Janvier 2006 Par C. DUVIVIER Initiatives

Contexte

Même si les jeunes semblent de mieux en mieux informés sur les modes de transmission du VIH, bon nombre d’observations suggèrent qu’ils ne se protègent pas toujours lors des relations sexuelles. Depuis quelques temps nous assistons à des signes d’une baisse de la vigilance: une augmentation de l’infection au VIH et de certaines maladies sexuellement transmissibles comme la syphilis et une baisse des pratiques sexuelles sécurisées.
Une enquête réalisée en Communauté française par l’ULB-PROMES (1) démontre que la connaissance des jeunes (scolarisés ou en décrochage scolaire) en matière de protection VIH-sida est loin d’être suffisante.
De nombreuses fausses croyances subsistent. Ainsi 12 % des élèves de 15 à 18 ans pensent que l’on peut encore être infecté par un don de sang en Belgique et 21,5 % ne se prononcent pas à ce sujet. 21,6 % des élèves croient que l’on peut être contaminé par une piqûre de moustique tandis que 21,7 % considèrent que faire l’amour sans préservatif avec une personne qui «a l’air en bonne santé» ne comporte aucun risque.
Face à ces idées fausses et au manque d’information, face à la recrudescence des cas de syphilis et de gonorrhée chez les hommes, de chlamydia chez les femmes, d’infection au VIH, il convient plus que jamais de rester vigilants et de maintenir l’attention des jeunes à travers des campagnes de prévention qui leur sont spécifiquement adressées.
Chaque année, à l’occasion des vacances d’été, un moment propice aux rencontres, la Plate-forme prévention sida lance une campagne de prévention à destination des 15-20 ans.

Objectifs et public cible

La campagne de l’été 2005 est un programme destiné aux jeunes afin de les informer et de les sensibiliser aux risques de transmission du sida mais aussi des autres maladies sexuellement transmissibles (MST) et de rappeler l’importance de l’utilisation du préservatif. Elle a aussi pour objectif de contribuer à faire tomber les tabous qui entourent le sida et à aborder les blocages qui entourent l’utilisation du préservatif.
La campagne vise trois publics: les jeunes hétérosexuels belges ou d’origine étrangère et les jeunes homosexuels.

Méthodologie: concertation et processus participatif

La Plate-forme prévention sida a pour objectif de mettre en place un processus de concertation avec les acteurs particulièrement sensibles à la prévention du sida. Ensemble, ils travaillent à la réflexion, la conception et la mise en place d’outils et de campagnes de prévention du sida et des maladies sexuellement transmissibles à l’attention du grand public.
Pour la réalisation de sa dernière campagne, la Plate-Forme a travaillé en étroite collaboration avec une série de partenaires professionnels, composés de spécialistes de la prévention et de représentants d’associations de prévention pour personnes migrantes, homosexuelles ou usagers de drogues. Le groupe de travail s’est réuni à chaque étape de l’élaboration de la campagne.
Par ailleurs, cette campagne a la particularité d’avoir été construite en étroite collaboration avec un groupe de jeunes représentant le public cible.
Dès la phase initiale de la campagne, un groupe de jeunes âgés de 15 à 20 ans, d’origines et de cultures différentes s’est réuni de manière régulière afin de réfléchir et de partager leurs avis sur une campagne de prévention adaptée tant dans sa forme que dans son contenu à leur réalité et aux difficultés qu’ils rencontrent.
Chaque étape du projet a fait l’objet de discussions et d’une réflexion avec les jeunes.
Le travail de réflexion a été engagé début 2004. Il y a eu d’abord un travail d’évaluation sur base d’un outil déjà existant, «Le Petit Livre Rose», afin d’en extraire les informations que les jeunes souhaiteraient recevoir dans le cadre d’un nouvel outil plus concis. Lors de ce premier focus, certains éléments importants concernant le contenu ont pu être dégagés tels que des informations sur les modes de transmission, le dépistage, les autres maladies sexuellement transmissibles…
La difficulté d’aborder la question du préservatif dans une nouvelle relation a aussi été mise en évidence par les jeunes lors de cette première discussion.
Le deuxième focus avait pour but de définir et de préciser avec le groupe, la forme, le visuel, le graphisme et le ton qui parlent le plus aux jeunes. Cette animation a dès lors consisté à soumettre une série d’outils de prévention au groupe afin de recueillir ses réactions et ensuite de faire réfléchir les jeunes sur les raisons de leur attirance pour l’un ou pour l’autre des documents présentés.
Les jeunes ont mis en avant l’importance du format et l’aspect pratique du document qui, à leurs yeux, doit rester facilement transportable. Ils soulignent aussi l’importance de pouvoir s’identifier. Ils souhaitent avant tout des messages adaptés à leur langage et dans lesquels ils se retrouvent. Ils recommandent donc un style direct en utilisant l’emploi du «tu». L’objet ou le document doit avoir une certaine «valeur» à leurs yeux pour éviter qu’ils ne le lisent pas et le jettent directement.
Lors du troisième focus groupe, nous avons approfondi un des éléments qui était ressorti lors du premier focus et qu’il nous semblait essentiel de développer avec les jeunes. Nous avons donc tenté d’identifier les problèmes de communication et les freins par rapport à l’utilisation du préservatif.
Les participants ont marqué leur souhait d’aborder ce sujet assez personnel et intime sous la forme d’une discussion ouverte durant laquelle ils se sont exprimés sur leur vécu et, pour certains, sur leurs réticences à utiliser le préservatif.
Il est ressorti de cet échange que si les jeunes ont une certaine conscience de l’importance de se protéger, aborder la question du préservatif avec son/sa partenaire reste souvent problématique. Alors que le préservatif devrait être considéré comme une marque de respect de soi et de l’autre, celui-ci est encore souvent considéré comme un objet «étranger» qui amène la suspicion dans la relation. En effet, une des difficultés d’aborder la question du préservatif est souvent liée au fait que les jeunes ont peur que cela soit interprété de manière erronée par le/la partenaire:
«Si elle me demande de mettre un préservatif, c’est qu’elle n’est pas clean ou qu’elle n’a pas confiance.»
«Si je lui propose le préservatif, il/elle va trouver ça louche et va peut-être croire que je suis malade.»

Ils signalent aussi que la notion de confiance peut leur faire «baisser la garde» parce qu’on pense connaître l’autre, parce qu’on connaît son entourage ou encore parce qu’on se fie uniquement à son apparence extérieure:
«Si la fille est jolie, se sape bien, si elle est propre sur elle, j’ai tendance à ne pas me protéger.»
«Il y a une relation de confiance qui n’est pas la bonne. La notion de confiance est liée à l’image de la personne. Si c’est une bcbg de Uccle, je me méfie moins.»

Les jeunes demandent qu’on leur rappelle que la confiance n’est pas un moyen de protection en soi et que seul le préservatif protège du sida et des MST.
D’autres freins ont été évoqués et développés par les participants:
«L’impression que le sida ne les concerne pas directement et que c’est seulement en Afrique que cela se passe.»
«Le sentiment que les malades du sida n’existent pas puisqu’on ne les voit jamais.»
«Le fait que dans la tête de certains jeunes, le sida aujourd’hui se guérit.»
«Le fait que le préservatif est un «tue l’amour» et qu’il empêche le plaisir.»
«La représentation de la fille qui a une capote sur elle et qui est dès lors considérée comme une ‘salope’.»

Autant de freins à l’utilisation du préservatif qui ont été mis sur la table avec beaucoup de franchise et d’honnêteté par les jeunes participants.
Au fil des discussions et animations, le contenu, les messages et la forme de la campagne ont pu ainsi se développer en concertation avec le groupe de jeunes, les associations partenaires et la Plate-Forme prévention sida.
Il est également important de souligner que l’agence de communication Euro RSCG a participé depuis le début à ces échanges et a pu ainsi alimenter la réflexion et les débats.
Différents projets et maquettes réalisés par Euro RSCG ont ensuite été soumis à la critique du groupe porteur. Une série de prétests avec le projet retenu a ensuite été organisée auprès de différents groupes de jeunes dans différentes villes de la Communauté française.

Le résultat: les axes de la campagne

Il y en six axes:
– la diffusion en Communauté française de 330.000 pochettes ‘In ze pocket’ , existant en cinq couleurs différentes et contenant un préservatif et des informations sur la prévention du sida et des maladies sexuellement transmissibles. Une de ces 5 pochettes propose un contenu un peu différent en terme d’informations puisqu’elle aborde plus spécifiquement les freins, les blocages ou certains préjugés liés à l’utilisation du préservatif;
– la diffusion de trois spots TV/radio sur les chaînes de la Communauté française et certaines chaînes locales (Télé Bruxelles) visant à rappeler l’importance de l’utilisation du préservatif lors des relations sexuelles, que l’on soit hétérosexuel, homosexuel, belge ou d’origine étrangère. Ces spots font également la promotion des pochettes que l’on peut commander via le 0800 20 000 ou via http://www.preventionsida.org ;
– la diffusion d’affiches reprenant les visuels et slogan de la campagne;
– des annonces dans certains magazines et des cartes postales Boomerang en Communauté française et à la côte belge;
– grâce au réseau de distribution Olympus, affiches dans les salles des sports en Communauté française;
– des animations lors de divers festivals de musiques.

Conclusion

La méthodologie basée sur un processus participatif qui a été appliquée tout au long de la construction du projet a permis de se rapprocher des attentes et des questions que les jeunes se posent. Ce processus a fait l’unanimité tant auprès des jeunes qui ont participé à la campagne, qu’auprès des associations du secteur de la prévention sida et de l’agence de communication Euro RSCG.
L’implication des jeunes dans le cadre de cette action constitue un travail de prévention en soi (prévention par les pairs). Lors de l’évaluation du processus de travail déjà entamé en 2004, les jeunes ont signalé que la participation à l’élaboration de la campagne a modifié leur vision de la maladie et a accru leur vigilance quant à l’importance de se protéger.
Ils ont aussi manifesté leur souhait d’approfondir et de poursuivre la réflexion sur les messages à développer par la suite.
Le travail et la réflexion engagés en 2004 et qui se sont poursuivis cette année avec les deux groupes de jeunes, est le point de départ d’une nouvelle campagne prévue pour 2006. Celle-ci se concentrera plus spécifiquement sur la question des «freins» et développera, entre autre, des messages pour faciliter le dialogue autour de la question du préservatif. Nous y reviendrons.
Cécile Duvivier , responsable de projet à la Plate-Forme prévention sida
Adresse de l’auteur: Plate-Forme prévention sida, av. E. De Béco 67, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 733 72 99. Courriel: preventionsida@skynet.be. Internet: http://www.preventionsida.org
(1) Université Libre de Bruxelles/ Ecole de Santé Publique/Unité de Promotion Education Santé (ULB-PROMES) « La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire » Décembre 2003