Pour renforcer la santé sociale des personnes âgées, l’asbl Bras dessus Bras dessous, a initié la création de binômes de voisins solidaires. Le concept du duo voisineur/voisiné essaime désormais en Belgique francophone et s’inscrit dans un projet plus vaste de littératie organisationnelle en santé.
« Dans notre jargon, on dit qu’ils ont été matchés », explique Adrien Quittre, chargé de projet chez Bras dessus Bras dessous (BdBd). La mission de l’asbl, qui va fêter ses dix ans d’existence en décembre, est d’améliorer l’accès aux soins et à l’aide en tout genre pour des personnes âgées isolées en leur permettant de voisiner avec des bénévoles de leur quartier.
Le concept de voisineur-voisiné est né à Forest en 2015. Céline Rémy, qui a travaillé dans l’humanitaire et le monde hospitalier, constatait que certains aînés de son quartier paraissaient isolés. Ils avaient bien le passage d’une infirmière ou d’une aide à domicile, mais ils regrettaient que ces liens essentiels soient entravés par le fait que les interventions étaient minutées. Elle-même a alors commencé à rendre visite à quelques personnes dans son quartier, jusqu’au jour où a émergé l’idée de voisiner de manière structurée en mobilisant des bénévoles, et en pérennisant des duos pour agir sur ce déterminant de la santé qu’est la santé sociale.
Chaque chargé de projet ou responsable d’antenne rencontre d’abord individuellement le voisineur et le voisiné puis, sur base de leurs affinités (échec, cuisine, tricot, théâtre…) et de leur proximité géographique. Il les invite à faire connaissance le dans le cadre d’une activité collective avant de proposer un duo. « Si ça « matche » un duo est né. De temps à autre, la sauce ne prend pas, alors on ne pousse pas plus » précise Adrien Quittre.
Formations et intervisions pour ajuster sa posture
Les voisineurs participent à une première séance d’information donnée en ligne (afin de toucher Bruxelles et la Wallonie et par facilité pour les déplacements), puis ils ont accès à des formations données notamment par Samen Toujours, une plateforme fédérant des asbl actives dans la lutte contre l’isolement social. Une fois le duo lancé, BdBd organise des intervisions régulières réunissant les bénévoles et le.la chargé.e de projet responsable d’antenne pour transmettre des éléments de formation, d’information et de sensibilisation.
« Dans son accompagnement, BdBd veille à prévenir les situations conflictuelles ou les postures inadéquates du type “triangle de Karpman” (sauveur, persécuteur, victime). Les voisineurs rendent généralement compte de chaque rencontre par mail ou sms. Nous avons aussi un entretien annuel entre le chargé de projet et le duo pour évaluer la situation et décider de sa continuité » précise-t-il.
Réinvestir le domicile comme lieu de sociabilités
Les activités peuvent se dérouler dans le quartier, ce qui améliore l’environnement immédiat, et le domicile de l’aîné est aussi réinvesti comme lieu de sociabilités, pour qu’il soit davantage qu’un lieu d’intervention de soins. Parmi les personnes âgées voisinées, Paula, 94 ans aujourd’hui, a découvert les activités de l’association BdBd, en 2017. Avant cette date, elle fonctionnait en silo : consultait parfois son médecin, son kiné et faisait quelques achats à l’extérieur à proximité de chez elle. Aujourd’hui, Paula forme un duo avec une voisineuse régulière, et un voisineur ponctuel, elle se rend au centre culturel pour faire du yoga assis, elle bénéficie d’aide et de soins à domicile et est en lien avec l’assistante sociale de l’hôpital.
Actuellement 450 personnes âgées voisinent avec 350 voisineur.euses dans toute la Belgique francophone. Des citoyens se sont manifestés à Uccle, Nivelles, Rixensart et Ottignies-Louvain-la Neuve, ce qui a permis de lancer des antennes. A Watermael-Boitsfort, une maison médicale a mobilisé son réseau, la commune et des partenaires pour contacter des aîné.es et des bénévoles potentiel.les. À Anderlecht et St-Gilles, les pouvoirs communaux ont lancé des antennes. Tandis qu’à La Louvière, l’initiative est portée par Partenamut qui soutient toutes les autres antennes.
« Pour implanter une antenne, il est important que quatre conditions soient réunies, explique Adrien Quittre, chargé de projet chez BdBd. L’énergie et l’autonomie du·de la porteur·euse de projet, les partenariats opérationnels concrets ou en devenir (par exemple avec une Maison médicale, un CPAS, un Centre de jour, etc.), des valeurs partagées et le financement ».
En février 2024, BdBd a été agréé par la Cocof dans le cadre du plan de promotion de la santé. Parmi les acteurs agréés en 2023, aucun projet ne répondait aux besoins spécifiques des personnes âgées ce qui avait nécessité le lancement d’un appel à projet spécifique (lire notre article Bruxelles : décryptage du Plan de promotion de la santé 2023-2028). En Région wallonne, BdBd n’est pas financé par l’AVIQ, mais va tout de même déployer de nouvelles antennes dans le BW et le Hainaut.
Un premier projet en littératie
Entre 2022 et 2024, BdBd a participé au projet en littératie en santé organisationnelle financé par le Fonds Daniël de Coninck, hébergé par la Fondation Roi Baudouin (lire notre article Littératie en santé : quand les organisations veulent faire la différence).
L’objectif de cette initiative baptisée “j’ai toutes les clés en main” était double. D’une part : former l’équipe de BdBd, tant les professionnel.les que les bénévoles, et l’organiser pour mieux prendre en compte les besoins sociaux et de santé des personnes âgées isolées socialement. D’autre part, de proposer au public-cible un outil qui leur permette de reprendre leur santé en main.
Le projet a permis de renforcer les pratiques et de confirmer la centralité de la personne âgée dans l’intervention. L’implication des aîné·es s’est concrétisée à plusieurs niveaux avec la co-création d’un outil spécifique répondant à leurs besoins en santé, ainsi qu’à leurs capacités visuelles et motrices : le Papillon.
Ce mémo se présente sous la forme d’un grand flyer A3 plié en trois pans. La personne âgée peut recenser les noms et les contacts de son équipe soignante, des personnes de confiance et des professionnels qui contribuent à son bien-être (coiffeur, masseur, manucure…), la liste de ses médicaments, les horaires de sa pharmacie, voire ses habitudes alimentaires. Le mémo peut ensuite simplement être aimanté sur le frigo, ou rester à la vue, pour que la personne l’ait facilement sous la main.
Son but est de permettre à chaque aîné.e de repenser voire penser sa santé et ses liens sociaux.« Concrètement, le Papillon, c’est un bout de papier, que le senior va pouvoir compléter avec de l’aide et qui pourra être actualisé en cas de besoin, résume Adrien Quittre. Il incite la personne âgée à identifier les personnes ressources qui gravitent autour d’elle. Cet effort leur permet de se rendre compte de tout ce qui les entoure, mais aussi des lacunes et des impensés en cas d’urgence ».
Qui je préviens en cas de problème ? Qui est informé de ma situation administrative et peut devenir une personne de confiance ? Quels dispositifs je mobilise pour me déplacer, pour me nourrir ou continuer à avoir une vie sociale ? Est-ce que j’ai anticipé ma fin de vie (depuis le testament jusqu’à ma position sur l’acharnement thérapeutique ou le déroulement des mes obsèques) ?
Pour les professionnels et les aidants proches, le Papillon est une source d’information et permet d’identifier un besoin ou le non-recours aux droits.
Un outil co-créé avec des seniors
Des aîné.es ont été impliqué.es tout au long du processus de création de l’outil. Dans chaque antenne, les coordinateur-rices ont sollicité des volontaires, ce qui a permis de créer trois focus groups de 8 personnes à Anderlecht, Forest et Ottignies. 95% étaient des femmes entre 65 à 95 ans. Une proportion qui correspond presque au public bénéficiaire de BdBd, car 83% des voisinées sont des femmes. « Cette prédominance s’explique, selon Adrien Quittre, à la fois pour une raison démographique – les femmes vivent plus longtemps, et sociologique : une femme a plus de facilité pour dire qu’elle a besoin d’un coup de main ».
La plus grosse difficulté était de rassembler ces personnes qui sont parfois peu mobiles. BdBd a donc loué des voitures et organisé des tournées pour aller chercher chaque personne. Ces moments de partage avant de rejoindre le groupe de discussion leur ont permis de tisser des liens privilégiés.
La première phase a consisté à interroger les groupes sur leur vécu. Plusieurs ont exprimé le sentiment d’être perdu, leur isolement, les incompréhensions quand ils ont un problème de santé, le racisme parfois, les difficultés quand arrive le moment de choisir une maison de repos, le suicide…
Puis, les groupes ont réfléchi aux leviers qu’ils pouvaient créer, ce qui a permis de créer un débat autour du Papillon. « Les participant.es se sont réellement emparé.es de leur rôle dans le collectif, explique le chargé de projet. Il y a eu beaucoup d’échanges et de discussions sur les leviers, les (pistes de) solutions, des services ou des outils concrets à mettre en place. Il y a aussi eu des échanges entre ces groupes qui réagissaient aux conclusions des uns et des autres. Puis nous avons mené des entretiens individuels ou en petits groupes pour tester l’outil avec des aîné.es voisiné.es et voir comment ils et elles s’emparaient de l’outil ».
Au total une cinquantaine de personnes âgées ont participé au projet. Des voisineur.euses aussi ont aussi été consulté.s, parmi lesquels, une ancienne infirmière, un enseignant pensionné, un ancien aidant proche, ainsi que des professionnel.les de maison médicale.
Les ateliers ont permis d’identifier qu’elle serait la plus grande réticence vis à vis du Papillon. Il s’agit du temps nécessaire pour rassembler toutes les informations parfois éparses, et de rester synthétique. Cela prend en effet une bonne heure pour compléter le Papillon.
Les voisineur.euses ont été formés et pour guider le processus, les participant.es ont eu l’idée de créer un manuel avec deux personnages fictifs Georges et Leïla – et une narration sur le modèle des romans dont vous êtes le héros. Des ateliers collectifs ont lieu pour découvrir et compléter l’outil, des rencontres individuelles et à domicile quand la personne en fait la demande ou quand l’équipe BdBd identifie une demande.
Capitaliser sur l’expérience et diffuser l’outil
Bien qu’il ait été construit spécifiquement par et pour les personnes âgées, l’outil pourrait être utilisable par d’autres publics : les jeunes qui quittent le cocon familial ou des personnes migrantes qui arrivent en Belgique. BdBd a pris des contacts pour le diffuser de manière plus large.
Après le projet Papillon, des participant.es continuent de voler de leurs propres ailes. Certains ont rejoint des activités hébergées ou non par BdBd, comme radio Mouette, dont les émissions sont dédiées aux plus de 70 ans vivant seul chez eux ou en home, ou encore un groupe de travail sur les données de santé expliquées par des seniors, pour les seniors.
- Le site de l’asbl Bras dessus, Bras dessous
- L’outil Papillon est téléchargeable en 7 langues gratuitement.
- La Gazette dont vous êtes le héros est disponible sur demande
- La vidéo éditée par le Fonds Dr Daniël De Coninck – la littératie en santé organisationnelle – Bras dessus dessous