On parle souvent de la (poly)médication chez la personne âgée. Toutefois, la question relative à la manière dont les seniors se représentent le moment où l’on prescrit leurs médicaments est plus rarement posée.
Il nous a, dès lors, semblé nécessaire de dialoguer avec les premiers concernés afin de mieux comprendre la relation qu’ils entretiennent avec leurs médecins et avec leurs médicaments. Dans le cadre d’une étude qualitative, des entretiens individuels ont été menés avec cinq seniors âgés de 62 à 77 ans.
Partant de questions prédéfinies et au regard des thèmes émergents lors des rencontres, le contenu de chaque entretien a été réparti en cinq sous-thèmes :
Le vécu de la relation avec le médecin généraliste
La prescription : avant, pendant, après
Le degré de confiance vis-à-vis du médecin
La place de tiers (pharmacien, internet…)
Le médecin idéal
Les seniors interviewés se sont accordés à dire que le médicament n’est pas la seule réponse qu’ils attendent du médecin. Ils ont souvent des idées concernant leur traitement, même si parfois, ils n’osent pas les exprimer. Certains affirment même avoir essayé d’en discuter mais ne pas s’être sentis suffisamment écoutés :
« Je ne veux pas le déranger parce qu’il y a des gens qui attendent… Ça fait partie des conventions de la vie, des contraintes que l’on se crée soi-même… Je ne peux pas dire qu’il regarde l’heure mais je suppose que c’est un rythme qu’il a adopté et qui consiste à faire des RDV de plus ou moins un quart d’heure. » (Éloïse, 76 ans).
Pour eux, le médecin reste la source d’information privilégiée en ce qui concerne les maladies et le traitement médicamenteux sur prescription mais la majorité consomme aussi des médicaments sans ordonnance sur l’avis du pharmacien.
Même s’ils partent du principe que le médecin « sait ce qu’il prescrit », leur attitude est moins résignée en ce qui concerne la prise de médicaments à long terme. En effet, la majorité des seniors ont déjà arrêté des médicaments de leur propre chef ou se sont adressés au généraliste pour en stopper certains qu’ils prennent de manière chronique mais qu’ils ne considèrent plus nécessaires.
À première vue, leur discours pourrait renforcer l’idée qu’ils mettent leur médecin sur un piédestal. Celui-ci correspond surtout à leur représentation sociale de la profession médicale car chacun porte en soi l’image d’un médecin « idéal ». Quand ils développent ces idées au sujet de leur propre médecin, leur discours prend une autre tournure :
« J’ai vraiment envie de changer, vu son âge. Je le trouve vieux… Je me dis que ce n’est peut-être pas prudent de continuer à y aller… Depuis qu’il a vieilli, quand je lui dis que j’ai mal quelque part, il me répond que lui aussi… Un jour je vais lui dire que j’ai mal à l’utérus pour voir ce qu’il répondra !… Le jour où je sentirai que j’ai vraiment un problème de santé, je changerai de généraliste. » (Ange, 72 ans).
La démarche des seniors interviewés ne se limite pas à la demande de renouvellement d’un « abonnement » médicamenteux. Ils prennent aussi l’initiative d’aller voir leur généraliste pour mettre à jour leur DMG, pour se faire vacciner, pour demander une prise de sang… En revanche, ils ont l’impression que le renouvellement d’un « abonnement » médicamenteux provient plutôt de leur médecin :
« Tous les médicaments que je prends sont prescrits par des spécialistes et quand j’en ai besoin parce que je tombe en panne, elle me donne des prescriptions… sept médicaments au total… Mon généraliste trouve bien tous les médicaments que je prends… Elle ne conteste pas… » (Françoise, 67 ans).
En outre, la majorité considère que leur médecin n’a pas, à certains moments, assumé complètement son rôle ou qu’il s’est trompé :
« Il y a un truc qui m’a interpelée. Je lui ai apporté mon dossier médical mais il ne l’a pas regardé. Il m’a envoyée voir le cardiologue… pour un examen de routine… Le spécialiste m’a dit que c’était plus qu’une routine ! Je n’ai pas trouvé ça sérieux… J’ai été un peu refroidie avec cette histoire… Je lui laisse le bénéfice du doute. » (Lucie, 77 ans). De plus, certains seniors témoignent d’un manque ou d’une perte de confiance vis-à-vis des médecins en général :
« Je lui fais confiance dans l’ensemble mais il ne faut pas oublier qu’il est seulement généraliste… Il faut avoir un généraliste et il n’y a pas de médecin parfait… Le médecin généraliste est un mal nécessaire. »
(André, 62 ans).
Les seniors interviewés prônent un mode relationnel (plus) symétrique, de type coopération-partenariat ou autonomie-facilitation, y compris en termes de prescription médicale. Ce type de relation médecin-patient peut se construire seulement si le médecin comprend les besoins mais également les demandes latentes du patient.
Nous avons vu que le temps consacré au patient est un sujet sensible et il est important qu’il ne se sente pas expédié. La disponibilité du médecin n’est pas non plus un point à négliger : elle permet au patient de se sentir reconnu, compris, accompagné. Le patient attend de son médecin qu’il lui montre toute la valeur qui lui est accordée. C’est au médecin d’aider le patient à s’exprimer en toute liberté, à l’impliquer dans la stratégie thérapeutique et à lui donner la place qu’il mérite en tant que partenaire de soins.
Il est vrai que pour certains patients, les actes médicaux sont assimilés à des produits de consommation et le médecin doit subvenir à tous leurs besoins. Le rôle du médecin n’est pas de « faire plaisir » au patient à tout prix mais de le reconnaître dans toute sa complexité, ses ambivalences, ses contradictions… Le patient ne veut pas être perçu comme un organe mais comme ce qu’il est : une entité à part entière.
L’acte de prescrire n’est pas un acte anodin. Chaque prescription renvoie le patient « à ses représentations imaginaires, qui viennent recouvrir les explications rationnelles du médecin… C’est en interrogeant le malade sur ses représentations, en partant de son point de vue, que le médecin peut accéder au sens que le malade donne à une maladie, un symptôme, à une thérapeutique ». Dans une relation qui devient facilement asymétrique et en termes de prescription médicale, le médecin se doit d’adopter des pratiques qui visent à favoriser l’empowerment de ses patients seniors. Une prise de conscience non seulement des médecins mais aussi des seniors est nécessaire afin de mener à bien cette démarche.
Découvrez l’étude complète : « Comment les seniors vivent-ils la relation avec leur médecin ?
I. Moley-Massol. Relation médecin-malade : Enjeux, pièges et opportunités Situations pratiques. Le Pratique, Da Te Be Éditions
Courbevoie, 2007.
Pour des informations sur la méthodologie : Étude Espace Seniors : Comment les seniors vivent-ils la relation avec leur médecin ?
La prescription : avant, pendant et après…
Disponible sur : https://www.espace-seniors.be/Publications/Etudes/Pages/seniors-medecin.aspx
La Plate-forme bruxelloise « Pratiques communautaires en santé mentale » rassemble les services de santé mentale qui associent des approches communautaires à leur pratique clinique. Elle entend aujourd’hui mettre en place des outils d’évaluation à même de sensibiliser les pouvoirs publics.
«Des traumas infantiles, qui n’en a pas ?» Question rhétorique. Question cruciale. Question que pose aujourd’hui la Plate-forme «Pratiques communautaires en santé mentale» qui rassemble dix services de santé mentale (SSM) bruxellois.
Dans une ère de «santémentalisation», la souffrance psychique n’est-elle pas trop souvent attribuée à des éléments de l’histoire personnelle, sans considération pour l’intrication étroite de cette histoire avec les grandes lignes de force qui traversent nos sociétés ?
Comment comprendre la souffrance psychique d’une femme sans considérer la réalité de la domination masculine ? Celle d’un migrant sans son parcours d’immigration ? Comment croire que la précarité n’impacte pas, nécessairement et singulièrement, la santé mentale des individus ?
«À travers nos consultations, nous sommes fréquemment amenés à rencontrer des personnes envoyées chez le psychologue ou le psychiatre par des tiers (professionnels et/ou entourage du patient) sans en avoir émis la demande ou pour qui la consultation en psychothérapie ou d’autres formes de soins psychiques n’a pas nécessairement de sens. Elles expriment un mal-être diffus, parfois une plainte psychosomatique, le plus souvent une souffrance liée à une grande solitude, un manque de reconnaissance ou un sentiment profond de dévalorisation. Par ailleurs, pour certains, consulter un professionnel des soins psychiques ne renvoie pas à un habitus culturel familier. Le face à face avec le « psy », le travail thérapeutique ne semble pas convenir», explique ainsi la Plate-forme.
Mise en place en 2009 à l’initiative du SSM Le Méridien, le Collectif souhaite attirer l’attention sur ce complexe jeu d’influences entre histoire intime et déterminants sociaux. L’objectif ? Interpeller les professionnels, mais aussi les pouvoirs publics sur la nécessité d’une telle approche. « Nous souhaitons faire reconnaître, mais aussi financer la santé communautaire que nous estimons complémentaire à l’approche clinique », explique Nathalie Thomas, psychologue au Méridien. « Dans le contexte actuel de l’État social actif qui fait endosser aux individus la part la plus grande de la responsabilité face aux difficultés rencontrées, les approches communautaires font entendre les voix de la crise psychologique qui lamine les êtres au cœur de la vie sociale et familiale », estime le Collectif.
De la conscientisation à la contextualisation
Nées dans la ferveur militante des années 60, les pratiques communautaires sont dès le départ intégrées aux SSM (Services de santé mentale) : elles disparaissent ensuite de certains services dans les années 80 et 90 pour ne retrouver leur place que plus tard, dans un contexte où les «précarités multiples» encouragent une pratique du « care» en complément du « cure». Concrètement, elles se traduisent par la mise sur pied de groupes d’individus, rassemblés autour d’une proximité géographique, d’un intérêt, d’une trajectoire.
C’est le Groupe des hommes des Marolles, lieu d’accueil et d’échanges informels qui a débouché sur plusieurs initiatives citoyennes. Le Projet Moudawana, rassemblant des femmes marocaines et développé en 2005 à l’occasion de la réforme du code marocain de la famille. L’atelier théâtre pour femmes développé par le SSM Exil. Le groupe des parents latino-américains ou encore la «pause-café» du SSM Le Méridien, qui réunit des habitantes de Saint-Josse.
Basées sur un rapport horizontal (autant que faire se peut) entre professionnels et usagers, un ancrage dans les quartiers et une attention particulière aux processus collectifs, les pratiques communautaires prennent de multiples visages. Leur point commun ? Travailler à partir des ressources et non des manques ou de la pathologie.
« Cela n’empêche pas d’établir des ponts avec la clinique. Plusieurs femmes de la pause-café ont consulté au Méridien à un moment donné », explique Nathalie Thomas. « Ce sont souvent elles qui sont venues me trouver pour me demander de faire le relais. Parfois, quand je sens que quelqu’un va vraiment mal, c’est moi qui lui en parle. Il m’arrive aussi d’accompagner la personne lors de la première consultation. À l’inverse, certaines personnes commencent par consulter et on leur parle ensuite des groupes, par exemple lorsqu’elles vivent une problématique d’isolement.»
Dans le contexte actuel de l’État social actif (…) les approches communautaires font entendre les voix de la crise psychologique qui lamine les êtres au cœur de la vie sociale et familiale.
Depuis 1986, l’OMS propose cette définition de la santé communautaire : « un processus par lequel les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissant en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités ».
Autant de pratiques qui se situent dans le continuum de l’éducation populaire développée par Paulo Freire en Amérique latine il y a plus d’un demi-siècle, cette « pédagogie des opprimés » qui visait alors l’émancipation des individus et de la communauté en dehors des systèmes éducatifs institutionnels et des savoirs académiques.
« La notion de conscientisation utilisée par Paulo Freire fait un peu peur aujourd’hui, car elle évoque un certain militantisme ou même une sorte de manipulation », explique Nathalie Thomas. « Mais l’importance de comprendre le contexte social dans lequel on évolue demeure ! Comprendre dans quel jeu on joue, quels sont les rapports de force, les différents niveaux de pouvoir en Belgique : ce sont des choses qui permettent aux gens de ne pas se sentir comme des marionnettes. Cela permet de sortir de la plainte, du fatalisme ou de la victimisation », poursuit-elle.
Évaluer les pratiques communautaires
Aujourd’hui, ces pratiques sont pourtant rendues difficiles par les nombreuses demandes auxquelles doivent déjà répondre les SSM. Elles ne bénéficient d’aucun cadre de financement spécifique puisqu’elles ne figurent pas dans les missions décrétales des SSM, au contraire des maisons médicales ou des centres d’action globale (CASG).
« Aujourd’hui, sur 22 SSM bruxellois, 10 font partie de la Plate-forme. Nous aimerions que nos collègues nous rejoignent mais, en même temps, on ne peut pas leur donner envie de faire du communautaire si les moyens ne suivent pas », explique Nathalie Thomas.
La situation est tout aussi critique en Wallonie où le décret santé mentale contraint désormais les pratiques communautaires à entrer dans un dispositif de « club thérapeutique ». « La Région wallonne n’encourage pas les pratiques communautaires au sein des SSM, même si ceux-ci peuvent mettre en place des partenariats avec d’autres structures autour de telles initiatives », confirme-t-on au Centre de référence en santé mentale (CRéSaM), actif sur la région wallonne.
La Plate-forme travaille donc aujourd’hui de manière active à l’évaluation de ces pratiques, ce qui pourrait permettre d’appuyer leurs revendications. « L’amélioration de la santé mentale est toujours multifactorielle. Il est très difficile d’affirmer que celle-ci est liée à une pratique communautaire. On s’oriente donc plutôt vers des démarches qualitatives. Nous sommes en train de construire des indicateurs : est-ce que le groupe m’a permis de mieux connaître le quartier ? Les ressources ? Prouver qu’une pratique communautaire a permis d’éviter une dépression ou de prendre moins d’antidépresseurs est impossible. Mais nous pouvons montrer de manière rigoureuse et scientifique comment elle a eu un impact sur l’empowerment, la citoyenneté, l’estime de soi – autant de facteurs de santé mentale », explique Nathalie Thomas.
En terme de prévention et de promotion de la santé mentale, le communautaire aurait donc toute sa place. « Ce ne sont pas des groupes thérapeutiques. Mais que le groupe ait des effets thérapeutiques, je le crois. Ne fût-ce que parce que cela permet de sortir de la solitude », ajoute Nathalie Thomas.
Trop souvent encore, ces pratiques semblent pourtant faire l’objet d’un malentendu auprès des pouvoirs subsidiants. « Malheureusement, l’intérêt qu’on leur porte est parfois lié à des objectifs économiques dans le sens où, dans un groupe, nous voyons 10 patients sur le temps où, en consultation, nous en verrions un seul… Mais ce n’est pas comme ça que nous concevons les choses » pointe la psychologue du Méridien. Pour autant, la généralisation des «précarités multiples» tout comme l’actuelle réforme 107 tendent à conférer une nouvelle pertinence à ces pratiques. De même que les enjeux majeurs et reconduits autour du communautarisme, dont un des antidotes serait… le communautaire.
« Par rapport aux années 60, l’action collective est souvent rendue plus difficile. Elle demande beaucoup d’énergie à des personnes qui sont déjà souvent dans de multiples démarches, que ce soit pour leur logement, le chômage, etc. Avec la question qui demeure quant à l’efficacité des actions. Beaucoup se demandent aujourd’hui s’il n’est pas plus efficace d’aller à la permanence d’un échevin de manière individuelle plutôt que de mener une action à l’échelle du quartier.
Car le politique, il faut le dire, joue souvent le jeu de l’individuation. C’est parfois plus facile pour eux de répondre à X demandes individuelles que d’amener une mesure répondant aux besoins d’une population », estime encore Nathalie Thomas.
«Ensemble, on est plus fort» ? Si ce n’est pour prendre le pouvoir, du moins pour en comprendre les arcanes.
La santé repose sur trois piliers principaux: le niveau d’activité au sens le plus large, la qualité de la nutrition et du sommeil. Les armées américaine et canadienne l’ont bien compris en choisissant cette triade comme fondement de la santé et de la productivité des militaires et de leur famille.
Comme on passe un tiers de sa vie à dormir, sur la vie entière le sommeil est l’activité qui occupe le plus de temps si on compare le temps de sommeil au temps consacré aux autre activités. Selon l’American Time Use Survey, durant la période de la vie consacrée à l’activité professionnelle, les Américains travaillent en moyenne 430 minutes par jour et dorment 467 minutes (Barnes et al. 2012). Le sommeil est donc bien l’activité prépondérante durant l’existence mais quel impact le sommeil peut-il avoir sur les autres activités?
La plupart des professionnels de la santé ont été formés pour atténuer ou guérir les maladies et leurs séquelles. Leurs champs d’intervention s’inscrivent pour l’essentiel en aval des maladies. Le sommeil n’y échappe pas. Il peut être utile de renverser la perspective traditionnelle en médecine et de s’interroger non sur les principales maladies du sommeil comme l’insomnie ou le syndrome des apnées du sommeil et leurs conséquences mais plutôt sur les éléments constitutifs de la santé du sommeil. Cette façon de voir est opérante pour la prévention primaire.
La santé du sommeil peu ou mal définie. Cela n’a rien d’étonnant quand on connaît la difficulté de cerner le concept plus large de santé. Habituellement, en français, une bonne nuit de sommeil est suivie d’un état où le sujet se dit frais et dispos (fit and well en anglais) pour la journée qui commence mais cette affirmation n’est qu’un élément subjectif.
Selon Buysse (2014) la santé du sommeil peut être caractérisée selon 5 dimensions mesurables:
durée du sommeil c’est-à-dire quantité de sommeil obtenue en 24h;
continuité du sommeil ou efficience: facilité à tomber endormi et à se rendormir;
moment adéquat (timing): positionnement adapté du sommeil dans les 24h;
vigilance/somnolence: capacité à soutenir l’attention;
satisfaction/qualité: évaluation subjective du ‘bon’ ou ‘mauvais’ sommeil .
À partir de là, on obtient la définition suivante de la santé du sommeil: «un processus multidimensionnel fait de sommeil et d’éveil adapté à l’individu, aux exigences sociales et environnementales qui favorise le bien-être physique et mental.Une bonne santé du sommeil est caractérisée par une satisfaction subjective, un moment et un timing appropriés, une efficience élevée, une vigilance soutenue durant les heures d’éveil» (Buysse, 2014).
La durée moyenne d’une nuit satisfaisante pour la santé est estimée à 7-8h tant pour les hommes que les femmes à rôles égaux alors qu’une durée supérieure à 9h ou inférieure à 6 h ou moins est néfaste et s’accompagne de pathologies telles que maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète de type 2, immunodéficience, troubles respiratoires et augmentation de la mortalité de toutes causes (e.a. cancers, accidents, suicide) (Kripke et al. 2002; Watson et al. 2015).
Comportements quotidiens et habitudes
Comportements qui réduisent le besoin de dormir au moment du coucher
• activité insuffisante durant la journée
• se reposer durant la journée alors qu’on n’est pas fatiguéHabitudes liées au sommeil
• faire des siestes, somnoler durant la journée ou la soirée
• être semi-éveillé durant la soirée
• dormir beaucoup les week-ends.
Comportements qui perturbent la régularité du rythme veille-sommeil
• exposition insuffisante à la lumière le matin entraînant un retard de phase
• exposition trop précoce à la lumière le matin avec avance de phaseHabitudes liées au sommeil
• horaires de sommeil irréguliers
• sommeil matinal les week-ends.
Comportements qui augmentent le niveau d’éveil, gênent l’endormissement et perturbent le sommeil
• fumer durant la soirée
• consommation excessive de caféine pendant la journée ou après 17h
• consommer de l’alcool le soir
• faire de l’exercice tard le soir
• dernier repas trop tard ou trop de liquide ingéré (peut causer un reflux-gastro-oesophagien ou des mictions fréquentes)
• rentrer tard le soir, traînasser avant de se mettre au lit• être exposé à la lumière bleue des écrans (TV, ordinateurs, tablettes, téléphone…) plus de 2h avant l’heure du coucher
Habitudes liées au sommeil
• appréhension durant la soirée quant au sommeil durant la soirée («Je vais encore mal dormir!»
• pas de routines avant le sommeil (par exemple : prendre une collation légère ou une tisane, se brosser les dents, faire un brin de toilette, lire en dehors de la chambre, écouter de la musique douce, se relaxer…)
• parler au lit de choses stressantes
• au lit : regarder la TV, lire, s’engager dans des comportements incompatibles avec le sommeil avant d’éteindre les lumières, tomber endormi avec la radio ou la TV
• faire des efforts pour s’endormir
• regarder l’heure durant la nuit
• rester au lit durant les éveils nocturnes prolongés ou rester longtemps éveillé au lit le matin
• dormir dans un environnement de sommeil inadéquat: partenaire qui ronfle, bruits, lumière vive le matin ou animaux dans la chambre.
Adapté de Yang CM, Spielman AJ, Glovinsky PB. (2008) Nonpharmacologic strategies in the management of insomnia. Psychiatr Clin North Am 2006;29(4):900; with permission, in Glovinsky A. et al. Nonpharmacologic strategies in the management of insomnia, rationale implementation, Sleep Medicine Clinics, Vol. 3. N°2. (traduit par Guy Adant).
Si l’insomnie transitoire peut bénéficier d’un traitement pharmacologique, on ne peut, sauf exception, soigner une insomnie chronique avec des médicaments (somnifères et/ou anxiolytiques).
Le traitement de référence est un traitement psychologique fondé sur une approche cognitivo-comportementale. Il consiste d’abord à analyser l’insomnie en fonction d’antécédents immédiats (les événements diurnes qui précèdent le problème), d’en répertorier les conséquences pour l’insomniaque et son entourage et de prendre en compte les antécédents historiques (histoire de l’insomnie, caractéristiques personnelles).
Cette analyse est généralement complétée par la tenue d’un agenda de sommeil et par des réponses recueillies grâce à des questionnaires validés.
Le traitement proprement dit consiste à fournir à l’insomniaque d’une part des moyens de lâcher-prise et d’autre part rectifier les croyances erronées à propos du sommeil pour dissiper toutes les fausses interprétations.
Ce traitement est basé sur des niveaux de preuves depuis 1994.
GA
La santé du sommeil repose sur plusieurs éléments interdépendants: une journée active mais sans excès si possible en partie à l’extérieur où l’activité est modulée par des périodes de repos, une bonne gestion du stress, des croyances réalistes et un ensemble de comportements favorables au sommeil (Adant, 1996).
Il est intéressant de noter que dans la gestion quotidienne du temps, le sommeil comme les loisirs apparaissent négligés au profit du travail et des activités centrées sur la famille (aides aux enfants, ménage, préparation des repas) spécialement dans le genre féminin et chez les cadres.
Plus le temps de travail et le temps consacré à la famille sont importants plus le temps alloué au sommeil diminue et l’inverse est également observé (Barnes et al. 2012). On ne mesure probablement pas assez les effets pernicieux d’un manque de sommeil et ses conséquences sur les activités humaines. Sait-on, par exemple, que le manque d’une seule nuit de sommeil aura la même conséquence sur la coordination oculo-manuelle le matin qu’une consommation d’alcool à la limite légale (Killgore, 2010)? Ou que la somnolence au volant est responsable à elle seule de 29% des accidents mortels sur les autoroutes françaises entre 2010 et 2014 alors que la baisse de la vigilance intervient pour 41%? (A.S.F.A, 2015).
Les effets du manque de sommeil
Les effets de la restriction de sommeil ont été bien étudiés surtout pour la restriction de sommeil à court terme.
La restriction de sommeil à court terme a été étudiée de façon expérimentale (par exemple, une nuit de sommeil ordinaire suivie d’une nuit sans sommeil ou encore six nuits de 4h suivies par six nuits de 10h) et montre des effets sur la tolérance au glucose, une augmentation de l’activité du système nerveux sympathique, de plus hauts taux de cortisol en soirée et une réduction de sécrétion de leptine (une hormone qui contrôle le mécanisme de satiété) ainsi qu’une augmentation de la protéine C-Réactive (CRP, un marqueur sanguin de l’inflammation) et une augmentation de la pression systolique.
La restriction de sommeil à long terme ou restriction chronique augmente le risque de maladies cardio-vasculaires et de diabète de type 2 (Alvarez et al. 2004).
L’étude de cohorte Nurses’ Health Study a révélé que les femmes qui ont des troubles du sommeil (insomnie), du ronflement, un sommeil inférieur à 6 h, des apnées du sommeil ou un travail posté présentent quatre fois plus de risque d’avoir un diabète de type 2 (Yanping et al, 2016). Chez des individus d’âge moyen, le syndrome métabolique (obésité abdominale, taux de glucose élevé à jeun, hypertension artérielle, taux bas de cholestérol HDL, élévation des triglycérides) augmente entre 48 et 83% selon que l’on se situe dans la catégorie des courts dormeurs ou des longs dormeurs comparés à ceux qui dorment entre 7 et 8h par nuit.
Le syndrome métabolique prédispose au diabète de type 2 ainsi qu’aux maladies cardiovasculaires (Jennings et al. 2007).
La restriction chronique de sommeil provoque des déficits neuro-comportementaux si de manière répétée la nuit de sommeil est plus courte que 7h. Il s’agit de dysfonctionnements cognitifs: instabilité, réduction de l’attention et de la mémoire de travail. Toutefois il existe d’importantes variations interindividuelles, ce qui suggère peut-être que cette vulnérabilité dépend aussi d’un facteur génétique (Banks, 2007). Les effets du manque de sommeil sur les cognitions sont en étroit rapport avec l’exécution des activités humaines et ces effets touchent presque toutes les fonctions cognitives.
Le temps de réaction aux tests de vigilance psychomotrice est diminué et cela ne concerne pas seulement le cas d’un manque total de sommeil. Un déficit de quelques heures de sommeil au-delà de deux semaines a déjà des répercussions négatives. La tomographie par émission de positrons (TEP) montre que le manque de sommeil est associé avec une réduction de l’activité métabolique dans les régions du cortex pré-frontal, du cortex cingulaire, du thalamus, des noyaux gris centraux, du cervelet: toutes régions cérébrales essentielles dans les processus d’attention, de gestion de l’information et des fonctions exécutives.
À noter que les effets de la privation de sommeil sur la vigilance sont modérés par l’âge, les sujets plus âgés y étant moins affectés.
La perception visuo-spatiale est aussi altérée, ce qui indique que le déficit de sommeil diminue particulièrement l’activité de l’hémisphère cérébral droit. Une simple nuit blanche suffit pour réduire la sensibilité visuo-spatiale lors d’une tâche visuo-spatiale sur ordinateur. Le déficit de sommeil se répercute également sur la gestion des émotions et d’autres processus cognitifs comme la mémorisation et la prise de décision. Une seule nuit sans fermer l’oeil se traduit par un changement d’humeur et des cognitions négatives comme une plus grande intolérance à la frustration.
Le sommeil agit à la fois sur l’encodage, la consolidation et l’intégration des informations, processus essentiels dans la mémorisation. La mémoire déclarative (épisodique et sémantique) est surtout diminuée en cas de privation de sommeil. Alors que la pensée convergente et la déduction logique ne sont pas touchées la pensée divergente l’est: le déficit de sommeil affecte la créativité (Killgore, 2010).Une bonne santé du sommeil est essentielle pour être créatif.
Toute activité humaine, même la plus humble, peut bénéficier de créativité à travers sa planification et sa réalisation (Adant, 2011).
Les troubles du sommeil
Le trouble du sommeil le plus fréquent dans la population française comme dans la population belge est l’insomnie chronique. Cette maladie concerne 19% des adultes (Gourier-Fréry, 2008). L’insomnie a des conséquences importantes non seulement sur la qualité de vie mais aussi sur l’activité professionnelle. Les insomniaques seraient deux fois plus souvent absents au travail (Léger, 2011).
Le deuxième trouble le plus courant est le syndrome des apnées du sommeil (S.A.S) souvent sous-diagnostiqué. Le S.A.S. touche entre 24 % des hommes et 9% des femmes entre 30 et 60 ans. La somnolence diurne induite est estimée entre 3 à 7% pour les hommes et 2 à 5% des femmes (Garvey et al. 2015). L’impact de la somnolence a surtout été mis en évidence dans les accidents de la route mais il est hautement probable que la somnolence affecte les activités professionnelles, les activités domestiques et les loisirs.
Dans une population de sujets en bonne santé aux USA, il ressort qu’une durée de sommeil inférieure à 7 heures en semaine entraîne des difficultés dans les activités diurnes et davantage chez les femmes. Les effets sont principalement des difficultés de concentration liées à la somnolence ou la fatigue suivies par des problèmes de mémoire ainsi que des difficultés pour travailler ou réaliser des activités de loisir (Wheaton et al. 2011).
Il est intéressant de noter que si l’activité (physique) a un effet favorable sur le sommeil, cet effet est bi-directionnel.
Les adultes qui se plaignent d’un sommeil de mauvaise qualité sont moins actifs, présentent des apnées du sommeil et ont moins de capacités cardio-respiratoires que ceux qui ne s’en plaignent pas. Paradoxalement, améliorer la qualité du sommeil par exemple en traitant les apnées par pression positive continue (CPAP) n’a pas d’effet sur le niveau d’activité de la journée (Kline, 2014). La santé du sommeil influence également, comme on peut s’y attendre, les performances académiques. 49.462 étudiant(e)s américain(e)s ont été interrogé(e)s à propos de la santé de leur sommeil.
Les résultats indiquent d’abord que les étudiants qui avaient un bon sommeil pratiquaient une activité physique modérée à intense régulièrement ainsi que de la musculation, se sentaient moins épuisés ou jamais épuisés, n’avaient pas mal au dos, ne travaillaient pas en dehors de leurs études et n’étaient pas anxieux. Chez les étudiantes, la santé du sommeil était meilleure chez celles qui pratiquaient une activité physique modérée à intense ainsi que de la musculation, se sentaient moins épuisées ou jamais épuisées, n’avaient pas de relations physiquement ou psychologiquement abusives, ne fumaient pas, ne connaissaient pas de biture express, n’avaient pas eu de fractures osseuses, ne travaillaient pas ni ne faisaient pas du bénévolat, ne consommaient pas de marijuana et ne se sentaient pas tristes.
Ces résultats montrent qu’une bonne santé du sommeil chez les étudiant(e)s est associée avec de meilleures performances académiques quoique l’index de masse corporelle (BMI) soit le meilleur prédicteur de bons résultats avant la santé du sommeil (Becker, Orr & Quilter, 2008). Ceci souligne qu’il ne faut pas perdre de vue qu’un mauvais sommeil favorise l’obésité (Bjorvan et al. 2007).
Holfeld & Ruthig (2014) dans une étude longitudinale sur deux ans portant sur 426 sujets américains âgés entre 60 et 100 ans et vivant de façon indépendante dans la communauté du Midwestern étudient la relation bi-directionnelle entre la qualité du sommeil et le niveau d’activités physiques. Les auteurs de cette étude constatent que la somnolence diurne est prédictive de peu d’activités physiques après contrôle de l’âge et de l’indice de masse corporelle (BMI).
Après analyse statistique des variables en cause on note que le niveau d’activités physiques des aînés dépend de la qualité du sommeil préexistant et non l’inverse. Hood et al (2004) ont examiné les relations entre l’exposition à la lumière, le niveau d’activité diurne et la qualité du sommeil dans un échantillon de 33 sujets âgés entre 65 et 85 ans. Les sujets étaient tous en bonne santé, vivant de manière indépendante, physiquement aptes et ne présentaient pas de pathologies susceptibles d’altérer leur sommeil. Ils n’étaient ni déprimés, ne présentaient pas de troubles cognitifs et ne prenaient pas de médication qui pouvait perturber leur sommeil. La qualité du sommeil était évaluée par le PSQI et la Morningness Eveningness Scale.
À l’analyse des résultats les auteurs concluent qu’il existe une relation prédictive forte entre la qualité du sommeil mesurée par l’immobilité la nuit, l’activité diurne et l’exposition à la lumière naturelle ((≥ 3000 lux). Mais on ne peut déterminer si c’est la lumière qui favorise le sommeil ou si c’est la qualité du sommeil qui favorise un style de vie actif qui prédispose à une exposition à la lumière naturelle.
Conclusion
La santé du sommeil influence l’état de santé global de l’individu et a des conséquences multiples sur la qualité des activités humaines. Un bon sommeil bénéficie à la récupération physique et mentale comme d’ailleurs l’élémentaire bon sens le pressent. Comme l’état général est meilleur, la vitalité est plus grande et les fonctions psychomotrices et cognitives en tirent profit. Ceci rejaillit tout naturellement sur la qualité des activités scolaires, académiques, professionnelles et de loisirs. Chez les aînés, la santé du sommeil favorise les activités de temps libre, clés de l’équilibre bio-psycho-social et protège des symptômes dépressifs qui peuvent toucher de 15 à 50% des sujets selon le lieu de vie (Massoud, 2007).
La promotion de la santé du sommeil à tous les âges de la vie consiste principalement à susciter tous les comportements et toutes les attitudes bénéfiques à la santé générale et à l’hygiène du sommeil en particulier. Elle est essentielle pour conserver et augmenter la qualité des activités diurnes et limiter l’apparition des troubles du sommeil. Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît car cela implique généralement une remise en cause des habitudes et des comportements défavorables au sommeil observés chez les Occidentaux. Ne conviendrait-il pas de rendre à la santé du sommeil sa juste place?: «La médecine actuelle du sommeil se focalise sur l’évaluation du sommeil et ses troubles mais ce que les gens veulent réellement c’est un meilleur sommeil» (Buysse, 2014, p.15). Sacrifier le sommeil au profit de toutes les autres activités diurnes est contre-productif pour la qualité de ces mêmes activités.
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Avant une intervention chirurgicale, il est habituel de faire passer au futur opéré toute une batterie d’examens comme des analyses de sang et d’urine, un électrocardiogramme, une radiographie du thorax ou d’autres examens d’imagerie médicale. Ces examens sont censés détecter d’éventuels risques pour la santé du patient pendant ou après l’opération (risque opératoire). Mais ceux que l’on pratique sont-ils véritablement toujours nécessaires, notamment quand le patient ne présente aucun symptôme particulier?
Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a mis 15 examens classiques sous la loupe pour voir ceux qui sont (ou pas) à recommander en routine en cas de chirurgie non-urgente (à l’exception de la chirurgie cardiaque ou thoracique).
Des examens qui ont souvent peu de valeur ajoutée
Il y a trente ans, des études ont montré que les examens préopératoires ne contribuaient guère à faire baisser les risques pendant et après l’opération chez les patients qui ne présentaient aucun symptôme évoquant l’un ou l’autre problème de santé. Par ailleurs, les bénéfices de certains de ces examens ne contrebalançaient pas leurs inconvénients (par exemple, une irradiation lors d’un examen radiologique). De plus, cette étude avait mis en lumière d’importantes variations entre les pratiques des hôpitaux, qui ne pouvaient s’expliquer valablement par des raisons médicales.
Dans ses nouvelles recommandations cliniques, le KCE a analysé 15 examens préopératoires pour déterminer lesquels devraient (ou pas) être réalisés chez les patients (de plus de 18 ans) devant subir une intervention chirurgicale non urgente, à l’exception de la chirurgie cardiaque, pulmonaire ou de transplantation.
Pour ce travail, le KCE s’est basé sur des recommandations similaires tout récemment émises par ses collègues anglais du très réputé NICE (National Institute for Health and Care Excellence), en les complétant par une recherche dans la littérature scientifique. Les recommandations ont été développées en étroite collaboration avec les praticiens de terrain et les associations de patients.
7 examens recommandés dans certaines circonstances
En fonction de l’état de santé du patient et de la gravité de l’intervention, les tests suivants sont recommandés ou à envisager:
des examens cardiaques: électrocardiogramme de repos, échocardiographie de stress, scintigraphie myocardique;
des analyses de sang: formule sanguine complète, tests de la fonction rénale, test de coagulation;
une analyse d’urine.
La radiographie du thorax n’est pas recommandée
Le rapport du KCE énumère aussi une série d’examens qui ne sont jamais recommandés en routine si le patient ne présente aucun symptôme spécifique de l’un ou l’autre problème de santé particulier. Pourtant, ces examens sont encore régulièrement pratiqués avant une opération non urgente. Comme l’explique le Dr Joan Vlayen, auteur principal de l’étude du KCE, «un exemple typique est la radiographie de thorax. Cet examen n’a qu’une valeur prédictive très limitée quant au risque de complications pendant et après l’opération. Par contre, il expose le patient à des rayons X potentiellement nocifs.»
D’autres examens qui ne sont pas recommandés en routine sont l’échographie cardiaque de repos, l’angioscanner coronaire, les épreuves d’effort cardio-respiratoires, les épreuves fonctionnelles respiratoires (y compris la mesure des gaz du sang), les tests de sommeil (polysomnographie), la mesure de l’hémoglobine glyquée et les tests de la fonction hépatique.
Quelques exemples concrets
Une opération d’ablation des varices est prévue chez Madame N. (43 ans). Elle est en bonne santé. Aucun examen préopératoire ne doit être pratiqué.
M. L. (61 ans) souffre de diabète de type 2, bien suivi et bien équilibré avec de l’insuline. Il doit être opéré d’une hernie inguinale. Étant donné son traitement par insuline, il est recommandé de pratiquer chez lui un ECG de repos; l’exploration de la fonction rénale peut également être envisagée.
M. J. (68 ans) a une hypertension bien contrôlée par un médicament antihypertenseur de type inhibiteur de l’enzyme de conversion. Il doit subir une arthroscopie du genou. Étant donné son âge et le type de traitement antihypertenseur qu’il reçoit, il court un risque d’insuffisance rénale. Pour cette raison, on peut envisager de faire des tests de la fonction rénale, ainsi qu’un ECG de repos. Par contre, une radio de thorax ne présente pas d’intérêt chez lui et n’est donc pas recommandée.
Mme C. (51 ans) a une atteinte du foie due à sa consommation excessive d’alcool. Elle doit se faire placer une prothèse de genou. Il est recommandé de pratiquer chez elle des tests de la fonction rénale ainsi qu’une formule sanguine complète. On peut aussi envisager des tests de coagulation et une culture d’urine.
Mme M. (52 ans), fumeuse depuis toujours, a une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) sévère. On doit procéder chez elle à une hystérectomie totale. Il est recommandé de pratiquer des tests de la fonction rénale et une formule sanguine complète. Pour le suivi clinique de sa BPCO, on pourra également envisager une radiographie du thorax (mais ceci ne constituera pas, dans ce cas précis, un examen ‘de routine’).
M. S. (68 ans) porte un pacemaker mais sa fonction cardiaque est bonne (pas de décompensation). Il doit se faire placer une prothèse de hanche. On recommande des tests de la fonction rénale et une formule sanguine complète, et on peut également envisager un ECG de repos et une culture d’urine. Par contre, il ne sera pas nécessaire de pratiquer une échographie cardiaque ni une radio de thorax avant l’intervention.
Une ‘appli’ gratuite pour les médecins et les patients
Ces recommandations doivent contribuer à améliorer la qualité des soins et à une diminution des examens inutiles ou nocifs. Elles s’adressent à tous les praticiens concernés par la préparation d’une intervention chirurgicale et/ou par l’intervention elle-même (notamment les anesthésistes, chirurgiens, cardiologues, radiologues, biologistes cliniques, médecins généralistes). Elles peuvent également intéresser les patients et leurs proches, les directions d’hôpitaux et les décideurs politiques.
Le KCE suggère que le Conseil national de promotion de la qualité (CNPQ) fournisse aux hôpitaux belges, sur la base de recommandations publiées dans ce rapport, un ‘retour’ au sujet de leur recours aux examens préopératoires. Cela s’est déjà passé en 2004, sur la base des premières recommandations publiées par le KCE sur les tests préopératoires.
Le KCE a également développé une application pour tablettes, smartphones et PC reprenant les recommandations. Elle peut être téléchargée gratuitement via l’App store (iOS), Google play (Android) ou sur le site https://preop.kce.be.
La revue Éducation Santé a publié en novembre 2012 [1] un numéro spécial consacré à l’évaluation. Ce numéro se voulait résolument optimiste. Il montrait comment, au cours des trente dernières années, les modèles de référence en évaluation avaient évolué parmi les acteurs francophones de la promotion de la santé.
Au centre de ces évolutions, on retrouve l’engagement à promouvoir des démarches, des méthodes, des outils qui font la place aux points de vue des différentes parties prenantes, mais surtout qui ne se substituent pas in fine à la délibération et au choix collectif par celles-ci; et enfin qui n’oblitèrent pas les ‘démarches qualité’ menées par la diversité des acteurs.
Cet article se terminait sur le défi que représentait le passage à l’évaluation de 5e génération, dite émancipatrice: celle qui implique les populations concernées par un programme public dans toutes les phases de son évaluation.[2] Ces évolutions présentent donc un haut degré de cohérence avec les principes mis à l’avant-plan par la Charte d’0ttawa: empowerment, action intersectorielle, participation des populations.
Cependant les journées d’échanges et de rencontres consacrées aux 30 ans de la Charte d’Ottawa ont pris en compte le retour d’un discours sur l’efficacité dans la sphère publique. Cet article tentera donc d’éclairer comment ce type de discours tente de s’imposer dans nos pratiques d’acteurs de promotion de la santé. Il formulera aussi quelques pistes prometteuses.
Rappelons d’abord une définition simple de l’efficacité: «Ce critère permet d’apprécier la réalisation des objectifs d’une intervention en comparant les résultats (au sens d’effets) obtenus aux résultats attendus, ces résultats étant imputables à cette intervention (efficacité propre)» (Jabot et Bauchet, 2009) [3].
L’efficacité peut donc, selon les cas, concerner l’impact d’une politique, les résultats d’une intervention ou les réalisations mises en œuvre par un opérateur, selon le niveau auquel les objectifs sont formulés (voir l’encadré qui précise certaines notions en les illustrant). Selon que l’on soit décideur ou opérateur, les points de référence varieront, chacun étant soumis à ses propres paradoxes.
Du côté des décideurs: les plans et les priorités
De nombreux décideurs en promotion de la santé sont assez convaincus qu’ils doivent se fixer des objectifs à long terme, pour apprécier l’évolution des modes de vie d’une population. Ils sont en attente d’indicateurs qui rendront sensible cette évolution. L’efficacité s’évaluerait donc au niveau des impacts. Ainsi le récent Plan wallon de prévention et de promotion de la santé se donne des priorités pour 2030 [4].
Cela étant, les mandataires sont soumis à un premier paradoxe: celui de devoir fournir une image de la rentabilité à court terme de leur politique, au terme de leur mandat quinquennal, alors que leurs priorités se définissent à plus long terme.
Ils sont aussi soumis à un deuxième paradoxe, l’efficacité à long terme ne dépendra pas que de la politique qu’ils ont en responsabilité, tant sont nombreux et variés les déterminants qui produisent la santé d’une population, tant les contextes de vie évoluent rapidement durant cette période de transition sociétale.
Il n’y a pas de réponse technique ou scientifique simple qui permette de résoudre ces paradoxes, d’autant que les indicateurs les plus pertinents ne sont pas toujours disponibles avant le début de l’implantation de la politique.
Du côté des opérateurs: les projets et les services
La préoccupation croissante pour l’efficacité et l’efficience entraîne une pression des financeurs vers les opérateurs: ceux-ci doivent augmenter la précision des objectifs annoncés de leurs projets et prouver comment ils rencontreront les priorités définies dans les plans. De plus en plus souvent, on exige des objectifs SMART (spécifiques, mesurables, assignables, réalistes et temporellement définis) [5].
Les opérateurs sont alors confrontés à deux types de difficultés. Tout d’abord ils doivent articuler les objectifs annoncés de manière cohérente non seulement avec les objectifs spécifiques définis par les plans, mais aussi avec l’objet social de leur organisme, en assurant une continuité d’actions et de services aux usagers, en respectant les cadres logiques et modèles de référence en promotion de la santé qui reflètent la complexité des déterminants du changement [6]. Ensuite ils doivent dégager des ressources pour évaluer l’atteinte de ces objectifs, ce qui le plus souvent réduit d’autant les ressources disponibles pour implanter l’action.
Dans la pratique, face à ces multiples contraintes, toutes pertinentes, les résultats dégagés par les opérateurs, en lien avec leurs objectifs (même, et surtout, SMART), ne permettront pas de documenter des indicateurs de résultats pour les objectifs spécifiques définis dans les plans.
Le rêve méthodologique d’une alliance entre décideurs et opérateurs
Arrêtons de courir après des chimères méthodologiques qui cristallisent des tensions entre opérateurs et financeurs et aboutissent dans un certain nombre de cas à une perte du sens de l’action. Par rapport à un sous-financement criant de la prévention dans nos politiques, trois critères de qualité devraient retenir notre attention.
L’intervention proposée est-elle pertinente par rapport aux objectifs fixés? Des grilles d’analyse existent pour définir cette pertinence, la littérature scientifique et la littérature grise fournissent des repères précieux, les échanges de pratiques également. Des progrès peuvent être faits pour diffuser et accroître les données probantes auxquelles se référer en promotion de la santé (voir article dans ce même numéro).
Une fois la pertinence établie, focalisons notre attention sur des indicateurs de couverture et des indicateurs d’intensité de l’action, qui sont les préalables incontournables à tout résultat mesuré à l’aune d’une population pour des objectifs de promotion de la santé.
Pour les indicateurs de couverture, il s’agira de déterminer quelle est la population rejointe par l’action par rapport à la population concernée; d’examiner comment cette population rejointe se répartit sur le gradient socio-économique et/ou sur les territoires. De manière symétrique, on pourra vérifier si au fil des interventions on a rejoint tous le professionnels ou relais qui accompagnent les populations concernées. On pourrait aussi s’intéresser aux taux de fidélisation vs renouvellement des bénéficiaires d’une action ou des usagers d’un service.
Pour les indicateurs d’intensité, demandons-nous par rapport à une population définie, dans quelle mesure les interventions visant un même objectif se sont déployées avec suffisamment de continuité, si elles ont été accentuées par des synergies avec d’autres actions et si elles se sont disséminées dans d’autres lieux proches.
Un défi ou un idéal hors de portée ?
Ce type d’indicateurs ne peut être produit que s’il y a une alliance entre opérateurs et financeurs. Les termes de cette alliance seraient les suivants:
que les opérateurs collectent et compilent des infos en routine de manière standardisée sur les contextes et destinataires de leurs propres activités;
que les acteurs institutionnels mettent à la disposition des opérateurs pour cet enregistrement des outils concertés, acceptables et respectueux de l’éthique. Qu’ensuite ils analysent les données fournies pour tirer des conclusions documentées sur la couverture et l’intensité des interventions au niveau d’un plan.
Impossible? Ça et là existent des outils qui tracent les prémisses de cette estimation des couvertures et complémentarités: une cartographie de projets financés en promotion de la santé telle OSCARS en France [7], des bases de données gérées par de nombreux opérateurs qui permettent d’estimer les profils professionnels et les origines territoriales des personnes formées à l’une ou l’autre démarche. Capitaliser sur ces initiatives, tenter de les harmoniser pourrait permettre un meilleur suivi de l’implantation des politiques, condition première d’efficacité.
«Sortir de son entre-soi»: un regard indiscipliné sur les enjeux de la promotion de la santé
Patrick Berry [8], avec la collaboration d’Anne Le Pennec
Renforcer la dimension politique de la promotion de la santé en s’appuyant sur une visée sociétale renouvelée, des alliances stratégiques et un rapprochement de la décision publique. Telle est la feuille de route dessinée par Patrick Berry, qu’il explicite ci-dessous.
La Charte d’Ottawa vient de fêter ses trente ans. Les acteurs du champ de la promotion de la santé célèbrent l’anniversaire de ce texte court, témoin d’une époque durant laquelle, déclamée haut dans des écrits de statut international, l’utopie semblait à la portée des espoirs.
Ces mots mettaient en récit avec conviction les espérances progressistes et des revendications d’«Hommes engagés» aurait dit Albert Camus. On se rend compte rétrospectivement à quel point ils ont suscité de véritables révolutions dans les pratiques professionnelles, de l’échelle la plus large au niveau le plus local.
Dans ces débats et échanges d’anniversaire, deux logiques concomitantes sont à l’œuvre. L’une, rétrospective, discute les effets et acquis de la charte, dont l’influence a été majeure dans l’histoire de la santé publique, ou bien pose des constats sur l’état actuel de la promotion de la santé. Signe de maturité, on s’interroge avec raison et réflexivité. Il est vrai que le bilan critique de ce texte est amorcé et partagé depuis quelques années déjà [9].
L’autre logique, prospective celle-là, s’essaie à déterminer les enjeux pour la promotion de la santé à court terme et dans les décennies à venir. Cet exercice est essentiellement mené sous l’angle thématique, par exemple sur l’évaluation ou le développement de certains secteurs comme l’éducation pour la santé.
Nourri de travaux théoriques et d’activités de terrain dans le champ de la promotion de la santé mais aussi celui de l’environnement, je porte un regard croisé tout autant que distancié sur ces réflexions prospectives. J’en retire une idée force: l’indispensable renforcement de la dimension politique de la promotion de la santé, autour de trois enjeux présentés ici comme autant de matières à débats et à nuances.
Enjeu #1 – Renouveler la visée sociétale, en lien avec une mise au clair du paradigme de santé
«L’obsession de la définition [10]» de ce que recouvre la notion de «santé» est le propre de la santé publique depuis plus d’un siècle. Pour autant, il s’agit de dépasser les querelles sémantiques et les constructions rhétoriques autour du concept, pour asseoir une visée politique claire et pragmatique. Il y a en effet, me semble-t-il, une vigilance toute particulière à avoir pour travailler très directement à l’intégration des discours et concepts dans les actions de terrain, ou pour le moins, à ne pas laisser se construire de trop grands écarts entre «ce qui se dit» et «ce qui se fait» en promotion de la santé. Autrement dit, à susciter et plus encore à structurer un dialogue fructueux entre ces deux pôles.
Pour ce, trois pistes de réflexion me semblent pouvoir être tracées.
Tout d’abord, il s’agirait de travailler à l’articulation conceptuelle entre la notion de ‘Santé’ et celle de ‘Bien-être’, utilisée dans le champ du développement et de l’environnement. Largement dominée par le modèle biomédical, la promotion de la santé aurait à gagner en crédibilité tout comme en légitimité à sortir de son entre-soi, et à «croiser le fer» avec des travaux conceptuels déjà mis en pratique dans les actions de terrain, sur le champ environnemental et du développement des territoires, en France et plus largement encore en Europe. On peut citer à titre d’exemples les travaux déjà classiques d’Amartya Sen et de Joseph Stiglitz sur les Indicateurs de Développement Humains (IDH) ou sur les capabilités [11], mais aussi ceux engagés par les instances environnementales européenne et française autour du Bien-être territorial des populations, que cela soit sous l’angle spécifique des liens avec les milieux de vie, ou bien sous l’angle plus global des dynamiques d’adaptation territoriale aux enjeux environnementaux [12].
Il y aurait par ailleurs un grand intérêt pour les acteurs de santé à se distancier de la centration sur l’individu-sujet, pour repositionner celui-ci dans des écosystèmes complexes. Il s’agirait alors de porter la focale sur les milieux et environnements de vie en tant que déterminants essentiels de la santé.
Ce mouvement est déjà amorcé par les acteurs travaillant, entre autre, sur l’habitat, le milieu urbain ou sur la qualité de l’air intérieur. Il pourrait être davantage fécond. Cela passe par un examen critique des dynamiques de santé à l’œuvre aujourd’hui, massivement influencées par les avatars psychologisants du développement personnel et par les dispositifs d’auto-évaluation de soi comme contrôle social qui, en temps de crise font naturellement florès [13]. Tout est lié. L’incapacité de la promotion de la santé à investir le travail sur les déterminants sociaux et environnementaux trouve en grande partie son origine dans la place qu’elle donne au modèle d’Homme rationnel et aux problématiques comportementales. Sortir de ces logiques «du marché du bien-être ou du marché du malaise [14]» implique de porter davantage l’effort sur le travail pratique au niveau du pouvoir d’agir (empowerment) des individus sur leurs conditions de vie, et sur la dimension spirituelle de la santé, c’est-à-dire du sens attribué au monde par les humains [15].
Enfin, une visée politique de la promotion de la santé pourrait prioriser deux points nodaux cristallisant l’ensemble des enjeux du «vivre ensemble» et d’une éthique de la Reconnaissance chère à Axel Honneth [16]: la réduction des inégalités de santé et le respect des droits de l’Homme.
Les travaux théoriques déjà menés ne manquent pas. Outre les dernières productions de la Conférence européenne de santé publique et de l’OMS [17], deux textes accessibles à tous les acteurs pourraient être porteurs d’une nouvelle inflexion dans les pratiques: le rapport de la commission de l’OMS sur les déterminants sociaux de la santé intitulé «Combler le fossé en une génération [18]» et cet article, ancien mais ô combien d’actualité, de Jonathan Mann [19] sur les liens entre les droits fondamentaux des personnes et la santé des populations.
Ces deux textes dressent des lignes qui pourraient être autant de repères pour les interventions en promotion de la santé: le respect des droits fondamentaux des personnes, l’importance à agir sur les déterminants sociaux et la répartition des richesses tout comme du pouvoir. Ils interrogent et la capacité de la promotion de la santé à intervenir sur les milieux et conditions de vie et son aptitude à tisser des alliances pour y parvenir.
Enjeu #2 – Renforcer les stratégies d’alliance de la promotion de la santé
Le renforcement des stratégies d’alliance de la promotion de la santé constitue le deuxième enjeu en ce qu’elles permettraient à la fois de conforter son positionnement politique, mais aussi de renforcer ses approches opérationnelles.
Il s’agit d’élaborer une stratégie de coopération, qui pourrait à tout le moins suivre trois lignes d’horizon. La première est conceptuelle et intéresse prioritairement le monde de la recherche. Elle consiste à croiser davantage les disciplines et à rééquilibrer les approches entre sciences biomédicales et sciences sociales. Un décloisonnement disciplinaire permettrait ainsi de donner toute leur pertinence aux travaux en sociologie, anthropologie, psychologie sociale notamment, s’attachant à comprendre les interactions humaines avec les milieux de vie. Plutôt que de produire de nouvelles connaissances, intégrons les données existantes, et ce de manière participative.
Par ailleurs, le dialogue interdisciplinaire permettrait de clarifier les zones de recouvrement et les articulations de concepts utiles à la promotion de la santé. Ainsi par exemple pourraient être mis en regard la santé biomédicale avec le bien-être des économistes, le sentiment de contrôle et le coping avec l’empowerment, ou bien encore la motivation avec les systèmes d’acteurs connus des sociologues.
La deuxième ligne est située à l’intermédiaire entre la recherche et l’action de terrain. Force est de constater, en promotion de la santé, le peu de cas fait à la traduction et à la valorisation des connaissances scientifiques auprès des acteurs de terrain. Cet état de fait participe du flou et de l’éparpillement des références théoriques, tout comme des adhésions par ‘affinités électives’ aux ressorts conceptuels utilisés sur le terrain par les acteurs.
Une autre hypothèse explicative du flottement conceptuel serait à chercher dans le développement de formations généralistes en promotion de la santé, favorisant des appropriations théoriques davantage par sensibilité personnelle que par formation disciplinaire de fond. En contrepoint, des alliances pourraient être construites avec les secteurs de la médiation scientifique tout comme avec les dispositifs de valorisation universitaire.
L’objectif serait de construire des référentiels théoriques aisément appropriables basés sur le dialogue entre les expériences de terrain et la recherche interdisciplinaire. L’émergence récente en éducation pour la santé d’un travail sur le courtage de connaissances et sur l’identification de données probantes et interventions prometteuses est en ce sens particulièrement intéressant. Pour autant, gageons que ces données probantes ne seront pas restreintes au champ de la santé publique, ni sur le fond, ni dans leurs logiques épidémiologiques d’élaboration, car cela ne ferait que conforter la prédominance du modèle biomédical et servirait peu le renouvellement politique du paradigme de santé. Pour ne pas dire que cela le contredirait.
Le troisième axe concerne les alliances de terrain. Hormis les autorités de santé (Agences régionales de santé) toujours présentes sur les territoires, il est surprenant de constater qu’il soit possible de mener des études sur des sujets aussi divers que les dynamiques de concertation et de bien être territorial, l’accessibilité sociale à l’eau ou le maintien de l’habitat en zone rurale etc. sans jamais croiser un acteur issu du champ de la promotion de la santé autre qu’un médecin généraliste ou spécialisé.
Ce sont pourtant des questions sociétales essentielles. Les croisements avec les champs environnementaux, du social et de l’éducation populaire, au travers notamment des associations de consommateurs et autres associations citoyennes détentrices a minima d’une expertise expérientielle, parait indispensable pour prendre en compte et agir dans la complexité des systèmes liés à la vie quotidienne des ‘gens’.
Enjeu #3 – Se rapprocher de la décision publique
Troisième enjeu, connexe aux deux premiers: la promotion de la santé a tout à gagner à se rapprocher de la décision publique pour conforter son influence et se positionner davantage dans les rapports de forces entre acteurs présents sur les territoires, quelle qu’en soit leur échelle. Le monde environnemental et celui du développement local, par leur positionnement politique, se sont très tôt attelés à l’élaboration d’outils d’accompagnement et d’aide à la décision. Par son histoire, la promotion de la santé s’est quant à elle centrée sur la décision individuelle selon une approche comportementale et moralisante.
Les travaux en sciences sociales et sciences politiques montrent toute la complexité des politiques publiques, de la mise à l’agenda des questions d’intérêt général, des modalités de prise de décision, du suivi de ces décisions. Or l’intérêt de la promotion de la santé pour les questions de sciences politiques et de sociologie organisationnelle se manifeste lentement. Il est vrai qu’il nécessite une évolution culturelle tout autant qu’opérationnelle.
Ce changement de posture pourrait s’opérer de manière concrète selon trois volets: le lobbying ou plaidoyer, l’aide à la décision au sein des politiques publique et l’évaluation.
Si le plaidoyer en santé est un outil déjà utilisé auprès des élus et décideurs, un travail à la fois sur les contenus de ce plaidoyer et leur formalisation serait de bon aloi. L’affichage du décloisonnement des politiques publiques et l’explicitation des liens et croisements de la promotion de la santé avec d’autres politiques sectorielles pourrait être un argument supplémentaire pour les acteurs. Cette manière de relire concrètement les politiques publiques à l’aune du Bien-être des populations s’avérerait particulièrement pertinent aux échelles locales, aux yeux des élus et techniciens des collectivités en particulier.
Par ailleurs, lors du 25e anniversaire de la Charte d’Ottawa en 2011 [20], Ilona Kickbush soulignait l’urgence pour la promotion de la santé à investir les questions de gouvernance publique en se rapprochant de la prise de décision.
Ce rapprochement pourrait s’opérer par la mise en place d’outils formalisés d’aide à la décision qui permettraient un travail conjoint entre élus et acteurs de santé à l’échelle du territoire, sur la décision même mais aussi sur sa mise en œuvre et son suivi. À titre d’exemple, citons les expérimentations en cours d’évaluations d’impact en santé (EIS) Leurs mises en place et résultats soulignent l’importance de comprendre les ressorts de la prise de décisions publiques dans son champ de contraintes, tout comme d’avoir à sa disposition des outils d’accompagnement dans le temps efficaces pour influer sur les stratégies territoriales. Le simple transfert de connaissances épidémiologiques ou sociologiques vers les décideurs, conformément au modèle rationnel, est insuffisant.
En complément, un renforcement des logiques d’évaluation des politiques publiques en promotion de la santé pourrait en améliorer la lisibilité. À ce titre, il semble indispensable. Avec des moyens cohérents avec les objectifs posés, le développement des évaluations de contexte et participatives en promotion de la santé donnerait des arguments au plaidoyer tout comme à l’aide à la décision publique. Et, avec ces arguments pourraient se construire, en lien avec les décideurs, des fenêtres pertinentes d’opportunité. À défaut d’évaluation et de retours d’expériences formalisés, il ne restera aux acteurs que leur force de conviction, ce qui, dans le champ des politiques publiques, connait rapidement des limites.
Les trois enjeux brièvement esquissés ici invitent à de nouvelles dynamiques en promotion de la santé mais aussi au soutien de celles déjà engagées dans la structuration du champ des pratiques. Les moyens alloués à la promotion de la santé, parent pauvre de la santé publique et plus encore de la santé, et le modèle économique sous-jacent sont bien évidemment des questions fondamentales dans un contexte de contraction des crédits publics. Mais elles ne doivent pas évincer l’indispensable réflexion sur les positionnements politiques et stratégiques des acteurs au cœur de la promotion de la santé.
Deux traits communs traversent les enjeux ainsi livrés: l’ouverture à d’autres champs d’action et la coopération. L’ouverture, c’est prendre le risque de se diluer et de perdre de sa singularité. La coopération, c’est accepter de partager et de faire évoluer ses acquis et ses outils propres. Au regard du contexte singulier dans lequel nous vivons, l’enfermement sur soi ne peut constituer ni un positionnement politique, ni une stratégie de développement pour la promotion de la santé. Le Bien-être collectif aura, me semble-t-il, tout à gagner à l’engagement de la promotion de la santé dans la voie de l’altérité, hors de ses sentiers habituels. Ce qui n’est pas la moindre des éthiques politiques.
[2] Baron G, Monnier É., Une approche pluraliste et participative: coproduire l’évaluation avec la société civile, Revue Informations Sociales n° 110, septembre 2003
[6] Par exemple: outil de catégorisation des résultats, modèle de la Commission des déterminants sociaux de la santé, axes de la Charte d’Ottawa, approche socio-écologique…
[8] Patrick Berry est sociologue et tout à la fois consultant en promotion de la santé et directeur d’étude en environnement en France.
[9] Le bilan critique de la Charte d’Ottawa a, pour évoquer les plus récentes, donné lieu à de nombreuses publications à l’occasion de son 25e anniversaire en 2011.
[10] Fassin, D. (2000). Comment faire de la santé publique avec des mots: une rhétorique à l’œuvre, Rupture. Revue transdisciplinaire en santé. vol.7.N°1. pp.58-78
[11] Naussbaum, M. (2012). Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste ? Paris: Climat
[12] On peut renvoyer ici aux travaux portés par les agences françaises ONEMA et ADEME sur les indicateurs de Bien-être et de qualité de vie en lien avec les problématiques environnementales. De même, autour de la problématique de la résilience territoriale face au changement climatique, des travaux sont en cours sur l’élaboration d’indicateurs agrégés de santé et de Bien-être des populations, posant l’hypothèse que le Bien-être pourrait être un facteur de résilience ‘communautaire’ et territoriale.
[13] Marquis, N. (2014). Du bien-être au marché du malaise. La société du développement personnel. Paris: PUF
[14] Id.
[15] Morin, E. (1979). Le paradigme perdu. La nature humaine. Paris: Seuil. Coll. Points Essais
[16] Honneth, A. (2002). La lutte pour la Reconnaissance. Paris: Cerf. Coll. Passages
[17] Il s’agit de la déclaration de Vienne, publiée par l’European Public Health Association (EUPHA) en 2016 et de la déclaration de Shangaï sur la promotion de la santé et le développement durable à l’horizon 2030, énoncée à l’occasion de la 9e conférence mondiale sur la promotion de la santé.
[18] OMS. (2009). Combler le fossé en une génération. Rapport de la commission sur les déterminants de la santé
[19] Mann, J. (1998). Santé publique: éthique et droits de la personne. Santé publique. vol. 10, no 3, pp. 239-250
[20] Kickbush, I. (2011). Governance for Health in the 21st Century. Global Health Programme Graduate Institute. Geneva June 27, 2011 Ottawa/Gatineau
Un rapport portant sur la cybersanté dans la Région européenne de l’OMS révèle que des progrès tangibles ont été réalisés, avec des avantages évidents pour de nombreux pays. Pourtant, malgré les exemples édifiants de réussites dans ce domaine, l’adoption de la cybersanté n’est pas uniforme au sein de l’Union européenne. Qu’en est-il en Belgique?
Les enjeux de la cybersanté
La cybersanté désigne toute activité dans laquelle un moyen électronique est utilisé pour fournir des informations, des ressources et des services d’ordre sanitaire. Elle couvre de nombreux domaines, notamment les dossiers de santé électroniques, la télésanté, la santé mobile, l’apprentissage en ligne dans le domaine sanitaire, les médias sociaux, etc.
Zsuzsanna Jakab, directrice de l’OMS Europe, a déclaré «le 21e siècle est balayé par une vague technologique, apportant avec elle un énorme potentiel d’innovation sanitaire. Dans de nombreux pays, la cybersanté est en train de révolutionner la prestation des soins de santé ainsi que l’information sanitaire requise à cet effet. Les patients deviennent de plus en plus autonomes parce qu’ils ont accès aux informations et aux conseils. La qualité des soins s’améliore en conséquence, mais cette situation remet en cause le rôle traditionnel des professionnels de santé». En effet, notre système de santé doit faire face au vieillissement de la population, à l’augmentation des maladies chroniques et à la complexité des pathologies. Un nombre toujours plus important de différents professionnels de santé est impliqué dans la prise en charge d’un patient, ce qui nécessite des changements dans les processus thérapeutiques. Les technologies numériques investissent aujourd’hui de plus en plus ce champ et permettent sans nul doute de répondre à cette nouvelle évolution. Elles offrent un fort potentiel d’amélioration de la qualité du suivi, renforcent la sécurité du patient, favorisent la collaboration des professionnels, facilitent l’échange d’informations entre ceux-ci et le patient et in fine, permettent une plus grande efficacité du système de santé.
Europe, un engagement clair et des efforts à poursuivre
Le rapport paru en mars 2016 révèle que 93% des États membres de l’Union européenne (42 pays) ont consacré des fonds publics aux programmes de cybersanté. 81% (35 pays) déclarent que leurs organisations de soins de santé utilisent actuellement les médias sociaux pour promouvoir les messages de santé dans le cadre de campagnes sanitaires. 91% (40 pays) indiquent que les personnes et les communautés ont recours aux médias sociaux pour s’informer davantage sur les questions de santé.
Ces chiffres révèlent l’intérêt témoigné au rôle potentiel des médias sociaux comme mode de communication à l’adresse des patients et des professionnels de santé. Néanmoins, 81% des États membres déclarent ne disposer d’aucune politique nationale régissant l’utilisation de ceux-ci dans les soins de santé qui, par conséquent, reste informelle et non réglementée. De la même façon, 73% des États membres (33 pays) ne disposent pas d’un organisme chargé de la surveillance réglementaire des applications mobiles dans le domaine de la santé afin d’en garantir la qualité, la sécurité et la fiabilité. Les pays sont donc exposés à un risque potentiel, là où 80% d’entre eux ont pourtant légiféré dans le domaine de la protection de la confidentialité des données personnelles contenues dans les dossiers de santé électroniques.
Le rapport conclut en soulignant l’engagement des États membres en faveur de la cybersanté, qu’il considère comme facteur-clé dans l’accès aux services et informations de santé en Europe, de la même manière que dans le processus de collecte, de gestion et d’utilisation des données. Il propose une structure de gouvernance précise en vue de superviser, entre autres, la mise en œuvre, la législation, les registres cliniques et la protection juridique. Il plaide enfin pour la définition des normes de la cybersanté et pour un financement durable permettant de continuer à investir dans ce champ afin de réaliser les objectifs de la politique Santé 2020.
Belgique, eHealth: une plateforme multi-services pour les professionnels et les patients
En Belgique, lorsque l’on parle de cybersanté, on songe naturellement à la plateforme eHealth, instituée par la loi du 21 août 2008. Il s’agit d’une institution publique créée afin d’instaurer un échange sécurisé de données à caractère personnel relatives à la santé entre les acteurs des soins de santé. Cette plateforme propose gratuitement une série de services de base, qui offrent les garanties nécessaires en termes de sécurité des informations, de protection de la vie privée du patient et du prestataire de soins et de respect du secret médical.
Ainsi, la plate-forme eHealth a pour mission:
de promouvoir et de soutenir une prestation de services et un échange d’information mutuels électroniques bien organisés, entre tous les acteurs des soins de santé;
avec les garanties nécessaires en ce qui concerne la sécurité de l’information, la protection de la vie privée du patient et du prestataire de soins et le respect du secret médical.
Et de cette façon:
d’optimaliser la qualité et la continuité des prestations de soins de santé;
d’optimaliser la sécurité du patient;
de simplifier les formalités administratives pour tous les acteurs des soins de santé;
et d’offrir un soutien solide à la politique en matière de soins de santé.
En 2012, un premier Plan d’action e-Santé concret est établi pour 5 ans. Les résultats ne se font pas attendre puisque début octobre 2015, 1,93 millions de Belges avaient déjà donné leur consentement pour l’échange électronique de leurs données médicales entre prestataires de soins (ce chiffre était de 352 000 au début octobre 2014). Durant le mois de juillet 2015, les prestataires de soins belges avaient échangé entre eux 3,7 millions de messages via la eHealthBox sécurisée (contre 2,5 millions en juillet 2014). Et chaque mois, les prestataires de soins, essentiellement les pharmaciens, se renseignaient plus de 11 millions de fois sur la situation d’assurabilité de leurs patients.
Au vu de ce succès, en octobre 2015, le Plan d’action fédéral est actualisé par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Maggie De Block et ses huit collègues régionaux, qui s’engagent à exploiter de manière optimale les possibilités de l’e-Santé.
Les 10 missions du Plan d’action e-Santé
Le développement d’une vision et d’une stratégie en matière d’eHealth.
Déterminer des normes, des standards, des spécifications fonctionnelles et techniques et une architecture de base utiles en matière d’ICT.
Enregistrer des logiciels pour la gestion de dossiers électroniques de patients.
Concevoir, développer et gérer une plateforme de collaboration pour l’échange électronique de données sécurisé, ainsi que les services de base connexes.
S’accorder sur une répartition des tâches et sur les normes de qualité et vérifier si les normes de qualité sont respectées.
Promouvoir et coordonner la réalisation de programmes et de projets.
Gérer et coordonner les aspects ICT de l’échange de données dans le cadre des dossiers électroniques de patients et des prescriptions médicales électroniques.
Intervenir en tant que tiers de confiance pour le codage et l’anonymisation de données à caractère personnel relatives à la santé pour le compte de certaines instances énumérées dans la loi, à l’appui de la recherche scientifique et de la politique.
Être le moteur des changements nécessaires en vue de l’exécution de la vision et de la stratégie en matière d’eHealth.
Organiser la collaboration avec d’autres instances publiques chargées de la coordination de la prestation de services électroniques.
Ainsi, le Plan d’action actualisé comporte 20 points d’action concrets. Les principales adaptations par rapport à la première version sont:
un focus encore plus important sur la collaboration multidisciplinaire entre prestataires de soins: face au vieillissement et à l’augmentation des maladies chroniques, la collaboration entre les professionnels de santé est cruciale. Il est important qu’ils puissent communiquer facilement et rapidement à propos du patient et aient toujours accès à l’information médicale la plus récente. Les applications d’e-santé semblent parfaitement adaptées pour répondre à ces besoins;
le volet complètement nouveau concernant le «mobile health»: grâce à des applications et des appareils mobiles, les patients peuvent mieux suivre et faire suivre leur santé. C’est pourquoi un volet du plan d’action est entièrement dédié aux applications et appareils mobiles, à leur qualité et leur sécurité;
une attention particulière à la simplification administrative: l’un des objectifs est qu’à partir du 1er janvier 2018, tous les médecins généralistes puissent envoyer électroniquement l’attestation des soins donnés à la mutualité, ce qui fera progressivement disparaître les attestations vertes et blanches. Dans cette optique, le développement du service efact permettant la facturation électronique du tiers-payant via MyCareNet (entre le médecin généraliste et les mutualités) se répand peu à peu puisque 2000 médecins généralistes l’ont déjà utilisé au moins une fois (chiffres de février 2016);
des alternatives en cas de difficulté: le bon fonctionnement des e-applications est une autre préoccupation des prestataires de soins. Les acteurs concernés par l’e-Santé sont nombreux (mutualités, fournisseurs de logiciels, plateforme eHealth, plateforme MyCareNet, etc.). Une panne chez l’un d’eux peut avoir des conséquences sur l’ensemble du système. C’est pourquoi l’institution publique plateforme eHealth souhaite analyser chaque problème et pouvoir proposer des alternatives qui pourraient être activées si l’un des systèmes habituels ne fonctionnait pas bien. Par ailleurs, la plateforme eHealth a maintenant plusieurs médecins ‘relais’ experts en ICT dont le rôle est d’avertir immédiatement la plateforme lorsqu’un problème apparaît dans leur cabinet médical;
le patient comme copilote: les applications d’e-santé mobiles et autres contribuent à renforcer le rôle central du patient dans ses soins de santé. À partir du 1er janvier 2018, les citoyens pourront consulter leurs propres données médicales en ligne grâce au ‘personal health record’. Au moyen d’appareils mobiles et d’applis validés, ils pourront suivre personnellement des paramètres de santé (comme le pouls et la pression artérielle). Les patients chroniques pourront communiquer à distance avec leurs prestataires de soins. Les prestataires de soins auront quant à eux la possibilité de transmettre à leurs patients des informations digitales. Dans cette optique, l’objectif à terme est que les patients puissent participer encore plus activement à leurs soins et deviennent de véritables acteurs de leur santé;
partager l’information: l’une des conditions principales pour que l’e-santé soit une réussite est un échange d’information rapide, ce qui nécessite absolument que les patients donnent leur accord (leur consentement éclairé) aux prestataires de soins pour qu’ils puissent partager leurs données médicales. Le patient quant à lui a ainsi la certitude qu’il sera toujours traité sur la base des informations les plus récentes de son dossier médical. De plus, les doubles examens superflus peuvent être évités grâce à un échange électronique aisé des données médicales. Ainsi, le Plan d’action accorde une attention particulière à la sécurisation et au respect de la vie privée en matière de données médicales lors du partage d’information. Les données de santé sur un patient sont systématiquement cryptées. Il revient au patient de décider si ces données peuvent être partagées électroniquement et de manière sécurisée et, le cas échéant, entre quels prestataires de soins.
De nombreuses études étrangères ont déjà démontré le potentiel du média web en promotion de la santé. S’il permet d’augmenter la portée des actions de communication dans le domaine et permet de viser de manière précise un public donné, il permet aussi surtout de favoriser l’interactivité et la communication bidirectionnelle, si chère à la promotion de la santé.
Dans cette optique et dans une volonté de rester proches de leurs publics en constante évolution, les acteurs de la promotion de la santé francophone entrent progressivement dans l’ère numérique, réinventent leurs techniques de communication et d’intervention et innovent.
L’exemple d’aide-alcool.be
Lancé fin 2012 par les asbl Le Pélican (Bruxelles) et Le Centre Alfa (Liège), www.aide-alcool.be est un site d’informations et d’accompagnement en ligne, avec ou sans thérapeute, qui s’adresse à toutes les personnes en Belgique francophone se posant des questions sur leur consommation d’alcool ou celle d’un proche.
Au-delà du simple outil d’information, il permet également d’offrir à son public du soutien via deux programmes d’aide en ligne: le selfhelp, à réaliser de façon autonome et l’accompagnement, qui est quant à lui soutenu par un psychologue. Ces consultations se déroulent sous la forme de chats, par écrit, sans son ni image, d’une durée d’une heure, sur rendez-vous, avec le même psychologue et pendant maximum trois mois.
Cette nouvelle pratique demande de nouvelles réflexions et une adaptation constante des compétences des thérapeutes en ligne. Leur pratique clinique est également enrichie par ces suivis basés uniquement sur des échanges écrits.
Le site comptait en mai 2014 plus de 385.000 visites, près de 1400 personnes inscrites aux deux programmes d’aide proposés et plus de 1400 consultations psychologiques en ligne.
Un succès qui tient notamment au fait que le projet répond à une demande existante et vise en particulier les groupes les moins représentés dans les structures d’aide classiques, à savoir les femmes, les personnes en activité et les personnes d’un niveau d’éducation supérieur. En effet, l’anonymat, la possibilité de se faire suivre de chez soi et à un horaire compatible avec l’activité professionnelle et les responsabilités familiales sont autant de facteurs favorisant cette première démarche de soins. Ainsi, la complémentarité de ce projet par rapport au suivi traditionnel permet de s’adresser à des personnes qui n’avaient jamais osé pousser la porte d’un centre de soin.
Si le projet répond vraisemblablement à une demande du public lui-même, il semble aussi à la fois innovant et riche sur le plan intellectuel et relationnel pour les professionnels qui l’encadrent.
Ainsi, à l’instar d’autres pays européens, avec son Plan d’action ambitieux, la Belgique a ouvert des perspectives aussi importantes qu’intéressantes en matière de cybersanté. Perspectives auxquelles le secteur de la promotion de la santé est certainement sensible, grâce notamment à l’accent qu’il met sur la collaboration multidisciplinaire entre les professionnels et l’impact positif attendu sur la qualité des soins, mais aussi au développement, annoncé en 2018, de nouvelles technologies favorisant le renforcement du rôle central du patient en tant qu’acteur de sa propre santé.
En juillet 2016, 3,7 millions de Belges ont déjà donné leur consentement éclairé.
L’eHealthBox est un service proposé par la plateforme eHealth permetttant aux prestataires et aux administrations (hôpitaux, mutualités, etc.) de communiquer de manière sécurisée.
Jo Vandeurzen (Communauté et Région flamande), Maxime Prévot (Wallonie), Rudy Demotte (Fédération Wallonie-Bruxelles), Joëlle Milquet (Fédération Wallonie-Bruxelles), Guy Vanhengel (COCOM), Didier Gosuin (COCOM), Cécile Jodogne (COCOF), Antonios Antoniadis (Communauté germanophone).
Plateforme centrale orientée service, au profit des prestataires individuels et institutions, par laquelle des informations peuvent être échangées avec les mutualités, d’une manière simple, fiable et sécurisée.
Au-delà de la sensibilisation, le renforcement des compétences psychosociales des jeunes
Tweedle dee: «Achetez mes clopes, ce sont de bonnes clopes. Goût menthol! Goût fruité! Cacao! Il y en a pour tout le monde. Et sans âcreté, s’il vous plaît. La fumée passera dans vos petites bronches bien profondément! Bref, de la cibiche de compèt’!» Tweedle dum: «Non! Ce sont mes clopes les meilleures! Avec ou sans filtre! Classiques, bleues ou rouges! Tabac blond ou brun, de Virginie ou des Carpathes! Excellentes pour la santé! Elles ont été élevées en plein air, Madame! Nourries aux grains, Madame! 100 % naturelles, sans additifs!» Tels sont les mots de la première scène d’Alice au Pays des Clopes, la pièce de théâtre imaginée par une vingtaine d’élèves de l’internat Asty-Moulin à Namur, en collaboration avec le Service Prévention Tabac du FARES, après plus de 6 mois de travail et de réflexion…
En octobre 2015, l’internat Asty-Moulin à Namur sollicite l’antenne wallonne du Service Prévention Tabac du FARES récemment créée afin de mener un travail de fond sur la thématique du tabagisme, pour et avec les 230 internes (issus de technique, général et professionnel) qui y résident.
Le constat que dressent la direction et l’éducateur responsable les interpelle: parmi les jeunes, de plus en plus fument, de plus en plus tôt. À 12 ans déjà pour certains. Beaucoup arrivent non-fumeurs à l’internat mais, dès les premières semaines, par l’influence de leurs pairs, s’initient au tabac. Ceux qui fument déjà ont peu de limites, certains confient même fumer un paquet par jour.
La direction et les éducateurs sont préoccupés par cette situation, d’autant que leurs démarches pour circonscrire le phénomène – notamment l’aménagement d’un fumoir accessible selon certains horaires aux jeunes à partir de quinze ans ayant une autorisation parentale – ont montré leurs limites. S’ils gardent la volonté de ne pas interdire ni de stigmatiser la consommation, conscients du peu d’intérêt de ce type de démarche, en particulier dans un lieu de vie résidentiel, ils s’interrogent par contre sur la manière de sensibiliser leurs jeunes de manière durable mais aussi de pérenniser un projet de prévention au sein de l’établissement sans le concours systématique, année après année, d’un intervenant extérieur.
Un travail d’accompagnement et de co-construction
Avant de débuter le travail avec les jeunes, le Service Prévention Tabac du FARES souhaite sensibiliser l’équipe éducative à la problématique du tabagisme et des assuétudes en général ainsi qu’à diverses notions propres à la promotion de la santé.
À cet égard, l’accent est mis sur l’importance de la participation libre des jeunes au processus de prévention et sur l’intérêt de partir de leurs propres représentations et ressources. Ces premiers pas avec l’équipe se font autour du Parcours SansT, un outil pédagogique conçu pour animer des petits groupes mixtes de fumeurs et non-fumeurs autour de questions, témoignages et informations liés à la consommation de tabac, et ce à partir des expériences, opinions et savoirs de chacun.
Outre le partage de connaissances en matière de tabagisme et de promotion de la santé, l’idée sous-jacente est de permettre aux éducateurs de s’approprier le jeu afin de pouvoir eux-mêmes le réutiliser les années suivantes avec les nouveaux internes, le turn-over étant très important dans l’établissement (de l’ordre de 50% chaque année).
À l’issue de ce travail et après plusieurs réunions de concertation entre le FARES, la direction de l’internat, l’éducateur responsable et les éducateurs-référents, se précise la perspective de permettre aux jeunes d’être pleinement acteurs de la connaissance, de se situer au cœur du processus et de faire l’expérience, à titre personnel, de la mise en œuvre de leurs ressources propres: les compétences psychosociales, dont le recours permet aux participants de s’approprier intimement le savoir tout en prenant conscience de manière concrète des alternatives motivantes, positives et constructives à un comportement ressenti comme problématique. Le groupe de travail confirme son souhait de créer un véritable projet, durable et marquant pour les jeunes.
Ainsi, dans une optique motivationnelle, une liste d’activités créatives susceptibles de plaire aux internes est établie: atelier vidéo, théâtre, slam, musique, jeu de piste, peinture, émission radio et bien d’autres.
Sur cette base, un petit questionnaire est distribué aux 230 jeunes afin qu’ils puissent marquer leur préférence: «Un chouette projet va bientôt démarrer dans ton internat. Pour le mettre en place, on a besoin de ta participation! Peux-tu cocher les activités qu’il te plairait de réaliser avec d’autres internes dans le cadre de ce projet?» Les jeunes peuvent par ailleurs assortir cette liste de leurs propres idées d’ateliers.
La thématique n’y est pas frontalement annoncée afin de ne pas les décourager ou influencer leur choix; il s’agit de donner d’emblée une couleur ludique et interactive au projet et, la thématique, ils devront dès lors la découvrir à partir d’une énigme – une anagramme du FARES. Les jeunes se prennent au jeu, proposent des ateliers supplémentaires, font des recherches sur le net pour résoudre le ‘mystère’ de la thématique… Prometteur…
Quatre ateliers, un projet porteur
Au final, une vingtaine d’internes, de 11 ans à 18 ans, prennent part au projet, soit près de 10% de l’ensemble des jeunes de l’établissement! À l’issue du vote, quatre ateliers remportent le suffrage: le théâtre, la musique et le slam, la vidéo et l’atelier créatif.
Prenant une place centrale dans le projet, l’atelier théâtre sera finalement partiellement fusionné avec l’activité slam et musique. Un petit groupe d’une dizaine de jeunes prend en mains la conception d’une pièce sur le thème du tabagisme, pièce qui inclura donc en cours d’élaboration des passages chantés. En toile de fond, l’atelier vidéo/documentaire. Et, enfin, l’atelier créatif, lequel s’articulera avec la réalisation de la pièce…
Pour se familiariser avec le sujet, le Parcours SansT est à nouveau utilisé. Le FARES co-anime une séance avec les éducateurs auprès des participants de l’atelier vidéo/documentaire, histoire que les jeunes puissent s’approprier les bases théoriques afin de se lancer dans leur reportage. À l’issue de cette animation, une liste de questions d’interview est dressée avec les jeunes. Les échanges sont riches, les jeunes du groupe aux profils très diversifiés (garçons et filles, de 11 ans à 18 ans, fumeurs réguliers et occasionnels, non-fumeurs et ex-fumeurs) partagent leurs expériences, offrent des témoignages très personnels et apprennent beaucoup les uns des autres. Les éducateurs, jouant la carte de l’horizontalité, se livrent eux aussi. Une autre séance Parcours SansT est prise en charge par le personnel éducatif auprès des trois autres groupes.
Les ateliers peuvent véritablement commencer! Ils se dérouleront de manière hebdomadaire, en soirée. Lors d’une réunion de ‘remue-méninges’ entre les jeunes de l’atelier théâtre, le FARES et les éducateurs, l’idée vient à l’une des participantes de s’inspirer des personnages fantasques du célèbre dessin animé de Walt Disney ‘Alice au Pays des Merveilles’. Elle a tout vu et tout lu sur le sujet, à commencer par l’œuvre originale de Lewis Carroll. Le groupe décide d’attribuer un profil de fumeur à chaque personnage.
Absolem, la chenille sera la fumeuse de chicha, dévastée par ses effets ravageurs, révoltée contre le système qui pousse à la consommation et entraîne la dépendance («Vous voyez, pour moi, c’est déjà trop tard. Je suis trop accro (…) Chaque chicha que je fume c’est 52 cigarettes dans le coco. Je ne sais presque plus respirer. (…) Mais, les autres, vous pouvez encore les aider!»); les jumeaux Tweedle dee et Tweedle dum seront deux revendeurs de tabac, cherchant à recruter à tout prix de nouveaux clients; le lièvre et le chapelier fou quant à eux, formeront un couple dont l’un des deux, fumeur passif, a contracté un cancer suite à la consommation incontrôlée de son partenaire («Ah, à propos, j’ai retrouvé ton poumon dans l’escalier tout à l’heure!»); Alice sera une non-fumeuse, fragile face à la pression de tous les personnages qu’elle rencontre et qui la poussent à la consommation, dont le groupe des trois fleurs pour lesquelles seuls les fumeurs sont dignes de considération («Vous savez comment on part d’ici?», «On ne te le dira qu’à une condition, jeune fille… Tire une taffe, et on te montrera le chemin… Qu’elle est pathétique! Regardez–là jouer à la grande fille! C’est qu’il faut être comme nous, les vraies fumeuses, fantastique pour être copine avec les toxiques!»); tandis que la Reine de Cœur symbolisera l’industrie du tabac, avec les cartes à jouer, ses fidèles sujets, consommateurs convaincus et serviables («Mmmh, bien, je détecte une bonne odeur de tabac… Encore une consommatrice qui va m’enrichir et me dédier sa vie….»).
Le groupe rédige ainsi le scénario, crée les personnages, leur invente une histoire, imagine leurs costumes. Dans une perspective de collaboration, d’échange des compétences et de co-construction, le texte fait quelques allers-retours entre le groupe des jeunes et le FARES, ce dernier le relisant et nourrissant les dialogues avec des éléments de contenu propres à la thématique.
Les jeunes de l’atelier théâtre travaillent main dans la main avec ceux de l’atelier créatif, lesquels ont pour mission de réaliser les décors et accessoires. Ainsi, ils sculptent, peignent et découpent tasses géantes pour le thé, cigarettes de la taille d’un être humain, cartes à jouer à l’effigie d’une grande marque de l’industrie du tabac, etc. Enthousiastes face aux idées de leurs congénères, ils se prêtent au jeu et souhaitent même tenir un rôle dans la pièce. Ce phénomène d’émulation touche par ailleurs les jeunes de l’atelier vidéo/documentaire qui, eux aussi, feront finalement partie du casting d’Alice.L’attention attirée par cet élan créatif collectif, deux jeunes internes passionnées de chant se proposent de rédiger une chanson pour la pièce sur le thème des risques liés au tabagisme pour l’une, et sur l’influence des pairs en matière de consommation pour l’autre. Ces chansons sont intégrées sans difficulté dans le scénario des premiers et voilà leur pièce qui devient, l’espace d’un instant, comédie musicale, le tout sous la lentille attentive de la caméra des jeunes inscrits dans le groupe vidéo.
Ceux-ci sont responsables de la réalisation d’un making-of de la pièce de théâtre, de même que d’un micro-trottoir sur le thème du tabac. Suite au temps de partage et de sensibilisation avec l’équipe du FARES, c’est au cœur de Namur, dans leur famille et dans leur internat qu’ils réalisent ce travail. L’idée sous-jacente est que le projet puisse rayonner dans l’établissement au-delà des quatre groupes de jeunes directement impliqués. D’une part, les participants mobilisent leurs camarades et éducateurs en les interviewant sur la thématique et, d’autre part, le matériel produit pourra être réutilisé les années suivantes, avec d’autres jeunes, pour amorcer d’autres activités sur le thème. La pièce de théâtre est également filmée dans cette optique.
Pendant ce temps-là, les férus de slam, quant à eux, ont l’opportunité de travailler le thème avec l’ancien champion de Belgique de slam, Théo Eloy aka JakBrol, venu pour l’occasion. Pour les inspirer, l’équipe du FARES de Namur leur propose de visionner ensemble le DVD éducatif ‘Résister à l’industrie du tabac mettant en évidence, comme son nom l’indique, les agissements manipulateurs de Big Tobacco. Un chouette moment de rencontre et de partage pour ces internes, et l’ouverture à une approche critique de la thématique. Là aussi, l’objectif est de mobiliser certaines des compétences psychosociales des jeunes.
D’autres, ne participant pas directement au projet, ont l’occasion, lors de l’une de leurs projections hebdomadaires, de visionner le film grand public ‘Révélations’. Basé sur des faits réels, il relate l’histoire d’un scientifique américains travaillant pour le compte de la compagnie de tabac Brown & Williamson (Russel Crowe) et d’un journaliste d’investigation (Al Pacino). Ils ont fait éclater ensemble l’un des scandales les plus retentissants de l’histoire du tabac en dénonçant comment les plus gros manufacturiers de tabac, qui connaissaient depuis longtemps les effets dévastateurs de leur produit, décidèrent d’en sous-estimer les dangers.
À la fin de l’année scolaire 2016, dans la salle de théâtre du Collège de Saint-Servais, c’est très soudés et quelque peu angoissés que l’ensemble des jeunes investis dans le projet jouent leur représentation parés de leurs plus beaux costumes, chantent des textes de leur cru et présentent le making-of émouvant de tout leur travail.
Leurs efforts sont chaleureusement applaudis par leurs congénères venus pour l’occasion, leur direction, leurs éducateurs et leurs parents. Certains des jeunes présents parmi le public viennent ensuite les trouver pour échanger avec eux et leur faire savoir comme ils ont été interpellés par le contenu de leur travail!
Au-delà de la sensibilisation
Après la représentation, des idées d’approfondissement émergent déjà chez les éducateurs porteurs du projet dans l’internat, là où les mêmes ne voyaient pas comment aborder la problématique difficile de la consommation de tabac par les jeunes en début de processus… Ce sont des professionnels fiers de leurs jeunes, satisfaits de l’effort accompli et demandeurs de renouveler ce type d’expérience que nous retrouvons. Mais aussi un groupe de jeunes soudés, fiers de ce qu’ils ont produit et quelque peu frénétiques… Une véritable cohésion est née entre eux.
À la rentrée scolaire 2016-17, le FARES recontacte l’éducateur responsable afin d’évaluer les possibilités d’apporter une suite au projet. Celui-ci témoigne du fait que, dès le premier jour de la rentrée, plusieurs jeunes impliqués l’année précédente sont venus le trouver, très demandeurs de réitérer l’expérience…
Au-delà de la sensibilisation à la problématique du tabagisme, ce projet aura permis de travailler de nombreuses compétences chères à la promotion de la santé et que l’on sait être des facteurs de protection vis-à-vis des assuétudes, telles que la pensée créative et critique, la communication et la coopération (entre jeunes et avec les référents éducatifs), la prise de décision, la gestion du stress et des émotions, l’estime de soi, le sentiment d’efficacité personnelle et bien d’autres encore. Mais aussi, la collaboration avec le FARES a été l’occasion pour l’internat Asty-Moulin de mener plus loin la réflexion sur la gestion du tabagisme et de faire évoluer en son sein les mentalités par rapport à la consommation de tabac.
Le Service Prévention Tabac du FARES et la promotion de la santé
Créée en 1986, l’équipe du Service Prévention Tabac met depuis 30 ans ses compétences au service des professionnels-relais des secteurs de l’éducation, de la santé et du social. Les actions de coordination, de sensibilisation, de diffusion, de formation et d’animation en matière de prévention et d’aide à la gestion du tabagisme s’inscrivent dans une perspective de promotion de la santé.
Ainsi, le service outille les professionnels de l’éducation, de la santé et du social afin qu’ils puissent intégrer et soutenir des projets de prévention dans leur pratique. Il remplit cette mission par:
l’accompagnement dans la mise en place de projets de prévention à destination des jeunes, des adultes-parents et des familles;
le développement de savoirs et compétences en matière de promotion de la santé: modules de formation et ateliers découverte;
la guidance documentaire dans le choix de livres, articles, brochures, outils et supports pédagogiques du centre de documentation du FARES.
Antenne bruxelloise: rue de la Concorde 56 – 1050 Bruxelles. Tél.: 02 518 18 66. Antenne wallonne: rue Château des Balances 3bis – 5000 Namur. Tél.: 0474 57 17 15. Ou par courriel: prevention.tabac@fares.be.
Pour découvrir l’outil, consultez le site de PIPSa ou celui du FARES pour les dates de formation programmées à ce sujet.
Dans la pratique, le slam est une forme moderne de poésie qui allie écriture, oralité et expression scénique. Art d’expression orale populaire, il se pratique généralement dans des lieux publics, sous forme de scènes ouvertes et de tournois. Les slameurs déclament, lisent, scandent, chantent, jouent des textes de leur cru sur des thèmes libres ou imposés.
La nouvelle réglementation en matière d’e-cigarette permettra de mieux encadrer la vente de ce produit. À cette occasion, la Fondation contre le Cancer lance un film qui répond à certaines questions et donne la parole à des témoins. En outre, elle propose désormais de l’information sur ce thème sur le site de Tabacstopwww.tabacstop.be/e-cigarette .
Moins nocive que la cigarette classique
L’ensemble des experts estime aujourd’hui que la cigarette électronique est moins nocive pour la santé que la cigarette classique. La grande différence entre la cigarette classique et l’e-cigarette se situe au niveau de la combustion.
Lors de la combustion d’une cigarette classique, de nombreuses substances toxiques se libèrent (monoxyde de carbone, formaldéhyde, benzène, goudrons…). Ces substances augmentent le risque de développer un cancer ou des maladies cardiovasculaires. Par contre, lors de l’utilisation d’une e-cigarette, il y a une production de vapeur mais pas de combustion. On trouve une série de substances chimiques dans les e-liquides, mais grâce à l’absence de combustion, il n’y a pas de production de goudrons, qui sont à l’origine de nombreux cancers.
La Fondation contre le Cancer souligne que cet avantage n’est effectif que s’il y a un abandon total de la cigarette classique. En outre, elle souligne que l’incertitude demeure au niveau des risques à long terme de l’e-cigarette sur la santé. La prudence reste donc de mise. Comme l’indique le Conseil Supérieur de la Santé dans un avis rendu en octobre 2015: «Il existe encore peu d’utilisateurs de longue durée et, par conséquent, pas assez d’études à long terme pour pouvoir tirer des conclusions solides».
La cigarette électronique peut-elle jouer un rôle au niveau de l’arrêt tabagique?
La Fondation contre le Cancer rappelle que le premier conseil à donner aux fumeurs est d’arrêter de fumer. Si le fumeur n’y arrive pas seul, le deuxième conseil est de chercher de l’aide. La meilleure aide qui existe actuellement est un accompagnement par un tabacologue ou un médecin, combiné avec des moyens d’aide dont l’efficacité a été prouvée, comme par exemple des médicaments, des patchs ou des sprays. Ces moyens d’aide permettent de limiter les symptômes de sevrage. Si ces méthodes ne fonctionnent pas ou si le fumeur les exclut, l’e-cigarette avec nicotine peut offrir une alternative. L’objectif est le même qu’avec les substituts nicotiniques médicamenteux: diminuer les doses de nicotine progressivement afin de déshabituer le cerveau en douceur. L’e-cigarette peut donc jouer un rôle, mais il vaut toujours mieux donner la priorité à l’accompagnement et aux aides classiques.
Protéger les non-fumeurs
Par ailleurs, la Fondation contre le cancer met en garde sur un autre point. Il convient de protéger les personnes n’ayant jamais fumé de e-cigarette. La Fondation craint en effet que la cigarette électronique n’engendre un nouvel effet de mode. En outre, elle se méfie particulièrement de l’industrie du tabac, qui investit actuellement dans ce marché. S’agit-il d’une nouvelle stratégie pour attirer les jeunes par ce biais vers le tabagisme? D’autre part, si l’industrie du tabac mettait consciemment sur le marché des e-cigarettes moins efficaces, cela pourrait empêcher sa clientèle de rompre avec la dépendance au tabac.
L’itinéraire incertain des connaissances issues de la recherche
Pour élaborer un projet territorial en prévention et promotion de la santé, les décideurs locaux auraient tout à gagner à s’appuyer sur les enseignements issus de la recherche en santé publique, notamment ceux qui explicitent les ressorts des inégalités sociales et territoriales de santé ainsi que les modalités d’interventions visant à les réduire.
Le font-ils? Trop peu, juge une équipe de chercheurs appartenant au Département des Sciences humaines et sociales de l’École des Hautes Études en Santé Publique de Rennes (EHESP) et ses collaborateurs de l’Université de Montréal. Aussi ces chercheurs, emmenés par l’enseignante-chercheur Jeanine Pommier, ont-ils bâti un projet de recherche dédié à cette problématique, qu’ils ont baptisé RICAP (Recherche et intervention: collaboration entre chercheurs et acteurs des politiques).
Leur objectif: étudier les conditions nécessaires au partage et à l’application des connaissances en santé publique entre chercheurs et acteurs de politiques locales. Ces travaux, démarrés en 2013, ont fait l’objet d’une journée d’échange et de production collective le 7 octobre dernier à l’EHESP. Trente personnes y ont participé. Parmi elles se trouvaient des acteurs de la recherche mais aussi des techniciens de santé publique ou de promotion de la santé, des décideurs politiques, associatifs et institutionnels, des ingénieurs d’études et une poignée de professionnels des médias et éditeurs en santé publique.
PAC: de quoi parle-t-on?
Qu’on se le dise: ce PAC-là n’a rien à voir avec la Politique agricole commune! Il s’agit de son homonyme masculin: Partage et Application de Connaissances, un concept qui désigne l’ensemble des fonctions et des processus qui visent à améliorer la manière dont les connaissances sont partagées et appliquées pour apporter des changements efficaces et durables. Il se fonde sur trois stratégies complémentaires: informationnelle, relationnelle et systémique.
La première – informationnelle – consiste à sensibiliser les acteurs au moyen de notes de synthèse, dossiers de connaissances, infographies, bases de données qui sont autant d’outils utiles à la collecte, au stockage et à la communication d’informations pour en faciliter l’accès et l’utilisation.
La deuxième – relationnelle – revient à mobiliser les acteurs, créer du lien entre eux et les faire collaborer en vue de coproduire des connaissances via les réseaux sociaux, des plateformes collaboratives ou des communautés de pratique par exemple.
La troisième enfin – systémique – vise à développer les capacités de tous, acteurs politiques et chercheurs, en vue d’une meilleure intégration des connaissances dans les pratiques des uns et des autres. Ca, c’est pour la théorie.
Trois années de recherche
Le projet RICAP s’inscrit dans ce cadre conceptuel avec la volonté d’interroger chacune des trois stratégies du PAC. Son coordinateur, Anthony Lacouture, est doctorant en santé publique et science politique. Il s’est d’abord employé à décrire le PAC au moyen d’une revue de la littérature internationale sur le transfert de connaissances.
Puis il a lancé deux études portant sur les dispositifs de collaboration entre chercheurs et décideurs en santé publique dans trois régions françaises. Par dispositifs de collaboration, il faut comprendre recherches interventionnelles, recherches action, participatives ou évaluatives ou encore évaluations d’impact en santé (EIS). «Dans la première de ces études», rapporte-t-il, «l’objectif a été d’étudier les conditions facilitantes ou limitantes du PAC entre chercheurs et acteurs des politiques.» Ces deux-là n’évoquent pas les mêmes facteurs, on s’en doute. Trois dispositifs de collaboration, en Bretagne, en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, ont ensuite été sélectionnés pour être passés au crible et comprendre pourquoi et comment ceux qui s’y impliquent produisent des connaissances et favorisent leur utilisation en faveur de la santé des populations. Ce travail est toujours en cours et sera au coeur de la thèse universitaire d’Anthony Lacouture.
Mais ce n’est pas tout car le projet RICAP s’intéresse plus particulièrement à la trajectoire de la connaissance à l’échelle de l’intercommunalité. C’est pourquoi les chercheurs se sont ensuite employés à questionner des élus et des techniciens de communes et d’intercommunalités sur la manière dont ils mettent en oeuvre les trois stratégies du PAC. Enfin, ils ont rencontré 19 d’entre eux en Bretagne, soit onze élus et huit techniciens pour étudier dans le détail avec eux la question des conditions nécessaires à l’utilisation des données issues de la recherche en matière de prévention et promotion de la santé.
Trois années de recherche ont ainsi permis à Anthony Lacouture de collecter quantité de données, de discours et de constats, matériau à partir duquel il a extrait une série de propositions d’actions pour optimiser la mobilisation, le partage, la production ou l’utilisation des connaissances au sein des territoires lors de l’élaboration d’un projet en prévention et promotion de la santé.
État de l’art sur le transfert de connaissances
Le jeune chercheur en était là quand s’est tenue la journée de travail du 7 octobre. Les participants réunis dans l’amphithéâtre savaient à quoi s’en tenir: leurs cerveaux seraient mis à contribution pour discuter les actions proposées, en imaginer de nouvelles et sélectionner quelques priorités qu’il leur faudrait ensuite rendre opérantes au moyen de fiches actions. Pas de quoi effrayer les professionnels de santé publique ayant répondu à l’invitation de l’EHESP, habitués à de telles méthodes de travail et aux allers-retours entre séances plénières et travaux de groupe.
En préambule et une fois le programme et les enjeux de la journée présentés par Jeanine Pommier, ce sont les chercheurs québécois qui ont pris la parole les premiers pour brosser un rapide portrait du transfert de connaissances, autrement plus étudié outre-Atlantique qu’en France.
Á travers ses mécanismes efficaces et ses facteurs d’influence d’abord, par la voix de Christian Dagenais, professeur de psychologie à l’Université de Montréal et directeur de l’équipe RENARD dédiée précisément au transfert de connaissances. “ “Le profil de l’utilisateur, son expertise, ses habilités et ses compétences propres comptent bien entendu”, a-t-il expliqué. “Mais ce ne sont pas les seules influences. Les caractéristiques liées à l’environnement et aux structures organisationnelles du décideur et du chercheur lui-même entrent aussi en ligne de compte.’
Puis Valéry Ridde, professeur de santé publique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, a évoqué quelques-uns des outils qu’il a lui-même mobilisé pour faire connaître ses travaux sur les politiques de santé en Afrique de l’Ouest aux décideurs locaux: infographies élaborées à partir de données probantes, caricatures, vidéos, recours au théâtre de rue, notes de politique (policy briefs en anglais) incluant des recommandations opérationnelles pour l’action ou encore blog alimenté avec le concours d’écrivants, journalistes ou pas. ‘Mais attention”, prévient-il, “il n’existe pas d’outil miracle qui marche à tous les coups. Le transfert de connaissances reste un processus complexe. »
Ces constats et éléments de réflexion étant posés, les participants se sont mis au travail. Objectif: discuter en groupes de la pertinence des quinze actions proposées, réparties selon les quatre processus du PAC – mobilisation, partage, production et utilisation des connaissances – et ses trois stratégies citées plus haut – informationnelle, relationnelle, systémique.
Par exemple et pour ne citer que deux actions avec l’espoir de ne pas rendre cet article complètement indigeste: ‘Développer le lobbying et la fonction d’interpellation des élus par les élus et autres acteurs pour créer une culture commune dans le temps’. Ou encore: ‘réaliser un support permettant de présenter les modalités de recherche en prévention et promotion de la santé pour favoriser leur appropriation par les acteurs des politiques’.
Dans les groupes, les langues se sont déliées doucement, chacun cherchant le point d’entrée faisant écho à sa pratique professionnelle. Sur le volet mobilisation des connaissances existantes, plusieurs initiatives ont été citées en exemple, notamment celle du Centre national de formation de la fonction publique (CNFPT) intitulée e-communauté en santé publique. Le démarrage de cette plateforme d’échange entre chercheurs, acteurs et décideurs sur des questions de santé publique est prévu en décembre 2016.
S’agissant de la production de nouvelles connaissances, une poignée de participants a judicieusement fait remarquer que le début de mandat d’un élu n’est pas le meilleur moment pour initier des collaborations avec les chercheurs dans la mesure où sa prise de fonction l’accapare déjà beaucoup. D’autres ont pointé le fait que conditionner les appels à projet de recherche à un partenariat entre les équipes de recherche, les citoyens et les décideurs est un levier simple et puissant.
Quid des stratégies pour diffuser les connaissances localement? Le concept ‘Ma thèse en 180 secondes’, qui consiste à présenter une recherche et ses enjeux en trois minutes chrono à un public lambda, pourrait être inspirant. Plusieurs personnes ont également plaidé pour une co-construction des connaissances, au travers notamment de la recherche interventionnelle, jugeant que les acteurs de terrain se les approprient ensuite mieux que les données issues du seul travail des chercheurs et fournies par eux.
A voté!
Invité à formuler eux-mêmes des nouvelles pistes d’actions, l’ensemble des groupes en a livré seize en mesure, selon eux, d’optimiser la mobilisation, la production et le partage des connaissances. Ils sont en revanche restés cois sur l’axe ‘utilisation de ces connaissances’. Puis l’amphithéâtre a pris des allures de bureau de vote. Les participants étaient invités à choisir parmi toutes ces propositions (31 au total) pour n’en retenir que quatre, une par processus du PAC, qu’ils estimaient prioritaires. Un vote tout ce qu’il y a de plus moderne via internet et au moyen du smartphone, de la tablette ou de l’ordinateur portable que chacun avait pris soin d’apporter.
Les résultats, disponibles en un rien de temps, ont révélé un certain consensus autour de deux processus, plébiscitant les actions suivantes: ‘penser un dispositif territorial souple et fluide pour faire connaitre d’une part, les recherches menées et d’autre part, les problématiques auxquelles sont confrontés les acteurs des politiques et les actions qu’ils mettent en oeuvre pour y faire face’ (axe mobilisation) et ‘créer des modalités d’accompagnement et de soutien des acteurs des politiques pour favoriser l’utilisation des connaissances scientifiques’ (axe utilisation).
Sur les deux autres axes, les votes étaient plus dispersés. Lors de la dernière séquence de travail, quatre groupe ont investi quatre salles avec pour consigne de bâtir chacun une fiche action correspondant à une action prioritaire. Á défaut d’action prioritaire évidente, le groupe avait la liberté de travailler sur la proposition de son choix et de formuler lui aussi un ou plusieurs objectifs, d’identifier des porteurs potentiels de l’action, de la décrire, de pointer leviers, contraintes et points de vigilance.
Le temps était limité, le travail collectif quelque peu hésitant. Néanmoins, la restitution des travaux en plénière a révélé l’existence de quatre ébauches bien amorcées, que les chercheurs investis dans le projet RICAP ont confirmé vouloir exploiter pour la suite de leurs travaux sur le PAC en prévention et promotion de la santé à l’échelle des territoires.
L’oeil du novice
Lionel Larqué n’est ni décideur politique, ni acteur de santé sur le terrain, ni chercheur en santé publique. Il a pourtant assisté à toute la journée de travail, pris part aux discussions de groupe, au vote et à la rédaction des fiches actions. Il a surtout écouté attentivement chacune des interventions, affichant de temps à autre un sourire entendu voire surpris. Á la ville, il est physicien-océanographe et directeur général d’ALLISS (Alliance Sciences Société), un réseau associatif d’acteurs militant pour un meilleur dialogue entre sciences et société.
Á la scène ce jour-là, il s’est livré à un exercice de bousculade intellectuelle en exprimant sans détour ce que les échanges de la journée lui avaient laissé comme impressions. “Il y a plusieurs éléphants dans le couloir qui sont autant d’implicites et de non-dits que vous auriez tout intérêt à rendre explicites. Cela rendrait vos discours et vos intentions plus audibles. Le primat du soin et du médicament par exemple. Vous sous-entendez que c’est un problème mais sans l’exprimer clairement. Vous semblez aussi considérer que la société agit raisonnablement et que la force des données probantes guide les acteurs dans leurs décisions. Mais ce n’est pas ainsi que cela se passe. Les décideurs ont eux-mêmes une vision du monde et vont tout faire pour ignorer ce que vous avez à leur dire. C’est en sortant des non-dits pour construire une vision commune des problèmes que vous avancerez.”
Lionel Larqué réfute l’usage du terme ‘transfert de connaissances’. “Pensez-vous vraiment que les connaissances ne circulent que dans un seul sens ou qu’elles ont intérêt à cela?”. Autre bataille à mener selon Lionel Larqué: celle de la langue et de la médiation du courant scientifique produit. “Il ne s’agit pas de parler latin à votre Église mais d’être compris par le peuple!”
Pour lui, les questions de recherche ne peuvent émerger que si elles ont d’abord eu l’occasion d’incuber et de se confronter à différents paradigmes. ‘Cela revient notamment à se demander qui pose la question, comment, en quels termes exactement? C’est le mininum éthique du partage de connaissances.’
Nul doute que cette remise en question un brin déstabilisante aura fait mouche dans l’assistance…
Ce que la géographie peut pour le dépistage du cancer du sein
Pour l’association française ‘Élus, santé publique & territoires’ (ESPT) qui regroupe plus de 60 villes, il est évident que les élus locaux ont la capacité, et aussi le devoir, d’agir sur les inégalités sociales et territoriales de santé.
Mais comment faire pour les en convaincre et les inciter à passer à l’action? S’emparant de la problématique du dépistage du cancer du sein en Île-de-France, l’association a noué un partenariat acteurs-décideurs-chercheurs avec deux équipes universitaires de géographes de la santé et les acteurs de santé régionaux. Leur but: s’inscrire dans une logique de coproduction d’une connaissance scientifique utilisable pour l’action publique.
Depuis 2010, ils s’emploient à effectuer des diagnostics locaux de santé à l’échelle infra-communale, c’est-à-dire quartier par quartier. Les données sont recueillies par les différents acteurs du champ de la santé agissant pour la prévention du cancer du sein sur ces territoires, puis les scientifiques et leurs étudiants élaborent une cartographie des disparités de participation au dépistage, complétée par une enquête qualitative visant à expliquer les variations observées d’un quartier à l’autre. Á ce jour, une cinquantaine de communes franciliennes se sont prêtées au jeu. Les résultats de cette recherche n’ont pas vocation à demeurer confidentiels: une plateforme régionale baptisée Géodépistage recense toutes les études. Les partenaires s’emploient également à suivre et faire connaître les retombées opérationnelles sur le terrain.
Bientôt une plateforme française de ressources en santé publique?
InSPIRe-ID est le pertinent acronyme d’une initiative française originale et prometteuse. En version longue, cela donne: Initiative en Santé Publique pour l’Interaction de la Recherche, de l’Intervention et de la Décision.
Il s’agit ni plus ni moins d’un dispositif de transfert et de partage de connaissances en santé publique à l’échelle du pays, en construction depuis quelques années à l’EHESP sous la houlette de Linda Cambon, Laurent Chambaud et François Petitjean.“De nombreuses données existent sur les interventions probantes ou prometteuses en prévention et promotion de la santé: ce qui marche, à quelles conditions, etc. Mais, constatent-ils, elles ne sont pas travaillées pour être facilement accessibles aux professionnels. De fait il y a plusieurs obstacles tels que le coût, la langue, la traduction en synthèses et en référentiels d’action.’
L’idée consiste donc à créer une plateforme collaborative de ressources ouverte aux chercheurs et aux opérateurs en santé publique, qui recense, valorise et mutualise les données utiles et utilisables par les uns et les autres, propose appui et expertises pour la recherche et l’utilisation des données probantes et encourage la recherche interventionnelle.
L’autre caractéristique du projet est de réunir au sein de son comité de pilotage dix institutions et agences de santé publique françaises parmi les plus influentes tels que la Direction générale de la Santé, la Société française de santé publique, Santé Publique France ou encore l’Institut national du cancer, auxquels s’ajoute une douzaine de partenaires tout aussi incontournables. Une gageure en somme.
Début 2016, le projet était sur les rails et semblait bien parti. Un état des lieux des dispositifs existant en France et pouvant permettre d’alimenter à court ou moyen terme la future plateforme était remis à François Petitjean et concluait à la nécessité d’offrir des services à forte valeur ajoutée.
Anthony Lacouture, doctorant au sein du projet RICAP, a pour sa part bouclé une étude qui passe en revue les dispositifs mis en oeuvre à l’étranger auprès des décideurs pour favoriser le recours aux données sur des interventions probantes ou prometteuses dans le champ de la prévention et de la promotion de la santé. Seulement voilà: depuis cet automne, la belle initiative boit la tasse. “InSPIRe ID est aujourd’hui suspendu’, a annoncé Linda Cambon aux participants à la journée d’échange et de production autour du projet RICAP, laissant entendre que des querelles de chapelle pour savoir qui s’attribuerait la paternité du dispositif étaient à l’origine de la noyade. “Pour autant”, a-t-elle ajouté, “les travaux se poursuivent entre la SFSP, l’EHESP et l’Institut Renaudot dans le but de structurer un outil commun pour l’évaluation des actions en santé publique.’ Ce dernier n’a pas encore de nom. Du reste, il n’en aura peut-être jamais. ‘Le naufrage d’InSPIRe-ID a commencé quand nous avons baptisé le dispositif’, glisse Linda Cambon.
Présentation et actualités du projet RICAP sont disponibles sur son site internet.
Cette journée était organisée par l’EHESP en collaboration avec le Réseau français des Villes-Santé de l’OMS, l’Association Élus, santé publique et territoires, la chaire REALISME et l’équipe RENARD.
Une fois de plus, le énième projet de Plan d’action national alcool (PANA), qui aurait dû être lancé le 24 octobre dernier, a échoué. Comme par le passé, les intérêts économiques avancés par le secteur de l’alcool et ses relais politiques ont pris le pas sur les intérêts de santé publique. À cette occasion, le Groupe porteur ‘Jeunes, alcool & société’ a souhaité rappeler ses principales revendications et propositions en vue d’une politique ‘alcool’ plus cohérente, au profit des consommateurs.
Jeunes et alcool, où est le problème?
Depuis plusieurs années, on observe une évolution des pratiques commerciales, de plus en plus agressives et insidieuses. Le rapport au produit semble aussi évoluer: de nouvelles tendances apparaissent dans les comportements de consommation en Europe (y compris la Belgique), principalement chez les jeunes, notamment une plus grande expérimentation de l’alcool et des pratiques parfois à haut risque avec une propension plus importante à consommer jusqu’à l’ivresse.
Par ailleurs, il existe bien souvent un fossé entre les représentations des adultes et les réalités que vivent les jeunes. Bon nombre de stéréotypes sont ainsi véhiculés vis-à-vis des jeunes et de l’alcool, notamment par les médias, ce qui tend à biaiser la vision des adultes, souvent trop caricaturale et peu nuancée sur ces questions.
Pourtant ancré culturellement, l’alcool reste ainsi paradoxalement un sujet assez difficile à aborder qui renvoie chacun à ses ambiguïtés, voire ses contradictions. Il en résulte un manque cruel de dialogue et de concertation autour de ces questions.
Quant à la législation en vigueur, elle est peu connue, complexe et difficile à comprendre, à intégrer, et le législateur peine à y mettre de la cohérence. À titre d’exemple, la législation actuelle interdit d’une part l’offre d’un produit (alcool) à un certain public (les mineurs), alors que, d’autre part, elle permet aux alcooliers de matraquer ce même public et de le pousser à la consommation, voire à la surconsommation!
Les jeunes ne sont pas les seuls à souffrir des incohérences de l’État sur ces questions. Les adultes restent aujourd’hui les principaux consommateurs d’alcool et près de 10% des Belges montrent une consommation problématique. Il s’agit d’une réelle urgence de santé publique. Force est donc de constater que de nombreux tabous et paradoxes persistent aujourd’hui autour de notre drogue culturelle favorite…
En collaboration avec l’asbl Action Ciné Médias Jeunes, le Groupe porteur ‘Jeunes, alcool et société’ a récemment réalisé une série de cinq capsules-vidéos afin d’interpeller la société sur différentes problématiques liées à la consommation d’alcool et de rappeler au législateur les besoins criants en la matière et les modifications de la législation qui nous semblent pertinentes à mettre en oeuvre. À voir ou revoir sur www.jeunesetalcool.be
Trois points d’attention, trois propositions
Le Groupe porteur veut en particulier attirer l’attention sur les questions de la publicité, de la législation et de la prévention.
Nous y reviendrons dans notre prochain numéro.
La publicité
Au quotidien, la publicité nous manipule et limite notre liberté de faire un choix éclairé en matière de consommations. Ses dérives sont nombreuses et le marché publicitaire est en pleine mutation depuis quelques années. Les techniques publicitaires, toujours plus agressives et plus ciblées, le développement de nouveaux produits, les nouvelles formes de marketing, notamment sur les réseaux sociaux ou lors d’événements en témoignent. Le secteur de l’alcool en est un illustre exemple. Mais les dérives s’observent également en matière d’alimentation, de développement durable, d’égalité des sexes ou encore de greenwashing.
Dans le cadre de la publicité pour les produits alcoolisés, une convention privée, rédigée en 2005, existe mais une série d’observations témoignent de nombreux manques et insuffisances.
La principale lacune réside surtout dans le système même de convention privée. En effet, la manoeuvre stratégique qui consiste, pour les secteurs de la production, de la distribution et de la publicité, à élaborer eux-mêmes des codes de bonne conduite de manière à éviter, sciemment, l’adoption d’une loi permet finalement de contourner facilement ce qui ne sont que des recommandations dénuées de véritables sanctions.
Pour un véritable Conseil fédéral de la publicité
L’intervention des pouvoirs publics est primordiale et c’est l’ensemble de la publicité qui doit être mieux contrôlée par un organe indépendant du secteur, au pouvoir réellement contraignant et aux missions d’observation élargies.
Seul un contrôle public de la publicité permet de garantir au citoyen un niveau de protection élevé et effectif, synonyme d’une publicité éthique et responsable. Le secteur privé ne pourra jamais se substituer au secteur public dans la défense de l’intérêt général.
Supprimer la publicité pour les boissons alcoolisées
L’alcool est le psychotrope le plus consommé dans l’ensemble de l’Union européenne et, contrairement à d’autres produits psychoactifs (tabac, cannabis, XTC, etc.), c’est aujourd’hui le seul psychotrope pour lequel il est encore autorisé de faire de la publicité malgré les conséquences néfastes sur la santé.
Il est donc temps que les pouvoirs publics prennent des mesures plus égalitaires afin de mieux protéger les consommateurs, notamment les plus jeunes.
La vision de l’alcool a évolué, que ce soit dans la législation ou les préoccupations politiques. Les premiers textes de loi, peu détaillés au début de siècle, ont fait place à des lois liées à d’autres aspects tels que la publicité ou les mineurs.
La législation
Les textes de lois en matière d’alcool sont encore bien trop flous et peu connus. Qu’est-ce qui est autorisé, qu’est-ce qui ne l’est pas? Que signifie ‘boisson spiritueuse’? … La plupart des consommateurs ne connaissent pas la législation en vigueur, les commerçants et cafetiers ont des difficultés à l’intégrer et à l’appliquer. Ces textes ambigus et peu compréhensibles ne facilitent pas non plus le travail préventif que les acteurs de terrain mènent au quotidien.
Il est donc primordial de faciliter la compréhension et l’intégration de la loi en la simplifiant pour qu’elle soit lisible et comprise par tous sans confusion.
Clarifier et simplifier la loi
Si le législateur veut garder une distinction entre certains types de boissons alcoolisées selon les âges (16-18 ans), il serait préférable de se baser sur le taux d’alcool, cette information est indiquée sur les bouteilles et donc accessible à tous. Nous proposons donc la clarification suivante:
en-dessous de 16 ans: aucune boisson alcoolisée;
à partir de 16 ans: toute boisson alcoolisée dont le taux d’alcool ne dépasse pas 16°;
partir de 18 ans: toute boisson alcoolisée.
Cette proposition, parmi d’autres possibles, a le mérite de simplifier la distinction actuelle, bien trop complexe, tout en étant la plus proche de la réalité de terrain
Dépénaliser l’apprentissage parental
Aujourd’hui, la loi pénalise toute personne qui sert de l’alcool à un mineur d’âge et inclut de facto les parents. Le Groupe porteur souhaiterait dépénaliser l’apprentissage parental et permettre ainsi aux parents d’assurer un rôle éducatif en matière de consommation d’alcool et de devenir un levier d’apprentissage à une consommation cadrée, progressive, socialement adaptée, plus responsable et moins risquée.
La prévention
Les mésusages d’alcool ont un impact sanitaire conséquent à travers le monde. L’OMS rapportait en 2015 que l’usage nocif de l’alcool entraînait dans le monde 3,3 millions de décès chaque année, soit 5,9% des décès, en grande partie parmi les jeunes. En effet, près de 25% du nombre total de décès sont attribuables à l’alcool. En Europe, on estime que l’alcool est responsable de 7,4% des décès prématurés et par maladies spécifiquement liées à l’alcool.
De plus, l’alcool entraîne des coûts sociaux et économiques importants, que ce soit en termes de bénéfices (accises liées à l’alcool, producteurs de boissons alcoolisées, emplois et recettes dans l’Horeca) ou de pertes (soins, sécurité, chômage, etc.).
En Belgique, le coût du mésusage d’alcool a été estimé à 4,2 milliards d’euros par an, alors que les bénéfices liés à l’alcool s’élèvent au total à 1,5 milliard d’euros, incluant les accises et les recettes de l’industrie (Annemans, 2013).
Des mesures sont donc nécessaires pour protéger la santé du citoyen mais aussi celle de la société dans son ensemble.
Retrouver un équilibre
L’amélioration de la législation, sa compréhension, son application et son contrôle sur le terrain sont des étapes nécessaires. Mais ces mesures devraient surtout être largement assurées par des actions éducatives, de prévention, de promotion de la santé et de réduction des risques (leviers principaux pour une modification efficace et durable de comportements inadéquats), et mises en oeuvre par les institutions compétentes et soutenues par les pouvoirs publics au moins autant que ne le sont les mesures sécuritaires et coercitives, ces dernières étant souvent le premier réflexe du législateur au détriment de l’éducation, pourtant plus efficace à long terme.
Or, le déséquilibre entre les budgets alloués à la prévention/réduction des risques et ceux consacrés à la sécurité en Belgique est manifeste. L’étude ‘Drogues en chiffres III’ (Van der Laenen et al, 2011) montre, pour la troisième fois, que le budget dépensé pour la prévention constitue une infime partie de l’ensemble des dépenses ‘drogues’. En effet, l’ensemble des dépenses publiques allouées aux drogues légales et illégales en Belgique, représentait, en 2011, environ 975 millions d’euros (97 % relevant du fédéral). Parmi celles-ci, 76,5% vont à l’assistance (traitements, hospitalisation, etc.) et 21,67% à la sécurité alors que la prévention pèse seulement 1,24 % et la réduction des risques 0,24 %! En outre, on constate une baisse de 7,18% entre 2004 et 2008 dans les dépenses publiques consacrées à la prévention.
Le transfert des compétences a également complexifié la mise en place des actions, et la logique de financement par projets n’est pas adaptée à une approche à long terme. Il est donc grand temps que la prévention et la réduction des risques soient renforcées, et qu’un rééquilibrage se fasse par rapport aux logiques sécuritaires et répressives souvent largement privilégiées par les responsables politiques.
Coordonnées: piloté par l’asbl Univers santé, Place Galilée 6, 1348 Louvain-la-Neuve. Internet: www.jeunesetalcool.be
Dans un article précédent, nous avons défendu la thèse que les politiques de réduction du rôle de l’État n’étaient pas directement justifiées par les crises financières et économiques.Ces dernières ne sont que des ‘excuses’ pour appliquer des recettes d’inspiration dogmatiques.
Nous avons aussi défendu l’idée que ces mesures d’austérité ne pourront être pérennisées sans une forme de légitimation des raisons invoquées par leurs initiateurs. Nous avons identifié le ‘primat de la croissance économique’ comme première raison et avons repéré trois types de défis (écologique, systémique et anthropologique) auxquels les thuriféraires de la croissance devront faire face même si tous les citoyens ne devraient idéalement pas rester indifférents au déroulement et à l’aboutissement de cette joute.
Le présent article est consacré à l’autre justification des mesures de réduction de la place de l’État: la critique de l’État-providence qui va elle aussi s’accompagner de défis à relever. Nous adressons pour terminer quelques recommandations aux professionnels de la science économique qui ne peuvent, au regard de l’enjeu, garder les yeux rivés sur leurs modèles en espérant que la réalité se décide enfin à en respecter les hypothèses fondatrices.
Légitimation d’une solidarité réduite
C’est confronté aux mesures d’austérité que l’individu est susceptible de prendre conscience du rôle que joue la solidarité. Nous avons déjà expliqué que la critique fondamentale néolibérale à l’égard de l’État-providence consiste à réfuter la compatibilité entre solidarité et responsabilité (Léonard, 2015). Le discours est relativement bien rôdé, des individus libres et donc responsables doivent assumer leurs choix et ne pas en faire subir les conséquences aux autres. Toutefois, chacun pense que ce sont les autres qui méritent d’être ‘responsabilisés’, sanctionnés pour leur comportement incivique; les fumeurs, les alcooliques, les sédentaires, les obèses, les chômeurs, les actifs qui pratiquent un sport à risque, les patients ‘non compliants’…En fait pas mal de monde alors que chacun est convaincu de ne pas être concerné, même si cela devrait relever de la mauvaise foi pour celles et ceux qui, par exemple, se verront prescrire une activité physique par leur médecin. Étrange manque de lucidité à l’égard de soi-même quand il s’agit d’admettre nos ‘défaillances’.Tout aussi étrange cette certitude qui nous habite quand nous estimons nos propres mérites ‘positifs’, quand nous sommes convaincus que nous méritons notre salaire, notre situation sociale, notre conjoint… Les mesures de ‘pseudo-responsabilisation’ peuvent alors être prises dans tous les domaines de l’existence puisqu’elles ne concernent que les autres. Aussi longtemps que nous ne percevons pas que nous sommes également touchés par les réductions du champ de la solidarité, nous nous contentons de déplorer que les mailles du filet de protection sociale s’élargissent. Vient alors le moment où ce filet ne retient pas un proche, ou nous-mêmes, et la lumière se fait sur le processus qui est à l’œuvre.
Nous verrons plus loin qu’une attitude de ‘care’ des uns vis-à-vis des autres est susceptible de nous éviter cette désagréable surprise, mais imaginons un instant qu’une masse critique au sein de la population vive ces dénis de solidarité, imaginons alors les défis auxquels la société devra faire face. Les solutions qui émergeront des lieux de confrontations vont, tout comme pour la légitimation de la croissance, constituer les nouvelles bases de la société. Nous allons voir que, tout comme le renoncement à la croissance a un prix, à nos yeux justifié, le maintien de la solidarité exige que nous assumions les réelles responsabilités consubstantielles à une liberté légitimement revendiquée.
Le défi technologico-éthico-médical
Notre analyse est focalisée sur les soins de santé mais c’est bien l’ensemble des domaines de l’existence qui sont touchés par les mesures d’inspiration néolibérales. Les soins de santé, nous l’avons déjà souligné, sont toutefois un ‘lieu’ particulier où l’on retrouve la plupart des sentiments humains mais aussi la plupart des possibles expérimentations d’ordre politique, économique, sociologique, psychologique… Parce qu’il s’agit d’un des biens les plus précieux avec l’amour, la santé concentre les tensions, les déchirures, les craintes, les espoirs, la vie finalement jusqu’à ses derniers instants. La manière d’entrer en colloque singulier avec son médecin, mais aussi d’en sortir, la relative difficulté ou facilité avec laquelle on passe au travers des tracasseries administratives et financières avec son assureur ou l’institution de soins, vont déterminer l’existence qu’il nous est permis de vivre.
Au centre du défi médical, nous identifions la dyade personne – maladie. Dyade, car il nous semble que les deux éléments sont particulièrement interconnectés mais aussi parce qu’ils doivent, pensons-nous, rester différenciés afin d’éviter que la personne ne soit réduite à un patient, lui-même identifié à sa maladie.
D’essentiellement médical, le défi est devenu ‘technologico-médical’ en raison des multiples rôles que peuvent jouer les nouvelles technologies dans la détection des maladies, leur prévention et leur traitement. La figure 1 illustre en quoi le traitement de la ‘personne-maladie’ devient de plus en plus personnalisé. La connaissance du génome humain, objet de nombreuses convoitises, peut-être combinée à celle de la pathologie et dans le cas d’une tumeur, sa caractérisation génomique est de nature à affiner les thérapies proposées.
Avant de penser à traiter, on peut évidemment détecter les risques, c’est-à-dire procéder à des tests de dépistage, qui confirment ou infirment la présence d’une pathologie. On peut également procéder à des tests prédictifs tels que ceux qui ont amené Angelina Jolie à décider de subir une mastectomie bilatérale car elle avait appris que ses gènes BRCA1 étaient l’objet d’une mutation signifiant un risque très élevé de cancer du sein. Si l’on ajoute à ces connaissances extrêmement pointues relatives à la génomique, les informations concernant le style de vie et l’environnement de la personne, on atteint un niveau de connaissance dont certains n’hésitent pas à dire que l’on «pourrait faire en sorte qu’un citoyen ne devienne pas un patient». C’est ce que promet finalement Google qui a annoncé le 18 septembre 2013, la création de Calico, société qui va œuvrer à l’allongement de l’espérance de vie en franchissant les frontières du transhumanisme que Google soutient en parrainant une institution qui forme des spécialistes en NBIC (Alexandre, 2013).
C’est toujours Google qui va lancer la ‘Baseline Study’ qui consistera à séquencer le génome de 10.000 volontaires dans le monde et à suivre toutes les données possibles sur leur état de santé. À terme, il s’agit de proposer, en partenariat avec Novartis et Biogen, des innovations telles que des lentilles de contact qui en plus de corriger la vue, analysent en permanence le taux de sucre ou des nanocapteurs qui repèrent les cellules cancéreuses dans le sang (Hecketsweiler, 2015b).
On peut imaginer que les essais cliniques randomisés ‘traditionnels’ vont laisser la place progressivement à des ‘essais cliniques personnalisés’ concernant quelques personnes (Cabut et Santi, 2013), chacun devenant finalement porteur d’une ‘maladie rare’. Afin de ‘parfaire’ l’identité médicale du futur ex-patient les très nombreuses applications informatiques existantes et en développement apporteront demain la touche finale à la levée totale de l’intimité humaine au travers d’un Big Data qui pourrait à terme connecter des données administratives, médicales et comportementales. On nous promet un changement de paradigme du ‘curatif’ au ‘préventif’ mais au vu de l’importance du secteur de la e-santé, estimé à 2,4 milliards d’euros en 2012, on ne doit pas s’attendre à une remise en question du paradigme de la croissance et du capitalisme.
Mais ne nous laissons pas distraire par des considérations bassement matérielles: comment résister à ce monde merveilleux qui vous promet la vie quasi éternelle pour autant que nous ouvrions notre cœur et tous nos autres organes à l’appétit pantagruélique de super ordinateurs qui, dans le cas très improbable d’une maladie, proposeront à notre médecin le remède sur-mesure à la place des pilules prêt-à-porter actuelles censées convenir à tout le monde, donc à personne?
On serait abusivement optimiste en pensant que la personne, cet humain que Jean-Jacques Rousseau distinguait de l’animal grâce à sa liberté, refuserait de céder les secrets de son existence contre quelques années de vie. En effet, selon une enquête de PwC réalisée en mai 2014 auprès de 9.281 personnes au niveau mondial, 67% des répondants seraient prêts à placer un capteur dans leur voiture ou leur maison si cela pouvait générer une réduction de primes d’assurance. Selon la même enquête, un répondant sur deux serait prêt à fournir des informations additionnelles à son assureur à propos de son style de vie afin qu’il puisse trouver les services les plus adéquats pour sa situation (PricewaterhouseCoopers, 2014b).
Quelle éthique peut-on encore espérer pour les applications d’une technologie dont on ne peut limiter l’évolution quand elle se dit au service de la médecine, donc de l’humanité? Une médecine dont on nous annonce qu’elle ne sera peut-être plus représentée physiquement par des humains mais qu’elle agira au travers de la média-médecine (consultation par skype, chirurgie robotique et monitoring à distance) (Vallancien, 2015)?
Figure 1: Schématisation des défis technologico-médical et sociétal liés à la légitimation de la réduction de la solidarité
Le défi sociétal
On perçoit très clairement le défi sociétal que ne manquera pas de susciter cette question complexe. Les tendances ‘lourdes’ à proposer et implémenter des mesures de pseudo-responsabilisation devraient dans un tel contexte devenir quasiment obsolètes. Grâce à l’e-santé, on peut en effet s’attendre à ce que les comportements préventifs deviennent une évidence pour chacun.
Cette prévention qui «diffère de la prudence, en ce qu’elle repose sur un comportement volontaire, qui se traduit par la pratique d’activités physiques, le contrôle de l’alimentation, le tout rendu particulièrement facile grâce à la pénétration des nouvelles technologies dans notre quotidien» devrait intégrer naturellement la vie de ‘l’homme-en-santé’ de demain. Les mesures ‘dures’ et ‘directes’ de responsabilisation financière pourraient en effet être remplacées progressivement par une pseudo-responsabilisation ‘douce’ et ‘indirecte’.En fait, le vocable ‘responsabilisation’ pourrait céder la place à celui de ‘juste prix’, beaucoup moins connoté au niveau moral, signifiant ainsi que chacun couvre les coûts précis que le maintien de son état de santé génère.
Aujourd’hui, au-delà des arguments éthiques qui fondent la solidarité, même à l’égard de celles et ceux qui ne semblent pas tout faire pour adopter un comportement sanitairement correct, l’argument de l’impossibilité technique se révèle à la fois pertinent et dangereux. Pertinent car il justifie que l’on ne se lance pas dans des processus de responsabilisation sur base de critères peu rigoureux, mal étayés par les données empiriques et tout aussi mal servis par des données personnelles lacunaires. Dangereux, car il invite à la révision des avis à l’égard de la responsabilisation dès lors que les obstacles techniques sont levés, ce que promet l’utilisation du Big Data. Si nous ne sommes pas parvenus à sortir du paradigme néo-classique, que chacun est devenu l’objet d’une attention technico-médicale unique car il s’est totalement mis à nu, afin de bénéficier du meilleur traitement mais aussi de la meilleure assurance, alors le concept même de solidarité devrait apparaître comme dépassé, relevant d’un autre temps. À moins que nous soyons capables de relever un défi démocratique de taille.
Le défi démocratique
Dominique Rousseau propose de radicaliser la démocratie, de «revenir aux principes, à la racine de la chose démocratique, c’est-à-dire au peuple» car le peuple a «été englouti par le marché – le consommateur a pris le pas sur le citoyen – et par la représentation: les représentants parlent à la place des citoyens» (Rousseau, 2015).
C’est un peu ce qui a été entrepris récemment en Belgique lorsqu’on a demandé à la population de s’exprimer à propos de ses préférences à l’égard des critères à utiliser pour décider du remboursement des biens et soins médicaux (Cleemput et al., 2014) après avoir testé l’idée auprès des décideurs (Cleemput et al., 2015, Cleemput et al., 2012).Nous avons déjà évoqué ces exemples de mobilisation citoyenne qui permettent d’imaginer la constitution progressive d’un contre-pouvoir légitime. Toutefois, on peut craindre que si la personne est monitorée par une alliance entre la technologie, la médecine et l’assurance, elle soit dépossédée de sa volonté d’expression. Lorsqu’on accepte de se livrer entièrement à un super-ordinateur et de suivre les recommandations qu’il produit pour notre ‘meilleure santé’, est-on encore capable de contester le système?
Nous avons développé le concept de ‘care capacitant’, cette pratique qui consiste à ‘prendre soin’ de soi d’abord et des autres afin qu’ils puissent accepter leurs vulnérabilités et être progressivement libérés des multiples contraintes liées à une ‘obligation de performance’. Être ainsi libéré était selon nous une porte ouverte à une réelle responsabilisation tant individuelle que collective (Léonard, 2012, Léonard, 2013a, Léonard, 2013b, Léonard, 2014a, Léonard, 2014b, Léonard, 2014c, Léonard, 2015).
Face au déterminisme total qui se profile au travers des données rassemblées au sein du Big Data, le ‘care capacitant’ est peut-être le seul espoir de rendre à chacun des degrés de liberté car si notre dossier informatisé complet peut conclure à l’existence d’une maladie en devenir et qu’il peut proposer un médicament personnalisé, il ne pourra jamais prévoir ce que deviendra notre comportement demain suite à la rencontre de celui ou celle qui aura pris le temps de ‘prendre soin de nous’. Un espoir de liberté subsiste donc, un espace demeure pour une vraie responsabilité, le citoyen et donc le peuple ne sont pas encore en état de mort cérébrale. Nous serions alors capables de relever un défi supplémentaire qui consiste à contester le monopole des connaissances aux détenteurs du Big Data.
Le défi épistémologique
Si l’on considère l’épistémologie dans son acception la plus large c’est-à-dire comme la théorie de la connaissance, l’ultime défi que l’on peut identifier est très probablement celui qui concerne le ‘quoi’ et le ‘comment’ des connaissances dont la personne et la société de demain auront besoin. L’évolution des technologies est bien en marche et il nous semble indispensable de considérer Big Data et la média-médecine comme des données réelles afin d’imaginer quels types de connaissances alternatives il nous appartient de développer pour conserver, voire redonner vigueur, à l’humain.
Afin de calculer le ‘juste prix’, dont on peut douter qu’il s’agira d’un ‘prix juste’, d’une médecine personnalisée, les assureurs de demain devront disposer des mêmes informations que le corps médical, c’est-à-dire des risques de pathologies objectivés aux moyens de données génétiques et comportementales. On ne peut espérer naïvement qu’ils renonceront à en extraire le maximum de profit possible, leur reprocher cette démarche mercantile trahirait d’ailleurs une méconnaissance des rouages de l’économie capitaliste.
Toutefois, si l’on prend au sérieux le rôle des associations de citoyens, si l’on renforce notre sentiment, qui devrait idéalement devenir une conviction, que celles et ceux qui nous gouvernent nous représentent, il faut alors se soucier de la manière de prendre connaissance des valeurs et préférences de la population.
Nous situons l’essentiel de ce défi épistémologique alternatif à ce niveau, rendre compte de ces valeurs de manière objective certes mais aussi en ayant pris le soin d’informer les citoyens, au départ d’une certaine posture philosophique, du contexte et des conséquences de leurs choix.
Recueillir l’avis de la population exige une pédagogie déclinée en fonction des ‘capabilités’ de chaque groupe à intégrer l’information fournie. Il peut paraître paradoxal que nous considérions inévitable le fondement de la démarche par une certaine ‘posture philosophique’ alors que nous prônons l’objectivité de la restitution des résultats de ces ’enquêtes d’opinion’. N’oublions pas qu’il s’agit de constituer une connaissance utile alternative au développement d’un système de santé dont les soins ne seront pas les seuls à être ‘personnalisés’, c’est fort probablement aussi la couverture des coûts qui sera ‘individualisée’, rendant le concept de solidarité obsolète.
C’est donc uniquement si l’on croit à une société alternative, si l’on veut, contre la rationalité économique et financière, proposer une rationalité humaniste, que l’on décidera d’entamer cette élaboration d’une connaissance alternative. S’informer auprès des citoyens-patients et les informer exige la pratique d’un ‘care informationnel’, une manière de concevoir les questions à poser et les informations à transmettre qui exige le plus grand soin dans le choix des mots, des concepts, des articulations et argumentations afin d’être compris et de recevoir, non pas ce à quoi on s’attend, mais ce qui vit au plus profond des personnes.
Ce qui a été réalisé par le KCE pour les règles de bonnes pratiques en ce qui concerne l’accouchement à bas risques (Mambourg et al., 2010), le dépistage du cancer de la prostate (Mambourg et al., 2014), la surveillance active du cancer de la prostate (Jonckheer et al., 2013), les préférences de la population à l’égard des critères de remboursement (Cleemput et al., 2014) sont autant d’exemples de pratique de ce ‘care informationnel’ susceptibles de montrer une voie pour relever le défi épistémologique auquel chercheurs en santé publique et décideurs sont confrontés.
Conclusion programmatique à l’attention des sciences économiques
L’économie de la santé au sens strict de son acception est fortement impliquée dans les décisions relatives à l’affectation de moyens limités aux fins de soins multiples, essence du problème économique. L’approche d’inspiration utilitariste qui prédomine jusqu’à présent a permis de systématiser des décisions qui pouvaient prendre un caractère quelque peu arbitraire ou du moins manquer d’une certaine cohérence.
Avant d’imaginer évacuer totalement cette approche d’inspiration néoclassique (mais le faut-il vraiment?), on peut la compléter par des outils d’intégration d’aspects éthiques qui permettent de renforcer, nuancer voire contredire des conclusions d’ordre quantitatif (Cleemput et al., 2015). On entre alors dans l’économie de la santé comprise comme l’organisation des différents éléments de l’ensemble ‘système de santé’. Intégrer l’éthique, et notamment les questions d’équité, dans l’économie de la santé répond à un besoin identifié dans de nombreuses disciplines par nature complémentaires: la médecine, la santé publique, la sociologie, la philosophie, la psychologie et l’économie. Toutefois, trop souvent les débats n’associent pas l’économie à ces disciplines, ils les opposent. Il nous semble que la simple juxtaposition de postures différentes n’est pas de nature à apporter une réponse féconde aux multiples défis que nous avons identifiés, il est indispensable d’opérer une réelle intégration de toutes les approches susceptibles de contribuer à une solution humaniste à des problèmes qui le sont tout autant.
Si le concept de risque se dilue progressivement dans l’avènement d’un déterminisme quasi complet, celui d’assurance deviendra beaucoup moins pertinent et il nous faudra des fondements moraux solidement établis et acceptés au sein de la société pour justifier la solidarité. Le concept d’efficience doit être revu à l’aune de considérations éthiques susceptibles d’apporter des pondérations aux gains de santé pour certains types d’états de santé qui nécessitent certains types de soins (par exemple les soins palliatifs, les soins aux grands prématurés, les soins aux personnes lourdement dépendantes ou handicapées).
De la même manière, les concepts d’assurance, hasard moral et sélection adverse doivent aussi être revisités pour tenir compte du degré de certitude qui va de plus en plus entourer les épisodes de maladies et de soins. L’économiste ne doit-il pas adopter une posture éthique forte, pour autant que cela corresponde à ses convictions, afin de redonner un fondement à la solidarité? Imaginons qu’un assureur annonce à une personne le ‘juste prix’ qui lui est demandé pour son programme de santé pour les cinq prochaines années. Imaginons, que la personne dispose des moyens financiers pour assumer ce coût. Si elle est mise au courant du ‘juste prix’ demandé à une personne en situation légèrement moins favorable, elle pourrait estimer que le léger supplément à payer par l’autre est tout à fait acceptable puisqu’elle-même assume un montant à peine inférieur. De manière itérative, elle peut ensuite adopter un raisonnement similaire pour la personne qui devra payer un ‘juste prix’ très légèrement supérieur à celui réclamé à la personne précédente. Et ainsi de suite jusqu’à atteindre un ‘juste prix’ rédhibitoire. Mais à partir de quelle différence, la personne de référence est-elle censée réagir et s’exclamer, «cela suffit, je suis disposée à payer pour cette personne»?
Si ce raisonnement est suscité chez l’ensemble des personnes d’une société, nous serions probablement surpris de la cohérence d’ensemble en défaveur de la solidarité que ces approches itératives pourraient susciter. Une économie ‘sèche’ se contentera de concevoir le modèle qui permettra d’extraire le profit maximum de chacune de ces situations. L’économie alternative devra concevoir un ‘produit d’assurance’ fondé sur le concept de compassion ou même de pitié si l’on peut suivre Rousseau pour qui un principe a été donné à l’homme pour adoucir la férocité de son amour propre et tempérer l’ardeur qu’il a pour son bien-être par une répugnance innée à voir souffrir son semblable.
Pourquoi alors ne pas prévoir un ‘produit’ d’assurance qui intègre cette propension à la pitié et justifier, de manière à nouveau itérative, l’aide financière à apporter à d’autres, beaucoup moins bien lotis que nous et alors réitérer le raisonnement, cette fois à l’égard de personnes qui nous sont de plus en plus proches, et pour lesquelles, chacun ressent suffisamment de pitié pour leur apporter son aide au moyen d’un système de ‘péréquation des justes prix’?Finalement de nombreux outils ‘néoclassiques’ pourraient être ’récupérés’ afin de refonder la solidarité dont nous craignons qu’elle soit mise à mal par les évolutions technologiques dans le prolongement d’une critique déjà bien rôdée de l’État-providence. Si nous ne nous trompons pas trop, l’ampleur des défis à venir est telle qu’il nous faudra inventer une collaboration interdisciplinaire qui n’exclura aucune forme de pensée, aucun type d’approche mais qui au contraire pourra les rapprocher et faire en sorte que les différents concepts et modes de travail soient véritablement intégrés et articulés autour de valeurs morales incontestables si l’avenir de l’humain nous préoccupe encore.
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Cet article est fondé sur une communication effectuée lors du colloque ‘Recherche et régulation, qui a eu lieu à Paris. Je remercie les participants à l’atelier ‘Crise du système de santé’ pour les commentaires qui ont permis d’améliorer cet article.
L’auteur est Directeur général adjoint du KCE, Professeur invité à l’UCL, Maître de conférences à l’UNamur et Professeur à la HELHa, il s’exprime en son nom personnel, ses propos n’engagent nullement les institutions auxquelles il appartient.
En effet, un amendement à la loi santé française allant dans ce sens, proposé par l’ex Ministre des sports Valérie Fourneyron, a été adopté le 10 avril 2015 à une large majorité (Cabut et Santi, 2015).
Selon une enquête récente de PwC, 50% de 882 Belges interrogés estiment qu’ils ne sont pas bien récompensés de leurs effets, ils étaient 40% en 2013 (PricewaterhouseCoopers (PwC), 2014a).
Début janvier, Roche a acquis pour 800 millions d’euros une participation majoritaire dans Foundation Medicine https://www.foundationmedicine.com/, une société américaine partiellement financée par Google et spécialisée dans l’analyse génétique (Hecketsweiler, 2015a).
Voir l’interview du Directeur solutions et marchés émergents de l’éditeur de logiciels SAS (Caulier, 2014).
NBCI – Nanotechnology Business Creation Initiatives.
Ainsi qu’un taux de croissance annuel de 4 à 7% à l’horizon 2017 (Henri, 2014), p.7. Document émanant du Think Tank ‘Renaissance Numérique’ qui se définit comme «un lieu d’échanges, de réflexion, d’expertise et de production d’idées et de projets qui contribue à éclairer les citoyens et les décideurs, dans le sens de l’intérêt commun au travers d’un projet éducatif, scientifique, culturel et social».
Voir notamment (Rousseau, 2008), p.79.
(Henri, 2014), p11.
Les groupements d’achats d’assurances tels que ceux que l’on connait pour l’énergie, risquent de ne pas suffire pour sauver la solidarité (Voir la Libre Belgique du 23 avril 2015, p.34 «L’achat groupé gagne aussi les assurances».
Deux institutions qui font autorité par leurs avis scientifiques en matière de soins de santé se sont lancées dans une expérience inédite : l’écriture collective de scénarios de ‘futurs possibles’ pour sortir de l’impasse des prix toujours plus élevés des nouveaux médicaments.
Le KCE et le Zorginstituut Nederland (ZIN) ont réuni à cet effet un think tank international qui n’a pas hésité à déconstruire quelques-unes des caractéristiques du système actuel, considérées aujourd’hui comme indéboulonnables. Point commun des différents futurs ainsi imaginés : c’est le patient et le citoyen qui se réapproprient le contrôle de l’accès au médicament, considéré comme bien à caractère public, et qui devrait donc être accessible à tous sans distinction. Le rapport commun publié aujourd’hui se veut un aiguillon pour stimuler et nourrir le débat de société sur les futures politiques du médicament.
Le prix élevé des nouveaux médicaments menace de plus en plus l’équilibre des budgets de santé de tous les pays. Il confronte les décideurs politiques à d’épineux dilemmes moraux : puiser dans les fonds réservés à d’autres besoins et fragiliser ainsi l’ensemble du système de santé ou refuser aux patients le remboursement de médicaments susceptibles d’augmenter leurs chances de survie ou leur qualité de vie. Un nombre croissant d’observateurs – dont certains leaders du secteur pharmaceutique – reconnaissent que la tendance actuelle n’est pas tenable à long terme.
Des scénarios du futur
C’est dans cette optique qu’un groupe de travail s’est réuni, à l’initiative du KCE et du Zorginstituut Nederland (Institut néerlandais des soins de santé, ZIN), avec pour mission d’imaginer de nouvelles façons, plus durables, de développer des médicaments innovants, sûrs et efficaces, en se concentrant sur les besoin de santé réels. Des experts du ZIN et du KCE y ont été rejoints par des représentants d’organisations de patients, des leaders de l’industrie, des universitaires, des instances régulatrices, des payeurs et des représentants gouvernementaux, tant européens que nord-américains.
Ces délibérations ont pris la forme d’un ‘atelier de scénarios’, une méthode qui permet aux participants d’imaginer des solutions inventives sans se laisser brider par les contingences – des utopies en quelque sorte. La méthode permet d’imaginer des ‘futurs possibles’ dans lesquels certaines caractéristiques jusqu’à présent incontournables du système actuel sont déconstruites.
Rendre aux citoyens les bénéfices de la recherche
La première dérive du système actuel à avoir été remise en question est la privatisation des résultats de la recherche et du développement financés par des moyens publics. Étant donné que la plupart des grandes découvertes biomédicales sont basées sur des recherches menées par des universités et des instituts de recherche subsidiés par les pouvoirs publics, c’est finalement le contribuable qui finance les innovations menant au développement de nouveaux médicaments, dont les fruits se retrouvent privatisés. Le contribuable – via ses gouvernements – paie donc doublement : d’abord pour financer la recherche, ensuite en déboursant des prix prohibitifs lorsque ces nouveaux médicaments sont mis sur le marché.
Réinventer la propriété intellectuelle pour les produits de santé
Le système actuel de développement et de commercialisation des médicaments repose essentiellement sur les brevets, ce qui le rend particulièrement vulnérable aux pratiques monopolistiques, parce que les fabricants bénéficient pendant une certaine période de droits exclusifs sur la vente de leurs produits et peuvent de ce fait demander des prix très élevés. De plus, les brevets ont tendance à stimuler la recherche de progrès marginaux (par exemple les médicaments me-too, qui ne diffèrent de l’original que par de petits détails sans grande plus-value et qui sont pourtant vendus plus cher) au détriment de l’innovation réelle et de la prévention. On connaît plusieurs exemples de médicaments efficaces et peu coûteux qui sont remplacés par des médicaments brevetés très chers, dont la valeur ajoutée clinique est limitée.
Prendre en compte les besoins réels de santé publique
L’industrie médico-pharmaceutique pose ses choix stratégiques et oriente ses recherches en fonction de ses propres valeurs et objectifs, sans nécessairement tenir compte des besoins réels des patients et des priorités de santé publique. D’ailleurs, les pouvoirs publics ne disposent souvent même pas des moyens d’identifier précisément ces besoins. Dans une certaine mesure, le processus d’innovation actuel gaspille donc des ressources.
Revoir les critères d’autorisation de mise sur le marché
Pour autoriser la mise sur le marché d’un nouveau produit, les agences du médicament se satisfont aujourd’hui de la preuve de son efficacité par rapport à un placebo. Or cela ne constitue pas une preuve qu’il soit supérieur aux autres traitements déjà existants. Il n’y a donc pas d’exigence de valeur ajoutée clinique. Ceci encourage à nouveau la recherche de bénéfices marginaux plutôt que le développement de médicaments véritablement innovants, efficaces, et répondant aux besoins réels.
Quatre scénarios pour élargir le débat
Quatre scénarios ont été imaginés dans le cadre de ce think tank international.
Scénario 1. Des partenariats publics-privés axés sur les besoins Dans ce premier scénario, les pouvoirs publics et les développeurs de médicaments établiraient des partenariats via des marchés publics, avec pour objectif de répondre à des priorités de santé publique. Les développeurs seraient disposés à conclure de tels partenariats et à revoir leurs prix à la baisse contre la garantie d’accès au marché et de remboursement, si leurs produits satisfont certaines conditions fixées au préalable. Cela leur permettrait de limiter les risques liés au développement.
Scénario 2. Le développement de médicaments dans un système parallèle Dans ce scénario, les états membres de l’Union européenne mettraient en place un système parallèle de développement de médicaments sans but lucratif qui coexisterait avec l’industrie pharmaceutique et biotechnologique, mais de manière indépendante. L’objectif de ce système parallèle serait donc de développer à moindre prix des médicaments pour combler les vides dans lesquels l’industrie n’est pas disposée à investir (p. ex. nouveaux antibiotiques, maladies négligées, certaines maladies rares…). C’est un modèle qui a déjà fait ses preuves pour certaines maladies tropicales.
Scénario 3. Rachat des brevets Ce scénario imagine qu’un consortium de pays européens met en place un fonds commun pour scruter en permanence le marché de la recherche et y dénicher des molécules prometteuses qui répondent à des priorités de santé publique. Le fonds rachèterait les brevets de ces molécules, finaliserait les dernières phases de recherche, y compris la procédure de demande d’autorisation de mise sur le marché. Un tel système découplerait la recherche et le développement de la fabrication et de la vente. Le médicament serait alors disponible à un prix relativement bas.
Scénario 4. Un bien public de A à Z Dans ce dernier scénario, le plus radical, le développement des médicaments serait essentiellement une entreprise publique, exclusivement orientée vers la satisfaction des besoins réels. Les entreprises pharmaceutiques privées pourraient toujours produire des médicaments et assurer des prestations de service pour le fournisseur public, sur une base concurrentielle. Quant aux brevets et monopoles, ils n’auraient plus de raison d’être puisque les médicaments et autres technologies de la santé seraient devenus des biens publics.
Ces quatre scénarios ne constituent pas des solutions immédiates et réalistes à court terme mais cherchent plutôt à inspirer et à élargir le débat de société autour du prix élevé des médicaments, en montrant qu’il est possible de bousculer une certaine vision de l’innovation médico-pharmaceutique qui, tant en Europe qu’ailleurs, reste fort dominée par les aspects économiques, au bénéfice d’une vision plus ‘citoyenne’ défendant un accès équitable et durable à un bien considéré comme public.
Dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, les décisions de remboursement de médicaments sont prises sans tenir compte explicitement des opinions et préférences des citoyens et des patients. L’INAMI souhaite que cela change ; c’est pourquoi il avait été demandé, en 2014, au Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) d’identifier les critères que les citoyens trouvent les plus importants lors de ces décisions.
Aujourd’hui, le KCE propose un premier exercice de mise en pratique de ces critères dans la rédaction de la liste des ‘besoins médicaux non rencontrés’. La méthode développée par le KCE permet d’établir cette liste en tenant explicitement compte des préférences des citoyens et des besoins réels des patients, plutôt que de la baser, comme aujourd’hui, sur les produits en attente dans le pipeline de l’industrie. Avec cette première initiative, dont on peut espérer qu’elle sera rapidement élargie à toutes les décisions de remboursement, la Belgique se profile en pionnier de l’implication du citoyen et du patient dans la politique de santé. Cet exercice de participation est d’ailleurs suivi avec attention dans les autres pays.
La procédure dite ‘des besoins médicaux non rencontrés’
Entre la découverte d’un nouveau médicament, sa mise sur le marché et son remboursement, il s’écoule souvent beaucoup de temps. Le fabricant doit en effet d’abord apporter des preuves de la sécurité et de l’efficacité de son produit. L’inconvénient de cette procédure est que des patients gravement malades doivent parfois attendre (trop) longtemps avant de pouvoir disposer d’un traitement innovant à un prix abordable.
Depuis 2014, on essaie de remédier à cette situation en autorisant temporairement la mise sur le marché et le remboursement de certains médicaments. Les conditions pour obtenir un tel remboursement temporaire sont que la maladie affecte gravement la qualité de vie ou les chances de survie du patient et qu’elle figure sur la liste des besoins médicaux non rencontrés. En 2015, pour la première édition de cette liste, une quarantaine de demandes à y figurer ont été introduites par des fabricants, la ministre ou un collège de l’INAMI.
Une méthode transparente et cohérente
La rédaction annuelle de cette liste est un exercice aussi délicat que complexe, réalisé par une commission spécifique au sein de l’INAMI. Ses membres doivent confronter entre elles toutes les ‘maladies-candidates’, qui peuvent être très différentes les unes des autres, sur la base de critères tels que leur impact sur la qualité de vie, les inconvénients liés au traitement existant, etc. Le KCE a développé une méthode scientifique permettant d’effectuer cet exercice de façon transparente et cohérente, en attribuant à chacune de ces maladies un score qui permet de les classer par ordre de priorité.
Donner une place de choix aux préférences des citoyens et des patients
Dans cette méthode, à côté de l’évaluation des connaissances scientifiques au sujet des affections concernées, une place importante est donnée à l’implication des patients et des citoyens. Le KCE s’est appuyé en cela sur les résultats de ses précédentes études (2014) et du LaboCitoyen mené par la Fondation Roi Baudouin (FRB).
Ces résultats avaient mis en lumière que, dans l’ordre de leurs priorités, les citoyens accordent davantage d’importance à l’impact d’une maladie sur la qualité de vie et aux inconvénients liés aux traitements existants qu’à la prolongation de la vie. Et également que, d’un point de vue sociétal, les citoyens donnent plus de poids à des affections qui entraînent des coûts élevés pour la collectivité qu’à celles qui sont fréquentes.
Le LaboCitoyen de la FRB avait aussi permis de souligner que le bien-être psychosocial du patient et l’impact de la maladie sur la qualité de vie des proches doivent également être considérés comme des éléments cruciaux pour la détermination des besoins.
Ajuster la liste aux besoins réels des patients
La liste des besoins médicaux non rencontrés est actuellement déterminée par ce qui se trouve dans le pipeline de l’industrie pharmaceutique, c’est-à-dire qu’elle reprend les affections pour lesquelles l’industrie est en train de développer des médicaments. C’est donc une demande essentiellement guidée par l’offre et il est difficile de savoir si les médicaments en question répondent également aux besoins réels des patients (qui ne sont pas toujours liés à des médicaments).
C’est pourquoi il est important que les patients et les citoyens – tout comme les prestataires de soins et d’autres acteurs encore – puissent aussi introduire des demandes à figurer sur la liste, et pas seulement les fabricants, le ministre et le collège de l’INAMI. Il faudrait aussi rendre possible le remboursement d’autres types d’interventions novatrices, par exemple dans le domaine de la chirurgie, de l’organisation des soins ou des soins de soutien. Il sera alors encore plus important de disposer d’une méthode permettant de comparer diverses interventions de manière cohérente et transparente.
Et ensuite ?
La méthode a été bien accueillie par l’INAMI, qui a déjà déclaré qu’elle allait la mettre en œuvre dans la procédure des besoins médicaux non rencontrés. Peut-on espérer qu’elle sera bientôt généralisée à toutes les décisions de remboursement de médicaments ? En tout cas, avec cette première initiative, la Belgique se profile en pionnier de l’implication du citoyen et du patient dans la politique de santé.
Que ce soit en ouvrant un journal ou une application, tous les matins, des milliers de personnes consultent sans trop y penser leur horoscope du jour. Bien que la plupart du temps, nous disions ne pas y accorder trop de crédit ou ne pas croire en l’astrologie, nous connaissons tous notre signe astrologique. Lire son horoscope est-il vraiment une simple distraction sans conséquences pour notre vie quotidienne?
Imaginez que vous ayez un examen à passer ou un entretien d’embauche et que votre horoscope vous prédise une journée horrible, serez-vous aussi confiant et aussi performant que si une journée formidable vous était promise ?
Magali Clobert, chercheuse FNRS à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCL et postdoc à Stanford University, a récemment investigué cette question avec l’aide de Patty Van Cappellen (University of North Carolina), Marianne Bourdon (Université de Nantes) et Adam Cohen (Arizona State University). Au travers de trois études empiriques menées en Belgique et aux États-Unis, les chercheurs ont étudié l’influence de l’horoscope sur les perceptions, émotions, performances cognitives et la créativité. Cette série d’études vient d’être publiée dans la revue scientifique Personality and Individual Differences.
Dans une première étude menée à l’UCL, les participants étaient invités à lire et résumer leur horoscope quotidien, dont le contenu était variablement négatif (par exemple Lions, ce n’est pas votre jour: une dure journée vous attend) ou positif (Lions, une merveilleuse journée vous attend: tout vous réussit).
D’autres participants étaient, quant à eux, invités à lire et à résumer soit un texte neutre, soit un texte positif, soit un texte négatif. Dans un second temps, les participants devaient interpréter des photos illustrant des situations ambigües (par exemple un homme pleure dans les bras d’une femme). De manière assez intéressante, les participants exposés à un horoscope positif avaient tendance à interpréter plus positivement les images ambigües («l’homme pleure de joie») alors que les participants exposés à un horoscope négatif jugeaient ces mêmes photos de manière plus négative («l’homme est triste»).
Dans une deuxième étude menée aux États-Unis utilisant une méthode similaire, les chercheurs ont évalué les conséquences de la lecture d’un horoscope positif ou négatif sur les performances cognitives des participants. Comme dans l’étude précédente, les participants étaient invités à résumer leur horoscope (positif ou négatif). Leur score à différents tests verbaux, logiques et numériques, utilisés notamment lors des tests de QI, était ensuite mesuré. Là encore, les chercheurs ont observé que les participants exposés à un horoscope positif présentaient de meilleurs scores tandis que l’exposition à un horoscope négatif se traduisait par des performances cognitives moins élevées.
Finalement, une dernière étude avait pour but de tester l’effet d’une exposition à un horoscope positif ou négatif sur la créativité. Après avoir résumé leur horoscope, les participants étaient invités à résoudre plusieurs problèmes dont la résolution nécessite typiquement une approche créative. Conformément aux hypothèses des chercheurs, les participants exposés à un horoscope au contenu positif se sont montrés plus créatifs dans la résolution de problèmes que les participants exposés à un horoscope négatif.
Dans les trois études présentées ci-dessus, l’effet de l’horoscope s’est trouvé renforcé pour les participants rapportant un sentiment de contrôle bas sur leur propre existence.
Il apparaît donc que lire son horoscope peut avoir des effets sur les perceptions, les performances cognitives et la créativité. Ce geste que font des milliers de personnes chaque matin se révèle dès lors moins anodin qu’il n’y paraît.
Bien heureusement, le contenu d’un horoscope tel qu’on peut le trouver dans les journaux populaires est rarement totalement négatif !
En matière d’alcoolisme et de toxicomanie, les femmes accèdent moins aux consultations et aux soins que les hommes. Tenir compte des spécificités liées au genre permettrait une aide plus efficace, mieux adaptée à leurs besoins. La Politique scientifique fédérale (BELSPO) et le SPF Santé publique développent une étude multidisciplinaire afin d’étudier la question.
L’usage comme l’abus d’alcool et autres drogues apparaissent moins fréquents chez les femmes que chez les hommes. Constat connu et peu surprenant. On sait moins que la différence réside également dans l’accès aux soins, les femmes y ayant moins recours et plus tardivement, surtout dans les services spécialisés (elles sont davantage recensées en ambulatoire).
Comment expliquer cette différence? La responsabilité qu’elles ont par rapport à leur famille (enfants partenaire) constitue souvent un obstacle à aller consulter.
Les femmes souffrent davantage de stigmatisation mais d’autres facteurs entrent également en jeu tels que la situation socio-économique (pauvreté et chômage accrus chez les femmes) ou encore les horaires d’ouverture des services, souvent peu compatibles avec la garde d’un enfant.
Il paraît donc important de tenir compte de ces spécificités pour parvenir à une offre en matière de prévention, de réduction des risques et de traitement qui soit la plus adaptée possible aux besoins des femmes.
La Politique scientifique fédérale (BELSPO) et le SPF Santé publique ont récemment entamé une étude multidisciplinaire pour approfondir le sujet. Une journée était organisée le 7 juin pour évoquer le lancement du projet.
Portée et objectifs de la recherche
L’étude est portée par des chercheurs de l’Université de Gand (UGent), la Haute École de Gand (HoGent) et l’Institut scientifique de santé publique (ISP), en collaboration avec le VAD, la FEDITO BXL et Eurotox.
Elle vise à mieux cerner la dimension de genre dans la prévention et le traitement de l’alcoolisme et des toxicomanies et à identifier les obstacles que rencontrent plus spécifiquement les femmes dans ces situations. Outre l’analyse des besoins spécifiques des femmes en la matière, il s’agit aussi d’évaluer les services qui pourraient répondre à ces besoins ainsi que les initiatives existantes.
Au final, cette étude devrait aboutir à établir une série de recommandations qui soient utiles aux acteurs de terrain mais aussi aux législateurs pour élaborer des interventions et politiques qui tiennent compte des différences de genre.
Renforcer le recueil de données permettra, par la suite, de prendre en compte les différences entre hommes et femmes et de mieux adapter les pratiques en fonction du public cible. À ce propos, il n’est pas nécessaire de tout réinventer. Mieux vaut utiliser et adapter les bonnes pratiques du passé. C’est ce qu’a recommandé Elizabeth Ettorre, professeur de sociologie aux Universités de Liverpool et d’Helsinki.
Depuis plusieurs années, des initiatives se développent qui tiennent compte de la question du genre. C’est le cas par exemple de programmes de traitement des femmes qui intègrent les enfants.
Christiane Baldus, du centre de recherche allemand sur les addictions chez les enfants et adolescents, aborda quant à elle plus spécifiquement la prévention. Elle insista sur la nécessité de connaître les théories existantes lorsque l’on conçoit des programmes mais aussi de développer de nouvelles recherches.
En effet, les théories sur le genre (théorie de l’évolution, apprentissage social, cognitivisme…) n’expliquent pas toutes les différences. Des inconnues résident encore dans de nombreux domaines tels que le choix de carrière, les préférences en matière de jeux (poupée Barbie contre camion de pompier!) ou encore l’influence de la publicité dans la construction du genre.
Première partie – Combattre le primat de la croissance
Nous pourrions qualifier de ‘bonne nouvelle’ l’établissement d’un lien entre les menaces qui pèsent sur les systèmes de protection sociale et la crise bancaire et financière de 2008. En effet, cela signifierait que la disparition progressive des effets des dysfonctionnements bancaires et financiers aurait mécaniquement un effet positif sur la taille des mailles du filet de protection sociale qui se sont considérablement élargies au cours des dernières années.
Même si de récentes publications semblent attester l’existence d’un tel lien, cela ne signifie pas que les mesures diverses de réductions des dépenses publiques et sociales soient caractérisées par une certaine ‘nécessité’ au sens philosophique du terme. Nous prétendons au contraire qu’elles sont l’objet d’une certaine contingence. En effet, il appartient toujours aux décideurs de choisir la manière de tisser les fils de la société.
Nous savons que les mesures d’assainissement budgétaires portent essentiellement sur les dépenses alors que le rééquilibrage budgétaire pourrait également être obtenu en augmentant les recettes, cotisations sociales et impôts. Il s’agit d’un choix politique, donc idéologique souvent justifié, mais sans réel fondement empirique, par le souci de l’efficience et du pragmatisme.
Il n’est dès lors pas étonnant de craindre les effets collatéraux de ces mesures au niveau social. Sans contester ou sous-estimer les impacts sociaux de mesures d’assainissement conjoncturelles, nous défendons l’approche qui consiste à repérer les remises en question fondamentales de la protection sociale dans les tendances de long terme qui caractérisent la composition du financement des assurances sociales et le mode d’intervention de la solidarité à l’égard des risques sociaux.
Les menaces ne sont donc pas uniquement liées à la conjoncture mais présentent majoritairement un caractère structurel. Nous défendons ensuite la thèse que la continuation de ces tendances lourdes est conditionnée à la capacité des décideurs à justifier la prépondérance de la croissance économique. En effet, aussi longtemps que la population acceptera le postulat que la croissance économique est notre seule voie de salut, les mesures qui favorisent certains types de revenus au travers de la fiscalité et les coupes claires dans les dépenses publiques apparaîtront toujours justifiées car présentées comme des incontournables pour préserver la croissance, objet d’une forme de sacralisation. Nous identifions alors une série de défis que les autorités auront à relever pour pérenniser le primat de la croissance. De leur réussite ou de leur échec dépendra le type de société dont nous nous serons rendus dignes, ou pas.
Effets de la crise ou tendances lourdes – Symptomatologie de la crise ou de l’idéologie néolibérale ?
Le financement de la sécurité sociale belge et notamment des soins de santé sur une longue période offre un éclairage particulièrement pertinent car il exprime d’une part des tendances ‘lourdes’ et d’autre part des décisions qui se manifestent généralement par des ‘cassures’ ou du moins des infléchissements de ces tendances. Notre posture consiste à interpréter les statistiques en la matière comme l’expression d’une volonté tantôt implicite, tantôt bien affichée de réduire la voilure de l’État et notamment de l’État-providence.
Régressivité croissante du financement de l’État-providence
Au début des années 60, le financement de la sécurité sociale était assuré par les cotisations sociales pour 70% et par des subsides de l’État pour un peu moins de 30%. Confronté à la crise des années 70, l’État renforce son intervention afin de pérenniser le financement de la solidarité (figure 1).
En 1982, le gouvernement décide de déplafonner le calcul des cotisations sociales et rend ainsi proportionnel un prélèvement qui présentait un caractère régressif. En termes redistributifs, cette décision est évidemment positive mais elle est compensée par un désengagement progressif de l’État qui peut alors réduire les subsides fondés, pour environ la moitié, sur des impôts directs progressifs grâce à une augmentation mécanique du montant des cotisations sociales perçues (figure 2).
Jusqu’au début des années 90, le financement de la solidarité est donc majoritairement proportionnel aux salaires ce qui signifie qu’au sein des travailleurs, une certaine forme d’équité est respectée même si l’on peut regretter la réduction du caractère progressif de ce financement et la contribution du quasi seul facteur travail qui occupe une part décroissante dans le PIB.
En 1995, l’équité du financement de la solidarité est remise en question en raison de réductions de cotisations sociales (prélèvement proportionnel) financées par une partie des recettes de TVA (prélèvement régressif). Il s’agit d’une volonté affichée de réduire les ‘charges’ sociales afin d’améliorer la position concurrentielle des entreprises belges au travers d’une réduction des coûts salariaux. Selon la théorie économique néoclassique, on pouvait espérer une hausse de la quantité demandée de travail et un regain de croissance économique. Aujourd’hui, le financement régressif représente 30% des recettes de sécurité sociale et le financement proportionnel occupe une place de moins en moins importante.
Figure 1 : Évolution du financement de la sécurité sociale des travailleurs salariés en Belgique de 1960 à 2014 selon le type de recettesSource: Service public fédéral sécurité sociale. Rapport général sur la sécurité sociale et Vade mecum de la sécurité sociale (éditions de 1960 à 2014)
Figure 2 : Évolution du financement de la sécurité sociale des travailleurs salariés de 1960 à 2014 selon le caractère redistributif des recettesSource: Service public fédéral sécurité sociale. Rapport général sur la sécurité sociale et Vade mecum de la sécurité sociale (éditions de 1960 à 2014)
On retrouve une évolution similaire pour les soins de santé (Vrijens et al., 2012), de plus en plus financés par des recettes régressives et de moins en moins par des recettes progressives (tableau 1, ci-dessous).
Tableau 1 : Caractérisation du financement des soins de santé en Belgique en pourcentages du total respectivement des recettes proportionnelles, progressives et régressives.
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
Proportionnelles
70,0
69,8
70,7
69,0
67,0
62,2
68,7
73,0
74,2
72,6
Progressives
13,5
13,3
13,1
12,9
12,5
15,0
6,6
7,0
7,0
6,9
Régressives
14,9
15,1
14,4
15,7
16,8
19,1
23,3
18,6
16,9
18,5
Divers
1,6
1,7
1,8
2,4
3,8
3,8
1,4
1,4
1,9
1,9
Source: Service public fédéral sécurité sociale, Inami et calculs propres
Les effets inéquitables d’une pseudo-responsabilisation
Dès lors que le mode de financement de la solidarité devient un instrument potentiel de relance économique au travers de la réduction des coûts salariaux et que le facteur capital ne ‘peut’ être mis à contribution, il semble inévitable de décider une réduction des dépenses publiques et notamment de santé.
On peut considérer qu’il existe deux options, non exclusives, pour réduire les dépenses publiques de santé. Une majoration du ticket modérateur réduit mécaniquement la partie supportée par la solidarité et l’effet prix qu’elle représente peut en outre réduire, du moins en théorie, la quantité de soins demandée. L’autre possibilité consiste à maintenir constants, voire à diminuer les tarifs des soins, c’est-à-dire la rémunération des prestataires, qui sont ainsi ‘incités’ à demander des suppléments non couverts par l’assurance maladie et dont le patient doit s’acquitter personnellement.
Il n’existe pas de série chronologique longue des tickets modérateurs, les suppléments d’honoraires en ambulatoire ne sont pas enregistrés et les coûts d’hospitalisation par catégories ne font l’objet d’analyses systématiques que depuis le début des années 2000, ce qui ne permet pas de suivre l’évolution de la part privée des dépenses totales de santé sur une longue période. On estime que, globalement, le patient belge supporte un quart des dépenses totales qui comprennent les montants remboursés par la mutualité (dépenses publiques), le ticket modérateur officiel (la partie du tarif officiel Inami qui reste à charge du patient après le remboursement de la mutualité) ainsi que toutes les composantes du ‘reste à charge’ telles que les diverses formes de suppléments (honoraires, médicaments, matériel, chambre) et tout ce qui relève des ‘soins’ et qui n’est pas remboursé dans le cadre de l’assurance maladie (on y retrouve certains médicaments, une partie du matériel de bandagisterie, les médecines alternatives…).
Les ‘baromètres’ des coûts hospitaliers attestent d’une forte hausse des suppléments d’honoraires pour les patients hospitalisés en chambres individuelles au cours de la dernière décennie. En chambre double et commune ces suppléments sont interdits depuis le 1er janvier 2013.
Au-delà des chiffres, on constate une généralisation du discours responsabilisant selon lequel chacun est responsable de son capital-santé, qu’il est censé gérer en bon père de famille, qu’il se doit aussi d’utiliser les deniers publics de manière parcimonieuse. Le paradigme néo-classique est ici encore une source d’inspiration aux mesures financières qui constituent des sanctions aux comportements sanitairement et solidairement incorrects (Léonard, 2015).
Les incitations financières seraient parées de toutes les vertus, elles ne se limiteraient pas à conscientiser les patients aux coûts des soins, elles induiraient des comportements attendus en termes de prévention, dépistage et observance des traitements. On applique ainsi le raisonnement économique aux soins de santé comme on l’applique à tous les secteurs de l’activité humaine et notamment à la tarification des voyages en train.
Le politique peut d’ailleurs se sentir soutenu par les résultats d’enquêtes qui ne s’embarrassent pas de précautions éthiques et pédagogiques et qui mettent en évidence un certain support des populations à l’égard de mesures susceptibles de faire payer aux patients leur incurie sanitaire (Elchardus et Te Braak, 2014, Bes et al., 2014, Orde van medische specialisten, 2014).
Dans un contexte d’inégalités de revenus, de santé et d’accès aux soins, ce type de mesures est particulièrement pénalisant et ne peut, à terme, que renforcer les problèmes de santé des plus démunis ainsi que les reports de soins, comme le montrait déjà l’expérimentation menée aux USA par la Rand Corporation entre 1971 et 1986 (Lohr et al., 1986). En Belgique, le profil des ménages qui reportent des soins est à présent bien documenté, il s’agit notamment de familles monoparentales, de personnes isolées, de ménages disposant d’un niveau d’instruction et de revenus faibles et supportant des coûts de santé élevés (Demarest, 2015). Il n’est dès lors pas étonnant qu’un collectif de médecins belges signent une carte blanche s’intitulant «la consultation ‘sans argent’ chez le généraliste est une nécessité» ni que l’Assemblée nationale française ait adopté en première lecture le 6 avril 2015 une loi santé qui prévoit la généralisation du tiers-payant pour fin 2017 contre l’avis d’une certaine partie de la profession médicale française. Une opposition médicale qui craint probablement un retard de paiement en raison de lourdeurs administratives mais aussi d’être rendue un jour responsable d’une surconsommation induite par la gratuité des soins, une idée qui fait figure de monstre du Loch Ness dans la sphère des soins de santé.
Les deux faces de la sélectivité
Même si le manque de données sur une longue période empêche une analyse tendancielle et une quantification précise de la charge du patient, certaines décisions prouvent que des problèmes d’accessibilité ont été anticipés ou même constatés. En effet, dès 1963, la Belgique en instituant l’assurance maladie invalidité, prévoit un statut particulier pour les personnes potentiellement fragiles, les veuves, les invalides, les pensionnés et les orphelins (VIPO), qui sont dispensées de ticket modérateur pour les soins courants.
En 1965, la sélectivité sur base du statut se double d’une sélectivité sur base du revenu: en effet un revenu maximal est légalement prévu afin de bénéficier de cette exemption. Ce statut a depuis bien évolué mais la logique reste relativement similaire même si l’intervention majorée est aujourd’hui uniquement fonction du niveau de revenu, ce qui constitue, il faut bien l’admettre, une dérogation importante au principe d’assurance.
Une telle dérogation avait déjà été décidée en 1993 lorsque les franchises sociale et fiscale ont été instaurées. Il s’agissait à l’époque de limiter l’ensemble des tickets modérateurs des patients en fonction de leur statut social ou de leur revenu. Ce mode de sélectivité a lui aussi connu plusieurs adaptations, à présent il est connu sous l’appellation de ‘Maximum à facturer’ (MAF). Globalement, les montants en jeu sont relativement faibles par rapport à l’ensemble des remboursements de l’AMI, ils n’en représentaient que 1,28% en 2014 (voir figure 3) mais ce système permet tout de même de réduire substantiellement la concentration de la charge des patients. La figure 4 montre qu’avant l’application du MAF, 5% des patients supportent 33% des tickets modérateurs, ce système de sélectivité réduit leur facture à 27% de l’ensemble. Notons également que ces 5% de patients bénéficient de 53% des remboursements de l’AMI, ils doivent aussi s’acquitter de 83% des suppléments hospitaliers.
En première approche, on peut évaluer positivement ces mesures de sélectivité qui adoucissent les mesures de responsabilisation financière. Il semble d’ailleurs que l’immunisation des plus démunis bénéficie d’un large support au nom de l’accessibilité des soins et d’une certaine définition de la justice sociale selon laquelle chacun doit avoir accès (au moins financièrement) aux soins dont il a besoin.
On peut toutefois se demander si un souci d’équité s’y retrouve totalement. En effet, peut-on être certain que ces mesures assurent ‘un accès financier égal à tous les patients qui ont un égal besoin de soins’ ? En raison de l’effet de seuil de ces mesures liées au revenu, il est très probable que certains ménages disposent d’un revenu considéré comme suffisant pour ne pas bénéficier de mesures d’immunisation de restes à charges mais qu’en termes de ‘pouvoir d’achat réel net’ par membre du ménage, ils soient finalement moins bien lotis que celles et ceux qui sont, d’une certaine manière ‘stigmatisés’ par les aides.
Figure 3 : Évolution des dépenses ‘sélectives’ (franchises et maximum à facturer) au sein des dépenses publiques totales de santé Source: Inami
Il est d’ailleurs très interpellant de constater que 46,5% des Belges (Elchardus et Te Braak, 2014) espèrent retoucher au moins autant que le montant de leurs contributions au système de santé alors que nous savons que les soins, et donc leurs coûts, sont fortement concentrés. Il est par conséquent impossible que chacun retrouve ‘sa mise’, il s’agit de l’essence de la solidarité.
On peut interpréter cet ‘espoir’ comme une sorte de principe de réciprocité compris comme une volonté de ‘récupérer’ une partie de sa ‘contribution’, c’est-à-dire de retrouver au travers des prestations une partie, la plus large possible, des cotisations et impôts payés pour financer le système. Ce principe de réciprocité s’oppose ainsi au principe de sélectivité. Il faudrait évidemment procéder à une analyse qualitative afin de vérifier les véritables motivations des répondants mais, compte tenu de la concentration des soins et donc de la répartition de l’occurrence des épisodes de maladies au cours d’une année, on pourrait s’attendre à ce qu’une très large majorité de personnes ‘acceptent’ l’idée de retoucher moins que le montant de leurs contributions.
Figure 4 : Représentation de la concentration des divers coûts d’hospitalisation (remboursements – tickets modérateurs et suppléments) pour l’année 2012Source: Agence Intermutuelliste – AIM – IMA Comment lire ce graphique: en ordonnée (axe vertical) on retrouve le pourcentage cumulé des dépenses et en abscisse (axe horizontal) on retrouve le pourcentage cumulé des assurés sociaux (la population). On voit par exemple, que 95% des assurés cumulent 47% des remboursements de l’assurance maladie (Dépenses AMI), ce qui signifie que 5% seulement des assurés bénéficient de 53% des remboursements. Cela traduit la forte concentration des soins et donc des remboursements. Nous ne sommes pas tous égaux devant la maladie et ces 5% ne sont pas, heureusement, toujours les mêmes personnes chaque année. Tous les autres points s’interprètent de la même façon. On peut lire notamment que les même 5% des assurés supportent 83% des suppléments et 27% des tickets modérateurs après application du MAF (Maximum à facturer).
Globalement, les trois caractéristiques du système de solidarité belge mis en évidence attestent d’une prégnance du paradigme économique néo-classique qui s’exprime dans des politiques néo-libérales:
le facteur travail est toujours fortement mis à contribution alors que le système de protection sociale bénéficie à toutes et tous et que le capital est largement épargné en raison de sa ‘mobilité’ supposée;
les cotisations sociales sont réduites dans l’espoir de favoriser l’emploi;
la responsabilité financière est instaurée mais on admet qu’il faut en réduire les effets pour les plus démunis et on introduit une sélectivité implicitement justifiée par une incapacité à faire participer tout un chacun en fonction de ses capacités contributives réelles.
Pour les ménages plus favorisés, la sélectivité dont ils ne peuvent bénéficier est en quelque sorte le prix à payer pour qu’une part de leurs revenus ne soit pas mise à contribution. On est toutefois en droit de se demander si la pérennité d’un système de solidarité est assurée dès lors que l’on déroge à l’un de ses principes fondateurs: celui d’une conviction égale pour chacun que ses besoins de santé seront rencontrés sans investiguer dans quelle mesure il le mérite, que ce supposé mérite s’exprime par un comportement sanitairement correct ou par une contribution au financement du système en fonction de la capacité contributive réelle de l’intéressé. Dévier de cette logique assurantielle autorise, voire rend inévitables, les ‘petits arrangements’ réglementaires.
Nous défendons donc la thèse que ce qui met en péril les systèmes de solidarité et notamment l’assurance maladie ne doit pas être recherché dans les mesures qui semblent dictées par la crise économique et financière. Ce qui fragilise la solidarité mais aussi le vivre-ensemble susceptible de donner du sens au concept de ‘commune humanité’, ce sont des convictions, des dogmes économico-politiques qui sont complétement ancrés dans le paradigme économique néo-classique. Un paradigme selon lequel nous sommes toutes et tous des ‘homo oeconomicus’ maximisant notre ‘utilité’, notre ‘plaisir’ en réagissant à des signaux financiers, les fameuses incitations. Une posture imprégnée d’utilitarisme, cette doctrine conséquentialiste qui ne laisse pas de place aux actions gratuites dictées par l’altruisme, la générosité ou un quelconque impératif catégorique nous portant à aider l’autre quel qu’il soit.
Nos trois constats sont de nature à exacerber la dualisation du système de santé car ils n’expriment pas des mesures conjoncturelles liées à la crise mais bien des tendances structurelles de long terme. La crise est toutefois plus fondamentale, plus grave que ce que les taux de croissance des dernières années semblent montrer, la crise est sociétale et même anthropologique.
Légitimer le primat de la croissance pour ‘justifier’ les politiques néolibérales
Il nous semble que les politiques néolibérales continueront à s’articuler autour de deux finalités principales: la promotion de la croissance et la limitation de la solidarité.
Comme nous l’avons explicité plus haut, la dernière crise a permis de justifier des politiques d’austérité qui s’avèrent particulièrement fonctionnelles dans la quête de ces deux finalités. L’austérité a aussi engendré ses mécontents, ses indignés face aux drames des multiples manifestations de l’exclusion et de l’inégalité, au sein des pays et entre les pays. La tentative de naturalisation de l’austérité est donc progressivement mise à mal par une forme de renouveau citoyen et les épigones de la logique néo-libérale se voient dorénavant dans l’obligation de justifier leur politique. Ces justifications s’accompagneront de défis que nous identifions comme autant de lieux d’affrontements idéologiques dont l’issue déterminera le type de société dans laquelle nous pourrons ou devrons vivre, vainqueurs libérés de la pensée dominante ou vaincus inféodés à la dictature du ‘toujours plus’.
De nombreuses mesures sont prises au nom de la croissance et de son cortège de présumés effets positifs dans les domaines qui nous sont ‘chers’ et parmi lesquels on trouve l’emploi, le pouvoir d’achat, le niveau de vie, le bien-être. Aussi longtemps qu’une majorité est convaincue que sa joie de vivre, souvent confondue avec le plaisir, dépend de la croissance, la collectivité semble prête à accepter les épreuves de l’austérité présentée comme provisoire, une manière de reculer pour mieux sauter vers une croissance que l’on espère durable.
Quand les mesures d’austérité relèvent de la cosmétique politique et économique, le nombre des ‘gagnants’ est suffisant pour qu’une majorité relativement silencieuse s’accommode des désagréments dont elle sent les effluves et ‘accepte’ que les ‘perdants’ (car il en faut) chutent littéralement et ostensiblement quand ils n’ont pas le sursaut de dignité qui devrait les amener à s’effacer, disparaître d’un spectacle où chacun semble si bien jouer son rôle.
Mais dès que les mesures d’austérité prennent l’allure d’une remise en question fondamentale des acquis, le ‘chacun pour soi’ ne semble plus suffire. Privatisations implicites des services publics, sauts d’index, modifications des conditions de départ à la pension sont profondément ressenties comme des menaces à l’égard de ce qui n’est plus le ‘bien-être’ mais seulement l’être. Comment ‘être’ dans une société où tout ce qui constituait un ciment entre les personnes s’effrite et fait apparaître précisément en quoi ce lien, ignoré par un lent mais profond processus de naturalisation, était signifiant.
Le sentiment d’avoir été ‘floué sur la marchandise’ apparaît progressivement. Celui qui pensait qu’il pouvait s’en sortir mieux seul, que ce sont les autres qui allaient souffrir, que son mérite personnel le mettait à l’abri des sanctions réservées aux profiteurs du système, prend progressivement conscience que c’est ensemble que nous trouverons une solution, que si l’embarcation ‘solidarité’ coule, on ne devra même pas chercher les survivants dans les eaux tumultueuses de la débrouille. Quant à la minorité des privilégiés, elle aura pris soin de débarquer à temps et de se prémunir des intempéries sociales, économiques et financières. Mais en sortiront-ils plus humains?
On peut toutefois espérer que le naufrage n’aura pas lieu, que la majorité cessera d’être silencieuse et qu’elle exigera une justification de la poursuite à tout prix de la croissance. Imaginons dans ce cas, un court instant, les défis qu’il nous faudrait relever. Il s’agit bien de ‘nous’ et pas seulement de celles et ceux qui gouvernent car ils ne sont finalement ‘que’ l’émanation du peuple.
Le défi écologique
Comme le rappelle Bruno Villalba, «les crises écologiques et énergétiques interrogent les conditions d’existence matérielles de la démocratie» (Villalba, 2015). Ces crises que l’on semble ignorer dès lors que la croissance est en danger nous rappellent pourtant que nous sommes acteurs de notre destin écologique commun. On ne peut indéfiniment accepter que le pragmatisme économique supplante le rêve salvateur d’une terre vivable pour toutes et tous. Il n’est pas illusoire d’imaginer qu’au plus les perdants sont nombreux, au plus leurs pertes sont importantes, au moins ils se nourrissent de ce menu déséquilibré qui leur est proposé car pour quelques dixièmes de points de croissance potentielle, il faut payer comptant en centaines de milliers d’exclus.
Ceux qui restent (mais pour combien de temps encore) inclus paient par des journées harassantes, une vie de labeur passée à espérer qu’ils ne seront pas morts avant de pouvoir jouir d’un repos bien mérité. Imaginons donc un instant que cette course à la croissance doive être justifiée et que si ses thuriféraires ne sont pas convaincants, la population choisisse la sobriété, par tous et pour tous, sans attendre que la lutte des classes ne se double d’une lutte des places (Villalba, 2015).
Le défi systémique
C’est alors tout le système qu’il faudra changer et cela aussi sera douloureux. C’est peut-être en raison de cette douleur qui va inévitablement gagner le corps et l’esprit de générations habituées à une certaine opulence que le choc doit être fort pour que, malgré tout, une large majorité fasse ce choix d’une certaine forme de privations, du moins dans un premier temps.
Si le maintien ou l’augmentation du futur pouvoir d’achat est l’un des arguments utilisés par les gouvernements néo-libéraux pour faire accepter les mesures d’austérité, une population rendue lucide par l’impact de ces mesures peut considérer qu’elle détient un pouvoir de ‘non-achat’. En 1956 déjà, Günther Anders identifiait les affres de la consommation de masse et le paradoxe selon lequel l’humain devait acheter ce qui contribuait à sa propre servitude, payant ainsi pour se vendre. Il concevait en 1958 la publicité comme une injonction, un impératif à être ‘sans pitié’ à l’égard des objets qu’il nous faut remplacer, comme un appel à la destruction.
On retrouve cette idée chez David Graeber pour qui «ce qui est créé dans une sphère est utilisé – et pour finir, usé, détruit – dans l’autre» et cette possibilité de détruire une chose est la preuve ultime de la possession de cette chose, ce qui nous renvoie au concept d’individualisme possessif selon lequel «les gens se considèrent comme des êtres isolés qui ne définissent plus leur rapport au monde en termes de relations sociales, mais en termes de droits de propriété», une valeur qui a permis à une classe de gens «d’intérioriser la logique d’exclusion comme une manière de définir leur propre personne». Une logique également de marchandisation dont aucun domaine de l’existence n’est épargné (Sandel, 2014).
Plus d’un demi-siècle plus tard, la mainmise capitaliste s’est exacerbée. Selon Wolfgang Streeck, la théorie des crises n’est pas parvenue à percevoir la capacité du capitalisme à s’imposer à travers, non seulement des mécanismes économiques et financiers, mais aussi au travers d’une prégnance culturelle et sociale. Le basculement vers des marchés autorégulés permettant une dynamique d’accumulation, la propagation de modes de vie adaptés au capitalisme contredisant les attentes de la crise de légitimation dont il aurait dû être touché et enfin les crises économiques qui n’ont eu que des effets marginaux sur le système sont les trois évolutions qui traduisent cette mainmise du capitalisme.
Si l’on prend au sérieux les critiques de Anders et Illich, et comment pourrait-il en être autrement au vu de leur caractère visionnaire, c’est très précisément au cœur du système qu’il faut agir, au plus profond de ce qui nous semble être notre essence, et remettre en question le paradigme néoclassique de l’homo oeconomicus. Non pas théoriquement, mais par des actes concrets de refus de consommation, donc de refus de destruction des objets qui nous possèdent. Pour un instant, imaginons que cette incapacité à justifier la croissance nous ouvre à la lucidité de notre pouvoir de résistance à un capitalisme qui n’est pas inévitable, pas nécessaire comme mode de société.
Le défi anthropologique
Défier le capitalisme n’est possible que si nous osons questionner notre propre existence. Dans l’histoire du libéralisme on reconnaît à l’individu lockéen le droit à la propriété de soi et donc du fruit de son travail. On voit ainsi apparaître un lien qui deviendra sans cesse plus étroit entre l’être et l’avoir au point qu’exister ne semble plus possible sans posséder.
Une fois de plus, il faut reconnaître la pertinence de la critique de Gunther Anders qui percevait à quel point les choses que nous acquérons finissent par nous posséder. C’est donc bien la conception même de l’existence humaine qui est remise en question dès lors que, non seulement les modes d’acquisition, mais le principe même de l’acquisition est contesté. Revenir à un stade ‘pré-acquisition’, c’est se donner la possibilité de redéfinir l’homme, de penser l’ontologie de son existence. Certains frémissements citoyens semblent porteurs de signes d’espoir et nous permettent, pour un instant, de concevoir et non seulement rêver, un avenir où l’homme (re)vient aux fondamentaux de son existence.
En effet, lorsqu’on s’engage dans un mouvement d’indignés, de penseurs alternatifs, lorsqu’on met en place un système de ‘donnerie’ où la marchandisation fait place au don, à l’échange de contacts humains, quand des ‘monnaies sociales’ permettent d’assurer des services que le marché délaisse, ce n’est pas seulement le mode d’échange et d’accumulation capitaliste qui est remis en question, c’est notre façon de vivre et d’être.
La suite et fin de cet article paraîtra dans le prochain numéro d’Éducation Santé.
Bibliographie
Anders, G. (2011) L’obsolescence de l’homme. Tome 2. Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, Fario – Ivrea.
Anders, G. (2012) L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances – Éditions Ivrea.
Bes, R., Kerpershoek, E., Brabers, A., Reitsma-Van Rooijen, M., Curfs, E. & De Jong, J. (2014) Wat hoort er in het basispakket volgens verzekerden? Utrecht, NIVEL.
Demarest, S. (2015) Accessibilité financière aux soins de santé. in Drieskens, S. & Gisle, L. (Eds.) Enquête de santé 2013. Rapport 3. Utilisation des services de soins de santé et des services sociaux. Bruxelles, Institut de Santé Publique (WIV – ISP). p. 789-840.
Elchardus, M. & Te Braak, P. (2014) Vos soins de santé. Votre avis compte! Bruxelles, Institut d’assurance Maladie Invalidité (INAMI).
Farfan-Portet, M.-I., Devos, C., Devriese, S., Cleemput, I. & Van De Voorde, C. (2012) Simplification of patient cost-sharing: the example of physician consultations and visits. Health Service Research (HSR) – KCE report 180. Brussels, Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE).
Graeber, D. (2014) Des fins du capitalisme, Payot.
Laasman, J.-M., Maron, L. & Vrancken, J. (2013) Dix ans de ‘Baromètre coûts hospitaliers’. Bruxelles, Solidaris.
Léonard, C. (2015) Libérer et responsabiliser pour refonder la solidarité, Namur, Presses Universitaires de Namur – Épistémologie et sciences du vivant.
Lohr, K. N., Brook, R. H., Kamberg, C. J., Goldberg, G. A., Leibowitz, A., Keesey, J., Reboussin, D. & Newhouse, J. P. (1986) Use of Medical Care in the Rand Health Insurance Experiment: Diagnosis and Service Specific Analyses in a Randomized Controlled Trial. Santa Monica. Rand Corporation
Sandel, M. J. (2014) Ce que l’argent ne saurait acheter, Paris, Seuil.
Savage, R. (2010) Les cotisations sociales 1970-2008: trajectoires non-discrétionnaires et impulsions discrétionnaires. Federale Overheidsdienst Financiën – België, 70(2), 127-190.
Streeck, W. (2014) Du temps acheté. La crise sans cesse ajournée du capitalisme, Gallimard.
Van Sloten, F. & Ackaert, K. (2016) Onzième baromètre MC de la facture hospitalière – Les suppléments d’honoraires dans les hôpitaux augmentent plus vite que jamais. MC – Informations, (263), 40-47.
Villalba, B. (2015) Au fondement matériel de la démocratie. Revue – Projet, (344).
Vrijens, F., Renard, F., Jonckheer, P., Van Den Heede, K., Desomer, A., Van De Voorde, C., Walckiers, D., Dubois, C., Camberlin, C., Van Oyen, H., Vlayen, J., Léonard, C. & Meeus, P. (2012) La performance du système de santé belge Health Services Research – Nr 196. Bruxelles, Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE).
Cet article est fondé sur une communication effectuée lors du colloque ‘Recherche et régulation’, qui a eu lieu à Paris. Je remercie les participants à l’atelier ‘Crise du système de santé’ pour les commentaires qui m’ont permis d’améliorer cet article.
L’auteur est Directeur général adjoint du KCE, Professeur invité à l’UCL, Maître de conférences à l’UNamur et Professeur à la HELHa, il s’exprime en son nom personnel, ses propos n’engagent nullement les institutions auxquelles il appartient.
Au début du système il était question de ‘contributions sociales’ qui présentaient indiscutablement un caractère positif, voire une certaine fierté. On contribue en effet généralement à un système auquel on adhère. Progressivement, c’est le terme plus neutre de ‘cotisations’ qui a été utilisé avant de laisser la place à l’expression péjorative de ‘charges’ dont il devient suspect de vouloir augmenter le montant. La sémantique présente une certaine importance, il n’est en effet pas indifférent d’utiliser le terme ‘charges’, ‘cotisations’ ou ‘contributions’ pour qualifier les versements des employeurs et travailleurs effectués pour financer la sécurité sociale.
Voir (Savage, 2010), p.149. Rappelons qu’un prélèvement est dit ‘régressif’ quand son taux moyen diminue avec le revenu, au contraire du prélèvement dit ‘progressif’ dont le taux moyen augmente avec le revenu. Quant au taux caractérisant le prélèvement proportionnel, il est constant, quel que soit le niveau de revenu. C’est le cas des cotisations sociales payées par les travailleurs salariés.
Entre 1981à 1989, l’assiette de calcul des cotisations (salaires et traitements) passe de 44,7% à 37,4% du PIB, voir (Savage, 2010), p.141.
De 124% (de 368 € à 824 €) de 2002 à 2012 selon les données des Mutualités socialistes (Laasman et al., 2013) et de 53% (de 580 € à 887 €) entre 2004 et 2014 selon les données des Mutualités chrétiennes (van Sloten et Ackaert, 2016).
Voir le journal ‘Le Soir’, édition du 16 avril 2015, pages 18-19.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le décret d’application est encore en attente. À compter du 30 novembre 2017, les professionnels de santé devront appliquer le tiers payant partiel (paiement uniquement de la part non couverte par l’assurance maladie) à tous les assurés et pourront proposer en plus le tiers payant total (Voir https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A10435?xtor=EPR-100, consulté le 11 mars 2016).
Pour plus de détails voir (Farfan-Portet et al., 2012).
Il existe deux définitions complémentaires de l’équité: l’équité horizontale comprise comme le traitement égal des égaux et l’équité verticale comprise comme le traitement inégal des inégaux. La question fondamentale concerne évidemment la nature de la ‘variable focale’. Ici, nous considérons que le ‘besoin de soin’ constitue cette variable focale.
Nous renvoyons le lecteur intéressé à notre critique de l’utilitarisme dans (Léonard, 2015), pp. 73-78.
Nous traiterons la question de la ‘légitimation’ de la réduction de la solidarité dans un prochain article.
Il y a de bonnes raisons de penser que la maltraitance infantile est sous-détectée dans notre pays. Pour améliorer cette situation, il est important de faciliter la collaboration entre les différents secteurs – et les différents niveaux de compétence – concernés.
Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) a été chargé d’examiner quelles pistes pourraient améliorer la participation des professionnels de la santé à cette détection. Ce travail, mené en collaboration avec l’ULB et l’UAntwerpen, propose un ensemble de 18 recommandations, parmi lesquelles un accent sur la prévention (dès avant la naissance), une attention particulière aux tout-petits, une meilleure formation des intervenants à la détection des risques et des signaux d’alarme, la mise en place de protocoles d’action clairs et concrets, et une adaptation du secret professionnel.
Étant donné que les compétences à l’œuvre dans les différents secteurs concernés par la maltraitance infantile sont désormais réparties entre les différents niveaux de pouvoir, le KCE insiste pour que la coordination de la prise en charge de la maltraitance infantile soit portée à l’agenda de la Conférence interministérielle santé publique.
Une ampleur méconnue
Même si la maltraitance infantile soulève toujours une extrême émotion, son ampleur n’est pas connue avec précision dans notre pays. Seuls les cas déclarés sont enregistrés et les termes utilisés pour qualifier les faits sont disparates (p.ex. coups et blessures, ‘enfant en danger’…). Mais il reste tous les autres, dont on ne sait rien…
Améliorer la détection de ces cas est certes l’affaire de tous – certaines initiatives ont d’ailleurs été mises en place en ce sens, comme des lignes téléphoniques gratuites – mais certains secteurs sont particulièrement concernés, comme l’aide à la jeunesse, la police, la justice, l’enseignement et bien sûr la santé.
Une sous-détection parmi les professionnels de la santé
Parmi les professionnels de la santé, c’est souvent le médecin de famille qui est pressenti par les autres intervenants comme un acteur clé, étant donné sa relation privilégiée avec les familles. Pourtant les chiffres des services spécialisés (Équipes SOS Enfants et Vertrouwenscentra Kindermishandeling) montrent que seuls 2 à 3% des signalements de maltraitance infantile (ou de présomption de maltraitance) proviennent de médecins généralistes. En tout, le secteur de la santé est à l’origine d’environ 20% des signalements en Flandre, et de 9% dans la partie francophone du pays.
C’est sur la base de ce constat assez étonnant que le KCE a été chargé de définir des pistes d’action pour améliorer globalement la détection de la maltraitance infantile par les professionnels de la santé.
Les raisons du manque de réactivité
Les équipes de recherche ont interrogé des médecins généralistes sur les raisons de leurs réticences à signaler leurs soupçons de maltraitance. Leur première réponse a été qu’ils ont peur de se tromper et de porter à tort des accusations graves, car les signes de maltraitance sont souvent difficiles à interpréter. De plus, comme ils ont généralement une bonne relation avec l’ensemble de la famille, ils craignent de perdre ce lien de confiance, qui peut être important pour le suivi ultérieur de l’enfant. Ils ont également déploré qu’une fois un cas signalé, il leur est souvent «retiré des mains» et qu’ils restent alors sans plus aucune nouvelle sur le devenir de l’enfant. Et enfin, on constate un manque de confiance global dans les services et structures existants, qu’ils savent surchargés.
Agir à tous les niveaux à la fois
Toutefois, considérer isolément le secteur de la santé serait une démarche stérile pour une problématique qui embrasse autant de secteurs différents. Cette analyse a donc été complétée par des rencontres avec des experts des différents secteurs concernés (aide à la jeunesse, enseignement, justice et police) et traduit en 18 recommandations susceptibles d’améliorer la situation, tout en respectant les particularités du travail des uns et des autres. Mais les participants au projet soulignent que ce n’est qu’en agissant à plusieurs niveaux à la fois que ces différentes pistes pourront converger vers leur objectif.
Avant toute chose: la prévention
Le premier axe est la prévention, et elle doit commencer dès avant la naissance, par exemple par le biais des consultations prénatales. En effet, les données de la littérature montrent que la maltraitance, même si elle se rencontre dans toutes les couches de la société, est souvent liée à une accumulation de facteurs de risque tels que la pauvreté, le chômage, l’isolement, les familles monoparentales ou nouvellement recomposées, les assuétudes, les antécédents personnels de maltraitance, etc.Identifier les familles vulnérables et les accompagner durant des périodes cruciales comme la grossesse, l’accouchement et le début de la parentalité permet de réduire les risques. Rappelons ici que le KCE avait déjà insisté l’année dernière sur l’importance de la continuité des soins dans la période postanatale.
Une attention particulière pour les tout-petits
Les statistiques montrent aussi que les tout-petits de moins de 3 ans sont plus exposés, d’une part parce que plus vulnérables et dépendants, et d’autre part parce qu’ils n’ont pas accès à des structures protectrices telles que l’école. Il faut donc investir davantage dans la formation du personnel des crèches et des gardiennes à domicile à la détection des risques. Et aussi dans l’éducation à la parentalité.
Les intervenants auprès d’adultes en difficulté sont également concernés: ils doivent être attentifs aux situations où il pourrait exister un danger pour les enfants et avoir systématiquement un ‘réflexe-enfant’ c’est-à-dire se demander: «Y a-t-il des enfants dans cette famille et comment vont-ils?»
Renforcer et soutenir les compétences des soignants
Il est également indispensable de renforcer les compétences des soignants : médecins généralistes certes, mais aussi pédiatres, (pédo)psychiatres, gynécologues, sages-femmes, urgentistes et beaucoup d’autres encore, qui pourraient jouer un rôle important dans la détection précoce et le diagnostic. En effet, poser un diagnostic de maltraitance est une affaire très délicate et complexe, qui demande une certaine expertise que tous n’ont pas. C’est pourquoi le KCE préconise de leur offrir la possibilité de faire appel à des médecins légistes.
Il serait également opportun de renforcer leurs connaissances au sujet des services existants et du cadre légal, et de leur proposer des techniques de communication qui leur permettraient d’aborder ce sujet difficile avec les familles concernées. Certaines formations existent déjà; elles sont proposées par plusieurs instances comme les Commissions de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance, l’ONE, YAPAKA, les VK, Kind & Gezin… mais elles ne font pas partie de la formation de base des prestataires de soins, et ne reçoivent pas assez de moyens pour pouvoir étoffer leur offre.
Des protocoles d’action sur mesure
Par ailleurs, comme il n’existe aucune obligation de signalement en Belgique, les soignants qui ont des soupçons de maltraitance doivent évaluer eux-mêmes s’ils doivent les signaler, quand et à qui. Une solution concrète serait la mise en place de protocoles d’action obligatoires qui décriraient clairement les démarches à entreprendre chaque fois qu’une suspicion se fait jour. Certains protocoles existent déjà mais ils sont assez généraux; les concevoir sur mesure pour les différents intervenants, et en particulier pour les médecins urgentistes et les pédiatres, aiderait ces acteurs à adopter la réaction la plus adéquate.
Repenser le secret professionnel
La communication et la collaboration entre les différents services d’aide, la police et les services judiciaires doit absolument être facilitée. Or, actuellement, le cadre légal qui régit le secret professionnel ne le permet pas toujours.
Un exemple : les politiques d’action des Communautés sont essentiellement axées sur la collaboration volontaire des parents. Cette approche a toutefois des limites. À un moment, les intervenants, quels qu’ils soient, doivent évaluer la nécessité de signaler le cas à la justice. Cette étape se déroulerait plus facilement s’il leur était possible de se concerter et d’échanger des informations avec les intervenants des autres secteurs. Car c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer.
Des projets pilotes en cours en Flandre testent certains assouplissements de ce secret professionnel – tout en restant dans des balises très strictes – et il sera intéressant de tenir compte de leurs observations.
Renforcer les services spécialisés
Les services spécialisés tels que SOS Enfants et les Vertrouwenscentra Kindermishandeling ainsi que les Services d’Aide à la Jeunesse ont un rôle essentiel dans la prise en charge de la maltraitance infantile. Les services spécialisés ont des fonctions de sensibilisation, de conseil, d’orientation et de coaching des familles ainsi que de soutien aux autres professionnels.
Tous ces services souffrent d’un sous-financement chronique; pour pouvoir mener à bien les différentes missions qui leur incombent, il est indispensable de leur accorder davantage de moyens. Pour les services spécialisés, il est en outre fort difficile de recruter du personnel. Investir dans un réseau d’experts de référence auxquels ces services pourraient faire appel serait une manière économique et efficace de disposer de l’expertise nécessaire.
Ouvrir plus de lieux d’accueil
Les enfants victimes de maltraitance sont parfois ‘parqués’ dans des hôpitaux car on ne trouve plus d’autre solution d’accueil pour eux. Il arrive qu’ils doivent séjourner longtemps en pédiatrie pour une observation et un suivi. Or un hôpital à haute technologie n’est pas l’environnement le plus indiqué pour ces enfants. Il faut donc prévoir des places (supplémentaires) dans les centres de réadaptation pour leur observation de longue durée, leur accueil et leur prise en charge. Cela doit se faire dans le cadre d’un réseau de manière à pouvoir faire appel à un hôpital si nécessaire (pour certaines techniques diagnostiques et/ou des soins médicaux).
Coordonner les différents niveaux de compétence
Étant donné que les compétences à l’œuvre dans les différents secteurs concernés par la maltraitance infantile sont désormais réparties entre les différents niveaux de pouvoir, le KCE insiste pour que la coordination de la prise en charge de la maltraitance infantile soit portée à l’agenda de la Conférence interministérielle santé publique.
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