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Tisser les fils de la société

Le 30 Déc 20

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Première partie – Combattre le primat de la croissanceNote bas de pageNote bas de page

Nous pourrions qualifier de ‘bonne nouvelle’ l’établissement d’un lien entre les menaces qui pèsent sur les systèmes de protection sociale et la crise bancaire et financière de 2008. En effet, cela signifierait que la disparition progressive des effets des dysfonctionnements bancaires et financiers aurait mécaniquement un effet positif sur la taille des mailles du filet de protection sociale qui se sont considérablement élargies au cours des dernières années.

Même si de récentes publications semblent attester l’existence d’un tel lienNote bas de page, cela ne signifie pas que les mesures diverses de réductions des dépenses publiques et sociales soient caractérisées par une certaine ‘nécessité’ au sens philosophique du terme. Nous prétendons au contraire qu’elles sont l’objet d’une certaine contingence. En effet, il appartient toujours aux décideurs de choisir la manière de tisser les fils de la société.

Nous savons que les mesures d’assainissement budgétaires portent essentiellement sur les dépenses alors que le rééquilibrage budgétaire pourrait également être obtenu en augmentant les recettes, cotisations sociales et impôts. Il s’agit d’un choix politique, donc idéologique souvent justifié, mais sans réel fondement empirique, par le souci de l’efficience et du pragmatisme.

Il n’est dès lors pas étonnant de craindre les effets collatéraux de ces mesures au niveau social. Sans contester ou sous-estimer les impacts sociaux de mesures d’assainissement conjoncturelles, nous défendons l’approche qui consiste à repérer les remises en question fondamentales de la protection sociale dans les tendances de long terme qui caractérisent la composition du financement des assurances sociales et le mode d’intervention de la solidarité à l’égard des risques sociaux.

Les menaces ne sont donc pas uniquement liées à la conjoncture mais présentent majoritairement un caractère structurel. Nous défendons ensuite la thèse que la continuation de ces tendances lourdes est conditionnée à la capacité des décideurs à justifier la prépondérance de la croissance économique. En effet, aussi longtemps que la population acceptera le postulat que la croissance économique est notre seule voie de salut, les mesures qui favorisent certains types de revenus au travers de la fiscalité et les coupes claires dans les dépenses publiques apparaîtront toujours justifiées car présentées comme des incontournables pour préserver la croissance, objet d’une forme de sacralisation. Nous identifions alors une série de défis que les autorités auront à relever pour pérenniser le primat de la croissance. De leur réussite ou de leur échec dépendra le type de société dont nous nous serons rendus dignes, ou pas.

Effets de la crise ou tendances lourdes – Symptomatologie de la crise ou de l’idéologie néolibérale ?

Le financement de la sécurité sociale belge et notamment des soins de santé sur une longue période offre un éclairage particulièrement pertinent car il exprime d’une part des tendances ‘lourdes’ et d’autre part des décisions qui se manifestent généralement par des ‘cassures’ ou du moins des infléchissements de ces tendances. Notre posture consiste à interpréter les statistiques en la matière comme l’expression d’une volonté tantôt implicite, tantôt bien affichée de réduire la voilure de l’État et notamment de l’État-providence.

Régressivité croissante du financement de l’État-providence

Au début des années 60, le financement de la sécurité sociale était assuré par les cotisationsNote bas de page sociales pour 70% et par des subsides de l’État pour un peu moins de 30%. Confronté à la crise des années 70, l’État renforce son intervention afin de pérenniser le financement de la solidarité (figure 1).

En 1982, le gouvernement décide de déplafonner le calcul des cotisations sociales et rend ainsi proportionnel un prélèvement qui présentait un caractère régressifNote bas de page. En termes redistributifs, cette décision est évidemment positive mais elle est compensée par un désengagement progressif de l’État qui peut alors réduire les subsides fondés, pour environ la moitié, sur des impôts directs progressifs grâce à une augmentation mécanique du montant des cotisations sociales perçues (figure 2).

Jusqu’au début des années 90, le financement de la solidarité est donc majoritairement proportionnel aux salaires ce qui signifie qu’au sein des travailleurs, une certaine forme d’équité est respectée même si l’on peut regretter la réduction du caractère progressif de ce financement et la contribution du quasi seul facteur travail qui occupe une part décroissante dans le PIBNote bas de page.

En 1995, l’équité du financement de la solidarité est remise en question en raison de réductions de cotisations sociales (prélèvement proportionnel) financées par une partie des recettes de TVA (prélèvement régressif). Il s’agit d’une volonté affichée de réduire les ‘charges’ sociales afin d’améliorer la position concurrentielle des entreprises belges au travers d’une réduction des coûts salariaux. Selon la théorie économique néoclassique, on pouvait espérer une hausse de la quantité demandée de travail et un regain de croissance économique. Aujourd’hui, le financement régressif représente 30% des recettes de sécurité sociale et le financement proportionnel occupe une place de moins en moins importante.

Figure 1 : Évolution du financement de la sécurité sociale des travailleurs salariés en Belgique de 1960 à 2014 selon le type de recettesImageSource: Service public fédéral sécurité sociale. Rapport général sur la sécurité sociale et Vade mecum de la sécurité sociale (éditions de 1960 à 2014)

Figure 2 : Évolution du financement de la sécurité sociale des travailleurs salariés de 1960 à 2014 selon le caractère redistributif des recettesImageSource: Service public fédéral sécurité sociale. Rapport général sur la sécurité sociale et Vade mecum de la sécurité sociale (éditions de 1960 à 2014)

On retrouve une évolution similaire pour les soins de santé (Vrijens et al., 2012), de plus en plus financés par des recettes régressives et de moins en moins par des recettes progressives (tableau 1, ci-dessous).

Tableau 1 : Caractérisation du financement des soins de santé en Belgique en pourcentages du total respectivement des recettes proportionnelles, progressives et régressives.

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Proportionnelles

70,0

69,8

70,7

69,0

67,0

62,2

68,7

73,0

74,2

72,6

Progressives

13,5

13,3

13,1

12,9

12,5

15,0

6,6

7,0

7,0

6,9

Régressives

14,9

15,1

14,4

15,7

16,8

19,1

23,3

18,6

16,9

18,5

Divers

1,6

1,7

1,8

2,4

3,8

3,8

1,4

1,4

1,9

1,9

Source: Service public fédéral sécurité sociale, Inami et calculs propres

Les effets inéquitables d’une pseudo-responsabilisation

Dès lors que le mode de financement de la solidarité devient un instrument potentiel de relance économique au travers de la réduction des coûts salariaux et que le facteur capital ne ‘peut’ être mis à contribution, il semble inévitable de décider une réduction des dépenses publiques et notamment de santé.

On peut considérer qu’il existe deux options, non exclusives, pour réduire les dépenses publiques de santé. Une majoration du ticket modérateur réduit mécaniquement la partie supportée par la solidarité et l’effet prix qu’elle représente peut en outre réduire, du moins en théorie, la quantité de soins demandée. L’autre possibilité consiste à maintenir constants, voire à diminuer les tarifs des soins, c’est-à-dire la rémunération des prestataires, qui sont ainsi ‘incités’ à demander des suppléments non couverts par l’assurance maladie et dont le patient doit s’acquitter personnellement.

Il n’existe pas de série chronologique longue des tickets modérateurs, les suppléments d’honoraires en ambulatoire ne sont pas enregistrés et les coûts d’hospitalisation par catégories ne font l’objet d’analyses systématiques que depuis le début des années 2000, ce qui ne permet pas de suivre l’évolution de la part privée des dépenses totales de santé sur une longue période. On estime que, globalement, le patient belge supporte un quart des dépenses totales qui comprennent les montants remboursés par la mutualité (dépenses publiques), le ticket modérateur officiel (la partie du tarif officiel Inami qui reste à charge du patient après le remboursement de la mutualité) ainsi que toutes les composantes du ‘reste à charge’ telles que les diverses formes de suppléments (honoraires, médicaments, matériel, chambre) et tout ce qui relève des ‘soins’ et qui n’est pas remboursé dans le cadre de l’assurance maladie (on y retrouve certains médicaments, une partie du matériel de bandagisterie, les médecines alternatives…).

Les ‘baromètres’ des coûts hospitaliers attestent d’une forte hausse des suppléments d’honoraires pour les patients hospitalisés en chambres individuellesNote bas de page au cours de la dernière décennie. En chambre double et commune ces suppléments sont interdits depuis le 1er janvier 2013.

Au-delà des chiffres, on constate une généralisation du discours responsabilisant selon lequel chacun est responsable de son capital-santé, qu’il est censé gérer en bon père de famille, qu’il se doit aussi d’utiliser les deniers publics de manière parcimonieuse. Le paradigme néo-classique est ici encore une source d’inspiration aux mesures financières qui constituent des sanctions aux comportements sanitairement et solidairement incorrects (Léonard, 2015).

Les incitations financières seraient parées de toutes les vertus, elles ne se limiteraient pas à conscientiser les patients aux coûts des soins, elles induiraient des comportements attendus en termes de prévention, dépistage et observance des traitements. On applique ainsi le raisonnement économique aux soins de santé comme on l’applique à tous les secteurs de l’activité humaine et notamment à la tarification des voyages en trainNote bas de page.

Le politique peut d’ailleurs se sentir soutenu par les résultats d’enquêtes qui ne s’embarrassent pas de précautions éthiques et pédagogiques et qui mettent en évidence un certain support des populations à l’égard de mesures susceptibles de faire payer aux patients leur incurie sanitaire (Elchardus et Te Braak, 2014, Bes et al., 2014, Orde van medische specialisten, 2014).

Dans un contexte d’inégalités de revenus, de santé et d’accès aux soins, ce type de mesures est particulièrement pénalisant et ne peut, à terme, que renforcer les problèmes de santé des plus démunis ainsi que les reports de soins, comme le montrait déjà l’expérimentation menée aux USA par la Rand Corporation entre 1971 et 1986 (Lohr et al., 1986). En Belgique, le profil des ménages qui reportent des soins est à présent bien documenté, il s’agit notamment de familles monoparentales, de personnes isolées, de ménages disposant d’un niveau d’instruction et de revenus faibles et supportant des coûts de santé élevés (Demarest, 2015). Il n’est dès lors pas étonnant qu’un collectif de médecins belges signent une carte blanche s’intitulant «la consultation ‘sans argent’ chez le généraliste est une nécessité»Note bas de page ni que l’Assemblée nationale française ait adopté en première lecture le 6 avril 2015 une loi santé qui prévoit la généralisation du tiers-payant pour fin 2017 contre l’avis d’une certaine partie de la profession médicale françaiseNote bas de page. Une opposition médicale qui craint probablement un retard de paiement en raison de lourdeurs administratives mais aussi d’être rendue un jour responsable d’une surconsommation induite par la gratuité des soins, une idée qui fait figure de monstre du Loch Ness dans la sphère des soins de santé.

Les deux faces de la sélectivité

Même si le manque de données sur une longue période empêche une analyse tendancielle et une quantification précise de la charge du patient, certaines décisions prouvent que des problèmes d’accessibilité ont été anticipés ou même constatés. En effet, dès 1963, la Belgique en instituant l’assurance maladie invalidité, prévoit un statut particulier pour les personnes potentiellement fragiles, les veuves, les invalides, les pensionnés et les orphelins (VIPO), qui sont dispensées de ticket modérateur pour les soins courants.

En 1965, la sélectivité sur base du statut se double d’une sélectivité sur base du revenu: en effet un revenu maximal est légalement prévu afin de bénéficier de cette exemptionNote bas de page. Ce statut a depuis bien évolué mais la logique reste relativement similaire même si l’intervention majorée est aujourd’hui uniquement fonction du niveau de revenu, ce qui constitue, il faut bien l’admettre, une dérogation importante au principe d’assurance.

Une telle dérogation avait déjà été décidée en 1993 lorsque les franchises sociale et fiscale ont été instaurées. Il s’agissait à l’époque de limiter l’ensemble des tickets modérateurs des patients en fonction de leur statut social ou de leur revenu. Ce mode de sélectivité a lui aussi connu plusieurs adaptations, à présent il est connu sous l’appellation de ‘Maximum à facturer’ (MAF). Globalement, les montants en jeu sont relativement faibles par rapport à l’ensemble des remboursements de l’AMI, ils n’en représentaient que 1,28% en 2014 (voir figure 3) mais ce système permet tout de même de réduire substantiellement la concentration de la charge des patients. La figure 4 montre qu’avant l’application du MAF, 5% des patients supportent 33% des tickets modérateurs, ce système de sélectivité réduit leur facture à 27% de l’ensemble. Notons également que ces 5% de patients bénéficient de 53% des remboursements de l’AMI, ils doivent aussi s’acquitter de 83% des suppléments hospitaliers.

En première approche, on peut évaluer positivement ces mesures de sélectivité qui adoucissent les mesures de responsabilisation financière. Il semble d’ailleurs que l’immunisation des plus démunis bénéficie d’un large support au nom de l’accessibilité des soins et d’une certaine définition de la justice sociale selon laquelle chacun doit avoir accès (au moins financièrement) aux soins dont il a besoin.

On peut toutefois se demander si un souci d’équité s’y retrouve totalement. En effet, peut-on être certain que ces mesures assurent ‘un accès financier égal à tous les patients qui ont un égal besoin de soins’ ?Note bas de page En raison de l’effet de seuil de ces mesures liées au revenu, il est très probable que certains ménages disposent d’un revenu considéré comme suffisant pour ne pas bénéficier de mesures d’immunisation de restes à charges mais qu’en termes de ‘pouvoir d’achat réel net’ par membre du ménage, ils soient finalement moins bien lotis que celles et ceux qui sont, d’une certaine manière ‘stigmatisés’ par les aides.

Figure 3 : Évolution des dépenses ‘sélectives’ (franchises et maximum à facturer) au sein des dépenses publiques totales de santé ImageSource: Inami

Il est d’ailleurs très interpellant de constater que 46,5% des Belges (Elchardus et Te Braak, 2014) espèrent retoucher au moins autant que le montant de leurs contributions au système de santé alors que nous savons que les soins, et donc leurs coûts, sont fortement concentrés. Il est par conséquent impossible que chacun retrouve ‘sa mise’, il s’agit de l’essence de la solidarité.

On peut interpréter cet ‘espoir’ comme une sorte de principe de réciprocité compris comme une volonté de ‘récupérer’ une partie de sa ‘contribution’, c’est-à-dire de retrouver au travers des prestations une partie, la plus large possible, des cotisations et impôts payés pour financer le système. Ce principe de réciprocité s’oppose ainsi au principe de sélectivité. Il faudrait évidemment procéder à une analyse qualitative afin de vérifier les véritables motivations des répondants mais, compte tenu de la concentration des soins et donc de la répartition de l’occurrence des épisodes de maladies au cours d’une année, on pourrait s’attendre à ce qu’une très large majorité de personnes ‘acceptent’ l’idée de retoucher moins que le montant de leurs contributions.

Figure 4 : Représentation de la concentration des divers coûts d’hospitalisation (remboursements – tickets modérateurs et suppléments) pour l’année 2012ImageSource: Agence Intermutuelliste – AIM – IMA
Comment lire ce graphique: en ordonnée (axe vertical) on retrouve le pourcentage cumulé des dépenses et en abscisse (axe horizontal) on retrouve le pourcentage cumulé des assurés sociaux (la population). On voit par exemple, que 95% des assurés cumulent 47% des remboursements de l’assurance maladie (Dépenses AMI), ce qui signifie que 5% seulement des assurés bénéficient de 53% des remboursements. Cela traduit la forte concentration des soins et donc des remboursements. Nous ne sommes pas tous égaux devant la maladie et ces 5% ne sont pas, heureusement, toujours les mêmes personnes chaque année. Tous les autres points s’interprètent de la même façon. On peut lire notamment que les même 5% des assurés supportent 83% des suppléments et 27% des tickets modérateurs après application du MAF (Maximum à facturer).

Globalement, les trois caractéristiques du système de solidarité belge mis en évidence attestent d’une prégnance du paradigme économique néo-classique qui s’exprime dans des politiques néo-libérales:

  • le facteur travail est toujours fortement mis à contribution alors que le système de protection sociale bénéficie à toutes et tous et que le capital est largement épargné en raison de sa ‘mobilité’ supposée;
  • les cotisations sociales sont réduites dans l’espoir de favoriser l’emploi;
  • la responsabilité financière est instaurée mais on admet qu’il faut en réduire les effets pour les plus démunis et on introduit une sélectivité implicitement justifiée par une incapacité à faire participer tout un chacun en fonction de ses capacités contributives réelles.

Pour les ménages plus favorisés, la sélectivité dont ils ne peuvent bénéficier est en quelque sorte le prix à payer pour qu’une part de leurs revenus ne soit pas mise à contribution. On est toutefois en droit de se demander si la pérennité d’un système de solidarité est assurée dès lors que l’on déroge à l’un de ses principes fondateurs: celui d’une conviction égale pour chacun que ses besoins de santé seront rencontrés sans investiguer dans quelle mesure il le mérite, que ce supposé mérite s’exprime par un comportement sanitairement correct ou par une contribution au financement du système en fonction de la capacité contributive réelle de l’intéressé. Dévier de cette logique assurantielle autorise, voire rend inévitables, les ‘petits arrangements’ réglementaires.

Nous défendons donc la thèse que ce qui met en péril les systèmes de solidarité et notamment l’assurance maladie ne doit pas être recherché dans les mesures qui semblent dictées par la crise économique et financière. Ce qui fragilise la solidarité mais aussi le vivre-ensemble susceptible de donner du sens au concept de ‘commune humanité’, ce sont des convictions, des dogmes économico-politiques qui sont complétement ancrés dans le paradigme économique néo-classique. Un paradigme selon lequel nous sommes toutes et tous des ‘homo oeconomicus’ maximisant notre ‘utilité’, notre ‘plaisir’ en réagissant à des signaux financiers, les fameuses incitations. Une posture imprégnée d’utilitarisme, cette doctrine conséquentialiste qui ne laisse pas de place aux actions gratuites dictées par l’altruisme, la générosité ou un quelconque impératif catégorique nous portant à aider l’autre quel qu’il soitNote bas de page.

Nos trois constats sont de nature à exacerber la dualisation du système de santé car ils n’expriment pas des mesures conjoncturelles liées à la crise mais bien des tendances structurelles de long terme. La crise est toutefois plus fondamentale, plus grave que ce que les taux de croissance des dernières années semblent montrer, la crise est sociétale et même anthropologique.

Légitimer le primat de la croissance pour ‘justifier’ les politiques néolibérales

Il nous semble que les politiques néolibérales continueront à s’articuler autour de deux finalités principales: la promotion de la croissance et la limitation de la solidaritéNote bas de page.

Comme nous l’avons explicité plus haut, la dernière crise a permis de justifier des politiques d’austérité qui s’avèrent particulièrement fonctionnelles dans la quête de ces deux finalités. L’austérité a aussi engendré ses mécontents, ses indignés face aux drames des multiples manifestations de l’exclusion et de l’inégalité, au sein des pays et entre les pays. La tentative de naturalisation de l’austérité est donc progressivement mise à mal par une forme de renouveau citoyen et les épigones de la logique néo-libérale se voient dorénavant dans l’obligation de justifier leur politique. Ces justifications s’accompagneront de défis que nous identifions comme autant de lieux d’affrontements idéologiques dont l’issue déterminera le type de société dans laquelle nous pourrons ou devrons vivre, vainqueurs libérés de la pensée dominante ou vaincus inféodés à la dictature du ‘toujours plus’.

De nombreuses mesures sont prises au nom de la croissance et de son cortège de présumés effets positifs dans les domaines qui nous sont ‘chers’ et parmi lesquels on trouve l’emploi, le pouvoir d’achat, le niveau de vie, le bien-être. Aussi longtemps qu’une majorité est convaincue que sa joie de vivre, souvent confondue avec le plaisir, dépend de la croissance, la collectivité semble prête à accepter les épreuves de l’austérité présentée comme provisoire, une manière de reculer pour mieux sauter vers une croissance que l’on espère durable.

Quand les mesures d’austérité relèvent de la cosmétique politique et économique, le nombre des ‘gagnants’ est suffisant pour qu’une majorité relativement silencieuse s’accommode des désagréments dont elle sent les effluves et ‘accepte’ que les ‘perdants’ (car il en faut) chutent littéralement et ostensiblement quand ils n’ont pas le sursaut de dignité qui devrait les amener à s’effacer, disparaître d’un spectacle où chacun semble si bien jouer son rôle.

Mais dès que les mesures d’austérité prennent l’allure d’une remise en question fondamentale des acquis, le ‘chacun pour soi’ ne semble plus suffire. Privatisations implicites des services publics, sauts d’index, modifications des conditions de départ à la pension sont profondément ressenties comme des menaces à l’égard de ce qui n’est plus le ‘bien-être’ mais seulement l’être. Comment ‘être’ dans une société où tout ce qui constituait un ciment entre les personnes s’effrite et fait apparaître précisément en quoi ce lien, ignoré par un lent mais profond processus de naturalisation, était signifiant.

Le sentiment d’avoir été ‘floué sur la marchandise’ apparaît progressivement. Celui qui pensait qu’il pouvait s’en sortir mieux seul, que ce sont les autres qui allaient souffrir, que son mérite personnel le mettait à l’abri des sanctions réservées aux profiteurs du système, prend progressivement conscience que c’est ensemble que nous trouverons une solution, que si l’embarcation ‘solidarité’ coule, on ne devra même pas chercher les survivants dans les eaux tumultueuses de la débrouille. Quant à la minorité des privilégiés, elle aura pris soin de débarquer à temps et de se prémunir des intempéries sociales, économiques et financières. Mais en sortiront-ils plus humains?

On peut toutefois espérer que le naufrage n’aura pas lieu, que la majorité cessera d’être silencieuse et qu’elle exigera une justification de la poursuite à tout prix de la croissance. Imaginons dans ce cas, un court instant, les défis qu’il nous faudrait relever. Il s’agit bien de ‘nous’ et pas seulement de celles et ceux qui gouvernent car ils ne sont finalement ‘que’ l’émanation du peuple.

Le défi écologique

Comme le rappelle Bruno Villalba, «les crises écologiques et énergétiques interrogent les conditions d’existence matérielles de la démocratie» (Villalba, 2015). Ces crises que l’on semble ignorer dès lors que la croissance est en danger nous rappellent pourtant que nous sommes acteurs de notre destin écologique commun. On ne peut indéfiniment accepter que le pragmatisme économique supplante le rêve salvateur d’une terre vivable pour toutes et tous. Il n’est pas illusoire d’imaginer qu’au plus les perdants sont nombreux, au plus leurs pertes sont importantes, au moins ils se nourrissent de ce menu déséquilibré qui leur est proposé car pour quelques dixièmes de points de croissance potentielle, il faut payer comptant en centaines de milliers d’exclus.

Ceux qui restent (mais pour combien de temps encore) inclus paient par des journées harassantes, une vie de labeur passée à espérer qu’ils ne seront pas morts avant de pouvoir jouir d’un repos bien mérité. Imaginons donc un instant que cette course à la croissance doive être justifiée et que si ses thuriféraires ne sont pas convaincants, la population choisisse la sobriété, par tous et pour tous, sans attendre que la lutte des classes ne se double d’une lutte des places (Villalba, 2015).

Le défi systémique

C’est alors tout le système qu’il faudra changer et cela aussi sera douloureux. C’est peut-être en raison de cette douleur qui va inévitablement gagner le corps et l’esprit de générations habituées à une certaine opulence que le choc doit être fort pour que, malgré tout, une large majorité fasse ce choix d’une certaine forme de privations, du moins dans un premier temps.

Si le maintien ou l’augmentation du futur pouvoir d’achat est l’un des arguments utilisés par les gouvernements néo-libéraux pour faire accepter les mesures d’austérité, une population rendue lucide par l’impact de ces mesures peut considérer qu’elle détient un pouvoir de ‘non-achat’. En 1956 déjà, Günther Anders identifiait les affres de la consommation de masse et le paradoxe selon lequel l’humain devait acheter ce qui contribuait à sa propre servitude, payant ainsi pour se vendreNote bas de page. Il concevait en 1958 la publicité comme une injonction, un impératif à être ‘sans pitié’ à l’égard des objets qu’il nous faut remplacer, comme un appel à la destructionNote bas de page.

On retrouve cette idée chez David Graeber pour qui «ce qui est créé dans une sphère est utilisé – et pour finir, usé, détruit – dans l’autre»Note bas de page et cette possibilité de détruire une chose est la preuve ultime de la possession de cette choseNote bas de page, ce qui nous renvoie au concept d’individualisme possessif selon lequel «les gens se considèrent comme des êtres isolés qui ne définissent plus leur rapport au monde en termes de relations sociales, mais en termes de droits de propriété»Note bas de page, une valeur qui a permis à une classe de gens «d’intérioriser la logique d’exclusion comme une manière de définir leur propre personne»Note bas de page. Une logique également de marchandisation dont aucun domaine de l’existence n’est épargné (Sandel, 2014).

Plus d’un demi-siècle plus tard, la mainmise capitaliste s’est exacerbée. Selon Wolfgang Streeck, la théorie des crises n’est pas parvenue à percevoir la capacité du capitalisme à s’imposer à travers, non seulement des mécanismes économiques et financiers, mais aussi au travers d’une prégnance culturelle et sociale. Le basculement vers des marchés autorégulés permettant une dynamique d’accumulation, la propagation de modes de vie adaptés au capitalisme contredisant les attentes de la crise de légitimation dont il aurait dû être touché et enfin les crises économiques qui n’ont eu que des effets marginaux sur le système sont les trois évolutions qui traduisent cette mainmise du capitalismeNote bas de page.

Si l’on prend au sérieux les critiques de Anders et Illich, et comment pourrait-il en être autrement au vu de leur caractère visionnaire, c’est très précisément au cœur du système qu’il faut agir, au plus profond de ce qui nous semble être notre essence, et remettre en question le paradigme néoclassique de l’homo oeconomicus. Non pas théoriquement, mais par des actes concrets de refus de consommation, donc de refus de destruction des objets qui nous possèdent. Pour un instant, imaginons que cette incapacité à justifier la croissance nous ouvre à la lucidité de notre pouvoir de résistance à un capitalisme qui n’est pas inévitable, pas nécessaire comme mode de société.

Le défi anthropologique

Défier le capitalisme n’est possible que si nous osons questionner notre propre existence. Dans l’histoire du libéralisme on reconnaît à l’individu lockéen le droit à la propriété de soi et donc du fruit de son travail. On voit ainsi apparaître un lien qui deviendra sans cesse plus étroit entre l’être et l’avoir au point qu’exister ne semble plus possible sans posséder.

Une fois de plus, il faut reconnaître la pertinence de la critique de Gunther Anders qui percevait à quel point les choses que nous acquérons finissent par nous posséder. C’est donc bien la conception même de l’existence humaine qui est remise en question dès lors que, non seulement les modes d’acquisition, mais le principe même de l’acquisition est contesté. Revenir à un stade ‘pré-acquisition’, c’est se donner la possibilité de redéfinir l’homme, de penser l’ontologie de son existence. Certains frémissements citoyens semblent porteurs de signes d’espoir et nous permettent, pour un instant, de concevoir et non seulement rêver, un avenir où l’homme (re)vient aux fondamentaux de son existence.

En effet, lorsqu’on s’engage dans un mouvement d’indignés, de penseurs alternatifsNote bas de page, lorsqu’on met en place un système de ‘donnerie’ où la marchandisation fait place au don, à l’échange de contacts humains, quand des ‘monnaies sociales’Note bas de page permettent d’assurer des services que le marché délaisse, ce n’est pas seulement le mode d’échange et d’accumulation capitaliste qui est remis en question, c’est notre façon de vivre et d’être.

La suite et fin de cet article paraîtra dans le prochain numéro d’Éducation Santé.

Bibliographie

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  • Van Sloten, F. & Ackaert, K. (2016) Onzième baromètre MC de la facture hospitalière – Les suppléments d’honoraires dans les hôpitaux augmentent plus vite que jamais. MC – Informations, (263), 40-47.
  • Villalba, B. (2015) Au fondement matériel de la démocratie. Revue – Projet, (344).
  • Vrijens, F., Renard, F., Jonckheer, P., Van Den Heede, K., Desomer, A., Van De Voorde, C., Walckiers, D., Dubois, C., Camberlin, C., Van Oyen, H., Vlayen, J., Léonard, C. & Meeus, P. (2012) La performance du système de santé belge Health Services Research – Nr 196. Bruxelles, Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE).

Cet article est fondé sur une communication effectuée lors du colloque ‘Recherche et régulation’, qui a eu lieu à Paris. Je remercie les participants à l’atelier ‘Crise du système de santé’ pour les commentaires qui m’ont permis d’améliorer cet article.

L’auteur est Directeur général adjoint du KCE, Professeur invité à l’UCL, Maître de conférences à l’UNamur et Professeur à la HELHa, il s’exprime en son nom personnel, ses propos n’engagent nullement les institutions auxquelles il appartient.

Au début du système il était question de ‘contributions sociales’ qui présentaient indiscutablement un caractère positif, voire une certaine fierté. On contribue en effet généralement à un système auquel on adhère. Progressivement, c’est le terme plus neutre de ‘cotisations’ qui a été utilisé avant de laisser la place à l’expression péjorative de ‘charges’ dont il devient suspect de vouloir augmenter le montant. La sémantique présente une certaine importance, il n’est en effet pas indifférent d’utiliser le terme ‘charges’, ‘cotisations’ ou ‘contributions’ pour qualifier les versements des employeurs et travailleurs effectués pour financer la sécurité sociale.

Voir (Savage, 2010), p.149. Rappelons qu’un prélèvement est dit ‘régressif’ quand son taux moyen diminue avec le revenu, au contraire du prélèvement dit ‘progressif’ dont le taux moyen augmente avec le revenu. Quant au taux caractérisant le prélèvement proportionnel, il est constant, quel que soit le niveau de revenu. C’est le cas des cotisations sociales payées par les travailleurs salariés.

Entre 1981à 1989, l’assiette de calcul des cotisations (salaires et traitements) passe de 44,7% à 37,4% du PIB, voir (Savage, 2010), p.141.

De 124% (de 368 € à 824 €) de 2002 à 2012 selon les données des Mutualités socialistes (Laasman et al., 2013) et de 53% (de 580 € à 887 €) entre 2004 et 2014 selon les données des Mutualités chrétiennes (van Sloten et Ackaert, 2016).

Voir Axel Gauthier, Faut-il payer le train plus cher à l’heure de pointe? Focus du 25 mars 2015 de Regards Économiques.

Voir le journal ‘Le Soir’, édition du 16 avril 2015, pages 18-19.

Au moment où nous écrivons ces lignes, le décret d’application est encore en attente. À compter du 30 novembre 2017, les professionnels de santé devront appliquer le tiers payant partiel (paiement uniquement de la part non couverte par l’assurance maladie) à tous les assurés et pourront proposer en plus le tiers payant total (Voir https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A10435?xtor=EPR-100, consulté le 11 mars 2016).

Pour plus de détails voir (Farfan-Portet et al., 2012).

Il existe deux définitions complémentaires de l’équité: l’équité horizontale comprise comme le traitement égal des égaux et l’équité verticale comprise comme le traitement inégal des inégaux. La question fondamentale concerne évidemment la nature de la ‘variable focale’. Ici, nous considérons que le ‘besoin de soin’ constitue cette variable focale.

Nous renvoyons le lecteur intéressé à notre critique de l’utilitarisme dans (Léonard, 2015), pp. 73-78.

Nous traiterons la question de la ‘légitimation’ de la réduction de la solidarité dans un prochain article.

(Anders, 2012), p.122.

(Anders, 2011), pp. 43-44.

(Graeber, 2014), p.156.

Op.cit. p. 190.

Op.cit. p. 188.

Op.cit. p. 114.

(Streeck, 2014), pp.25-26.

Voir par exemple les mouvements ‘Tout autre chose’ et ‘Hart boven hard’ ou le mouvement convivialiste dont le nom fait inévitablement penser à Ivan Illich.

Voir par exemple www.qoin.com

Comment améliorer la détection de la maltraitance infantile?

Le 30 Déc 20

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Comment améliorer la détection de la maltraitance infantile?

Il y a de bonnes raisons de penser que la maltraitance infantile est sous-détectée dans notre pays. Pour améliorer cette situation, il est important de faciliter la collaboration entre les différents secteurs – et les différents niveaux de compétence – concernés.

Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) a été chargé d’examiner quelles pistes pourraient améliorer la participation des professionnels de la santé à cette détection. Ce travail, mené en collaboration avec l’ULB et l’UAntwerpen, propose un ensemble de 18 recommandations, parmi lesquelles un accent sur la prévention (dès avant la naissance), une attention particulière aux tout-petits, une meilleure formation des intervenants à la détection des risques et des signaux d’alarme, la mise en place de protocoles d’action clairs et concrets, et une adaptation du secret professionnel.

Étant donné que les compétences à l’œuvre dans les différents secteurs concernés par la maltraitance infantile sont désormais réparties entre les différents niveaux de pouvoir, le KCE insiste pour que la coordination de la prise en charge de la maltraitance infantile soit portée à l’agenda de la Conférence interministérielle santé publique.

Une ampleur méconnue

Même si la maltraitance infantile soulève toujours une extrême émotion, son ampleur n’est pas connue avec précision dans notre pays. Seuls les cas déclarés sont enregistrés et les termes utilisés pour qualifier les faits sont disparates (p.ex. coups et blessures, ‘enfant en danger’…). Mais il reste tous les autres, dont on ne sait rien…

Améliorer la détection de ces cas est certes l’affaire de tous – certaines initiatives ont d’ailleurs été mises en place en ce sens, comme des lignes téléphoniques gratuites – mais certains secteurs sont particulièrement concernés, comme l’aide à la jeunesse, la police, la justice, l’enseignement et bien sûr la santé.

Une sous-détection parmi les professionnels de la santé

Parmi les professionnels de la santé, c’est souvent le médecin de famille qui est pressenti par les autres intervenants comme un acteur clé, étant donné sa relation privilégiée avec les familles. Pourtant les chiffres des services spécialisés (Équipes SOS Enfants et Vertrouwenscentra Kindermishandeling) montrent que seuls 2 à 3% des signalements de maltraitance infantile (ou de présomption de maltraitance) proviennent de médecins généralistes. En tout, le secteur de la santé est à l’origine d’environ 20% des signalements en Flandre, et de 9% dans la partie francophone du pays.

C’est sur la base de ce constat assez étonnant que le KCE a été chargé de définir des pistes d’action pour améliorer globalement la détection de la maltraitance infantile par les professionnels de la santé.

Les raisons du manque de réactivité

Les équipes de recherche ont interrogé des médecins généralistes sur les raisons de leurs réticences à signaler leurs soupçons de maltraitance. Leur première réponse a été qu’ils ont peur de se tromper et de porter à tort des accusations graves, car les signes de maltraitance sont souvent difficiles à interpréter. De plus, comme ils ont généralement une bonne relation avec l’ensemble de la famille, ils craignent de perdre ce lien de confiance, qui peut être important pour le suivi ultérieur de l’enfant. Ils ont également déploré qu’une fois un cas signalé, il leur est souvent «retiré des mains» et qu’ils restent alors sans plus aucune nouvelle sur le devenir de l’enfant. Et enfin, on constate un manque de confiance global dans les services et structures existants, qu’ils savent surchargés.

Agir à tous les niveaux à la fois

Toutefois, considérer isolément le secteur de la santé serait une démarche stérile pour une problématique qui embrasse autant de secteurs différents. Cette analyse a donc été complétée par des rencontres avec des experts des différents secteurs concernés (aide à la jeunesse, enseignement, justice et police) et traduit en 18 recommandations susceptibles d’améliorer la situation, tout en respectant les particularités du travail des uns et des autres. Mais les participants au projet soulignent que ce n’est qu’en agissant à plusieurs niveaux à la fois que ces différentes pistes pourront converger vers leur objectif.

Avant toute chose: la prévention

Le premier axe est la prévention, et elle doit commencer dès avant la naissance, par exemple par le biais des consultations prénatales. En effet, les données de la littérature montrent que la maltraitance, même si elle se rencontre dans toutes les couches de la société, est souvent liée à une accumulation de facteurs de risque tels que la pauvreté, le chômage, l’isolement, les familles monoparentales ou nouvellement recomposées, les assuétudes, les antécédents personnels de maltraitance, etc.Identifier les familles vulnérables et les accompagner durant des périodes cruciales comme la grossesse, l’accouchement et le début de la parentalité permet de réduire les risques. Rappelons ici que le KCE avait déjà insisté l’année dernière sur l’importance de la continuité des soins dans la période postanatale.

Une attention particulière pour les tout-petits

Les statistiques montrent aussi que les tout-petits de moins de 3 ans sont plus exposés, d’une part parce que plus vulnérables et dépendants, et d’autre part parce qu’ils n’ont pas accès à des structures protectrices telles que l’école. Il faut donc investir davantage dans la formation du personnel des crèches et des gardiennes à domicile à la détection des risques. Et aussi dans l’éducation à la parentalité.

Les intervenants auprès d’adultes en difficulté sont également concernés: ils doivent être attentifs aux situations où il pourrait exister un danger pour les enfants et avoir systématiquement un ‘réflexe-enfant’ c’est-à-dire se demander: «Y a-t-il des enfants dans cette famille et comment vont-ils?»

Renforcer et soutenir les compétences des soignants

Il est également indispensable de renforcer les compétences des soignants : médecins généralistes certes, mais aussi pédiatres, (pédo)psychiatres, gynécologues, sages-femmes, urgentistes et beaucoup d’autres encore, qui pourraient jouer un rôle important dans la détection précoce et le diagnostic. En effet, poser un diagnostic de maltraitance est une affaire très délicate et complexe, qui demande une certaine expertise que tous n’ont pas. C’est pourquoi le KCE préconise de leur offrir la possibilité de faire appel à des médecins légistes.

Il serait également opportun de renforcer leurs connaissances au sujet des services existants et du cadre légal, et de leur proposer des techniques de communication qui leur permettraient d’aborder ce sujet difficile avec les familles concernées. Certaines formations existent déjà; elles sont proposées par plusieurs instances comme les Commissions de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance, l’ONE, YAPAKA, les VK, Kind & Gezin… mais elles ne font pas partie de la formation de base des prestataires de soins, et ne reçoivent pas assez de moyens pour pouvoir étoffer leur offre.

Des protocoles d’action sur mesure

Par ailleurs, comme il n’existe aucune obligation de signalement en Belgique, les soignants qui ont des soupçons de maltraitance doivent évaluer eux-mêmes s’ils doivent les signaler, quand et à qui. Une solution concrète serait la mise en place de protocoles d’action obligatoires qui décriraient clairement les démarches à entreprendre chaque fois qu’une suspicion se fait jour. Certains protocoles existent déjà mais ils sont assez généraux; les concevoir sur mesure pour les différents intervenants, et en particulier pour les médecins urgentistes et les pédiatres, aiderait ces acteurs à adopter la réaction la plus adéquate.

Repenser le secret professionnel

La communication et la collaboration entre les différents services d’aide, la police et les services judiciaires doit absolument être facilitée. Or, actuellement, le cadre légal qui régit le secret professionnel ne le permet pas toujours.

Un exemple : les politiques d’action des Communautés sont essentiellement axées sur la collaboration volontaire des parents. Cette approche a toutefois des limites. À un moment, les intervenants, quels qu’ils soient, doivent évaluer la nécessité de signaler le cas à la justice. Cette étape se déroulerait plus facilement s’il leur était possible de se concerter et d’échanger des informations avec les intervenants des autres secteurs. Car c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer.

Des projets pilotes en cours en Flandre testent certains assouplissements de ce secret professionnel – tout en restant dans des balises très strictes – et il sera intéressant de tenir compte de leurs observations.

Renforcer les services spécialisés

Les services spécialisés tels que SOS Enfants et les Vertrouwenscentra Kindermishandeling ainsi que les Services d’Aide à la Jeunesse ont un rôle essentiel dans la prise en charge de la maltraitance infantile. Les services spécialisés ont des fonctions de sensibilisation, de conseil, d’orientation et de coaching des familles ainsi que de soutien aux autres professionnels.

Tous ces services souffrent d’un sous-financement chronique; pour pouvoir mener à bien les différentes missions qui leur incombent, il est indispensable de leur accorder davantage de moyens. Pour les services spécialisés, il est en outre fort difficile de recruter du personnel. Investir dans un réseau d’experts de référence auxquels ces services pourraient faire appel serait une manière économique et efficace de disposer de l’expertise nécessaire.

Ouvrir plus de lieux d’accueil

Les enfants victimes de maltraitance sont parfois ‘parqués’ dans des hôpitaux car on ne trouve plus d’autre solution d’accueil pour eux. Il arrive qu’ils doivent séjourner longtemps en pédiatrie pour une observation et un suivi. Or un hôpital à haute technologie n’est pas l’environnement le plus indiqué pour ces enfants. Il faut donc prévoir des places (supplémentaires) dans les centres de réadaptation pour leur observation de longue durée, leur accueil et leur prise en charge. Cela doit se faire dans le cadre d’un réseau de manière à pouvoir faire appel à un hôpital si nécessaire (pour certaines techniques diagnostiques et/ou des soins médicaux).

Coordonner les différents niveaux de compétence

Étant donné que les compétences à l’œuvre dans les différents secteurs concernés par la maltraitance infantile sont désormais réparties entre les différents niveaux de pouvoir, le KCE insiste pour que la coordination de la prise en charge de la maltraitance infantile soit portée à l’agenda de la Conférence interministérielle santé publique.

Activité physique et longévité

Le 30 Déc 20

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Activité physique et longévité

«Lo màs importante es vivir» (Federico Garcia Lorca)

Fondé sur une revue de la littérature cet article a pour objectif de souligner le rapport entre l’activité physique au sens le plus large comme habitude de vie et la longévité. Il existe dans le monde quelques endroits privilégiés appelés Blue Zones où les habitudes de vie, dont l’activité physique, conduisent à produire de robustes centenaires. Dans ces régions, l’activité modérée et parfois plus intense est une pratique régulière, gage de bonne santé.

Ces observations sont croisées avec des études d’intervention ou des études épidémiologiques qui indiquent que l’activité physique réduit l’apparition des maladies chroniques tant physiques que mentales et est un facteur de longévité. Une combinaison d’activités physiques, mentales et sociales, si possible à l’extérieur, est à encourager pour assurer un vieillissement optimal à l’instar des observations faites auprès des centenaires des Blue Zones.

Introduction

On peut espérer que l’évolution des sociétés au niveau mondial tende à améliorer globalement la santé dans toutes ses composantes et par là la longévité. La santé pour tous pour l’an 2000 était d’ailleurs le mot d’ordre de l’OMS il n’y a pas si longtemps.

C’est une constante à toutes les époques. L’homme a cherché à se libérer des conséquences inéluctables du vieillissement en essayant de découvrir les clés qui lui permettraient de reculer les frontières de la sénescence voire de s’en affranchir.

Sur un vase grec de la période classique un homme fait ses ablutions à une fontaine dont l’eau est supposée le régénérer ou l’empêcher de vieillir.

Une publicité récente pour une eau minérale bien connue se sert des mêmes symboles. La consommation de cette eau est censée faire rajeunir.

La médecine contemporaine n’y échappe pas et continue à cultiver le fantasme de la jeunesse éternelle ou de l’immortalité.

On sait grâce à Lalonde (1974) qu’il y a quatre déterminants principaux à la santé: les habitudes de vie (lifestyles), les facteurs d’environnement, les facteurs biologiques et le système de santé. Dever (1975) a calculé un pourcentage pour chacun de ces facteurs : les habitudes de vie interviennent pour 43%, l’environnement 19%, les facteurs biologiques 27% et le système de santé pour un modeste 11%.

La prévention primaire est donc essentielle et pourtant elle reste un parent pauvre; par exemple en France les dépenses annuelles relatives à la prévention sont estimées entre 2,3 à 6,4 % des dépenses globales (Chambaud, 2008). Or, comme le souligne le généticien Axel Kahn (2015), «(…) il y a énormément d’éléments fondamentaux qui font une vie humaine qui ne sont pas inscrits dans nos gènes (…) aujourd’hui, une grande partie des déterminants d’une maladie, c’est le style de vie et les comportements à risque».

C’est dans les gènes ?

La prévention primaire englobe un ensemble d’éléments non-médicaux, principalement socioéconomiques, culturels, écologiques, politiques; elle n’est pas étroitement liée à l’industrie médico-pharmaceutique, par conséquent elle ne génère pas ou très peu de business; elle est globale et sa complexité n’entre pas dans les modèles à causalité linéaire classique en vogue dans le modèle médical traditionnel.

Par ailleurs, les mesures de prévention primaire impliquent très souvent une profonde remise en cause des comportements et des modèles socio-économiques et culturels dominants.

L’esprit humain cherche bien souvent à répondre aux questions qui se posent par un raisonnement où la cause précède l’effet. Ce raisonnement cartésien est pertinent pour établir des relations entre des phénomènes simples mais se révèle inadéquat pour comprendre des phénomènes complexes comme les causes de la longévité humaine. Il est tentant de rechercher comme l’on fait les anciens une cause unique à l’allongement de la vie à travers le mythe de la fontaine de jouvence. Mais la longévité humaine résulte de facteurs multiples et intriqués. Le sens commun tend habituellement à donner à la génétique une part dominante. Pourtant Gierman et al. (2014) ont analysé le séquençage du génome de 17 hypercentenaires et n’ont trouvé aucune caractéristique génétique particulière dans cet échantillon qui pourrait expliquer leur longévité extrême alors que cette étude a détecté que deux des sujets, âgés de 110 ans, étaient porteurs d’une mutation pathogène !

Fort heureusement donc, l’être humain n’est pas déterminé essentiellement par ses gènes comme les plus récents travaux en épigénétique le montrent. Les habitudes de vie, dont l’activité, modulent l’expression des gènes en activant une enzyme, ce qui allonge les télomères qui ont pour fonction de protéger le matériel génétique. Le raccourcissement des télomères mène à la sénescence, l’apoptose ou à la transformation cellulaire oncogénique (Ornish, 2008; Cassidy et al.2010, Sun et al., 2012). Shamas (2011) citant d’autres travaux, souligne que les athlètes possèdent des leucocytes avec un haut de degré d’activité de télomérase et une réduction réduite de leurs télomères comparés à des sujets non-athlètes.

La théorie évolutionniste du vieillissement corrobore cette manière d’envisager le vieillissement. Austad (1993) a étudié deux populations d’opossums (Didelphis virginiana) séparées depuis quatre mille ans. Les uns vivent sur le continent dans l’État de Géorgie et les autres sur l’île de Sapelo. L’environnement de l’île ne comporte aucun prédateur à l’inverse de l’environnement de la terre ferme. Les opossums insulaires ont une longévité en moyenne 25% supérieure; leur longévité maximale est augmentée de 50% avec un vieillissement physiologique moindre et une progéniture moins nombreuse que chez les congénères continentaux.

Manifestement, un environnement plus favorable influence la longévité de ces petits marsupiaux américains. Le même constat peut être fait chez les animaux de compagnie qui vivent beaucoup plus longtemps dans un environnement humain protégé que dans la nature (Swynghedauw, 2009).

Il est réconfortant de savoir que nous pouvons bénéficier d’un espace de liberté et d’autonomie en adoptant des comportements favorables à la santé. C’est dans ce contexte que se soucier d’être actif et le rester est un impératif de santé et de longévité.

ll n’est pas nécessairement paradoxal de vouloir isoler un facteur responsable, en partie, de la longévité. C’est pour mieux l’identifier et en connaître l’impact sur l’allongement de la vie. Parmi les facteurs comportementaux, l’activité, au sens le plus large ne serait-elle pas un facteur crucial au maintien de la santé et de la longévité ?

De par le monde, des hommes et surtout des femmes vivent à un âge avancé et, pour certains d’entre eux, en assez bonne santé. Les observations faites par les biodémographes montrent une augmentation significative de personnes centenaires et supercentenaires (plus de 110 ans) dans le monde. Cette augmentation est de 8% par an dans les pays occidentaux alors que la population du monde croît de 1% par an (Ventiler et al. 2012).

L’espérance de vie n’est pas tout

«L’âge de la conquête de l’étendue de la vie» (Vaupel, 2001) est apparu entre 1950 et 1960 dans les pays développés et se traduit par un nombre toujours plus important de personnes qui atteignent un âge respectable.

Les Français se targuent d’avoir une des plus longue espérance de vie à la naissance au monde. En effet, l’espérance de vie en France selon INSEE est de 85,5 pour les femmes et de 79,3 pour les hommes mais quelle réalité se cache derrière les chiffres ? Comme le fait remarquer Régis Aubry (2015), Chef du service des soins palliatifs du C.H.U. de Besançon, «plus notre médecine progresse et nous permet de devenir vieux, plus on fabrique de la dépendance». L’espérance de vie en bonne santé ou espérance de vie sans incapacité (EVSI) en France en 2012 (INSEE) est de 63,8 pour les femmes et de 62,6 pour les hommes alors qu’elle est de 69,2 pour les femmes et de 71,7 pour les hommes en Suède (2010) ce qui place la France en 10e position…

Ce n’est pas le nombre croissant de personnes âgées qui est remarquable, c’est aussi qu’une petite partie d’entre elles est capable de vivre très longtemps en bonne santé et de vaquer à ses occupations !

Ce sont ces personnes qui nous intéressent ici. Les centenaires vivent dans des conditions variées. On trouve des personnes très fragiles avec des polypathologies et d’autres sans maladies particulières ni troubles cognitifs.

Selon l’Italian Multicentric Study on Centenarians (IMUSCE), les centenaires peuvent être classés en trois groupes selon leur statut psychologique, physiologique et leur autonomie. Dans le groupe A qui comprend 20% des centenaires on rencontre des personnes en bonne santé; le groupe B qui représente 34% d’entre eux ont un statut intermédiaire alors que le groupe C soit 46,6% souffre d’une mauvaise santé (Vacante et al. 2012).

En étant optimiste on peut dire, à partir de ces chiffres, que plus de la moitié des centenaires dispose d’une relative bonne santé.

Détenir les clés pour ralentir les effets délétères du vieillissement reste une préoccupation majeure. Les principales habitudes de vie concernées sont l’arrêt du tabac, la gestion adéquate du stress, une alimentation de type méditerranéen de haute valeur biologique mais de basse valeur calorique, bien dormir et pratiquer régulièrement une activité physique au sens le plus large sans oublier les activités sociales.

Alors que pour Swynghedauw (2009) les seuls traitements validés pour freiner les effets inéluctables du vieillissement sont l’exercice physique régulier et une alimentation légère pauvre en lipides saturés et en sel, il ressort des observations de centenaires et d’hypercentenaires dans plusieurs régions du monde – les fameuses Blue Zones – qu’un ensemble d’habitudes de vie assez semblables est propice à la santé et à la longévité.

Ces régions ont été baptisées ainsi parce que Michel Poulain, un démographe belge, a initialement tracé en bleu sur des cartes les zones où cette population de personnes très âgées était la plus représentée. On trouve dans ces endroits du monde une concentration inhabituelle de centenaires et au-delà et ce qui frappe c’est bien sûr leur grand âge mais aussi leurs capacités à conserver très longtemps un bon niveau d’indépendance et d’autonomie (Poulain et al. 2004).

Ces personnes vivent en Sardaigne dans la province de Nuoro, dans l’ile d’Ikarie en Grèce, dans l’archipel de Ryukyu (Okinawa) au Japon, dans la presqu’île de Nicoya au Costa-Rica et dans la ville de Loma-Linda en Californie.L’île grecque d’Ikarie a même été présentée par le New York Times en 2012 comme «l’île où les gens oublient de mourir».

Dans ces Blue Zones, ces personnes âgées et très âgées ont en commun la pratique d’une activité régulière modérée à intense tout au long de leur vie, un régime alimentaire à dominante végétale ainsi qu’une vie familiale et communautaire riche. Il faut noter que, mis à part la ville de Loma-Linda, ces endroits sont très peu médicalisés et leurs habitants ont pour l’essentiel des habitudes de vie éloignées du mode de vie occidental habituel. En outre ils bénéficient aussi d’ une qualité d’environnement particulière : climat méditerranéen ou tropical dans un environnement non pollué (Buettner, 2012).

Activité physique, santé, longévité

L’exercice physique et l’activité physique bien que très proches ne répondent pas aux mêmes définitions.

On définit l’activité physique comme n’importe quel mouvement physique produit par les muscles squelettiques qui aboutissent à des dépenses énergétiques. L’activité physique concerne les mouvements produits dans le domaine professionnel, les activités de loisir, les activités instrumentales de la vie quotidienne, les activités quotidiennes et les activités sexuelles. Quelques rares mouvements sont également présents au cours des activités de repos (sommeil, rêveries, méditation, relaxation).

L’exercice physique est un sous-ensemble de l’activité physique. L’exercice est planifié, structuré, répété et a pour objectif l’entretien ou l’amélioration de la forme physique (Caspersen et al.1985).

L’activité physique régulière réduit les risques majeurs de mortalité : hypertension, dyslipidémie, diabète de type 2, maladie coronarienne, AVC, cancer dans une proportion de 30 à 35 % et aussi pour toutes causes de mortalité par rapport à des individus inactifs (Reimers et al. 2012).Etre actif et le rester tout au long de l’existence est associé à une plus longue espérance de vie. Ne pas fumer, avoir un poids normal, disposer d’une bonne condition physique, manger sainement, consommer l’alcool avec modération procure 14 ans de vie supplémentaire par rapport à des sujets qui ne respectent pas ces habitudes de vie (Khaw et al. 2008).

Dans une étude de cohorte finlandaise des jumeaux ont été suivis et classés en individus pratiquant peu l’activité physique (sédentaires) et individus physiquement actifs. Les conclusions de cette étude suggèrent que l’activité physique est associée à une réduction de 44% de la mortalité indépendamment de facteurs génétiques ou confondants (Kokkinos et al. 2011).

O’keefe et al. (2011) émettent une hypothèse intéressante en partant du constat suivant : 84.000 générations nous séparent de l’apparition du genre homo. Les premiers hommes qui étaient des chasseurs-cueilleurs avaient une activité physique importante rendue nécessaire pour chasser, pêcher, rechercher de la nourriture, se confronter aux prédateurs, construire des abris etc. Leur génome était adapté à l’intensité de cette activité.

On considère que l’apparition de l’agriculture apparue il y a seulement 350 générations a provoqué une modification spectaculaire des comportements moteurs fortement accentuée par la révolution industrielle (7 générations) et l’âge numérique (2 générations). Ces changements, particulièrement les derniers, ont réduit l’activité physique jusqu’à l’éliminer presque complètement alors que notre génome avait mis des dizaines de milliers d’années à s’adapter.

Le profond écart entre les exigences du génome et l’activité physique contemporaine pourrait expliquer l’apparition des maladies chroniques (il en est de même par ailleurs de nos comportements alimentaires). Ces mêmes auteurs en concluent qu’il serait bon de repenser l’activité physique d’aujourd’hui à la lumière de cette hypothèse. Ils recommandent une variété d’activités physiques légères et modérées quotidiennes comme la marche (environ 5 km/jour) avec une dépense énergétique de 3.349 à 5024 kJ ce qui est environ 5 fois plus que ce qu’un sédentaire contemporain peut dépenser. À cela s’ajoutent deux fois par semaine des activités plus intenses avec port de charges.

L’activité physique devrait idéalement être pratiquée à l’extérieur en petit groupe pour bénéficier des échanges humains, de la lumière naturelle, des effets du soleil sur la peau (production de vitamine D) et si possible de la nature. L’activité sexuelle n’est pas oubliée : une demi-heure d’activité sexuelle une ou deux fois par semaine est comparable en dépense énergétique à une marche d’environ 3 km sans compter les répercussions favorables à la fois hormonales (testostérone et prolactine) et psychologiques !

Ces activités sont entrecoupées de moments de réjouissances collectives où la danse est présente et de périodes d’activités de repos (sommeil, relaxation, méditation).

Il est frappant de constater que ces recommandations correspondent d’assez près aux observations des comportements faites auprès des centenaires et des hypercentenaires dans les Blue Zones.

Vive le mouvement

Pour être protectrice l’activité physique doit être modérée durant 2 heures et demie par semaine et intense durant 1 heure quart par semaine.

Une activité physique est considérée comme modérée si on est capable de parler mais pas de chanter; elle est intense si on peut dire quelques mots sans avoir le souffle coupé.

L’activité physique participe au maintien du poids, renforce les os, les muscles, les articulations et le bien-être et agit dans la prévention de certains cancers (colorectal, sein, endomètre, poumons, prostate).

Une activité physique comme la marche rapide 75 min/semaine offre un gain de 1,8 an d’espérance de vie après 40 ans comparé à une absence d’activité. Des gains d’espérance de vie allant jusqu’à 4,2 ans sont obtenus grâce à des activités plus intenses (450 min/semaine de marche rapide) (Moore et al. 2012).

L’étude d’Ikarie a révélé que la population âgée de cette île où la longévité est exceptionnelle montre une prévalence élevée de facteurs de risques cardiovasculaires mais que l’activité quotidienne régulière sur cette île montagneuse protège des maladies cardiovasculaires, de l’obésité, de l’hypertension et du diabète de type 2. Elle a des effets bénéfiques sur l’hypertrophie ventriculaire gauche et un effet protecteur anti-arythmique surtout chez les femmes (Stefanadis, 2011).

Sur cette île, 9 hommes sur 10 et 7 femmes sur 10 maintiennent quotidiennement un niveau d’activité supérieur à celui d’une population comparée dans l’étude MEDIS qui a observé 1500 personnes de plus de 65 ans dans 8 îles grecques et à Chypre. Sur l’île d’Ikarie 6 personnes sur 10 de plus de 90 ans sont encore physiquement actives (Panagiotakos, et al. 2011).

En Sardaigne, Pes et al. (2011) ont établi que les bergers qui vivent dans les montagnes et qui, pour certains, deviennent centenaires ont toute leur vie une activité physique régulière – principalement la marche – mais moindre que celle des fermiers qui vivent dans la plaine de l’île et qui bénéficient par ailleurs d’habitudes de vie à peu près semblables. Une activité physique fréquente de faible intensité sans doute couplée à de longs moment de repos comme dans l’activité pastorale traditionnelle est garante d’une bonne santé cardiorespiratoire, facteur de longévité.

Bonne pour le mental

L’activité physique possède aussi des effets positifs pour la santé mentale et la qualité de la vie. L’activité physique régulière protège le cerveau au niveau de l’hippocampe, du cortex moteur, du tronc cérébral et du cervelet.

Chez l’individu de plus de 65 ans il s’agit toujours d’activités modérées alors que l’activité physique intense non seulement augmente le risque de fracture mais aussi de stress oxydatif et est pro-inflammatoire (Dato et al. 2013).

À l’inverse, selon l’étude de Lee et al. (2012), l’inactivité physique est responsable de 6 à 10% des maladies chroniques (diabète de type 2, cancers du sein cancer et colorectal), des maladies cardiovasculaires et de de 9% de la mortalité précoce dans le monde.

Les démences touchent en France 1,2% de la population totale et ce chiffre pourrait aller jusqu’à 3% en 2050. Plus précisément, ces maladies neurodégénératives concernent 2,9% des 64-79 ans, 7,1% des 79-84 ans et 21,6 % des plus de 85 ans (Berr, 2010). Il a été démontré que l’activité physique réduit le déclin cognitif lié à l’âge : dans les études d’intervention, l’augmentation des capacités cardiorespiratoires (estimées en VO2max) est associée à une réduction de la perte de substances grise et blanche dans le cortex frontal, préfrontal et temporal des sujets âgés étudiés. Les améliorations cognitives sont plus importantes quand l’activité physique sollicite l’attention et les fonctions exécutives mais, simultanément, les effets de l’activité physique augmentent également les cognitions indirectement en améliorant l’état de santé général (gestion du stress, sommeil) et en réduisant l’impact des maladies cardiovasculaires (Bherer,2013).

Comme l’indique l’étude de Buchman et al. (2012), un haut niveau d’activités quotidiennes est associé à un risque réduit de maladie d’Alzheimer. Il s’agit d’une association d’activités physiques, cognitives et sociales. Ce constat est indépendant de l’état moteur fonctionnel, du BMI, de symptômes dépressifs, de maladies chroniques, des risques vasculaires, etc.

À noter que les données de cette étude auprès de 716 personnes âgées ont été recueillies par actigraphieNote bas de page sur une période de 24h pendant 10 jours puis suivis à un intervalle de 3 ans et demi. Le risque de maladie d’Alzheimer était plus que doublé chez les personnes qui avaient un faible niveau d’activité.

Sur 535 individus âgés de 65 à 100 ans (moyenne d’âge 75 ans) sur l’île d’Ikarie, 472 (88%) montraient des fonctions cognitives normales. Les habitants de cette île sont très actifs et l’activité physique régulière est associée à un risque diminué de démence à cause de ses effets protecteurs sur les endothéliums vasculaires (Chrysohoou et al.2012).

Sur les îles Ryukyu (Okinawa) on trouve moitié moins de démence que dans le reste du Japon (Russ et al., 2012); les habitants de cet archipel sont également actifs jusqu’à un âge avancé.

Des bienfaits du jardinage

L’étude longitudinale de Rizzuto et al. a suivi 1810 personnes âgées de 75 ans et plus pendant 18 ans à partir d’octobre 1987. Après 75 ans, l’association entre activité physique et survie est confirmée. Elle reste prédictive de la survie, même après 85 ans, indépendamment du statut de santé (multimorbidité).

Le jardinage ou les activités apparentées sont très présentes chez les personnes âgées qui vivent dans les Blue Zones et ces activités, exercées à l’extérieur, contribuent à maintenir leur forme physique et mentale. Le jardinage comme activité physique traditionnelle allie l’activité physique modérée à intense à la production de légumes sains. Cette activité apporte aussi des effets intéressants pour la santé mentale, la qualité de la vie et les échanges humains.

Park et al. (2008) posent la question de savoir si le jardinage peut offrir aux personnes âgées des bénéfices de santé comme activité physique selon les recommandations de l’American College of Sports à savoir au moins 30 minutes d’activités modérées par jour (150 min/semaine) ou 75 minutes d’activités intenses par semaine ou encore une combinaison des deux. Les 14 sujets sains étudiés au cours de l’activité jardinage étaient âgés de 63 à 86 ans. Leur fréquence cardiaque mesurée par radiotélémétrie et la VO2 max en laboratoire sur tapis roulant était comparée à la plus haute fréquence cardiaque durant l’activité.

Les résultats montrent que le jardinage est une activité physique d’intensité modérée pratiquée en moyenne durant 60 minutes ce qui rencontre les recommandations précitées. Toutefois la saisonnalité de l’activité sous le climat du nord de l’Europe est un facteur limitant comparé au climat plus favorable des Blue Zones.

Et le ‘travail’ à domicile ?

La plupart des études se focalisent sur l’activité physique durant les exercices et les activités de loisirs mais peu sur les activités domestiques qui sont les activités principales des personnes âgées dans une grande partie de la population. Les activités domestiques contribuent pour 35,2% des dépenses énergétiques totales comparées aux 5,2% des activités physiques des personnes âgées de 65-74 ans aux USA et en Grande-Bretagne.

Elles représentent 4 à 11 fois plus de dépenses que les activités physiques de loisir. Autrement dit, cela constitue 82% de l’activité quotidienne des femmes. La mesure de ces activités dans une population de 876 personnes de 1996 à 2004 à Taiwan peut être un facteur prédictif de mortalité. Les personnes qui s’y engagent ont un taux de mortalité réduit (Lin et al. 2011). La réduction de mortalité estimée par Arrieta & Russell (2008) est de l’ordre de 34 à 38% pour des personnes âgées de 60 à 74 ans.

Rien de tel que la modération

À l’image des individus âgés observés dans les Blue zones où quasi personne ne pratique ni exercices physiques ni activités sportives, en terme d’objectifs réalistes de santé publique, il est probablement préférable d’encourager des activités physiques non structurées et simples comme la marche rapide, le vélo, le jardinage, les activités domestiques qui seront perçues comme des activités physiques à la fois accessibles et modérées et, pour certaines, perçues comme plaisantes; elles s’inscrivent facilement dans le contexte de vie des gens surtout pour des personnes sédentaires, obèses ou âgées (Shephard,1997).

Pour conclure, on peut affirmer que l’activité physique au sens large est une habitude de vie à encourager pour le maintien de la santé globale et, par là, la longévité même en présence de maladies liées au vieillissement. L’activité physique régulière est un comportement modifiable, il n’est jamais trop tard pour changer.

Il serait bien entendu réducteur de penser que l’activité physique peut à elle seule expliquer la longévité. Les facteurs mis en cause sont nombreux et en interaction. Mais l’activité physique, entre autres habitudes de vie, permet de vieillir le mieux possible. Selon le Hale Project, les personnes âgées entre 70 et 90 ans qui adhèrent au régime méditerranéen et à des habitudes de vie favorables à la santé (dont l’activité physique) ont 50% moins de risque de décéder pour toutes causes de mortalité mais aussi plus spécifiquement se protègent des maladies coronariennes, cardiovasculaires, des cancers (Knoops et al.2004).

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Webographie

L’actigraphie fait référence à l’utilisation d’actimètres, des ordinateurs semblables à des montres, qui permettent de surveiller et d’enregistrer les données relatives à l’activité. Les actigraphes permettent notamment d’enregistrer l’activité durant le sommeil de façon fiable pendant une période prolongée.

Outils pédagogiques et démarche en promotion de la santé: rôle et place du professionnel

Le 30 Déc 20

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Outils pédagogiques et démarche en promotion de la santé: rôle et place du professionnel

Dans le cadre de ses missions, le Centre local de promotion de la santé de Charleroi-Thuin (CLPS), met régulièrement des outils pédagogiques à disposition des intervenants de terrain, en moyenne 200 outils par an. Ceux-ci permettent d’aborder des thématiques comme l’alimentation, la prévention des assuétudes, le logement, le renforcement des compétences psychosociales, etc. Lors de l’acquisition des outils qui sont mis à disposition, l’équipe du CLPS veille à sélectionner ceux qui vont proposer une vision globale et positive de la santé, et qui vont soutenir des démarches participatives, favorisant l’autonomisation, la valorisation des compétences et/ou l’expression du vécu des publics concernés.

L’accompagnement des professionnels de terrain montre que, lors de chaque rencontre, il est important de partir de la demande, traditionnellement formulée en termes de ‘simple’ acquisition d’un outil («nous avons eu un cas de grossesse précoce, nous avons constaté une consommation de cannabis, nous sommes confrontés à des personnes qui ne savent pas gérer leur logement… quels sont les outils qui existent pour solutionner ce problème?»).

La tâche du CLPS est de resituer la demande dans un contexte de promotion de la santé : d’où vient la demande, quelles sont les spécificités du public concerné, quels sont les objectifs de l’intervention, comment y intégrer les stratégies de promotion de la santé, comme l’action communautaire, l’amélioration du milieu de vie et le développement des aptitudes individuelles et sociales…

Pour pouvoir partager les acquis de ces accompagnements, le CLPS a sollicité un partenariat auprès d’acteurs qui partagent les mêmes préoccupations autour de l’utilisation des outils pédagogiques en promotion de la santé : la Mutualité chrétienne, la Mutualité socialiste Solidaris, le Centre régional d’intégration de Charleroi, le Service santé de la Ville de Charleroi et le service PIPSa (Pédagogie Interactive en Promotion de la Santé). Ensemble, ces partenaires ont organisé un colloque à Marchienne-au-Pont le 8 décembre 2015, qui a réuni un peu plus de 80 professionnels et étudiants issus de différents secteurs (social, logement, assuétudes, environnement, etc.).

Les objectifs de cette rencontre étaient, au travers d’interventions plénières et de temps d’échange d’expériences en ateliers, de permettre aux personnes présentes :

  • d’identifier les spécificités d’un outil pédagogique utilisé dans le cadre d’une démarche de promotion de la santé;
  • de faire des liens entre les outils pédagogiques et les besoins des publics concernés;
  • d’intégrer la question de la réduction des inégalités sociales de santé dans le cadre de l’utilisation d’outils pédagogiques.

Ce colloque s’est déroulé sur base des interventions suivantes :

  • critères de qualité d’un outil de promotion de la santé et lien avec la réduction des inégalités sociales de santé (Catherine Spiece – service PIPSa);
  • dans quelle mesure et avec quels moyens le professionnel parvient-il à mettre un public en débat et en réflexion? Illustration avec l’outil Et toi t’en penses quoi? (Aline Franssen et Julie Hayette – Infor Santé Mutualité chrétienne);
  • six ateliers avec des présentations d’outils et de démarches sur l’alimentation, les assuétudes, l’EVRAS, le logement, la santé environnementale, les déterminants de la santé, l’hygiène et l’interculturalité;
  • Raconte-moi ton quartier, expérience de construction de projet autour du collectage de conte: Muriel Durant (Conteurs en ballade) et Élisabeth Mertens (asbl ARC, Actions et Recherches Culturelles).

De l’ensemble des interventions et des échanges, plusieurs éléments sont à retenir.

L’outil pédagogique…

Tout d’abord, il faut avoir à l’esprit que l’outil pédagogique n’est rien à lui seul. Il est l’initiateur d’un projet et il ‘existe’ seulement dans les conditions où il rencontre un utilisateur. Il n’y a finalement pas de bons… ni de mauvais outils.

Ensuite, il faut retenir que les outils, au sens étymologique du terme, sont des ‘objets fabriqués pour réaliser une opération déterminée’ (Larousse). Ils ne représentent donc pas une fin en soi, mais ils peuvent être mis au service de multiples objectifs : informer, aider à comprendre des phénomènes, construire des compétences, favoriser une analyse critique, identifier des représentations, stimuler l’acquisition d’habilités personnelles, stimuler l’action sur l’environnement, etc. L’enjeu réside donc dans le choix de l’outil en fonction des objectifs que l’utilisateur s’est fixé, et pas l’inverse.

D’autre part, l’outil, au-delà de ses objectifs pédagogiques, va également servir de médiateur pour favoriser la participation, pour créer des liens et permettre à l’utilisateur de se décentrer par rapport aux échanges, de construire un cadre sécurisant et de rester fixé sur l’objectif visé.

… et son utilisateurNote bas de page

Dans le cadre d’une démarche de promotion de la santé, un questionnement sur le rôle et la place de l’utilisateur d’un outil pédagogique doit prendre en compte plusieurs éléments.

Par rapport à lui-même :

  • connaissance du public avec lequel il vai travailler: ses besoins et ses demandes, ses compétences, ses représentations de la problématique, son cadre de vie, etc.;
  • type de relations entretenues avec ce public;
  • influence de ses propres représentations (du public, de la problématique) sur l’action.

Par rapport à sa posture en tant qu’animateur :

  • importance de rester humble, faire preuve de bienveillance et de compréhension;
  • être le garant d’une discussion riche et constructive, faciliter les échanges et favoriser l’émergence des points de vue;
  • gérer les débats de manière démocratique, maintenir un cadre évitant le non-respect et le jugement;
  • développer ses compétences en gestion de dynamique de groupes.

Par rapport à son rôle, l’utilisateur doit veiller à remplir trois fonctions :

  • production, dans laquelle il soutient le groupe dans la réalisation de ses objectifs;
  • organisation, pour laquelle il planifie et met en place la manière dont l’expression collective va prendre forme;
  • régulation, qui permettra de gérer la vie du groupe dans sa dynamique affective et émotionnelle.

Temps d’échanges d’expériences et de pratiques

Les temps d’échanges en ateliers ont permis aux participants de compléter les interventions plénières en mettant en lumière les points suivants :

  • au départ de la connaissance du public et des objectifs fixés, l’utilisateur doit pouvoir choisir l’outil adéquat mais également pouvoir l’adapter et l’actualiser en fonction de cette connaissance;
  • l’utilisateur d’outils pédagogiques doit en permanence travailler ses compétences d’animateur: capacité d’écoute, de gestion des groupes, souplesse (capacité d’adaptation, capacité d’articuler la théorie avec les réalités du travail de terrain), capacité à valoriser les compétences et les savoirs des publics concernés, capacité à construire l’avant et l’après de l’utilisation d’un outil pédagogique, etc.;
  • l’utilisateur doit pouvoir anticiper les différents freins relevés dans le cadre de l’usage d’un outil pédagogique dans une démarche de promotion de la santé, notamment la temporalité des interventions qui ne permet pas toujours de travailler sur du long terme, la difficulté de passer de la plainte individuelle à l’action collective, la gestion des agendas dans le cadre d’un travail en partenariat;
  • l’importance d’identifier les ressources et les partenaires locaux. Et comme perspective à ce colloque, ils suggèrent la mise en place d’un réseau d’échange sur les expériences d’utilisation d’outils pédagogiques (enrichissement mutuel).

Le conte… un outil de promotion de la santé

Pour clôturer la journée, les partenaires ont souhaité faire découvrir la manière dont le conte peut être mis au service d’une démarche de promotion de la santé. À travers l’expérience du projet Raconte-moi ton quartierNote bas de page, deux conteuses ont mis en avant en quoi le conte peut être un outil qui permet aux gens d’ouvrir leur imaginaire et de s’approprier une parole.

La préoccupation des partenaires a été : comment donner la parole aux bénéficiaires du projet, comment les transformer en acteurs du projet au moyen de dispositifs propres à la création en général et à l’art du conte en particulier? En somme, comment transformer le spectateur en spectACTEUR?

Pour aller plus loin sur le rôle de l’utilisateur d’un outil pédagogique :

  • Inégalités sociales de santé. L’outil pédagogique: la scie pour les réduire ou le marteau pour mieux les fixer?, Service Promotion Santé – Mutualité socialiste Solidaris, Bruxelles, décembre 2011.
  • Douiller A. et coll., 25 techniques d’animation pour promouvoir la santé, Édition Le Coudrier, Brignais, 2012.

Éducation Santé vous présentera prochainement ce projet de manière détaillée.

Promotion de la santé et santé mentale: un check-up en demi-teinte

Le 30 Déc 20

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Promotion de la santé et santé mentale: un check-up en demi-teinte

Dans son dernier ‘check-up’ de notre système de santé, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), en collaboration avec l’INAMI et avec l’Institut scientifique de santé publique (ISP), a examiné 106 indicateurs sur la période 2008-2013. Le tableau est mitigé: si la qualité des soins se situe dans la moyenne européenne, 34 signaux d’alarme ont été identifiés. Les constats en matière de promotion de la santé et de santé mentale interpellent particulièrement.

La promotion de la santé enfin évaluée

Les liens entre promotion de la santé et performance du système de santé sont très épineux à évaluer. À la demande des autorités, le KCE avait déjà tenté l’exercice dans le rapport 2012 lors d’une phase exploratoire qui considérait le cadre défini par Don Nutbeam comme un outil descriptif approprié, grâce à la classification des indicateurs de promotion de la santé en plusieurs grandes catégories, des plus proximaux (actions de promotion de la santé) aux résultats sanitaires et sociaux finaux (santé physique et sociale). Cette phase exploratoire avait déjà montré ses limites, la conclusion étant que le rapport sur la performance du système de santé ne pouvait par définition s’en tenir qu’à une description très limitée de la situation en matière de promotion de la santé.

«Une évaluation exhaustive du champ de la promotion de la santé nous obligerait à mesurer des dimensions cruciales des interventions dans ce domaine (la participation, l’autonomisation, la soutenabilité, l’approche multistratégique, l’équité et la multisectorialité), ce qui sort des objectifs originaux de ce rapport», mentionnent ainsi les auteurs.

Conscients des limites de l’exercice, ceux-ci soulignent la nécessité d’une évaluation distincte pour ce champ qui excède largement le cadre du système de santé, notamment si l’on considère les actions menées à l’école, dans le milieu professionnel, en matière de sécurité routière, etc.

Dans le rapport 2015, 13 indicateurs ont donc été finalement retenus, afin de permettre une description partielle représentative des catégories proposées par le cadre de Nutbeam, dans la lignée de la Charte d’Ottawa.

Bien que les paramètres les plus éloignés de l’action (résultats de santé ou modes de vie) soient plus faciles à documenter, des indicateurs plus proximaux, comme les connaissances en matière de santé, ont également été pris en compte. Dans la mesure du possible, la préférence a par ailleurs été donnée aux indicateurs pour lesquels le système de santé pouvait influencer, au moins partiellement, le résultat. «On estime généralement que la santé ne présente qu’un lien tenu avec le système de soins, celui-ci n’étant qu’un élément parmi la multitude de déterminants qui la façonnent (biologie, mode de vie, conditions sociales, environnement, politiques de santé…)», rappelle en effet le rapport. Un lien de cause à effet d’autant plus compliqué à élucider dans le champ de la promotion de la santé.

13 indicateurs pour la promotion de la santé

Dans le Rapport Performance 2015 du KCE, les trois premiers indicateurs de la promotion de la santé sont aussi des indicateurs utilisés pour mesurer ‘l’état de santé’. Il s’agit de la santé perçue par le patient, de l’espérance de vie sans invalidité à l’âge de 65 ans et de la mortalité évitable grâce aux politiques de santé.

Près de 78% des Belges s’estiment ainsi en bonne ou très bonne santé, avec un fort gradient socio-économique. L’espérance de vie sans incapacité à 65 ans est quant à elle de 11,2 ans pour les hommes et de 12,3 ans pour les femmes, avec une augmentation significative entre 2001 et 2013 (+2 ans environ). Concernant la mortalité évitable grâce aux politiques de santé (décès liés au tabac, à l’alcool, aux accidents de la route etc.), les résultats de la Belgique sont médiocres et contrastent avec ses résultats plus qu’honorables en termes de mortalité évitable grâce au système de soins proprement dit (appendicites, pneumonies, ulcères gastro-duodénaux, etc.).

Les dix autres indicateurs pris en compte sont spécifiques à la promotion de la santé. Le premier concerne la prévalence de l’obésité chez les personnes adultes, proche de la moyenne UE-15Note bas de page, avec 13,7% de la population présentant un IMC égal ou supérieur à 30. Des disparités régionales significatives apparaissent, puisque 16,1% des Wallons sont concernés contre 12,6% des Flamands. Le gradient socio-économique est lui aussi significatif.

Le deuxième indicateur, qui porte sur la prévalence du surpoids chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents, est plus favorable: la Belgique est mieux classée que la plupart des pays européens, même si l’on peut s’inquiéter de la stabilisation des chiffres, en dépit des efforts engagés pour encourager une alimentation saine et une activité physique suffisante, «ce qui laisse à penser que ces efforts pourraient encore être intensifiés».

Le troisième indicateur concerne le taux de diagnostic du VIH qui reste stable, avec 10 nouveaux diagnostics par 100.000 habitants en 2013. Un résultat jugé peu satisfaisant, compte tenu du fait que l’on connaît pertinemment les moyens de prévenir cette infection.

Les indicateurs 4, 5, 6 et 7 concernent différents aspects du mode de vie. Premièrement, le tabagisme. Le rapport révèle que la Belgique compte 18,9% de fumeurs quotidiens, une moyenne proche de l’UE-15. Globalement, le tabagisme est en recul chez les deux sexes, ce qui est une bonne nouvelle.

En revanche, il apparaît que le degré d’activité physique est nettement trop faible et même en baisse par rapport à 2008, en particulier chez les femmes. Rappelons que le manque d’activité physique est pourtant considéré par l’OMS comme le 4e facteur de risque de mortalité dans le monde. Le rapport révèle par ailleurs que la consommation d’alcool à risque n’est pas alarmante mais que les nouvelles pratiques de ‘binge drinking’ sont en revanche très inquiétantes. Défini comme la consommation de plus de 6 unités de boissons alcoolisées à une même occasion, et ce au moins une fois par semaine, ce phénomène concerne 8,5% de la population belge, en majorité des hommes jeunes. À noter que si le gradient socio-économique intervient dans la consommation d’alcool, il est inversé pour les femmes: celles qui sont le mieux placées sur l’échelle sociale sont aussi plus nombreuses à avoir une consommation problématique.

L’indicateur 8 prend en compte l’utilisation du DMG+ (22% des 45-75 ans), module ajouté au dossier médical global géré par le médecin généraliste et contenant des données relatives à la promotion de la santé et aux soins préventifs. Rappelons à ce propos que le DMG+ n’est plus financé depuis le 1er janvier 2016 (suppression du code de nomenclature) mais que des recommandations spécifiques de prévention devraient être intégrées dans une nouvelle définition du DMG en préparation. La liste des recommandations devrait d’ailleurs être étendue aux plus de 75 ans.L’indicateur 9 mesure pour sa part les connaissances en santé, essentielles à l’alphabétisation en santé, autrement dit à l’autonomisation du patient. Et pour le coup, les résultats sont sans appel: une étude réalisée en 2012 via internet met au jour des connaissances insuffisantes chez près de 40% de la population. Enfin, en matière de contrôle du tabac (indicateur 10), paramètre qui se réfère aux politiques publiques visant à maîtriser la consommation tabagique, il apparaît que la Belgique se classe au milieu de l’échelle européenne. «Aucun des indicateurs sélectionnés dans le domaine de la promotion de la santé et du mode de vie ne livre de bons résultats. Nombre d’entre eux affichent même un score médiocre voire franchement mauvais», concluent les auteurs du rapport.

Suicides et antidépresseurs

Parallèlement à ce constat inquiétant, il apparaît que le secteur de la santé mentale peine lui aussi à évoluer. Comme pour la promotion de la santé, le Rapport Performance souligne la difficulté d’une évaluation optimale, notamment concernant l’impact des récentes réformes qui vont dans le sens de la désinstitutionalisation : hospitalisations plus courtes, insertion et réintégration des patients psychiatriques dans la société, services alternatifs au sein de la communauté. Compte tenu de l’absence de données disponibles pour évaluer les impacts de cette mutation qui touche la plupart des pays industrialisés, le rapport Performance estime qu’«il n’a pas été possible de développer des indicateurs pertinents pour le suivi de ces évolutions (p.ex. gestion de cas).» Il a donc fallu se rabattre sur des indicateurs généraux – comme le taux de suicide – ou relatifs aux hospitalisations psychiatriques – comme le nombre de jours d’hospitalisation dans un centre psychiatrique ou les admissions sous contrainte. Dix indicateurs ont ainsi été examinés.

Avec 18,3 suicides pour 100.000 habitants, la Belgique – malgré un léger recul – se situe bien au-dessus de la moyenne des pays européens (10,6 dans l’UE-15). «Il n’est pas possible de tirer des conclusions claires de ces résultats – le suicide n’est en effet qu’un indicateur de substitution pour l’état de la santé mentale d’une population et doit être considéré en combinaison avec d’autres paramètres», nuance le rapport qui reconnaît néanmoins l’existence d’une marge d’amélioration. Exemple? Un rapport récent des mutualités socialistes révèle que 27% de leurs affiliés hospitalisés suite à une tentative de suicide (environ 4.000 personnes entre 2011 et 2013) n’ont pas bénéficié d’une consultation de suivi chez un médecin généraliste ou un psychiatre au cours des trois mois suivant la sortie !

Les différences sont par ailleurs très marquées entre régions, avec un taux de suicide sensiblement plus élevé en Wallonie (21,9/100.000 habitants) qu’à Bruxelles (11,9) et en Flandre (17,4). «Le taux apparemment faible enregistré à Bruxelles pourrait toutefois découler d’un artefact de données (p.ex. communication tardive des causes de morts violentes par le procureur)», précisent les auteurs du rapport.

Autre dossier sensible en santé mentale : les prescriptions d’antidépresseurs. En augmentation partout en Europe, elles atteignent des records en Belgique, avec 71 DDD (doses quotidiennes déterminées) par jour pour 1000 habitants contre 64,6 DDD en moyenne dans les autres pays européens.

On observe par ailleurs une consommation nettement plus élevée en Wallonie (88,1) qu’en Flandre (65,1) ou à Bruxelles (54,7). «Il conviendrait d’examiner si cette différence s’explique par des différences socioéconomiques et démographiques ou si elle découle d’autres causes (culture médicale, diffusion des directives evidence-based…)», avancent les auteurs.

En regard du rapport 2012, deux indicateurs supplémentaires livrent des informations intéressantes sur ces prescriptions. Le premier concerne le pourcentage d’adultes ayant pris des antidépresseurs au cours de l’année écoulée : celui-ci était en diminution au cours des dernières années mais s’avère aujourd’hui relativement stable (13,4% en 2013). Sans surprise, les taux de prescription les plus élevés sont observés parmi les seniors bénéficiant de soins de longue durée : 37,4% chez les patients traités à domicile, 47% chez les patients vivant en MRS/MRPA et 16,6% chez ceux qui ne reçoivent pas de soins de longue durée…

L’autre nouvel indicateur est la mesure du respect des recommandations concernant ces médicaments. Il apparaît en effet que, si la dépression majeure nécessite au moins trois mois de traitement par antidépresseurs avant de connaître une amélioration significative, un pourcentage élevé d’adultes sous traitement – 47,4% en 2013 – prennent ces médicaments pendant une période plus courte. Par ailleurs, cet indicateur prend également en compte la prescription de certains antidépresseurs connus pour leurs effets secondaires anticholinergiques (cause potentielle de chutes) chez les personnes âgées : elle est stabilisée à 15% mais atteste, comme le point précédent, d’une consommation encore largement inappropriée d’antidépresseurs. Voilà peut-être la forêt que cache l’arbre de la ‘surconsommation’.

Au vu de ces chiffres, il apparaît très clairement que les prescriptions d’antidépresseurs s’accompagnent d’une information parcellaire du patient, ce qui ne promeut pas son autonomie.

La désinstitutionalisation invisible ?

Malgré les réformes récentes, le nombre de journées d’hospitalisation psychiatrique de 2008 à 2013 reste élevé. Paradoxalement, le nombre de jours d’hospitalisation en psychiatrie par année semble même avoir augmenté entre 2000 et 2012, passant de 304 pour 1000 habitants à 336 pour 1000 habitants. Deux autres variables qu’on s’attendrait à voir diminuer restent également stables : les passages aux urgences pour des problèmes sociaux, mentaux ou psychologiques (1,5% des admissions aux urgences dans les hôpitaux généraux en 2008 et 2012) et le nombre d’hospitalisations sous contrainte dans une structure psychiatrique (6,8 pour 10.000 habitants en 2008; 7,0 en 2012). Ici, c’est la Flandre qui affiche un nombre plus élevé de jours d’hospitalisation en psychiatrie. «Nous ne savons pas si ces admissions sont appropriées ou si elles résultent de lacunes dans l’offre de services (p.ex. manque d’alternatives au sein de la communauté, gestion des cas insuffisante)», expliquent les auteurs du rapport.

À noter que les données flamandes révèlent qu’une proportion non négligeable de patients (37% en 2013) doit par ailleurs attendre un mois ou plus pour un premier contact avec un centre de santé mentale ambulatoire et que ce nombre a légèrement augmenté au fil du temps – ce qui tendrait à crédibiliser la seconde hypothèse.

«Les résultats des indicateurs touchant à la santé mentale et aux soins dans ce domaine restent alarmants. Le fruit des réformes passées n’est pas (encore) suffisamment visible et les taux de suicide demeurent élevés. De plus, le suivi de la performance reste délicat car les systèmes de données devraient idéalement permettre un monitoring de l’ensemble du parcours de soins (y compris au niveau ambulatoire), ce qui n’est pas encore suffisamment le cas», conclut le rapport.

Nul doute que l’enjeu de l’évaluation reste central pour ces domaines de la promotion de la santé et de la santé mentale, qui pâtissent, dans leur exercice quotidien, d’un manque de données aisément valorisables. Mais un système de santé ‘performant’ se doit d’autant plus de les intégrer que les ‘maladies de civilisation’ gagnent du terrain.

L’auteure remercie Françoise Renard et France Vrijens pour leur aide.

L’UE-15 correspond à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne entre 1995 et 2004, par opposition à l’Union européenne actuelle (UE-28). Elle fait ainsi référence aux pays européens les plus économiquement développés, à savoir l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, la Finlande et la Suède.

UNGASS 2016 : l’opportunité d’en finir avec la guerre aux drogues

Le 30 Déc 20

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UNGASS 2016: l'opportunité d’en finir avec la guerre aux drogues

À l’initiative de la Drug Policy Alliance, les professionnels des addictions ont appelé à considérer la santé et les droits humains en priorité à l’occasion des débats de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les drogues (UNGASS) qui s’est tenue à New York du 19 au 21 avril 2016.

Par ailleurs, une pétition mondiale de la société civile a été lancée à l’intention du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Soutenue par des centaines d’individus, des personnalités et des associations, elle exhorte les gouvernements à un changement radical de la politique internationale en matière de drogues. Elle demande l’abandon d’une approche périmée et néfaste héritée des années 70.

L’UNGASS 2016 s’intitule ‘Vers la réalisation des objectifs de 2019, un meilleur avenir pour les générations futures’. Ce sommet est le premier sur les drogues depuis 20 ans. Sa date a été avancée de trois ans à la demande de plusieurs pays d’Amérique du Sud devenus, à l’instar d’autres États, très critiques sur les politiques de répression inspirées des conventions onusiennes.

Dans l’urgence, l’UNGASS 2016 a été convoquée afin de débattre des succès et des échecs des politiques drogues. Une interprétation sanitaire et humaniste des conventions est possible. Un certain nombre de pays ont mis en place des politiques de régulation et de réduction des risques, dont les succès ne sont plus à démontrer.

Il y a près de 20 ans, l’UNGASS 1998 avait pour slogan ‘Un monde sans drogues, nous pouvons le faire’. En 2009, les États membres adoptaient une déclaration et un plan d’action visant à réduire les marchés des drogues. En 2011, le retentissant rapport de la Commission mondiale sur les politiques des drogues, qui réunit d’anciens chefs d’État, constatait l’échec total des pratiques fondées sur la répression. Entretemps, plusieurs États ont décidé en solo d’assouplir leur législation. On est encore loin d’une politique globale et concertée et la session extraordinaire d’avril n’a pas permis d’avancée significative.

Il y eut toutefois un motif de satisfaction pour les militants de la réduction des risques: lors de cette session, la ministre de la Santé au Canada Jane Philpott a annoncé la prochaine légalisation du cannabis dans son pays, conformément aux engagements électoraux du Premier ministre Justin Trudeau.

«Au printemps 2017, nous allons introduire une législation pour empêcher la marijuana de tomber entre les mains des enfants et les profits de tomber entre les mains des criminels. Notre approche […] doit totalement respecter les droits de la personne tout en favorisant le partage des responsabilités», a-t-elle expliqué. «Bien que ce plan remette en question le statu quo dans plusieurs pays, nous sommes convaincus qu’il s’agit de la meilleure façon pour protéger nos jeunes tout en renforçant la sécurité publique», a-t-elle fait valoir, se disant convaincue «qu’il est impossible de régler le problème en procédant simplement à des arrestations».

Santé des patients ou santé financière des firmes ?

Le 30 Déc 20

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Santé des patients ou santé financière des firmes?

Les firmes pharmaceutiques mettent avant des activités « désintéressées ». Mais leurs actionnaires sont leur priorité.

Les firmes pharmaceutiques ont des logiques financières que les soignants et les patients ont intérêt avoir en tête. Deux exemples avec la firme Pfizer nous le rappellent.

En France, la Fédération française des maisons et pôles de santé et la firme Pfizer ont communiqué en janvier 2016 sur l’aide que la firme apporte à la création d’emplois de coordonnateurs et de responsables des systèmes d’information au sein des maisons et pôles de santé. Cette firme pharmaceutique se donne l’image d’un acteur de santé publique, alors qu’elle répond en fait à une contrainte législative liée aux licenciements massifs de visiteurs médicaux, l’obligeant à contribuer à la création d’activités nouvelles par une ‘convention de revitalisation’.

Les firmes savent créer de la reconnaissance et saisissent les opportunités en palliant les insuffisances des autres acteurs, professionnels de santé et organismes étatiques, comme elles le font déjà dans le domaine de la recherche, de la formation, de l’information, de l’éducation thérapeutique, etc.

Loin de cette image d’entreprise citoyenne, la firme Pfizer a entrepris en 2015 sa fusion avec la firme irlandaise Allergan, pour 155 milliards de dollars, dans le but de domicilier ses activités en Irlande, pays pratiquant le dumping fiscal. Le président Obama a qualifié les industriels pratiquant cette évasion fiscale de «déserteurs» et de «non-patriotes».

Et début avril 2016, une modification réglementaire soudaine aux États-Unis a provoqué l’arrêt du projet de fusion Pfizer-Allergan, qui perdait tout intérêt. La firme a affirmé qu’elle continuerait à rechercher les solutions financières les plus favorables à ses actionnaires.

Le Conseil de l’Europe défend la primauté des intérêts de santé publique sur les intérêts industriels

Le Conseil de l’Europe est une structure basée à Strasbourg, qui réunit 47 pays européens. Il a notamment un rôle de ‘conseil’ et émet des recommandations aux États membres. Le 29 septembre 2015, son assemblée parlementaire a adopté une résolution sur la santé publique et les firmes pharmaceutiques.

Selon le Conseil de l’Europe, les interactions entre l’industrie pharmaceutique et les autres acteurs du secteur de la santé soulèvent des questions quant à leurs éventuels effets négatifs. Ces interactions sont susceptibles de créer des conflits d’intérêts, d’influencer les connaissances et le comportement des acteurs en question, et de donner lieu à des décisions biaisées.

Ces dernières années, malgré l’augmentation du nombre de nouveaux médicaments mis sur le marché, il n’y en a que très peu qui apportent un avantage thérapeutique significatif et qui répondent à des besoins de santé réels.

Pour résoudre les différents problèmes identifiés, le Conseil de l’Europe propose notamment que les professionnels de santé soient formés à réfléchir à l’influence de la promotion pharmaceutique et que leur formation soit financée sur fonds publics.

Il demande aussi à l’Organisation mondiale de la santé qu’elle propose des alternatives au modèle actuel d’innovation pharmaceutique fondé sur les brevets.

La démence: que faut-il retenir?

Le 30 Déc 20

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La démence: que faut-il retenir?

Le Conseil Supérieur de la Santé a formulé des recommandations spécifiques concernant le diagnostic de la démence, la gestion du comportement et les questions éthiques soulevées par cette maladie.

Voir la version complète du rapport (SHC 8890) (uniquement disponible en anglais).

À propos du Conseil Supérieur de la Santé (CSS)

Le Conseil Supérieur de la Santé est l’organe d’avis scientifique du Service public fédéral Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement. Dans le but de garantir et d’améliorer la santé publique, le Conseil formule des avis scientifiques afin de guider les décideurs politiques et les professionnels de la santé.Grâce à son réseau d’experts et ses collaborateurs internes, le Conseil se base sur une évaluation multidisciplinaire de l’état actuel de la science pour émettre des avis impartiaux et indépendants. Ainsi, le CSS applique un système de gestion des conflits d’intérêts potentiels.Le Conseil élabore ses avis sur demande de la Ministre ou de sa propre initiative.Avis publics et brochures sont disponibles sur le site www.css-hgr.be.

Six réformes prioritaires pour les Mutualités libres

Le 30 Déc 20

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Six réformes prioritaires pour les Mutualités libres

Les mutualités sont un des piliers de notre système de protection sociale. Au fil des années, elles se sont développées et adaptées pour assumer des missions essentielles dans notre système de soins de santé.Face à l’évolution de leurs métiers et de la nature des soins de santé, les mutualités sont à nouveau amenées à évoluer et à se repositionner dans un environnement en pleine mutation. Les tâches administratives, qui constituent encore une partie significative de leurs activités, vont s’exécuter différemment à l’avenir avec l’informatisation des soins de santé. Les défis médicaux et sociaux ainsi que les besoins des citoyens en matière d’information et d’accompagnement sont l’opportunité pour les mutualités de renforcer leur rôle vis-à-vis de leurs assurés. Et par la même occasion d’améliorer l’accès aux soins et de favoriser l’autonomie et le bien-être de leurs affiliés.Les Mutualités libres ont mené une réflexion sur le rôle qu’elles souhaitent jouer dans cet environnement changeant. Tout en restant viscéralement attachées à leur modèle solidaire et non lucratif, elles estiment que le secteur doit se réinventer et passer d’un modèle administratif vers un modèle de services de santé encourageant l’innovation sociale et le développement de nouveaux services et de couvertures santé.Elles proposent aujourd’hui 6 chantiers de réformes prioritaires, dont les deux premiers nous intéressent plus particulièrement ici.

Définir des objectifs de santé

Le contexte

Contrairement à d’autres pays, le système de santé belge ne repose pas sur des objectifs de santé pluriannuels et les décisions ne sont pas guidées par des priorités de santé publique (exemples: réduire l’obésité, augmenter les dépistages du cancer…).La performance du système de santé belge peut donc difficilement être évaluéeNote bas de page.

Les recommandations

Définir une vision globale en matière de santé, déclinable en différents domaines (addictions, alimentation, santé mentale…). Au sein de chaque domaine, fixer les priorités publiques en se basant sur les conclusions d’études existantes et sur des critères à définir (caractère invalidant d’une pathologie, impact sur les budgets…).Décliner ces domaines prioritaires en objectifs réalistes, mesurables et vérifiables de manière périodique (tous les 5 ans par exemple), évolutifs, attribuables à un groupe d’acteurs ou à un niveau de pouvoir (but: assurer la responsabilité).Faire adopter le cadre global, les priorités de santé publique et les objectifs par les différents niveaux de pouvoir belges, en prévoyant la possibilité pour ces derniers d’intégrer leurs propres objectifs et accents régionaux.

Quels acteurs?

Afin que les objectifs s’inscrivent dans une démarche continue, la fixation du cadre et des objectifs doit être confiée à un organisme unique, qui pourrait être l’Institutde Santé publique reconfiguré en ‘Institut du Futur’ (prévu par la 6e réforme de l’État), incluant des représentants des entités fédérées et les acteurs du système de santé: mutualités, prestataires de soins, KCE, associations de patients…Quel rôle pour les mutualités?

  • Participer à la définition des objectifs de santé.
  • Contribuer à la réalisation des objectifs via la promotion d’un style de vie sain, les services de l’assurance complémentaire, le travail en commissions avec les prestataires de soins, etc.
  • Pour les objectifs attribuables aux mutualités (par exemple augmenter le nombre de Dossiers médicaux globaux), créer un système d’incitants financiers encourageant la prise d’initiatives.
  • Prendre part à la mesure des objectifs de santé en renforçant les missions de l’Agence intermutualiste (IMA) et en couplant les données des mutualités avec d’autres données.

Informer et accompagner les affiliés

Le contexte

L’éducation à la santé est un défi sociétal majeur. Les mutualités sont actives sur ce terrain depuis toujours et mobilisent d’importants moyens pour sensibiliser leurs affiliés. Mais en l’absence de vision claire sur les objectifs de santé à atteindre, les initiatives sont fragmentées, non coordonnées entre organismes assureurs et ne touchent pas toujours les publics concernés.

Les recommandations

Fournir aux citoyens un accès égal à une information vulgarisée sur la santé en stimulant proactivement le développement de leurs connaissances et de leurs compétences en cette matière et ce, quel que soit leur statut social, leur niveau d’éducation ou leur appartenance culturelle.Sensibiliser l’ensemble des professionnels de la santé aux enjeux de la littératie en santé afin d’aider les citoyens à préserver leur capital santé, à poser des choix plus éclairés en matière de prise en charge d’une maladie, à utiliser le système de santé de manière plus efficiente.Favoriser les synergies et la coordination entre les acteurs. Les organismes assureurs, les niveaux de pouvoir, les écoles, les CPAS, l’ONE et autres acteurs de première ligne doivent être encouragés à travailler ensemble pour maximiser l’impact des messages et des campagnes d’information sur la santé.Encourager toutes les initiatives visant à promouvoir les connaissances en santé (à l’école, dans les entreprises…) ou à simplifier le langage utilisé par les acteurs de la santé dans les communications avec les citoyens: administration, législation, consultations médicales, accueil dans les hôpitaux, notices de médicaments, etc. L’éducation à la santé implique en effet de nombreux intervenants: prestataires de soins, autorités, mutualités, enseignants, médias…Effectuer un état des lieux régulier sur le niveau de littératie en santé de la population belge, éventuellement via l’Enquête nationale de santé publique. Ce critère pourrait aussi être considéré comme un indicateur de la qualité des soins et entrer en ligne de compte pour l’accréditation des hôpitaux par exemple (c’est le cas aux USA).

Quels acteurs?

Mutualités, pouvoirs publics, organisations de promotion de la santé, INAMI, médias…

Quel rôle pour les mutualités?

  • Développer des initiatives en matière d’éducation qui contribuent aux objectifs de santé prioritaires. Ces objectifs seront fixés par domaine et par public cible prioritaire (exemples: malades chroniques, grands consommateurs de soins, publics vulnérables).
  • Créer des outils d’information adaptés aux publics visés et les compléter de programmes d’accompagnement ciblés pour faire changer durablement les comportements des patients et favoriser l’autogestion face à la maladie.
  • Faciliter la tâche des prestataires de soins en mettant à leur disposition des outils d’éducation et d’aide à la décision adaptés à leur patientèle.
  • Se concentrer sur les domaines dans lesquels les mutualités peuvent avoir le plus d’impact en fonction de leur expertise, de leurs moyens et des instruments dont elles disposent. Exemples: alimentation, mouvement, consommation de médicaments, prévention…
  • Conditionner les résultats obtenus à un système d’incitants financiers. Le nouveau système de critères de performance de l’Office de contrôle des mutualités pourrait intégrer certains éléments, mais il devrait être complété par un système d’incitants positifs.

Les 4 autres priorités des Mutualités libres

  • réformer l’assurance complémentaire;
  • revoir les règles de l’incapacité de travail et de la réintégration professionnelle;
  • accélérer l’informatisation et la simplification administrative;
  • mieux lutter contre la surconsommation et la fraude.

Texte extrait de la plaquette ‘6 réformes prioritaires pour les Mutualités libres’, téléchargeable sur le site www.mloz.be

Notons quand même le remarquable travail de monitoring réalisé par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé depuis une demi-douzaine d’années. Voir l’article ‘Nouveau check up du système de santé belge’ dans ce numéro (ndlr).

Lobbying de l’industrie pharmaceutique en Europe

Le 30 Déc 20

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Lobbying de l’industrie pharmaceutique en Europe

Les firmes pharmaceutiques dépensent des dizaines de millions d’euros par an en lobbying et disposent de dizaines de lobbyistes auprès des institutions européennes. Nombre de décisions ayant un impact sur le quotidien des personnes vivant en Europe sont prises par les institutions européennes. Une étude réalisée par l’association Corporate Europe Observatory (CEO) dans le domaine pharmaceutique révèle une activité de lobbying intense et multiforme des firmes sur ces institutions.Les firmes pharmaceutiques, leurs syndicats, et les 10 principales agences de lobbying ayant les firmes pour clients, ont déclaré des dépenses de près de 40 millions d’euros en 2014. 40 firmes pharmaceutiques ont déclaré 23 millions d’euros d’activité de lobbying. C’est considérablement plus que les sommes déclarées par les organisations non gouvernementales ayant une activité dans le domaine du médicament et de la santé publique (2,7 millions d’euros).Ces 40 firmes pharmaceutiques déclarent disposer de 108 lobbyistes à temps plein, dont 89 personnes ayant un droit d’accès permanent au Parlement européen. En outre, 18 syndicats de firmes ont déclaré 68 lobbyistes à temps plein, dont 24 ayant un droit d’accès permanent au Parlement européen.Ainsi, la firme GlaxoSmithKline a rencontré une fois la Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME et 14 fois la Direction générale de la recherche et de l’innovation sur une période de 5 mois, au moment des débuts de la nouvelle Commission Juncker.Selon les institutions européennes, «Les citoyens peuvent, et même doivent, attendre du processus décisionnel de l’UE qu’il soit aussi transparent et ouvert que possible. Plus le processus est ouvert, plus il est facile d’assurer une représentation équilibrée et d’éviter les pressions excessives et l’accès illégitime ou privilégié aux informations et aux décideurs politiques».En 2016, nous sommes encore loin du compte en termes de service rendu aux citoyens.

Améliorer la santé des migrants par le leadership et le sens de la responsabilité

Le 30 Déc 20

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Améliorer la santé des migrants par le leadership et le sens de la responsabilité

Ces dernières années, les compétences culturelles ont été largement recommandées comme une des stratégies les plus prometteuses dans les services de santé pour réduire les inégalités de santé entre les migrants et le reste de la population.

Les compétences culturelles, une solution pour la santé des migrants?

Les compétences culturelles? Un ensemble congruent d’attitudes, de pratiques et /ou de politiques qui, dans un système, une institution ou parmi des soignants permettent de travailler effectivement dans des situations interculturelles. Entre autres interventions, citons la médiation interculturelle, les programmes de promotion de la santé culturellement adaptés ou encore les formations en interculturalité.

Cependant, les effets des compétences culturelles sur les résultats de santé et sur les services de santé sont inconstants, voire contradictoires. En effet, la formation des professionnels de santé à l’interculturel peut, dans certains cas, augmenter les stéréotypes face aux patients migrants et donc le risque de préjudice tandis que dans d’autres circonstances, ces mêmes formations à l’interculturel améliorent positivement la sensibilité des soignants aux questions interculturelles et, par effet domino, accroissent la satisfaction des patients.

Ces effets contradictoires nous montrent que les mécanismes par lesquels les compétences culturelles agissent réellement sur les inégalités de santé restent donc méconnus. Même si des efforts conséquents sont investis dans l’approche interculturelle des soins de santé, la tendance générale est un accroissement des inégalités de santé pour les migrants.

Dernier point, et non des moindres, il apparait que les compétences culturelles négligent, voire ignorent complètement le rôle joué par le contexte institutionnel et les relations interpersonnelles sur les attitudes des professionnels de santé. Or, le contexte de travail, les relations entre collègues, le leadership… sont autant d’éléments susceptibles d’influencer la qualité des soins.

Responsabilité et leadership

Dans ce contexte, le projet de recherche COMETH (COMpetences in Ethnicity and Health) s’est penché sur la question des compétences culturelles en Belgique. Deux questions de recherche ont été abordées dans ce projet.

Qui doit se sentir responsable de l’adaptation des soins dans des situations interculturelles? En effet, la plupart des programmes de compétences culturelles se centrent sur les professionnels de santé, faisant d’eux les principaux acteurs de changement. Ces programmes présupposent qu’un professionnel sensibilisé aux compétences culturelles se sentira responsable de s’adapter aux besoins des patients migrants. Cette assomption reste théorique. Le professionnel doit-il prendre l’entière responsabilité de l’adaptation ou doit-il, au contraire, la partager avec le patient? Si le professionnel de santé est la personne la plus ‘experte’ en termes clinique et technique, puisqu’elle ou il a été formé à son métier de soignant, il reste néanmoins que ce qui relève de l’empathie, de la gentillesse, du sens de la responsabilité est généralement assumé comme étant intrinsèque aux personnes et donc pas (toujours) appris durant la formation.

Les individus les plus populaires dans un service de soins influencent-ils les compétences culturelles de leurs collègues? Un soignant n’est jamais un acteur isolé dans un système: prendre soin d’un patient est une tâche collective et multidisciplinaire. Être culturellement compétent seul a peu de sens dans un projet de soins qui se doit d’être collectif. De plus, les comportements des soignants peuvent être le résultat de normes, diffusées par les leaders. Ces normes peuvent être soit positives, soit négatives et influencer les pratiques des soignants.

COMETH, une recherche de l’UCL en Wallonie et à Bruxelles

Vingt-quatre services de santé, à Bruxelles et en Wallonie, ont participé au projet COMETH en 2012: 5 maisons médicales et 19 unités de soins hospitalières (soins intensifs, psychiatrie, gériatrie, oncologie et pathologies infectieuses). Les services ont été répartis entre les milieux urbains et ruraux mais également sur la base de la présence ou non de migrants dans la zone géographique couverte par le service retenu. Les données ont été récoltées au moyen de questionnaires, comprenant un volet sociodémographique, des échelles de mesure des compétences culturelles et du sens de la responsabilité ainsi qu’un module sur les relations sociales. Des 569 répondants, 60% étaient des infirmiers et aides-soignants et près de 80% des femmes, avec un âge moyen de 38 ans.

Méthode d’analyse des réseaux sociaux

Valente définit l’analyse de réseau social comme une «perspective théorique et un ensemble de techniques utilisé pour comprendre les relations [sociales] et comment elles affectent les comportements».

Par exemple, des médecins qui sont extrêmement connectés à leurs collègues sont moins susceptibles d’adopter des pratiques basées sur des données probantes, ce qui veut dire que la cohésion sociale entre des professionnels est susceptible d’empêcher la diffusion des innovations (Mascia et al.). D’autres études se sont penchées sur le rôle des relations sociales dans la diffusion du tabagisme chez les jeunes, l’obésité, les maladies sexuellement transmissibles ou encore les opinions politiques.

Dans le projet COMETH, la méthode de collecte des données est une méthode de recensement (aussi appelée ‘données de réseau complet’) pour identifier les relations sociales entre les professionnels de santé. Trois relations sociales existant dans un contexte professionnel ont été choisies: recherche de conseil, résolution de problème et socialisation. Chaque professionnel de santé a identifié les relations sociales qu’il a avec ses collègues dans une liste contenant les noms de tous les membres de son équipe. Le répondant devait s’identifier lui-même dans la liste pour permettre d’identifier l’émetteur de la relation. Cette étape était indispensable pour la validité de la partie «réseau social» du questionnaire. Les questionnaires ont ensuite été rendus anonymes afin d’éviter toute identification du répondant.

La responsabilité? Une affaire partagée

La responsabilité face à l’adaptation des soins de santé est une responsabilité partagée entre les professionnels de santé et les patients et dépend de la nature de l’adaptation concernée.

Si l’adaptation de la communication – fournir un interprète par exemple- relève de la responsabilité des professionnels de santé, l’adaptation aux valeurs du pays d’accueil – comme accepter un professionnel de santé du sexe opposé – semble relever de la responsabilité des patients. Par contre, les répondants ne se sont pas prononcés lors qu’il s’agit de s’adapter aux représentations et croyances de santé des patients. Des analyses complémentaires montrent qu’être Belge, ne pas être médecin et travailler dans un service de soins de santé primaire sont des éléments associés avec le fait de rendre le patient responsable de l’adaptation.

Le leader informel, un acteur clé dans la question des compétences culturelles

Les résultats de l’analyse des relations sociales montrent que les leaders influencent positivement les compétences culturelles des équipes de soins, notamment lorsque les leaders ont une expertise en la matière. En d’autres termes, si les leaders informels sont culturellement compétents, alors les équipes de soins sont susceptibles d’être culturellement compétentes à leur tour. Cependant, cette influence positive des leaders n’est valable que dans deux circonstances interculturelles précises: la gestion des conflits et l’adaptation à des paradigmes différents. Les leaders formels quant à eux ont peu d’influence sur les compétences culturelles de leurs équipes.

Recommandations pour la pratique

Les professionnels de santé se sentant responsables de la communication, il est indispensable d’investir dans les interventions culturellement compétentes visant à promouvoir une communication efficace entre un professionnel de santé et son patient (migrant). S’assurer d’une bonne communication avec son patient est une première étape dans un processus d’adaptation réciproque entre le soignant et le patient: sans communication, il apparait difficile de discuter des représentations de la santé et de la maladie, des croyances, des valeurs et autres besoins que tant le soignant que le patient peuvent véhiculer.

Travailler sur la communication nécessite d’abandonner le style paternaliste encore trop souvent présent dans la relation soignant-soigné et d’oser aborder avec son patient des thèmes comme les valeurs et croyances. L’absence de normes officielles de formation en matière de diversité et santé – contrairement aux pratiques québécoises, suisses ou britanniques – laisse un flou pour les soignants en quête d’une meilleure qualité des soins pour leurs patients migrants.

Ces normes de formation, voire d’agrément sur le modèle des Hôpitaux Promoteurs de Santé, peuvent également aider à l’implantation des compétences culturelles. En effet, tant que les professionnels de santé ne perçoivent pas l’adéquation des compétences culturelles pour la prise en charge des migrants, il est peu probable que ces compétences soient implantées dans les services. Intégrer la question de la diversité dans les différents processus de qualité au sein des services de soins peut constituer une première étape vers des soins adaptés aux besoins de tous.

Enfin, mieux inclure les leaders informels dans les projets, sans que cela ne se fasse au détriment de l’autorité formelle du chef de service, peut également constituer une piste à développer: former une ‘championne’ ou un ‘champion’ en compétences culturelles peut avoir un plus grand impact sur la qualité des soins, autant à court qu’à long terme, que de former l’entièreté d’un service.

En savoir plus?

Références

  • Cross T, Bazron B, Dennis K, Isaacs MR. (1989). Towards a culturally competent system of care. Georgetown University, USA: Child Development Center.
  • Mascia, D., Cicchetti, A., & Damiani, G. (2013). “Us and them”: A social network analysis of physicians’ professional networks and their attitudes towards EBM. BMC Health Service Research, 13, 429. doi:10.1186/1472-6963-13-429
  • Valente, T. W. (2010). Social networks and health: Models, methods and applications. (pp. 81–99). Oxford, UK: Oxford University Press.

Remerciements

COMETH a été financé par le Fonds de la Recherche Scientifique F.R.S.-FNRS, via une bourse de doctorat décernée à Marie Dauvrin. Le bailleur de fonds n’a joué aucun rôle dans le design de l’étude, la collecte des données et l’interprétation des résultats. Les ressources informatiques ont été fournies par les installations de calcul intensif de l’Université catholique de Louvain (CISM/UCL) et le Consortium des Équipements de Calcul Intensif en Fédération Wallonie Bruxelles (CECI) financé par le F.R.S.-FNRS. L’auteure remercie Vincent Lorant, promoteur académique du projet.

Marie Dauvrin est infirmière et docteure en sciences de la santé publique, Institut de recherche santé et société, Université catholique de Louvain.

La promotion de la santé: une question non seulement sociétale mais aussi anthropologique

Le 30 Déc 20

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Le numéro de juin 2015 d’Éducation Santé était entièrement consacré à un bilan de plus de 15 ans de la politique de promotion de la santé et plus généralement de la prévention en Fédération Wallonie-Bruxelles. Un exercice utile à la veille du transfert de cette compétence à l’ONE, la Wallonie et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-CapitaleNote bas de page.

Christian Léonard est un observateur privilégié de tout ce qui tourne autour de la santé et du social en Belgique. Il nous fait l’amitié de partager avec nous les réflexions que lui inspirent le travail du Conseil.

L’égalité, oui, mais laquelle?

Comment ne pas se réjouir à la lecture des projets prioritaires qui devraient caractériser la politique de promotion de la santé dans les cinq années à venir? J’y ai retrouvé l’essentiel des fondements égalitaristes dont j’ai la faiblesse de penser qu’ils suscitent un large consensus. Car, en principe, nous sommes toutes et tous favorables à une certaine forme d’égalité et nous défendons ainsi l’égalitarisme ‘de quelque chose’.

Mais, comme l’écrivait le prix Nobel d’économie Amartya Sen, «equality of what?»Note bas de page, quelle variable voulons-nous égaliser entre nous? De nombreuses possibilités existent entre les ‘chances’ et les ‘résultats’ et pour chacune de ces variables sur lesquelles on focalise son attentionNote bas de page, des politiques bien différentes peuvent être mises en œuvre.

La plupart du temps l’égalitarisme est lié à la notion de redistribution qui peut prendre une forme monétaire au travers du versement d’allocations sociales ou s’exprimer par l’octroi de prestations en nature notamment grâce à un système d’assurance maladie solidaire. Toutefois, on oublie souvent de mentionner ce qu’il serait possible d’entreprendre pour rendre la redistribution quasi inutile. C’est pourtant simple, il suffirait de mieux ‘distribuer’ les revenus, les richesses, l’éducation…

Le numéro d’Éducation Santé que nous commentons ne commet pas ce fâcheux oubli puisqu’il mentionne ‘la distribution équitable de la richesse collective’ comme condition susceptible de faciliter l’adaptation entre la personne et son milieu. Les épidémiologistes anglais Wilkinson et Pickett ont récemment expliqué de manière lumineuse à quel point l’égalité était favorable à tous et non seulement aux plus démunisNote bas de page, un message qui donne raison aux rédacteurs du programme quinquennal pour la promotion de la santé en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Revoir notre mode d’existence

Il me semble toutefois que promouvoir une meilleure répartition des richesses ne constitue pas seulement un progrès sociétal, une façon somme toute plus directe de s’attaquer aux autres inégalités notamment de santé qui en découlent. Je soutiens que le changement requis est d’abord d’ordre anthropologique car il s’agit de remettre en question une des façons d’oublier la pire de nos craintes, dont Socrate critiquait toute l’absurdité, la crainte de la finitude de l’existence.

Les tenants de l’économie existentielle nous expliquent que cet ‘oubli’ de la finitude passe par des comportements d’épargne, d’investissement, de consommation, de production qui sont forcément liés aux processus d’accumulation capitalistiqueNote bas de page. Cela signifie que pour tendre vers un processus de création des richesses qui soit moins inégalitaire, il faut développer une lucidité existentielle qui soit de nature à susciter une réaction où le rapport à soi et à l’autre remplacent, au moins partiellement, les processus au cours desquels ‘nous perdons notre vie à la gagner’.

Revoir notre mode d’existence ne va évidemment pas rendre du jour au lendemain toute démarche de promotion de la santé obsolète car transformer en réalité cette utopie exigerait du temps, beaucoup de temps.

De manière concomitante, il serait à mon sens indispensable de préciser notre conception de cette notion à la mode tant dans les milieux de la santé publique que des affaires: l’empowerment. En première approche, il traduit un progrès majeur dans la conception de la ‘personne’. Une évolution quasi copernicienne du paternalisme sanitaire vers l’autonomisation du patient acteur de sa santé et donc… ‘responsable’.

Il faut en la matière, une fois de plus, faire preuve de lucidité afin de détecter derrière un discours émancipateur les scories du paradigme néo-classique selon lequel l’être humain est un homo oeconomicus auquel on peut faire adopter n’importe quel comportement pour autant qu’on utilise l’incitation (financière) adéquate.

À nouveau, le texte de la livraison de juin d’Éducation Santé aborde des pistes intéressantes susceptibles de favoriser notamment la littératie en santé. Il faudra toutefois veiller à son implantation, car seule une personne libre peut être tenue pour responsable de ses actes, de sa santé, de sa consommation de soins.

Cette libération participe en fait du même mouvement général que celui qui pourrait nous permettre de reconsidérer la finitude de l’existence et nos modes de vieNote bas de page. Ce souci d’une autre existence et d’une véritable libération de l’individu m’amène à envisager l’avenir avec enthousiasme et optimisme malgré la taille de l’enjeu car je ne peux imaginer que nous soyons toutes et tous aveugles au point d’ignorer que nous partageons les mêmes vulnérabilités, la même humanité qui exigent non seulement de la solidarité mais aussi une certaine dose d’altruisme.

Voir sur notre site le numéro 312 de la revue

SEN, A. (1979a) Equality of What? The Tanner Lectures on Human Values. Stanford University.

A. SEN parle d’ailleurs de ‘variables focales’.

WILKINSON, R. & PICKETT, K. (2013) Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Paris, Les Petits matins – Institut Vleben.

LÉONARD, C. & ARNSPERGER, C. (2009) You’d better suffer for a good reason: Existential economics and individual responsibility in health care. Revue de Philosophie Économique, 10(1), 125-148.

LÉONARD, C Libérer et responsabiliser pour refonder la responsabilité, Presses Universitaires de Namur, 2015.

La Bourse informée plus tôt que les agences du médicament

Le 30 Déc 20

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Les firmes pharmaceutiques privilégient les actionnaires pour leurs informations sur les médicaments, plutôt que les agences publiques chargées de les réguler.

La Bourse informée plus tôt que les agences du médicament

La Bourse contribue à une dérive insoutenable du prix des nouveaux médicaments. Mais son influence néfaste sur la santé ne s’arrête pas là.Aux États-Unis d’Amérique, l’agence du médicament a critiqué la firme Orexigen Therapeutics pour avoir adressé publiquement à l’autorité boursière du pays des résultats de l’analyse intermédiaire d’un essai clinique sur l’un de ses médicaments. Cette divulgation est de nature à compromettre la validité scientifique de l’essai exigé par l’agence.

En Allemagne, l’autorité chargée de l’évaluation des technologies de santé a reproché à la firme Chiesi d’avoir transmis à l’autorité boursière des Etats-Unis des informations sur l’un de ses médicaments (une thérapie génique). En effet, cette autorité a reçu ces informations, susceptibles de modifier sa décision, de l’autorité boursière étatsunienne et non de la firme.

Dans ces deux cas, une firme a informé en priorité les autorités boursières, et par là-même les opérateurs financiers, de données relatives à la balance bénéfices-risques d’un médicament.

Ces exemples montrent à nouveau le poids des intérêts financiers dans le domaine biomédical. C’est l’occasion de rappeler que les contrôles mis en place dans le domaine du médicament l’ont été en réaction à des catastrophes sanitaires. Ces avancées sont fragiles et parfois remises en cause frontalement. Patients, soignants et autorités sanitaires doivent défendre avec énergie les contrôles du marché du médicament par les autorités sanitaires, contre les appétits envahissants de ceux qui tirent tout ou partie de leurs revenus des opérations boursières.

Revue Prescrire n°384, octobre 2015

Difficultés et pistes pour un dialogue entre musulmans et non musulmans

Le 30 Déc 20

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Difficultés et pistes pour un dialogue entre musulmans et non musulmans

Les récentes attaques terroristes et les tensions qu’elles ont mises en lumière en Belgique soulignent une nouvelle fois la nécessité de renforcer la connaissance mutuelle et de favoriser le dialogue entre musulmans et non musulmans, pour réduire l’incompréhension et lutter contre le repli sur l’entre soi.Cette conviction a inspiré la Fondation Roi Baudouin, qui a fait réaliser deux études complémentaires sur cette problématique.En octobre 2014, elle publiait un état des lieux des relations entre les musulmans et les non musulmans à Bruxelles réalisé par le Centre Interdisciplinaire d’Études de l’Islam dans le Monde Contemporain (Cismoc) de l’UCL, sous la direction de Brigitte Maréchal: ‘Musulmans et non musulmans à Bruxelles, entre tensions et ajustements réciproques’.Cette étude pointait la difficile construction des relations et les malaises réciproques qui pèsent sur le vivre ensemble, perceptibles en particulier dans certains milieux: écoles, hôpitaux, lieux de travail, institutions, maisons de jeunes, tous lieux au sein desquels émergent des crispations liées à l’accroissement des références à l’islam.Document consultable à l’adresse: https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2014/313315?hq_e=el&hq_m=4042645&hq_l=9&hq_v=7467f0cdb4Plus récemment, la Fondation a publié le rapport d’une recherche-action, également réalisée par l’équipe du Cismoc, dans le prolongement de l’étude de 2014: ‘Musulmans et non musulmans en Belgique: des pratiques prometteuses favorisent le vivre ensemble’Cette recherche identifie et analyse, dans les trois régions du pays, des pratiques, des projets, des connaissances, des compétences et des attitudes qui favorisent le dialogue entre musulmans et non musulmans, dans les domaines de l’éducation, de la jeunesse, de la culture, du travail, de la santé, des médias et du dialogue interconvictionnel.Par la valorisation de ces pratiques dites ‘prometteuses’, la Fondation espère inspirer d’autres acteurs, contribuer ainsi à (re)créer un climat de confiance et à renforcer la cohésion sociale.Document consultable à l’adresse: https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2015/20151123_AD?hq_e=el&hq_m=4042645&hq_l=8&hq_v=7467f0cdb4

Les promesses de la transversalité

Le 30 Déc 20

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Ce texte est adapté de la note ‘Avis d’initiative émanant du Groupe permanent de suivi de la Convention internationale des droits de l’enfant (GP CIDE) relatif à la transversalité des politiques publiques relatives aux enfants et aux jeunes’ référencée en fin d’article.

Les promesses de la transversalité

Les bénéfices escomptés

La transversalité est devenue un mot d’ordre gorgé de promesses. L’Observatoire de l’Enfance, la Jeunesse et l’Aide à la Jeunesse (OEJAJ) n’est d’ailleurs pas en reste en la matière, lui qui, déjà en 1999, était institué pour promouvoir une meilleure articulation entre les différentes politiques sectorielles qui visent les enfants et les jeunes. L’appel à la transversalité n’a cessé, depuis, de nourrir tous les discours.

C’est que les bénéfices escomptés de la transversalité sont nombreux et intuitivement évidents… surtout par les dommages que son absence induit: manque de cohérence, perte de temps et d’énergie dus à la multiplication d’initiatives et de politiques qui s’ignorent, redondances, effets contre-productifs, voire effets pervers.

Des politiques transversales sont donc censées limiter ou écarter ces dommages: en mutualisant les énergies, en visant la cohérence, en créant des effets multiplicateurs.

En impliquant des acteurs de secteurs différents, elle est également censée favoriser l’accès de chacun-e aux informations, aux outils et à la diversité des approches des uns et des autres.

D’un point de vue politique, elle permet parfois aussi de maintenir à l’agenda des thèmes peu visibles pour l’opinion publique.

Mais la transversalité trouve surtout sa raison d’être et sa plus-value en recentrant l’attention sur le bien-être et les droits de tous les enfants et de tous les jeunes, dans leur globalité et leurs différentes facettes, comme nous y incite la Convention internationale des Droits de l’Enfant (CIDE).

Les obstacles

Si la nécessité de politiques et d’actions transversales en faveur des enfants et des jeunes fait consensus, leur mise en œuvre concrète demeure cependant périlleuse.

Les obstacles à la collaboration se situent à trois niveaux:

  • au niveau des autorités de tutelle, il est difficile de neutraliser les rapports de pouvoir existant entre les différents champs de compétences;
  • au niveau des secteurs, les opérateurs institués veillent chacun à exercer leurs missions dans leur propre champ d’action et des difficultés peuvent être rencontrées au croisement des différentes prérogatives;
  • au niveau des acteurs individuels, l’absence de culture et de références communes, de même que la méconnaissance de la réalité et des logiques d’action de l’autre, peuvent entraver la construction d’une politique transversale.

Ces constats ne sont pas insurmontables. Plusieurs exemples réussis montrent que le temps, la communication entre acteurs, l’information permettent de franchir les difficultés initiales inhérentes aux exercices de collaboration. Autrement dit, il faut pouvoir prendre en considération la culture, le vocabulaire, le contexte, les missions et les marges de manœuvre de chacun des acteurs, ce qui nécessite la mise en place de dispositifs où les différentes parties prenantes sont mises sur un pied d’égalité.

On constate également que les personnes qui ont connu un parcours professionnel transectoriel ou transdisciplinaire ont une approche positive de la transversalité et s’engagent plus facilement dans la coopération intersectorielle.

Les leviers de la transversalité

Plusieurs enseignements ont pu être tirés de ces exemples positifs et réussis: ils constituent autant de leviers pour mener des actions transversales et consolider les collaborations et les synergies entre acteurs.

On ne les reprendra pas tous ici mais on pointera plus particulièrement ceux qui concernent le plus directement les acteurs de terrain eux-mêmes:

La reconnaissance des identités propres des acteurs et de la diversité de leurs références et de leurs cultures est le terreau préalable à la construction d’une démarche transversale, les acteurs ne pouvant s’ouvrir aux autres et collaborer véritablement que si leurs qualités propres sont connues et reconnues. L’objectif est de co-construire un projet transversal tout en veillant à clarifier ensemble les missions de chacun dans son champ de compétences en lien avec celui des autres, d’articuler (distinguer et relier) les missions spécifiques et de faire émerger des points communs et des dynamiques transversales;Il est important que la participation des différents acteurs fasse sens pour chacun afin de les maintenir mobilisés. Les acteurs doivent pouvoir s’approprier la politique et les actions menées. Pour cela, la définition d’une stratégie globale claire et cohérente, de même que l’implication des décideurs politiques sont nécessaires;

La participation des bénéficiaires, à savoir les enfants et les jeunes, doit être prévue de manière à assurer la pertinence de la politique. Mais il faut des conditions particulières de temps, de formation, de langage, de clarté… pour impliquer les premiers intéressés (voir l’article ‘Qui a peur de la participation des enfants et des jeunes?’ dans ce numéro);

Les instances et les lieux de transversalité doivent être si possible pérennes et dynamiques. Pour y faciliter la participation des acteurs, il est indispensable de rendre leurs modalités organisationnelles lisibles, cohérentes, et harmonieuses. De plus, il est important de disposer d’un coordinateur clairement identifié pour piloter le processus de transversalité. Le rôle de correspondant est également essentiel pour assurer l’articulation entre l’organe transversal et les secteurs spécifiques;

La transversalité nécessite des outils appropriés. Les acteurs impliqués doivent être prêts à recourir à des méthodologies innovantes qui modifient éventuellement leurs logiques d’action. L’utilisation de référentiels communs peut être également d’une grande utilité (exemple : le référentiel de ‘soutien à la parentalité’ partagé par l’ONE, le DGDE et l’aide à la jeunesse);

Il est essentiel de promouvoir la transversalité à l’échelon opérationnel également. À ce titre, les protocoles de collaboration impliquant les acteurs de terrain constituent des initiatives à promouvoir. Ils favorisent la mise en relation des opérateurs, les incitent à prendre en considération la culture de l’autre et à formaliser concrètement les champs d’intervention de chacun (voir Collaborations et protocoles à l’adresse);

Les synergies en réseau entre secteurs sont également un vecteur de transversalité (ex.: séminaires sur la lutte contre la pauvreté mis en place par le Délégué général aux droits de l’enfant, l’ONE et la Direction générale de l’Aide à la Jeunesse; formations conjointes du personnel de l’ONE et de l’aide à la jeunesse en matière de prévention de la maltraitance).

Pour en savoir plus…

Avis d’initiative émanant du Groupe permanent de suivi de la Convention internationale des droits de l’enfant (GP CIDE) relatif à la transversalité des politiques publiques relatives aux enfants et aux jeunes.

Pour un consentement VRAIMENT éclairé des patients!

Le 30 Déc 20

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Le mercredi 14 octobre 2015 était présenté le Plan d’action e-Santé par les autorités publiques compétentes. À cette occasion, Maggie De Block, Ministre de la Santé, a rappelé que le processus de l’eSanté ne peut se développer sans l’engagement des patients.

Pour un consentement VRAIMENT éclairé des patients!

La Ligue des Usagers des Services de santé, membre actif du Comité de Concertation des Utilisateurs de la Plateforme eHealth, réaffirme son soutien et encourage la mise en place d’outils qui aideront le patient dans la prise en charge de sa santé. Elle tient aussi à attirer l’attention des autorités sur un élément clé pour la concrétisation de ce Plan, le consentement éclairé du patient. Il constitue le sésame ouvrant différents types d’échanges de données (hub-metahub, dossier pharmaceutique partagé et d’autres à venir).

Le consentement éclairé du patient est l’élément fondateur permettant l’entrée du patient dans le système. Ce geste proactif du patient doit se faire en pleine connaissance de cause, car il est un signe de la confiance du patient dans le système.

Actuellement, les patients sont trop rarement correctement informés sur la portée de leur consentement. Diverses actions de la LUSS (concertations menées avec les associations de patients, séance d’information, etc.) nous amènent à constater que lorsque le patient donne son consentement à l’hôpital ou chez le médecin, il pense donner ce consentement uniquement pour l’échange de données entre médecins et hôpitaux. Il n’a, en général, pas conscience qu’il a aussi donné son consentement au pharmacien pour ouvrir un dossier pharmaceutique partagé, ainsi que pour les échanges entre les autres prestataires de soins (dentiste, infirmier, kiné, …) qui rejoindront bientôt la liste des professionnels de la santé pouvant échanger les données de santé de leurs patients. La LUSS demande fermement, comme annoncé par les autorités, que le patient se voie confirmer son consentement par un courrier officiel.

La LUSS rappelle que le patient est la première personne concernée par l’échange de données. Elle insiste fortement sur la nécessité d’une communication correcte, complète et réaliste de la portée du consentement. Il est obligatoire que le patient sache où et par qui ses données seront partagées. Il doit pouvoir consentir ou refuser en toute connaissance de cause. Sans cela, le système perd toute notion de confiance sur lequel il doit être basé.

Pour faire du partage électronique de données de santé un outil performant, il est désormais plus que temps que tous les acteurs concernés, notamment les professionnels de santé, se saisissent de l’opportunité d’améliorer la prise en charge et le suivi des patients.

La LUSS appelle les autorités à faire vraiment du patient l’acteur concerné qu’il doit pouvoir être et à faire du Plan eSanté un système qui évolue de manière durable en veillant à combiner le respect du patient avec le souci d’efficacité. Il en va de la sécurité du patient et du respect de son rôle dans le processus!

Elle a édité à l’intention du grand public le dépliant ‘Votre santé au centre de nos préoccupations – Guide du consentement éclairé pour le partage électronique des données de santé’.

Le document existe en deux versions, renvoyant au Réseau Santé wallon (www.reseausantewallon.be) et au Réseau Santé bruxellois (www.reseausantebruxellois.be). Disponible à la LUSS, av. Sergent Vrithoff 123, 5000 Namur. Tél.: 081 74 44 28. Internet: www.luss.be. Courriel: luss@luss.be.

Regards sur les vieillissements

Le 30 Déc 20

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Regards sur les vieillissements

On vit de plus en plus longtemps, de quoi se réjouir: la plupart d’entre nous n’ont pas envie de quitter le monde trop tôt. Pourtant, ce constat suscite en général des regards plutôt lourds: d’un côté, focalisation sur les problèmes liés au vieillissement démographique (maladie, dépendance, poids des vieux sur la sécurité sociale, concurrence intergénérationnelle, etc.). De l’autre, analyse, décodage, déconstruction: sociologues, anthropologues, historiens, philosophes, experts en santé publique et bien d’autres conjuguent leurs efforts pour cerner le sujet.

Et cela n’a pas l’air facile: on est frappé de voir la part que prend, dans tout ce foisonnement, la définition même du sujet: c’est quoi un vieux, qu’est-ce que la vieillesse a de spécifique… Bref, de quoi parle-t-on?

La dernière livraison de Santé conjuguée, le périodique de la Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones, consacre un épais dossier à la problématique des vieillissements.

La vieillesse, ça n’existe pas, affirme Michael Singleton dans un texte passionnant évoqué en première partie de ce dossier: c’est un concept, qui n’a pas d’existence tangible dans la réalité. L’erreur serait d’oublier que les concepts et les classifications, certes utiles pour débroussailler quelque peu la complexité du monde, traitent d’abstractions et non de vivants: «n’existent que des vivants, les uns tout aussi irréductiblement singuliers et historiquement situés que les autres». Et ces vivants ne deviennent pas des ‘vieux’ d’un jour à l’autre: tous les bébés se réveillent un peu plus vieux chaque matin.

Il est dès lors plus juste de parler des vieillissements, en tant que processus qui se déroulent au long cours selon des manières et des temporalités infiniment variées, dans une multiplicité de positions subjectives, elles-mêmes fluctuantes et incertaines.

Mais n’avons-nous pas souvent tendance à ranger l’autre dans une catégorie à partir d’une de ses facettes (la nationalité, le sexe, la couleur de peau…)? Un tel étiquetage fait violence aux personnes ainsi désignées, surtout lorsqu’elles-mêmes y adhèrent faute de pouvoir l’analyser et y résister: ainsi, certaines études montrent que les personnes ayant une image négative du vieillissement récupèrent moins vite leur autonomie après une période de dépendance. L’épidémiologiste Antoine Flahaut en concluait, dans un précédent dossier, qu’il est urgent de bousculer les stéréotypes assassinsNote bas de page.

Subjectivités et EBM

Alain Cherbonnier ouvre ainsi le sujet: après avoir exprimé le vécu personnel d’un «membre du public cible», il analyse les représentations et le vocabulaire relatif aux «personnes âgées». Ensuite, Michael Singleton nous emmène ailleurs, à d’autres époques, avec un petit voyage qui vient bousculer toutes les évidences: pas de doute, nous n’avons pas affaire à un phénomène naturel mais bien à une construction sociale qu’il convient d’examiner avec attention – et de déconstruire minutieusement.

Les soignants de première ligne sont aux prises avec ces questions, eux qui accompagnent les patients «du berceau au tombeau». Et l’on perçoit, à travers ceux qui s’expriment dans la deuxième partie de ce dossier, l’importance de leur rôle: ils peuvent accélérer le vieillissement d’une personne s’ils adoptent un regard stéréotypé, ou au contraire soutenir son trajet de vie en le rencontrant de manière singulière. Prendre une position juste implique d’articuler sans cesse la subjectivité – la leur, celle de leurs patients – et l’Evidence Based Medicine; la pratique et la théorie; le soin et l’engagement social. Mais ils ne sont pas à l’abri des sentiments d’impuissance, de colère parfois: l’organisation du système de santé ou, plus largement, le système social dans lequel il s’inscrit, produit souvent l’impasse. C’est notamment le cas lorsque surviennent des problèmes de dépendance qui menacent la possibilité de terminer sa vie chez soi.

Les témoignages recueillis par Madeleine Litt, ainsi que ceux de Miguelle Benrubi et de Stefania Marsella, montrent bien que la question sociale traverse toujours les questions de santé. Jusqu’à la mort elle-même: plus les gens sont pauvres, plus ils risquent de mourir à l’hôpital, s’indignent Michel Roland et Marie-Louise Fisette. Jetant un regard sur leur longue carrière de médecin et d’infirmière en maison médicale, ils rappellent que seule une approche interdisciplinaire permet d’aborder à temps et de manière adéquate les différentes facettes du vieillissement.

La mort, largement occultée dans notre société, est bien présente dans les propos et les soucis éthiques des soignants: Martine Verhelst montre, grâce à une réflexion sensible menée avec des patients venus d’ailleurs, à quel point l’histoire de la mort est aussi celle du trajet de vie.

Tandis que Thierry Pepersack qui travaille, lui, en deuxième ligne puisqu’il est gérontologue, soulève la question de l’acharnement thérapeutique à travers l’histoire de Philomène: une vieille dame dont le parcours émaillé de solitude, de dépression et de maladie d’Alzheimer, permet d’aborder beaucoup d’autres questions rencontrées par les soignants.

La troisième partie de ce dossier dépasse la première ligne des soins pour approfondir certains aspects du maintien à domicile. Des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles évoquent une récente étude, réalisée dans le cadre d’un programme soutenu par l’INAMI, sur l’efficience respective de différentes modalités d’accompagnement du grand âge. Une autre équipe, pluri-institutionnelle, propose des modalités d’action communautaire propres à soutenir le maintien à domicile – en analysant dans un second temps les obstacles à ce type d’approche. Marinette Mormont, elle, décrit différentes options d’habitats alternatifs visant le «bien vieillir ensemble» – et elle questionne: pistes d’avenir ou luxe de privilégiés?

Regard panoramique pour la dernière partie de ce dossier: Pierre Drielsma propose une réflexion détaillée sur la manière dont le système capitaliste influence les relations intergénérationnelles et la perception des «vieux», Christian Legrève pointe la question du travail après la retraite, nous évoquons certaines analyses qui mettent en garde contre les fausses évidences souvent répandues en matière de coût du vieillissement.

En point d’orgue, une réflexion de l’association ‘Courants d’âge’ qui débusque avec vigilance les dessous économiques des politiques européennes prônant le vieillissement actif.

Beaucoup d’autres contributions auraient pu être sollicitées: le lecteur trouvera quelques références utiles en conclusion de ce dossier.

Santé conjuguée n° 72, dossier ‘Devenir… Regards sur les vieillissements, 10 euros. Abonnement annuel (frais de port compris): 30 euros Belgique, 40 euros CEE, 50 euros autres pays. Courriel: fmm@fmm.be. Internet: https://www.maisonmedicale.org.

Antoine Flahaut, «Élixir de jouvence», Santé conjuguée n° 65 juillet 2013.

La prévention quaternaire: primum non nocere

Le 30 Déc 20

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La prévention quaternaire: primum non nocere

La prévention est aujourd’hui au cœur de nos politiques de santé. Mais prévenir sans raison garder, c’est aussi ouvrir la voie à une anxiété sans limites, que ce soit celle des usagers ou des professionnels de la santé. En luttant contre cette hypocondrie généralisée, la prévention dite ‘quaternaire’ entend nous protéger de la surmédicalisation. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, nous ne sommes pas tous malades!

«Primum non nocere» («D’abord ne pas nuire»): voici l’un des principes essentiels dans l’exercice médical. Pourtant, aujourd’hui, sous l’effet conjoint de la financiarisation de l’industrie pharmaceutique et de politiques publiques de santé tentées par le risque zéro, de nombreux médecins se sentent entraînés malgré eux vers le surdiagnostic et, en corollaire, vers la surmédicalisation. Pour un médecin, «ne rien faire» est devenu un acte de résistance qui suppose certains risques, comme celui de voir ses patients s’en aller en quête d’un autre prescripteur ou comme de s’exposer à la ‘faute médicale’ – car il semble que l’on soit généralement plus sévère envers celui qui n’agit pas qu’envers celui qui agit, même à tort.

Ne pas prescrire lorsque ce n’est pas nécessaire, c’est pourtant protéger ses patients des effets secondaires, de la dépendance aux médicaments ou encore de frais inutiles. C’est aussi leur redonner confiance en leurs capacités d’aller bien.

Ces dérives de la pratique médicale que n’aurait pas dédaignées le Molière du «Malade imaginaire» restent pourtant peu débattues aujourd’hui. Le silence est d’autant plus pesant que les médias, sans même parler des pressions directes qu’exerce sur certains d’entre eux l’industrie pharmaceutique, se perçoivent souvent comme les relais nécessaires des politiques de prévention, mettant ici l’accent sur la journée du diabète, là sur les nouveaux chiffres de l’hypertension, ici encore sur la nécessité du vaccin contre le papillomavirus.

Avertir son prochain sur les dangers du tabac, de l’alcool et de la malbouffe – nouveaux péchés mortels – est devenu un devoir civique auquel journalistes et citoyens bien intentionnés se plient volontiers. Et pourtant, comme le très sérieux épidémiologiste anglais Richard Wilkinson, auteur de «Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous» (Les Petits Matins, 2013)Note bas de page, le rappelait récemment, si on considère l’ensemble des facteurs de risque, «ne pas avoir d’amis est plus nocif pour la santé que de fumer». Façon un peu rieuse de dire que l’importance de la composante psychosociale a souvent tendance à disparaître sous les campagnes massives de prévention qui, en compartimentant la santé en problématiques isolées, nous font oublier l’essentiel.

La prévention manquante

Marc Jamoulle, médecin de famille à Gilly depuis 40 ans, ne sait que trop à quel point il est devenu compliqué de mettre en cause les politiques de santé. Inspiré par les idées d’Ivan Illich, penseur de l’écologie politique, et du psychiatre Michael Balint, auteur du «Médecin, son malade et la maladie», il a élaboré dès 1986 le concept de ‘prévention quaternaire’ avec son ami le Dr Michel Roland. Ce concept, qui désigne l’attitude visant à protéger la population de la surmédicalisation, a ensuite été accepté par le Comité international de classification de la WONCA (Organisation mondiale des médecins généralistes) et sa définition publiée en 2003 dans le WONCA Dictionary of General/Family Practice.Pour l’élaborer, Marc Jamoulle est parti d’un schéma très simple: le ressenti du patient est placé en abscisse et la quête du médecin en ordonnée. En traçant une croix au milieu de ce carré, on obtient alors une table à double entrée et quatre situations différentes, qui construisent une typologie de leurs relations au fil du temps.

La première situation est celle du patient qui se sent bien et du médecin qui ne trouve pas de maladie. Elle correspond aux actions de prévention primaire: immunisation mais aussi éducation thérapeutique. Mais chez ces mêmes patients qui se sentent bien, le médecin peut aussi pratiquer un dépistage: il va alors, en prescrivant par exemple une mammographie, parier sur la présence d’un cancer chez sa patiente. On parlera de prévention secondaire. Le troisième cas correspond à la situation où le patient est effectivement malade et où le médecin le sait: il va alors le soigner mais aussi tenter d’éviter les complications liées à sa maladie: c’est ce qu’on appelle la prévention tertiaire.

Mais que se passe-t-il dans le carré restant? «Il recouvre ces cas très fréquents où le patient se sent mal et où le médecin ne trouve rien», explique Marc Jamoulle. «C’est à ce moment que deux anxiétés se rencontrent. Le patient a peur et se demande s’il n’a pas la même maladie que son voisin. Le médecin se demande s’il n’est pas en train de passer à côté de quelque chose de grave. C’est alors que se pose la question des examens complémentaires. Si le médecin s’y refuse, le patient cherche souvent un autre dispensateur. La rencontre de ces deux angoisses est donc en grande partie responsable d’importantes dépenses de santé inutiles».

Car c’est un fait: l’idée que nous sommes tous ‘malades’ s’est progressivement imposée. Alzheimer, cancer, dépression: les statistiques sont si alarmantes que nous ne voyons pas comment nous-mêmes y échapperions. Comme si ça ne suffisait pas, Internet a engendré une population non négligeable de ‘cybercondriaques’ qui écument les forums en envisageant le pire…

Par leurs études et leur formation, les médecins sont de leur côté éduqués à chercher et à trouver la maladie. Ils forment donc avec les patients d’aujourd’hui un duo détonant face auquel la prévention quaternaire apporte une réponse raisonnable.

La souffrance n’est pas la maladie

Les malades imaginaires ou ‘worried well’ comme disent les Anglo-saxons ne sont bien sûr pas d’affreux menteurs mais souvent de grands anxieux en quête de diagnostic. «Une femme vient me voir en me disant qu’elle est dépressive. Si j’en reste là, il y a beaucoup de chances qu’elle ressorte dix minutes plus tard avec sa prescription d’antidépresseurs. Mais si je parle avec elle et que j’ouvre la boîte de la parole, elle me dira ce qui ne va pas… C’est pourquoi j’ai toujours une boîte de Kleenex sur mon bureau! J’ai récemment eu une patiente dans ce cas: après deux grossesses, elle était visiblement en deuil de son ancien corps. Or un deuil n’est pas une maladie», explique le Dr Jamoulle. Certes, il est le premier à le rappeler: les médecins ne sont pas des psys. Mais ils ne sont pas non plus de simples prescripteurs. «On peut reconnaître la souffrance sans reconnaître la maladie. Or, aujourd’hui, à l’heure où les prêtres disparaissent, nous, les médecins, sommes les seuls payés pour entendre la plainte. Il est certain que nous ne devons pas passer à côté d’une situation dramatique mais nous devons aussi pouvoir dire à nos patients: vous êtes bien portant mais triste ou en deuil et je vous refuse d’être malade», explique-t-il.

Cette tentation de médicaliser toute souffrance est aussi révélatrice de la frontière que nos sociétés s’évertuent à tracer entre les maux de l’âme et ceux du corps, ces derniers apparaissant souvent comme moins honteux. Tous les spécialistes de la douleur chronique, pourtant, vous le diront: ce n’est pas parce que la souffrance physique est réelle qu’elle n’est pas étroitement en lien avec la souffrance psychique. «Notre formation nous pousse à être dualistes mais il faut résister à cela. Quatre patientes sont récemment venues me voir avec un diagnostic de fibromyalgie. Mais il se trouve que trois d’entre elles sont des femmes battues… Quant à la dernière, il semblerait qu’elle soit en réalité atteinte d’une grave maladie rhumatismale qui n’avait pas été diagnostiquée», poursuit le Dr Jamoulle. Par ailleurs, pour ce médecin de famille, l’élaboration de certaines catégories diagnostiques telle la fibromyalgie relève surtout d’un mélange d’ignorance, d’incompétence et de culpabilité de la part des médecins. «C’est impensable aujourd’hui de dire à une patiente: vous souffrez énormément mais nous ne savons pas ce que vous avez.»

De la Belgique à l’Amérique du Sud

Reconnue au niveau international, la prévention quaternaire n’en reste pas moins marginale dans la formation académique des médecins. Mais à l’heure où les scandales liés à l’industrie pharmaceutique ont ébranlé la confiance, les jeunes professionnels sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser, désireux de revenir vers une médecine davantage centrée sur le patient.La médecine basée sur les preuves, communément appelée ‘Evidence Based Medicine’(EBM), est bien sûr la première voie pour éviter la surmédicalisation: parce qu’elle permet d’évaluer les bénéfices ou dommages à partir d’études cliniques, elle autorise un dialogue argumenté et fructueux avec le patient.

Reste à prendre en compte son histoire personnelle, contrepoint nécessaire aux recommandations à large échelle. Cette approche appelée ‘Narrative based Medicine’ permet non seulement de tenir compte des antécédents familiaux et personnels de chacun mais aussi de mettre à profit le lien de confiance entre le patient et le médecin. «Nous, médecins généralistes, travaillons dans le temps, ce qui veut dire que l’acte thérapeutique que nous posons aujourd’hui devient une prévention pour demain. C’est une dynamique où la prévention n’est pas à part», explique encore le Dr Jamoulle.Étonnamment, c’est aujourd’hui en Amérique du Sud que le concept élaboré par ce médecin belge semble avoir trouvé le plus d’échos. Des groupes ‘P4’ s’y sont ainsi développés un peu partout et, en mars dernier, un groupe d’intérêt Prévention Quaternaire a été fondé au sein même du Wonca CIMF, la branche ibéro-américaine de l’Organisation mondiale des médecins généralistes.

Et l’Asie commence aussi s’intéresser à cette ‘attitude quaternaire’. Car au-delà de l’argument éthique, la prévention de la surmédicalisation apparaît comme une piste pour sauver nos systèmes de santé du naufrage. Plus riches et moins malades? À cette perspective, on se sent déjà mieux…

Voir l’article ‘L’égalité est meilleure pour tous’, Hervé Avalosse, Éducation Santé n° 307, janvier 2015.