pense de la fiabilité de ces sources et comment il les utilise.

1.Méthode

L’enquête a été réalisée durant les mois de mars et avril 2016, grâce à un questionnaire en ligne, entièrement anonyme, en français et néerlandais. Ce questionnaire a été élaboré par les chercheurs de l’UCL et relu par les services de promotion de la santé de la MC ainsi que par le département R&D. Près de 100.000 membres de la MC, de 18 ans et plus, ont été contactés afin de participer à cette étude. Ils formaient, au départ, un échantillon représentatif de la population belge.

Au total, 7.197 personnes ont répondu au questionnaire. Après l’élimination de ceux et celles qui n’avaient répondu qu’à quelques questions, 5.711 répondants ont été conservés. Du fait que les jeunes adultes étaient insuffisamment représentés parmi les répondants, on a procédé à une repondération sur l’âge, le sexe, et la région. Après cette repondération, les 5.711 répondants donnent une image représentative de la population belge, ce qui garantit la robustesse des résultats.

2.Résultats

2.1 Niveau de littératie en santé

Le questionnaire comportait 16 questions destinées à mesurer la littératie en santé, permettant de calculer un score final entre 0 et 16. Sur la base de ce score, 3 niveaux de compétences en santé peuvent être différentiés : « insuffisant » pour un score de 0 à 8, « limité » pour un score de 9 à 12 et « suffisant » pour un score de 12 et plus.

Globalement, environ six Belges sur dix (57%) disposent d’un niveau de compétence suffisant en matière de santé. Le niveau de littératie en santé est limité pour trois Belges sur dix (28%) et il est même insuffisant pour 15% de Belges. Donc, au total, près quatre Belges sur dix en savent trop peu en matière de santé …

Ce résultat confirme largement celui qu’on avait obtenu lors de la première étude menée en 2014. Il place la Belgique au même niveau que d’autres pays européens, comme le montre l’European Health Literacy Survey (HLS-EU), qui a mesuré, en 2011, le niveau de littératie en santé dans 8 pays européens (l’Autriche, la Bulgarie, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, les Pays-Bas, la Pologne et l’Espagne). Selon cette étude, portant sur 8.000 européens, 12% des répondants ont des compétences insuffisantes, 35% des compétences limitées, et seuls 53% disposent d’un niveau suffisant de littératie en santé. Or, même si les résultats belges sont comparables aux autres pays européens, ils nous placent aussi assez loin derrière nos voisins des Pays-Bas. En effet, dans l’étude européenne, 75% des Néerlandais ont un niveau de compétence suffisant en santé.

Pour les répondants à notre étude, examinons comment le niveau de littératie en santé varie selon divers critères d’analyse. On peut observer des différences selon le niveau d’études, la région, l’âge, l’état de santé.

Le niveau de formation a une grande influence sur le niveau de compétence en santé (voir Figure 1). En effet, 45% des personnes qui n’ont qu’un diplôme de l’enseignement primaire disposent d’un niveau suffisant de littératie en santé, contre 62% chez les personnes qui ont une formation universitaire. On retrouve aussi ce clivage social au niveau d’un indicateur de privation matérielle. Cette notion était mesurée dans le questionnaire par le fait de ne pas avoir les moyens de s’offrir certaines choses figurant sur une liste de 9 items. Près de 5% de nos répondants peuvent être considérés comme étant en situation de privation matérielle. La proportion de ces personnes avec un niveau suffisant de compétences en santé est plus faible : 46%, par rapport à 58% pour ceux et celles qui ne vivent pas en situation de privation matérielle.

On observe des différences régionales. Ainsi, les répondants résidant en Région flamande et à Bruxelles ont un meilleur niveau de littératie en santé que ceux qui résident en Wallonie. Pour les Wallons, le pourcentage de répondants ayant un niveau suffisant est de 47%, bien inférieur à celui observé en Flandre et à Bruxelles (voir Figure 2).

Si on ne remarque pas de différence importante selon le sexe, on voit toutefois un effet d’âge. Dans les groupes d’âge de 18 à 74 ans, le pourcentage de répondants ayant un niveau suffisant de compétences en santé oscille autour de 60% (de 55 à 61%). Par contre, pour les 75 ans et plus, ce pourcentage est nettement inférieur : 46%. (voir Figure 3).

Les différences sont bien marquées selon l’état de santé des répondants. On peut le mettre en évidence de diverses façons : selon l’état de santé déclaré, l’indice de masse corporelle, la fréquence de contact avec le médecin généraliste.

Par rapport à l’état de santé déclaré par les répondants (voir Figure 4) : 35% de ceux et celles qui déclarent leur santé ‘mauvaise’ à ‘très mauvaise’ ont un niveau suffisant de littératie en santé. Par contre, pour les répondants qui disent avoir une ‘bonne’ ou ‘très bonne’ santé, ce pourcentage est, respectivement de 64% et 67%.

Quant à l’indice de masse corporelle, on observe que la proportion des personnes en sous-poids (BMI<18,5) ou obèse (BMI>=30) avec un niveau suffisant de littératie en santé est plus faible que la moyenne : respectivement 49% et 52%.

Et, selon la fréquence de contact avec le médecin généraliste, on observe que plus cette fréquence est élevée, plus le niveau de littératie diminue (voir Figure 5). Pour les personnes qui consultent plusieurs fois par mois leur médecin généraliste, 39% d’entre elles disposent d’un niveau suffisant de compétences en santé. Par contre, pour ceux et celles qui consultent (moins d’) une fois par an, ce pourcentage est nettement plus élevé : 63%.

Figure 1 : Niveau de littératie en santé selon le niveau d’études (en %)

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Figure 2 : Niveau de littératie en santé selon la région (en %)

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Figure 3 : Niveau de littératie en santé selon l’âge (en %)

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Figure 4 : Niveau de littératie en santé selon l’état de santé déclaré (en %)

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Figure 5 : Niveau de littératie en santé selon la fréquence de contact avec un médecin généraliste (en %)

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2.2 La recherche et les sources d’information en santé

Par informations en santé, on vise les informations en rapport avec les problèmes de santé, les traitements, les contacts avec les professionnels de santé, mais aussi la prévention et le bien-être. Les répondants de l’enquête sont 95% à chercher ce type d’informations. Evidemment tout le monde ne cherche pas avec la même intensité : près de 54% des répondants cherchent ‘occasionnellement’, 29% ‘régulièrement’ et 12% ‘souvent’.

Quand on cherche de l’information en santé, sur quels sujets plus précisément ? Au Tableau 1, nous reprenons les répondants qui cherchent bien de l’information en santé, les sujets recherchés étant classés selon que la fréquence de recherche se fait ‘régulièrement’ ou ‘souvent’ (dernière colonne du tableau). Le top 3 des sujets recherchés sont : les informations sur un mode de vie sain, sur les symptômes et sur les causes de maladies ou plaintes. Les sujets moins fréquemment recherchés sont les informations relatives aux thérapies alternatives, au choix d’un établissement de soins et aux associations de patients.

Tableau 1 : « Sur quels sujets avez-vous déjà recherché des informations ? » (en %)

Sujets

JAMAIS

PARFOIS

RÉGULIÈREMENT

SOUVENT

RÉGULIÈREMENT + SOUVENT

Mode de vie sain (alimentation, activité physique, arrêter de fumer…)

17

42

29

13

42

Symptômes d’une maladie ou plaintes

10

58

24

8

32

Causes de maladies ou de plaintes

13

56

23

8

31

Traitement d’une maladie spécifique

14

55

22

9

31

Éventuels effets secondaires de médicaments

29

42

21

8

30

Utilisation correcte de médicaments

31

40

22

7

29

Choix d’un prestataire de soins (p. ex. médecin, kinésithérapeute…)

30

46

19

5

24

Éventuels risques de traitements

28

48

18

6

24

Vos droits dans l’assurance maladie (sécurité sociale), tels que le droit à l’intervention majorée ou à un remboursement spécifique

35

43

17

5

22

Mesures de prévention (vaccination, dépistage, soins dentaires préventifs…)

35

46

15

4

19

Vos droits en tant que patient

44

37

14

5

19

Les traitements alternatifs (p. ex. homéopathie, phytothérapie, acupuncture, etc.)

49

34

11

6

17

Le choix d’un établissement de soins (p. ex. hôpital)

44

40

12

4

16

Organisations de patients

72

21

5

2

7

Quant aux motivations à l’origine d’une recherche d’information, les deux premières motivations mises en avant sont : le fait d’avoir ainsi plus de contrôle sur sa propre santé et connaître les expériences d’autres personnes vivant des situations similaires (voir Tableau 2). On remarque aussi une proportion non négligeable (de 9 à 13%) de répondants pour lesquels il s’agit de compenser, ‘régulièrement’ ou ‘souvent’, un oubli, un manque ou une incompréhension par rapport aux informations transmises par le médecin. Quant aux deux dernières raisons, elles sont bien plus présentes chez ceux qui ont un très faible niveau d’instruction (respectivement 16% et 22%) ou vivent en situation de privation matérielle (respectivement 15% et 23%).

Tableau 2 : « Pourquoi avez-vous recherché des informations sur la santé ? » (in %)

JAMAIS

PARFOIS

RÉGULIÈREMENT

SOUVENT

RÉGULIÈREMENT + SOUVENT

Cela me permet de mieux contrôler ma santé

25

44

23

8

31

Je voulais connaître l’expérience d’autres personnes dans la même situation que moi

29

45

19

7

26

Pour bien me préparer avant de me rendre à la consultation chez mon médecin ou un autre prestataire de soins

30

48

17

6

22

J’avais besoin d’un second avis

41

41

14

4

18

Je ne me souvenais pas de tout ce que mon médecin a dit

47

41

10

2

13

Mon médecin me donne trop peu d’informations

58

32

7

3

10

Je n’avais pas bien compris ce que mon médecin a dit

57

34

7

2

9

Certaines sources d’information sont clairement privilégiées. Pour près de 55% des répondants, la première source est le médecin généraliste. On voit, à nouveau, toute l’importance et la place centrale qu’occupe le médecin de famille. L’Internet vient en seconde position (28%), la famille en troisième (5%). D’autres sources qui sont sollicitées sont le médecin spécialiste (4%) et le pharmacien (2%).

Le niveau de ‘confiance’ exprimé par les répondants envers les différentes sources possibles n’est pas le même (Figure 6). D’une façon générale, elle est très grande vis-à-vis des médecins généralistes, spécialistes et pharmaciens. Elle est moindre vis-à-vis de la famille et de l’Internet. Globalement, pour ce dernier, seulement 29% des répondants ont ‘beaucoup’ ou ‘totalement’ confiance. Mais si on se limite à ceux et celles qui ont sélectionné l’Internet comme étant la première source d’information consultée, le niveau de confiance augmente : 48% d’entre eux ont ‘beaucoup’ ou ‘totalement’ confiance. Cela dit, même si c’est leur source privilégiée, 51% de ces répondants n’ont qu’ ‘un peu’ confiance en Internet. C’est assez rassurant : ils ont bien un regard critique, savent que toutes les informations qu’on peut trouver sur l’Internet ne sont pas forcément fiables.

Figure 6 : « Dans quelle mesure vous fiez-vous aux sources d’information suivantes en matière de santé ? » (in %)

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Un résultat frappant est que les sources d’information privilégiées par les répondants varient avec l’âge (voir Figure 7). Le médecin de famille est la première source d’information dans toutes les tranches d’âge sauf celle des 18-34 ans. Et, plus on avance en âge, plus l’importance du médecin de famille comme première source est croissante. Par contre, pour les 18-34 ans, c’est l’Internet qui est la première source préférée (42%), devant le médecin généraliste. Si les 35-44 ans sont encore près de 35% à citer l’Internet comme première source d’information, la fréquence du web comme première source diminue rapidement avec l’âge. Par rapport au médecin et à l’Internet, la famille apparaît plutôt ‘marginale’ comme première source d’information, sauf dans la tranche 18-34 ans ou 14% la mentionnent. Mais ce pourcentage diminue très vite avec l’âge.

Il y a également une influence du niveau d’études sur les sources d’information privilégiées : comme on peut le constater à la Figure 8, au fur et à mesure que le niveau d’études augmente, l’importance de l’Internet comme première source d’information augmente, ainsi que celle de la famille. Ainsi, pour les répondants qui ont suivi des études de l’enseignement supérieur de type long, l’Internet constitue la première source d’information pour 37% d’entre eux. Cela dit, quel que soit le niveau d’études, c’est bien le médecin généraliste qui reste la première source d’information, avec toutefois une fréquence décroissante en fonction du niveau d’études.

D’une façon générale, l’Internet est un outil de recherche fort présent : près de 89% de ceux qui cherchent de l’information en santé l’utilisent d’une façon ou d’une autre. Ce dernier résultat est peut-être biaisé du fait de la méthode d’enquête : le questionnaire étant en ligne, par définition tous les répondants étaient informatiquement équipés. Mais pas tant que cela, car le taux d’équipement des ménages belges est très élevé. D’après le SPF Economie, 82,1% des ménages en Belgique possèdent au moins un ordinateur et 81,8% disposent d’une connexion internet. Les Belges vivent vraiment à l’heure de la société de l’information!

Et, quand on est en recherche d’information en santé, comme on le voit à la Figure 9, les sites les plus fréquemment consultés sont les moteurs de recherche. Notons également que le site de la MC et les sites de prestataires de soins (généraliste, spécialiste, hôpital, …) sont également bien positionnés.

Figure 7 : « Quand vous avez des questions en matière de santé, quelles sources d’information consultez-vous en premier lieu ? » – Top-3 en fonction de l’âge (en %)

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Figure 8 : « Quand vous avez des questions en matière de santé, quelles sources d’information consultez-vous en premier lieu ? » – Top 3 selon le niveau de formation (en %)

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Figure 9 : « Sur quels sites Web recherchez-vous des informations en matière de santé ? » (en %)

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Chercher de l’information en santé n’est pas neutre, elle entraîne certaines conséquences. Et elles sont parfois frappantes. Ainsi, près de 19% des répondants ne parlent jamais de l’information sur la santé qu’ils ou elles ont trouvée auprès d’un professionnel de la santé. En revanche, comme on le voit au Tableau 3, la très grande majorité des répondants a plutôt tendance à consulter son médecin. Notons malgré tout une proportion non négligeable de répondants (de 6 à 8%) qui se diagnostiquent eux-mêmes, se sentent anxieux, prennent le risque de reporter une consultation auprès de leur médecin, ce qui n’est pas souhaitable. Et, ici, un clivage social apparaît à nouveau : le pourcentage de répondants qui disent reporter ‘régulièrement’ ou ‘souvent’ une consultation est plus élevé chez ceux qui ont seulement un diplôme de primaire (14,5%) ou sont soumis à privation matérielle (9%).

Tableau 3 : « Quelles sont les conséquences de votre recherche d’informations en matière de santé ? » (en %)

JAMAIS

PARFOIS

RÉGULIÈREMENT

SOUVENT

RÉGULIÈREMENT + SOUVENT

Je consulte mon médecin traitant

8

39

36

17

53

Ces informations m’ont rassuré(e)

10

63

24

4

28

Je consulte mon pharmacien

29

49

17

6

22

Je pose mon propre diagnostic

56

36

7

2

8

La lecture des informations m’angoisse

43

49

6

2

8

Je reporte les consultations chez mon médecin

72

22

5

1

6

3. Un axe d’actions pour la MC

Depuis longtemps, la MC prend de nombreuses initiatives relatives à la promotion de la santé et entend bien poursuivre ses efforts afin d’améliorer les connaissances et compétences en santé du public. Avec 4 Belges sur 10 qui ont des compétences limitées ou insuffisantes en matière de santé, il y a encore du travail à faire ! Et il s’agit bien d’une mission fondamentale, car de bonnes compétences en santé ont des conséquences positives par rapport aux comportements liés à la santé, comme l’alimentation équilibrée, l’activité physique, la consommation d’alcool, la prise de médicaments ou encore la participation au dépistage et l’autogestion de soins chez des malades chroniques. La MC souligne le fait que la mutualité doit évoluer vers le concept de ‘mutualité santé’ et se profiler comme « une source fiable de conseils et d’informations sur la santé, l’initiatrice et le soutien d’une multitude de projets qui favorisent la bonne santé de tous, au quotidien ».

Sans compter les publications (presse mutualiste, brochures, e-zine, …), les séances, cours et sessions d’information régionales, le site de la MC regorge d’informations relatives à la santé, aux maladies et traitements, ainsi que des conseils liés à la prévention. Ces informations sont validées par des experts et régulièrement actualisées.

De plus, ces dernières années, des points d’information ‘malades chroniques’ ont été mis en place (avec, du côté francophone, l’organisation d’un chat mensuel). Des outils ont été développés, par exemple, du côté francophone : www.jepenseaussiamoi.be, ainsi qu’une plateforme sur l’incapacité de travail.

Ne vous laissez pas piéger : lisez et cliquez intelligemment en vous posant 7 questions

Des informations sur la santé sont disponibles partout : sur Internet, dans le journal, les magazines. Mais que pouvez-vous encore croire ? Évaluer les informations en gardant sept questions intelligentes à l’esprit fera du bien à votre santé.

1. Qui ?

Qui prend la parole ?

  • Est-ce un professeur ou un expert ? Cette personne travaille-t-elle pour une université ou un organisme de santé fiable ?
  • S’agit-il d’une personne qui se fait passer pour un expert, mais qui en fait n’a rien à voir avec la santé ?

2. Quoi ?

  • Quel est le véritable message ?
  • Lisez toujours l’article complet.
  • Ne vous laissez pas piéger par des en-têtes ou des photos à sensation.

3. Où ?

Où lisez-vous les informations ?

  • Sur le site Web d’une organisation fiable ou dans une revue fiable ? Vérifiez toujours qui sont les auteurs ou les initiateurs sur un Web.
  • Sur un site Web non fiable débordant de publicités ou dans une revue à sensation pure ?

4. Quand ?

Quand le texte a-t-il été rédigé ?

  • S’agit-il d’un texte récent ou d’une étude récente ? La science évolue sans cesse.
  • S’agit-il d’informations obsolètes ?

5. Pourquoi ?

Dans quel but ce texte a-t-il été rédigé ?

  • L’objectif est-il d’informer correctement ou de sensibiliser le public ? Veut-on mettre en exergue une nouvelle étude fiable ?
  • Souhaite-t-on uniquement faire de la publicité pour certains produits (p. ex. des suppléments alimentaires) ?

6. Comment ?

Comment arrive-t-on à la conclusion ?

  • Sur la base d’une étude fiable ?
  • Après une enquête auprès d’une poignée de personnes ? S’agit-il d’un avis ou d’une idée ?

7. Crédible ?

  • Écoutez votre bon sens.
  • Est-ce trop beau pour être vrai ? Dans ce cas, ce n’est généralement pas vrai.

[1] Exemples : A quel point trouvez-vous facile ou difficile de trouver des informations sur les traitements des maladies qui vous concernent ? de suivre les instructions de votre médecin ou votre pharmacien ?

Ces 16 questions forment la version courte du questionnaire qui a servi à l’étude européenne HLS-EU.

Voir : https://www.healthliteracyeurope.net/hls-eu.

[2] Résultats également comparables à ceux obtenus au Canada où environ 60% des adultes ont un faible niveau de littératie en santé.

Source : https://www.phac-aspc.gc.ca/cd-mc/hl-ls/index-fra.php .

[3] Sont considérées en situation de privation matérielle les personnes vivant dans un ménage ne pouvant pas se permettre financièrement quatre des éléments suivants : (1) payer des factures à temps, (2) s’offrir chaque année une semaine de vacances hors de son domicile, (3) s’offrir un repas composé de viande, de poulet ou de poisson tous les deux jours au moins, (4) faire face à une dépense imprévue, (5) posséder un téléphone, (6) posséder une télévision couleur, (7) posséder un lave-linge, (8) posséder une voiture personnelle et (9) chauffer convenablement son domicile.

La définition de la privation matérielle provient de :

https://statbel.fgov.be/fr/binaries/COMMUNIQU%C3%89%20DE%20PRESSE%20privation%20mat%C3%A9rielle%20SILC2015_tcm326-277076.pdf .

[4] Body Mass Index ou indice de masse corporelle : calculé en divisant le poids (exprimé en kg) par le la taille (exprimé en mètre) au carré.

Source : https://apps.who.int/bmi/index.jsp?introPage=intro_3.html .

[6] Il reste bien une fracture numérique : en 2015, 13% des Belges entre 16 et 74 ans n’ont jamais utilisé Internet. Il s’agit de ménages avec de faibles revenus, de personnes plus âgées, de personnes avec un niveau d’études plus faible.

Source : https://economie.fgov.be/fr/binaries/Barometre_de_la_societe_de_l_information_2016_tcm326-278973.pdf, page 34.

[7] Hermesse J. 2016. Un Pacte est un engagement mutuel ! Editorial d’En marche, édition du 1er décembre 2016

Décrochage scolaire et manque de sommeil : vers une génération de Zzzombie sur les bancs de l’école?

Le 30 Déc 20

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« La fatigue en classe, la nouvelle maladie du 21ème siècle dans les écoles ? » Voilà la question mise en débat lors de la conférence du même nom ce 14 septembre à Bruxelles. Cette dernière a été organisée par l’Ecole du sommeil en partenariat avec Question Santé, le SIPES et l’OMS. L’objectif était de mettre en perspective les différents liens qui peuvent exister entre un rythme de sommeil perturbé et les conséquences négatives sur le travail scolaire. Pour ce faire, les résultats de la dernière étude de l’Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) portant sur la question ont été présentés.

Les objectifs de l’étude

Les différents objectifs de l’étude HBSC réalisée en fédération Wallonie-Bruxelles étaient :

  • « Décrire les comportements de santé des jeunes scolarisés en FWB, leur bien-être et leur état de santé
  • Analyser les évolutions de ces indicateurs au cours des enquêtes
  • Comparer la situation des jeunes en FWB par rapport à ceux des autres pays participant à l’enquête
  • Identifier les disparités démographiques, scolaires et sociales afin de cibler les interventions de promotion de la santé »

L’enquête HBSC c’est une étude qui se réalise tous les 4 ans et ce depuis 1986 dans une quarantaine de pays ou de régions. En Fédération Wallonie-Bruxelles elle concerne les jeunes scolarisés de la 5ème primaire à la dernière année du secondaire soit un échantillon composé de 14 000 jeunes qui ont entre 10 et 22 ans. Elle touche à différents thèmes liés à la santé comme le bien-être (les relations familiales, le bien-être en milieu scolaire, la confiance en soi, …), les comportements en lien avec la santé (la vie relationnelle, affective et sexuelle, la consommation de tabac, la pratique du sport, …) ou encore l’état de santé plus globale comme la santé perçue.

Des résultats qui interpellent

Quatre grands axes majeurs de la problématique du sommeil ont été plus finement analysés  :

  • les heures de sommeil,
  • la cassure du rythme circadien pendant le weekend,
  • les difficultés pour dormi,
  • fatigue matinale.

Les heures de sommeil

Dans le graphique présenté ici on peut clairement remarquer que la durée de sommeil durant la semaine évolue en fonction de l’âge. Plus l’âge augmente, plus la proportion de jeunes qui dorment en moyenne 9 heures ou plus par nuit diminue. Environ 20% des élèves de 5ème et 6ème primaire n’ont pas ces 9 heures de sommeil en semaine, et cette proportion atteint les 40% lors du passage en 1ère secondaire ! Face à ces chiffres qui évoluent drastiquement, rappelons qu’une période de sommeil de 9 heures correspond à une nuit de 22 à 7 heure…

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Cassure du rythme circadien le weekend

Les jeunes ont tendance à briser leur rythme de sommeil : étant en manque de sommeil la semaine, ils se rattrapent en dormant davantage le weekend. Or, majorer sa durée de repos de 2 heures durant cette petite période ne permet aucunement de compenser des nuits trop courtes en semaine. Ce déséquilibre appelé la « dette de sommeil » serait même contreproductif.

Cette habitude concerne plus ou moins 20% des plus jeunes de 5ème et 6ème primaire, augmente chez les adolescents et connait un pic à 48% chez les élèves de 5ème secondaire. Là encore, le passage en secondaire marque une nette augmentation de cette tendance.

Des difficultés pour dormir

Les « difficultés pour dormir » englobent plusieurs situations comme un obstacle à l’endormissement, des réveils nocturnes, un environnement peu propice au sommeil (la présence de bruit, de lumière, une chambre partagée, …), on peut supposer que ces causes externes et internes co-existent.

Sur ce graphique, on peut lire des chiffres frappants puisqu’en moyenne 30% des élèves déclarent  avoir des difficultés pour dormir plusieurs fois par semaine, voir tous les jours pour la moitié des jeunes.

Par ailleurs, il existe une disparité entre les sexes, les jeunes filles étant en effet plus sujettes aux difficultés à dormir que leurs homologues masculins. Présentes en Belgique et à l’international, ces difficultés sont d’autant plus marquées en fédération Wallonie-Bruxelles où, à l’âge de 13 ans, on objective 38% des filles ayant des difficultés pour dormir contre 24% chez les garçons. Analysées d’un point de vue international, ces difficultés augmentent significativement avec l’âge, passant de 20% des filles à l’âge de 11 ans à 28% à l’âge de 15 ans. Notons qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’effet de l’âge est gommé pour les jeunes filles sans explications supplémentaires.

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La fatigue matinale

Cette fatigue matinale est une des conséquences d’une mauvaise qualité de sommeil. Elle peut être à l’origine de difficultés de concentration en classe, de comportements inappropriés ou encore de difficultés d’apprentissage. Dans l’enquête HBSC, pour l’ensemble du public étudié, plus d’un jeune sur deux déclare ressentir plusieurs fois par semaine un état de fatigue dès le réveil.

Suite à une analyse multivariée des données disponibles, on n’observe pas de différences entre genres ou liées au niveau socio-économique. Par contre, la fatigue matinale est plus présente dans les familles recomposées ou monoparentales. Si l’étude n’explore pas scientifiquement la question de la composition des familles, des hypothèses peuvent être avancées. Par exemple une plus grande difficulté d’organisation au sein de ces familles ou encore un climat socio-affectif différent. Il existe également un lien avec la sédentarité et plus particulièrement l’utilisation des écrans : les jeunes qui utilisent les écrans (TV, ordinateur, internet, jeux) plus de 3 heures par jour ou qui pratiquent une activité sportive moins de deux fois par semaine sont d’avantage sujets à cette fatigue matinale. L’école du sommeil souligne que la problématique des écrans est déjà  présente chez les enfants dès la troisième année primaire. Elle avance également le cercle vicieux des réseaux sociaux qui envoient des notifications durant la nuit. La tentation est donc grande pour le jeune d’interrompre son sommeil pour les consulter. Ces interruptions qui ne demandent parfois que quelques secondes ont pourtant un effet délétère sur la qualité du sommeil car elles brisent les cycles, ne permettant pas au jeune d’atteindre le sommeil profond et réellement réparateur qui s’installe en fin de cycle.

Le milieu scolaire joue également un rôle ici : on observe une corrélation marquée avec l’appréciation de l’environnement scolaire ou la relation avec les professeurs. Des enfants appréciant peu leur école ou leurs professeurs déclarent davantage de fatigue matinale.

Enfin, comme identifié dans les autres axes, on constate aussi que la fatigue matinale augmente en même temps que le niveau scolaire.

Des pistes pour demain

À la vue des différents éléments présentés dans l’étude HBSC, on peut supposer que certains facteurs en plus de coexister, se renforcent les uns les autres. Par exemple, augmenter la durée d’utilisation des écrans réduit le temps à consacrer à une activité sportive et induit donc plus de sédentarité et ainsi de suite. Il s’agit là d’axes intéressants à étudier dans le futur au même titre que d’autres facteurs potentiellement liés tels que l’alimentation, l’absentéisme scolaire, les comportements à risques, …

A la fin de la conférence des pistes d’action ont étés proposées :

  • Réduire le temps passé devant les écrans
  • Favoriser la pratique d’un sport au moins 3fois/semaine
  • Promouvoir une durée de sommeil adéquate et garder le rythme le weekend
  • Favoriser le bien-être à l’école

Pour aller plus loin…

Les résultats complets de l’enquête sont disponibles sur le site https://sipes.ulb.ac.be/ .

Point actualité

Le 2 octobre dernier, le prix Nobel de médecine était décerné à trois chercheurs américains : Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young pour leurs travaux sur le contrôle des rythmes circadiens. Alors que ces rythmes ont étés découverts dès le XVIIe siècle ces trois chercheurs ont trouvé, en 1984, en étudiant la mouche vinaigre, un gène qui intervient dans la gestion du rythme biologique journalier.

Ils ont alors proposé un modèle qui explique le fonctionnement de ce gène. Ce dernier agit la nuit en produisant une protéine qui s’accumule dans les cellules. Pendant la journée, cette protéine est consommée par l’organisme. S’en suivra la découverte d’autres protéines qui interviennent dans cette fonction vitale primordiale pour les être multicellulaires qu’est l’horloge biologique.

Le pharmacien, un acteur clé en soin de santé

Le 30 Déc 20

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Le pharmacien, un acteur clé en soin de santé

Proche et disponible, la pharmacie est le premier lieu de contact entre le patient et le monde de la santé. Située souvent près du domicile, 86%Note bas de page des Belges restent fidèles à leur officine en laquelle ils ont confiance. Le nouveau service de « pharmacien de référence » place le patient au cœur du processus de santé et rappelle le rôle du pharmacien en tant que prestataire de soin.

Depuis le 1er octobre, le système de « pharmacien de référence » est entré en vigueur. Il s’agit d’un service assurant le suivi et l’accompagnement de l’observance thérapeutique du patient en créant un schéma de médication. « Il faut qu’il y ait un lien de confiance, une relation thérapeutique qui soit avérée pour que le pharmacien puisse exercer ce rôle de la manière la plus efficace possible », explique Alain Chaspierre, Vice-président de l’Association Pharmaceutique Belge (APB).Le « pharmacien de référence » est un praticien choisi librement par un patient qui utilise au minimum un médicament de manière chronique et qui a eu une dispensation de quatre autres médicaments remboursés dans la même pharmacie durant l’année précédente.Les publics cibles sont les patients chroniquesNote bas de page mais pas seulement. Ceux qui vont bénéficier le plus de ce service sont les personnes polymédiquées, c’est-à-dire les patients qui utilisent plus de cinq médicaments régulièrement, ceux qui éprouvent des difficultés avec leur traitement, et tous les patients qui vont le demander.

Le rôle primordial du pharmacien

Les fonctions du pharmacien restent inchangées, elles sont clairement établies dans l’arrêté royal du 21 janvier 2009, qui définit les soins pharmaceutiques de base. « Lorsque vous vous rendez dans une pharmacie, le pharmacien vous délivre un médicament et regarde ceux que vous prenez déjà, si cela convient, s’il n y a pas d’interaction majeure par exemple, et ensuite il vous explique la posologie » rappelle Alain Chaspierre.

Un outil indispensable

Le schéma de médication constitue une avancée majeure dans le traitement des patients chroniques. Il sera édité par le pharmacien de référence du patient qui le tiendra à jour au départ et à chaque modification de traitement. Il s’agit d’un outil de communication de première ligne. « Ce schéma va vivre et évoluer avec le patient, en permettant d’avoir une vue hélicoptère de l’ensemble des traitements, prescrits et non prescrits, par un généraliste ou un spécialiste. Cela fait partie de l’accompagnement des soins pharmaceutiques de base. Avant, on écrivait nos conseils d’utilisation sur les étiquettes ou on les dispensait oralement. Aujourd’hui, on va les encoder et surtout les partager avec différents professionnels de santé. Cela permet un meilleur aperçu du traitement tout en impliquant les patients dans leur médication », explique Arnaud Lambert, pharmacien dans une officine à Namur. La période où le pharmacien griffonnait sur la boite est donc révolue.

Quels sont les avantages de ce service ?

Ils sont multiples. Premièrement, cela permet une meilleure communication entre le médecin généraliste et les spécialistes. Tous les professionnels de la santé sont au courant de ce que les collaborateurs de la santé ont déjà prescrit au patient. Cela permet d’avoir une vue complète de ce que le patient utilise, y compris l’automédication.Deuxièmement, l’observance thérapeutique du patient est meilleure. Non seulement, la posologie du traitement est claire pour le patient, mais cela permet aussi au professionnel de la santé qui le reçoit d’en prendre connaissance. Généralement, la première question que le médecin pose est « Quels sont les médicaments que vous prenez ? » et si le patient oublie de citer un traitement, cela peut engendrer un mauvais diagnostic. Aussi, si un patient est hospitalisé en état d’inconscience, le médecin aura accès au schéma thérapeutique de ce dernier. L’objectif est d’éviter de faire des erreurs dans sa prise en charge.

L’informatisation des données au service du patient

En Belgique, le système eHealth permet l’échange de données de santé. Depuis le 1er octobre, deux nouveaux éléments sont entrés en vigueur à condition que le patient donne son consentement. Le premier est l’échange des données entre hôpitaux et l’échange des données entre les hôpitaux et les médecins généralistes. Et le second élément est le Dossier Pharmaceutique Partagé (DPP). Alain Chaspierre rappelle que Cela permet au pharmacien de référence désigné comme tel de voir le parcours thérapeutique du patient. Par exemple, si un patient se rend dans une autre pharmacie que celle de référence, peu importe laquelle, le pharmacien de référence sera au courant de son traitement et pourra consolider un schéma de médication complet du patient. »Le pharmacien de référence va être le point de contact pour la médication du patient pour tous les prestataires de soin. À l’horizon 2020, le nom du pharmacien de référence et le nom du médecin généraliste seront couplés au nom du patient dans les données eHealth. Donc, lorsqu’un professionnel de la santé utilisera la carte d’identité d’un patient, il aura son nom, le nom du médecin traitant qui a le DMG et le nom du pharmacien de référence qui s’occupe de son schéma de médication.Le but est de mettre en place un accompagnement personnalisé et d’améliorer la qualité des soins en ayant une vue exhaustive et complète de la médication du patient : une avancée stratégique dans la prise en charge du traitement du patient.

La pharmacie au centre du village

Pourquoi n’est-ce pas le médecin traitant qui propose le schéma de médication ? Cette question appelle deux éléments de réponse. D’abord, il peut y avoir une différence entre l’intention thérapeutique et la réelle délivrance du traitement.Ensuite, il peut y avoir une interaction entre les médicaments ou encore une erreur dans la prescription. Dans ce cas, le pharmacien peut prendre contact avec le médecin pour modifier le prescrit, signaler l’indisponibilité ou la pénurie du traitement en pharmacie. L’intérêt du schéma de médication créé par le pharmacien est donc de reprendre précisément ce que le patient prend réellement.Depuis l’annonce de ce service, il y a un réel engouement de la part des patients. Surtout, qu’il s’agit d’un service gratuit pour ceux qui font partie du groupe cible. Le patient signe une convention autorisant l’échange de ses données de santé. Pour ce service, le pharmacien est rémunéré sur base d’un honoraire annuel par patient de 31.80€ tvac, financé par des réaffectations au sein de l’enveloppe des pharmaciens. Il ne s’agit donc pas d’un budget supplémentaire de l’INAMI.

Les espaces de confidentialité

De nos jours, la stratégie globale est de réorienter la profession de pharmacien vers plus de prestations de services à valeur ajoutée pour les patients plutôt que de simples actes de dispensation. Celle-ci correspond à l’évolution du métier et est axée sur la réalité de terrain.L’intérêt d’une mise à disposition d’un espace privé pour le patient, réservé à la concertation, lui permet de poser toutes les questions de santé en toute confidentialité. Le pharmacien (ré)explique pourquoi le médecin a prescrit ce traitement, l’intérêt de le prendre, comment éviter les effets indésirables… Le but est de vérifier que le patient ait bien compris l’utilisation de son traitement.Toutes les officines ne disposent pas d’un espace de confidentialité à proprement parler. Néanmoins, il est toujours possible pour un patient de discuter en privé avec son pharmacien. Ce service de dialogue et d’écoute fait partie inhérente du métier, et est destiné à renforcer la relation de confiance entre le pharmacien et son patient pour un meilleur suivi.

Éducation du patient

Alain Chaspierre cite l’exemple d’un projet sur l’ostéoporose. « Pour que le traitement soit efficace, le patient doit prendre des médicaments pour l’ostéoporose et du calcium. À un moment donné, lorsqu’il y a assez de calcium, on ne donne plus que le produit pour l’ostéoporose. En fonction de l’évolution, le traitement sera réajusté. » Aujourd’hui, quand le pharmacien réalise une vue d’ensemble de la médication, il se rend compte que beaucoup de patients ne prennent plus le calcium ou le prennent au mauvais moment. C’est l’intérêt d’avoir une vue générale sur l’ensemble du traitement.Il est donc primordial d’impliquer le patient dans son traitement, de l’autonomiser afin d’optimaliser son adhésion thérapeutique.

La médication active et les services du pharmacien

Le métier de pharmacien se décline principalement sous trois angles. La prévention compose le premier élément. Elle suppose l’instauration d’une relation de confiance entre le patient et le pharmacien de référence, qui pourra ensuite développer ses services de soutien à l’adhésion thérapeutique.Ensuite, l’orientation des patients qui commence par une écoute attentive du pharmacien. Ce dernier est disponible pour informer le patient et lui proposer des pistes afin de remédier à son problème de santé. Il s’agit d’un service d’accompagnement. Comme le souligne Arnaud Lambert, « dans les soins de santé, le pharmacien est souvent mis sur le côté. On oublie qu’on est là pour s’assurer que les médicaments sont bien utilisés, pour éviter justement que la personne ne devienne encore plus malade. Notre boulot n’est pas de donner des médicaments pour que les gens se soignent, c’est d’éviter qu’ils en prennent finalement. Dans ce cadre, le schéma de médication permet d’éviter des cascades médicamenteuses à n’en plus finir. Par exemple, le fait de prendre un médicament qui produit un effet indésirable et en prendre un autre pour contrer cet effet, et ainsi de suite. Si on voit directement tout ce que le patient utilise, on peut constater la source du problème. Je prends le temps qu’il faut pour écouter mes patients, cela fait partie inhérente de mon métier » rappelle le pharmacien.Finalement, le suivi pharmaceutique constitue le troisième élément du métier. Les pharmaciens rendent beaucoup de services, qui ne sont pas toujours visibles par manque de quantification. Avec le service de pharmacien de référence, on objective ce qu’ils font déjà, et le travail réalisé en coulisse est un peu plus visible.La fonction du pharmacien reste donc primordiale dans la promotion de la santé en tant que premier interlocuteur avec les patients, et cela tant pour les écouter que les guider. Le nouveau service de « pharmacien de référence » permet donc de renforcer ce rôle de conseiller en santé.



Alain Chaspierre, Vice-président de l’APB

Tout patient à qui 5 médicaments remboursés ont été délivrés dans la même officine au cours de l’année écoulée, dont au moins un médicament chronique.

Santé environnementale: inégalités et inconnues

Le 30 Déc 20

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Inter-Environnement Wallonie (IEW), la fédération des associations au service de l’environnement, a organisé en février dernier son Université annuelle. Une septième édition consacrée à la santé environnementale et plus spécifiquement à la pollution de l’air extérieur et aux perturbateurs endocriniens.

Santé environnementale: inégalités et inconnues

Les menaces invisibles sont à la fois les plus anxiogènes et celles dont on parvient le mieux à faire abstraction. Polluants de l’air et perturbateurs endocriniens entrent dans cette catégorie : s’ils inquiètent de plus en plus, nous les balayons d’un revers de la main dès qu’il s’agit de se promener en ville par beau temps, de se vernir les ongles ou de boire une canette de soda, autant de comportements anodins susceptibles de nous mettre en contact avec eux.

N’en déplaise à certains pouvoirs publics et lobbies, n’en déplaise surtout à notre tranquillité d’esprit, les données scientifiques s’accumulent pour affirmer le rôle délétère de certaines de ces substances/combinaisons de substances sur notre santé, esquissant ce qui pourrait bien s’apparenter demain à un « scandale sanitaire » , comme l’a rappelé en introduction le Secrétaire général d’Inter-Environnement, Christophe Schoune : « 12,5 millions de morts par an seraient liées à des problèmes de santé environnementale. C’est plus que les ravages de la malnutrition en Afrique », a-t-il avancé.

Certes, nous ne fonctionnons plus aujourd’hui avec un modèle mono-factoriel, où il s’agirait de pointer une fois pour toutes l’unique coupable des fléaux contemporains : cancers, obésité, problèmes cognitifs… Mais l’étiologie complexe des maladies chroniques incite précisément à traquer la part de responsabilité de chaque facteur, en particulier quand celui-ci relève de la législation et du choix de société, non du mode de vie individuel.« Face à des lobbies puissants, nous avons aujourd’hui besoin de consensus. Or il y a encore de nombreuses lacunes. Il faut remettre la science à sa juste place », a pour sa part estimé le Dr Didier Vander Steichel, directeur médical de la Fondation contre le Cancer.

Différentiel de vulnérabilité

Selon le rapport 2015 de l’Agence Européenne pour l’Environnement, la pollution de l’air est le facteur de risque environnemental numéro un pour la santé humaine. Elle est principalement accusée d’augmenter l’incidence des maladies respiratoires, cardiovasculaires et du cancer. En Europe, elle serait responsable de 491.000 morts prématurées annuelles et de 11.700 pour la seule Belgique.Les principaux polluants atmosphériques accusés de porter atteinte à la santé humaine sont les particules fines, l’ozone et le dioxyde d’azote.

Le benzo(a)pyrène (BaP), cancérigène avéré, est également responsable de dommages sur la santé, particulièrement en Europe de l’Est. Transports, industries, production d’énergie, chauffage des bâtiments, agriculture, déchets… Les activités humaines qui produisent ces polluants sont nombreuses.En Wallonie, c’est le secteur résidentiel (chauffage de bâtiments) qui représente 62% des émissions de particules fines, suivi par le transport (14%) et l’industrie (14%).

Pour les oxydes d’azote, le transport arrive en tête (51%), suivi de l’industrie (33%). Les émissions du transport routier sont d’ailleurs considérées comme globalement plus dommageables, car elles se produisent principalement dans des zones à forte densité de population. Selon les valeurs définies par la législation européenne, 9 à 14% de la population urbaine est exposée à des niveaux de pollution supérieurs aux valeurs de référence (25 mg/m3). Mais ce chiffre grimpe entre 87 et 93% si l’on prend en considération les lignes directrices définies par l’OMS (10 mg/m3)…

Denis Zmirou-Navier, professeur de santé publique à la Faculté de médecine de l’Université de Lorraine et Directeur du Département Santé-Environnement-Travail de l’École des Hautes Études en Santé Publique, a proposé lors de cette Université annuelle un exposé sur les inégalités territoriales et sociales liées à la pollution de l’air. Rappelant que le concept d’« Environnemental Justice » est né dans les années 80 aux États-Unis dans le chef de citoyens afro-américains contestant l’installation de décharges dans les quartiers les plus pauvres et les plus « black » du Comté de Warren (Caroline du Nord), il a montré que le raisonnement s’appliquait à de nombreuses métropoles européennes: si l’on considère par exemple le Grand Lille, les populations les plus pauvres habitent effectivement plus près des installations industrielles.

Les recherches du Pr Denis Zmirou-Navier montrent néanmoins que les liens entre territoire et santé sont plus complexes que cette malheureuse équation. Le cas de Paris est à cet égard emblématique. Si les zones les plus polluées de la capitale se situent sans surprise autour du périphérique, elles se retrouvent aussi dans l’hypercentre, autour de la rue de Rivoli et le long de la Seine, là où habitent les Parisiens… les plus riches.Une spécificité qui a permis à Denis Zmirou-Navier de distinguer dans ses recherches le différentiel d’exposition et le différentiel de vulnérabilité. Si le premier désigne le fait que les personnes les plus pauvres sont aussi les plus exposées aux pollutions de l’air, le second montre que, pour un même niveau d’exposition, les populations les plus pauvres pâtissent d’effets sanitaires supérieurs !

À Paris, une personne défavorisée habitant un quartier peu pollué a ainsi un risque trois fois plus élevé de décéder à l’occasion des petits pics de pollution atmosphérique qu’une personne aisée. Si elle est défavorisée et qu’elle habite de surcroît dans une zone de forte pollution atmosphérique (du côté du Boulevard périphérique par exemple), son risque est alors cinq fois plus élevé…Le différentiel de vulnérabilité permet donc de montrer que les inégalités de santé s’additionnent aux inégalités environnementales sans pour autant se superposer strictement à elles puisque, à pollution atmosphérique égale, les plus précaires sont ceux qui en paient le plus lourd tribut.

Selon le Pr Denis Zmirou-Navier, plusieurs facteurs expliquent cette observation et notamment le fait que les moins favorisés ont généralement un habitat moins protégé de la chaleur (isolation thermique, climatisation), un état de santé plus précaire en lien avec des pratiques et de modes de vie défavorables (tabac, alcool, sédentarité/obésité), un accès moindre ou plus tardif aux soins…Mais ce serait surtout le concept d’« exposome » qui permettrait de comprendre ce différentiel: définissant le cumul des expositions au cours d’une vie dans les différents micro-environnements rencontrés (travail, domicile, transports, espaces verts ou non…), l’exposome est en quelque sorte la dette de santé qu’engrangent au fil du temps les plus précarisés.

À partir de ce constat, Denis Zmirou-Navier a rappelé que trois philosophies distinctes d’action publique sont envisageables : l’universalisme généralisé, le ciblage des populations prioritaires, ou l’universalisme proportionnel qui consiste à agir pour tout le monde mais d’abord là où la vulnérabilité est la plus importante. Autant d’options qui décideront par exemple des nouvelles implantations d’espaces verts. « Les urbanistes auront à l’avenir un impact majeur sur la santé. C’est pourquoi il est important de les sensibiliser à ces questions », a souligné le chercheur.

Inodores, incolores, insipides

« Inodores, incolores, insipides »: les perturbateurs endocriniens sont des polluants bien plus impalpables encore comme l’a rappelé lors de cette journée le Pr Jean-Pierre Bourguignon, pédiatre endocrinologue (CHU de Liège et Unité de Neuroendocrinologie développementale – GIGA Neurosciences, ULg). Utilisées dans l’industrie du plastique, des pesticides, des agents pharmaceutiques et cosmétiques, de l’industrie des solvants et des lubrifiants, ces substances chimiques sont capables de perturber notre système hormonal en interférant avec la synthèse, l’action et/ou la dégradation des hormones qui régulent les fonctions de notre organisme.

Elles sont principalement soupçonnées d’avoir des effets sur le système reproducteur (endométriose, fibromes utérins, cancer du sein chez la femme ; anomalies du tractus urogénital, diminution de la qualité du sperme et infertilité, cancer des testicules chez l’homme), mais aussi, depuis quelques années, sur le développement du cerveau (TDAH, autisme, baisse du QI) et sur l’obésité et le diabète.Certes, les niveaux de probabilité causale varient pour ces différents troubles et s’inscrivent ici encore dans un schéma multifactoriel (gènes, mode de vie etc.). Mais les soupçons sont loin d’être pour autant infondés. Ils reposent d’abord sur la croissance parallèle entre l’incidence de maladies pouvant impliquer le système hormonal et la production de substances chimiques de synthèse dans l’industrie. Deuxièmement, sur l’observation d’effets de perturbation hormonale dans la faune exposée à des perturbateurs endocriniens. Enfin, sur des études de laboratoire qui ont montré les effets de certaines substances chimiques sur l’apparition de maladies.

Pour autant, les connaissances des scientifiques restent largement insuffisantes. « Seules 1300 substances ont été étudiées, c’est-à-dire 1% de tous les perturbateurs endocriniens », a rappelé le Pr Jean-Pierre Bourguignon. Ces substances sont d’autant plus difficiles à étudier que leur nocivité ne semble pas correspondre aux critères utilisés habituellement.« Pour les toxicologues, ‘ la dose fait le poison ‘. Mais ce n’est pas vrai pour les endocrinologues ! », a rappelé le Pr Bourguignon.

Dans le cas des perturbateurs endocriniens, les doses les plus faibles pourraient même être celles qui créent les effets les plus importants ou, à tout le moins, des effets contraires aux doses les plus fortes, ce que l’on désigne sous le vocable d’effets ‘non monotones’. Exemple ? Des expériences en laboratoire ont montré que si une dose forte de bisphénol A avançait la puberté, une dose très faible pouvait la retarder. C’est pourquoi les scientifiques qui travaillent sur le sujet plaident aujourd’hui pour une stratégie basée sur le danger, alors que l’industrie plaide pour une stratégie basée sur l’estimation du risque – laquelle tient notamment compte de la relation dose/réponse, en l’occurrence peu fiable.

Autre problème majeur dans l’évaluation des perturbateurs endocriniens : l’« effet cocktail », c’est-à-dire les interactions qui peuvent avoir lieu entre les dizaines voire les centaines de substances auxquelles nous sommes exposés et qui ne correspond pas au simple risque cumulé des différentes substances prises isolément…L’enjeu d’une évaluation indépendante semble d’autant plus crucial que les effets des perturbateurs endocriniens pourraient s’égrainer sur plusieurs générations, comme cela a été montré pour le Distilbène, prescrit aux femmes enceintes dans les années 40 à 50 et dont les effets sont encore sensibles sur les petits-enfants de ces femmes. « Ces effets épigénétiques peuvent être comparés à une photocopieuse qui livrerait des copies de plus en plus pâles du code ADN. Le code est bien là mais il n’est plus bien traduit. », a comparé le Pr Bourguignon, rappelant que la réalité selon laquelle « l’acquis module l’inné » est parfaitement illustrée par les perturbateurs endocriniens auxquels le fœtus serait particulièrement sensible.

Ce caractère de transmissibilité renforce malheureusement l’hypothèse d’un futur « scandale sanitaire » dont se rendent aujourd’hui coupables les autorités européennes qui rechignent à légiférer de manière claire sur les perturbateurs endocriniens, en raison des immenses enjeux commerciaux sous-jacents mais aussi parfois d’une forme de « bonne foi » qui suppose, comme l’a rappelé le Pr Bourguignon, que « la technologie ne peut pas être mauvaise ». Hélas, elle le peut – et pas au même prix pour tous.

Réduire les inégalités : « Ca suffit de se demander pourquoi, on veut savoir comment ! ».

Le 30 Déc 20

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Interpellés par le problème des inégalités et ses conséquences sociales et de santé, les acteurs de terrain veulent agir. Pour s’attaquer aux inégalités, Richard Wilkinson préconise des politiques focalisées sur la réduction des écarts de revenus, c’est-à-dire des salaires plus égaux et une redistribution plus efficace. Face à cette solution structurelle, les professionnels se sentent souvent démunis ou peuvent avoir le sentiment de sortir de leur champ d’action. A défaut de mener une révolution, il leur est possible de créer dans le système inégalitaire des niches d’égalité.

Réduire les inégalités : « Ca suffit de se demander pourquoi, on veut savoir comment ! ».

A l’invitation du Réseau pour l’égalitéNote bas de page, une centaine de professionnels de diverses organisations du non-marchand et quelques citoyens se sont réunis à Namur et ont consacré leur vendredi 10 février 2017 à cette question essentielle : « L’égalité… Comment ? » C’est en retraçant la brève histoire du Réseau pour l’égalité qu’Isabelle Dossogne, chargée de projets au CLPS de Namur et Jonathan Sanglier, responsable de la Cellule Observation de la santé, du social et du logement de la Province de Namur ont ouvert la rencontre.

Né en 2013 dans la foulée de la conférence « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous ? » de l’épidémiologiste anglais Richard Wilkinson, le réseau regroupe dès son origine le CLPS de Namur, la Fédération des maisons médicales et le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Les travaux de Richard Wilkinson les inspirent : ce spécialiste des déterminants sociaux de la santé a notamment démontré que les problèmes sociaux et de santé sont plus importants dans les pays présentant les revenus les plus inégalitaires. Autrement dit, ce qui rend les gens malades, ce n’est pas la misère mais les écarts de revenus.

Il a aussi développé le concept de gradient social : plus un individu occupe une position socio-économique défavorable, plus il est en mauvaise santé. Pour expliquer le lien entre inégalités et problèmes de santé, Wilkinson évoque notamment le stress chronique issu des relations sociales qui attaque le système immunitaire et le sentiment de mépris qui génère de la violence au sein de la société. Quand l’égalité augmente, ceux qui en ont le plus besoin en bénéficient bien sûr, mais c’est la santé de tous qui s’améliore. En ce sens, l’égalité est « une espèce de bien commun qui profite à tous »Note bas de page.

Le premier jour de chaque saison

Quatre ans après cette conférence qui a marqué les esprits, les acteurs du Réseau pour l’égalité, entre temps rejoints par de nombreux autres professionnels du non-marchand, continuent à se réunir le premier jour de chaque nouvelle saison avec la volonté commune de construire l’égalité. Ils le font en partageant leurs savoirs et expériences, en réfléchissant à la notion d’égalité (précise dans la sphère mathématiques, mais tellement plus nuancée en sciences humaines!), en analysant des enjeux tels que l’effet de la structure hiérarchique sur le bien-être des employés ou l’éducation comme levier pour une société plus égalitaire…

Dans la salle du Centre culturel des Abattoirs de Bomel, comme dans le monde de la promotion de la santé, tout le monde (ou presque) connaît le lien entre inégalités et santé. Christian Legrève, responsable du service éducation permanente à la Fédération des maisons médicales et animateur de l’événement, l’annonce avec détermination :« Ca suffit de se demander pourquoi, on veut savoir comment ! ». Comment atteindre l’égalité ? Pour tenter de répondre à cette épineuse question, les membres du Réseau pour l’égalité ont prévu un éclairage économique, un point de vue philosophique, des propositions issues des sphères de l’éducation et de l’économie sociale et des ateliers participatifs.

La redistribution réduit les inégalités de moitié

Le premier orateur, Pierre Reman, directeur de la Faculté ouverte de politique économique et sociale de l’UCL (FOPES) dresse pour les participants l’inventaire des théories économiques abordant les inégalités. Celles-ci sont récentes, car le problème n’intéresse les économistes que depuis quelques années. Pierre Reman pointe trois constats actuels :

  1. Les inégalités de revenus augmentent :
    On assiste à une explosion des hauts revenus tandis que les revenus moyens se tassent, ce qui crée des inégalités à l’intérieur-même de la classe moyenne. Toutes les données ne concordent cependant pas. Certaines semblent indiquer des diminutions d’écarts entre groupes socio-économiques : quand on compare les 20 % les plus riches (la classe moyenne supérieure) aux 20 % les plus pauvres, on observe en effet une réduction des inégalités. Les participants à la journée ne manquent évidemment pas de réagir à ce constat qui ne correspond pas aux observations qu’ils font tous les jours. Reconnaissant qu’une analyse approfondie serait nécessaire pour expliquer le phénomène, Pierre Reman avance l’hypothèse suivante : les inégalités se jouent aujourd’hui de façon insidieuse au sein des groupes sociaux plutôt qu’entre ceux-ci.
  2. Le système fiscal joue bien son rôle redistributif :
    La redistribution joue un rôle essentiel en diminuant les inégalités de moitié. Les données chiffrées montrent que la redistribution reste importante en Belgique. La part du produit intérieur brut consacrée à la sécurité sociale n’a pas diminué malgré la crise de 2008, ce qui fait dire à Pierre Reman que « la crise de l’État Providence n’est pas une crise de moyens ».
  3. La situation des jeunes se détériore : On assiste à un glissement de la pauvreté vers les jeunes.

« L’ascenseur social a des ratés », affirme Pierre Reman en citant le sociologue français Louis Chauvel. Le patrimoine économique prime sur le patrimoine culturel : sans capital économique, les jeunes générations vivent moins bien que leurs parents, même avec un diplôme. L’école peine à compenser les inégalités. Les parents d’aujourd’hui n’ont plus la conviction que leurs enfants vivront dans une société meilleure que la leur, comme cela a été le cas pendant longtemps.

Apportant sa contribution à l’édifice commun du jour, Pierre Reman formule quelques recommandations : maintenir et renforcer le financement de la protection sociale, alors qu’il est aujourd’hui remis en question au profit de mécanismes de responsabilisation ; contrer la privatisation larvée ; éviter le piège de l’assistance ; oser la sélectivité (l’universalité avec un dosage de protection sociale complémentaire) et penser le social comme investissement.

Populisme et crise des solidarités

Après l’économiste, le philosophe Edouard Delruelle partage ses constats à partir de sa note « Onze thèses pour sortir du mur. Populisme, démocratie, citoyenneté Note bas de page» rédigée quelques jours après l’élection de Donald Trump. « En effet, affirme ce professeur de philosophie politique de l’Université de Liège, on ne risque pas d’aller dans le mur. On y est ! ». Edouard Delruelle évoque non une crise mais un dérèglement généralisé sur les plans économique, social, climatique, politique et géopolitique, ainsi qu’une mise à l’épreuve de la démocratie.

Parmi ses onze thèses, la cinquième concerne le lien entre inégalités et populismes. Pour lui, « si le « Nous » politique et social est défaillant, des « Nous » imaginaires viennent le suppléer ». En d’autres termes, plus il y a d’écarts et d’inégalités entre les classes et les groupes, moins il y a de cohésion sociale, plus l’individu a besoin de se référer à des identités collectives de type communautaire, nationaliste, ethnique ou religieux. Edouard Delruelle considère – et c’est sa huitième thèse – que « le nœud du problème se situe dans la crise des solidarités qui affecte très profondément nos sociétés. ».

Citant François Dubet, il affirme que « Ce n’est pas la crise économique qui creuse les inégalités et détruit la solidarité ; c’est au contraire l’affaiblissement de la solidarité qui aggrave les inégalités. ». Malgré ces sombres réflexions, Edouard Delruelle persiste à voir du positif : dans cette période de brouillard qui marque la fin du monde néolibéral, les populismes et les rejets sont des formes de mobilisation, des explosions sociales qui vont obliger le pouvoir à se ressaisir.

Des niches d’égalité dans un système inégalitaire

La sociologue Danielle Mouraux a ensuite pris la parole, partageant le micro avec Xavier Roberti. Spécialiste du monde éducatif et des relations entre les familles et l’école, Danielle Moureaux regrette que l’école soit « un accélérateur de particules d’inégalités sociales ». Elle explique : réussir à l’école est un défi permanent pour l’enfant qui doit apprendre à passer du registre de pensée et d’action familial au registre scolaire et institutionnel.

Le premier est communautaire, individuel, particulier et repose sur les convictions et croyances. Le second est cognitif et rationnel, collectif, universel et inclut l’évaluation. Cette difficulté crée des malentendus sociocognitifs : les enfants, et même souvent les enseignants, ne savent pas que c’est cela qui est attendu. Et entre les enfants issus de familles qui sont à l’aise avec le fonctionnement scolaire et ceux de familles qui en sont plus éloignées, cela engendre des inégalités dans le rapport au savoir. Pour plus d’égalité, une des clés serait d’expliciter davantage aux élèves les objectifs d’apprentissage qui se cachent derrière les activités scolaires.

Pour la sociologue, il est essentiel que les enseignants prennent mieux conscience du rôle de l’école : elle a une mission d’émancipation des plus faibles, elle doit en faire des personnes épanouies, des travailleurs actifs, des citoyens responsables. Cela nécessiterait selon Danielle Moureaux de rendre le métier plus réflexif et plus collectif.

Quant à Xavier Roberti, il a développé son expertise dans le domaine des entreprises d’économie sociale. Il travaille pour l’Union des SCOP (société coopérative et participative) et l’asbl Terre. Pour lui, une de ces « niches d’égalité » est l’entreprenariat féminin dans l’économie sociale. « Les études montrent que les femmes qui dirigent les entreprises font preuve d’une gestion plus éthique, qu’elles sont plus résilientes, plus tenaces et plus axées sur la prospérité, qu’elles ont plus de capacités d’innovation, que leur management est davantage axé sur la participation et qu’elles prônent l’égalité. » avance Xavier Roberti. Une belle piste de solution !

Outre-Atlantique, les mêmes enjeux

De l’autre côté de l’Océan, les mêmes questions interpellent. Au Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé du Canada, la chercheuse Val Morrisson a animé ce 7 mars 2017 un webinaire sur les approches politiques de réduction des inégalités de santé. Soixante-deux participants ont suivi la conférence interactive en ligneNote bas de page. Pour Val Morrisson, il est d’abord essentiel de saisir la différence entre les déterminants sociaux de la santé et les déterminants sociaux des inégalités sociales de santé. Elle insiste sur ce point, car les actions portant sur les déterminants sociaux de la santéNote bas de pagene résolvent pas le problème des inégalités sociales de santé.

Pour atteindre cet objectif, il faut agir sur les déterminants sociaux des inégalités sociales de santé, qu’elle définit comme les « structures et processus sociaux sous-jacents qui assignent systématiquement les gens à des positions sociales différentes et qui répartissent inégalement les déterminants sociaux de la santé dans la société »Note bas de page. Val Morrisson identifie huit approches utilisées pour atteindre les inégalités sociales de santé, du macro au micro : l’économie politique ; l’intersectionnalité ; les politiques macrosociales ; l’approche axée sur le parcours de vie ; l’approche axée sur les milieux ; les approches qui visent les conditions de vie ; les approches qui ciblent les communautés et les approches qui ciblent les personnesNote bas de page.

« Les actions sur les inégalités sociales de santé découlent des conceptions de leur fondement. Chaque approche est apparue dans une discipline. Elle conçoit et explique les inégalités de santé d’une manière propre. », explique la chercheuse. Par exemple, les approches qui ciblent les personnes s’intéressent aux actions et choix individuels. Les interventions qui en résultent vont donc consister à encourager les personnes, en particulier les plus vulnérables, à faire des « choix santé » et à modifier leurs comportements. Autre exemple : si l’on considère que les inégalités résultent de moments de vulnérabilité, on adopte l’approche axée sur les parcours de vie. Dans ce cas, les interventions vont cibler les circonstances sociales et offrir un soutien pendant les transitions et les crises au long de la vie. Ou encore, si l’on adopte une vision plus large, on verra les inégalités comme des conséquences des macro-politiques déterminant la répartition de la richesse.

Pour agir, l’accent sera mis sur les politiques structurelles fiscales, régissant le marché du travail ou règlementant les marchés. Aux yeux de la conférencière comme pour les participants connectés, les approches les plus macro ont le plus grand potentiel de diminuer les inégalités sociales de santé. Néanmoins, Val Morrisson observe souvent une « dérive vers les habitudes de vie ». C’est ainsi qu’elle appelle cette « tendance à admettre le besoin d’agir sur les déterminants plus structurels des inégalités de santé tout en développant plutôt des interventions qui ciblent les déterminants de la santé liés aux comportements »Note bas de page. Elle parle de dérive… D’autres invoqueront le pragmatisme et la nécessité d’efficacité et d’efficience.

Sortir du bocal

Retour à Namur, le 10 février. A l’issue de la journée – comme probablement à la fin de la lecture de cet article – on reste un peu sur sa faim. Le concept d‘inégalité a été exposé et analysé, quelques pistes de solution à mettre en œuvre dans des domaines précis ont été partagées, mais on se demande encore quelle stratégie concrète, efficace et accessible contrera le problème. Il faut reconnaître que l’objectif du jour était ambitieux. Le Réseau pour l’égalité a encore du pain sur la planche.

Pour envisager ses perspectives d’avenir, c’est la « technique du bocal » qui est utilisée. Tous les participants installés sur des chaises disposées en cercles concentriques peuvent, à leur guise, venir s’asseoir sur les quelques sièges centraux afin de discuter ensemble. Plusieurs échanges tournent autour de la question de l’inclusion dans le réseau des personnes concernées : « On se fait plaisir avec des concepts, mais comment on les fait venir ? ». Un autre souhait exprimé est celui de dépasser le monde des professionnels (de la santé) et de « faire percoler » la question des inégalités dans la société. La solution la plus profonde reposant sur un changement de système, il est en effet essentiel de sortir du cercle – ou du bocal – des convaincus et de mobiliser le plus grand nombre. Ce qui n’est pas chose aisée car, comme l’identifiait un participant lors d’un des ateliers de l’après-midi : « L’inégalité, on y tient, parce qu’elle nous valorise »… À méditer !


Pour joindre ou rejoindre le Réseau pour l’égalité : ingrid.muller@fmm.be

Wilkinson R. & Pickett K. (2013). Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous. Les petits matins/Institut Veblen/Etopia.

https://edouard-delruelle.be/onze-theses-sortir-mur/

qui faisait partie d’une série de webinaires gratuits en ligne, chacun traitant de différentes priorités en santé publique, présentés par les six Centres de collaboration nationale en santé publique et les Médecins de santé publique du Canada. Les vidéos et documents des webinaires sont accessibles sur https://www.ccnpps.ca/640/Webinaires.ccnpps

Définis par l’Organisation mondiale de la Santé comme « les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent, ainsi que les systèmes de soins qui leur sont offerts. À leur tour, ces circonstances dépendent d’un ensemble de forces plus vastes : l’économie, les politiques sociales et la politique. » (Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS, 2016).

VicHealth, 2015, p.6, traduction libre par Val Morrisson.

Pour des explications de ces huit approches : Mantoura P. & Morrison V. (2016). Les approches politiques de réduction des inégalités de santé. Montréal, Québec: Centre de collaboration nationale sur les politiques et la santé.

Voir son article référencé en note précédente.

Quand la vapote prend de l’ampleur chez les jeunes. Version exhaustive.

Le 30 Déc 20

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Background

À l’époque, le tabac était très présent dans notre société. Sa légitimité était telle que fumer dans les lieux publics ou en présence d’enfants était chose commune, et ce malgré la connaissance des répercussions néfastes pour la santé. Le manque de mesures de protection autour du tabagisme a duré un siècle avant que l’Organisation Mondiale de Santé (OMS) ne mette en place des stratégies de « dénormalisation ». Ces dernières ont permis la remise en cause de l’acceptabilité sociale de la cigarette et l’avènement de la stigmatisation de l’acte de fumer, avec comme conséquence la dégradation de l’image du fumeur. (Vancassel et Calmes, 2014)

La consommation de tabac est associée à une réduction d’espérance de vie et se trouve être un facteur de risque important (6.3%) du fardeau des maladies (Lim, 2012 ; Ericksen et Whitney, 2013). Le tabagisme est donc actuellement considéré par la santé publique comme une pratique à risque. Dès lors, le fait de fumer est devenu peu à peu une pratique déviante, notamment grâce aux campagnes de prévention. (Peretti-Watel et Constance, 2009)

Si cette vision du tabagisme est liée à son histoire, elle est aussi liée à ses acteurs sociaux car une grande majorité des fumeurs appartiennent aux classes sociales plus défavorisées. En effet, le tabac est l’un des principaux responsables des inégalités sociales de santé. Par inégalités sociales de santé, il faut entendre les écarts de santé qui existent entre des individus de classes sociales distinctes, ayant des revenus et des niveaux de diplômes différents. La stratification sociale joue donc également un rôle important dans le retournement de situation que connaît le tabagisme. (Peretti-Watel et al. 2014) Indéniablement, les ressources financières et culturelles de l’individu influencent ses connaissances et sa compréhension des nouvelles pratiques, ainsi que ses capacités d’exploitation de celles-ci. C’est la raison pour laquelle le statut socioéconomique est reconnu comme un facteur incontestable dans l’adoption et la diffusion des comportements de santé.

En bref, c’est la dénormalisation du tabac qui permet l’avènement de la cigarette électronique car elle apparaît pour l’individu comme une solution rationnelle aux dangers du tabac. Dans cet ordre d’idées, l’e‑cigarette constitue une pratique de contagion simple étant donné qu’il suffit qu’une personne de notre entourage adopte cette nouveauté technologique pour que cela encourage un fumeur régulier à se sevrer. (DiMaggio et Garip, 2011)

Effectivement, elle permet aux fumeurs – qui veulent se conformer aux normes – de devenir adepte d’un nouveau dispositif technologique moins risqué et toxique, mais aussi non stigmatisé par la société. De plus, la diffusion de cette pratique pourrait être encore plus facile et rapide en raison de ses arguments d’économie d’argent sur le long terme.

Force est de constater que la cigarette électronique détient une grande acceptabilité parmi les fumeurs désireux de se sevrer tant elle permet la prolongation des habitudes tabagiques. (Caponnetto et al. 2013b) En effet, ce nouvel objet technologique agit sur les aspects sociaux et comportementaux associés au fait de fumer. Si certains considèrent les similitudes entre la cigarette électronique et la cigarette classique comme l’un de ses principaux atouts dans le sevrage tabagique (CSS, 2014), d’autres qualifient le comportement des vapoteurs de paradoxal car « en un certain sens vapoter, c’est encore fumer ».  (Vancassel et Calmes, 2014, p 49.) En conséquence, il faut rester vigilant car l’image positive de la cigarette électronique véhicule la croyance qu’il est aisé de se sevrer seul. (Ebbert et al. 2015)

Aussi, les jeunes sont très demandeurs d’introduire des nouveautés hi-tech dans leur quotidien. Il est d’ailleurs certain que l’innovation technologique qu’incarne l’e-cigarette lui vaut une grande part de son succès. Par ailleurs, si la cigarette électronique est perçue comme étant un dispositif moins nocif que le tabac, elle n’est pas automatiquement perçue par les jeunes ‑ contrairement à la population adulte – comme un outil de sevrage. (Sanders-Jackson et al., 2015 ; Roditis et Halpern-Felsher, 2015 cités par HCSP, 2016)

En effet, les jeunes semblent avoir des compétences plus faibles en matière de prise de décisions et évaluation des risques, et c’est notamment ce qui les amène à croire qu’ils sont moins vulnérables aux dangers. (Song et al., 2009). La perception du risque dépend des principes sociaux, des expériences personnelles et celles de la communauté, ainsi que des messages véhiculés par les leaders d’opinion. Pour un comportement addictif comme le fait de fumer – et donc potentiellement le fait de vapoter – l’influence sociale est un déterminant significatif pendant l’adolescence, et la perception des risques a tendance à diminuer au fur et à mesure que la prévalence de celui-ci augmente parmi ses proches. (Roditis et Halpern-Felscher, 2015).

La probabilité qu’un jeune adopte un comportement donné  comme le vapotage – sera accrue s’il perçoit peu de risques contre de nombreux bénéfices. La diffusion d’un comportement sera d’ailleurs simple lorsque celui-ci est perçu comme peu risqué, et inversement pour un comportement connu comme dangereux pour lequel la diffusion sera plus complexe. Avec les connaissances actuelles sur la toxicité de la cigarette classique, la propagation du tabagisme dépend aujourd’hui d’un mécanisme de contagion complexe, contrairement à la cigarette électronique. (DiMaggio et Garip, 2011) Pourtant, il est vrai que les jeunes témoignent encore d’une forte motivation à fumer.

Objectifs de l’article : question de recherche et hypothèses

L’utilisation de l’e-cigarette est-elle un tremplin vers une consommation de tabac classique ? Voilà une question récurrente à laquelle aucune réponse claire ne peut être apportée actuellement en raison de l’apparition récente de ce dispositif de plus en plus en vogue. Le risque est certes réel mais trop peu d’informations sur le long terme sont disponibles pour le confirmer. Ce manque d’information ne permet toutefois pas d’infirmer cette hypothèse. C’est notamment cette incertitude qui justifie le principe de vigilance à l’égard des cigarettes électroniques.

Les jeunes constituent un sujet fréquemment mis sur la table dans les revues scientifiques car ils se présentent comme un groupe à risque pour l’utilisation de cigarettes électroniques. Cette observation inquiète et pose question. Le présent travail vise à éclaircir la dynamique existante dans l’utilisation occasionnelle ou persistante d’e-cigarettes par des jeunes. En d’autres mots, cet article s’intéresse à l’utilisation de la cigarette électronique et aux perceptions qu’en ont les jeunes, ainsi qu’à la manière dont ils justifient leur comportement.

Hypothèses :

  • La toxicité moindre et donc sa légitimité d’utilisation, la nouveauté technologique qu’elle incarne ainsi que ses nombreux aspects ludiques (objet, goûts, odeurs), et le fait qu’elle mime la gestuelle du tabac sont autant de facteurs qui influencent l’expérimentation de la cigarette électronique et son éventuel maintien chez les jeunes.
  • Les effets de pairs participent à la diffusion du vapotage dans la population. Les adolescents y sont d’autant sensibles en raison de leurs compétences plus faibles en évaluation des risques et prise de décisions.
  • Actuellement, la diffusion de la cigarette classique dépend d’un mécanisme de contagion complexe tandis que la diffusion de cigarette électronique s’opère via un mécanisme de contagion simple.

Méthodologie

Choix de la méthode

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Étant donné que cette étude vise la compréhension ainsi que l’émission d’hypothèses d’interprétation du processus d’expérimentation – voire d’adoption – de la cigarette électronique chez les jeunes, le choix de la méthode s’est axé vers une recherche qualitative. L’objectif  n’est pas la quantification, mais bien la compréhension de ce nouveau phénomène.

Public cible de notre recherche

L’intérêt de cette étude porte sur les jeunes, et plus spécifiquement les jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans car il s’agit de la tranche d’âge la plus curieuse face à ce nouveau dispositif selon l’OMS. Dans la mesure où ce public ne semble pas concevoir la cigarette électronique comme un outil de sevrage, la présente étude s’intéresse aux représentations de ces jeunes ainsi qu’aux raisons de leur attrait.

Échantillonnage

Pour participer à l’étude, les jeunes devaient répondre à deux critères de sélection:

  • L’utilisation de cigarettes électroniques : La distinction entre les jeunes utilisateurs actuels de la cigarette électronique et ceux qui ne l’ont testée qu’épisodiquement est parfois difficile à percevoir dans la littérature. Dans le cadre de cette étude, sélectionner ces deux profils d’utilisateur est pertinent car le récit de leurs expériences permet d’explorer l’attrait pour l’e-cigarette. Aussi, interroger les vapoteur réguliers et occasionnels offre la possibilité d’explorer les facteurs favorisant le maintien ou non du comportement. C’est pourquoi les jeunes pouvaient être sélectionnés même s’ils n’avaient consommé que quelques fois l’e‑cigarette.
  • L’âge : Les jeunes devaient être âgés de quinze à vingt-quatre ans. Comme c’est à l’adolescence (chiffré entre treize et dix-huit dans l’étude SILNE menée en Belgique par l’Université Catholique de Louvain) qu’ont lieu les premiers contacts avec la cigarette, il est apparu intéressant de se focaliser davantage sur une population la plus jeune possible comme les jeunes en années d’études d’humanité et âgés de moins de seize ans. De plus, le milieu scolaire étant le lieu central de socialisation des jeunes (Lorant V. et al. 2015), se focaliser sur un public d’adolescents est pertinent tant ils représentent un âge sensible à l’effet de pairs en quête de nouvelles expériences.

L’échantillon a été contacté via les réseaux sociaux mais également par le biais du « bouche‑à‑oreille ». Précisons que le mode de sélection utilisé présente le risque de rencontrer des personnes avec des réalités communes et ayant des profils comparables.

Analyse des données

Neuf entretiens semi-directifs ont été menés avec des jeunes. Les répondants étaient âgés de 16 à 24 ans et étaient utilisateurs actuels ou avait expérimenté l’e-cigarette dans le passé. Parmi ces derniers, trois des plus jeunes répondants témoignaient de leurs expériences à l’âge de 13ans seulement. L’échantillon comptait trois filles contre six garçons. Chacun des récits des jeunes a été retranscrit dans son intégralité. L’analyse a débuté de façon descriptive avec l’extraction du discours des jeunes. Ce sont les concepts théoriques développés en introduction qui ont permis le cadrage par catégories prédéfinies. Celles-ci sont nécessaires pour la structuration ainsi que l’analyse des propos des jeunes interrogés. La phase interprétative a ensuite permis de donner des significations aux différentes tendances ainsi que d’expliquer les thèmes descriptifs et d’établir des liens entre eux.

Résultats

L’initiation et le maintien

Utilité perçue

Aucun jeune n’affirme l’innocuité de la cigarette électronique mais tous assurent qu’elle est moins nocive que le tabac. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils ont choisi ce nouvel outil pour leur sevrage tabagique.
« C’est de la nicotine sans le goudron donc c’est mieux que la cigarette, et ça te procure la nicotine dont tu as besoin. » « Ça m’étonnerait que tu meures d’un cancer après la cigarette électronique. Après je n’en sais pas plus (…) mais au moins, je n’ai pas de jaunissement des dents. » « Sur le long terme, je ne sais pas… » « Je ne pense pas que ce soit nocif parce que je le ressens. »

Les jeunes sont plus sensibles aux effets observables à court terme qu’aux risques à long terme. Même s’ils avouent ne pas s’être renseignés davantage, le plaisir immédiat prend le dessus sur les éventuels risques futurs. Leurs ressentis contribuent donc à l’image positive qu’ils ont de la cigarette électronique. Le fait de percevoir la cigarette électronique comme moins risquée que le tabac suffit donc à ces jeunes pour justifier leur choix de comportement.

Le phénomène technologique attribué à l’e-cigarette est sans conteste l’une des explications de l’intérêt des jeunes ainsi que de son succès grandissant. Lorsqu’ils envisagent d’arrêter de fumer, ils se tournent spontanément vers ce dispositif de sevrage sans même envisager d’autres solutions qui leur paraissent ridicules. Pourtant, l’un des jeunes interrogés est non-fumeur et explique malgré tout avoir été attiré par la cigarette électronique pour sa ressemblance avec la consommation de tabac et son côté « fun ». On note effectivement que même lorsque la motivation initiale est l’arrêt du tabac, la cigarette électronique peut prendre la place d’un gadget ayant une fonction de loisir.

« Moi j’adore tout ce qui est technologie donc j’ai trouvé ça vraiment terrible. » « C’est comme passer d’un Nokia 3310 à un Iphone. » « T’as envie d’acheter un truc super beau. Tu peux vraiment la personnaliser. »  « On a vu qu’il y en avait des super belles… le design nous intéressant fort aussi. J’en voulais une sophistiquée. » « Je suis certaine que c’est la nouvelle technologie pour arrêter de fumer. » « Si t’as quelque chose de mieux de la cigarette électronique, je peux être preneur mais il faut que ce soit un truc qui soit un peu fun quoi. » « C’est vite devenu une fantaisie plus qu’autre chose… » « À partir d’un moment, c’est devenu un loisir. Quand t’es jeune, ça devient plus un loisir. »

De toute évidence, la matérialisation de l’objet ainsi que sa sophistication technologique et visuelle apparaissent comme très importantes pour les jeunes. Malgré cela, il faut préciser que le niveau d’investissement (temps, financier, apprentissage) dans ce nouvel objet et le type d’utilisation semble varier selon le genre de l’utilisateur ainsi que ses besoins et désirs.

« Je regardais sur un site hier, et j’avais l’impression qu’on achetait une fusée. Pour moi, ça doit être simple d’utilisation sinon je ne vois pas l’intérêt. (…) en tout cas, pour les filles, les simples c’est le mieux. »

La cigarette électronique s’apparente au tabac par la possibilité de simuler certains rites tabagiques auxquels les jeunes fumeurs se sont habitués. Ils souhaitent d’ailleurs retrouver des similitudes entre leur consommation de tabac et leur utilisation de cigarette électronique. Lorsqu’un maximum d’aspects est retrouvé, cela faciliterait le maintien de l’utilisation.

« C’est surtout pour le geste et quand je suis avec des amis qui fument… me dire que moi aussi j’ai quelque chose. » « Sortir fumer avec les autres aux pauses, etc. » « T’es pas là avec ton patch à te caresser le bras. »

Si la cigarette électronique plaît aux jeunes car elle mime les habitudes sociales, les gestuelles et les ressentis tabagiques, certaines de ses différences – comme la variété des goûts et odeurs – en font un dispositif encore plus attirant.
« Il y a plein de goûts » « Il y a plein de choix. » « Je ne sentais plus mauvais. »

Bien que la cigarette classique et la cigarette électronique impliquent des comportements à la fois identiques et différents, c’est l’imitation gestuelle qui justifie la présence des vapoteurs avec les fumeurs à l’extérieur. En réalité, la cigarette électronique leur permet de maintenir les habitudes sociales du tabac, et donc de garder leur place dans un groupe auquel ils n’appartiennent plus réellement.

L’influence sociale

Si les amis constituent le point commun de l’initiation des jeunes interrogés, les jeunes expliquent également observer de plus en plus de vapoteurs dans leur vie courante. Les récits confirment l’influence des leaders d’opinion dans leur choix d’adoption du comportement, mais ils démontrent également que l’augmentation de la visibilité de la technologie et de son accessibilité occasionne un changement de perception et d’utilité perçue.

« On en voit de plus en plus dans la rue.» « C’est devenu un effet de mode d’avoir une belle cigarette électronique. » « Quand j’ai commencé (…) il y avait vraiment un mouvement à l’école. »  « Moi ce n’est pas pour me donner un ’’genre’’ si je fume la cigarette électronique, mais c’est parce qu’on a commencé ça dans le groupe. » « À la base, j’ai surtout commencé pour l’effet de mode. »

La pratique – qui se transmet par effets de réseau – semble effectivement de plus en plus observable dans les groupes de jeunes. Les deux cadets comparent l’e-cigarette à une mode éphémère comme les cartes Panini ou Pokémon, et expliquent leur achat en raison de l’engouement présent dans leur école.

Selon les jeunes, la cigarette électronique dégage une certaine image de soi qui permet d’attirer l’attention de ses pairs. Beaucoup de jeunes utiliseraient donc l’e-cigarette pour le côté « m’as-tu-vu » de l’objet. L’image dégagée par le jeune vapoteur a visiblement une grande influence sur l’initiation à ce comportement.

« Les jeunes qui fument la cigarette électronique, c’est vraiment :’« j’ai envie de montrer que je fais de la fumée !». »  « C’est stylé de fumer la cigarette électronique. » « Quand je me suis acheté ma cigarette électronique, c’était un peu pour faire mon malin je dois dire. »

Notons que lorsque les jeunes n’apprécient pas la cigarette classique, celui-ci peut percevoir la cigarette électronique comme une opportunité. Effectivement, grâce à ses goûts et sa ressemblance avec la cigarette classique, l’e-cigarette offre la possibilité d’adopter un comportement comparable au tabac sans ses inconvénients (santé, odeurs, goûts). Vapoter leur permet donc de s’apparenter au groupe de fumeurs tout en utilisant un dispositif différent.

« Je savais ce que c’était la cigarette tout court mais je n’aimais pas alors que la cigarette électronique, j’aimais vraiment bien ça… c’était un truc de nouveau et ça avait vraiment un bon goût. »

Le support social

Lors de son initiation, il semblerait que le vapoteur débutant doit persévérer car un temps d’adaptation est nécessaire. Les jeunes expliquent les premiers désagréments de la cigarette électronique de différentes façons, et notamment par la nécessité de se familiariser avec ce nouvel outil et ses multiples produits. Le jeune doit donc prendre le temps d’identifier ce qui lui convient le mieux pour sa consommation personnelle, et le groupe – présent durant cette période d’apprentissage – lui apporte le soutien dont il a besoin. Le temps d’apprentissage jugé nécessaire par certains peut parfois constituer une source d’abandon pour d’autres.

« Je me suis forcé au début. » « La première fois, j’ai toussé comme pas possible. » « Quand j’ai commencé, c’était dégueulasse mais je l’ai refait plusieurs fois et ça a été progressif. »

Lorsque les jeunes ont acquis un certain niveau de connaissance de la pratique grâce à leurs utilisations et échanges avec le groupe, la cigarette électronique devient plus agréable et offre de nombreuses perspectives. À ce stade, le jeune met alors en avant ses capacités d’exploitation et en fait profiter les autres.

« Moi ça m’amuse de faire ma petite popote et mélanger les goûts pour avoir vraiment ce que je recherche, mais ça pas mal de gens ne savent pas le faire ! » « Les adultes ils auront une cigarette basique mais ils vont s’en satisfaire. Ils ne vont pas aller chercher un truc méga puissant. »

En plus de l’apprentissage social, l’e‑cigarette semble développer un autre caractère que le tabac qui n’est autre que le partage d’expérience. Effectivement, les relations sociales semblent basées davantage sur les expériences propres à l’utilisation de cigarettes électroniques. Ainsi, les jeunes vapoteurs échangent du matériel, testent les saveurs des autres, se conseillent, et discutent de leurs lieux d’achat ainsi que la satisfaction de ceux-ci. Parce qu’ils partagent un comportement analogue et parce qu’ils échangent sur leurs expériences personnelles, les vapoteurs se distinguent des autres et s’identifient comme faisant partie d’un même groupe.

« On s’échangeait des goûts. » « On teste entre nous. » « C’est vraiment un truc de partage. » « Les gens qui ont une cigarette électronique dans la rue, tu les regardes et tu souris tu vois… c’est une sorte de groupe. » «  « C’est une sorte de groupe, c’est vraiment devenu un petit réseau. »

Le vapoteur : un « entrepreneur de moral » (Becker)

« C’est complètement inutile de faire venir un tabacologue à l’école avec un discours moralisateur… »

Il est intéressant de remarquer que les jeunes – souvent critiques face aux discours des professionnels de la santé à l’égard du tabagisme – tiennent des propos relativement similaires et engagés dans leurs entretiens.

« C’est toujours mieux que la cigarette. » « C’est mieux que le tabac. » « Ce n’est pas un jeu (=cigarette électronique), il ne faut pas prendre ça à la légère. »

Effectivement, les récits des jeunes sont sans équivoque ; la cigarette électronique constitue un outil plus bénéfique pour lutter contre le tabagisme que les autres solutions apportées par les acteurs de la promotion à la santé. C’est à ce titre qu’ils démontrent une volonté de défendre la cigarette électronique auprès des plus sceptiques, et une volonté d’initier les plus curieux. S’ils perçoivent l’e-cigarette comme la solution aux dangers du tabac et qu’ils considèrent cette nouvelle pratique comme totalement légitime, ils la font valoir et s’en font les promoteurs.

« Mon ex en a acheté une, je me suis dit que c’était l’occasion d’essayer d’arrêter de fumer. Mais je ne l’ai pas acheté de mon plein gré. On me l’a vraiment mis sous le nez.» « J’ai des potes qui ont été en acheter une après que j’ai parlé avec eux. » « Celui qui fume, je vais essayer de le convaincre. »

Pour certains des jeunes interrogés, l’existence de goûts et leur grande variété constituent l’atout majeur de la cigarette électronique. Selon eux, cet aspect doit être mis en avant pour rendre ce nouveau dispositif encore plus séduisant pour les jeunes, et ainsi déjouer leur attrait du tabac.

« Je crois qu’ils devraient mettre ça encore plus en avant pour les jeunes et au moins ils passeront directement par là et pas par une cigarette normale nocive qui leur fera du mal aux poumons. » « Les jeunes c’est mieux s’ils pouvaient passer par la cigarette électronique directement. »

Toutefois, si certains n’ignorent pas que la cigarette électronique n’est pas une consommation totalement anodine, cela ne les empêche pas de relativiser le risque pris.

« Un coca-cola, c’est nocif aussi et pourtant t’en trouves partout et ils en font de la pub… » « Sans prise de risques, t’as l’impression d’être un robot en fait. » « Jupiler a été le sponsor des diables rouges.»

Discussion

L’attitude des vapoteurs peut être qualifiée d’ambigüe lorsque d’un côté, ils souhaitent maintenir leur appartenance sociale au groupe de fumeurs ; et de l’autre côté, ils revendiquent la singularité de leur nouvelle pratique ainsi que l’exemplarité de ses adeptes. Selon eux, vapoter à l’intérieur est égal étant donné que la cigarette électronique n’a pas les mêmes implications que le tabac. L’aspect olfactif – qualifiée de non dérangeante par les jeunes – semble d’ailleurs légitimer le vapotage passif tant il n’impacte pas le confort d’autrui. Aucun des jeunes n’associe la vapeur dégagée par la cigarette électronique au tabagisme passif, et les vapoteurs passifs eux-mêmes semblent être plus tolérants.

Aussi, en tant qu’ « entrepreneurs de moral » (Becker), c’est-à-dire en tant qu’individu qui valorisent et cherchent à prôner l’utilisation de la cigarette électronique, le discours des jeunes vapoteurs est parfois équivoque. En effet, ils défendent l’innocuité de la cigarette électronique d’une part, et considèrent qu’il faut promouvoir ses atouts. Selon eux, c’est le côté ludique de ce nouvel outil technologique qui doit être mis en avant afin de séduire toujours plus de jeunes et éviter leur initiation au tabac.

Alors que d’autre part, ils valorisent une exploitation précautionneuse de l’e-cigarette, et estiment qu’elle ne peut être considérée comme un jeu. Notons que même lorsque la motivation initiale est l’arrêt du tabac chez les jeunes, la cigarette électronique semble plus facilement prendre la place d’un gadget ayant une fonction de loisir par ses diverses sophistications et personnalisations.

Les résultats sont catégoriques quant à la compréhension et intégration des discours préventifs sur le tabagisme par les jeunes. Effectivement, l’e-cigarette leur donne un sentiment de sécurité étant donné qu’ils l’envisagent comme un outil moins nocif ; ce qui suffit à la légitimer. Dans leurs entretiens et via leurs récits, les jeunes illustrent parfaitement l’évolution des représentations du tabagisme, et témoignent que ce dernier est de moins en moins accepté.

Une étude qualitative réalisée par Pertti‑Watel et Constance (2009) allait déjà dans ce sens en expliquant que le tabac devenait socialement stigmatisé. Peretti-Watel et al. (2014 ; 2007a) expliquent une partie de la dénormalisation du tabac par la culture du risque et le culte de la santé présents dans les sociétés occidentales. La culture du risque est caractérisée par l’importance d’être entrepreneur de sa propre existence et prendre sa vie en main, tandis que le culte de la santé consiste à faire de la santé un objectif en soi. C’est grâce aux informations de prévention qui distinguent les conduites saines de celles qui ne le sont pas, que l’individu peut rester en bonne santé.

Les personnes qui adoptent les conduites malsaines ou dites « à risque » – comme le tabac – voient se réduire leurs chances de coloniser le futur, les comportements choisis diminuant leur espérance de vie. En s’écartant et/ou ne se conformant pas aux différentes normes, ces individus sont alors considérés et/ou stigmatisés comme déviants.

Dès lors, vapoter apparaît comme un comportement rationnel car celui-ci imite les rites tabagiques tout en se conformant aux normes actuelles. La cigarette électronique offre la possibilité aux jeunes de coloniser leur futur lorsque le tabac ne le permet plus. En quelque sorte, c’est la dénormalisation de la consommation de tabac avec l’intégration des messages préventifs qui amène à la normalisation de la cigarette électronique.

Une observation inquiétante est le rachat des productions d’e-cigarettes par l’industrie du tabac. Par ce biais, l’industrie du tabac tente de donner une image fun et positive à ce nouveau type de consommation moins nocif pour la santé. Paradoxalement, une telle démarche est en contradiction avec la lutte contre le tabagisme tant elle pourrait entraîner la renormalisation du tabac par imitations gestuelles et sensorielles de la cigarette classique. (CSS, 2015 ; FCTC, 2014).

Aussi, l’OMS s’inquiète de la porte d’entrée vers le tabac que représenteraient les cigarettes électroniques. (FCTC, 2014) La crainte formulée – qui se base sur le modèle théorique « gateway » ou effet de « porte d’entrée » de Kandel (1975) – est que les non-fumeurs, en particulier les plus jeunes, commencent à consommer de la nicotine de façon plus importante que si ces dispositifs n’existaient pas, et qu’ils passent ensuite vers une consommation de tabac.

Comment la cigarette électronique est-elle parvenue à s’introduite si aisément dans le quotidien des jeunes ? Pour ce qu’il en est de la diffusion du vapotage, appuyons-nous sur la théorie de DiMaggio et Garip (2012). Ces deux auteurs ont mis en place cinq critères qui mesurent les barrières et difficultés que peut rencontrer un individu en adoptant un comportement : la complication (complexity), l’observabilité (observability), le risque (risk and uncertainty), la légitimité (legitimacy) et enfin, l’autonomie (sustainbility). Certains de ces critères sont applicables à la pratique de la cigarette électronique et permettent d’éclaircir les mécanismes de sa contagion parmi les jeunes.

Tous les jeunes interrogés ont commencé par l’intermédiaire d’un proche et témoignent de l’engouement existant pour la cigarette électronique dans leur groupe de pairs. Ainsi, ils font référence à une augmentation de l’observabilité de cette pratique. Pour les plus jeunes vapoteurs, l’école constitue d’une part le lieu où ils ont pris connaissance du dispositif, et d’autre part le lieu où ils ont été témoins de son augmentation parmi leurs pairs. Lorsque l’on sait que l’utilité qu’un individu perçoit d’un comportement augmente si sa présence est élevée dans le groupe, le milieu scolaire apparaît comme un endroit clé de visibilité du comportement ainsi que le lieu d’initiation de nombreux jeunes.

Aussi, les jeunes sont attirés par la cigarette électronique tant il s’agit d’un public très demandeur de nouvelles technologies qui leur permettent de se mettre en avant. Malgré que l’utilisation de cigarette électronique doive parfois être cachée aux adultes, l’effet de mode qui y est associé entraîne incontestablement une augmentation de son observabilité dans les réseaux de jeunes.

Au regard des entretiens, l’initiation à la vapote ne semble pas être complexe mais relativement aisé pour un novice alors que le maintien de la pratique semble facilité par le soutien d’un groupe. Parallèlement avec l’étude réalisée par Becker sur les changements d’attitudes des fumeurs de marijuana, devenir vapoteur impliquerait de passer par différents stades encadrés par un groupe. Lorsque le vapoteur est débutant, le groupe (et les vapoteurs « experts » le constituant) ont tendance à le rassurer en minimisant les effets désagréables. C’est pourquoi l’interaction avec les pairs est d’une importance capitale tant elle influence le sentiment de sensations agréables du novice et motive donc sa consommation. Mais jusqu’à quel point la pratique nécessite-t-elle le support des autres ?

Dans cette même étude, Becker insiste sur l’importance du groupe dans le maintien du comportement. En effet, le groupe dans lequel le jeune vapoteur s’intègre lui offre un univers où son comportement n’est pas une déviance mais constitue la norme. Dans les entretiens, on remarque que les jeunes ont effectivement tendance à s’identifier comme appartenant à un groupe au sens large du terme. Le sentiment d’appartenance est occasionné par le partage du comportement en marge de la société. Ce réseau les aide à interpréter et faire face aux jugements sociaux qui pèsent sur leur usage et les stigmatisent. La vapote constitue donc un comportement nécessitant le support des autres, mais celui-ci ne peut durer qu’un temps. En effet, lorsque le jeune a intégré le fonctionnement de cette nouvelle technologie et qu’il est en confiance, celui-ci est autonome dans sa nouvelle pratique.

Les jeunes perçoivent l’e-cigarette comme non nocive, ou moins nocive que le tabac, ce qui suffit à justifier leur choix de comportement. Certains d’entre eux se sont même tournés vers ce dispositif pour en finir avec les risques liés à leur consommation de tabac. Notons que cette absence de risque perçue n’est pas toujours combinée avec une recherche approfondie sur le sujet, et ne représente donc pas toujours le risque réel. C’est l’augmentation de l’observabilité du comportement dans leurs groupes de pairs et les effets de réseaux d’une part, ainsi que les effets du marketing et messages des leaders d’opinions d’autre part qui influencent leurs perceptions des risques et croyances sur l’e-cigarette.

C’est grâce à l’évolution des normes et à l’intégration des messages préventifs à l’égard du tabac que la cigarette électronique se présente comme une solution idéale. Vapoter apparaît comme un comportement légitime car celui-ci imite les rites tabagiques tout en se conformant aux normes actuelles. En quelque sorte, l’e-cigarette est légitimée par les jeunes tant elle leur apporte un équilibre entre croyances et comportements.

La cigarette électronique n’est pas un exemple de contagion complexe car elle ne concorde pas avec les cinq critères développés. En revanche, comme présupposé, ce nouveau dispositif semble se diffuser via un mécanisme de contagion simple car il suffit qu’une personne dans son réseau l’adopte pour être susceptible de l’adopter à son tour. Une fois l’e-cigarette adoptée, les jeunes développent un sentiment d’appartenance à un réseau de vapoteurs.

D’une part, ce « petit réseau » apporte un support social aux jeunes car il les aide à se prémunir des critiques à l’égard de la cigarette électronique – qui ne constitue pas encore une norme acceptée par toute la société – et à justifier son utilisation préférable à celle de la cigarette. De toute évidence, ce sentiment d’appartenance facilite la justification du choix de leur comportement et apparaît essentiel au maintien de celui-ci.

D’autre part, le besoin et le sentiment d’appartenance à ce réseau entraînent une sorte de contrôle social avec la création d’une hiérarchisation par les vapoteurs eux-mêmes. L’intégration des messages de prévention à l’égard du tabagisme les a persuadés de la légitimité de l’e-cigarette et de la nécessité de défendre cette pratique. Seulement, s’il existe déjà une stigmatisation des vapoteurs envers les fumeurs qui ne se conforment pas aux normes actuelles, les jeunes établissent également des distinctions entre les utilisations d’e-cigarette et légitimités de celle-ci. Ainsi, en tant qu’entrepreneurs de moral, ils se sentent investis d’une mission de défendre la cigarette électronique comme un outil de sevrage, et non comme un comme outil strictement ludique. Comme déjà expliqué, cela semble paradoxal lorsque l’on sait que les jeunes interrogés ont initialement été attirés par la nouveauté technologique de la cigarette électronique et ses variétés d’exploitation, et qu’ils affirment que leur utilisation est plus élaborée que celle des adultes.

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Pour conclure, il est incontestable que l’e-cigarette a le vent en poupe et attire la curiosité des plus jeunes. Lorsque l’on sait que les innovations technologiques se répandent plus facilement dans les groupes favorisés que dans les groupes défavorisés, la cigarette électronique ‑ en partant du postulat qu’elle améliore la santé – pourrait constituer un nouvel outil susceptible de ne profiter qu’aux plus aisés. Sachant que la vapote se diffuse rapidement au moyen des effets de pairs, l’hypothèse qu’elle maintienne la stratification sociale voire augmente les inégalités de santé devrait être envisagée plus sérieusement (DiMaggio et Garip, 2011).

Si l’adoption de la cigarette électronique semble constituer une solution évidente aux dangers du tabac, la présente étude qualitative démontre que le comportement associé au fait de vapoter est une matière aussi vaste que complexe qui suscite avis variés et propos ambivalents de la part des jeunes utilisateurs eux-mêmes. Paradoxalement, ce sont les normes sociétales actuelles et les discours sanitaires défendus par les autorités qui contribuent à l’essor du vapotage ; ce même comportement qui par son succès ascensionnel et fulminant – notamment auprès des jeunes – en vient à inquiéter la santé publique et s’insérer dans l’agenda politique.

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Trop de fumée sur nos écrans Le tabac est toujours présent dans 20 % des films en Belgique

Le 30 Déc 20

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La Fondation contre le cancer tire la sonnette d’alarme. À la suite de sa demande, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a réalisé une étude sur la représentation du tabac dans les films diffusés en FWB.

Trop de fumée sur nos écrans Le tabac est toujours présent dans 20 % des films en Belgique

Le tabac a disparu de nos espaces publicitaires, mais la cigarette occupe toujours une place importante au sein de la société. L’enquête du CSA montre que sur les 148 fictions analysées, 32 comportent au moins un produit de tabac ou un comportement tabagique, soit 22 %. Au total, 105 scènes de tabagisme, 130 produits du tabac, dont 2/3 représentent la cigarette, 101 personnages vus en train de consommer un produit lié au tabac, pour un total de 39 minutes de visibilité des produits du tabac. Entretien avec le Docteur Didier Vander Steichel, tabacologue et directeur général de la Fondation contre le cancer.

Cette étude, pour quelles raisons ?

« Pour deux raisons. Premièrement, l’OMS soupçonnait la présence de plus en plus fréquente du tabac sur les écrans, sans pour autant y apporter des éléments scientifiques afin de démontrer une potentielle stratégie de placement de produits de l’industrie du tabac. Cela correspondait également à un sentiment que nous avions nous même à la Fondation contre le cancer. Afin de vérifier cette impression, nous avons soumis la question à un acteur neutre et spécialisé », explique le tabacologue.

En effet, le CSA a répondu présent à l’appel de la Fondation en acceptant de réaliser l’étude, financée par cette dernière. Deuxièmement, « cette première étude permettra de réaliser un état des lieux afin constater la situation aujourd’hui, tout en donnant une référence pour des mesures ultérieures. » Il s’agit donc d’une première étude sur le sujet en Belgique.

Quelle méthodologie a été adoptée ?

Du 30 janvier au 5 février 2017, le CSA, en tant que spécialiste et expert du domaine de l’audiovisuel, a analysé les fictions diffusées entre 19 h et minuit sur les chaînes francophones dont, La Une, La Deux, La Trois, RTL-TVI, Club RTL, Plug RTL, France 2 et TF1. « Il s’agit de quantifier, d’une part la présence du tabac sur les écrans et d’autre part, d’analyser dans quels contextes et auprès de quels personnages, le tabac intervient. Le but est d’essayer de décrypter les messages qui seraient véhiculés. Le CSA montre le contexte lié à la présence du tabac, le choix des personnages qui fument, les scènes dans lesquelles le tabac est mis en avant. »

Le stéréotype du fumeur

Les fumeurs sont généralement les personnages principaux, c’est-à-dire, des hommes blancs de 19 à 34 ans. Il s’agit de la catégorie la plus représentée à l’écran. Dans les films analysés, les individus liés à une scène tabagique sont des hommes dans 80 % des cas. Cette représentation est totalement démesurée par rapport à la réalité. « Le plus souvent, les scènes liées au tabac montrent une atmosphère pesante. Néanmoins, le tabac est largement associé à un trait de caractère positif, en véhiculant des messages de représentations sociales positives, de moyens de réduction du stress… Il s’agit d’une image faussement positive du tabac. » Selon l’étude, dans 67 % des cas, les personnages présentant un comportement tabagique sont associés à un trait de caractère perçu comme positif.

Le tabac dans les fictions, une publicité cachée ?

« Tout le combat de ces 15 dernières années a été de limiter la place et la visibilité du tabac dans notre société, avec l’interdiction de la publicité et l’interdiction de fumer sur le lieu de travail, dans les restaurants, les cafés, etc. L’industrie du tabac sait très bien que l’on s’attaque à quelque chose d’essentiel pour elle, c’est-à-dire, la visibilité et l’acceptation sociale du tabac. Un moyen de contrer cette évolution, c’est par le biais des fictions en montrant le tabac comme faisant partie de la vie en société. Ce contre quoi nous voulons tout à fait lutter. »

Entre liberté artistique et promotion

Le tabac est une réalité historique et peut être un support de création artistique. « Pour moi, il n’est pas choquant que dans un film qui se passe en 1940 par exemple, à une époque où on fumait beaucoup, il y ait une présence du tabac. C’est une réalité historique. On ne va pas nier l’existence du tabac, c’est malheureusement une existence incontestable mais on peut éviter l’utilisation de l’image du tabac. Nous soupçonnons que la présence du tabac dans un film n’est pas due au hasard. L’industrie du tabac l’utilise pour resocialiser, renormaliser le tabac, et cela, nous n’en voulons à aucun prix. »

Objectifs de l’étude

La finalité de cette étude est de sensibiliser les personnalités politiques et le secteur de l’audiovisuel. En effet, il est possible que tout le monde n’ait pas nécessairement conscience du danger en matière de santé publique et de ce que peut représenter une stratégie de communication de l’industrie du tabac. C’est pourquoi l’étude propose des solutions.

« Les pouvoirs publics peuvent renforcer la législation en matière d’interdiction de placement de produit. Par exemple, en demandant aux réalisateurs de films de s’engager officiellement à ne toucher aucun financement de l’industrie du tabac lorsqu’ils reçoivent des subsides publics. »

Faut-il interdire totalement la présence du tabac dans les films ?

« Non, je dis clairement qu’il faut interdire tout financement direct ou indirect par l’industrie du tabac. Interdire tout placement de produit et sensibiliser les professionnels de l’audiovisuel sur le fait qu’utiliser du tabac dans une fiction peut être interprété consciemment ou inconsciemment comme une incitation à fumer ou comme une renormaliation du tabac dans nos sociétés. Nous luttons contre le tabac et non contre les fumeurs qui sont les premières victimes de leur dépendance au tabac. Donc, nous voulons faire en sorte que le tabac et le fait de fumer aient le moins de place possible au sein de notre société. »

Une signalétique adaptée ?

Les mineurs ne sont pas exclus des stratégies de communication de l’industrie de tabac. C’est pourquoi « il faudrait une adaptation de la signalétique relative à la protection des mineurs. Le film devrait être précédé et suivi par des messages de mise en garde ». En effet, ces méthodes sont bénéfiques pour « les non-fumeurs d’abord, mais aussi pour protéger les fumeurs. Réduire les lieux et les circonstances où il est autorisé de fumer, c’est aussi encourager les fumeurs à arrêter de fumer. Et c’est la meilleure décision qu’ils peuvent prendre. »

Pour plus d’informations sur l’étude, visitez les sites de la Fondation contre le cancer ou de Tabacstop.


[1] https://www.cancer.be/

[2] www.tabacstop.be

85 % des adolescents francophones sont très satisfaits de leur vie !

Le 30 Déc 20

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Les chiffres parlent d’eux-mêmes ! Tous les quatre ans, l’enquête « Comportements, bien-être et santé des élèves » est menée par le SIPES auprès de nos adolescents scolarisés en FWB, versant francophone belge de l’étude internationale HBSC à laquelle participent plus de 40 pays sous le patronage du Bureau Européen de l’OMS. Les résultats de la dernière enquête sont désormais connus.

85 % des adolescents francophones sont très satisfaits de leur vie !

L’adolescence, moment critique qui peut influencer toute une vie, est une période où chacun se cherche et cherche sa place au sein de la société. Cette étape de transition vers l’âge adulte constitue une part importante dans le futur d’un individu, et malheureusement parfois, l’installation de mauvaises habitudes pouvant avoir un impact sur l’apparition de maladies chroniques. Un impact durant cette période est souvent conséquent pour la suite.

Depuis 1986, l’enquête produit des indicateurs utiles qui permettent une constatation de la réalité de terrain et une adaptation des politiques futures en matière de santé et de qualité de vie de nos adolescents scolarisés au sein des écoles francophones. Il s’agit d’une mine d’informations pour les acteurs de la promotion de la santé visant spécifiquement ce public.Cette période est souvent marquée par la volonté des adolescents à devenir de plus en plus indépendants vis-à-vis de leur famille.Ce qui engendre un moment de fragilité face aux changements physiques et psychosociaux.

Objectifs et modalités du test

Du point de vue international, le public est constitué d’enfants âgés de 11, 13 et 15 ans. En FWB, l’enquête s’adresse aux élèves scolarisés à partir de la 5e primaire jusqu’à la 7e secondaire. Le but est de réaliser un recensement des comportements adoptés par des adolescents en lien avec la santé, leur bien-être et leur état de santé.Les résultats permettent une analyse de l’évolution des comportements des jeunes et d’identifier, entre autres, les disparités démographiques, scolaires et sociales. Ils sont destinés aux acteurs de la promotion de la santé, tous domaines confondus, en passant par des personnes travaillant dans le milieu scolaire jusqu’au secteur de la santé.

L’un des objectifs est d’alimenter les connaissances scientifiques sur les enjeux de santé des adolescents afin d’adapter les décisions politiques et améliorer ainsi leur quotidien. L’enquête est réalisée selon une procédure standardisée, basée sur le protocole international HBSCNote bas de page.Il s’agit d’une étude à grande échelle qui se base sur une représentativité des estimations.

Concrètement, les jeunes reçoivent un questionnaire auto-administré qu’ils remplissent en classe sous la simple surveillance d’un membre académique. Il n’y a donc aucune intervention extérieure dans le choix de leurs réponses. Le questionnaire reste anonyme et est placé sous enveloppe scellée une fois terminé.

Procédures

L’enquête est basée sur un échantillonnage de 1 550 élèves par tranche d’âge pour le niveau international et un échantillonnage stratifié à deux degrés : dans un premier temps, on réalise une sélection des établissements. Ensuite, des classes sont sélectionnées pour participer à l’enquête.On désigne les règles de la répartition du tirage au sort en fonction des proportions attendues dans les provinces et dans les réseaux scolaires (FWB, officiel et libre). L’objectif est d’interroger un nombre d’adolescents par province proportionnellement à la taille de la population scolaire de la province.

Le thème des questions est en relation directe avec la notion de santé ou de bien-être, dont l’alimentation, l’activité physique et la sédentarité, le sommeil, la vie relationnelle avec les enseignants, les amis, le bien-être à l’école, la qualité de vie, la confiance en soi… Une partie importante est consacrée à l’analyse de l’état de santé perçu par les enfants eux-mêmes en relation avec leur vie quotidienne.

Pour cibler au mieux les questions de  la recherche, il existe trois types de questionnaires différents, destinés aux élèves en primaire, en secondaire inférieur, et en secondaire supérieur. Avec les données récoltées depuis 1986, il est possible de montrer l’évolution de certains comportements au sein de ce public.

Décryptage des mœurs de nos ados

En Belgique, en 2014, plus de la moitié des élèves en fin de primaire et en secondaire consomment au moins un légume par jour. Ce constat, qui a débuté en 2002, se confirme et se stabilise aujourd’hui. La différence tient au fait que les filles mangent davantage de légumes que les garçons, dont la consommation reste stable tout au long de la scolarité.

Avec cette étude pluridisciplinaire, une corrélation est réalisée entre les jeunes vivants avec leurs deux parents ou dans une famille recomposée. La consommation de légumes est plus importante dans le premier cas. L’analyse socioéconomique et l’orientation scolaire montrent que l’aisance matérielle est en lien direct avec la consommation de légumes, et aussi que la consommation est plus importante chez les adolescents en enseignement général qu’en professionnel.

Pour citer d’autres exemples, on peut noter que parmi les adolescents interrogés, plus de la moitié d’entre eux déclarent prendre le petit-déjeuner (56 %) et 15 % font au moins une heure d’activité sportive au quotidien. Tandis que plus d’un quart (37 %) affirment consommer des boissons sucrées quotidiennement, chiffre en augmentation en comparaison avec les précédentes années. Aussi, un individu sur quatre affirme (23 %) se restaurer dans un fastfood chaque semaine.

D’après les résultats, on peut donc démontrer que les adolescents belges francophones de la FWB consomment de manière significative 20 % de plus de légumes et de boissons sucrées quotidiennement par rapport aux autres adolescents des pays participants.

En FWB, en 2014, plus de 8 enfants sur 10 boivent de l’eau quotidiennement (83 %). Les filles en consomment davantage que les garçons, tous degrés confondus. Également, cette consommation est plus importante dans les milieux socioéconomiques plus élevés.

Nous pouvons citer que 66 % des jeunes font du sport au moins deux fois par semaine. Les garçons sont plus nombreux que les filles dans cette pratique. Le taux de participation à une activité sportive est fortement en corrélation avec le milieu socioéconomique de la famille, il est donc plus facilement observable chez les jeunes ayant une aisance matérielle importante.57 % des jeunes passent au moins deux heures quotidiennement à regarder la télévision les jours d’école. On remarque que cette proportion a augmenté entre 2010 et 2014 dans l’enseignement secondaire.

Et sur internet ? Plus de la moitié des jeunes (52 %) passent au moins deux heures par jour sur la toile. Ce taux a fortement augmenté depuis 2010, il est deux fois plus important chez les jeunes en secondaire qu’en primaire (59 % contre 28 %). On constate également que les enfants issus d’une famille recomposée ou monoparentale passent plus de temps sur la toile que ceux vivant avec leurs deux parents. Suivant la même tendance, 43,8 % des jeunes passent au moins deux heures par jour à jouer à des jeux vidéo (chiffres en augmentation depuis 2002). On peut, entre autres, expliquer cela par la démocratisation de l’accès aux jeux vidéo et à internet.

Ce constat est plus important chez les familles bénéficiant d’une aisance matérielle plus grande que chez les familles moins fortunées.L’analyse du temps de sommeil montre que 60 % des individus expriment dormir moins de neuf heures par nuit pendant la semaine. Ce constat ne fait qu’augmenter durant la scolarité, et est davantage accentué chez des familles avec des parents séparés, mais aussi chez les jeunes fréquentant l’enseignement professionnel.

Les difficultés rencontrées pour dormir, plus d’une fois par semaine, ont été signalées par un jeune sur trois. Néanmoins, ce taux reste stable depuis 2010. Les filles déclarent avoir plus de difficultés que les garçons, et cela, peu importe le niveau scolaire.Par conséquent, la fatigue matinale est en hausse depuis 1994 chez tout le monde.

Sexualité et santé

Près de 7 jeunes sur 10 expriment avoir obtenu des informations sur la transmission du VIH et la presque totalité des jeunes en FWB (90,3 %) semble bien informée des risques encourus en ayant des rapports sexuels sans préservatif avec une personne porteuse du virus du sida. Environ 89 % des adolescents déclarent être « tombés amoureux » au moins une fois et presque un jeune sur deux en secondaire supérieur a déjà eu un rapport sexuel. Aussi, 95 % affirment utiliser un préservatif lors du premier rapport.

L’alcool et le tabac dans tout cela ?

L’adolescence est parfois, voire souvent, la période pendant laquelle le jeune allume sa première cigarette, c’est le cas pour environ 4 % des élèves en primaire et 30 % en secondaire. Dans ces derniers, 7,5 % fument quotidiennement et presque un jeune sur cinq a déjà testé la version électronique. 15,6 % des jeunes en primaire et de 60 % en secondaire ont déjà bu des boissons alcoolisées. De plus, presque 14 % des adolescents en secondaire consomment au moins une fois par semaine de l’alcool et 32,7 % ont déjà expérimenté le cannabis.

Cyberharcèlement et réseaux sociaux

Le cyberharcèlement désigne le fait de recevoir des informations à caractère moqueur. Par exemple, la publication de photos sans l’accord de la personne présentée en situation inappropriée. Le taux en FWB est de 4,4 %, comparable à la moyenne internationale.

Évolutions au cours du temps

Afin de comparer les résultats obtenus avec ceux des années antérieures, les proportions de chaque année sont standardisées pour l’âge, le genre et l’orientation scolaire, tout en prenant comme référence la première année d’enquête disponible.La consommation quotidienne des fruits et des légumes, de 2002 à 2014, augmente de 10 %. Entre 2006 et 2014, environ un adolescent sur trois privilégie les boissons sucrées, un constat en augmentation.

En analysant les chiffres de la consommation d’alcool, on remarque une diminution entre 1994 et 2014 d’environ 10 %. De plus, 24 % des adolescents ont déjà expérimenté l’état d’ivresse plus d’une fois au cours de leur vie. La consommation quotidienne de tabac, quant à elle, diminue et passe de 14,9 % en 1994 à 8,7 % en 2014 pour les jeunes en secondaire. On constate aussi une diminution dans le nombre de victimes de harcèlement scolaire en secondaire et une stabilisation en primaire.

Finalement, on constate une diminution de la proportion de jeunes qui « aiment beaucoup l’école ». Entre 2002 et 2014, on passe de 25,5 % à 20 % pour le primaire et de 9,3 % à 7,8 % pour le secondaire. En conséquence, une augmentation de la proportion de jeunes qui aime « assez » les primaires passe de 20,2 % à 24,4 % et les secondaires de 27,4 % à 39,1 %. On peut expliquer cela par le stress lié au travail scolaire, qui est un phénomène de plus en plus récurrent et qui constitue l’une des problématiques de notre société actuelle. C’est pourquoi, ce type d’étude est primordial afin de mettre en évidence les thématiques à travailler au sein de notre société pour les générations futures.

Pour consulter les résultats complets de l’étude, surfez sur sipes.ulb.ac.be.

Des informations détaillées concernant la méthodologie utilisée se trouvent dans une version abrégée du protocole international, accessible sur demande sur le site HBSC : www.hbsc.org/methods.

Comment les senoirs vivent-ils la relation avec leur médecin ?

Le 30 Déc 20

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La prescription : avant, pendant et après…

On parle souvent de la (poly)médication chez la personne âgée. Toutefois, la question relative à la manière dont les seniors se représentent le moment où l’on prescrit leurs médicaments est plus rarement posée.

Il nous a, dès lors, semblé nécessaire de dialoguer avec les premiers concernés afin de mieux comprendre la relation qu’ils entretiennent avec leurs médecins et avec leurs médicaments. Dans le cadre d’une étude qualitative, des entretiens individuels ont été menés avec cinq seniors âgés de 62 à 77 ansNote bas de page.

Partant de questions prédéfinies et au regard des thèmes émergents lors des rencontres, le contenu de chaque entretien a été réparti en cinq sous-thèmes :

  1. Le vécu de la relation avec le médecin généraliste
  2. La prescription : avant, pendant, après
  3. Le degré de confiance vis-à-vis du médecin
  4. La place de tiers (pharmacien, internet…)
  5. Le médecin idéal

Les seniors interviewés se sont accordés à dire que le médicament n’est pas la seule réponse qu’ils attendent du médecin. Ils ont souvent des idées concernant leur traitement, même si parfois, ils n’osent pas les exprimer. Certains affirment même avoir essayé d’en discuter mais ne pas s’être sentis suffisamment écoutés :

« Je ne veux pas le déranger parce qu’il y a des gens qui attendent… Ça fait partie des conventions de la vie, des contraintes que l’on se crée soi-même… Je ne peux pas dire qu’il regarde l’heure mais je suppose que c’est un rythme qu’il a adopté et qui consiste à faire des RDV de plus ou moins un quart d’heure. » (Éloïse, 76 ans).

Pour eux, le médecin reste la source d’information privilégiée en ce qui concerne les maladies et le traitement médicamenteux sur prescription mais la majorité consomme aussi des médicaments sans ordonnance sur l’avis du pharmacien.
Même s’ils partent du principe que le médecin « sait ce qu’il prescrit », leur attitude est moins résignée en ce qui concerne la prise de médicaments à long terme. En effet, la majorité des seniors ont déjà arrêté des médicaments de leur propre chef ou se sont adressés au généraliste pour en stopper certains qu’ils prennent de manière chronique mais qu’ils ne considèrent plus nécessaires.

À première vue, leur discours pourrait renforcer l’idée qu’ils mettent leur médecin sur un piédestal. Celui-ci correspond surtout à leur représentation sociale de la profession médicale car chacun porte en soi l’image d’un médecin « idéal ». Quand ils développent ces idées au sujet de leur propre médecin, leur discours prend une autre tournure :

« J’ai vraiment envie de changer, vu son âge. Je le trouve vieux… Je me dis que ce n’est peut-être pas prudent de continuer à y aller… Depuis qu’il a vieilli, quand je lui dis que j’ai mal quelque part, il me répond que lui aussi… Un jour je vais lui dire que j’ai mal à l’utérus pour voir ce qu’il répondra !… Le jour où je sentirai que j’ai vraiment un problème de santé, je changerai de généraliste. » (Ange, 72 ans).

La démarche des seniors interviewés ne se limite pas à la demande de renouvellement d’un « abonnement » médicamenteux. Ils prennent aussi l’initiative d’aller voir leur généraliste pour mettre à jour leur DMG, pour se faire vacciner, pour demander une prise de sang… En revanche, ils ont l’impression que le renouvellement d’un « abonnement » médicamenteux provient plutôt de leur médecin :

« Tous les médicaments que je prends sont prescrits par des spécialistes et quand j’en ai besoin parce que je tombe en panne, elle me donne des prescriptions… sept médicaments au total… Mon généraliste trouve bien tous les médicaments que je prends… Elle ne conteste pas… » (Françoise, 67 ans).

En outre, la majorité considère que leur médecin n’a pas, à certains moments, assumé complètement son rôle ou qu’il s’est trompé :

« Il y a un truc qui m’a interpelée. Je lui ai apporté mon dossier médical mais il ne l’a pas regardé. Il m’a envoyée voir le cardiologue… pour un examen de routine… Le spécialiste m’a dit que c’était plus qu’une routine ! Je n’ai pas trouvé ça sérieux… J’ai été un peu refroidie avec cette histoire… Je lui laisse le bénéfice du doute. » (Lucie, 77 ans). De plus, certains seniors témoignent d’un manque ou d’une perte de confiance vis-à-vis des médecins en général :

« Je lui fais confiance dans l’ensemble mais il ne faut pas oublier qu’il est seulement généraliste… Il faut avoir un généraliste et il n’y a pas de médecin parfait… Le médecin généraliste est un mal nécessaire. »
(André, 62 ans).

Les seniors interviewés prônent un mode relationnel (plus) symétrique, de type coopération-partenariat ou autonomie-facilitation, y compris en termes de prescription médicale. Ce type de relation médecin-patient peut se construire seulement si le médecin comprend les besoins mais également les demandes latentes du patient.

Nous avons vu que le temps consacré au patient est un sujet sensible et il est important qu’il ne se sente pas expédié. La disponibilité du médecin n’est pas non plus un point à négliger : elle permet au patient de se sentir reconnu, compris, accompagné. Le patient attend de son médecin qu’il lui montre toute la valeur qui lui est accordée. C’est au médecin d’aider le patient à s’exprimer en toute liberté, à l’impliquer dans la stratégie thérapeutique et à lui donner la place qu’il mérite en tant que partenaire de soins.

Il est vrai que pour certains patients, les actes médicaux sont assimilés à des produits de consommation et le médecin doit subvenir à tous leurs besoins. Le rôle du médecin n’est pas de « faire plaisir » au patient à tout prix mais de le reconnaître dans toute sa complexité, ses ambivalences, ses contradictions… Le patient ne veut pas être perçu comme un organe mais comme ce qu’il est : une entité à part entière.

L’acte de prescrire n’est pas un acte anodin. Chaque prescription renvoie le patient « à ses représentations imaginaires, qui viennent recouvrir les explications rationnelles du médecin… C’est en interrogeant le malade sur ses représentations, en partant de son point de vue, que le médecin peut accéder au sens que le malade donne à une maladie, un symptôme, à une thérapeutique »Note bas de page.
Dans une relation qui devient facilement asymétrique et en termes de prescription médicale, le médecin se doit d’adopter des pratiques qui visent à favoriser l’empowerment de ses patients seniors. Une prise de conscience non seulement des médecins mais aussi des seniors est nécessaire afin de mener à bien cette démarche.

Découvrez l’étude complète : « Comment les seniors vivent-ils la relation avec leur médecin ?

La prescription : avant, pendant et après… » sur :www.espace-seniors.be/Publications/Etudes/Pages/seniors-medecin.aspx

I. Moley-Massol. Relation médecin-malade : Enjeux, pièges et opportunités Situations pratiques. Le Pratique, Da Te Be Éditions
Courbevoie, 2007.

Pour des informations sur la méthodologie : Étude Espace Seniors : Comment les seniors vivent-ils la relation avec leur médecin ?
La prescription : avant, pendant et après…
Disponible sur : https://www.espace-seniors.be/Publications/Etudes/Pages/seniors-medecin.aspx

Les pratiques communautaires en santé mentale : lire le contexte

Le 30 Déc 20

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La Plate-forme bruxelloise « Pratiques communautaires en santé mentale » rassemble les services de santé mentale qui associent des approches communautaires à leur pratique clinique. Elle entend aujourd’hui mettre en place des outils d’évaluation à même de sensibiliser les pouvoirs publics.

« Des traumas infantiles, qui n’en a pas ? » Question rhétorique. Question cruciale. Question que pose aujourd’hui la Plate-forme « Pratiques communautaires en santé mentale » qui rassemble dix services de santé mentale (SSM) bruxellois.

Dans une ère de « santémentalisation », la souffrance psychique n’est-elle pas trop souvent attribuée à des éléments de l’histoire personnelle, sans considération pour l’intrication étroite de cette histoire avec les grandes lignes de force qui traversent nos sociétés ?

Comment comprendre la souffrance psychique d’une femme sans considérer la réalité de la domination masculine ? Celle d’un migrant sans son parcours d’immigration ? Comment croire que la précarité n’impacte pas, nécessairement et singulièrement, la santé mentale des individus ?

« À travers nos consultations, nous sommes fréquemment amenés à rencontrer des personnes envoyées chez le psychologue ou le psychiatre par des tiers (professionnels et/ou entourage du patient) sans en avoir émis la demande ou pour qui la consultation en psychothérapie ou d’autres formes de soins psychiques n’a pas nécessairement de sens. Elles expriment un mal-être diffus, parfois une plainte psychosomatique, le plus souvent une souffrance liée à une grande solitude, un manque de reconnaissance ou un sentiment profond de dévalorisation. Par ailleurs, pour certains, consulter un professionnel des soins psychiques ne renvoie pas à un habitus culturel familier. Le face à face avec le « psy », le travail thérapeutique ne semble pas convenir », explique ainsi la Plate-forme.

Mise en place en 2009 à l’initiative du SSM Le Méridien, le Collectif souhaite attirer l’attention sur ce complexe jeu d’influences entre histoire intime et déterminants sociaux. L’objectif ? Interpeller les professionnels, mais aussi les pouvoirs publics sur la nécessité d’une telle approche. « Nous souhaitons faire reconnaître, mais aussi financer la santé communautaire que nous estimons complémentaire à l’approche clinique », explique Nathalie Thomas, psychologue au Méridien« Dans le contexte actuel de l’État social actif qui fait endosser aux individus la part la plus grande de la responsabilité face aux difficultés rencontrées, les approches communautaires font entendre les voix de la crise psychologique qui lamine les êtres au cœur de la vie sociale et familiale », estime le Collectif.

De la conscientisation à la contextualisation

Nées dans la ferveur militante des années 60, les pratiques communautaires sont dès le départ intégrées aux SSM (Services de santé mentale) : elles disparaissent ensuite de certains services dans les années 80 et 90 pour ne retrouver leur place que plus tard, dans un contexte où les « précarités multiples » encouragent une pratique du « care » en complément du « cure ». Concrètement, elles se traduisent par la mise sur pied de groupes d’individus, rassemblés autour d’une proximité géographique, d’un intérêt, d’une trajectoire.

C’est le Groupe des hommes des Marolles, lieu d’accueil et d’échanges informels qui a débouché sur plusieurs initiatives citoyennes. Le Projet Moudawana, rassemblant des femmes marocaines et développé en 2005 à l’occasion de la réforme du code marocain de la famille. L’atelier théâtre pour femmes développé par le SSM Exil. Le groupe des parents latino-américains ou encore la « pause-café » du SSM Le Méridien, qui réunit des habitantes de Saint-Josse.

Basées sur un rapport horizontal (autant que faire se peut) entre professionnels et usagers, un ancrage dans les quartiers et une attention particulière aux processus collectifs, les pratiques communautaires prennent de multiples visages. Leur point commun ? Travailler à partir des ressources et non des manques ou de la pathologie.

« Cela n’empêche pas d’établir des ponts avec la clinique. Plusieurs femmes de la pause-café ont consulté au Méridien à un moment donné », explique Nathalie Thomas« Ce sont souvent elles qui sont venues me trouver pour me demander de faire le relais. Parfois, quand je sens que quelqu’un va vraiment mal, c’est moi qui lui en parle. Il m’arrive aussi d’accompagner la personne lors de la première consultation. À l’inverse, certaines personnes commencent par consulter et on leur parle ensuite des groupes, par exemple lorsqu’elles vivent une problématique d’isolement. »

Dans le contexte actuel de l’État social actif (…) les approches communautaires font entendre les voix de la crise psychologique qui lamine les êtres au cœur de la vie sociale et familiale.

Depuis 1986, l’OMS propose cette définition de la santé communautaire : « un processus par lequel les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissant en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités ».

Autant de pratiques qui se situent dans le continuum de l’éducation populaire développée par Paulo Freire en Amérique latine il y a plus d’un demi-siècle, cette « pédagogie des opprimés » qui visait alors l’émancipation des individus et de la communauté en dehors des systèmes éducatifs institutionnels et des savoirs académiques.

« La notion de conscientisation utilisée par Paulo Freire fait un peu peur aujourd’hui, car elle évoque un certain militantisme ou même une sorte de manipulation », explique Nathalie Thomas. « Mais l’importance de comprendre le contexte social dans lequel on évolue demeure ! Comprendre dans quel jeu on joue, quels sont les rapports de force, les différents niveaux de pouvoir en Belgique : ce sont des choses qui permettent aux gens de ne pas se sentir comme des marionnettes. Cela permet de sortir de la plainte, du fatalisme ou de la victimisation », poursuit-elle.

Évaluer les pratiques communautaires

Aujourd’hui, ces pratiques sont pourtant rendues difficiles par les nombreuses demandes auxquelles doivent déjà répondre les SSM. Elles ne bénéficient d’aucun cadre de financement spécifique puisqu’elles ne figurent pas dans les missions décrétales des SSM, au contraire des maisons médicales ou des centres d’action globale (CASG).

« Aujourd’hui, sur 22 SSM bruxellois, 10 font partie de la Plate-forme. Nous aimerions que nos collègues nous rejoignent mais, en même temps, on ne peut pas leur donner envie de faire du communautaire si les moyens ne suivent pas », explique Nathalie Thomas.

La situation est tout aussi critique en Wallonie où le décret santé mentale contraint désormais les pratiques communautaires à entrer dans un dispositif de « club thérapeutique ». « La Région wallonne n’encourage pas les pratiques communautaires au sein des SSM, même si ceux-ci peuvent mettre en place des partenariats avec d’autres structures autour de telles initiatives », confirme-t-on au Centre de référence en santé mentale (CRéSaM), actif sur la région wallonne.

La Plate-forme travaille donc aujourd’hui de manière active à l’évaluation de ces pratiques, ce qui pourrait permettre d’appuyer leurs revendications. « L’amélioration de la santé mentale est toujours multifactorielle. Il est très difficile d’affirmer que celle-ci est liée à une pratique communautaire. On s’oriente donc plutôt vers des démarches qualitatives. Nous sommes en train de construire des indicateurs : est-ce que le groupe m’a permis de mieux connaître le quartier ? Les ressources ? Prouver qu’une pratique communautaire a permis d’éviter une dépression ou de prendre moins d’antidépresseurs est impossible. Mais nous pouvons montrer de manière rigoureuse et scientifique comment elle a eu un impact sur l’empowerment, la citoyenneté, l’estime de soi – autant de facteurs de santé mentale », explique Nathalie Thomas.

En terme de prévention et de promotion de la santé mentale, le communautaire aurait donc toute sa place. « Ce ne sont pas des groupes thérapeutiques. Mais que le groupe ait des effets thérapeutiques, je le crois. Ne fût-ce que parce que cela permet de sortir de la solitude », ajoute Nathalie Thomas.

Trop souvent encore, ces pratiques semblent pourtant faire l’objet d’un malentendu auprès des pouvoirs subsidiants. « Malheureusement, l’intérêt qu’on leur porte est parfois lié à des objectifs économiques dans le sens où, dans un groupe, nous voyons 10 patients sur le temps où, en consultation, nous en verrions un seul… Mais ce n’est pas comme ça que nous concevons les choses » pointe la psychologue du Méridien. Pour autant, la généralisation des « précarités multiples » tout comme l’actuelle réforme 107 tendent à conférer une nouvelle pertinence à ces pratiques. De même que les enjeux majeurs et reconduits autour du communautarisme, dont un des antidotes serait… le communautaire.

« Par rapport aux années 60, l’action collective est souvent rendue plus difficile. Elle demande beaucoup d’énergie à des personnes qui sont déjà souvent dans de multiples démarches, que ce soit pour leur logement, le chômage, etc. Avec la question qui demeure quant à l’efficacité des actions. Beaucoup se demandent aujourd’hui s’il n’est pas plus efficace d’aller à la permanence d’un échevin de manière individuelle plutôt que de mener une action à l’échelle du quartier.

Car le politique, il faut le dire, joue souvent le jeu de l’individuation. C’est parfois plus facile pour eux de répondre à X demandes individuelles que d’amener une mesure répondant aux besoins d’une population », estime encore Nathalie Thomas.

« Ensemble, on est plus fort » ? Si ce n’est pour prendre le pouvoir, du moins pour en comprendre les arcanes.

Impact de la santé du sommeil sur les activités humaines

Le 30 Déc 20

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La santé repose sur trois piliers principaux: le niveau d’activité au sens le plus large, la qualité de la nutrition et du sommeil. Les armées américaine et canadienne l’ont bien compris en choisissant cette triade comme fondement de la santé et de la productivité des militaires et de leur famille.

Impact de la santé du sommeil sur les activités humaines

Comme on passe un tiers de sa vie à dormir, sur la vie entière le sommeil est l’activité qui occupe le plus de temps si on compare le temps de sommeil au temps consacré aux autre activités. Selon l’American Time Use Survey, durant la période de la vie consacrée à l’activité professionnelle, les Américains travaillent en moyenne 430 minutes par jour et dorment 467 minutes (Barnes et al. 2012). Le sommeil est donc bien l’activité prépondérante durant l’existence mais quel impact le sommeil peut-il avoir sur les autres activités?

La plupart des professionnels de la santé ont été formés pour atténuer ou guérir les maladies et leurs séquelles. Leurs champs d’intervention s’inscrivent pour l’essentiel en aval des maladies. Le sommeil n’y échappe pas. Il peut être utile de renverser la perspective traditionnelle en médecine et de s’interroger non sur les principales maladies du sommeil comme l’insomnie ou le syndrome des apnées du sommeil et leurs conséquences mais plutôt sur les éléments constitutifs de la santé du sommeil. Cette façon de voir est opérante pour la prévention primaire.

La santé du sommeil peu ou mal définie. Cela n’a rien d’étonnant quand on connaît la difficulté de cerner le concept plus large de santé. Habituellement, en français, une bonne nuit de sommeil est suivie d’un état où le sujet se dit frais et dispos (fit and well en anglais) pour la journée qui commence mais cette affirmation n’est qu’un élément subjectif.

Selon Buysse (2014) la santé du sommeil peut être caractérisée selon 5 dimensions mesurables:

  1. durée du sommeil c’est-à-dire quantité de sommeil obtenue en 24h;
  2. continuité du sommeil ou efficience: facilité à tomber endormi et à se rendormir;
  3. moment adéquat (timing): positionnement adapté du sommeil dans les 24h;
  4. vigilance/somnolence: capacité à soutenir l’attention;
  5. satisfaction/qualité: évaluation subjective du ‘bon’ ou ‘mauvais’ sommeil .

À partir de là, on obtient la définition suivante de la santé du sommeil: «un processus multidimensionnel fait de sommeil et d’éveil adapté à l’individu, aux exigences sociales et environnementales qui favorise le bien-être physique et mental.Une bonne santé du sommeil est caractérisée par une satisfaction subjective, un moment et un timing appropriés, une efficience élevée, une vigilance soutenue durant les heures d’éveil» (Buysse, 2014).

La durée moyenne d’une nuit satisfaisante pour la santé est estimée à 7-8h tant pour les hommes que les femmes à rôles égaux alors qu’une durée supérieure à 9h ou inférieure à 6 h ou moins est néfaste et s’accompagne de pathologies telles que maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète de type 2, immunodéficience, troubles respiratoires et augmentation de la mortalité de toutes causes (e.a. cancers, accidents, suicide) (Kripke et al. 2002; Watson et al. 2015).

Comportements quotidiens et habitudes

Comportements qui réduisent le besoin de dormir au moment du coucher
• activité insuffisante durant la journée
• se reposer durant la journée alors qu’on n’est pas fatiguéHabitudes liées au sommeil
• faire des siestes, somnoler durant la journée ou la soirée
• être semi-éveillé durant la soirée
• dormir beaucoup les week-ends.

Comportements qui perturbent la régularité du rythme veille-sommeil
• exposition insuffisante à la lumière le matin entraînant un retard de phase
• exposition trop précoce à la lumière le matin avec avance de phaseHabitudes liées au sommeil
• horaires de sommeil irréguliers
• sommeil matinal les week-ends.

Comportements qui augmentent le niveau d’éveil, gênent l’endormissement et perturbent le sommeil
• fumer durant la soirée
• consommation excessive de caféine pendant la journée ou après 17h
• consommer de l’alcool le soir
• faire de l’exercice tard le soir
• dernier repas trop tard ou trop de liquide ingéré (peut causer un reflux-gastro-oesophagien ou des mictions fréquentes)
• rentrer tard le soir, traînasser avant de se mettre au lit• être exposé à la lumière bleue des écrans (TV, ordinateurs, tablettes, téléphone…) plus de 2h avant l’heure du coucher

Habitudes liées au sommeil
• appréhension durant la soirée quant au sommeil durant la soirée («Je vais encore mal dormir!»
• pas de routines avant le sommeil (par exemple : prendre une collation légère ou une tisane, se brosser les dents, faire un brin de toilette, lire en dehors de la chambre, écouter de la musique douce, se relaxer…)
• parler au lit de choses stressantes
• au lit : regarder la TV, lire, s’engager dans des comportements incompatibles avec le sommeil avant d’éteindre les lumières, tomber endormi avec la radio ou la TV
• faire des efforts pour s’endormir
• regarder l’heure durant la nuit
• rester au lit durant les éveils nocturnes prolongés ou rester longtemps éveillé au lit le matin
• dormir dans un environnement de sommeil inadéquat: partenaire qui ronfle, bruits, lumière vive le matin ou animaux dans la chambre.

Adapté de Yang CM, Spielman AJ, Glovinsky PB. (2008) Nonpharmacologic strategies in the management of insomnia. Psychiatr Clin North Am 2006;29(4):900; with permission, in Glovinsky A. et al. Nonpharmacologic strategies in the management of insomnia, rationale implementation, Sleep Medicine Clinics, Vol. 3. N°2. (traduit par Guy Adant).

Si l’insomnie transitoire peut bénéficier d’un traitement pharmacologique, on ne peut, sauf exception, soigner une insomnie chronique avec des médicaments (somnifères et/ou anxiolytiques).

Le traitement de référence est un traitement psychologique fondé sur une approche cognitivo-comportementale. Il consiste d’abord à analyser l’insomnie en fonction d’antécédents immédiats (les événements diurnes qui précèdent le problème), d’en répertorier les conséquences pour l’insomniaque et son entourage et de prendre en compte les antécédents historiques (histoire de l’insomnie, caractéristiques personnelles).

Cette analyse est généralement complétée par la tenue d’un agenda de sommeil et par des réponses recueillies grâce à des questionnaires validés.

Le traitement proprement dit consiste à fournir à l’insomniaque d’une part des moyens de lâcher-prise et d’autre part rectifier les croyances erronées à propos du sommeil pour dissiper toutes les fausses interprétations.

Ce traitement est basé sur des niveaux de preuves depuis 1994.

GA

La santé du sommeil repose sur plusieurs éléments interdépendants: une journée active mais sans excès si possible en partie à l’extérieur où l’activité est modulée par des périodes de repos, une bonne gestion du stress, des croyances réalistes et un ensemble de comportements favorables au sommeil (Adant, 1996).

Il est intéressant de noter que dans la gestion quotidienne du temps, le sommeil comme les loisirs apparaissent négligés au profit du travail et des activités centrées sur la famille (aides aux enfants, ménage, préparation des repas) spécialement dans le genre féminin et chez les cadres.

Plus le temps de travail et le temps consacré à la famille sont importants plus le temps alloué au sommeil diminue et l’inverse est également observé (Barnes et al. 2012). On ne mesure probablement pas assez les effets pernicieux d’un manque de sommeil et ses conséquences sur les activités humaines. Sait-on, par exemple, que le manque d’une seule nuit de sommeil aura la même conséquence sur la coordination oculo-manuelle le matin qu’une consommation d’alcool à la limite légale (Killgore, 2010)? Ou que la somnolence au volant est responsable à elle seule de 29% des accidents mortels sur les autoroutes françaises entre 2010 et 2014 alors que la baisse de la vigilance intervient pour 41%? (A.S.F.A, 2015).

ImageLes effets du manque de sommeil

Les effets de la restriction de sommeil ont été bien étudiés surtout pour la restriction de sommeil à court terme.

La restriction de sommeil à court terme a été étudiée de façon expérimentale (par exemple, une nuit de sommeil ordinaire suivie d’une nuit sans sommeil ou encore six nuits de 4h suivies par six nuits de 10h) et montre des effets sur la tolérance au glucose, une augmentation de l’activité du système nerveux sympathique, de plus hauts taux de cortisol en soirée et une réduction de sécrétion de leptine (une hormone qui contrôle le mécanisme de satiété) ainsi qu’une augmentation de la protéine C-Réactive (CRP, un marqueur sanguin de l’inflammation) et une augmentation de la pression systolique.

La restriction de sommeil à long terme ou restriction chronique augmente le risque de maladies cardio-vasculaires et de diabète de type 2 (Alvarez et al. 2004).

L’étude de cohorte Nurses’ Health Study a révélé que les femmes qui ont des troubles du sommeil (insomnie), du ronflement, un sommeil inférieur à 6 h, des apnées du sommeil ou un travail posté présentent quatre fois plus de risque d’avoir un diabète de type 2 (Yanping et al, 2016). Chez des individus d’âge moyen, le syndrome métabolique (obésité abdominale, taux de glucose élevé à jeun, hypertension artérielle, taux bas de cholestérol HDL, élévation des triglycérides) augmente entre 48 et 83% selon que l’on se situe dans la catégorie des courts dormeurs ou des longs dormeurs comparés à ceux qui dorment entre 7 et 8h par nuit.

Le syndrome métabolique prédispose au diabète de type 2 ainsi qu’aux maladies cardiovasculaires (Jennings et al. 2007).

La restriction chronique de sommeil provoque des déficits neuro-comportementaux si de manière répétée la nuit de sommeil est plus courte que 7h. Il s’agit de dysfonctionnements cognitifs: instabilité, réduction de l’attention et de la mémoire de travail. Toutefois il existe d’importantes variations interindividuelles, ce qui suggère peut-être que cette vulnérabilité dépend aussi d’un facteur génétique (Banks, 2007). Les effets du manque de sommeil sur les cognitions sont en étroit rapport avec l’exécution des activités humaines et ces effets touchent presque toutes les fonctions cognitives.

Le temps de réaction aux tests de vigilance psychomotrice est diminué et cela ne concerne pas seulement le cas d’un manque total de sommeil. Un déficit de quelques heures de sommeil au-delà de deux semaines a déjà des répercussions négatives. La tomographie par émission de positrons (TEP) montre que le manque de sommeil est associé avec une réduction de l’activité métabolique dans les régions du cortex pré-frontal, du cortex cingulaire, du thalamus, des noyaux gris centraux, du cervelet: toutes régions cérébrales essentielles dans les processus d’attention, de gestion de l’information et des fonctions exécutives.

À noter que les effets de la privation de sommeil sur la vigilance sont modérés par l’âge, les sujets plus âgés y étant moins affectés.

La perception visuo-spatiale est aussi altérée, ce qui indique que le déficit de sommeil diminue particulièrement l’activité de l’hémisphère cérébral droit. Une simple nuit blanche suffit pour réduire la sensibilité visuo-spatiale lors d’une tâche visuo-spatiale sur ordinateur. Le déficit de sommeil se répercute également sur la gestion des émotions et d’autres processus cognitifs comme la mémorisation et la prise de décision. Une seule nuit sans fermer l’oeil se traduit par un changement d’humeur et des cognitions négatives comme une plus grande intolérance à la frustration.

Le sommeil agit à la fois sur l’encodage, la consolidation et l’intégration des informations, processus essentiels dans la mémorisation. La mémoire déclarative (épisodique et sémantique) est surtout diminuée en cas de privation de sommeil. Alors que la pensée convergente et la déduction logique ne sont pas touchées la pensée divergente l’est: le déficit de sommeil affecte la créativité (Killgore, 2010).Une bonne santé du sommeil est essentielle pour être créatif.

Toute activité humaine, même la plus humble, peut bénéficier de créativité à travers sa planification et sa réalisation (Adant, 2011).

ImageLes troubles du sommeil

Le trouble du sommeil le plus fréquent dans la population française comme dans la population belge est l’insomnie chronique. Cette maladie concerne 19% des adultes (Gourier-Fréry, 2008). L’insomnie a des conséquences importantes non seulement sur la qualité de vie mais aussi sur l’activité professionnelle. Les insomniaques seraient deux fois plus souvent absents au travail (Léger, 2011).

Le deuxième trouble le plus courant est le syndrome des apnées du sommeil (S.A.S) souvent sous-diagnostiqué. Le S.A.S. touche entre 24 % des hommes et 9% des femmes entre 30 et 60 ans. La somnolence diurne induite est estimée entre 3 à 7% pour les hommes et 2 à 5% des femmes (Garvey et al. 2015). L’impact de la somnolence a surtout été mis en évidence dans les accidents de la route mais il est hautement probable que la somnolence affecte les activités professionnelles, les activités domestiques et les loisirs.

Dans une population de sujets en bonne santé aux USA, il ressort qu’une durée de sommeil inférieure à 7 heures en semaine entraîne des difficultés dans les activités diurnes et davantage chez les femmes. Les effets sont principalement des difficultés de concentration liées à la somnolence ou la fatigue suivies par des problèmes de mémoire ainsi que des difficultés pour travailler ou réaliser des activités de loisir (Wheaton et al. 2011).

Il est intéressant de noter que si l’activité (physique) a un effet favorable sur le sommeil, cet effet est bi-directionnel.

Les adultes qui se plaignent d’un sommeil de mauvaise qualité sont moins actifs, présentent des apnées du sommeil et ont moins de capacités cardio-respiratoires que ceux qui ne s’en plaignent pas. Paradoxalement, améliorer la qualité du sommeil par exemple en traitant les apnées par pression positive continue (CPAP) n’a pas d’effet sur le niveau d’activité de la journée (Kline, 2014). La santé du sommeil influence également, comme on peut s’y attendre, les performances académiques. 49.462 étudiant(e)s américain(e)s ont été interrogé(e)s à propos de la santé de leur sommeil.

Les résultats indiquent d’abord que les étudiants qui avaient un bon sommeil pratiquaient une activité physique modérée à intense régulièrement ainsi que de la musculation, se sentaient moins épuisés ou jamais épuisés, n’avaient pas mal au dos, ne travaillaient pas en dehors de leurs études et n’étaient pas anxieux. Chez les étudiantes, la santé du sommeil était meilleure chez celles qui pratiquaient une activité physique modérée à intense ainsi que de la musculation, se sentaient moins épuisées ou jamais épuisées, n’avaient pas de relations physiquement ou psychologiquement abusives, ne fumaient pas, ne connaissaient pas de biture express, n’avaient pas eu de fractures osseuses, ne travaillaient pas ni ne faisaient pas du bénévolat, ne consommaient pas de marijuana et ne se sentaient pas tristes.

Ces résultats montrent qu’une bonne santé du sommeil chez les étudiant(e)s est associée avec de meilleures performances académiques quoique l’index de masse corporelle (BMI) soit le meilleur prédicteur de bons résultats avant la santé du sommeil (Becker, Orr & Quilter, 2008). Ceci souligne qu’il ne faut pas perdre de vue qu’un mauvais sommeil favorise l’obésité (Bjorvan et al. 2007).

Holfeld & Ruthig (2014) dans une étude longitudinale sur deux ans portant sur 426 sujets américains âgés entre 60 et 100 ans et vivant de façon indépendante dans la communauté du Midwestern étudient la relation bi-directionnelle entre la qualité du sommeil et le niveau d’activités physiques. Les auteurs de cette étude constatent que la somnolence diurne est prédictive de peu d’activités physiques après contrôle de l’âge et de l’indice de masse corporelle (BMI).

Après analyse statistique des variables en cause on note que le niveau d’activités physiques des aînés dépend de la qualité du sommeil préexistant et non l’inverse. Hood et al (2004) ont examiné les relations entre l’exposition à la lumière, le niveau d’activité diurne et la qualité du sommeil dans un échantillon de 33 sujets âgés entre 65 et 85 ans. Les sujets étaient tous en bonne santé, vivant de manière indépendante, physiquement aptes et ne présentaient pas de pathologies susceptibles d’altérer leur sommeil. Ils n’étaient ni déprimés, ne présentaient pas de troubles cognitifs et ne prenaient pas de médication qui pouvait perturber leur sommeil. La qualité du sommeil était évaluée par le PSQI et la Morningness Eveningness Scale.

À l’analyse des résultats les auteurs concluent qu’il existe une relation prédictive forte entre la qualité du sommeil mesurée par l’immobilité la nuit, l’activité diurne et l’exposition à la lumière naturelle ((≥ 3000 lux). Mais on ne peut déterminer si c’est la lumière qui favorise le sommeil ou si c’est la qualité du sommeil qui favorise un style de vie actif qui prédispose à une exposition à la lumière naturelle.

Conclusion

La santé du sommeil influence l’état de santé global de l’individu et a des conséquences multiples sur la qualité des activités humaines. Un bon sommeil bénéficie à la récupération physique et mentale comme d’ailleurs l’élémentaire bon sens le pressent. Comme l’état général est meilleur, la vitalité est plus grande et les fonctions psychomotrices et cognitives en tirent profit. Ceci rejaillit tout naturellement sur la qualité des activités scolaires, académiques, professionnelles et de loisirs. Chez les aînés, la santé du sommeil favorise les activités de temps libre, clés de l’équilibre bio-psycho-social et protège des symptômes dépressifs qui peuvent toucher de 15 à 50% des sujets selon le lieu de vie (Massoud, 2007).

La promotion de la santé du sommeil à tous les âges de la vie consiste principalement à susciter tous les comportements et toutes les attitudes bénéfiques à la santé générale et à l’hygiène du sommeil en particulier. Elle est essentielle pour conserver et augmenter la qualité des activités diurnes et limiter l’apparition des troubles du sommeil. Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît car cela implique généralement une remise en cause des habitudes et des comportements défavorables au sommeil observés chez les Occidentaux. Ne conviendrait-il pas de rendre à la santé du sommeil sa juste place?: «La médecine actuelle du sommeil se focalise sur l’évaluation du sommeil et ses troubles mais ce que les gens veulent réellement c’est un meilleur sommeil» (Buysse, 2014, p.15). Sacrifier le sommeil au profit de toutes les autres activités diurnes est contre-productif pour la qualité de ces mêmes activités.Image

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Quels sont les examens à (ne pas) réaliser avant une opération?

Le 30 Déc 20

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Quels sont les examens à (ne pas) réaliser avant une opération?

Avant une intervention chirurgicale, il est habituel de faire passer au futur opéré toute une batterie d’examens comme des analyses de sang et d’urine, un électrocardiogramme, une radiographie du thorax ou d’autres examens d’imagerie médicale. Ces examens sont censés détecter d’éventuels risques pour la santé du patient pendant ou après l’opération (risque opératoire). Mais ceux que l’on pratique sont-ils véritablement toujours nécessaires, notamment quand le patient ne présente aucun symptôme particulier?

Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a mis 15 examens classiques sous la loupe pour voir ceux qui sont (ou pas) à recommander en routine en cas de chirurgie non-urgente (à l’exception de la chirurgie cardiaque ou thoracique).

Des examens qui ont souvent peu de valeur ajoutée

Il y a trente ans, des études ont montré que les examens préopératoires ne contribuaient guère à faire baisser les risques pendant et après l’opération chez les patients qui ne présentaient aucun symptôme évoquant l’un ou l’autre problème de santé. Par ailleurs, les bénéfices de certains de ces examens ne contrebalançaient pas leurs inconvénients (par exemple, une irradiation lors d’un examen radiologique). De plus, cette étude avait mis en lumière d’importantes variations entre les pratiques des hôpitaux, qui ne pouvaient s’expliquer valablement par des raisons médicales.

Dans ses nouvelles recommandations cliniques, le KCE a analysé 15 examens préopératoires pour déterminer lesquels devraient (ou pas) être réalisés chez les patients (de plus de 18 ans) devant subir une intervention chirurgicale non urgente, à l’exception de la chirurgie cardiaque, pulmonaire ou de transplantation.

Pour ce travail, le KCE s’est basé sur des recommandations similaires tout récemment émises par ses collègues anglais du très réputé NICE (National Institute for Health and Care Excellence), en les complétant par une recherche dans la littérature scientifique. Les recommandations ont été développées en étroite collaboration avec les praticiens de terrain et les associations de patients.

7 examens recommandés dans certaines circonstances

En fonction de l’état de santé du patient et de la gravité de l’intervention, les tests suivants sont recommandés ou à envisager:

  • des examens cardiaques: électrocardiogramme de repos, échocardiographie de stress, scintigraphie myocardique;
  • des analyses de sang: formule sanguine complète, tests de la fonction rénale, test de coagulation;
  • une analyse d’urine.

La radiographie du thorax n’est pas recommandée

Le rapport du KCE énumère aussi une série d’examens qui ne sont jamais recommandés en routine si le patient ne présente aucun symptôme spécifique de l’un ou l’autre problème de santé particulier. Pourtant, ces examens sont encore régulièrement pratiqués avant une opération non urgente. Comme l’explique le Dr Joan Vlayen, auteur principal de l’étude du KCE, «un exemple typique est la radiographie de thorax. Cet examen n’a qu’une valeur prédictive très limitée quant au risque de complications pendant et après l’opération. Par contre, il expose le patient à des rayons X potentiellement nocifs.»

D’autres examens qui ne sont pas recommandés en routine sont l’échographie cardiaque de repos, l’angioscanner coronaire, les épreuves d’effort cardio-respiratoires, les épreuves fonctionnelles respiratoires (y compris la mesure des gaz du sang), les tests de sommeil (polysomnographie), la mesure de l’hémoglobine glyquée et les tests de la fonction hépatique.

Quelques exemples concrets

Une opération d’ablation des varices est prévue chez Madame N. (43 ans). Elle est en bonne santé. Aucun examen préopératoire ne doit être pratiqué.

M. L. (61 ans) souffre de diabète de type 2, bien suivi et bien équilibré avec de l’insuline. Il doit être opéré d’une hernie inguinale. Étant donné son traitement par insuline, il est recommandé de pratiquer chez lui un ECG de repos; l’exploration de la fonction rénale peut également être envisagée.

M. J. (68 ans) a une hypertension bien contrôlée par un médicament antihypertenseur de type inhibiteur de l’enzyme de conversion. Il doit subir une arthroscopie du genou. Étant donné son âge et le type de traitement antihypertenseur qu’il reçoit, il court un risque d’insuffisance rénale. Pour cette raison, on peut envisager de faire des tests de la fonction rénale, ainsi qu’un ECG de repos. Par contre, une radio de thorax ne présente pas d’intérêt chez lui et n’est donc pas recommandée.

Mme C. (51 ans) a une atteinte du foie due à sa consommation excessive d’alcool. Elle doit se faire placer une prothèse de genou. Il est recommandé de pratiquer chez elle des tests de la fonction rénale ainsi qu’une formule sanguine complète. On peut aussi envisager des tests de coagulation et une culture d’urine.

Mme M. (52 ans), fumeuse depuis toujours, a une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) sévère. On doit procéder chez elle à une hystérectomie totale. Il est recommandé de pratiquer des tests de la fonction rénale et une formule sanguine complète. Pour le suivi clinique de sa BPCO, on pourra également envisager une radiographie du thorax (mais ceci ne constituera pas, dans ce cas précis, un examen ‘de routine’).

M. S. (68 ans) porte un pacemaker mais sa fonction cardiaque est bonne (pas de décompensation). Il doit se faire placer une prothèse de hanche. On recommande des tests de la fonction rénale et une formule sanguine complète, et on peut également envisager un ECG de repos et une culture d’urine. Par contre, il ne sera pas nécessaire de pratiquer une échographie cardiaque ni une radio de thorax avant l’intervention.

Une ‘appli’ gratuite pour les médecins et les patients

Ces recommandations doivent contribuer à améliorer la qualité des soins et à une diminution des examens inutiles ou nocifs. Elles s’adressent à tous les praticiens concernés par la préparation d’une intervention chirurgicale et/ou par l’intervention elle-même (notamment les anesthésistes, chirurgiens, cardiologues, radiologues, biologistes cliniques, médecins généralistes). Elles peuvent également intéresser les patients et leurs proches, les directions d’hôpitaux et les décideurs politiques.

Le KCE suggère que le Conseil national de promotion de la qualité (CNPQ) fournisse aux hôpitaux belges, sur la base de recommandations publiées dans ce rapport, un ‘retour’ au sujet de leur recours aux examens préopératoires. Cela s’est déjà passé en 2004, sur la base des premières recommandations publiées par le KCE sur les tests préopératoires.

Le KCE a également développé une application pour tablettes, smartphones et PC reprenant les recommandations. Elle peut être téléchargée gratuitement via l’App store (iOS), Google play (Android) ou sur le site https://preop.kce.be.

Des indicateurs d’efficacité pour la promotion de la santé: leurre ou défi?

Le 30 Déc 20

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Des indicateurs d’efficacité pour la promotion de la santé: leurre ou défi?

La revue Éducation Santé a publié en novembre 2012 [1] un numéro spécial consacré à l’évaluation. Ce numéro se voulait résolument optimiste. Il montrait comment, au cours des trente dernières années, les modèles de référence en évaluation avaient évolué parmi les acteurs francophones de la promotion de la santé.

Au centre de ces évolutions, on retrouve l’engagement à promouvoir des démarches, des méthodes, des outils qui font la place aux points de vue des différentes parties prenantes, mais surtout qui ne se substituent pas in fine à la délibération et au choix collectif par celles-ci; et enfin qui n’oblitèrent pas les ‘démarches qualité’ menées par la diversité des acteurs.

Cet article se terminait sur le défi que représentait le passage à l’évaluation de 5e génération, dite émancipatrice: celle qui implique les populations concernées par un programme public dans toutes les phases de son évaluation.[2] Ces évolutions présentent donc un haut degré de cohérence avec les principes mis à l’avant-plan par la Charte d’0ttawa: empowerment, action intersectorielle, participation des populations.

Cependant les journées d’échanges et de rencontres consacrées aux 30 ans de la Charte d’Ottawa ont pris en compte le retour d’un discours sur l’efficacité dans la sphère publique. Cet article tentera donc d’éclairer comment ce type de discours tente de s’imposer dans nos pratiques d’acteurs de promotion de la santé. Il formulera aussi quelques pistes prometteuses.

Rappelons d’abord une définition simple de l’efficacité: «Ce critère permet d’apprécier la réalisation des objectifs d’une intervention en comparant les résultats (au sens d’effets) obtenus aux résultats attendus, ces résultats étant imputables à cette intervention (efficacité propre)» (Jabot et Bauchet, 2009) [3].

L’efficacité peut donc, selon les cas, concerner l’impact d’une politique, les résultats d’une intervention ou les réalisations mises en œuvre par un opérateur, selon le niveau auquel les objectifs sont formulés (voir l’encadré qui précise certaines notions en les illustrant). Selon que l’on soit décideur ou opérateur, les points de référence varieront, chacun étant soumis à ses propres paradoxes.

Du côté des décideurs: les plans et les priorités

De nombreux décideurs en promotion de la santé sont assez convaincus qu’ils doivent se fixer des objectifs à long terme, pour apprécier l’évolution des modes de vie d’une population. Ils sont en attente d’indicateurs qui rendront sensible cette évolution. L’efficacité s’évaluerait donc au niveau des impacts. Ainsi le récent Plan wallon de prévention et de promotion de la santé se donne des priorités pour 2030 [4].

Cela étant, les mandataires sont soumis à un premier paradoxe: celui de devoir fournir une image de la rentabilité à court terme de leur politique, au terme de leur mandat quinquennal, alors que leurs priorités se définissent à plus long terme.

Ils sont aussi soumis à un deuxième paradoxe, l’efficacité à long terme ne dépendra pas que de la politique qu’ils ont en responsabilité, tant sont nombreux et variés les déterminants qui produisent la santé d’une population, tant les contextes de vie évoluent rapidement durant cette période de transition sociétale.

Il n’y a pas de réponse technique ou scientifique simple qui permette de résoudre ces paradoxes, d’autant que les indicateurs les plus pertinents ne sont pas toujours disponibles avant le début de l’implantation de la politique.

Du côté des opérateurs: les projets et les services

La préoccupation croissante pour l’efficacité et l’efficience entraîne une pression des financeurs vers les opérateurs: ceux-ci doivent augmenter la précision des objectifs annoncés de leurs projets et prouver comment ils rencontreront les priorités définies dans les plans. De plus en plus souvent, on exige des objectifs SMART (spécifiques, mesurables, assignables, réalistes et temporellement définis) [5].

Les opérateurs sont alors confrontés à deux types de difficultés. Tout d’abord ils doivent articuler les objectifs annoncés de manière cohérente non seulement avec les objectifs spécifiques définis par les plans, mais aussi avec l’objet social de leur organisme, en assurant une continuité d’actions et de services aux usagers, en respectant les cadres logiques et modèles de référence en promotion de la santé qui reflètent la complexité des déterminants du changement [6]. Ensuite ils doivent dégager des ressources pour évaluer l’atteinte de ces objectifs, ce qui le plus souvent réduit d’autant les ressources disponibles pour implanter l’action.

Dans la pratique, face à ces multiples contraintes, toutes pertinentes, les résultats dégagés par les opérateurs, en lien avec leurs objectifs (même, et surtout, SMART), ne permettront pas de documenter des indicateurs de résultats pour les objectifs spécifiques définis dans les plans.

Le rêve méthodologique d’une alliance entre décideurs et opérateurs

Arrêtons de courir après des chimères méthodologiques qui cristallisent des tensions entre opérateurs et financeurs et aboutissent dans un certain nombre de cas à une perte du sens de l’action. Par rapport à un sous-financement criant de la prévention dans nos politiques, trois critères de qualité devraient retenir notre attention.

L’intervention proposée est-elle pertinente par rapport aux objectifs fixés? Des grilles d’analyse existent pour définir cette pertinence, la littérature scientifique et la littérature grise fournissent des repères précieux, les échanges de pratiques également. Des progrès peuvent être faits pour diffuser et accroître les données probantes auxquelles se référer en promotion de la santé (voir article dans ce même numéro).

Une fois la pertinence établie, focalisons notre attention sur des indicateurs de couverture et des indicateurs d’intensité de l’action, qui sont les préalables incontournables à tout résultat mesuré à l’aune d’une population pour des objectifs de promotion de la santé.

Pour les indicateurs de couverture, il s’agira de déterminer quelle est la population rejointe par l’action par rapport à la population concernée; d’examiner comment cette population rejointe se répartit sur le gradient socio-économique et/ou sur les territoires. De manière symétrique, on pourra vérifier si au fil des interventions on a rejoint tous le professionnels ou relais qui accompagnent les populations concernées. On pourrait aussi s’intéresser aux taux de fidélisation vs renouvellement des bénéficiaires d’une action ou des usagers d’un service.

Pour les indicateurs d’intensité, demandons-nous par rapport à une population définie, dans quelle mesure les interventions visant un même objectif se sont déployées avec suffisamment de continuité, si elles ont été accentuées par des synergies avec d’autres actions et si elles se sont disséminées dans d’autres lieux proches.

Un défi ou un idéal hors de portée ?

Ce type d’indicateurs ne peut être produit que s’il y a une alliance entre opérateurs et financeurs. Les termes de cette alliance seraient les suivants:

  • que les opérateurs collectent et compilent des infos en routine de manière standardisée sur les contextes et destinataires de leurs propres activités;
  • que les acteurs institutionnels mettent à la disposition des opérateurs pour cet enregistrement des outils concertés, acceptables et respectueux de l’éthique. Qu’ensuite ils analysent les données fournies pour tirer des conclusions documentées sur la couverture et l’intensité des interventions au niveau d’un plan.

Impossible? Ça et là existent des outils qui tracent les prémisses de cette estimation des couvertures et complémentarités: une cartographie de projets financés en promotion de la santé telle OSCARS en France [7], des bases de données gérées par de nombreux opérateurs qui permettent d’estimer les profils professionnels et les origines territoriales des personnes formées à l’une ou l’autre démarche. Capitaliser sur ces initiatives, tenter de les harmoniser pourrait permettre un meilleur suivi de l’implantation des politiques, condition première d’efficacité.

«Sortir de son entre-soi»: un regard indiscipliné sur les enjeux de la promotion de la santé

Patrick Berry [8], avec la collaboration d’Anne Le Pennec

Renforcer la dimension politique de la promotion de la santé en s’appuyant sur une visée sociétale renouvelée, des alliances stratégiques et un rapprochement de la décision publique. Telle est la feuille de route dessinée par Patrick Berry, qu’il explicite ci-dessous.

La Charte d’Ottawa vient de fêter ses trente ans. Les acteurs du champ de la promotion de la santé célèbrent l’anniversaire de ce texte court, témoin d’une époque durant laquelle, déclamée haut dans des écrits de statut international, l’utopie semblait à la portée des espoirs.

Ces mots mettaient en récit avec conviction les espérances progressistes et des revendications d’«Hommes engagés» aurait dit Albert Camus. On se rend compte rétrospectivement à quel point ils ont suscité de véritables révolutions dans les pratiques professionnelles, de l’échelle la plus large au niveau le plus local.

Dans ces débats et échanges d’anniversaire, deux logiques concomitantes sont à l’œuvre. L’une, rétrospective, discute les effets et acquis de la charte, dont l’influence a été majeure dans l’histoire de la santé publique, ou bien pose des constats sur l’état actuel de la promotion de la santé. Signe de maturité, on s’interroge avec raison et réflexivité. Il est vrai que le bilan critique de ce texte est amorcé et partagé depuis quelques années déjà [9].

L’autre logique, prospective celle-là, s’essaie à déterminer les enjeux pour la promotion de la santé à court terme et dans les décennies à venir. Cet exercice est essentiellement mené sous l’angle thématique, par exemple sur l’évaluation ou le développement de certains secteurs comme l’éducation pour la santé.

Nourri de travaux théoriques et d’activités de terrain dans le champ de la promotion de la santé mais aussi celui de l’environnement, je porte un regard croisé tout autant que distancié sur ces réflexions prospectives. J’en retire une idée force: l’indispensable renforcement de la dimension politique de la promotion de la santé, autour de trois enjeux présentés ici comme autant de matières à débats et à nuances.

Enjeu #1 – Renouveler la visée sociétale, en lien avec une mise au clair du paradigme de santé

«L’obsession de la définition [10]» de ce que recouvre la notion de «santé» est le propre de la santé publique depuis plus d’un siècle. Pour autant, il s’agit de dépasser les querelles sémantiques et les constructions rhétoriques autour du concept, pour asseoir une visée politique claire et pragmatique. Il y a en effet, me semble-t-il, une vigilance toute particulière à avoir pour travailler très directement à l’intégration des discours et concepts dans les actions de terrain, ou pour le moins, à ne pas laisser se construire de trop grands écarts entre «ce qui se dit» et «ce qui se fait» en promotion de la santé. Autrement dit, à susciter et plus encore à structurer un dialogue fructueux entre ces deux pôles.

Pour ce, trois pistes de réflexion me semblent pouvoir être tracées.

Tout d’abord, il s’agirait de travailler à l’articulation conceptuelle entre la notion de ‘Santé’ et celle de ‘Bien-être’, utilisée dans le champ du développement et de l’environnement. Largement dominée par le modèle biomédical, la promotion de la santé aurait à gagner en crédibilité tout comme en légitimité à sortir de son entre-soi, et à «croiser le fer» avec des travaux conceptuels déjà mis en pratique dans les actions de terrain, sur le champ environnemental et du développement des territoires, en France et plus largement encore en Europe. On peut citer à titre d’exemples les travaux déjà classiques d’Amartya Sen et de Joseph Stiglitz sur les Indicateurs de Développement Humains (IDH) ou sur les capabilités [11], mais aussi ceux engagés par les instances environnementales européenne et française autour du Bien-être territorial des populations, que cela soit sous l’angle spécifique des liens avec les milieux de vie, ou bien sous l’angle plus global des dynamiques d’adaptation territoriale aux enjeux environnementaux [12].

Il y aurait par ailleurs un grand intérêt pour les acteurs de santé à se distancier de la centration sur l’individu-sujet, pour repositionner celui-ci dans des écosystèmes complexes. Il s’agirait alors de porter la focale sur les milieux et environnements de vie en tant que déterminants essentiels de la santé.

Ce mouvement est déjà amorcé par les acteurs travaillant, entre autre, sur l’habitat, le milieu urbain ou sur la qualité de l’air intérieur. Il pourrait être davantage fécond. Cela passe par un examen critique des dynamiques de santé à l’œuvre aujourd’hui, massivement influencées par les avatars psychologisants du développement personnel et par les dispositifs d’auto-évaluation de soi comme contrôle social qui, en temps de crise font naturellement florès [13]. Tout est lié. L’incapacité de la promotion de la santé à investir le travail sur les déterminants sociaux et environnementaux trouve en grande partie son origine dans la place qu’elle donne au modèle d’Homme rationnel et aux problématiques comportementales. Sortir de ces logiques «du marché du bien-être ou du marché du malaise [14]» implique de porter davantage l’effort sur le travail pratique au niveau du pouvoir d’agir (empowerment) des individus sur leurs conditions de vie, et sur la dimension spirituelle de la santé, c’est-à-dire du sens attribué au monde par les humains [15].

Enfin, une visée politique de la promotion de la santé pourrait prioriser deux points nodaux cristallisant l’ensemble des enjeux du «vivre ensemble» et d’une éthique de la Reconnaissance chère à Axel Honneth [16]: la réduction des inégalités de santé et le respect des droits de l’Homme.

Les travaux théoriques déjà menés ne manquent pas. Outre les dernières productions de la Conférence européenne de santé publique et de l’OMS [17], deux textes accessibles à tous les acteurs pourraient être porteurs d’une nouvelle inflexion dans les pratiques: le rapport de la commission de l’OMS sur les déterminants sociaux de la santé intitulé «Combler le fossé en une génération [18]» et cet article, ancien mais ô combien d’actualité, de Jonathan Mann [19] sur les liens entre les droits fondamentaux des personnes et la santé des populations.

Ces deux textes dressent des lignes qui pourraient être autant de repères pour les interventions en promotion de la santé: le respect des droits fondamentaux des personnes, l’importance à agir sur les déterminants sociaux et la répartition des richesses tout comme du pouvoir. Ils interrogent et la capacité de la promotion de la santé à intervenir sur les milieux et conditions de vie et son aptitude à tisser des alliances pour y parvenir.

Enjeu #2 – Renforcer les stratégies d’alliance de la promotion de la santé

Le renforcement des stratégies d’alliance de la promotion de la santé constitue le deuxième enjeu en ce qu’elles permettraient à la fois de conforter son positionnement politique, mais aussi de renforcer ses approches opérationnelles.

Il s’agit d’élaborer une stratégie de coopération, qui pourrait à tout le moins suivre trois lignes d’horizon. La première est conceptuelle et intéresse prioritairement le monde de la recherche. Elle consiste à croiser davantage les disciplines et à rééquilibrer les approches entre sciences biomédicales et sciences sociales. Un décloisonnement disciplinaire permettrait ainsi de donner toute leur pertinence aux travaux en sociologie, anthropologie, psychologie sociale notamment, s’attachant à comprendre les interactions humaines avec les milieux de vie. Plutôt que de produire de nouvelles connaissances, intégrons les données existantes, et ce de manière participative.

Par ailleurs, le dialogue interdisciplinaire permettrait de clarifier les zones de recouvrement et les articulations de concepts utiles à la promotion de la santé. Ainsi par exemple pourraient être mis en regard la santé biomédicale avec le bien-être des économistes, le sentiment de contrôle et le coping avec l’empowerment, ou bien encore la motivation avec les systèmes d’acteurs connus des sociologues.

La deuxième ligne est située à l’intermédiaire entre la recherche et l’action de terrain. Force est de constater, en promotion de la santé, le peu de cas fait à la traduction et à la valorisation des connaissances scientifiques auprès des acteurs de terrain. Cet état de fait participe du flou et de l’éparpillement des références théoriques, tout comme des adhésions par ‘affinités électives’ aux ressorts conceptuels utilisés sur le terrain par les acteurs.

Une autre hypothèse explicative du flottement conceptuel serait à chercher dans le développement de formations généralistes en promotion de la santé, favorisant des appropriations théoriques davantage par sensibilité personnelle que par formation disciplinaire de fond. En contrepoint, des alliances pourraient être construites avec les secteurs de la médiation scientifique tout comme avec les dispositifs de valorisation universitaire.

L’objectif serait de construire des référentiels théoriques aisément appropriables basés sur le dialogue entre les expériences de terrain et la recherche interdisciplinaire. L’émergence récente en éducation pour la santé d’un travail sur le courtage de connaissances et sur l’identification de données probantes et interventions prometteuses est en ce sens particulièrement intéressant. Pour autant, gageons que ces données probantes ne seront pas restreintes au champ de la santé publique, ni sur le fond, ni dans leurs logiques épidémiologiques d’élaboration, car cela ne ferait que conforter la prédominance du modèle biomédical et servirait peu le renouvellement politique du paradigme de santé. Pour ne pas dire que cela le contredirait.

Le troisième axe concerne les alliances de terrain. Hormis les autorités de santé (Agences régionales de santé) toujours présentes sur les territoires, il est surprenant de constater qu’il soit possible de mener des études sur des sujets aussi divers que les dynamiques de concertation et de bien être territorial, l’accessibilité sociale à l’eau ou le maintien de l’habitat en zone rurale etc. sans jamais croiser un acteur issu du champ de la promotion de la santé autre qu’un médecin généraliste ou spécialisé.

Ce sont pourtant des questions sociétales essentielles. Les croisements avec les champs environnementaux, du social et de l’éducation populaire, au travers notamment des associations de consommateurs et autres associations citoyennes détentrices a minima d’une expertise expérientielle, parait indispensable pour prendre en compte et agir dans la complexité des systèmes liés à la vie quotidienne des ‘gens’.

Enjeu #3 – Se rapprocher de la décision publique

Troisième enjeu, connexe aux deux premiers: la promotion de la santé a tout à gagner à se rapprocher de la décision publique pour conforter son influence et se positionner davantage dans les rapports de forces entre acteurs présents sur les territoires, quelle qu’en soit leur échelle. Le monde environnemental et celui du développement local, par leur positionnement politique, se sont très tôt attelés à l’élaboration d’outils d’accompagnement et d’aide à la décision. Par son histoire, la promotion de la santé s’est quant à elle centrée sur la décision individuelle selon une approche comportementale et moralisante.

Les travaux en sciences sociales et sciences politiques montrent toute la complexité des politiques publiques, de la mise à l’agenda des questions d’intérêt général, des modalités de prise de décision, du suivi de ces décisions. Or l’intérêt de la promotion de la santé pour les questions de sciences politiques et de sociologie organisationnelle se manifeste lentement. Il est vrai qu’il nécessite une évolution culturelle tout autant qu’opérationnelle.

Ce changement de posture pourrait s’opérer de manière concrète selon trois volets: le lobbying ou plaidoyer, l’aide à la décision au sein des politiques publique et l’évaluation.

Si le plaidoyer en santé est un outil déjà utilisé auprès des élus et décideurs, un travail à la fois sur les contenus de ce plaidoyer et leur formalisation serait de bon aloi. L’affichage du décloisonnement des politiques publiques et l’explicitation des liens et croisements de la promotion de la santé avec d’autres politiques sectorielles pourrait être un argument supplémentaire pour les acteurs. Cette manière de relire concrètement les politiques publiques à l’aune du Bien-être des populations s’avérerait particulièrement pertinent aux échelles locales, aux yeux des élus et techniciens des collectivités en particulier.

Par ailleurs, lors du 25e anniversaire de la Charte d’Ottawa en 2011 [20], Ilona Kickbush soulignait l’urgence pour la promotion de la santé à investir les questions de gouvernance publique en se rapprochant de la prise de décision.

Ce rapprochement pourrait s’opérer par la mise en place d’outils formalisés d’aide à la décision qui permettraient un travail conjoint entre élus et acteurs de santé à l’échelle du territoire, sur la décision même mais aussi sur sa mise en œuvre et son suivi. À titre d’exemple, citons les expérimentations en cours d’évaluations d’impact en santé (EIS) Leurs mises en place et résultats soulignent l’importance de comprendre les ressorts de la prise de décisions publiques dans son champ de contraintes, tout comme d’avoir à sa disposition des outils d’accompagnement dans le temps efficaces pour influer sur les stratégies territoriales. Le simple transfert de connaissances épidémiologiques ou sociologiques vers les décideurs, conformément au modèle rationnel, est insuffisant.

En complément, un renforcement des logiques d’évaluation des politiques publiques en promotion de la santé pourrait en améliorer la lisibilité. À ce titre, il semble indispensable. Avec des moyens cohérents avec les objectifs posés, le développement des évaluations de contexte et participatives en promotion de la santé donnerait des arguments au plaidoyer tout comme à l’aide à la décision publique. Et, avec ces arguments pourraient se construire, en lien avec les décideurs, des fenêtres pertinentes d’opportunité. À défaut d’évaluation et de retours d’expériences formalisés, il ne restera aux acteurs que leur force de conviction, ce qui, dans le champ des politiques publiques, connait rapidement des limites.

Les trois enjeux brièvement esquissés ici invitent à de nouvelles dynamiques en promotion de la santé mais aussi au soutien de celles déjà engagées dans la structuration du champ des pratiques. Les moyens alloués à la promotion de la santé, parent pauvre de la santé publique et plus encore de la santé, et le modèle économique sous-jacent sont bien évidemment des questions fondamentales dans un contexte de contraction des crédits publics. Mais elles ne doivent pas évincer l’indispensable réflexion sur les positionnements politiques et stratégiques des acteurs au cœur de la promotion de la santé.

Deux traits communs traversent les enjeux ainsi livrés: l’ouverture à d’autres champs d’action et la coopération. L’ouverture, c’est prendre le risque de se diluer et de perdre de sa singularité. La coopération, c’est accepter de partager et de faire évoluer ses acquis et ses outils propres. Au regard du contexte singulier dans lequel nous vivons, l’enfermement sur soi ne peut constituer ni un positionnement politique, ni une stratégie de développement pour la promotion de la santé. Le Bien-être collectif aura, me semble-t-il, tout à gagner à l’engagement de la promotion de la santé dans la voie de l’altérité, hors de ses sentiers habituels. Ce qui n’est pas la moindre des éthiques politiques.


[1] Vandoorne C, Quelles perspectives pour l’évaluation en promotion de la santé en Fédération Wallonie-Bruxelles? Revue Éducation santé, n°283, novembre 2012, https://educationsante.be/article/quelles-perspectives-pour-levaluation-en-promotion-de-la-sante-en-federation-wallonie-bruxelles/

[2] Baron G, Monnier É., Une approche pluraliste et participative: coproduire l’évaluation avec la société civile, Revue Informations Sociales n° 110, septembre 2003

[3] Absil G, Vandoorne C, Des mots pour parler d’évaluation, Revue Éducation Santé n° 283, Novembre 2012, https://educationsante.be/article/des-mots-pour-parler-devaluation/

[4] Éducation Santé vous le présentera en détail dans le prochain numéro (ndlr).

[5] https://crf.wallonie.be/compasinfo/breve.phpid=14&rub-id=54.html . Consulté le 19 février 2017.Steffens G. 2015. Les critères SMART pour atteindre son objectif. La méthode intelligente du manager, Paris, Gestion et marketing, 2015, 32 p., p. 15 à 23.

[6] Par exemple: outil de catégorisation des résultats, modèle de la Commission des déterminants sociaux de la santé, axes de la Charte d’Ottawa, approche socio-écologique…

[8] Patrick Berry est sociologue et tout à la fois consultant en promotion de la santé et directeur d’étude en environnement en France.

[9] Le bilan critique de la Charte d’Ottawa a, pour évoquer les plus récentes, donné lieu à de nombreuses publications à l’occasion de son 25e anniversaire en 2011.

[10] Fassin, D. (2000). Comment faire de la santé publique avec des mots: une rhétorique à l’œuvre, Rupture. Revue transdisciplinaire en santé. vol.7.N°1. pp.58-78

[11] Naussbaum, M. (2012). Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste ? Paris: Climat

[12] On peut renvoyer ici aux travaux portés par les agences françaises ONEMA et ADEME sur les indicateurs de Bien-être et de qualité de vie en lien avec les problématiques environnementales. De même, autour de la problématique de la résilience territoriale face au changement climatique, des travaux sont en cours sur l’élaboration d’indicateurs agrégés de santé et de Bien-être des populations, posant l’hypothèse que le Bien-être pourrait être un facteur de résilience ‘communautaire’ et territoriale.

[13] Marquis, N. (2014). Du bien-être au marché du malaise. La société du développement personnel. Paris: PUF

[14] Id.

[15] Morin, E. (1979). Le paradigme perdu. La nature humaine. Paris: Seuil. Coll. Points Essais

[16] Honneth, A. (2002). La lutte pour la Reconnaissance. Paris: Cerf. Coll. Passages

[17] Il s’agit de la déclaration de Vienne, publiée par l’European Public Health Association (EUPHA) en 2016 et de la déclaration de Shangaï sur la promotion de la santé et le développement durable à l’horizon 2030, énoncée à l’occasion de la 9e conférence mondiale sur la promotion de la santé.

[18] OMS. (2009). Combler le fossé en une génération. Rapport de la commission sur les déterminants de la santé

[19] Mann, J. (1998). Santé publique: éthique et droits de la personne. Santé publique. vol. 10, no 3, pp. 239-250

[20] Kickbush, I. (2011). Governance for Health in the 21st Century. Global Health Programme Graduate Institute. Geneva June 27, 2011 Ottawa/Gatineau

La cybersanté en pleine évolution

Le 30 Déc 20

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La cybersanté en pleine évolution

Un rapport portant sur la cybersanté dans la Région européenne de l’OMS révèle que des progrès tangibles ont été réalisés, avec des avantages évidents pour de nombreux pays. Pourtant, malgré les exemples édifiants de réussites dans ce domaine, l’adoption de la cybersanté n’est pas uniforme au sein de l’Union européenne. Qu’en est-il en Belgique?

Les enjeux de la cybersanté

La cybersanté désigne toute activité dans laquelle un moyen électronique est utilisé pour fournir des informations, des ressources et des services d’ordre sanitaire. Elle couvre de nombreux domaines, notamment les dossiers de santé électroniques, la télésanté, la santé mobile, l’apprentissage en ligne dans le domaine sanitaire, les médias sociaux, etc.Note bas de page

Zsuzsanna Jakab, directrice de l’OMS Europe, a déclaré «le 21e siècle est balayé par une vague technologique, apportant avec elle un énorme potentiel d’innovation sanitaire. Dans de nombreux pays, la cybersanté est en train de révolutionner la prestation des soins de santé ainsi que l’information sanitaire requise à cet effet. Les patients deviennent de plus en plus autonomes parce qu’ils ont accès aux informations et aux conseils. La qualité des soins s’améliore en conséquence, mais cette situation remet en cause le rôle traditionnel des professionnels de santé». En effet, notre système de santé doit faire face au vieillissement de la population, à l’augmentation des maladies chroniques et à la complexité des pathologies. Un nombre toujours plus important de différents professionnels de santé est impliqué dans la prise en charge d’un patient, ce qui nécessite des changements dans les processus thérapeutiques. Les technologies numériques investissent aujourd’hui de plus en plus ce champ et permettent sans nul doute de répondre à cette nouvelle évolution. Elles offrent un fort potentiel d’amélioration de la qualité du suivi, renforcent la sécurité du patient, favorisent la collaboration des professionnels, facilitent l’échange d’informations entre ceux-ci et le patient et in fine, permettent une plus grande efficacité du système de santé.

Europe, un engagement clair et des efforts à poursuivre

Le rapport paru en mars 2016Note bas de page révèle que 93% des États membres de l’Union européenne (42 pays) ont consacré des fonds publics aux programmes de cybersanté. 81% (35 pays) déclarent que leurs organisations de soins de santé utilisent actuellement les médias sociaux pour promouvoir les messages de santé dans le cadre de campagnes sanitaires. 91% (40 pays) indiquent que les personnes et les communautés ont recours aux médias sociaux pour s’informer davantage sur les questions de santé.

Ces chiffres révèlent l’intérêt témoigné au rôle potentiel des médias sociaux comme mode de communication à l’adresse des patients et des professionnels de santé. Néanmoins, 81% des États membres déclarent ne disposer d’aucune politique nationale régissant l’utilisation de ceux-ci dans les soins de santé qui, par conséquent, reste informelle et non réglementée. De la même façon, 73% des États membres (33 pays) ne disposent pas d’un organisme chargé de la surveillance réglementaire des applications mobiles dans le domaine de la santé afin d’en garantir la qualité, la sécurité et la fiabilité. Les pays sont donc exposés à un risque potentiel, là où 80% d’entre eux ont pourtant légiféré dans le domaine de la protection de la confidentialité des données personnelles contenues dans les dossiers de santé électroniques.

Le rapport conclut en soulignant l’engagement des États membres en faveur de la cybersanté, qu’il considère comme facteur-clé dans l’accès aux services et informations de santé en Europe, de la même manière que dans le processus de collecte, de gestion et d’utilisation des données. Il propose une structure de gouvernance précise en vue de superviser, entre autres, la mise en œuvre, la législation, les registres cliniques et la protection juridique. Il plaide enfin pour la définition des normes de la cybersanté et pour un financement durable permettant de continuer à investir dans ce champ afin de réaliser les objectifs de la politique Santé 2020.

Belgique, eHealth: une plateforme multi-services pour les professionnels et les patients

En Belgique, lorsque l’on parle de cybersanté, on songe naturellement à la plateforme eHealthNote bas de page, instituée par la loi du 21 août 2008. Il s’agit d’une institution publique créée afin d’instaurer un échange sécurisé de données à caractère personnel relatives à la santé entre les acteurs des soins de santé. Cette plateforme propose gratuitement une série de services de base, qui offrent les garanties nécessaires en termes de sécurité des informations, de protection de la vie privée du patient et du prestataire de soins et de respect du secret médical.

Ainsi, la plate-forme eHealth a pour mission:

  • de promouvoir et de soutenir une prestation de services et un échange d’information mutuels électroniques bien organisés, entre tous les acteurs des soins de santé;
  • avec les garanties nécessaires en ce qui concerne la sécurité de l’information, la protection de la vie privée du patient et du prestataire de soins et le respect du secret médical.

Et de cette façon:

  • d’optimaliser la qualité et la continuité des prestations de soins de santé;
  • d’optimaliser la sécurité du patient;
  • de simplifier les formalités administratives pour tous les acteurs des soins de santé;
  • et d’offrir un soutien solide à la politique en matière de soins de santé.

En 2012, un premier Plan d’action e-Santé concret est établi pour 5 ans. Les résultats ne se font pas attendre puisque début octobre 2015, 1,93 millions de Belges avaient déjà donné leur consentement pour l’échange électronique de leurs données médicales entre prestataires de soins (ce chiffre était de 352 000 au début octobre 2014)Note bas de page. Durant le mois de juillet 2015, les prestataires de soins belges avaient échangé entre eux 3,7 millions de messages via la eHealthBoxNote bas de page sécurisée (contre 2,5 millions en juillet 2014). Et chaque mois, les prestataires de soins, essentiellement les pharmaciens, se renseignaient plus de 11 millions de fois sur la situation d’assurabilité de leurs patients.

Au vu de ce succès, en octobre 2015, le Plan d’action fédéral est actualisé par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Maggie De Block et ses huit collègues régionauxNote bas de page, qui s’engagent à exploiter de manière optimale les possibilités de l’e-Santé.

Les 10 missions du Plan d’action e-Santé

  1. Le développement d’une vision et d’une stratégie en matière d’eHealth.
  2. Déterminer des normes, des standards, des spécifications fonctionnelles et techniques et une architecture de base utiles en matière d’ICT.
  3. Enregistrer des logiciels pour la gestion de dossiers électroniques de patients.
  4. Concevoir, développer et gérer une plateforme de collaboration pour l’échange électronique de données sécurisé, ainsi que les services de base connexes.
  5. S’accorder sur une répartition des tâches et sur les normes de qualité et vérifier si les normes de qualité sont respectées.
  6. Promouvoir et coordonner la réalisation de programmes et de projets.
  7. Gérer et coordonner les aspects ICT de l’échange de données dans le cadre des dossiers électroniques de patients et des prescriptions médicales électroniques.
  8. Intervenir en tant que tiers de confiance pour le codage et l’anonymisation de données à caractère personnel relatives à la santé pour le compte de certaines instances énumérées dans la loi, à l’appui de la recherche scientifique et de la politique.
  9. Être le moteur des changements nécessaires en vue de l’exécution de la vision et de la stratégie en matière d’eHealth.
  10. Organiser la collaboration avec d’autres instances publiques chargées de la coordination de la prestation de services électroniques.

Ainsi, le Plan d’action actualisé comporte 20 points d’action concrets. Les principales adaptations par rapport à la première version sont:

  • un focus encore plus important sur la collaboration multidisciplinaire entre prestataires de soins: face au vieillissement et à l’augmentation des maladies chroniques, la collaboration entre les professionnels de santé est cruciale. Il est important qu’ils puissent communiquer facilement et rapidement à propos du patient et aient toujours accès à l’information médicale la plus récente. Les applications d’e-santé semblent parfaitement adaptées pour répondre à ces besoins;
  • le volet complètement nouveau concernant le «mobile health»: grâce à des applications et des appareils mobiles, les patients peuvent mieux suivre et faire suivre leur santé. C’est pourquoi un volet du plan d’action est entièrement dédié aux applications et appareils mobiles, à leur qualité et leur sécurité;
  • une attention particulière à la simplification administrative: l’un des objectifs est qu’à partir du 1er janvier 2018, tous les médecins généralistes puissent envoyer électroniquement l’attestation des soins donnés à la mutualité, ce qui fera progressivement disparaître les attestations vertes et blanches. Dans cette optique, le développement du service efact permettant la facturation électronique du tiers-payant via MyCareNet (entre le médecin généraliste et les mutualités) se répand peu à peu puisque 2000 médecins généralistes l’ont déjà utilisé au moins une fois (chiffres de février 2016);
  • des alternatives en cas de difficulté: le bon fonctionnement des e-applications est une autre préoccupation des prestataires de soins. Les acteurs concernés par l’e-Santé sont nombreux (mutualités, fournisseurs de logiciels, plateforme eHealth, plateforme MyCareNetNote bas de page, etc.). Une panne chez l’un d’eux peut avoir des conséquences sur l’ensemble du système. C’est pourquoi l’institution publique plateforme eHealth souhaite analyser chaque problème et pouvoir proposer des alternatives qui pourraient être activées si l’un des systèmes habituels ne fonctionnait pas bien. Par ailleurs, la plateforme eHealth a maintenant plusieurs médecins ‘relais’ experts en ICT dont le rôle est d’avertir immédiatement la plateforme lorsqu’un problème apparaît dans leur cabinet médical;
  • le patient comme copilote: les applications d’e-santé mobiles et autres contribuent à renforcer le rôle central du patient dans ses soins de santé. À partir du 1er janvier 2018, les citoyens pourront consulter leurs propres données médicales en ligne grâce au ‘personal health record’. Au moyen d’appareils mobiles et d’applis validés, ils pourront suivre personnellement des paramètres de santé (comme le pouls et la pression artérielle). Les patients chroniques pourront communiquer à distance avec leurs prestataires de soins. Les prestataires de soins auront quant à eux la possibilité de transmettre à leurs patients des informations digitales. Dans cette optique, l’objectif à terme est que les patients puissent participer encore plus activement à leurs soins et deviennent de véritables acteurs de leur santé;
  • partager l’information: l’une des conditions principales pour que l’e-santé soit une réussite est un échange d’information rapide, ce qui nécessite absolument que les patients donnent leur accord (leur consentement éclairé) aux prestataires de soins pour qu’ils puissent partager leurs données médicales. Le patient quant à lui a ainsi la certitude qu’il sera toujours traité sur la base des informations les plus récentes de son dossier médical. De plus, les doubles examens superflus peuvent être évités grâce à un échange électronique aisé des données médicales. Ainsi, le Plan d’action accorde une attention particulière à la sécurisation et au respect de la vie privée en matière de données médicales lors du partage d’information. Les données de santé sur un patient sont systématiquement cryptées. Il revient au patient de décider si ces données peuvent être partagées électroniquement et de manière sécurisée et, le cas échéant, entre quels prestataires de soinsNote bas de page.

Pour plus d’informations concernant le Plan d’action actualisé 2015-2018, consultez: www.plan-esante.be ouwww.plan-egezondheid.be/wp-content/uploads/Actieplan-eGezondheid-Plan-daction-eSante.pdfPour plus d’informations sur la plateforme eHealth: www.ehealth.fgov.be/fr/propos

Cybersanté et promotion de la santé

De nombreuses études étrangères ont déjà démontré le potentiel du média web en promotion de la santéNote bas de page. S’il permet d’augmenter la portée des actions de communication dans le domaine et permet de viser de manière précise un public donné, il permet aussi surtout de favoriser l’interactivité et la communication bidirectionnelle, si chère à la promotion de la santé.

Dans cette optique et dans une volonté de rester proches de leurs publics en constante évolution, les acteurs de la promotion de la santé francophone entrent progressivement dans l’ère numérique, réinventent leurs techniques de communication et d’intervention et innovent.

L’exemple d’aide-alcool.be

Lancé fin 2012 par les asbl Le Pélican (Bruxelles) et Le Centre Alfa (Liège), www.aide-alcool.be est un site d’informations et d’accompagnement en ligne, avec ou sans thérapeute, qui s’adresse à toutes les personnes en Belgique francophone se posant des questions sur leur consommation d’alcool ou celle d’un proche.

Au-delà du simple outil d’information, il permet également d’offrir à son public du soutien via deux programmes d’aide en ligne: le selfhelp, à réaliser de façon autonome et l’accompagnement, qui est quant à lui soutenu par un psychologue. Ces consultations se déroulent sous la forme de chats, par écrit, sans son ni image, d’une durée d’une heure, sur rendez-vous, avec le même psychologue et pendant maximum trois mois.

Cette nouvelle pratique demande de nouvelles réflexions et une adaptation constante des compétences des thérapeutes en ligne. Leur pratique clinique est également enrichie par ces suivis basés uniquement sur des échanges écrits.

Le site comptait en mai 2014 plus de 385.000 visites, près de 1400 personnes inscrites aux deux programmes d’aide proposés et plus de 1400 consultations psychologiques en ligne.

Un succès qui tient notamment au fait que le projet répond à une demande existante et vise en particulier les groupes les moins représentés dans les structures d’aide classiques, à savoir les femmes, les personnes en activité et les personnes d’un niveau d’éducation supérieur. En effet, l’anonymat, la possibilité de se faire suivre de chez soi et à un horaire compatible avec l’activité professionnelle et les responsabilités familiales sont autant de facteurs favorisant cette première démarche de soins. Ainsi, la complémentarité de ce projet par rapport au suivi traditionnel permet de s’adresser à des personnes qui n’avaient jamais osé pousser la porte d’un centre de soin.

Si le projet répond vraisemblablement à une demande du public lui-même, il semble aussi à la fois innovant et riche sur le plan intellectuel et relationnel pour les professionnels qui l’encadrent.

Ainsi, à l’instar d’autres pays européens, avec son Plan d’action ambitieux, la Belgique a ouvert des perspectives aussi importantes qu’intéressantes en matière de cybersanté. Perspectives auxquelles le secteur de la promotion de la santé est certainement sensible, grâce notamment à l’accent qu’il met sur la collaboration multidisciplinaire entre les professionnels et l’impact positif attendu sur la qualité des soins, mais aussi au développement, annoncé en 2018, de nouvelles technologies favorisant le renforcement du rôle central du patient en tant qu’acteur de sa propre santé.

Merci à Adélie Jonckheere pour sa relecture

OMS Europe, 2016.

En juillet 2016, 3,7 millions de Belges ont déjà donné leur consentement éclairé.

L’eHealthBox est un service proposé par la plateforme eHealth permetttant aux prestataires et aux administrations (hôpitaux, mutualités, etc.) de communiquer de manière sécurisée.

Jo Vandeurzen (Communauté et Région flamande), Maxime Prévot (Wallonie), Rudy Demotte (Fédération Wallonie-Bruxelles), Joëlle Milquet (Fédération Wallonie-Bruxelles), Guy Vanhengel (COCOM), Didier Gosuin (COCOM), Cécile Jodogne (COCOF), Antonios Antoniadis (Communauté germanophone).

Plateforme centrale orientée service, au profit des prestataires individuels et institutions, par laquelle des informations peuvent être échangées avec les mutualités, d’une manière simple, fiable et sécurisée.

Voir la campagne de l’Inami “Simplifiez-vous la santé (mai 2015).

Lire à ce propos, références et exemples dans l’ebook produit par l’asbl Question Santé: «Promotion de la santé et web 2.0. Réflexions et bonnes pratiques», Question Santé asbl, Février 2015.

Alice au Pays des Clopes

Le 30 Déc 20

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Alice au Pays des Clopes

Au-delà de la sensibilisation, le renforcement des compétences psychosociales des jeunes

Tweedle dee: «Achetez mes clopes, ce sont de bonnes clopes. Goût menthol! Goût fruité! Cacao! Il y en a pour tout le monde. Et sans âcreté, s’il vous plaît. La fumée passera dans vos petites bronches bien profondément! Bref, de la cibiche de compèt’!» Tweedle dum: «Non! Ce sont mes clopes les meilleures! Avec ou sans filtre! Classiques, bleues ou rouges! Tabac blond ou brun, de Virginie ou des Carpathes! Excellentes pour la santé! Elles ont été élevées en plein air, Madame! Nourries aux grains, Madame! 100 % naturelles, sans additifs!» Tels sont les mots de la première scène d’Alice au Pays des Clopes, la pièce de théâtre imaginée par une vingtaine d’élèves de l’internat Asty-Moulin à Namur, en collaboration avec le Service Prévention Tabac du FARES, après plus de 6 mois de travail et de réflexion…

En octobre 2015, l’internat Asty-Moulin à Namur sollicite l’antenne wallonne du Service Prévention Tabac du FARES récemment créée afin de mener un travail de fond sur la thématique du tabagisme, pour et avec les 230 internes (issus de technique, général et professionnel) qui y résident.

Le constat que dressent la direction et l’éducateur responsable les interpelle: parmi les jeunes, de plus en plus fument, de plus en plus tôt. À 12 ans déjà pour certains. Beaucoup arrivent non-fumeurs à l’internat mais, dès les premières semaines, par l’influence de leurs pairs, s’initient au tabac. Ceux qui fument déjà ont peu de limites, certains confient même fumer un paquet par jour.

La direction et les éducateurs sont préoccupés par cette situation, d’autant que leurs démarches pour circonscrire le phénomène – notamment l’aménagement d’un fumoir accessible selon certains horaires aux jeunes à partir de quinze ans ayant une autorisation parentale – ont montré leurs limites. S’ils gardent la volonté de ne pas interdire ni de stigmatiser la consommation, conscients du peu d’intérêt de ce type de démarche, en particulier dans un lieu de vie résidentiel, ils s’interrogent par contre sur la manière de sensibiliser leurs jeunes de manière durable mais aussi de pérenniser un projet de prévention au sein de l’établissement sans le concours systématique, année après année, d’un intervenant extérieur.

Un travail d’accompagnement et de co-construction

Avant de débuter le travail avec les jeunes, le Service Prévention Tabac du FARES souhaite sensibiliser l’équipe éducative à la problématique du tabagisme et des assuétudes en général ainsi qu’à diverses notions propres à la promotion de la santé.

À cet égard, l’accent est mis sur l’importance de la participation libre des jeunes au processus de prévention et sur l’intérêt de partir de leurs propres représentations et ressources. Ces premiers pas avec l’équipe se font autour du Parcours SansT Note bas de page, un outil pédagogique conçu pour animer des petits groupes mixtes de fumeurs et non-fumeurs autour de questions, témoignages et informations liés à la consommation de tabac, et ce à partir des expériences, opinions et savoirs de chacun.

Outre le partage de connaissances en matière de tabagisme et de promotion de la santé, l’idée sous-jacente est de permettre aux éducateurs de s’approprier le jeu afin de pouvoir eux-mêmes le réutiliser les années suivantes avec les nouveaux internes, le turn-over étant très important dans l’établissement (de l’ordre de 50% chaque année).

À l’issue de ce travail et après plusieurs réunions de concertation entre le FARES, la direction de l’internat, l’éducateur responsable et les éducateurs-référents, se précise la perspective de permettre aux jeunes d’être pleinement acteurs de la connaissance, de se situer au cœur du processus et de faire l’expérience, à titre personnel, de la mise en œuvre de leurs ressources propres: les compétences psychosociales, dont le recours permet aux participants de s’approprier intimement le savoir tout en prenant conscience de manière concrète des alternatives motivantes, positives et constructives à un comportement ressenti comme problématique. Le groupe de travail confirme son souhait de créer un véritable projet, durable et marquant pour les jeunes.

Ainsi, dans une optique motivationnelle, une liste d’activités créatives susceptibles de plaire aux internes est établie: atelier vidéo, théâtre, slam, musique, jeu de piste, peinture, émission radio et bien d’autres.

Sur cette base, un petit questionnaire est distribué aux 230 jeunes afin qu’ils puissent marquer leur préférence: «Un chouette projet va bientôt démarrer dans ton internat. Pour le mettre en place, on a besoin de ta participation! Peux-tu cocher les activités qu’il te plairait de réaliser avec d’autres internes dans le cadre de ce projet?» Les jeunes peuvent par ailleurs assortir cette liste de leurs propres idées d’ateliers.

La thématique n’y est pas frontalement annoncée afin de ne pas les décourager ou influencer leur choix; il s’agit de donner d’emblée une couleur ludique et interactive au projet et, la thématique, ils devront dès lors la découvrir à partir d’une énigme – une anagramme du FARES. Les jeunes se prennent au jeu, proposent des ateliers supplémentaires, font des recherches sur le net pour résoudre le ‘mystère’ de la thématique… Prometteur…

Quatre ateliers, un projet porteur

Au final, une vingtaine d’internes, de 11 ans à 18 ans, prennent part au projet, soit près de 10% de l’ensemble des jeunes de l’établissement! À l’issue du vote, quatre ateliers remportent le suffrage: le théâtre, la musique et le slam, la vidéo et l’atelier créatif.

Prenant une place centrale dans le projet, l’atelier théâtre sera finalement partiellement fusionné avec l’activité slam et musique. Un petit groupe d’une dizaine de jeunes prend en mains la conception d’une pièce sur le thème du tabagisme, pièce qui inclura donc en cours d’élaboration des passages chantés. En toile de fond, l’atelier vidéo/documentaire. Et, enfin, l’atelier créatif, lequel s’articulera avec la réalisation de la pièce…

Pour se familiariser avec le sujet, le Parcours SansT est à nouveau utilisé. Le FARES co-anime une séance avec les éducateurs auprès des participants de l’atelier vidéo/documentaire, histoire que les jeunes puissent s’approprier les bases théoriques afin de se lancer dans leur reportage. À l’issue de cette animation, une liste de questions d’interview est dressée avec les jeunes. Les échanges sont riches, les jeunes du groupe aux profils très diversifiés (garçons et filles, de 11 ans à 18 ans, fumeurs réguliers et occasionnels, non-fumeurs et ex-fumeurs) partagent leurs expériences, offrent des témoignages très personnels et apprennent beaucoup les uns des autres. Les éducateurs, jouant la carte de l’horizontalité, se livrent eux aussi. Une autre séance Parcours SansT est prise en charge par le personnel éducatif auprès des trois autres groupes.

Les ateliers peuvent véritablement commencer! Ils se dérouleront de manière hebdomadaire, en soirée. Lors d’une réunion de ‘remue-méninges’ entre les jeunes de l’atelier théâtre, le FARES et les éducateurs, l’idée vient à l’une des participantes de s’inspirer des personnages fantasques du célèbre dessin animé de Walt Disney ‘Alice au Pays des Merveilles’. Elle a tout vu et tout lu sur le sujet, à commencer par l’œuvre originale de Lewis Carroll. Le groupe décide d’attribuer un profil de fumeur à chaque personnage.

Absolem, la chenille sera la fumeuse de chicha, dévastée par ses effets ravageurs, révoltée contre le système qui pousse à la consommation et entraîne la dépendance («Vous voyez, pour moi, c’est déjà trop tard. Je suis trop accro (…) Chaque chicha que je fume c’est 52 cigarettes dans le coco. Je ne sais presque plus respirer. (…) Mais, les autres, vous pouvez encore les aider!»); les jumeaux Tweedle dee et Tweedle dum seront deux revendeurs de tabac, cherchant à recruter à tout prix de nouveaux clients; le lièvre et le chapelier fou quant à eux, formeront un couple dont l’un des deux, fumeur passif, a contracté un cancer suite à la consommation incontrôlée de son partenaire («Ah, à propos, j’ai retrouvé ton poumon dans l’escalier tout à l’heure!»); Alice sera une non-fumeuse, fragile face à la pression de tous les personnages qu’elle rencontre et qui la poussent à la consommation, dont le groupe des trois fleurs pour lesquelles seuls les fumeurs sont dignes de considération («Vous savez comment on part d’ici?», «On ne te le dira qu’à une condition, jeune fille… Tire une taffe, et on te montrera le chemin… Qu’elle est pathétique! Regardez–là jouer à la grande fille! C’est qu’il faut être comme nous, les vraies fumeuses, fantastique pour être copine avec les toxiques!»); tandis que la Reine de Cœur symbolisera l’industrie du tabac, avec les cartes à jouer, ses fidèles sujets, consommateurs convaincus et serviables («Mmmh, bien, je détecte une bonne odeur de tabac… Encore une consommatrice qui va m’enrichir et me dédier sa vie….»).

Le groupe rédige ainsi le scénario, crée les personnages, leur invente une histoire, imagine leurs costumes. Dans une perspective de collaboration, d’échange des compétences et de co-construction, le texte fait quelques allers-retours entre le groupe des jeunes et le FARES, ce dernier le relisant et nourrissant les dialogues avec des éléments de contenu propres à la thématique.

Les jeunes de l’atelier théâtre travaillent main dans la main avec ceux de l’atelier créatif, lesquels ont pour mission de réaliser les décors et accessoires. Ainsi, ils sculptent, peignent et découpent tasses géantes pour le thé, cigarettes de la taille d’un être humain, cartes à jouer à l’effigie d’une grande marque de l’industrie du tabac, etc. Enthousiastes face aux idées de leurs congénères, ils se prêtent au jeu et souhaitent même tenir un rôle dans la pièce. Ce phénomène d’émulation touche par ailleurs les jeunes de l’atelier vidéo/documentaire qui, eux aussi, feront finalement partie du casting d’Alice.L’attention attirée par cet élan créatif collectif, deux jeunes internes passionnées de chant se proposent de rédiger une chanson pour la pièce sur le thème des risques liés au tabagisme pour l’une, et sur l’influence des pairs en matière de consommation pour l’autre. Ces chansons sont intégrées sans difficulté dans le scénario des premiers et voilà leur pièce qui devient, l’espace d’un instant, comédie musicale, le tout sous la lentille attentive de la caméra des jeunes inscrits dans le groupe vidéo.

Ceux-ci sont responsables de la réalisation d’un making-of de la pièce de théâtre, de même que d’un micro-trottoir sur le thème du tabac. Suite au temps de partage et de sensibilisation avec l’équipe du FARES, c’est au cœur de Namur, dans leur famille et dans leur internat qu’ils réalisent ce travail. L’idée sous-jacente est que le projet puisse rayonner dans l’établissement au-delà des quatre groupes de jeunes directement impliqués. D’une part, les participants mobilisent leurs camarades et éducateurs en les interviewant sur la thématique et, d’autre part, le matériel produit pourra être réutilisé les années suivantes, avec d’autres jeunes, pour amorcer d’autres activités sur le thème. La pièce de théâtre est également filmée dans cette optique.

Pendant ce temps-là, les férus de slamNote bas de page, quant à eux, ont l’opportunité de travailler le thème avec l’ancien champion de Belgique de slam, Théo Eloy aka JakBrol, venu pour l’occasion. Pour les inspirer, l’équipe du FARES de Namur leur propose de visionner ensemble le DVD éducatif ‘Résister à l’industrie du tabacNote bas de page mettant en évidence, comme son nom l’indique, les agissements manipulateurs de Big Tobacco. Un chouette moment de rencontre et de partage pour ces internes, et l’ouverture à une approche critique de la thématique. Là aussi, l’objectif est de mobiliser certaines des compétences psychosociales des jeunes.

D’autres, ne participant pas directement au projet, ont l’occasion, lors de l’une de leurs projections hebdomadaires, de visionner le film grand public ‘Révélations’Note bas de page. Basé sur des faits réels, il relate l’histoire d’un scientifique américains travaillant pour le compte de la compagnie de tabac Brown & Williamson (Russel Crowe) et d’un journaliste d’investigation (Al Pacino). Ils ont fait éclater ensemble l’un des scandales les plus retentissants de l’histoire du tabac en dénonçant comment les plus gros manufacturiers de tabac, qui connaissaient depuis longtemps les effets dévastateurs de leur produit, décidèrent d’en sous-estimer les dangers.

À la fin de l’année scolaire 2016, dans la salle de théâtre du Collège de Saint-Servais, c’est très soudés et quelque peu angoissés que l’ensemble des jeunes investis dans le projet jouent leur représentation parés de leurs plus beaux costumes, chantent des textes de leur cru et présentent le making-of émouvant de tout leur travail.

Leurs efforts sont chaleureusement applaudis par leurs congénères venus pour l’occasion, leur direction, leurs éducateurs et leurs parents. Certains des jeunes présents parmi le public viennent ensuite les trouver pour échanger avec eux et leur faire savoir comme ils ont été interpellés par le contenu de leur travail!

Au-delà de la sensibilisation

Après la représentation, des idées d’approfondissement émergent déjà chez les éducateurs porteurs du projet dans l’internat, là où les mêmes ne voyaient pas comment aborder la problématique difficile de la consommation de tabac par les jeunes en début de processus… Ce sont des professionnels fiers de leurs jeunes, satisfaits de l’effort accompli et demandeurs de renouveler ce type d’expérience que nous retrouvons. Mais aussi un groupe de jeunes soudés, fiers de ce qu’ils ont produit et quelque peu frénétiques… Une véritable cohésion est née entre eux.

À la rentrée scolaire 2016-17, le FARES recontacte l’éducateur responsable afin d’évaluer les possibilités d’apporter une suite au projet. Celui-ci témoigne du fait que, dès le premier jour de la rentrée, plusieurs jeunes impliqués l’année précédente sont venus le trouver, très demandeurs de réitérer l’expérience…

Au-delà de la sensibilisation à la problématique du tabagisme, ce projet aura permis de travailler de nombreuses compétences chères à la promotion de la santé et que l’on sait être des facteurs de protection vis-à-vis des assuétudes, telles que la pensée créative et critique, la communication et la coopération (entre jeunes et avec les référents éducatifs), la prise de décision, la gestion du stress et des émotions, l’estime de soi, le sentiment d’efficacité personnelle et bien d’autres encore. Mais aussi, la collaboration avec le FARES a été l’occasion pour l’internat Asty-Moulin de mener plus loin la réflexion sur la gestion du tabagisme et de faire évoluer en son sein les mentalités par rapport à la consommation de tabac.

Le Service Prévention Tabac du FARES et la promotion de la santé

Créée en 1986, l’équipe du Service Prévention Tabac met depuis 30 ans ses compétences au service des professionnels-relais des secteurs de l’éducation, de la santé et du social. Les actions de coordination, de sensibilisation, de diffusion, de formation et d’animation en matière de prévention et d’aide à la gestion du tabagisme s’inscrivent dans une perspective de promotion de la santé.

Ainsi, le service outille les professionnels de l’éducation, de la santé et du social afin qu’ils puissent intégrer et soutenir des projets de prévention dans leur pratique. Il remplit cette mission par:

  • l’accompagnement dans la mise en place de projets de prévention à destination des jeunes, des adultes-parents et des familles;
  • le développement de savoirs et compétences en matière de promotion de la santé: modules de formation et ateliers découverte;
  • la guidance documentaire dans le choix de livres, articles, brochures, outils et supports pédagogiques du centre de documentation du FARES.

Pour en savoir plus sur le Service Prévention Tabac du FARES: https://www.fares.be/fr/tabac-nos-activites/.
Ou sur ses activités en promotion de la santé : https://www.fares.be/fr/tabac-jeunes-et-tabac/.

Antenne bruxelloise: rue de la Concorde 56 – 1050 Bruxelles. Tél.: 02 518 18 66.
Antenne wallonne: rue Château des Balances 3bis – 5000 Namur. Tél.: 0474 57 17 15.
Ou par courriel: prevention.tabac@fares.be.

Pour découvrir l’outil, consultez le site de PIPSa ou celui du FARES pour les dates de formation programmées à ce sujet.

Dans la pratique, le slam est une forme moderne de poésie qui allie écriture, oralité et expression scénique. Art d’expression orale populaire, il se pratique généralement dans des lieux publics, sous forme de scènes ouvertes et de tournois. Les slameurs déclament, lisent, scandent, chantent, jouent des textes de leur cru sur des thèmes libres ou imposés.

La Fondation contre le Cancer et l’e-cigarette

Le 30 Déc 20

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La Fondation contre le Cancer et l’e-cigarette

Comment l’utiliser à bon escient?

La nouvelle réglementation en matière d’e-cigarette permettra de mieux encadrer la vente de ce produit. À cette occasion, la Fondation contre le Cancer lance un film qui répond à certaines questions et donne la parole à des témoins. En outre, elle propose désormais de l’information sur ce thème sur le site de Tabacstop www.tabacstop.be/e-cigarette .

Moins nocive que la cigarette classique

L’ensemble des experts estime aujourd’hui que la cigarette électronique est moins nocive pour la santé que la cigarette classique. La grande différence entre la cigarette classique et l’e-cigarette se situe au niveau de la combustion.

Lors de la combustion d’une cigarette classique, de nombreuses substances toxiques se libèrent (monoxyde de carbone, formaldéhyde, benzène, goudrons…). Ces substances augmentent le risque de développer un cancer ou des maladies cardiovasculaires. Par contre, lors de l’utilisation d’une e-cigarette, il y a une production de vapeur mais pas de combustion. On trouve une série de substances chimiques dans les e-liquides, mais grâce à l’absence de combustion, il n’y a pas de production de goudrons, qui sont à l’origine de nombreux cancers.

La Fondation contre le Cancer souligne que cet avantage n’est effectif que s’il y a un abandon total de la cigarette classique. En outre, elle souligne que l’incertitude demeure au niveau des risques à long terme de l’e-cigarette sur la santé. La prudence reste donc de mise. Comme l’indique le Conseil Supérieur de la Santé dans un avis rendu en octobre 2015: «Il existe encore peu d’utilisateurs de longue durée et, par conséquent, pas assez d’études à long terme pour pouvoir tirer des conclusions solides».

La cigarette électronique peut-elle jouer un rôle au niveau de l’arrêt tabagique?

La Fondation contre le Cancer rappelle que le premier conseil à donner aux fumeurs est d’arrêter de fumer. Si le fumeur n’y arrive pas seul, le deuxième conseil est de chercher de l’aide. La meilleure aide qui existe actuellement est un accompagnement par un tabacologue ou un médecin, combiné avec des moyens d’aide dont l’efficacité a été prouvée, comme par exemple des médicaments, des patchs ou des sprays. Ces moyens d’aide permettent de limiter les symptômes de sevrage. Si ces méthodes ne fonctionnent pas ou si le fumeur les exclut, l’e-cigarette avec nicotine peut offrir une alternative. L’objectif est le même qu’avec les substituts nicotiniques médicamenteux: diminuer les doses de nicotine progressivement afin de déshabituer le cerveau en douceur. L’e-cigarette peut donc jouer un rôle, mais il vaut toujours mieux donner la priorité à l’accompagnement et aux aides classiques.

Protéger les non-fumeurs

Par ailleurs, la Fondation contre le cancer met en garde sur un autre point. Il convient de protéger les personnes n’ayant jamais fumé de e-cigarette. La Fondation craint en effet que la cigarette électronique n’engendre un nouvel effet de mode. En outre, elle se méfie particulièrement de l’industrie du tabac, qui investit actuellement dans ce marché. S’agit-il d’une nouvelle stratégie pour attirer les jeunes par ce biais vers le tabagisme? D’autre part, si l’industrie du tabac mettait consciemment sur le marché des e-cigarettes moins efficaces, cela pourrait empêcher sa clientèle de rompre avec la dépendance au tabac.

Vous pouvez visionner le film (d’une durée d’un peu moins de 7 minutes) ici : https://youtu.be/MdP1VcwQgeE

Vous trouverez plus d’infos sur le site www.tabacstop.be/e-cigarette

Partage et application de connaissances (PAC)

Le 30 Déc 20

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Partage et application de connaissances (PAC)

L’itinéraire incertain des connaissances issues de la recherche

Pour élaborer un projet territorial en prévention et promotion de la santé, les décideurs locaux auraient tout à gagner à s’appuyer sur les enseignements issus de la recherche en santé publique, notamment ceux qui explicitent les ressorts des inégalités sociales et territoriales de santé ainsi que les modalités d’interventions visant à les réduire.

Le font-ils? Trop peu, juge une équipe de chercheurs appartenant au Département des Sciences humaines et sociales de l’École des Hautes Études en Santé Publique de Rennes (EHESP) et ses collaborateurs de l’Université de Montréal. Aussi ces chercheurs, emmenés par l’enseignante-chercheur Jeanine Pommier, ont-ils bâti un projet de recherche dédié à cette problématique, qu’ils ont baptisé RICAPNote bas de page (Recherche et intervention: collaboration entre chercheurs et acteurs des politiques).

Leur objectif: étudier les conditions nécessaires au partage et à l’application des connaissances en santé publique entre chercheurs et acteurs de politiques locales. Ces travaux, démarrés en 2013, ont fait l’objet d’une journée d’échange et de production collectiveNote bas de page le 7 octobre dernier à l’EHESP. Trente personnes y ont participé. Parmi elles se trouvaient des acteurs de la recherche mais aussi des techniciens de santé publique ou de promotion de la santé, des décideurs politiques, associatifs et institutionnels, des ingénieurs d’études et une poignée de professionnels des médias et éditeurs en santé publique.

PAC: de quoi parle-t-on?

Qu’on se le dise: ce PAC-là n’a rien à voir avec la Politique agricole commune! Il s’agit de son homonyme masculin: Partage et Application de Connaissances, un concept qui désigne l’ensemble des fonctions et des processus qui visent à améliorer la manière dont les connaissances sont partagées et appliquées pour apporter des changements efficaces et durables. Il se fonde sur trois stratégies complémentaires: informationnelle, relationnelle et systémique.

La première – informationnelle – consiste à sensibiliser les acteurs au moyen de notes de synthèse, dossiers de connaissances, infographies, bases de données qui sont autant d’outils utiles à la collecte, au stockage et à la communication d’informations pour en faciliter l’accès et l’utilisation.

La deuxième – relationnelle – revient à mobiliser les acteurs, créer du lien entre eux et les faire collaborer en vue de coproduire des connaissances via les réseaux sociaux, des plateformes collaboratives ou des communautés de pratique par exemple.

La troisième enfin – systémique – vise à développer les capacités de tous, acteurs politiques et chercheurs, en vue d’une meilleure intégration des connaissances dans les pratiques des uns et des autres. Ca, c’est pour la théorie.

Trois années de recherche

Le projet RICAP s’inscrit dans ce cadre conceptuel avec la volonté d’interroger chacune des trois stratégies du PAC. Son coordinateur, Anthony Lacouture, est doctorant en santé publique et science politique. Il s’est d’abord employé à décrire le PAC au moyen d’une revue de la littérature internationale sur le transfert de connaissances.

Puis il a lancé deux études portant sur les dispositifs de collaboration entre chercheurs et décideurs en santé publique dans trois régions françaises. Par dispositifs de collaboration, il faut comprendre recherches interventionnelles, recherches action, participatives ou évaluatives ou encore évaluations d’impact en santé (EIS). «Dans la première de ces études», rapporte-t-il, «l’objectif a été d’étudier les conditions facilitantes ou limitantes du PAC entre chercheurs et acteurs des politiques.» Ces deux-là n’évoquent pas les mêmes facteurs, on s’en doute. Trois dispositifs de collaboration, en Bretagne, en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, ont ensuite été sélectionnés pour être passés au crible et comprendre pourquoi et comment ceux qui s’y impliquent produisent des connaissances et favorisent leur utilisation en faveur de la santé des populations. Ce travail est toujours en cours et sera au coeur de la thèse universitaire d’Anthony Lacouture.

Mais ce n’est pas tout car le projet RICAP s’intéresse plus particulièrement à la trajectoire de la connaissance à l’échelle de l’intercommunalité. C’est pourquoi les chercheurs se sont ensuite employés à questionner des élus et des techniciens de communes et d’intercommunalités sur la manière dont ils mettent en oeuvre les trois stratégies du PAC. Enfin, ils ont rencontré 19 d’entre eux en Bretagne, soit onze élus et huit techniciens pour étudier dans le détail avec eux la question des conditions nécessaires à l’utilisation des données issues de la recherche en matière de prévention et promotion de la santé.

Trois années de recherche ont ainsi permis à Anthony Lacouture de collecter quantité de données, de discours et de constats, matériau à partir duquel il a extrait une série de propositions d’actions pour optimiser la mobilisation, le partage, la production ou l’utilisation des connaissances au sein des territoires lors de l’élaboration d’un projet en prévention et promotion de la santé.

État de l’art sur le transfert de connaissances

Le jeune chercheur en était là quand s’est tenue la journée de travail du 7 octobre. Les participants réunis dans l’amphithéâtre savaient à quoi s’en tenir: leurs cerveaux seraient mis à contribution pour discuter les actions proposées, en imaginer de nouvelles et sélectionner quelques priorités qu’il leur faudrait ensuite rendre opérantes au moyen de fiches actions. Pas de quoi effrayer les professionnels de santé publique ayant répondu à l’invitation de l’EHESP, habitués à de telles méthodes de travail et aux allers-retours entre séances plénières et travaux de groupe.

En préambule et une fois le programme et les enjeux de la journée présentés par Jeanine Pommier, ce sont les chercheurs québécois qui ont pris la parole les premiers pour brosser un rapide portrait du transfert de connaissances, autrement plus étudié outre-Atlantique qu’en France.

Á travers ses mécanismes efficaces et ses facteurs d’influence d’abord, par la voix de Christian Dagenais, professeur de psychologie à l’Université de Montréal et directeur de l’équipe RENARD dédiée précisément au transfert de connaissances. “ Le profil de l’utilisateur, son expertise, ses habilités et ses compétences propres comptent bien entendu, a-t-il expliqué. Mais ce ne sont pas les seules influences. Les caractéristiques liées à l’environnement et aux structures organisationnelles du décideur et du chercheur lui-même entrent aussi en ligne de compte.’

Puis Valéry Ridde, professeur de santé publique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, a évoqué quelques-uns des outils qu’il a lui-même mobilisé pour faire connaître ses travaux sur les politiques de santé en Afrique de l’Ouest aux décideurs locaux: infographies élaborées à partir de données probantes, caricatures, vidéos, recours au théâtre de rue, notes de politique (policy briefs en anglais) incluant des recommandations opérationnelles pour l’action ou encore blog alimenté avec le concours d’écrivants, journalistes ou pas. ‘Mais attention, prévient-il, il n’existe pas d’outil miracle qui marche à tous les coups. Le transfert de connaissances reste un processus complexe. »

Ces constats et éléments de réflexion étant posés, les participants se sont mis au travail. Objectif: discuter en groupes de la pertinence des quinze actions proposées, réparties selon les quatre processus du PAC – mobilisation, partage, production et utilisation des connaissances – et ses trois stratégies citées plus haut – informationnelle, relationnelle, systémique.

Par exemple et pour ne citer que deux actions avec l’espoir de ne pas rendre cet article complètement indigeste: ‘Développer le lobbying et la fonction d’interpellation des élus par les élus et autres acteurs pour créer une culture commune dans le temps’. Ou encore: ‘réaliser un support permettant de présenter les modalités de recherche en prévention et promotion de la santé pour favoriser leur appropriation par les acteurs des politiques’.

Dans les groupes, les langues se sont déliées doucement, chacun cherchant le point d’entrée faisant écho à sa pratique professionnelle. Sur le volet mobilisation des connaissances existantes, plusieurs initiatives ont été citées en exemple, notamment celle du Centre national de formation de la fonction publique (CNFPT) intitulée e-communauté en santé publique. Le démarrage de cette plateforme d’échange entre chercheurs, acteurs et décideurs sur des questions de santé publique est prévu en décembre 2016Note bas de page.

S’agissant de la production de nouvelles connaissances, une poignée de participants a judicieusement fait remarquer que le début de mandat d’un élu n’est pas le meilleur moment pour initier des collaborations avec les chercheurs dans la mesure où sa prise de fonction l’accapare déjà beaucoup. D’autres ont pointé le fait que conditionner les appels à projet de recherche à un partenariat entre les équipes de recherche, les citoyens et les décideurs est un levier simple et puissant.

Quid des stratégies pour diffuser les connaissances localement? Le concept ‘Ma thèse en 180 secondes’, qui consiste à présenter une recherche et ses enjeux en trois minutes chrono à un public lambda, pourrait être inspirant. Plusieurs personnes ont également plaidé pour une co-construction des connaissances, au travers notamment de la recherche interventionnelle, jugeant que les acteurs de terrain se les approprient ensuite mieux que les données issues du seul travail des chercheurs et fournies par eux.

A voté!

Invité à formuler eux-mêmes des nouvelles pistes d’actions, l’ensemble des groupes en a livré seize en mesure, selon eux, d’optimiser la mobilisation, la production et le partage des connaissances. Ils sont en revanche restés cois sur l’axe ‘utilisation de ces connaissances’. Puis l’amphithéâtre a pris des allures de bureau de vote. Les participants étaient invités à choisir parmi toutes ces propositions (31 au total) pour n’en retenir que quatre, une par processus du PAC, qu’ils estimaient prioritaires. Un vote tout ce qu’il y a de plus moderne via internet et au moyen du smartphone, de la tablette ou de l’ordinateur portable que chacun avait pris soin d’apporter.

Les résultats, disponibles en un rien de temps, ont révélé un certain consensus autour de deux processus, plébiscitant les actions suivantes: ‘penser un dispositif territorial souple et fluide pour faire connaitre d’une part, les recherches menées et d’autre part, les problématiques auxquelles sont confrontés les acteurs des politiques et les actions qu’ils mettent en oeuvre pour y faire face’ (axe mobilisation) et ‘créer des modalités d’accompagnement et de soutien des acteurs des politiques pour favoriser l’utilisation des connaissances scientifiques’ (axe utilisation).

Sur les deux autres axes, les votes étaient plus dispersés. Lors de la dernière séquence de travail, quatre groupe ont investi quatre salles avec pour consigne de bâtir chacun une fiche action correspondant à une action prioritaire. Á défaut d’action prioritaire évidente, le groupe avait la liberté de travailler sur la proposition de son choix et de formuler lui aussi un ou plusieurs objectifs, d’identifier des porteurs potentiels de l’action, de la décrire, de pointer leviers, contraintes et points de vigilance.

Le temps était limité, le travail collectif quelque peu hésitant. Néanmoins, la restitution des travaux en plénière a révélé l’existence de quatre ébauches bien amorcées, que les chercheurs investis dans le projet RICAP ont confirmé vouloir exploiter pour la suite de leurs travaux sur le PAC en prévention et promotion de la santé à l’échelle des territoires.

L’oeil du novice

Lionel Larqué n’est ni décideur politique, ni acteur de santé sur le terrain, ni chercheur en santé publique. Il a pourtant assisté à toute la journée de travail, pris part aux discussions de groupe, au vote et à la rédaction des fiches actions. Il a surtout écouté attentivement chacune des interventions, affichant de temps à autre un sourire entendu voire surpris. Á la ville, il est physicien-océanographe et directeur général d’ALLISS (Alliance Sciences Société), un réseau associatif d’acteurs militant pour un meilleur dialogue entre sciences et société.

Á la scène ce jour-là, il s’est livré à un exercice de bousculade intellectuelle en exprimant sans détour ce que les échanges de la journée lui avaient laissé comme impressions. Il y a plusieurs éléphants dans le couloir qui sont autant d’implicites et de non-dits que vous auriez tout intérêt à rendre explicites. Cela rendrait vos discours et vos intentions plus audibles. Le primat du soin et du médicament par exemple. Vous sous-entendez que c’est un problème mais sans l’exprimer clairement. Vous semblez aussi considérer que la société agit raisonnablement et que la force des données probantes guide les acteurs dans leurs décisions. Mais ce n’est pas ainsi que cela se passe. Les décideurs ont eux-mêmes une vision du monde et vont tout faire pour ignorer ce que vous avez à leur dire. C’est en sortant des non-dits pour construire une vision commune des problèmes que vous avancerez.

Lionel Larqué réfute l’usage du terme ‘transfert de connaissances’. Pensez-vous vraiment que les connaissances ne circulent que dans un seul sens ou qu’elles ont intérêt à cela?. Autre bataille à mener selon Lionel Larqué: celle de la langue et de la médiation du courant scientifique produit. Il ne s’agit pas de parler latin à votre Église mais d’être compris par le peuple!

Pour lui, les questions de recherche ne peuvent émerger que si elles ont d’abord eu l’occasion d’incuber et de se confronter à différents paradigmes. ‘Cela revient notamment à se demander qui pose la question, comment, en quels termes exactement? C’est le mininum éthique du partage de connaissances.’

Nul doute que cette remise en question un brin déstabilisante aura fait mouche dans l’assistance…

Ce que la géographie peut pour le dépistage du cancer du sein

Pour l’association française ‘Élus, santé publique & territoires’ (ESPT) qui regroupe plus de 60 villes, il est évident que les élus locaux ont la capacité, et aussi le devoir, d’agir sur les inégalités sociales et territoriales de santé.

Mais comment faire pour les en convaincre et les inciter à passer à l’action? S’emparant de la problématique du dépistage du cancer du sein en Île-de-France, l’association a noué un partenariat acteurs-décideurs-chercheurs avec deux équipes universitaires de géographes de la santé et les acteurs de santé régionaux. Leur but: s’inscrire dans une logique de coproduction d’une connaissance scientifique utilisable pour l’action publique.

Depuis 2010, ils s’emploient à effectuer des diagnostics locaux de santé à l’échelle infra-communale, c’est-à-dire quartier par quartier. Les données sont recueillies par les différents acteurs du champ de la santé agissant pour la prévention du cancer du sein sur ces territoires, puis les scientifiques et leurs étudiants élaborent une cartographie des disparités de participation au dépistage, complétée par une enquête qualitative visant à expliquer les variations observées d’un quartier à l’autre. Á ce jour, une cinquantaine de communes franciliennes se sont prêtées au jeu. Les résultats de cette recherche n’ont pas vocation à demeurer confidentiels: une plateforme régionale baptisée Géodépistage recense toutes les études. Les partenaires s’emploient également à suivre et faire connaître les retombées opérationnelles sur le terrain.

Pour en savoir plus: https//villesetsante.com

Bientôt une plateforme française de ressources en santé publique?

InSPIRe-ID est le pertinent acronyme d’une initiative française originale et prometteuse. En version longue, cela donne: Initiative en Santé Publique pour l’Interaction de la Recherche, de l’Intervention et de la Décision.

Il s’agit ni plus ni moins d’un dispositif de transfert et de partage de connaissances en santé publique à l’échelle du pays, en construction depuis quelques années à l’EHESP sous la houlette de Linda Cambon, Laurent Chambaud et François Petitjean. De nombreuses données existent sur les interventions probantes ou prometteuses en prévention et promotion de la santé: ce qui marche, à quelles conditions, etc. Mais, constatent-ils, elles ne sont pas travaillées pour être facilement accessibles aux professionnels. De fait il y a plusieurs obstacles tels que le coût, la langue, la traduction en synthèses et en référentiels d’action.’

L’idée consiste donc à créer une plateforme collaborative de ressources ouverte aux chercheurs et aux opérateurs en santé publique, qui recense, valorise et mutualise les données utiles et utilisables par les uns et les autres, propose appui et expertises pour la recherche et l’utilisation des données probantes et encourage la recherche interventionnelle.

L’autre caractéristique du projet est de réunir au sein de son comité de pilotage dix institutions et agences de santé publique françaises parmi les plus influentes tels que la Direction générale de la Santé, la Société française de santé publique, Santé Publique France ou encore l’Institut national du cancer, auxquels s’ajoute une douzaine de partenaires tout aussi incontournables. Une gageure en somme.

Début 2016, le projet était sur les rails et semblait bien parti. Un état des lieux des dispositifs existant en France et pouvant permettre d’alimenter à court ou moyen terme la future plateforme était remis à François Petitjean et concluait à la nécessité d’offrir des services à forte valeur ajoutée.

Anthony Lacouture, doctorant au sein du projet RICAP, a pour sa part bouclé une étude qui passe en revue les dispositifs mis en oeuvre à l’étranger auprès des décideurs pour favoriser le recours aux données sur des interventions probantes ou prometteuses dans le champ de la prévention et de la promotion de la santé. Seulement voilà: depuis cet automne, la belle initiative boit la tasse. InSPIRe ID est aujourd’hui suspendu’, a annoncé Linda Cambon aux participants à la journée d’échange et de production autour du projet RICAP, laissant entendre que des querelles de chapelle pour savoir qui s’attribuerait la paternité du dispositif étaient à l’origine de la noyade. Pour autant, a-t-elle ajouté, les travaux se poursuivent entre la SFSP, l’EHESP et l’Institut Renaudot dans le but de structurer un outil commun pour l’évaluation des actions en santé publique.’ Ce dernier n’a pas encore de nom. Du reste, il n’en aura peut-être jamais. ‘Le naufrage d’InSPIRe-ID a commencé quand nous avons baptisé le dispositif’, glisse Linda Cambon.

Présentation et actualités du projet RICAP sont disponibles sur son site internet.

Cette journée était organisée par l’EHESP en collaboration avec le Réseau français des Villes-Santé de l’OMS, l’Association Élus, santé publique et territoires, la chaire REALISME et l’équipe RENARD.

L’article a été rédigé mi-novembre (ndlr).