Articles de la catégorie : Réflexions

Démarches communautaires : l’introspection dégage de nouvelles perspectives

Le 1 Oct 23

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Après deux ans de concertation, les acteurs bruxellois qui mettent en œuvre des démarches communautaires en santé publient une synthèse de leurs échanges. Une étape-clé pour mettre à plat les concepts et les repères méthodologiques de cette approche riche et diversifiée de promotion de la santé avant la création d’un Service Support dédié en 2024 

Pendant deux ans, 37 collectifs et institutions du territoire de Bruxelles-Capitale se sont interrogés sur leurs modes d’action auprès de la population en général, et des populations défavorisées et marginalisées en particulier. L’objectif : renforcer la participation citoyenne et plaider pour une vision ascendante de la santé publique via les démarches communautaires.

group of people discussing with constructive chat bubbles

En effet, les plus précaires ont été fortement impactés par la crise sanitaire, leur vulnérabilité sociale, sanitaire et économique ainsi que la mise en place de mesures univoques et peu adaptées à leurs conditions de vie en a accru les effets directs et indirects.

Cette concertation impulsée par un collectif d’associations membres de la Fédération Bruxelloise de Promotion de la Santé (FBPS) et ouverte à tous les acteurs du territoire, a permis de faire le point sur la richesse des projets et la diversité des interventions.

Un travail en plusieurs étapes

Quatre journées de concertation ont rythmé la première année, en parallèle d’une collecte de données sur les pratiques des démarches communautaires à l’appel de la FBPS et de la réalisation d’un cadastre de l’existant. Une première synthèse des échanges, présentée au parlement bruxellois, a permis aux élus de se familiariser avec les projets menés sur le territoire, leurs besoins et les spécificités des populations accompagnées.

Au cours de la seconde année, les participant.e.s ont formalisé le commun partagé par les institutions impliquées dans des démarches communautaires en promotion de la santé. Ces échanges ont permis de mettre en lumière et de revendiquer les spécificités propres à une stratégie qui s’adapte au plus près des contextes, des parties prenantes, des sujets. Au terme de cette concertation, les parties prenantes ont édité un rapport synthétique de leurs travaux. Il reprend la cartographie des institutions et des collectifs mettant en œuvre ce type de démarches en région bruxelloise, et présente les caractéristiques méthodologiques d’une démarche communautaire en santé.

Une démarche réflexive

Parmi ses fondamentaux figure l’aspect “multi-acteur·rice·s”. Une démarche communautaire inclut différentes parties prenantes et vise à intégrer la communauté ciblée à toutes les étapes de la démarche – et non à des étapes exclusives et prédéterminées. C’est aussi une démarche réflexive qui exige constamment de se questionner sur les termes et les catégories utilisés, d’évaluer en permanence les objectifs initiaux, et le processus mis en place pour atteindre les objectifs. Elle nécessite du temps et des outils pour analyser ses pratiques, les déconstruire et les reconstruire.  

Lors d’une séance autour de la posture professionnelle en démarches communautaires, les participant.es ont ainsi identifié que les représentations autour des Habitant·e·s Usager·e·s Citoyen·ne·s sont centrales. Ceux-ci sont perçus non pas comme de simples usager.es à aider mais comme des acteurs.trices et partenaires centraux de la démarche et des personnes pleines de ressources à valoriser. 

Conséquence des deux caractéristiques précédentes, la démarche communautaire en santé nécessite de l’investissement en moyens et en temps. Elle n’est ni une économie de moyens, ni une simple juxtaposition de missions. La diversité des acteur·rice·s, les nécessités d’égalisation des savoirs et des pouvoirs qui articulent des cultures de groupes sociaux différents, exigent des compétences spécifiques et du temps. 

Le rapport identifie les besoins et les freins. D’abord en termes de financements. La démarche rigoureuse et exigeante requiert des financements structurels pour alimenter le processus de conception, d’appropriation et d’évaluation. D’ailleurs, l’évaluation d’une démarche communautaire aussi a des besoins propres, elle ne correspond pas aux évaluations classiques en termes d’activités. Les actions devraient être évaluées en cohérence avec l’ensemble de la démarche communautaire. Enfin, l’implication des membres des différentes parties prenantes dans l’ensemble de la démarche, s’appuie sur la construction d’un lien de confiance entre les travailleur·euse·s communautaires et les membres de la communauté. 

Une grille pour soutenir la méthode

Les parties prenantes ont édité une grille d’analyse de pratiques, questionnée au sein d’un panel de membres de la concertation qui l’ont testée au sein de leur équipe. Pour certain·e·s participant·e·s, la grille rend compte de la diversité des méthodologies. Elle donne également des balises claires à l’action afin d’évaluer la mise en oeuvre au fur et à mesure du déroulement des actions en termes de projet, et en termes de processus. Elle forme un bon outil d’auto-évaluation pour les équipes. Elle peut servir d’outil pédagogique : à destination des travailleur·euse·s, les membres de la communauté en action, etc. Toutefois, pour certain·e·s membres de la concertation, elle reste encore trop rigide, relève les aut.eur.rice.s de la synthèse.   

Le rapport conclut sur les perspectives dans le développement de ces démarches en prenant la forme d’un plaidoyer. Elle réaffirme l’importance de l’intégration des démarches communautaires en santé dans la santé publique et dans toutes les politiques. En effet, suite à la mise en place du Plan Promotion de la Santé (PPS) et du Plan Social Santé Intégré (PSSI), et compte tenu des multiples initiatives locales en faveur de la santé des citoyen·ne·s (Relais d’Action de Quartier, Contrat Local Social Santé…) qui ont émergé à différents niveaux, il est nécessaire, selon les participants, d’assurer une plus grande cohérence des politiques et programmes soutenant les démarches communautaires en santé et de les rattacher à des principes de promotion de la santé.  

Un appel à candidature pour désigner un service support en démarche communautaire est en cours au niveau de la COCOF. Ce service permettra de pérenniser cette démarche collective en créant un lieu de rencontre, de documentation et de formation. Un engagement qui se concrétisera début 2024.

Pour recevoir des exemplaires papier de la synthèse, si vous avez des questions, des suggestions à transmettre à la FBPS, contactez : fbpsante@gmail.com 

Retrouvez sur le site internet www.fbpsante.brussels la synthèse et le référentiel complet en pdf, ainsi que les différentes ressources et informations relatives aux démarches communautaires en santé et à la concertation. N’hésitez pas à vous inscrire à la newsletter de la fédération sur la page d’accueil du site.

La démarche communautaire est la mise en œuvre de la mobilisation communautaire en santé, l’une des stratégies de la promotion de la santé définie par l’Organisation mondiale de la santé (1986). La diversité des formes qu’elle peut prendre explique que l’on parle en 2023 deS démarcheS communautaireS. Celles-ci ont pour objectif l’acquisition de capacités, par les individus et les communautés, leur permettant d’agir sur leur environnement et leur santé afin d’améliorer leurs conditions de vies et in fine réduire les inégalités sociales de santé. Le processus d’acquisition de capacités ainsi que son résultat est nommé empowerment ou pouvoir d’agir.

Drogues : les femmes sortent de l’ombre

Le 3 Oct 23

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Dans un rapport publié en mai dernier, la féda bxl publie ses recommandations pour adapter l’offre de services faites aux femmes* et améliorer les politiques en matière d’assuétudes. 

Sur le terrain, les situations cliniques qu’endurent certaines femmes et minorités de genre usagères de drogues sont complexes. En plus de la consommation de produits psychoactifs, ces femmes* sont nombreuses à vivre des situations de violences conjugales ou sexuelles, de migration ou encore de travail du sexe ou de prostitution. 

a sad afraid woman hiding in a dark closet alone at home.

Dans un rapport publié en mai dernier, la fédération bruxelloise des institutions spécialisées en matière de drogues et addictions (« féda bxl », anciennement FEDITO) met en lumière des constats de terrain dressés par le GT Femmes*, genre et assuétudes. Ce groupe de travail s’est mobilisé en novembre 2020 à la suite d’un webinaire d’échange de pratiques. Il est composé de 16 associations et bénéficie de l’appui scientifique de chercheuses de l’ULB (Département de médecine générale, Faculté de médecine) et de l’UCLouvain (Institut de recherche santé et société). 

Dans l’appellation de ce GT, le mot femme* comporte un astérisque pour désigner la volonté de marquer l’inclusivité concernant toutes les personnes qui s’identifient en tant que femme, et la notion de genre désigne les rapports de pouvoir à l’origine d’inégalités et de problématiques spécifiques qui concernent les femmes* et plus largement les minorités sexuelles et de genre. 

Après trois ans de mobilisation, les auteurs et autrices du rapport dressent un constat inquiétant. Les femmes* restent invisibles ou se tiennent à l’écart des centres de ressources et de soutien. Si les femmes constituent un quart de la population consommatrice de drogues en Europe, elles représentent seulement un cinquième des files actives dans les services de traitement, selon les statistiques de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies publiées en 2017 (OEDT). Par ailleurs, des enquêtes de prévalence réalisées dans de nombreux pays ont révélé une diminution de l’écart statistique entre les femmes et les hommes dans l’usage de drogues.

Un éloignement bien ancré

Bien que les structures spécialisées en assuétudes soient en principe accessibles à tous·tes et reposent sur l’inconditionnalité de l’accès, les travailleur·euse·s de terrain observent une fréquentation majoritairement masculine et un moindre recours de la part des femmes*. Cette sous-représentation au niveau des institutions serait liée à de multiples obstacles, que le développement de dispositifs dédiés aux femmes* dans le cadre du GT Femmes*, genre et assuétudes, a permis d’identifier.  

Les travailleur·euse·s sociaux ont récolté des témoignages et mis en lumière une peur d’être victimes de stigmatisation ou de répression. En effet, les femmes* (ex-)usagères de drogues ont tendance à dissimuler leurs usages car elles font l’objet de représentations sociales stigmatisantes et se confrontent à des politiques répressives, centrées sur la grossesse et la maternité, le travail du sexe/ la prostitution.  

Les consommatrices évoquent ainsi une crainte – pour les mères – de voir leurs enfants placés par le·la juge. Elles mentionnent également des freins plus directement liés aux dynamiques de genre telle que la peur de rencontrer des agresseurs ou des clients (dans le cas du travail du sexe/ de la prostitution), des phénomènes d’emprise d’origine diverse (le conjoint, l’entourage social ou familial) ou encore un sentiment de malaise éprouvé dans des services majoritairement fréquentés par des hommes cisgenres. 

Le contexte politique penche aussi souvent vers la répression. Les auteurs du rapport rappellent ainsi un événement de 2020, quand des représentant·e·s de la N-VA et de la SP.A avait déposé une proposition de loi sur la protection prénatale au Parlement fédéral. Celle-ci proposait que les femmes* (ex-) usagères de drogues pourraient subir des hospitalisations, des césariennes forcées ou des mises sous tutelle des enfants. 

Répression rime avec invisibilisation

Or les constats de terrain montrent qu’une telle approche répressive est contre-productive, culpabilisante et contribue à éloigner les femmes* des services socio-sanitaires et à renforcer davantage leur invisibilisation. Des enquêtes récentes comparant différents cadres légaux permettent d’appuyer ces constats et d’établir que les contextes répressifs sont associés à une moindre mise sous traitement de substitution ainsi qu’à davantage de syndromes de sevrage néonataux. 

Le rapport propose huit recommandations :  

  1. Stimuler la capacité d’agir des femmes* (ex-)usagères de drogues et créer des conditions permettant d’obtenir le soutien de l’entourage. 
  1. Sortir les femmes* (ex-)usagères de drogues de l’invisibilité et intégrer une perspective de genre dans la production de la connaissance sur le thème des assuétudes. 
  1. Développer et/ou adapter les campagnes de prévention en matière de drogues en intégrant les problématiques spécifiques rencontrées par les femmes* (ex-)usagères de drogues. 
  1. Améliorer l’accès aux services (non-)spécialisés en assuétudes en tenant compte des freins organisationnels et des obstacles majeurs liés aux multiples formes de stigmatisation. 
  1. Intégrer la dimension de genre dans l’ensemble des dispositifs, dans notre approche et en favorisant l’implication de nos bénéficiaires. 
  1. Soutenir le développement d’une approche sensible au genre auprès des professionnel·le·s de terrain. 
  1. Développer le travail en réseau afin d’améliorer l’accompagnement et l’orientation des femmes* (ex-)usagères de drogues ainsi que la continuité des suivis 
  1. Travailler sur une réflexion institutionnelle autour du genre en ouvrant le débat avec les pouvoirs publics. 

La féda-bxl déploie une journée dédiée le 12 octobre pour visibiliser les difficultés que rencontrent les femmes usagères de drogues en ouvrant le débat avec les pouvoirs publics, avec un jeudi de l’hémicycle dédié aux sujets des « Inégalités de genre et assuétudes ». La féda bxl y présentera les principaux enseignements de ces trois années de mobilisation. Un documentaire consacré au sujet sera diffusé au cours de la matinée. Le film intitulé « Le cri des coquelicots » des réalisatrices Elisa Vdk, Melissa Laurent recueille des témoignages de femmes concernées. Puis l’après-midi, des ateliers participatifs auront lieu dans les auditoriums du CHU Saint-Pierre, rue des Alexiens, en guise de coup d’envoi des réflexions institutionnelles sur la place de ces femmes* usagères de drogues. 

Inscription gratuite sur réservation sur ce lien

Le GT regroupe une dizaine de représentant·e·s des Asbl : MASS de Bruxelles, FARES, DUNE, Prospective Jeunesse, Femmes et Santé, Babel, I.Care, Modus Vivendi, Projet Lama, Réseau Hépatite C, Transit, Eurotox, Parentalité Addiction, ENADEN, Interstices et Le Pélican. Il est coordonné par la Féda bxl et bénéficie de l’appui scientifique de chercheuses de l’ULB (Département de médecine générale, Faculté de médecine) et de l’UCLouvain (Institut de recherche santé et société).

Contacts : Sophie Godenne (DUNE), Manoë Jacquet (Femmes et Santé), Lise Meunier (Réseau Hépatite C / Enaden), Laetitia Peeters (Transit).

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Tendez l’oreille, les podcasts débarquent dans le secteur

Le 1 Sep 23

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Les podcasts sont dans l’air du temps. Ils excellent par leur diversité, de format, de ton, de style… Le secteur de la promotion de la santé s’est emparé, lui aussi, de ce média en expansion. L’exemple avec Question Santé. L’asbl s’est récemment lancée dans deux projets de réalisation sonore : Water Causettes, le podcast du programme « Ne tournons pas autour du pot », et Nuances,un outil d’éducation permanente. Deux projets aux démarches et aux équipes distinctes, mais qui se rejoignent dans l’envie de s’approprier un nouvel outil de sensibilisation, dynamique et créatif, permettant, peut-être, d’atteindre les oreilles d’autres publics.

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crédit: Adobe

L’asbl Question Santé met en débat les enjeux individuels et collectifs de la santé et les traduit en projets et outils, accessibles à des publics variés. Depuis sa création, il y a plus de 40 ans, Question Santé s’est emparée de divers supports afin d’informer, de sensibiliser, d’outiller, de communiquer dans le domaine de la santé : publications (papier et/ou en ligne), vidéos, sites web, expo, jeux, animations… Mais jamais encore, l’association n’avait investi l’outil audio, la réalisation sonore. Et pourtant, le phénomène podcast décolle depuis quelques années. Il s’en produit à un rythme effréné, il en circule pour tous les goûts, il semble de plus en plus apprécié. Différents secteurs s’en sont emparés, dont le secteur associatif. Question Santé a donc eu envie de s’y frotter, à ce média qui semble séduire bien du monde.

C’est désormais chose faite. Deux projets de podcast ont vu le jour en 2022-2023, l’un mené dans le cadre du programme « Ne tournons pas autour du pot ! » et l’autre porté par le service Education permanente de Question Santé. Deux projets parallèles, aux démarches et aux équipes distinctes.

Water Causettes, un podcast pour repenser les toilettes à l’école

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crédit: Question Santé

D’un côté, il y a « Ne tournons pas autour du pot ! », un programme de promotion de la santé à l’école, à l’initiative du Fonds BYX (géré par la Fondation Roi Baudouin), mené par l’asbl Question Santé. Sa mission est de lever le tabou sur l’état des toilettes à l’école et d’encourager, soutenir et accompagner les écoles dans la mise en place d’un projet collectif d’amélioration de leurs espaces sanitaires.

Consciente que le podcast est un média en expansion, l’équipe a vu dans ce format l’opportunité de sensibiliser un large public – non seulement des enseignant·es, directions et autre personnel scolaire mais aussi des parents et des jeunes concerné·es – aux enjeux de santé et de bien-être liés aux toilettes scolaires. Est alors venue l’idée de construire une série dont chaque épisode serait dédié à une thématique différente : la santé et l’hygiène, l’intimité, le vivre-ensemble…  

Vu l’ampleur du projet, et pour que « Ne tournons pas autour du pot ! » puisse continuer à assurer ses activités principales, il a été décidé d’externaliser la réalisation du podcast. Il a fallu donc rédiger un cahier des charges et lancer un appel d’offres pour la réalisation de 5 courts épisodes, à la suite de quoi, la proposition de deux journalistes a été retenue. Leur bonne compréhension du sujet et leur envie d’aller en reportage sur le terrain, dans les écoles, à la rencontre des élèves, des équipes éducatives et d’expert·es a séduit l’équipe.

Tout l’enjeu était alors de construire la collaboration avec les deux réalisatrices. Une première réunion de « cadrage » a permis d’adapter quelque peu la proposition des journalistes pour s’assurer que les attentes de bases de l’équipe soient bien prises en compte. Parmi ces attentes, l’envie de mettre en avant un message positif, constructif et porteur de solutions, loin du ton « donneur de leçon » ou de la culpabilisation. L’envie, aussi, de veiller à l’accessibilité en termes de contenus, à savoir apporter de l’information, tout en gardant une certaine légèreté, afin que l’outil réalisé puisse accrocher un large public, dont les jeunes.

Le processus une fois enclenché, l’équipe s’en est remise aux compétences des deux réalisatrices. Le travail de collaboration s’est installé, ponctué d’allers-retours réguliers. Chaque épisode terminé était envoyé pour écoute à l’équipe de « Ne tournons pas autour du pot ! » qui y réagissait, apportait ses remarques et suggestions, essentiellement au niveau du contenu. Certains ajustements étaient donc possibles.

Au bout de huit mois, les 5 épisodes de Water Causettes : un podcast pour repenser les toilettes à l’écoleétaient disponibles sur le site de « Ne tournons pas autour du pot ! », assortis d’une diffusion sur les réseaux sociaux et via différentes newsletters et envois à la presse.

Nuances, outil d’éducation permanente

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crédit: Question Santé

De l’autre côté, il y a le service Education permanente de Question Santé, qui vise à croiser enjeux de santé et enjeux de société, au travers d’outils et d’animations proposés à un large public adulte. Les outils d’éducation permanente produits sont pour l’essentiel des publications en format papier également consultables en ligne.

L’idée de se lancer dans la production de podcasts germait depuis un certain temps au sein de l’équipe, portée par le secteur animation. L’envie était de diversifier le type de supports et les formats, de toucher de nouveaux publics, et pourquoi pas, de s’inscrire dans l’air du temps. Au sein de l’équipe, les fervent·es consommateur·trices de podcasts, conscient·es du potentiel créatif qu’apporte une réalisation sonore, y voyaient également l’occasion de dynamiser les messages associatifs.

Mais la question des compétences techniques se posait. Fallait-il externaliser ou réaliser en interne ? En cas d’externalisation, les prestataires allaient-ils cerner la démarche d’éducation permanente, ses valeurs, ses enjeux ? Comment faire avec des moyens, humains et financiers, limités ? Finalement, le pas a été franchi à la suite de l’engagement d’une nouvelle collègue journaliste ayant des compétences en réalisation sonore. Question Santé disposait déjà d’un peu de matériel auquel se sont ajoutés quelques éléments supplémentaires empruntés auprès de connaissances. L’aventure pouvait commencer.

A la manœuvre, deux membres de l’équipe Education permanente, un animateur et une journaliste. Il a d’abord fallu s’accorder sur ce que ce podcast serait et sur ce qu’il ne serait pas. Sa forme, son ton, ses voix… Et comment, dans un format radicalement différent de l’écriture d’une publication, conserver les spécificités et la réflexion coutumière à l’éducation permanente. Comment, aussi, apporter quelque chose de différent, voire d’original, en regard de l’existant ?

Quant à la thématique abordée dans ce premier podcast, elle était dans les esprits depuis un temps déjà. L’envie était d’aborder la question de la nuance, de venir interroger la polarisation dans les débats, les discours binaires, les « pro » versus les « anti », les clivages (exacerbés en période Covid), la culture du « clash »… Dans la sphère privée ou publique, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, manquerions-nous de nuance ? Comment expliquer ce phénomène ? Et quelles solutions individuelles et collectives y apporter ?

Tout comme pour les publications, il était essentiel de donner la parole tant à des professionnel·les qu’à des voix citoyen·nes. En effet, aux yeux de l’équipe portée par la démarche d’éducation permanente, l’expertise et les savoirs se situent partout, dans les vécus des personnes autant que dans les compétences acquises au travers d’un métier ou d’une fonction. Six personnes ont donc été interviewées. A ce travail de récolte de témoignages s’est ajouté la lecture d’ouvrages et articles, l’écoute d’interviews et de podcasts…

Le podcast s’est donc construit petit à petit, au gré des rencontres, des lectures, des écoutes… La trame narrative a d’ailleurs été écrite à la suite de toutes les interviews. Au final, ce premier épisode, intitulé Où est passée la nuance ? est une sorte d’enquête en éducation permanente, un cheminement long (52’) au travers des réflexions et questionnements des deux auteur·trices et basé sur les échanges avec les personnes rencontrées. Tout comme pour la réalisation des publications, la démarche a été de s’emparer d’une pelote de laine thématique, d’en tirer les fils et d’en dégager un fil rouge, le tout ponctué de questionnements qui reviennent à intervalle régulier dans le podcast. A l’image des autres outils d’éducation permanente, ce podcast ne prétend pas faire le tour de la question, ni imposer une quelconque opinion. Il vise plutôt à donner des éléments de réflexion, à outiller, pour aiguiser la pensée critique des auditeurs·trices, et donner l’envie d’en savoir plus, d’en discuter, de chercher, d’aller plus loin…

Et après ? Faire vivre le podcast

Réaliser un podcast est une chose. Le diffuser en est une autre. Une fois le podcast produit, du temps et des moyens humains sont nécessaires pour le faire vivre. Un important travail de collecte d’information autour de la diffusion de ce média a donc dû être réalisé par les chargé·es de communication des deux équipes.

Du côté de l’éducation permanente, un effort particulier a été fait pour la diffusion de ce tout premier podcast de la série Nuances, faisant de cette diffusion un important dispositif : création d’une bande annonce, de teasers et d’illustrations adaptées, recherche et choix d’une plate-forme d’hébergement, création d’un compte Instagram, présence sur les réseaux sociaux, dans les newsletters…

Un travail sensiblement similaire a été réalisé du côté de « Ne tournons pas autour du pot ! ». Une séance d’écoute publique de Water Causettes a également été organisée, en présence de l’équipe et des deux réalisatrices. Des élèves et une enseignante interviewé·s dans un des épisodes étaient également présent·es. Des enseignants d’une autre école, intéressés par la démarche d’amélioration des sanitaires scolaires, faisaient aussi partie du public. Ce moment était une façon d’aller à la rencontre de l’audience. Par ailleurs, « Ne tournons pas autour du pot ! » envisage de faire vivre Water Causettes au sein des écoles, en élaborant un outil de discussion et de débat qui prolongerait l’écoute du podcast en classe. Cet outil n’est pour l’instant qu’au stade de projet et devra être testé avec des jeunes avant d’être proposé aux écoles.

Difficile d’évaluer à ce jour les retombées de ces deux projets de podcast. Plus de recul serait sans doute nécessaire. Globalement, on sait que les podcasts circulent, mais pourraient circuler davantage. Difficile aussi de mesurer à quel niveau de profondeur les gens consomment le podcast. L’écoute est-elle active ? Y reviennent-ils ? Qui écoute et comment ? En somme, les mêmes questions se posent que pour les outils au format papier. Un constat, cependant : la relative nouveauté du format podcast suscite intérêt et curiosité. Cet outil audio a permis d’avoir des interventions en radio et dans la presse. En radio, plus particulièrement, il est plus attrayant à relayer qu’une publication, puisque la possibilité de passer des extraits ou un teaser est rendue possible.

Ce que le podcast permet

Par sa créativité et sa diversité, l’outil podcast permet beaucoup de choses. En fonction de l’objectif qui lui est donné, il plonge les auditeurs et auditrices dans des univers sonores parfois insoupçonnés, il invite à partir à la rencontre de lieux et de personnes connues ou inconnues, il fournit une information claire et rigoureuse, en veillant à ne pas alourdir le propos. Dans des sujets tels que ceux abordés en promotion de la santé et en éducation permanente, qui se révèlent parfois très personnels, le podcast permet aussi plus d’intimité. Même si le micro reste intimidant pour la personne qui témoigne ou est interviewée, il l’est moins qu’une caméra. L’outil audio permet d’aller explorer des champs que l’image permet moins.

S’engager dans un projet de podcast prend évidemment du temps. Externaliser la réalisation, comme ce fut le cas avec Water Causettes, permet certes un gain de temps, même si le temps nécessaire de coordination et de suivi du projet n’est pas à négliger. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que rémunérer correctement les prestataires représente un coût financier important et que ne pas réaliser soi-même son podcast implique parfois de faire des concessions sur le ton, les choix éditoriaux, etc.

Pour réaliser son podcast sur le thème de la nuance, l’équipe Education permanente de Question Santé a fait le choix de tout porter en interne. Parce qu’il s’agissait d’un premier podcast et que toute sa réalisation (en ce compris la captation sonore, la rédaction de la narration, le montage) reposait entre les mains des deux membres de l’équipe, le processus a pris plus de temps que la réalisation d’une publication papier. Le choix de l’association a été d’accorder ce temps et donc les moyens humains et financiers à ce projet.

De l’avis des deux équipes de Question Santé qui se sont lancées dans l’aventure podcast, le temps et les moyens consacrés valent le coup. Explorer un nouvel outil a un côté exaltant pour les équipes. C’est une nouvelle manière de travailler les thématiques, ça vient dépoussiérer les habitudes. Il s’agit de se plonger dans un autre univers, une autre méthodologie de travail, de nouveaux réflexes. Pour l’équipe « Ne tournons pas autour du pot ! », collaborer avec des prestataires externes a aussi permis d’apporter un regard neuf sur son sujet de travail.

Média de niche ? Nouveau souffle !

La série de podcasts Water Causettes est aujourd’hui complète. Par contre, du côté de l’équipe Education permanente, convaincue par l’expérience et ses retombées, l’aventure ne fait que commencer. Où est passée la nuance ? est le premier d’une série à venir. Quelques sujets sont déjà envisagés dans la même lignée. L’envie, pour les épisodes suivants, est d’accorder encore plus de place à la parole citoyenne, aux voix de patient·es, d’usager·es, de bénéficiaires, sous forme de témoignages, mais aussi de moments d’enregistrement en groupes, dans le cadre d’animations.

Si ces deux projets de podcasts sont distincts et que leur mode de réalisation diffère, l’élan de départ était donc assez similaire : explorer une nouvelle façon de toucher le public, avec le sentiment que, peut-être, ce média attrayant pourrait toucher davantage de personnes ou du moins, des profils différents. De part et d’autre, les deux équipes sont cependant très conscientes que, si le podcast est en vogue et dynamise les messages, dans les faits, il reste un média de niche. Tout le monde n’écoute pas des podcasts, loin de là. Même s’il est une alternative intéressante à l’écrit (qui peut limiter l’accès à l’information pour certains publics), le podcast semble lui aussi concerner un certain public, habitué à cet outil et son utilisation, au réflexe de l’écoute, aux espaces où le trouver…

La question reste ouverte : le podcast happe-t-il réellement d’autres publics, radicalement différents de ceux touchés par les autres outils de sensibilisation ? Rien n’est moins sûr. Néanmoins, se lancer dans l’aventure podcast a permis, pour l’équipe de Question Santé comme pour son public, d’explorer un autre univers, d’accéder à l’information autrement. D’apporter un nouveau souffle.

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Les aventures de Bernadette et Catherine au pays de la Promotion de la santé

Le 28 Juin 23

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Il était une fois… Bernadette Taeymans (Question Santé, FWPSanté) et Catherine Spièce (PIPSa), deux personnalités qui gravitent depuis longtemps dans le secteur de la promotion de la santé à Bruxelles et en Wallonie. Le hasard fait qu’elles prennent toutes les deux le chemin de la pension au cours de ces prochaines semaines. Nous les avons conviées ensemble en cette fin du mois de mai (car « fait ce qu’il te plaît »), l’occasion de remonter avec elles dans le temps, dérouler le fil de leurs riches expériences respectives et de tourner le regard vers l’avenir du secteur de la promotion de la santé.

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Mais comment ont-elles ‘atterris’ en promotion de la santé?

Catherine Spièce ‘est tombée dans la marmite’ en animant des ateliers sur des problématiques de santé (stress, alimentation, obésité, etc.) avec les Femmes prévoyantes socialistes. Quand la Mutualité socialiste – désormais Solidaris – a été agréée comme service aux éducateurs en 1988, elle a officiellement rejoint l’équipe. 11 ans plus tard, la Communauté française (devenue depuis lors la Fédération Wallonie-Bruxelles) organise le secteur de la promotion de la santé sur son territoire et l’outilthèque PIPSa voit le jour. Au long des 24 dernières années, Catherine Spièce s’est investie (avec son équipe) dans le projet pour le déployer et le faire évoluer… et pour proposer toujours plus de plaisir et d’amusement dans les jeux et les animations autour des questions de santé (lisez à ce propos l’article « PIPSa, une nouvelle ère de jeux », paru en juin 2023).

Bernadette Taeymans, quant à elle, a démarré son parcours d’abord comme infirmière. Après quelques années en milieu hospitalier, elle rejoint la maison médicale de Forest (une des premières en région bruxelloise, et une des premières à passer ‘au forfait’ !) « avec une attention portée aux publics fragilisés », précise-t-elle. Elle nous raconte aussi, enthousiaste, que la maison médicale a été à l’initiative d’une maison de quartier, d’une mission locale, etc. En parallèle, elle suit un master en santé publique/éducation à la santé au CUNIC à Charleroi, dans le but de développer la santé communautaire à la maison médicale. Le master en poche, elle rejoint l’équipe de promotion de la santé de la Mutualité chrétienne (si si ! la même qu’Education Santé, qui s’appelait à l’époque Infor Santé) avec pour mission, notamment, de promouvoir la promotion de la santé au sein de la mutualité. Après un passage à PSD (Permanence Soins à Domicile) pour un projet de télévigilance et d’écoute sur la maltraitance des personnes âgées, on la retrouve à Question Santé. Elle partage alors son temps comme animatrice en éducation permanente et comme chargée de projets en promotion de la santé, puis comme responsable du service agréé avant d’être nommée directrice de l’asbl durant 9 ans (jusqu’en 2021). Fort impliquée dans le développement du secteur de la promotion de la santé en Belgique et des fédérations, elle accepte aussi le rôle de présidente de la Fédération wallonne (FWPSanté) pour le dernier mandat en cours.

ES: Vous rappelez-vous la première fois que vous avez entendu parler de « promotion de la santé » ?

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Catherine Spièce : un intérêt précoce pour le bien manger

CS : Hé bien, la toute première fois, c’était dans un article d’Education Santé justement ! (rires) Un article de Danielle Piette [1]. Elle mentionnait à l’époque trois composantes qui, ensemble formaient un triangle pour la promotion de la santé : la santé (au sommet), les déterminants sociaux et les déterminants économiques (à la base) [2]. Les modèles ont évolué depuis…

BT: A l’époque où je travaillais en maison médicale, on parlait plutôt de « soins de santé primaires », dans le sens de la Déclaration d’Alma Ata, ou d’« éducation pour la santé » au cours de ma licence à Charleroi avec notamment Jacques Bury [3], Allain Deccache [4], Danielle Piette ou Michel Demarteau [5], qui ont fait office de pionniers dans ces matières en Belgique francophone. La « promotion de la santé » était mentionnée en filigrane, le terme s’est imposé un peu plus tard.

ES: Les outils et les projets en promotion de la santé et en communication santé, au début, ça ressemblait à quoi ? Comment ont-ils évolué, avec la constitution du secteur, les programmes…?

BT : Côté communication en matière de santé, il y a quarante ans, le pouvoir était dans les mains des médecins et des professionnels de la santé : ils détenaient l’information et la transmettaient (ou non) à leurs usagers. On était essentiellement dans des actions d’éducation à la santé et c’était déjà une grande avancée qui a permis de redonner du pouvoir aux usagers. L’arrivée d’Internet a considérablement changé la donne, on est aujourd’hui dans une tout autre réalité informationnelle.

CS : Dans l’approche initiale de l’éducation à la santé, telle que nous l’observions en évaluant les outils pédagogiques, les concepteurs d’outils amenaient ‘la bonne parole’ auprès de publics avec lesquels ils travaillaient. La réflexion autour de la notion de projet en promotion de la santé a permis de faire évoluer les choses, de positionner le support en termes d’objectifs, de penser un « avant » et un « après » l’intervention, de prendre peu à peu en compte les réalités du public. La logique de programme, qui s’est vraiment implantée avec le décret de 1998, a permis, de voir plus loin… mais elle s’est confrontée à la logique du pouvoir politique en place. On est alors parfois en contradiction. Entre projets et programmes, il y a une différence d’ambition.

BT : Oui, il y a une notion de temps qui les différencie. Mais des projets très riches par le passé [je pense notamment aux Ecoles en santé, aux Cellules bien-être…] ont eu des évaluations positives. Puis ça s’arrêtait et on repartait sur autre chose. Actuellement, j’ai le sentiment qu’on réinvente l’eau chaude sans arrêt. Il y a 20 ans, on avait déjà clairement identifié les critères d’un projet en promotion de la santé de qualité… mais ce qui a manqué et qui manque encore, c’est la continuité. On ne capitalise pas assez ! Ça peut entraîner une forme de découragement pour celles et ceux qui travaillent depuis longtemps dans le secteur. En pérennisant les dynamiques existantes en promotion de la santé, la notion de programme devrait permettre de le faire…

ES : Le choix des publics a-t-il évolué au cours des années ?

CS : Pour moi, il y a eu un basculement au moment de la parution d’une étude sur les inégalités sociales en matière de santé, réalisée par la MC en 2008, où l’impact qu’elles engendrent sur l’espérance de vie et les écarts entre les différents groupes étaient clairement rendus visibles. Cette prise de conscience que nous n’avons pas tous les mêmes choix, les mêmes opportunités, a fait basculer selon moi la manière dont on concevait la promotion de la santé. Ce fut un choc de me rendre compte que nous n’avons pas forcément accès aux facteurs sur lesquelles il faudrait jouer. Ça parait étonnant de dire ceci mais c’est ainsi que je l’ai vécu. Et heureusement aujourd’hui, quand on parle de promotion de la santé, on intègre forcément les questions liées aux ISS.

BT : Structurellement, ceux qui étaient sur le terrain en étaient conscients depuis longtemps. Je constate aussi un enrichissement de la diversité des milieux de vie pris en considération : les milieux carcéraux, la prostitution, etc. ; et un enrichissement du secteur, rejoint par des acteurs qui sont au cœur de ces réalités. Ce qui fait la différence, c’est d’avoir une connaissance et une expérience des réalités de terrain… ce que tous les professionnels en promotion de la santé n’ont plus nécessairement aujourd’hui.

ES : Comment aujourd’hui expliqueriez-vous ce qu’est la promotion de la santé ?

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Bernadette Taeymans: première manif, à 21 ans, pancarte à la main pour revendiquer des conditions de travail correctes en tant qu’infirmière

BT : Pour moi, il faut expliquer plus par l’expérience que par des théories ou des concepts, « faire vivre » la promotion de la santé. Pour comprendre et expliquer les déterminants de la santé, on peut par exemple partir de son propre vécu, d’un moment où l’on a voulu changer un de ses comportements (de santé) : comment l’ai-je expérimenté, surmonté, ce qui m’a freiné, ce qui m’a aidé, etc. Se poser la question de comment je peux améliorer le bien-être à mon niveau, et ensuite au-delà, au niveau collectif.

CS : Ma façon de l’expliquer dépendrait de mon interlocuteur. Mais je crois que j’insisterais lourdement sur les inégalités sociales et leur impact sur la santé. Pour remettre la question au niveau politique plutôt qu’en responsabilité individuelle : la normalisation des modes de vie et la culpabilité qui s’en suit, ce n’est pas bon pour la santé !  

ES : Et depuis lors, la promotion de la santé est-elle selon vous entrée dans le langage commun ?

Ensemble : Il y a eu une évolution, c’est indéniable. La promotion de la santé est mentionnée dans les intentions [politiques], mais malgré un secteur qui s’est institutionnalisé, professionnalisé et qui est utilisé comme ressource, ça ne se ressent pas forcément par la concrétisation des intentions ni dans l’allocation des moyens.

ES: Parlons des politiques justement, comment le secteur a-t-il évolué cette dernière décennie?

BT : Le secteur était quand-même parfois malmené. Je pense par exemple à l’audit du secteur mené par un consortium constitué des sociétés «Perspective Consulting» et «Effisciences» en 2010-2011. Il y a eu ensuite la régionalisation et le transfert des compétences en 2014 [6]. A cette époque, les acteurs financés en promotion de la santé en Fédération Wallonie-Bruxelles se sont fort mobilisés et ont mis sur pied une plateforme initiale qui a donné naissance à deux fédérations (la FBPSanté et la FWPSanté), avec des dynamiques un peu différentes. Ayant été au conseil d’administration côté wallon depuis le début (dont deux années de présidence), j’ai suivi de près les chantiers qui nous ont mené à l’obtention d’agréments cette année.

CS : C’était quand-même incroyable que notre secteur ait été oublié dans le transfert des compétences ! Mais cela a aussi représenté un signal fort pour nous tous de la nécessité de se rassembler et de faire « commun ». En termes de bilan, quelques années plus tard, c’est positif : les deux régions ont leurs cadres décrétaux, leurs plans de promotion de la santé, leurs priorités… Reste évidemment l’épineuse question des moyens alloués, dans un contexte multi crises, qui génèrent encore beaucoup d’inquiétudes pour les équipes.

BT : Il faut dire qu’on est aujourd’hui dans un autre contexte ; avant, les moyens étaient plutôt en expansion, on ressentait un optimisme ambiant, plein de potentiels à exploiter. Une conjonction des planètes a fait que nous avons construit des programmes ensemble, avec une vision concertée plus large… Puis on a buté sur des questions de moyens et de structures. Les ambitions étaient grandes (elles le sont toujours !), mais les moyens ne suffisent pas et une série de leviers nous échappent. Ces dernières années, on a exigé de nous davantage de preuves de l’impact de nos actions, de chiffrer celui-ci, parce que les administrations et les politiques aussi doivent rendre des comptes. Il a fallu et il faut encore réexpliquer ce qu’on fait.

CS : Selon moi, le transfert des compétences a fait beaucoup de dégât dans le sens où beaucoup d’expertise a disparu. Par exemple, nos partenaires collaborant à l’évaluation des outils ont quitté le secteur à cause de l’absence de perspective, l’incertitude des contrats et le stand-still [7] renouvelé d’années en années.

ES : La régionalisation et le transfert des compétences qui s’en est suivi ont en effet été des facteurs qui ont marqué le secteur, comme la question du financement que vous avez évoqué. Quel est votre regard plus général sur la régionalisation ?

CS : Que chacune des régions se dote d’un cadre de priorités et de recommandations proches de ses réalités est une très bonne chose ! Mais c’est devenu plus compliqué pour les organismes bi-régionaux, avec deux organismes subsidiants – l’un à Bruxelles, l’autre en Wallonie – qui ont deux logiques différentes…

BT : C’est en effet positif d’être plus en phase avec les réalités régionales. Mais il faudrait arriver à équilibrer l’explosion des exigences administratives et la richesse de cette adaptation aux réalités régionales. Pour le moment, c’est la lourdeur qui prend le pas. Il y a un côté effrayant pour les structures en termes de surcharge de travail, de démultiplication des énergies et des sources de financement.

ES : Quel regard portez-vous aussi sur des plans ambitieux comme le Plan Social-Santé Intégré à Bruxelles, par exemple ?

CS : On perçoit un certain malaise dans le secteur, notamment lié à l’inquiétude de ne pas être reconnu dans son expertise et le risque d’en être dépossédé au profit d’ acteurs nouveaux qui ne connaissent pas la promotion de la santé…

BT : Oui, c’est la tension entre la professionnalisation de la promotion de la santé et son appropriation par d’autres métiers ou d’autres fonctions. D’où l’importance d’être reconnus comme appui des autres acteurs et du travail sur la formation.

ES : Et dans le contexte de la régionalisation, comme vous le racontiez, les fédérations de promotion de la santé (ndlr : la FBPSanté et la FWPSanté) ont été créées. Que leur souhaitez-vous ?

BT: Sans elles, nous travaillerions chacun de notre côté ! Les contraintes extérieures, ainsi que la volonté de plusieurs d’entre nous de se fédérer ont permis ce résultat. Cela n’aurait pas été possible avec des conflits d’égo ou de territoires comme il a pu y en avoir antérieurement.

CS : Elles permettent de faire commun et d’agir collectivement. Je souhaite que chacune des fédérations puisse continuer à travailler et se développer car elles constituent un appui concret pour leurs membres, une réelle aide pour faire connaître le secteur et pour qu’il soit un interlocuteur reconnu auprès des politiques.

BT : Mon souhait est qu’on puisse collectivement retrouver du souffle, et trouver des personnes prêtes à s’investir dans les instances. En cette période, tout le monde s’est battu pour obtenir son financement et sauver sa structure… On a maintenant tous besoin de retravailler sur les contenus et redonner du sens à nos activités, prendre le temps de se poser ensemble et parler de la richesse de notre travail.

ES : Quel message aimeriez-vous faire passer à la nouvelle génération de “promoteurs de santé” ?

Ensemble: Allez sur le terrain, rencontrez les publics !

CS : Soyez aussi attentif à votre bien-être au travail. Pour ne pas perdre la notion du sens, demandez-vous: ‘en quoi ce que je fais me nourris?’. Et tant qu’à faire, si on peut s’amuser en le faisant… ! Je dirais enfin d’investir le collectif, même si c’est à contre-courant dans notre société actuellement, c’est indispensable !

BT : Prenez du plaisir, ne vous prenez pas la tête… Il faut que ça vive, que ça pleure, que ça rie, laissez la place à la spontanéité et à la vitalité ! Retrouvez-vous lors d’évènements, de colloques, de rencontres car c’est ressourçant et nourrissant.

[1] Danielle Piette a enseigné l’éducation à la santé et promotion de la santé à l’Université Libre de Bruxelles. Parmi de multiples projets, son implication dans l’Ecole de Santé Publique de l’ULB et de nombreuses recherches menées, elle a notamment participé à la mise en place des enquêtes HBSC du Sipes et aux évaluations de la politique du projet européen des Ecoles en santé. (Source : https://bsi.brussels/researcher/piette-danielle/)

[2] https://educationsante.be/investir-en-sante/

[3] Jacques Bury est professeur émérite à l’UCLouvain. Il est d’abord professeur de psychologie médicale à l’université Laval de Québec et dirige des programmes de formation en psychologie et sociologie médicale pour les étudiants médecins et paramédicaux. De retour en Belgique, il est inspecteur des écoles paramédicales au Ministère de la Santé publique, puis responsable à l’université Catholique du Louvain des Unités de Pédagogie médicale et d’éducation pour la santé. (Source : site Uclouvain)

[4] Alain Deccache est professeur émérite de santé publique à l’UCLouvain. Jusqu’en 2019, il fut Président de la Société d’éducation thérapeutique européenne. Auparavant, il a occupé le poste de directeur du Centre d’Education Patient asbl. (Source : LinkedIn)

[5] Michel Demarteau a été chercheur en santé publique en en sciences de l’éducation à l’ULiège, ainsi que directeur de l’Association (interuniversitaire) pour la Promotion de l’Education pour la Santé, avant diriger l’Observatoire de la Santé du Hainaut durant une vingtaine d’années, et de présider le CLPS Mons-Soignies jusqu’en 2018. (Source : LinkedIn)

[6] Les 2 articles suivants permettent de recontextualiser les enjeux du transfert des compétences en 2014 : « Quel impact de la 6è réforme institutionnelle sur la prévention ? », Education Santé, Octobre 2013 et « Lettre aux ministres concernés par les transfert de compétences francophones en promotion de la santé », Education Santé, Mars 2014

[7] Le stand-still fait référence au fait que, n’ayant pas de décret propre, les budget du secteur ont été gelés et renouvelés d’années en années. Voir à ce propos : https://www.fwpsante.be/projets/wapps-et-decret/

secrétaire devant un ordinateur

Comment le numérique questionne-t-il les pratiques de professionnel.les de première ligne ?

Le 28 Juin 23

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Qu’on la perçoive comme une aubaine, comme une évolution inéluctable ou encore comme un danger, force est de constater que le mouvement de la numérisation est en marche et s’est accéléré avec les confinements successifs dès 2020. La fracture numérique n’a fait que s’accentuer depuis lors et fragilise le lien entre les citoyens et les services publics ou les associations. Pourtant, un maillon essentiel n’a pas été consulté sur la question, à savoir les travailleurs sociaux ou de première ligne, celles et ceux au contact direct avec le public.

« Comment le numérique questionne nos pratiques ? » était la question qui leur était posée lors de la journée organisée par le Centre local de promotion de la santé du Brabant wallon (CLPS-Bw) et ses partenaires en février dernier.

secrétaire devant un ordinateur

Au contact des professionnel.les

En amont de cette journée, Céline Houtain, chargée de projets au CLPS du Brabant wallon nous explique que, par la nature de son travail, le CLPS accompagne des professionnels et les a sentis en difficulté ou en questionnement face à la numérisation progressive de leurs pratiques. Que ce soit dans le soutien de certains publics (le CLPS a par exemple accompagné la maison médicale Espace Santé d’Ottignies dans son projet de soutien des patients quant à leurs données de santé numérique), mais aussi dans tous les autres aspects de leur métier. Rapidement, un groupe de travail se constitue (voir encadré), réfléchit à ces questions et propose de questionner directement les premiers concernés, à savoir les professionnel.les de première ligne, au cours d’une journée de discussions.

L’objectif de cette journée était d’échanger sur ces questions : « Quels sont les apports et les limites de la numérisation de notre travail ? Dans quelle mesure la numérisation soutient-elle nos missions, répond-elle aux besoins de nos publics ? Nos institutions, prises dans le mouvement, ne renforcent-elles pas des inégalités et n’en créent-elles pas de nouvelles ? » ; afin de formuler ensuite des pistes « pour un numérique choisi, qui soutient l’égalité et les droits sociaux». Une septantaine de personnes ont participé à la journée, de métiers et de secteurs divers (assistant.es sociaux/sociales, infirmier.es, travailleur.euses d’organismes publics liés à l’emploi en Wallonie, issu∙es de communes, de CPAS, des associations issues de l’aide à la jeunesse, du social, ou encore de  la santé…).

D’emblée, la difficulté a été de garder le focus sur la pratique professionnelle car, comme nous l’explique Béatrice Touaux de Laïcité Brabant wallon « les professionnel∙les parlent aisément des difficultés de leur public vis-à-vis du numérique. Mais ici on leur demandait de rester centrés sur leurs propres pratiques numériques et le sens même de la numérisation dans le cœur de leur métier. »  Au-delà des liens que le numérique modifie entre le public et les professionnel∙les, il altère également les liens entre les travailleur.euses, entre les services, entre les structures, avec les pouvoirs subsidiants et les politiques. Il modifie aussi le travail individuel, puisque pour réaliser ses missions le travailleur est maintenant systématiquement face à son écran.

Des constats et des recommandations

L’intérêt du numérique est certain, et personne au cours de la journée n’a remis en doute sa nécessité dans le cadre professionnel. Il permet en effet de traiter plus rapidement des informations, de les centraliser ou de les échanger tout aussi rapidement, de simplifier certaines tâches, d’avoir accès à des logiciels de traduction en ligne, etc. Pour autant, ces constats sont restés plus timides que les difficultés et les freins soulevés.

Une autonomisation du public?

Les professionnel.les ont tout d’abord été interrogé.es sur les missions qui leur sont confiées et les valeurs de leurs institutions. La plupart ont ainsi évoqué une mission d’autonomisation des personnes qu’ils accompagnent. Il est en effet attendu que ces dernières deviennent plus autonomes, et que le numérique y contribue. Mais la réalité est tout autre et amène nombre de professionnel.les à finalement « faire à la place de » : créer une boîte mail pour le ou la bénéficiaire, aller en son nom sur des plateformes en ligne pour effectuer des démarches administratives ou prendre des rendez-vous… Contrairement à l’intention qui le soutient, le « tout au numérique » rend certain.es bénéficiaires encore plus dépendant.es.

« Paradoxalement, nous raconte Steve Evrard du service de Cohésion et Prévention sociales de la Ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, les Espaces Publics Numériques ont des difficultés à rencontrer les personnes pour les former et les informer. (…) Mais quand un service public dématérialise l’accès à la recherche d’emploi, par exemple, une partie du public ne s’y retrouve pas, et on est alors amenés à réaliser des missions qui ne sont initialement pas les nôtres. »

C’est ce qu’on appelle « l’effet boomerang sur les travailleur.euses » : ce travail d’accompagnement à l’usage du numérique (« faire à la place de ») s’est additionné à l’accompagnement initialement lié au métier (d’assistant.e social.e, d’infirmièr.e…). Et cette surcharge ou cette mutation du métier peut être accompagnée d’une perte de sens ou de motivation, d’autant plus quand le numérique met à mal le lien social.

Pour contrer la déshumanisation des services publics, la première recommandation qui émerge de la journée d’échanges est celle de garantir des accès physiques, des guichets accessibles sans rendez-vous. « C’est un peu la base », ajoute Béatrice Touaux. Elle est demandée tant par les bénéficiaires que le numérique perd, que par les professionnel.les.

Prendre soin de la santé mentale

En plus de la crise de sens intrinsèque à la mutation des métiers par le numérique, d’autres témoignages engagent à veiller à la santé mentale des travailleur.euses. Tout le monde n’est pas à l’aise avec les outils numériques, et cela peut engendrer un stress important. Certain∙es ont peur de se faire déclasser, de ne plus se sentir compétent∙es, voire de perdre leur place. Pourtant, ce ne sont pas leurs compétences professionnelles qui sont remises en cause mais les compétences numériques implicitement attendues et considérées comme allant de soi. A contrario, pour celles et ceux qui maîtrisent les outils numériques, la pression mise par les collègues en demande d’aide existe aussi. Et cette charge de travail augmentée, de part et d’autre, peut engendrer de fortes tensions dans les équipes, de la fatigue, du stress…

La formation… à des outils adaptés

C’est pourquoi intégrer la formation au numérique dans les pratiques professionnelles est une recommandation-clé qui est ressortie de la journée. « Les outils ne sont pas toujours intuitifs. Et il est faux de croire que tous les jeunes (travailleur.euses) sont plus à l’aise avec le numérique », complète Béatrice Touaux. Ajoutons à cela des plateformes multiples à utiliser et des outils qui évoluent constamment. A nouveau, la santé mentale des professionnel.les est soulignée avec l’obligation de se mettre à niveau, ce qui engendre également du travail supplémentaire. Reconnaître, voire valoriser ce temps, est un enjeu important adressé aux institutions.

Le manque de matériel oblige la prise de notes manuelle et la saisie ultérieure. De plus, pour certains il n’est pas agréable d’accueillir quelqu’un en même temps que saisir sur un PC” (un participant). Des outils pensés hors de la réalité de terrain, obsolètes, voire pas d’outils à disposition… Les témoignages de ce type sont nombreux.

Des données protégées? Pour quelle finalité?

De nombreuses questions portent aussi sur l’utilité et l’usage qui est fait de données sensibles, souvent accessibles à trop de monde via les plateformes. Mais elles questionnent aussi le rapport de contrôle qui peut s’exercer sur les travailleur.euses : “Cela devient kafkaïen, les données fournies permettent de mesurer en permanence ce que l’on fait et prend du temps sur ce que l’on devrait vraiment faire.” (un participant). Plus d’un.e parmi les participant.es fait montre de réserve : des données pour servir qui ? Pour justifier les subsides, contrôler le travail ou au bénéfice de la personne ?

Plus de temps, vraiment?

L’effet boomerang, la formation continue, les dysfonctionnements et la multiplication des outils… tous renvoient à la question du temps. Et au paradoxe de cette grande promesse du progrès (entendez de la numérisation) : le gain de temps que permet le numérique dans toute une série de démarches est-il une chimère ? Entre le temps d’encodage ajouté, l’accompagnement parfois allongé, etc., difficile de savoir si le temps gagné grâce au numérique n’est pas complètement absorbé par le temps perdu à le gérer et à pallier les conséquences…

Le coût caché du numérique

Qui paye finalement le choix du numérique ? A ce jour, selon Céline Houtain, Béatrice Touaux et Steve Evrard, ce coût caché du numérique retombe sur les travailleurs de première ligne, mais également sur les usagers des services, sur notre environnement (exploitation des terres rares), et sur les travailleurs qui fabriquent les objets numériques… « et malgré les recommandations formulées, on est en droit de se demander si elles seront entendues. On a plutôt l’impression qu’on ne tire pas toutes les leçons des crises et qu’on continue à tendre vers davantage de numérisation ».

Poser une réflexion, à tous les échelons

Mais la chose n’est pas inéluctable, et le cahier de recommandations qui résultera de cette journée pourra idéalement permettre à chaque institution qui s’en empare de poser une réflexion sur la politique interne d’un numérique qui renforce les droits. C’est sans doute la recommandation qui sous-tend toutes les autres : que la question du numérique fasse l’objet d’une attention et d’une réflexion centrale au sein des institutions : comment faire pour que le numérique soit un choix, qu’il renforce l’accès aux droits, et ne porte pas atteinte à ceux-ci et à leur accès ? Et faire percoler cette réflexion au-delà de l’institution, auprès des décideurs, au sein de la société… pour remettre, au cœur de l’accompagnement, le citoyen.

Les suites de la journée

Un cahier de recommandations faisant suite à la journée est en cours de rédaction. Celui-ci sera présenté à l’ensemble des professionnels ayant assistés à la première rencontre, lors d’un autre moment d’échange prévu à l’automne. Il sera ensuite diffusé et disponible auprès du CLPS-Bw et ses partenaires.

Retrouvez ici les traces de la journée!

front portrait of mature man with beard and closed eyes in outdo

Eco-émotions et promotion de la santé

Le 30 Mai 23

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La palette des émotions ressenties face aux crises environnementales est multiple et nuancée. De quelles émotions parle-t-on ? Comment accompagner sans pathologiser les ressentis ? Quels leviers individuels et collectifs pour accompagner les émotions ressenties face aux crises et leurs effets ? Sur quels principes de la promotion de la santé peut-on s’appuyer pour agir ?

front portrait of mature man with beard and closed eyes in outdo

Les liens entre santé mentale et environnement sont multiples. S’il est désormais prouvé que le contact direct avec la nature a des effets positifs sur la santé physique et mentale, les effets du dérèglement climatique peuvent diminuer notre sentiment de bien-être. Agir pour diminuer les impacts négatifs des crises environnementales permet ainsi de prendre soin individuellement et collectivement de notre santé, tant physique que mentale.

Santé mentale : de quoi parle-t-on ?

La notion de santé mentale renvoie à un état d’équilibre individuel et collectif, qui permet à chacun de se maintenir en bonne santé malgré les épreuves et les difficultés.  Si nous avons tous une santé mentale, nous n’avons pas tous les mêmes vécus, ressources et capacités pour faire face aux événements. Les interventions en promotion de la santé mentale visent ainsi à identifier les déterminants individuels, sociaux et structurels de la santé mentale, puis à agir pour réduire les risques, accroître la résilience et créer des environnements propices à la santé mentale. 

Des (éco)émotions climatiques 

La crise socio écologique fait vivre différentes émotions, toutes légitimes dans leurs ressentis et expressions. La plus utilisée par les médias est l’éco-anxiété, notion conceptualisée par la médecin-chercheure belgo-canadienne Véronique Lapaige en 1997. Elle peut être définie comme une forme d’anxiété, d’appréhension et de stress liés au changement climatique et aux menaces constatées ou anticipées sur les écosystèmes (Lapaige, 2020 (1)).

Dans sa définition la plus large, le terme éco-anxiété traduit toutes les souffrances émotionnelles liées à la crise écologique (Lopes, 2022 (2)):

  • anxiété ou autres éco-émotions ressenties face au changement climatique et/ou aux bouleversements/effondrements environnementaux et sociétaux ;
  • en lien avec une expérience directe (ex : vécu d’inondations ou d’incendies), ou indirecte (ex : nouvelles entendues à la radio) ;
  • dans un rapport au passé (ex : perte de la biodiversité), au présent (ex : abattage de forêts) ou au futur (ex : projection vers un avenir invivable) ;
  • avec différents degrés de ressenti (faible à sévère), liés aux ressources psychologiques individuelles, au tissu relationnel et au contexte politique et social.

Au-delà de l’anxiété, certains préfèrent ainsi utiliser le terme « éco-émotions », qui renvoie à l’éventail d’émotions et de sentiments liés à la crise climatique : surprise, colère, peur, culpabilité, indignation… mais aussi joie, fierté, espoir, empathie… (Pihkala, 2022 (3)) ; déclinées en éco-rage, éco-colère, éco-déni, éco-culpabilité, éco-résistance… (Agoston, 2022 (4)).

Eco-anxiété : des symptômes mais pas une maladie

La majorité des professionnels de santé travaillant sur le sujet défendent l’idée que l’inquiétude face à la menace de la crise environnementale est une réaction normale, saine et non pathologique. Il est néanmoins important de distinguer les niveaux d’éco-anxiété vécus de manière adaptée ou inadaptée, notamment lorsque l’éco-anxiété se révèle trop envahissante au quotidien, ou qu’elle s’ajoute à des fragilités préexistantes. Ainsi, l’éco-anxiété n’est pas une maladie mais elle peut rendre malade.

Les ressentis et réactions dépendent ainsi du contexte quotidien, des vulnérabilités personnelles et de l’intégrité psychique des individus, qu’il est essentiel de prendre en considération (A. Desbiolles et C. Galais, 2021 (5)). Plusieurs échelles de mesures ont été publiées pour aider les professionnels et les personnes elles-mêmes à évaluer leur degré d’éco-anxiété : on peut citer celle de l’équipe d’Hélène Jalin, publiée dans le Petit guide de survie pour éco-anxieux (C. Schmerber, 2022 (6)).

Le parallèle avec le deuil normal et le deuil pathologique est éclairant. On peut consulter un psychologue parce qu’on est en souffrance à la suite d’un deuil, mais cela ne signifie pas qu’on est malade. Le deuil est un processus psychique normal qui peut nécessiter un accompagnement : il est considéré pathologique seulement s’il devient complexe, persistant ou s’il y a apparition de troubles psychiques ou psychiatriques.

Eco-anxiété ou éco-lucidité ?

De nombreux chercheurs et praticiens pointent le risque de psychologisation ou de pathologisation des enjeux climatiques. Le risque serait de penser l’éco-anxiété comme une réponse inadaptée ou disproportionnée par rapport à la menace. Pour la médecin Alice Desbiolle « les personnes éco-anxieuses sont in fine les personnes rationnelles et lucides dans un monde qui ne l’est pas » (A. Desbiolles 2021 (7)).

Le terme d’éco-lucidité fait ici son apparition, comme l’illustre les propos de la pédopsychiatre Laélia Benoit : « l’éco-anxiété est une réaction naturelle et légitime à la crise écologique. Ce n’est pas une nouvelle forme de dépression et elle n’appelle pas de traitement médical : l’éco-anxiété appelle une réponse sociale. De plus en plus de jeunes vont souffrir d’éco-anxiété. Mais ne nous trompons pas de problème : c’est leur solitude face à une société qui ignore le changement climatique qui les fait souffrir »(8).

« L’éco-anxiété est une réaction largement rationnelle compte tenu de la gravité de la crise (…) qui ne doit pas détourner l’attention de la réponse sociétale nécessaire pour lutter contre le changement climatique et ses causes structurelles. »

(S. Clayton 2020 (9))

Des freins qui peuvent bloquer le passage à l’action

Au-delà des émotions ressenties, on observe de vrais blocages dans le passage à l’action tant au niveau individuel que collectif. Le militant gandhien et altermondialiste Rajagopal P.V. (10) identifie quatre « démons » paralysant au niveau individuel : le sentiment d’impuissance, le sentiment de complexité, le sentiment de solitude et la peur. Vivian Labrie (11), intellectuelle québécoise, identifie un 5è « démon » : la tolérance aux inégalités, le fatalisme.  Au niveau collectif et sociétal, l’essayiste Corinne Morel-Darleux, distingue plusieurs verrous dans le passage à l’action (12). Elle évoque le contexte de « consommation ostentatoire » qui encourage à consommer toujours plus (théorie du sociologue Veblen, 1899 (13)) ou encore le manque d’équité dans les mesures de protection de l’environnement se traduisant par un fort sentiment d’iniquité donc un refus d’agir.  Elle identifie également une forme de déni (ou sous-estimation) accentué par une tendance à la déconnexion au sensible et le poids des lobbys économiques.

Des leviers pour passer de l’émotion à l’action

Explorer les émotions plurielles reste néanmoins une manière de renouer avec une approche plus sensible et se défaire d’une relation « sans responsabilité, sans émotion et sans sensibilité pour la nature » (Cottereau, 2019 (14)). En outre, les travaux de sciences humaines ont montré la fonction régulatrice des émotions dans les prises de décision : pour le philosophe Jérôme Ravat (15), l’émotion est étroitement liée à la motivation à agir.  

Les principes fondateurs de la promotion de la santé éclairent les différents leviers nécessaires pour engager une transformation sociale globale :

  • Le levier individuel : thérapeutique ou non, cette approche vise à accompagner chacun.e à faire avec, transformer, dépasser ses émotions pour permettre de se sentir mieux ;
  • Le levier collectif / éducatif : pour intégrer dès le plus jeune âge l’éducation à l’environnement et la gestion des émotions, cette approche cherche à aborder au quotidien ce thème avec son public quand on est enseignant, éducateur, animateur ;
  • Le levier systémique / politique : pour questionner l’organisation politique/économique, notre société anthropocène capitaliste basée sur la consommation d’énergie en masse, cette approche va axer sur le champ sociétal et politique, en évitant de moraliser-individualiser le problème, et en soutenant le pouvoir d’agir, la capacité collective. On veut ici agir sur les déterminants sociaux/globaux.

On voit que l’enjeu de transformation sociale est fort. Pour transformer des émotions (souffrantes ou non) en moteur pour l’action, l’outil d’analyse du trépied « les trois piliers de la transformation sociale » est éclairant. Il offre un cadre structurant avec trois pieds indissociables et interdépendants :

  • la mise en œuvre d’alternatives : pour vivre mieux dès maintenant, avoir des arguments pour le rapport de force, développer les imaginaires ;
  • l’exercice de rapports de force : utiliser le nombre et la stratégie pour contraindre celle.ux qui ont des privilèges, pour défendre ou remporter de nouveaux acquis sociaux ;
  • la co-éducation : pour créer des rencontres entre les mondes, ne pas réserver les ressources à une minorité, créer du commun en partageant nos savoirs et créations avec des outils d’éducation populaire
trepied transformation sociale
« Tectonique de salon », Timult n° 10, mars 2018, pp. 26-35, https://timult.poivron.org/10/timult-10-201803.pdf

En promotion de la santé, on part du principe que les émotions liées au changement climatique doivent être abordées en croisant ces différentes approches. Il n’y a pas un objectif plus important que les autres, l’important est de les combiner.

Des principes d’action pour guider notre approche en promotion de la santé

En dressant le portrait des enjeux concernant la place de la promotion de la santé face aux émotions liées aux crises environnementales, nous voyons se dessiner plusieurs principes qui peuvent guider nos approches et pratiques aujourd’hui pour dépasser les blocages et favoriser le passage à l’action.

  1. Repolitiser le lien entre santé mentale et protection de l’environnement : il nous semble central de reconnaitre la réalité de la souffrance sans la pathologiser ni la dépolitiser. L’éco-anxiété n’est pas une maladie, et une grande partie des causes et réponses aux souffrances qui peuvent y être associées sont sociétales et politiques​.
  2. Reconnaitre la réalité des inégalités sociales face aux dérèglements environnementaux et penser des actions visant à les réduire​ : il ne faut jamais perdre de vue qu’il existe des inégalités sociales de santé et que les réponses éthiques et politiques aux crises environnementales doivent viser la réduction de ces inégalités. Certains groupes de personnes sont plus vulnérables et plus touchés par les crises environnementales, on peut citer les enfants, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou avec une maladie préexistante, les peuples autochtones, les communautés racisées ou socialement défavorisées. Il est essentiel de prendre en considération la justice sociale et environnementale dans nos actions en promotion de la santé. Au-delà des inégalités sociales, on peut considérer les inégalités liées à l’âge et reconnaitre le rapport de force et de domination entre adultes et jeunes, qui sert à discréditer les méfaits du changement climatique, crée du mépris par les classes dirigeantes et les adultes et donc un sentiment d’incompréhension, d’oppression et de perte de pouvoir par les jeunes (L.Benoit, 2022 (16))
  3. Partir du principe que toutes les émotions sont légitimes et à accueillir, mais que les actions qui en découlent doivent être prioritairement collectives et non pas individuelles. Par exemple, il est important de ne pas décrédibiliser la colère, qui n’est pas une réaction puérile ou inadaptée, mais peut s’avérer un moteur efficace au passage à l’action. Sans pour autant considérer les émotions comme la seule entrée pour accompagner les personnes : le travail autour des compétences psychosociales doit par exemple permettre d’aller vers le cognitif et le collectif.

Le renforcement des compétences psychosociales (CPS) pour agir face à la crise environnementale

Les CPS traduisent l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion de relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement (OMS 1997). Articulées autour de 3 domaines (social, cognitif et émotionnel), les CPS se traduisent par exemple par des capacités de plaidoyer, de coopération, d’empathie, de pensée critique, de régulation émotionnelle…

Il ne s’agit pas de permettre aux humains de résister à un environnement de plus en plus dégradé sans chercher à agir sur les causes, mais de mettre leurs compétences au service de l’intelligence collective pour s’affirmer, résister, inventer des nouvelles formes d’organisation alliant relation aux autres et au vivant. Les CPS apparaissent ainsi comme un réel levier face à l’urgence environnementale. Pour aller plus loin : lire la fiche repère du Pôle ESE ARA

Aller plus loin : réinventer l’approche sensible du vivant

Les enjeux de la transformation sociale qui s’impose soulèvent des questions existentielles qui invitent à analyser les processus socio-historiques ayant conduit une partie des humains à détruire leur habitat. Plusieurs processus sont à l’œuvre et en particulier une forme de mise à distance de l’expérience sensible, du rapport symbolique au monde avec l’émergence du scientisme et d’une maitrise de la nature par l’Homme. Il apparait nécessaire de réinviter un autre rapport à soi et au monde en sortant des modes d’organisation dictés par une approche économique. Il ne s’agit pas d’envisager un rapport utilitariste entre les humains et la nature mais de réancrer l’humain dans un système d’interdépendance en considérant les non-humains comme « des partenaires de vie » (P. Descola et A. Pignocchi (17)). Comme le GIEC le montre dans l’un de ses rapports, les savoirs et expertises des populations locales ou d’autres cultures à travers le monde constituent sans doute une voie à explorer pour s’inspirer à la fois de leur capacité à s’adapter aux changements grâce à leurs connaissances expérientielles et de leur rapport symbolique, émotionnel et spirituel au vivant.

Revoir le cycle de webinaires “Santé psychique et environnement, des liens multiples”: https://agir-ese.org/evenement/voir-ou-revoir-le-cycle-de-webinaires-sante-psychique-et-environnement-des-liens

Les autrices

Julie Donjon est référente régionale santé mentale à l’IREPS Auvergne-Rhône-Alpes

Lucie Pelosse est référente santé-environnement à l’IREPS Auvergne-Rhône-Alpes, et co-coordinatrice du Pôle Education et promotion de la Santé-Environnement (ESE)

L’association IREPS Auvergne-Rhône-Alpes (Instance Régionale d’Education et de Promotion Santé) développe l’éducation et la promotion de la santé pour améliorer la santé des populations et contribuer à la réduction des inégalités de santé.

L’IREPS est présente dans l’ensemble des départements de la région ARA et propose des services et ressources (formations, conseil et accompagnement méthodologique, interventions, outils documentaire et pédagogiques…) pour accompagner les professionnels (secteurs éducatif, social, sanitaire…) dans leurs projets (alimentation, compétences psychosociales, santé environnement, santé mentale…).

Plus d’infos : https://ireps-ara.org/ 

Le Pôle Education et promotion de la Santé Environnement (ESE) Auvergne-Rhône-Alpes est un programme co-porté par l’IREPS ARA et le GRAINE ARA depuis 2010. Né d’une volonté de croiser l’approche de la promotion de la santé avec celle de l’éducation à l’environnement, le Pôle vise à outiller les acteurs de la région pour qu’ils développent des actions en ESE à travers des journées d’échanges, des accompagnements, un site internet ressources…

Plus d’infos : https://agir-ese.org/presentation-et-objectifs-du-pole-ese-ara

Bibliographie

(1)  Lapaige V., L’éco-anxiété : Interview de Véronique Lapaige, Réseau Idée asbl, 2020 www.cres-paca.org/arkotheque/client/crespaca/thematiques/detail_document.php?ref=37659

(2)  Lopes I., Intervention pour le Panel sur l’éco-anxiété, Bell Cause pour la cause, 2022 www.youtube.com/watch?v=zX1LpoIGq-E

(3)  Pihkala P., Toward a Taxonomy of Climate Emotions, Frontiers in Climate, 2022 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fclim.2021.738154/full

(4)  Ágoston, C. et ali., Identifying Types of Eco-Anxiety, Eco-Guilt, Eco-Grief, and Eco-Coping in a Climate-Sensitive Population : A Qualitative Study, Int. J. Environ. Res. Public Health, 2022 https://doi.org/10.3390/ijerph19042461

(5)  Desbiolles A et Galais C., Éco-anxiété et effets du dérèglement global sur la santé mentale des populations, La Presse Médicale Formation, 2021 www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2666479821002603

(6)  Schmerber S., Guide de (sur)vie pour écoanxieux, éd. Philippe Rey, 2022.

(7)  Op.Cit.

(8)  Benoit L, Comment ne pas déprimer, Podcast Chaleur Humaine, Le Monde, 2022

(9)  Clayton S., Climate anxiety : Psychological responses to climate change, J Anxiety Disord., 2020 https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2020.102263

(10)  Aequitaz, Comment lever les freins à la mobilisation collective ? 2018. https://www.aequitaz.org/wp-content/uploads/2018/07/outil-leviers-freins-mobilisation-az-1.pdf

(11)  Aequitaz, op. cit.

(12)  Webinaire “Forum d’idées et d’échanges : comment passer à l’action collective ? », Pôle ESE et IREPS ARA, décembre 2021. https://agir-ese.org/evenement/voir-ou-revoir-le-webinaire-forum-didees-et-dechanges-comment-passer-laction-collective

(13)  Veblen T, Théorie de la classe de loisirs, 1899.

(14)  Cottereau, D. et K. Tondeur « Accompagner la construction de l’être au monde dans sa relation à l’environnement : quelles approches pédagogiques du sensible pour favoriser les comportements écocitoyens ? », in ‘‘Analyses’’, Productions de l’Institut d’Éco-Pédagogie (IEP), Juin 2019. https://ecotopie.be/publication/accompagner-la-construction/

(15)  Ravat J., Actions, émotions, motivation : fondements psychologiques du raisonnement pratique, Le Philosophoire, 2007. https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2007-2-page-81.htm

(16)  Vivre avec l’effondrement et revivre de ses cendres ! De causes à effets, Podcast France Culture,  https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/de-cause-a-effets-le-magazine-de-l-environnement/vivre-avec-l-effondrement-et-revivre-de-ses-cendres-5634078

(17)  P. Descola et A. Pignocchi. Ethnographies des mondes à venir, Seuil 2022.

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Promotion de la santé : l’apport des éducations en santé durant la crise sanitaire

Le 27 Avr 23

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Que d’encre a coulé depuis le début de la pandémie de COVID-19 au niveau de la recherche scientifique, y compris dans le domaine de la promotion de la santé (PS). Ces travaux ont souvent questionné, de manière critique, l’intégration de la PS dans la gestion de la crise. Ces critiques sont restées pour la plupart purement déclaratives. En tant que chaire de recherche sur la première ligne, Be.hive s’est engagée dans cette thématique avec la volonté de tirer les leçons à partir de différents travaux menés pendant cette crise sanitaire.

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Les auteurs

Delphine Kirkove (delphine.kirkove@uliege.be) et Benoît Pétré (benoit.petre@uliege.be) , Département des Sciences de la Santé Publique à l’Université de Liège   

Aurore Margat et Remi Gagnayre, Laboratoire Educations et Promotion de la Santé à l’Université Sorbonne Paris Nord (https://leps.univ-paris13.fr)

La crise sanitaire, liée au COVID-19, a mis les systèmes de santé sous pression. Afin de limiter l’impact de la pandémie et sa propagation, les gouvernements du monde entier ont dû prendre différentes mesures, parmi lesquelles les éducations en santé (ES), que ce soit l’éducation à la santé (centrée sur la population générale) ou l’éducation thérapeutique du patient (centrée sur les personnes malades), occupent une place centrale (1).

Durant cette période, la première ligne de soins a tenu un rôle majeur au vu de sa position de proximité avec la population pour soutenir l’appropriation de ces mesures de protections. En ce sens, la période liée au COVID-19 représente une fenêtre d’opportunité pour étudier les capacités et la maturité de la première ligne dans son rôle éducatif. Cela rejoint par ailleurs des thématiques d’actualité comme en témoignent les assises de la première ligne et le nouveau plan de Promotion de la Santé de la région wallonne (3) (4).

À partir d’une série de recherches et de projets d’accompagnement d’acteurs impliqués dans des actions éducatives, cet article présente quelques réflexions et pistes d’action.

Actions menées par Be.hive pendant la crise

Be.hive est la Chaire interdisciplinaire de la première ligne. Elle rassemble 3 universités (UCLouvain, ULB et U-Liège), 3 hautes écoles (Hénallux, HE Vinci et HELB – Ilya Prigogine), des représentants des usagers de soins de santé et du public, professionnels, managers et politiques. L’objectif de la Chaire est de contribuer au développement d’une première ligne d’aide et de soins forte et efficace en Belgique francophone.

Pour en savoir plus : be.hive.be

Un des axes de travail de Be.hive s’intéresse tout particulièrement à la participation et à l’engagement des individus dans les soins et l’aide (5). Lors de la crise sanitaire, Be.hive a réorienté certains travaux afin d’explorer cette crise sous le prisme de la promotion de la santé et plus particulièrement des éducations en santé, en tant que levier de participation et d’engagement des citoyens.

Voici les différentes activités de recherche :

  1. La gestion de la pandémie questionne la place et l’implication du citoyen dans cette gestion. Nous avons voulu savoir quelles étaient les informations collectées au sein de la population pour monitorer les connaissances, attitudes et pratiques en matière de prévention sanitaire. Entre avril et mai 2020, nous avons enregistré et analysé 45 enquêtes de monitoring de la population réalisées durant la période de Covid-19, en Belgique et en France. Cette recherche a été menée en collaboration avec le LEPS (Laboratoire Educations et Pratiques de Santé, Université Sorbonne – Paris Nord).
    • Pétré B, Kirkove D, Andrade V De, Crozet C, Toro-arrocet D, Margat A, et al. Learnings from Health Behavioural Survey Practices in France and Belgium During the First COVID-19 Stay-at-Home Order. Patient Prefer Adherence [Internet]. 2021;15:807–9. https://doi.org/10.2147/ppa.s298401
  2. Face aux patients suspectés de COVID et se présentant dans les centres de dépistage, les médecins se trouvaient relativement démunis pour donner les instructions des conduites préventives à tenir aux patients avant leur retour à domicile. En réponse, nous avons développé, à partir de juin 2020, le modèle CEdRIC : une stratégie d’éducation brève destinée aux citoyens suspectés ou confirmés d’infection au COVID-19 qui sont chargés de s’auto-isoler à la maison. D’abord utilisée par les médecins urgentistes, l’utilisation de CEdRIC a ensuite été étendue au Service I Prom’s de la Province de Liège, qui a mis ses agents à disposition de différents centres de dépistage de la Province de Liège. Nous avons analysé le retour d’expériences concernant l’utilisation de la stratégie CEdRIC à partir du point de vue des professionnels de santé qui l’ont utilisée et des bénéficiaires (429 participants).
    • Pétré B, Paridans M, Guillaume M. Utilisation de la stratégie CEdRIC dans le contexte de la pandémie à coronavirus (COVID-19), retour d’expérience. Rev Med Liege. 2022;77:1–6. https://hdl.handle.net/2268/293694
  3. Le dépistage du COVID-19 par testing salivaire a été introduit sous projet pilote dans les écoles et maisons de repos (et de soins) entre décembre 2020 et avril 2021. Les autorités régionales ont mandaté notre service pour réaliser une étude de l’acceptabilité du test salivaire au niveau du personnel de ces deux types de structure (439 MR/MRS et 19 écoles).
    • Pétré B, Paridans M, Gillain N, Husson E, Donneau AF, Dardenne N, et al. Acceptability of community saliva testing in controlling the Covid-19 pandemic : lessons learned from two case studies in nursing homes and schools. Patient Prefer Adherence. 2022. https://doi.org/10.2147/PPA.S349742
  4. L’accompagnement éducatif des patients chroniques s’est vu mis à distance (usage de la téléconsultation) en raison de la pandémie. Nous avons analysé, de janvier à mai 2021, la préparation et la perception de médecins généralistes (MG) (n= 12) et de patients chroniques (n=16) concernant l’accompagnement éducatif via la téléconsultation, à travers la réalisation de deux mémoires sur ces sujets.
    • Kirkove, D., Cenné, L., & Pétré, B. (May 2022). Exploration du vécu des patients dans l’accompagnement éducatif durant la crise sanitaire en Belgique francophone. Poster session presented at Congrès de la Société d’Education Thérapeutique Européenne, Montpellier, France. https://hdl.handle.net/2268/294735
  5. Face au déclin rencontré dans le nombre de cas-contact rapportés aux agents en charge du tracing en région wallonne, le service de promotion de la santé de Solidaris a fait appel à notre équipe pour accompagner les agents de tracing (30), à travers des séances de simulation et des apports de contenus liés aux éducations en santé en juin 2020. Il s’agissait de faciliter l’engagement des publics bénéficiaires par une approche de type préventive inscrite dans une perspective de promotion de la santé.

Les éducations en santé : un réel besoin perçu par les acteurs

Une des premières observations concerne la réception positive auprès des professionnels des différents dispositifs mis en place. Malgré leur arrivée jugée tardive, un haut niveau de satisfaction est atteint dans l’accompagnement des agents de tracing qui se sont vu proposer une ouverture de leur pratique vers le champ des éducations en santé. Le testing salivaire a été accueilli favorablement par 96.9% des Maisons de repos / Maisons de repos et soins (MR et MRS) et 100% des écoles. Cet accueil favorable est notamment lié à l’impact important qu’a pu avoir le COVID parmi ces deux milieux de vie avec des longues périodes de quarantaine dans les MR / MRS et des fermetures d’écoles. D’ailleurs, l’intention de poursuivre ce dispositif de testing était très importante également : 94.5% des MR / MRS (415 / 439) et 100% des écoles (19/19).

Une réponse positive est également observée du côté des bénéficiaires.

  • Dans la stratégie CEdRIC, l’initiative a été appréciée par 85.0% des bénéficiaires.
  • L’accompagnement éducatif à distance a également été accueilli favorablement par les patients porteurs de maladie chronique, notamment dans sa capacité à maintenir une certaine continuité des soins, comme en témoigne l’extrait suivant : « Donc j’ai eu en effet un suivi très très très très rapproché, je pense que eux ont aussi voulu combler un petit peu le manque de relation physique, donc là-dessus rien à redire, j’ai été suivi particulièrement fréquemment ».

Au-delà de cette satisfaction, l’accompagnement à distance des patients a amené d’autres effets bénéfiques tels qu’une plus grande flexibilité des professionnels de santé, permettant de s’adapter aux besoins et rythmes des patients, suggérant l’intérêt pour des formats multiples des éducations en santé : « C’est une maladie quand même assez complexe et au début on se demande un petit peu ce qui nous arrive quoi, et c’est très compliqué à gérer au départ, donc oui c’est très bien d’avoir une infirmière à tout moment aux heures de bureau et même le médecin ».

Ce passage à distance a aussi mis en évidence la nécessité et le bienfait du soutien perçu du professionnel par le bénéficiaire, inscrivant le suivi dans une approche globale de l’individu : « L’accompagnement à distance était très soutenant. Surtout cette infirmière-là qui prenait des nouvelles, qui a appelé et cetera, on se sent considéré pas que comme malade en fait, parce qu’elle demande pas qu’après notre maladie, elle demande aussi comment nous on allait ».

Les éducations en santé : une stratégie qui ne s’improvise pas

Au-delà du besoin perçu, la période COVID a aussi montré combien les éducations en santé ne sont pas des stratégies qui s’improvisent, mais qui, au contraire, nécessitent un apprentissage.

Ainsi, certains professionnels ont manifesté le sentiment d’être démunis, en particulier les urgentistes qui se sont vu confiés extrêmement rapidement un rôle « d’instruction » vis-à-vis des citoyens suspectés ou confirmés d’infection à la COVID-19. Même constat du côté des agents de tracing bien démunis pour récolter des informations des contacts. Cette période a aussi été l’occasion d’une prise de conscience concernant l’inefficacité ou l’inadéquation de certaines stratégies d’éducations en santé, basées paradoxalement sur la peur ou l’imposition de mesures.

L’expérience vécue par les médecins généralistes a également mis en évidence un certain constat d’impréparation pour ces professionnels qui se sont retrouvés fort isolés, en rappelant l’importance de la communication et du rôle des émotions dans la relation de soins : « Être prêt à être ouvert, à écouter, à se remettre en question et être prêt à réapprendre tout le temps en fait. A vraiment laisser la parole au patient. […] ».

Les éducations en santé sont-elles convoquées trop tard pour répondre à la crise ?

La majorité de nos interventions font suite à l’émergence de difficultés et du constat d’impréparation des acteurs. L’expertise dans le domaine des éducations en santé est ainsi reléguée en seconde intention. Ainsi, l’accompagnement des agents de tracing a principalement été suscité à la suite d’une régression importante du nombre de cas rapportés (moins d’un cas par personne contactée).

Même si l’adhésion au test salivaire a été très important dans les MR / MRS, la participation effective au testing de la part du personnel l’est nettement moins avec un taux de 49% (11). Au-delà de l’aspect technique de la procédure, ce résultat soulève la question de la motivation interne des professionnels pour utiliser le testing et des stratégies mises en place par certaines MR / MRS pour le soutenir.

Alors que les mesures préventives préconisées contre la COVID-19 nécessitent une participation active de la population, les enquêtes de monitoring mettent en évidence une assez faible implication de celle-ci. Ainsi, ces enquêtes, avec un taux de plus de 70%, se concentrent principalement sur les mesures de l’impact du COVID sur la population tels que la qualité de vie, la vie sociale et professionnelle ou la sphère familiale. Assez peu d’enquêtes s’intéressent par contre aux mesures d’appropriation des conduites de prévention : 17% des enquêtes (sur 45 étudiées) sur la perception de compréhension ou de connaissances des mesures. Les résultats montrent aussi la nécessité d’un haut niveau de littératie pour pouvoir y répondre (une moyenne de 49.8 au test de Flesh, ce qui correspond à un niveau d’étudiant d’études supérieures), ainsi que la faible implication des individus aux processus d’enquête que ce soit pour la conception (2%), la diffusion (11%) ou l’initiation de la recherche par une association de patients (4%). L’ensemble des résultats laissent à penser que ces enquêtes de monitoring peuvent difficilement guider l’action publique.  En effet, peu d’investigation des freins et facilitants de la population dans l’appropriation des mesures sont réalisées.  

La crise sanitaire, source de réflexivité en matière d’éducations en santé

En venant compléter l’aspect technique du dépistage, la stratégie CEdRIC, sous la forme d’une éducation brève, a permis aux professionnels de découvrir et puis d’adopter une certaine posture éducative et des stratégies soutenant l’autogestion. Par cette opportunité, ce dispositif s’inscrit dans l’un des cinq axes stratégiques de la charte d’Ottawa sur la réorientation des services et démontre la complémentarité des services de santé avec des agents provinciaux venus renforcer les médecins généralistes sur les sites de dépistage. La crise sanitaire montre la capacité d’adaptation des éducations en santé à développer différents formats, notamment de courte durée, de façon à la rendre plus accessible et intégrée aux soins.

Du côté des médecins généralistes (MG) aussi, l’expérience acquise lors de la crise sanitaire leur a permis de prendre conscience de pratiques éducatives déjà présentes, comme celle de l’apprentissage par imitation : « Par moi-même, j’ai essayé dans l’exemple que je donnais d’être irréprochable donc de ne pas toucher le masque […]. Et je pense qu’effectivement, le fait que l’exemple soit montré […] les poussait à appliquer les mêmes gestes. ». Cet extrait illustre comment le MG a intégré une stratégie d’apprentissage – en servant de modèle – qui est un élément plutôt élémentaire.

Cette période a aussi constitué une prise d’autonomie du patient, forcée par les évènements. Cette expérience « grandeur nature » a été jugée positive par les MG et où le plus difficile était finalement d’oser se lancer. Afin de pallier la contrainte du temps, ces derniers ont développé des consultations intégratives où se combinent les sphères curatives, préventives, éducatives…

Finalement, la crise a eu pour effet de mettre en exergue les besoins bio-psycho-sociaux de tout un chacun, y compris pour les professionnels : « Je pense qu’on doit même dans des crises comme ça prendre soin de soi. […] ». Du côté des patients, cette période a agi comme un révélateur sur l’importance de prendre soin d’eux-mêmes : « J’ai eu le déclic de me dire en fait si moi je prends pas soin de moi il y aura personne qui va le faire ».

La crise sanitaire : entre menaces et opportunités pour l’intégration des éducations en santé

Les observations transversales de ces différents travaux menés pendant la crise sanitaire ont comme point commun de mettre en évidence un certain manque d’intégration de pratiques des Educations en santé dans le système actuel des soins de santé.

Ce résultat corrobore le résultat d’une étude menée, pendant le COVID, sur les programmes d’Education thérapeutique du patient en France. Cette dernière rapporte une représentation de l’éducation thérapeutique du patient comme «non-essentielle », et qui a fait partie des premières activités à être stoppée (12).

Une autre croyance erronée est restée également dominante durant cette crise : celle de croire que l’information suffit pour entraîner un changement de comportement (13), en témoignent les nombreuses stratégies adoptées par les états dans ce sens. Cela questionne la vision qu’ont les professionnels quant à l’adoption d’un nouveau comportement : même si cela semble facile à appliquer, son maintien dans le temps nécessite un apprentissage volontaire et significatif. Ce type d’apprentissage, contrairement à la transmission d’information, repose sur une participation active de l’individu avec un traitement actif de l’information qui doit être intelligible, qui doit permettre la recherche de sens par l’individu lui-même et enfin apporter la possibilité d’une transposition dans son cadre de vie (16). La gestion de la crise a montré la fragilité du système dans la capacité des politiques à soutenir la participation du citoyen dans la prise de décision préservant sa santé (6).

Le constat d’impréparation a été également présent auprès des patients, en particulier ceux porteurs d’une maladie chronique. Nos observations soulèvent ainsi un besoin d’accompagnement pour les bénéficiaires avec un processus d’éducation en santé en continu –  non de façon ponctuelle – et intégrée aux soins (9) (12). Les besoins d’écoute et d’accompagnement qui ont été exprimés par les patients rappellent avec force l’importance de la relation thérapeutique. À elle seule, elle peut se révéler déterminante pour la motivation du patient à maintenir des comportements de santé de façon autonome. Cette relation a ainsi démontré sa capacité à être thérapeutique pour le patient (9).

Mais au-delà de la relation soignant – soigné, la crise a aussi mis en exergue la nécessité de tenir compte de l’environnement du patient à travers l’importance de leur soutien social et du développement de compétences psycho-sociales. Pour beaucoup de patients, mais aussi de soignants, la pandémie a constitué un moment de recentrage sur ce qui fait le caractère humain des individus, au-delà des soins et des aspects uniquement biomédicaux.

Ces différents constats nous invitent à repenser une approche plus intégrée de la santé avec le besoin d’investir dans les éducations en santé comme un véritable outil de promotion de la santé, à travers différents leviers liés à la charte d’Ottawa :

  • reconnaitre cette approche comme essentielle et en tant qu’acte thérapeutique ;
  • développer et rendre accessibles les propositions éducatives existantes en modulant les formats, de manière à pouvoir individualiser la prise en charge selon les besoins et spécificités des populations ;
  • adopter des approches de soins intégrés, dans un processus continu et incluant les éducations en santé.

L’engagement de Be.hive

Be.hive s’engage dans différents éléments de réponse à travers :

  • un travail sur le soutien des professionnels à travers des communautés de pratiques (CoP) ;
  • la connexion avec un projet de recherche sur la formation des professionnels en lien avec les éducations en santé / la promotion de la santé ;
  • un plaidoyer politique permettant de renforcer ces aspects des éducations en santé / promotion de la santé dans le système de santé.

Conclusion

La Wallonie vient de réaffirmer son intention de renforcer le volet de la promotion de la santé dans sa politique de santé, notamment à travers la première ligne de soins. Cela se justifie d’autant plus que toutes les recommandations internationales pour un système de santé fort et durable vont dans ce sens.

Seule une stratégie globale, convoquant des leviers tels que le renforcement de la participation communautaire, la création d’environnements favorables à la santé et les politiques en faveur de la santé, permettra d’atteindre un objectif de réorientation des services de santé de la première ligne, appelée depuis les textes d’Ottawa de 1986. C’est dans cette perspective que s’inscrit Be.hive.

Bibliographie

1.      WHO / OMS. 2019 Novel Coronavirus (2019 – nCoV) : strategic preparedness and response plan [Internet]. Geneva; 2020. Available from: https://www.who.int/publications/i/item/strategic-preparedness-and-response-plan-for-the-new-coronavirus

2.      WHO Regional Office for Europe. Pandemic fatigue : reinvigorating the public to prevent COVID-19. Policy framework for supporting pandemic prevention and management. Copenhagen; 2020.

3.      Wallonne R. Plan Prévention et Promotion de la Santé ́ en Wallonie, Partie 1 : définition des priorités en santé [Internet]. 2022. Available from: https://www.aviq.be/fr/sensibilisation-et-promotion/promotion-de-la-sante/horizon-2030

4.      Région Wallonne. Plan de prévention et de promotion de la santé : partie 2, référentiel pour l’action [Internet]. 2022. Available from: https://www.aviq.be/fr/sensibilisation-et-promotion/promotion-de-la-sante/horizon-2030

5.      Chaire Interdisciplinaire de la Première Ligne. Be.Hive, Un livre blanc de la première ligne francophone. Bruxelles; 2020.

6.      Pétré B, Kirkove D, Andrade V De, Crozet C, Toro-arrocet D, Margat A, et al. Learnings from Health Behavioural Survey Practices in France and Belgium During the First COVID-19 Stay-at-Home Order. Patient Prefer Adherence [Internet]. 2021;15:807–9. Available from: https://www.dovepress.com/learnings-from-health-behavioural-survey-practices-in-france-and-belgi-peer-reviewed-fulltext-article-PPA

7.      Pétré B, Paridans M, Guillaume M. Utilisation de la stratégie CEdRIC dans le contexte de la pandémie à coronavirus (COVID-19), retour d’expérience. Rev Med Liege. 2022;77:1–6.

8.      Pétré B, Paridans M, Gillain N, Husson E, Donneau A-F, Dardenne N, et al. Acceptability of community saliva testing in controlling the Covid-19 pandemic : lessons learned from two case studies in nursing homes and schools. Patient Prefer Adherence. 2022;

9.      Kirkove D, Cenné L, Pétré B. Exploration du vécu des patients dans l’accompagnement éducatif durant la crise sanitaire en Belgique francophone [Internet]. Montpellier; 2022. Available from: https://hdl.handle.net/2268/294735

10.     Pétré B, Service de Promotion de la Santé de Solidaris. Agents de tracing et promotion de la santé. Educ Santé [Internet]. 2021;383:8–12. Available from: https://educationsante.be/agents-de-tracing-et-promotion-de-la-sante/

11.     Pétré B, Paridans M, Gillain N, Husson E, Donneau A-F, Dardenne N, et al. Factors influencing the adoption and participation rate of nursing homes staff in a saliva testing screening programme for Covid-19. PLoS One. 2022;

12.     Lafitte P, Pétré B, de la Tribonnière X, GAGNAYRE R. Comment les soignants-éducateurs ont-ils adapté leurs pratiques de l’ETP durant la crise du COVID-19 ? Une enquête descriptive sur 714 programmes d’ETP. Educ Ther du Patient / Ther Patient Educ. 2020;12.

13.     Pétré B, Margat A, Guillaume M, Gagnayre R. Et s’il était temps de croire en la capacité des citoyens à s’investir dans les questions de santé ? Educ Santé [Internet]. 2020;368:7–10. Available from: https://educationsante.be/et-sil-etait-temps-de-croire-en-la-capacite-des-citoyens-a-sinvestir-dans-les-questions-de-sante/

14.     Brunois T, Decuman S, Perl F. Littératie en santé et crise sanitaire : l’exemple de la Covid-19 Health literacy and health crisis : the example of the Covid-19. Sante Publique (Paris) [Internet]. 2021;33(6):843–6. Available from: https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2022-0-page-843.htm

15.     Sørensen K, Pelikan JM, Ganahl K, Slonska Z, Doyle G, Fullam J, et al. Health literacy in Europe : comparative results of the European health literacy survey (HLS-EU). Eur J Public Health [Internet]. 2015;25(6):1053–8. Available from: https://www.regards-economiques.be/images/reco-pdf/reco_211.pdf

16.     Margat A, Pétré B, D’Ivernois JF, Lombrail P, Cailhol J, Gagnayre R. Covid-19 : Proposition d’un modèle d’éducation d’urgence. Educ Ther du Patient / Ther Patient Educ. 2020;12:10–3.

17.     Woolley I. Coronavirus disease 2019 (COVID-19): not one epidemic but four. Intern Med J. 2020;50(6):657–8.

18.     Castro E-M, Van Regenmortel T, Vanhaecht K, Sermeus W, Van Hecke A. Patient empowerment , patient participation and patient-centeredness in hospital care : A concept analysis based on a literature review. Patient Educ Couns [Internet]. 2016;99(12):1923–39. Available from: https://dx.doi.org/10.1016/j.pec.2016.07.026

elderly couple standing together outside

Intégration de l’aide et des soins aux personnes âgées vivant à domicile: évaluationde trois projets bruxellois

Le 27 Avr 23

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Cet article propose un tour d’horizon sur les tenants de l’évaluation Seneval. Celle-ci a porté sur trois projets pilotes qui ont ciblé en Région bruxelloise la promotion de l’autonomie et du bien-être des personnes âgées vivant à domicile. Pour une compréhension plus complète des spécificités de chacun des trois projets ainsi que les étapes de l’analyse qui a permis d’extraire deux modèles intégrés d’aide et de soins, nous renvoyons le lecteur au rapport d’évaluation [1].

elderly couple standing together outside

Les autrices

Gaëlle AMERIJCKX: Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale.

Céline MAHIEU: Ecole de santé publique, Centre de recherche interdisciplinaire en Approches sociales de la santé, Université libre de Bruxelles.

Cadre des projets pilotes et de l’évaluation scientifique

Entre 2018 et 2022, la Commission communautaire commune (Cocom) a financé en Région bruxelloise trois projets pilotesvisant à élaborer et tester un modèle intégré d’aide et de soins pour des personnes âgées vivant à domicile, en s’appuyant sur les capacités de la communauté locale. CitiSen (quartier Brabant à Schaerbeek) porté par l’asbl Maison Biloba, Zoom Seniors (quartiers Anneessens, Marolles et Stalingrad à Bruxelles-Ville et quartiers Porte de Hal et Bosnie à Saint-Gilles) porté par l’asbl Gammes et Senior Solidarité (quartiers Chasse-Jourdan à Etterbeek) porté par le service communal Contact Plus ont ainsi travaillé à promouvoir l’amélioration de la qualité de vie et le bien‐être des personnes âgées en perte d’autonomie dans leur environnement de vie.

Les projets, sélectionnés sur base d’un appel, ont déployé leurs stratégies au travers de quatre volets de travail, tels que définis dans le cahier des charges de la Cocom : (1) faciliter la prise en charge précoce, globale, intégrée et multidisciplinaire centrée sur les besoins des personnes âgées, en perte d’autonomie ou en besoin de soins complexes; (2) développer le réseau d’aide et de soins et social de quartier ; (3) visibiliser l’offre d’aide et de soins du quartier; et (4) créer un cadre de vie favorable.

En vue d’appréhender les apports et les acquis de l’expérience de ces projets pilotes, l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale s’est adjoint l’expertise de chercheur-e-s universitaires issus de l’ULB et de la VUB. Sous la coordination de Céline Mahieu, l’équipe d’évaluation était également composée de Dominique Verté, Gaëlle Amerijckx, Emily Verté, Ruth-Janet Koumba et Manon Steurs [2] et a porté son attention sur trois niveaux de questionnement : (1) quelles stratégies ont été mises en œuvre au sein des trois projets pilotes en vue de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dans de bonnes conditions ? ; (2) quels sont les impacts des projets pilotes sur le bien‐être des personnes âgées et sur l’organisation du système local d’aide et de soins ? ; (3) quels sont les éléments de transférabilité issus de l’expérience de ces trois projets pilotes pour un élargissement en Région bruxelloise ?

Eléments de méthodologie de l’évaluation réaliste

Selon l’approche dite réaliste, mobilisée dans ce travail (voir l’encadré), l’évaluation s’est attelée à répondre aux questions suivantes : pourquoi un modèle d’aide et de soins intégrés visant le maintien à domicile des personnes âgées fonctionne ou non ? Comment ? Pour qui et dans quel(s) contexte(s) ?

L’évaluation de type réaliste est une orientation conceptuelle qui reconnait dans l’évaluation la centralité des éléments de contexte [C]. Ceux-ci viennent façonner les interventions [I] déployées par les acteurs [A] impliqués sur le terrain et expliquer ce qui est à l’œuvre en termes de résultats [O] (pour « Outcomes ») opérés. A l’intersection entre ces ressources [C – A – I] et les résultats [O] opèrent des mécanismes [M], comme autant de rouages dans le modèle causal. Les cinq éléments ICAMO sont nommés « composantes » dans l’approche réaliste. Au travers d’un travail en étapes, un ensemble d’hypothèses (ou configurations) vont être identifiées, affinées et validées auprès des acteurs sur la manière dont s’agencent les composantes ICAMO en vue d’élaborer un modèle, dont l’étape d’affinement ultime constitue une « théorie de programme » (Pawson et Tilley, 1997).

L’équipe d’évaluation s’est, à cette fin, basée sur une méthodologie mixte combinant des données produites par les projets eux-mêmes et des données spécifiquement collectées par l’équipe d’évaluation, à savoir des entretiens avec les projets et leurs bénéficiaires, une consultation des partenaires locaux des projets ainsi qu’un entretien de groupe auprès d’acteurs régionaux.

Le rapport d’évaluation se compose d’une première section de résultats qui présente chaque projet sous la forme d’une monographie, comprenant notamment la présentation des interventions [I] menées. La section suivante est consacrée à l’analyse inter-cas qui présente les configurations ICAMO élaborées pour chacun des trois objectifs des modèles intégrés d’aide et soins de proximité pour les seniors [3]. L’affinement de ces configurations débouche sur deux modèles d’aide et de soins intégrés. Le dernier chapitre met quant à lui en discussion ces résultats autour de cinq questions-clé pour la transférabilité des modèles en Région bruxelloise.

Aboutissement de l’analyse réaliste : deux modèles identifiés

Les deux modèles d’aide et de soins intégrés que nous présentons ici constituent l’aboutissement de l’analyse réaliste. Il faut d’emblée noter qu’ils se présentent dans les trois projets parfois de manière hybride ou composite, parfois de façon plus dominante. Ainsi il faut considérer leurs composantes essentielles davantage comme une grille de lecture distinguant les grandes orientations prises par les projets que comme le révélateur d’entités monolithiques

Le premier modèle est centré sur la Distribution dans la communauté. Il se caractérise par la flexibilité des partenariats qu’il développe, notamment dans le travail de détection des seniors fragiles, et qui intègrent largement la communauté locale dans l’élaboration et la réalisation d’actions. On parle ainsi d’une « communauté d’action » où les rôles de chacun-e sont construits au départ et selon le projet qui se développe. L’accent est également mis sur la formation et l’information des seniors eux-mêmes et de leurs aidants proches (dans une logique d’autonomisation), notamment au service de l’objectif de création d’un cadre de vie favorable dans le quartier.

Le second modèle est, lui, centré sur l’Institutionnalisation. Il procède d’une démarche structurée et systématique afin d’assurer le travail de détection des seniors fragiles, notamment grâce à une procédure élaborée et mise en œuvre avec des partenaires institutionnels du projet. L’accompagnement global des seniors s’opère ici au travers d’une « segmentation institutionnalisée », où les rôles de chacun-e sont déterminés en fonction de la place occupée par chaque partenaire – pourrait-on dire préexistante – dans le système local. Et s’agissant de la création d’un cadre de vie favorable, les actions menées dans ce modèle promeuvent ou s’intègrent aux activités pré-existantes.

De façon transversale, revenons maintenant sur la présentation des composantes – au sens de l’évaluation réaliste – de ces deux modèles. L’analyse des contextes [C] et des acteurs [A] impliqués dans les projets CitiSen, Zoom Seniors et Senior Solidarité permet de comprendre les éléments qui ont contribué à l’émergence de chaque modèle. Ainsi les modalités d’implication des pouvoirs publics locaux (Communes et CPAS) semblent être déterminantes en ce qu’elles impriment aux projets un certain mode de régulation des décisions et du fonctionnement : flexible ou systématique, ancré dans la communauté ou dans les institutions. L’échelle territoriale est un autre élément contextuel important ayant guidé la concrétisation des projets : le niveau « quartier » semble plus propice au développement de la première configuration, alors que dans les autres projets le groupement de quartiers voire le territoire communal a été couvert. Les caractéristiques du public visé sont également importantes : la présence d’une grande diversité (versus l’homogénéité) sociale et culturelle des seniors de la zone territoriale concernée et le niveau d’intégration de ceux-ci aux communautés présentes dans le quartier (versus leur isolement) ont conduit les projets pilotes à privilégier respectivement le premier ou le second modèle.

Quant aux mécanismes [M] identifiés, qui activent les possibilités de réalisation des missions au sein des projets, se dégagent clairement : l’investissement des différents lieux-clés de vie de la personne âgée, la reconnaissance de l’apport de chaque partenaire (notamment les acteurs informels et aidants proches et les personnes âgées elles-mêmes), la capacitation des acteurs (via des formations, des outils mis à disposition, etc.), le conventionnement du cadre des interventions (via notamment une formalisation écrite), la décentration par rapport au métier et aux cadres de travail habituel (dans le cadre du temps consacré hors de son organisme au bénéfice du projet pilote), l’absence d’arbitraire dans la sélection des acteurs faisant partie de l’éventail de l’offre, l’enrôlement des hiérarchies qui composent le partenariat (pour assurer l’engagement durable des travailleurs ‘détachés’), le développement d’une éthique relationnelle, l’organisation de la réciprocité des compétences et attitudes échangées entre partenaires ou acteurs du projet, l’utilisation des éléments du diagnostic initial (besoins et ressources du territoire), l’articulation entre le projet (au niveau de l’échelle d’intervention et du public visé) et d’autres initiatives locales social-santé visant des publics vulnérables.

Enfin en termes de résultats [O] et de contribution au réseau d’acteurs et à l’accompagnement des seniors, le premier modèle se caractérise par une participation plus diversifiée et distribuée entre les différentes catégories d’acteurs (social et santé, formel et informel). Dans le second, les services proposés vont davantage s’inscrire dans les rapports de confiance privilégiée qu’entretiennent les acteurs institutionnels avec certains de leurs partenaires. Enfin, les équipes de coordination impliquées dans le second modèle ont davantage tendance à s’impliquer dans l’accompagnement direct des seniors, incarnant celui-ci, tandis que dans le premier, le relais vers et avec les partenaires reste l’activité maîtresse : la continuité du lien entre les personnes âgées et le projet s’organise autour des lieux décentralisés d’accueil des publics (guichets).

Réflexions sur la transférabilité de ces modèles : qu’en retenir ?

Au départ de l’expérience des trois projets, cinq constats ont été identifiés dans l’analyse comme « nœuds » intervenant dans la question de la transférabilité vers un futur modèle intégré d’aide et de soins de proximité visant le maintien à domicile des personnes en Région bruxelloise. Loin de chercher à trancher en faveur de l’un ou l’autre des deux modèles identifiés dans l’analyse réaliste, ces cinq questions-clé contribuent surtout à baliser la réflexion lors de l’implémentation d’un tel projet : 1) Comment favoriser l’acceptabilité sociale et culturelle des différents points d’information et atteindre les publics les plus éloignés ? 2) Comment intégrer les acteurs sanitaires et sociaux aux modèles ? 3) Quelle articulation entre la fonction de relais et la fonction d’accompagnement ? 4) Quelles modalités d’implication des pouvoirs publics locaux sont pertinentes ? 5) Quels éléments permettent de déterminer l’échelle territoriale pertinente ?

Ces questions ont été traitées dans le rapport d’évaluation grâce à une revue ciblée de la littérature internationale et à la tenue d’un entretien de groupe avec des acteurs régionaux des sphères sociale et santé. En synthèse, l’exploration de ces questions-clé nous ramène à l’enjeu central du travail relationnel dans ce type de projet, et particulièrement en vue de favoriser son acceptabilité sociale et culturelle. Ce travail relationnel s’opère au travers d’une ou de plusieurs fonctions (coordination, relais, accompagnement…), sur le temps long et dans une nécessaire continuité d’actions. Il nécessite un contexte de réalisation stable, afin que la connaissance du territoire et l’expertise métier puissent se développer. Pour pallier les problématiques structurelles de turn-over des professionnels et favoriser le relais entre intervenants au bénéfice des seniors, l’ancrage de l’orientation et de l’accompagnement des personnes dans un espace délocalisé tel qu’observé dans la première configuration (Distribution dans la communauté), plutôt qu’une logique incarnée dans une personne spécifique (zorgcoach ou facilitatrice seniors) est préféré.

L’élaboration de partenariats avec les pouvoirs locaux est déterminante dans le développement de tels projets. Il importe de négocier au plus tôt leur inclusion dans la dynamique et d’articuler au mieux leur degré d’implication en tenant compte de celle du secteur associatif, eu égard, entre autres, à son potentiel d’innovation.

Sur le plan de l’intégration du social et de la santé, qui plus est à l’échelle locale, trois lignes de force se dessinent dans la logique d’articulation optimale au sein du modèle. La première touche aux dynamiques territoriales : le niveau optimum de mise en contact des seniors avec les services s’opérerait à l’échelle de quartier(s), à la différence du renforcement des réseaux qui s’opérerait plus avantageusement à l’échelon supérieur (communal). La seconde ligne de force porte sur les fonctions distinctes de relais et d’accompagnement des personnes : l’intégration de la santé et du social ne peut éviter les concurrences et redondances entre acteurs que grâce à la reconnaissance de la complémentarité et à la séparation des fonctions de relais et d’accompagnement entre acteurs. La troisième ligne de force revoie au rapport entre secteurs et (types de) besoins : la prédominance des besoins en termes d’aide à la vie quotidienne et d’aide sociale parmi les seniors semble plaider pour un modèle intégratif qui ne soit pas médico-centré. L’intégration s’articulerait plutôt au départ de l’accompagnement social qui s’adjoindrait la collaboration des acteurs de la première ligne de soins et de santé les plus à même de repérer une dégradation de la situation de la personne dans une perspective de détection précoce.

Loin d’épuiser le débat sur les défis que pose la matérialisation d’un modèle intégré d’aide et de soins à l’échelon local, le travail d’évaluation réalisé ambitionne de couvrir certains des éléments-clés des dynamiques et enjeux locaux préfigurant à la structuration régionale bruxelloise de l’offre socio-sanitaire. Au travers de ce rapide tour d’horizon, nous espérons vous avoir ainsi donné le sens de ce qui constitue le rapport d’évaluation Seneval.

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[1] Le rapport d’évaluation ainsi que son résumé – dont ce texte est extrait – et une présentation powerpoint du travail d’évaluation sont disponibles en français et en néerlandais, sur le site de l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale: https://www.ccc-ggc.brussels/fr/observatbru/accueil

[2] Gaëlle AMERIJCKX: Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale.

Céline MAHIEU et Ruth-Janet KOUMBA: Ecole de santé publique, Centre de recherche interdisciplinaire en Approches sociales de la santé, Université libre de Bruxelles.

Dominique VERTE: Belgian Ageing Studies, Vrije Universiteit Brussel.

Emily VERTE et Manon STEURS: Vakgroep Huisartsgeneeskunde en chronische zorg, Vrije Universiteit Brussel.

[3] Il s’agit des quatre volets de travail mentionnés plus haut et restructurés sous la forme d’objectifs : i) Entrer en contact et détecter les seniors en situation de fragilité pour visibiliser l’offre auprès d’eux ; ii) Favoriser un accompagnement global, intégré et multidisciplinaire ; iii) Contribuer à la création d’un cadre de vie favorable aux personnes âgées.

doctor with patient in medical office

Inégaux face à la santé

Le 23 Mar 23

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Plus le revenu médian d’un quartier est bas et plus l’état de santé de ses habitants est mauvais, c’est le constat principal d’une étude à grande échelle de la Mutualité chrétienne, qui a étudié les données de ses 4,5 millions de membres répartis en 20.000 quartiers sur le territoire belge. Une analyse qui donne une vision fine du lien entre revenu et santé. La santé des personnes se détériore considérablement à mesure que les revenus au sein d’un quartier diminuent. Or, les inégalités de santé sont des différences injustes, systématiques et évitables en matière de santé entre différents groupes de la société.

doctor with patient in medical office
crédit: Adobe

L’accord de coalition fédéral contient – à juste titre – des objectifs ambitieux en matière d’inégalités de santé, notamment celui de réduire d’au moins 25 %, d’ici 2030, l’écart de santé entre les personnes ayant la plus grande et la plus petite espérance de vie en bonne santé. Mais comment est-il possible de mesurer et contrôler la réalisation de cet objectif ? Cette nouvelle étude de la MC peut servir de référence pour formuler et évaluer des mesures politiques concrètes. 

L’étude « Inégaux face à la santé » permet d’objectiver l’importance des inégalités de santé en matière d’état de santé (mortalité et morbidité) et d’utilisation des soins de santé (soins hospitaliers, dispositifs de prévention, contacts de 1ère ligne et santé mentale).

Mesurer les inégalités

Les résultats sont basés sur les données de tous les membres de la MC – près d’un Belge sur deux – et non sur des données autodéclarées, contrairement aux enquêtes dans lesquelles les répondants à faibles revenus sont souvent sous-représentés. La méthode repose sur un traitement des bases de données administratives et de facturation des soins de santé, collectées et traitées en routine par les mutualités (pour l’année 2019). 

Afin de procéder à une analyse approfondie, les 20.000 quartiers (secteurs statistiques) de Belgique ont été répartis en dix classes basées sur le revenu fiscal médian (données provenant de Statbel). Les 4,5 millions de membres de la MC sont répartis, en fonction de leur adresse, dans l’une de ces dix classes (chacune regroupant 10% des membres), de sorte qu’une distinction peut être faite entre les membres en fonction du niveau de revenu de leur quartier. De plus, deux classes représentant les situations les plus extrêmes ont été créées : les classes P5 et P95, qui regroupent chacune 5% des membres de la MC qui habitent, respectivement, dans les quartiers les plus pauvres et les plus riches. 

Un certain nombre d’indicateurs de santé et d’utilisation des soins ont été utilisés pour mesurer comment l’état de santé et le recours aux soins diffèrent selon le niveau de revenu des 20.000 quartiers. L’information relative à ces indicateurs est présentée sous forme d’un indice standardisé [1], calculé pour chacune des classes décrites ci-dessus. Concrètement, ces indicateurs font référence à des évènements liés à la santé et à l’utilisation des soins : être admis à l’hôpital, avoir eu recours à tels types de soins ou de médicaments, décéder, etc. La population de référence (correspondant à l’ensemble des membres potentiellement concernés par la problématique étudiée) pour un certain évènement étant indicée à la valeur 100, si la valeur de l’indice est de 130 pour cet évènement et pour une certaine classe, cela signifie alors que le risque lié à cet événement est 30% supérieur dans cette classe par rapport à la population de référence. La comparaison des indices des classes extrêmes donne une idée de l’ampleur des inégalités de santé. 

Inégalités d’état de santé

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Figure 1 : Décéder, souffrir du diabète en fonction de la classe de secteurs statistiques (Sources : STATBEL et Données MC, 2019)

La figure 1 présente notamment le risque de décéder (toutes causes confondues) au cours de l’année. On voit se dessiner un gradient : de gauche à droite du graphique, ce risque diminue régulièrement au fur et à mesure qu’on passe d’une classe à l’autre (évoluant des quartiers pauvres vers les quartiers riches). Ainsi, les personnes appartenant à la classe 1, regroupant les 10% des membres vivant dans les quartiers les plus pauvres, présentent un risque de mortalité supérieur de 29% (valeur de l’indice=129) par rapport à l’ensemble des membres de la MC (c’est la population de référence). Par contre, les personnes appartenant à la classe 10, soit les 10% des membres de la MC vivant dans les quartiers les plus riches, ont un risque de mortalité inférieur de 30% (valeur de l’indice=70) par rapport à la population de référence. Si on calcule l’écart relatif entre ces deux classes, on constate que le risque de décéder est accru de 84% pour la population qui vit dans les quartiers pauvres par rapport à celle qui vit dans les quartiers riches. Cet écart relatif augmente à 97% quand on compare les deux classes P5 et P95. 

En termes de morbidité, on retrouve également des inégalités de grande ampleur. Le risque de souffrir de diabète est par exemple accru de 51% pour la population vivant dans les quartiers pauvres (classe 1) par rapport à la population vivant dans les quartiers riches (classe 10). Quand on compare les classes P5 et P95, ce même risque relatif est encore plus élevé : 60%. 

D’autres pathologies ont également été étudiées, ainsi que le fait de tomber en incapacité de travail, et les conclusions convergent : ce sont bien les populations plus pauvres qui sont davantage confrontées aux maladies graves et invalidantes. 

Inégalités d’utilisation de soins de santé

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Figure 2 : être admis en hôpital général, avoir recours aux urgences hospitalières et aux soins dentaires préventifs en fonction de la classe de secteurs statistiques (Sources : STATBEL et Données MC, 2019)

Dans l’étude, l’utilisation des soins de santé est illustrée par une série d’indicateurs afférents à différents domaines : les dispositifs préventifs, les contacts de 1ère ligne, les soins hospitaliers et la santé mentale.

Le recours aux soins hospitaliers peut être considéré comme le reflet direct de l’état de santé dégradé dans les quartiers pauvres. Ainsi, on observe que les personnes vivant dans les quartiers pauvres (classe 1) présentent un risque accru de 23% d’être admis en hôpital général (essentiellement les services de soins aigus) par rapport aux personnes de la classe 10 (voir figure 2). Cet écart relatif est de 26% quand on compare les classes P5 et P95. Une autre façon d’accéder aux soins hospitaliers est de recourir au service d’urgence de l’hôpital. Le gradient observé est similaire et les écarts relatifs sont encore plus accentués : 39% quand on compare la classe 1 à la classe 10 ; 44% quand on compare la classe P5 à la classe P95.

En termes de dispositifs de prévention, il est frappant de constater que le sens du gradient est renversé. Cela traduit le fait que le recours à ces dispositifs est moins fréquent chez les populations pauvres et augmente quand on passe d’une classe à l’autre. On observe ainsi une différence en matière de recours aux soins dentaires préventifs : les personnes de la classe 1 ont 33% de chance en moins d’y recourir que celles de la classe 10 (voir figure 2). Ce même écart relatif entre la classe P5 et P95 est de 37%. Autre exemple : on constate que les femmes vivant dans les quartiers pauvres ont 20% de chance en moins d’avoir bénéficié d’un dépistage du cancer du sein par rapport à celles vivant dans les quartiers riches (comparaison entre la classe 1 et 10). L’écart relatif entre les classes P5 et P95 est quant à lui de 25%.

Pour les contacts de 1ère ligne, on n’observe pas de gradient important quant aux consultations au cabinet d’un·e médecin généraliste. En revanche, en ce qui concerne les maisons médicales – autre façon de bénéficier de la médecine générale sans devoir payer de ticket modérateur ou avancer le coût des soins – ce sont bien les personnes vivant dans les quartiers pauvres qui y sont davantage inscrites : l’écart relatif entre la classe 1 et 10 est massif et de l’ordre de 500% (579% quand on compare la classe P5 et P95).

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Figure 3 : Hospitalisations psychiatriques, séjours dans les maisons de soins psychiatriques, initiatives d’habitations protégées (Sources : STATBEL et Données MC, 2019)

En ce qui concerne la santé mentale, on observe un gradient clair et considérable pour trois types de soins qui peuvent être considérés comme ‘lourds’, c’est-à-dire les hospitalisations psychiatriques, les séjours en maison de soins psychiatriques (MSP) et initiatives d’habitations protégées (IHP) (voir figure 3). Par rapport aux personnes de la classe 10, celles de la classe 1 ont 2,8 fois plus de risque d’être hospitalisées en hôpital psychiatrique (ou dans un service psychiatrique d’un hôpital général), soit un risque accru de 180%, 14,7 fois plus de risque de séjourner en MSP et 31 fois plus de risque de résider en IHP.

La situation est plus contrastée quand on examine le recours aux consultations en santé mentale. En effet, le gradient des consultations psychologiques [2] est en sens inverse de celui relatif aux consultations chez un·e psychiatre : plus on est riche et plus on a l’opportunité d’aller chez un·e psychologue, plus on est pauvre et plus on consulte le·la psychiatre. On observe également des gradients importants par rapport à l’utilisation d’antidépresseurs et d’antipsychotiques : plus on est pauvre et plus on a recours à ces médicaments.

Faire face aux inégalités

D’une façon générale, les caractéristiques des inégalités de santé sont les suivantes : à mesure que les revenus diminuent, l’état de santé se détériore, des soins lourds sont plus fréquemment utilisés, la prévention est moins opérante. Réduire ces inégalités devrait être un enjeu pour tous. En effet, elles ne sont pas une fatalité : elles ne sont en rien ‘naturelles’ mais bien ‘produites’ du fait qu’elles sont la résultante de toutes les autres inégalités auxquelles notre société est confrontée. Dès lors, compte tenu des multiples facteurs susceptibles d’influencer la santé, il est essentiel et nécessaire d’agir de façon conjointe dans divers domaines d’action comme les revenus, l’emploi, le logement, les conditions matérielles de vie, de travail, etc. Avec sa stratégie « la santé dans toutes les politiques » (Health in all policies), l’Organisation Mondiale de la Santé nous montre le chemin à suivre. De plus, le principe de l’universalisme proportionné doit fonder cette action. C’est ce que recommande Marmot (chercheur britannique en épidémiologie et en santé publique) : « pour réduire la pente du gradient social en matière de santé, les actions doivent être universelles, mais d’une ampleur et d’une intensité proportionnelles au niveau de désavantage. Une action plus intense sera probablement nécessaire pour les personnes défavorisées sur le plan économique et social, mais se concentrer uniquement sur les plus défavorisés ne réduira pas le gradient de santé et ne s’attaquera qu’à une petite partie du problème » [3].

Enfin, l’objectivation des inégalités de santé permet de réfléchir aux implications concernant l‘accès aux soins de santé. Améliorer cet accès nécessite une réflexion approfondie sur la façon dont l’offre de soins est organisée en fonction des besoins de la population. Le principe de l’universalisme proportionné peut, ici, également nous guider. L’accès aux soins doit être envisagé dans ses 4 dimensions 

  1. La détection des besoins en soin (la sensibilité)

Il faut pouvoir mieux prendre en compte les besoins de soins accrus des personnes défavorisées, à commencer par une détection suffisamment précoce des problèmes de santé. Cela passe, entre autres, par la formation des prestataires de soins afin qu’ils·elles puissent mieux identifier les risques sociaux sur la santé, de façon à favoriser un dépistage et un suivi plus adapté. Mais il faut aussi sensibiliser les patient·es aux risques de santé afin d’éviter la sous-utilisation des soins de santé qui peut avoir d’autant plus de conséquences négatives pour les groupes les plus à risque. Ce qui est loin d’être évident, tant les difficultés au quotidien pour les groupes vulnérables détournent l’attention par rapport aux problèmes de santé.

2. La disponibilité des services de santé

L’existence d’inégalités de santé signifie aussi que les besoins en soins de santé sont inégalement répartis sur le territoire. L’offre de soins doit être dimensionnée de façon à assurer une disponibilité suffisante des services adéquats en fonction des besoins des populations locales.

3. L’accessibilité financière

Notre système de santé laisse trop de dépenses à charge des patients, ce qui induit un report de soins pour des raisons financières et des dépenses importantes susceptibles de déstabiliser le budget des ménages. Bien des efforts sont encore à faire ! Ces efforts ne doivent pas uniquement viser les publics les plus défavorisés financièrement mais il doit s’agir de mesures progressives pour s’adapter à la capacité à payer et aux différents niveaux de besoins de soins au sein de la population.

4. L’acceptabilité

Le but visé est le suivant : des soins acceptables pour tous, c’est-à-dire des prestations de soins délivrées avec le niveau minimum de qualité perçue pour que les personnes acceptent d’y recourir. Les personnes en situation de vulnérabilité socio-économique doivent pouvoir bénéficier d’une écoute et d’une compréhension suffisante de la part des soignant·es afin que les soins et la façon de les délivrer soient adaptées aux situations personnelles.​

Les résultats complets de l’étude sont disponibles en ligne sur le site de la MC à la rubrique ‘Santé & Société’.

Avalosse, H., Noirhomme, C., Cès, S. (2022). Inégaux face à la santé. Etude quantitative des inégalités économiques relatives à la santé et à l’utilisation des soins de santé par les membres de la MC. Santé & Société, 4, 6-30.

https://www.mc.be/media/sante-et-societe-4-etude-inegaux-face-a-la-sante_tcm49-77065.pdf

[1] Les paramètres de standardisation sont l’âge, le sexe et la région.

[2] La réforme des soins psychologiques a été implémentée au sein de l’assurance obligatoire soins de santé à partir de 2020. L’étude portant sur des données de 2019, le recours aux soins psychologiques est évalué à l’aide de données de l’assurance complémentaire de la MC, qui intervient pour ce type de soins.

[3] Marmot, M. (2010). Fair society, healthy lives. The Marmot Review. Strategic review of health inequalities in England post-2010. Executive Summary, p. 10

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Le Nutri-score, un outil de santé publique

Le 13 Fév 23

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Depuis 2018 en Belgique, ce logo coloré paré de lettres est présent sur de plus en plus de produits dans les rayons des supermarchés. Mentionné sur base volontaire par les industriels, producteurs et distributeurs, il a récemment fait l’objet de modifications par un comité scientifique transnational. Il est également au centre des débats actuels au niveau européen. 

L’occasion d’une mise au point avec Mme Hélène Alexiou, diététicienne, maître-assistante à la Haute Ecole Leonard de Vinci et membre du Comité Scientifique du Nutri-Score.

a young beautiful caucasian woman leaning on a grocery cart, selects products in the store. the concept of shopping and buying products.

Un score nutritionnel

« Les informations nutritionnelles présentes sur les emballages des produits alimentaires sont régies par la réglementation européenne « INCO » nº 1169/2011 [1]. Ce règlement stipule que l’information du consommateur – la déclaration nutritionnelle obligatoire – peut s’accompagner d’une répétition de l’information facultative dans le champ visuel principal, c’est-à-dire en face avant des emballages et de façon plus simplifiée. » explique Hélène Alexiou. Le Nutri-score s’inscrit dans cette disposition.

Le Nutri-score est aujourd’hui présent sur base volontaire dans 7 pays européens [2] désignés sous le nom de « pays officiellement engagés dans le Nutri-Score ». Mais d’autres logos existent en Europe, tels que le système des feux tricolores au Royaume-Uni ou encore le « verrou vert » dans les pays nordiques.

« La Commission européenne, dans son plan stratégique « Farm to Fork », a l’intention de modifier la réglementation INCO. Dans une volonté de transparence sur la qualité nutritionnelle globale des aliments préemballés, elle a pour objectif de rendre obligatoire un logo nutritionnel simplifié en face avant des emballages. Il est donc possible que l’un de ces logos devienne obligatoire dans tous les pays de l’Union Européenne. Il était prévu qu’elle rende sa décision début 2023 mais celle-ci est actuellement retardée. »

Derrière le score, un algorithme

Le Nutri-score est un score final, unique. Il est obtenu grâce à un algorithme (différent pour les aliments solides et les boissons) et reflète, par 100 g de produit (ou 100ml pour les liquides), la balance entre des éléments positifs et des éléments négatifs pour la santé.

« L’équipe scientifique de Santé Publique France (sous l’égide du Prof. S Hercberg) qui a développé l’algorithme s’est basée sur un autre algorithme créé par une équipe de recherche de l’Université d’Oxford afin de catégoriser les aliments qui pourrait faire l’objet d’un marketing ou non chez les enfantsDans les éléments positifs, l’algorithme prend en compte la teneur en fibres, en protéines et une composante globale basée sur la présence de fruits & légumes, légumineuses, fruits à coque et trois huiles (colza, noix et olive). La partie négative tient compte des calories, de la teneur en acides gras saturés, en sucre et en sel. »

Des points sont attribués en fonction des différentes teneurs pour chaque composé de 0 à 5 pour les composés favorables et de 0 à 10 pour les composés de la partie défavorable. 

« Ces éléments n’ont pas été choisis par hasard. Il y a d’abord la contrainte que les nutriments doivent pouvoir être déduits de la déclaration nutritionnelle obligatoire ou de la liste d’ingrédients. Ensuite, les composantes constituant l’algorithme ont été identifiées comme telles parce qu’elles sont associées, d’après de nombreuses études épidémiologiques (GBD, 2017) aux principales maladies non transmissibles (obésité, maladies cardiovasculaires), et dont la consommation devrait être limitée ou encouragée dans l’intérêt de la santé publique. »

Le Nutri-score a fait l’objet d’un processus scientifique rigoureux tant dans l’élaboration de l’algorithme de classement des aliments que dans la validation du format graphique et de sa capacité à attirer l’attention du consommateur et à être compréhensible.

Une gouvernance transnationale

Un mécanisme de coordination transnationale [3] a été mis en place pour faciliter l’utilisation du Nutri-score entre les différents pays l’ayant adopté Ce mécanisme réunit un comité de pilotage ainsi qu’un comité scientifique. Ce dernier est constitué de 13 experts des pays engagés (1 à 2 experts par pays). Ces scientifiques indépendants en nutrition, épidémiologie et santé publique, appartiennent au monde académique ou à des organismes publics ; ils ne présentent donc aucun conflit d’intérêt.

La mission principale du comité scientifique est de s’assurer que l’algorithme intègre les dernières connaissances scientifiques. Les experts étudient également le rationnel scientifique de toute demande de mise à jour du Nutri-score. L’algorithme est en effet destiné à évoluer au rythme des progrès de la science. C’est ainsi que celui des aliments solides a été récemment mis à jour [4] et que le comité scientifique travaille désormais à la finalisation de l’actualisation de l’algorithme pour les aliments liquides.

Mise à jour de l’algorithme des aliments solides

Les modifications récentes de l’algorithme ont mené aux changements suivants :

  • une meilleure différenciation et répartition des huiles entre les catégories A à E ;  l’huile d’olive est classée B ainsi que les huiles végétales à faible teneur en acides gras saturés (colza, noix, huile de tournesol oléique) ;
  • une meilleure discrimination pour les noix et graines sans sel ni sucres ajoutés ;
  • une amélioration de la différenciation des céréales complètes et du pain complet par rapport aux produits raffinés ;
  • un classement plus strict des produits à forte teneur en sel (ex : préparations de viande, plats préparés, snacks salés) ;
  • une allocation des points plus stricte pour les produits sucrés. Ceci a également des répercussions sur les produits laitiers sucrés et les céréales petit-déjeuner à teneur relativement élevée en sucre (désormais susceptibles d’être moins bien catégorisés) ;
  • la viande rouge est moins bien classée comparativement à la volaille ou au poisson, permettant un meilleur alignement avec les recommandations nutritionnelles visant à limiter leur consommation ;
  • une meilleure classification des poissons gras sans ajouts (sel ou huile).

Un indicateur controversé…

Malgré ses fondements scientifiques, le Nutri-score est sujet à de nombreuses critiques. L’une d’entre elles remet en cause son efficacité car il peut catégoriser en B un plat préparé alors que l’huile d’olive – dont l’intérêt nutritionnel est démontré – est classée C.

« Cette critique provient de l’incompréhension de l’utilité du Nutri-score. Le logo a pour objectif d’aider les consommateurs à reconnaître en un clin d’œil la qualité nutritionnelle globale d’un aliment mais – surtout – à pouvoir le comparer à un aliment de la même catégorie. Un consommateur qui prend un paquet de céréales et voit qu’il contient 0,8 g de sel ne pourra lui donner aucune valeur relative. Le Nutri-score, avec ses 5 couleurs et 5 lettres, permet de comparer, sur une base relative, la qualité d’aliments qui sont comparables en termes d’usage. Le Nutri-score traduit donc les chiffres de la déclaration nutritionnelle – incompréhensibles pour la plupart des consommateurs qui n’ont pas de connaissances en nutrition – en quelque chose de simple et compréhensible. »

Plusieurs outils ont été développés par Santé Publique France [5] mais également en Belgique par le Service Public Fédéral Santé publique [6] afin d’expliquer l’intérêt du score et ses limites.

Une autre critique formulée à l’encontre du Nutri-score est qu’il mène à une sur-représentation des aliments transformés. En ce sens, qu’il valide des aliments industriels avec un Nutri-score A alors que des produits bruts comme des fruits et légumes n’ont pas de Nutri-score.

« De manière générale, le Nutri-score des aliments ultra transformés est moins bon que celui des aliments qui ne le sont pas. Une analyse (Galan, 2021) de 220.522 aliments ultra transformés [7] a mis en évidence que 79% de ceux-ci sont classés C, D ou E, et seulement 13% se classent en B et 8% en A. Les dimensions nutritionnelles et d’ultra-transformation ne couvrent pas les mêmes dimensions mais sont complémentaires. Ainsi, au sein des aliments ultra-transformés par exemple, il existe des différences importantes de composition nutritionnelle, et le Nutri-Score peut permettre au consommateur de faire un choix de composition nutritionnelle plus favorable à sa santé. Toutefois, il est possible qu’à l’avenir le Nutri-score intègre pleinement cette dimension et qu’un produit ultra-transformé voit son Nutri-Score cerclé d’un bandeau noir. »

En outre, il est important de rappeler que le Nutri-score n’efface pas les autres outils existants sur les recommandations alimentaires : « la pyramide alimentaire est toujours là pour rappeler que les fruits et légumes constituent la base d’un mode d’alimentation équilibré ».

« Précisons également que le Nutri-score concoure à l’amélioration nutritionnelle des produits industriels. Les industries ont, en effet, intérêt à améliorer les formulations de leurs produits dans une dynamique concurrentielle de vente. »  

Enfin, le Nutri-score est jugé incomplet car il ne prend pas en compte les additifs ou les résidus de pesticides présents dans les aliments. « Compte tenu des connaissances scientifiques actuelles, il n’est pas possible de développer un indicateur synthétique qui couvrirait toutes les dimensions santé d’un aliment. Plusieurs dimensions sont complémentaires : la composition nutritionnelle, la présence d’additifs, l’ultra-transformation, les résidus de pesticides. Pour le moment, il est impossible de pondérer la contribution relative de chacune de ces dimensions et d’obtenir un score synthétique qui serait prédictif au niveau du risque global pour la santé. Et s’il existe des tentatives de score voulant prendre en compte toutes ces dimensions, ces scores ne sont absolument pas fondés ni validés sur le plan scientifique, contrairement au Nutri-score. »

… mais de solides preuves d’efficacité

« De très larges études de cohortes prospectives (Deschasaux, 2020 ; Egnell, 2021 ; Deschasaux, 2018) regroupant des centaines de milliers de participants dans plusieurs pays européens suivis pendant de nombreuses années (entre 6 et 17 ans) ont montré que les sujets qui consomment les aliments les moins bien classés sur l’échelle du Nutri-score ont un risque plus élevé de développer des maladies telles que le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, et, enfin, ont un risque de mortalité plus élevé. Une association a été clairement démontrée entre les paramètres de morbidité et mortalité, et le Nutri-score. Sélectionner des aliments avec un meilleur Nutri-score est associé à des meilleurs paramètres de santé. »

Des études ont également démontré que le Nutri-score améliore la capacité du consommateur à classer correctement les aliments en fonction de leur qualité nutritionnelle (Egnell, 2018a ; Egnell, 2020).

« D’autres études (Egnell, 2020 ; Finkelstein, 2019 ; Crosetto, 2017 ; Ducrot, 2016 ; Egnell, 2019) ont également testé l’utilisation du logo en situation d’achat afin d’observer si le Nutri-score impactait réellement le comportement d’achat et cela s’est confirmé. En situation réelle, le Nutri-score améliore la qualité nutritionnelle du panier d’achat. Ces études ont également pris en compte des populations avec des niveaux socio-économiques plus bas et des populations d’étudiants, et les effets sont tout autant observés. »   « Un autre effet démontré porte sur la taille des portions. On observe que le consommateur va choisir des portions plus faibles lorsqu’il s’agit de produits de moins bonne qualité nutritionnelle (Egnell, 2018b). »

Une injonction nutritionnelle au détriment du plaisir alimentaire ?

Une étude (Poquet, 2019) a observé que l’apposition du Nutri-score sur des goûters d’enfant entraine un choix d’un goûter de meilleure qualité nutritionnelle mais diminue également le plaisir lors de la consommation de celui-ci. Cette étude soulève la question du risque que peut représenter le Nutri-score pour la dimension hédonique de l’alimentation.

« Le fait que le Nutri-score – ou d’autres recommandations alimentaires – soit perçu comme une injonction à manger sainement et que cela diminue la valeur hédonique des aliments est une question générale d’éducation alimentaire. Le Nutri-score est un outil de santé publique dont l’objectif est d’améliorer le statut nutritionnel de la population

Le plaisir hédonique en lien avec des aliments sains est un aspect qui se développe sur des années par toute l’éducation alimentaire, depuis l’enfance. Le fait de voir un aliment sain, de l’apprécier ou non, et que le Nutri-score interfère là-dessus, dépend de l’éducation et notamment d’une attitude parentale positive (le fait de manger ensemble à table, de présenter des fruits et légumes sous forme variée, d’associer le plaisir à ces aliments, etc.). » Mettre en avant un aliment uniquement sur base de sa dimension santé ne valorise pas l’appréciation de ce dernier : ce n’est pas en disant de manger tel aliment parce qu’il est « sain » que l’on va apprécier l’aliment. Ce qu’il faut, c’est renforcer l’éducation alimentaire (le temps passé à cuisiner, l’utilisation d’aliments bruts, etc.) qui malheureusement, tend à diminuer de plus en plus. »

Un outil pour une politique de santé plus large

Au vu de tous ces éléments positifs ou controversés du Nutriscore, Hélène Alexiou conclut en soulignant qu’il n’est « qu’un outil dans la lutte contre les maladies non transmissibles liées à l’alimentation et qu’il est indispensable de mettre en œuvre des mesures, complémentaires au Nutri-score : l’éducation alimentaire, la promotion de l’activité physique et surtout la régulation du marketing des aliments malsains, notamment à l’égard des enfants. »

Pour aller plus loin

[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32011R1169

[2] Belgique, France, Espagne, Luxembourg, Allemagne, Pays-Bas et Suisse.

[3] https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2021/gouvernance-nutri-score-3-questions-a-anne-juliette-serry-responsable-de-l-unite-alimentation-et-activite-physique-a-sante-publique-france

[4] https://www.health.belgium.be/en/lien-vers-le-rapport-update-nutri-score-algorithm-juin-2022

[5] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/articles/nutri-score

[6] https://www.health.belgium.be/fr/le-nutri-score

[7] Le système NOVA est un système de classification des denrées alimentaire en 4 groupes selon leur degré de transformation ; le groupe 4 étant le groupe des « produits alimentaires et boissons ultra-transformés ».

Références

Crosetto P, Lacroix A, Muller L, Ruffieux B. Modifications of food purchases in response to five nutrition simplified labelling. Cah Nut Diet. 2017;52(3):129-33.

Deschasaux M, Huybrechts I, Julia C, Hercberg S, Egnell M, Srour B et al. Association between nutritional profiles of foods underlying Nutri-Score front-of-pack labels and mortality: EPIC cohort study in 10 European countries BMJ 2020; 370 :m3173 doi:10.1136/bmj.m3173

Deschasaux M, Huybrechts I, Murphy N, Julia C, Hercberg S, Srour B, Kesse-Guyot E, Latino-Martel P, Biessy C, Casagrande C, Jenab M, Ward H, Weiderpass E, Dahm CC, Overvad K, Kyrø C, Olsen A, Affret A, Boutron-Ruault MC, Mahamat-Saleh Y, Kaaks R, Kühn T, Boeing H, Schwingshackl L, Bamia C, Peppa E, Trichopoulou A, Masala G, Krogh V, Panico S, Tumino R, Sacerdote C, Bueno-de-Mesquita B, Peeters PH, Hjartåker A, Rylander C, Skeie G, Ramón Quirós J, Jakszyn P, Salamanca-Fernández E, Huerta JM, Ardanaz E, Amiano P, Ericson U, Sonestedt E, Huseinovic E, Johansson I, Khaw KT, Wareham N, Bradbury KE, Perez-Cornago A, Tsilidis KK, Ferrari P, Riboli E, Gunter MJ, Touvier M. Nutritional quality of food as represented by the FSAm-NPS nutrient profiling system underlying the Nutri-Score label and cancer risk in Europe: Results from the EPIC prospective cohort study. PLoS Med. 2018 Sep 18;15(9):e1002651. doi: 10.1371/journal.pmed.1002651. PMID: 30226842; PMCID: PMC6143197.

Ducrot P, Julia C, Méjean C, Kesse-Guyot E, Touvier M, Fezeu LK, Hercberg S, Péneau S. Impact of Different Front-of-Pack Nutrition Labels on Consumer Purchasing Intentions: A Randomized Controlled Trial. Am J Prev Med. 2016 May;50(5):627-636. doi: 10.1016/j.amepre.2015.10.020. Epub 2015 Dec 15. PMID: 26699246.

Egnell M, Kesse-Guyot E, Galan P, Touvier M, Rayner M, Jewell J, Breda J, Hercberg S, Julia C. Impact of Front-of-Pack Nutrition Labels on Portion Size Selection: An Experimental Study in a French Cohort. Nutrients. 2018b Sep 8;10(9):1268. doi: 10.3390/nu10091268. PMID: 30205548; PMCID: PMC6165438.

Egnell, M., Seconda, L., Neal, B., Mhurchu, C., Rayner, M., Jones, A., . . . Julia, C. (2021). Prospective associations of the original Food Standards Agency nutrient profiling system and three variants with weight gain, overweight and obesity risk: Results from the French NutriNet-Santé cohort. British Journal of Nutrition, 125(8), 902-914. doi:10.1017/S0007114520003384

Egnell M, Talati Z, Hercberg S, Pettigrew S, Julia C. Objective Understanding of Front-of-Package Nutrition Labels: An International Comparative Experimental Study across 12 Countries. Nutrients. 2018a Oct 18;10(10):1542. doi: 10.3390/nu10101542. PMID: 30340388; PMCID: PMC6213801.

Egnell, M., Talati, Z., Galan, P. et al. Objective understanding of the Nutri-score front-of-pack label by European consumers and its effect on food choices: an online experimental study. Int J Behav Nutr Phys Act 17, 146 (2020). https://doi.org/10.1186/s12966-020-01053-z

Egnell M, Boutron I, Péneau S, Ducrot P, Touvier M, Galan P, Buscail C, Porcher R, Ravaud P, Hercberg S, Kesse-Guyot E, Julia C. Front-of-Pack Labeling and the Nutritional Quality of Students’ Food Purchases: A 3-Arm Randomized Controlled Trial. Am J Public Health. 2019 Aug;109(8):1122-1129. doi: 10.2105/AJPH.2019.305115. Epub 2019 Jun 20. PMID: 31219721; PMCID: PMC6611122.

Finkelstein EA, Ang FJL, Doble B, Wong WHM, van Dam RM. A Randomized Controlled Trial Evaluating the Relative Effectiveness of the Multiple Traffic Light and Nutri-Score Front of Package Nutrition Labels. Nutrients. 2019 Sep 17;11(9):2236. doi: 10.3390/nu11092236. PMID: 31533256; PMCID: PMC6770629.

Galán P, Kesse E, Touvier M, Deschasaux M, Srour B, Chazelas E, Baudry J, Fialon M, Julia C, Hercberg S. Nutri-Score y ultra-procesamiento: dos dimensiones diferentes, complementarias y no contradictorias [Nutri-Score and ultra-processing: two different, complementary, non-contradictory dimensions]. Nutr Hosp. 2021 Feb 23;38(1):201-206. Spanish. doi: 10.20960/nh.03483. PMID: 33371705.

GBD 2017 Diet Collaborators. Health effects of dietary risks in 195 countries, 1990-2017: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet Lond Engl. 11 2019;393(10184):1958‑72.

Poquet, D., Ginon, E., Goubel, B., Chabanet, C., Marette, S., Issanchou, S., & Monnery-Patris, S. (2019). Impact of a front-of-pack nutritional traffic-light label on the nutritional quality and the hedonic value of mid-afternoon snacks chosen by mother-child dyads. Appetite, 143, 104425. https://doi.org/10.1016/j.appet.2019.104425

Srour B, Fezeu LK, Kesse-Guyot E, Allès B, Méjean C, Andrianasolo RM, Chazelas E, Deschasaux M, Hercberg S, Galan P, Monteiro CA, Julia C, Touvier M. Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: prospective cohort study (NutriNet-Santé). BMJ. 2019 May 29;365:l1451. doi: 10.1136/bmj.l1451. PMID: 31142457; PMCID: PMC6538975.

crowd of people on the street.

Le concept One Health et la santé de la société

Le 13 Fév 23

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« Le concept de One Health dans l’après Covid », voici le thème de l’intervention de Marius Gilbert, lors d’une soirée organisée dans le cadre du Certificat d’Université en Santé et Précarité. L’épidémiologiste, visage connu et incontournable grâce à ses interventions dans les médias belges au plus haut de la crise sanitaire et ayant fait partie du groupe d’experts qui a conseillé le gouvernement belge pendant la crise, nous propose une lecture critique du concept One Health et insiste sur l’importance des facteurs sociaux à ne pas occulter ou déconsidérer.  

crowd of people on the street.

Le concept de One Health (Une seule santé) lie la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale. One Health vient affirmer l’appartenance de l’humain à un écosystème peuplé d’autres êtres sur lequel l’humain a de l’influence, mais qui a aussi une influence sur lui. Concept popularisé ces dernières décennies, il l’a surtout été grâce aux organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) par exemple, qui le définit comme « une approche pour concevoir et implémenter des programmes, des politiques, une législation et des recherches dans lesquelles de multiples secteurs communiquent et collaborent pour atteindre de meilleurs résultats en santé publique » (OMS, 2017).

Education Santé a consacré un numéro à la thématique du One Health en octobre 2021 (« Un monde, Une santé »), retrouvez-le sur https://educationsante.be/numero/381/

Selon Marius Gilbert, la grande force du One Health est justement « sa capacité conceptuelle à rencontrer certains enjeux sanitaires qui peuvent être importants face aux maladies infectieuses telles que les zoonoses ». Dernier exemple en date connu de tous: le Covid-19. Parmi les autres enjeux de santé publique, il cite également la santé alimentaire ou l’antibiorésistance. « D’ailleurs, la composante animale est parfois peu connue. Ce ne sont pas moins de 73% des antimicrobiens vendus dans le monde qui sont utilisés dans la production animale », souligne-t-il encore.

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Mais le concept connait des limites et des critiques. D’une part, c’est une approche jusqu’à présent essentiellement institutionnelle. Que ce soient au niveau plus macro des Nations Unies (incluant la FAO, l’OMS et l’UNEP) ou au niveau des états avec la collaboration des ministères de la santé, de l’agriculture et de l’environnement, la concertation transsectorielle et transdisciplinaire reste intéressante mais limitée. De plus, elle porte surtout sur les maladies transmissibles. En effet, « le concept du One Health par rapport à des maladies comme le cancer ou le diabète est moins évident ».

Un schéma pour ne pas oublier la composante sociale de la santé

Marius Gilbert nous présente alors un schéma conceptuel qu’il préfère à celui du One Health et qui lui est complémentaire. Celui-ci prend la forme d’une pyramide avec à son sommet l’individu et sa santé (« son état de bien-être physique, mental et social », pour appliquer la définition de l’OMS). On la fait reposer sur la société et son état de bien-être collectif. Celle-ci n’est pas la somme de la santé des individus qui la composent mais est porteuse de caractéristiques propres, qui favorisent la santé de ses individus : le niveau de précarité, d’égalité (ou d’inégalités), de cohésion sociale, d’éducation, de liberté d’expression ou encore du sentiment d’appartenance à cette société. Ce socle repose lui-même sur le socle plus large de l’environnement et l’état des écosystèmes.

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Ce modèle fait quelque peu disparaitre la composante animale, souligne l’intervenant de la soirée, mais son grand avantage est que « la composante sociale de la santé n’est pas escamotée, elle qui est si importante en termes de déterminants ». Or, si on considère le concept de One Health dans l’après Covid (thème de la soirée, rappelons-le), on ne peut pas faire l’impasse de la composante sociale.

Marius Gilbert brosse ensuite une série d’études scientifiques mettant en lien la santé des individus avec des caractéristiques de « la santé d’une société », autrement dit les déterminants sociaux (ou sociaux-économiques) de la santé. Prenons par exemple le niveau de confiance (entre les personnes elles-mêmes mais aussi envers les institutions qui les gouvernent), qui est corrélé avec le niveau de résilience des pays en termes de lutte contre la pandémie [1]. Autre exemple : l’efficacité d’une « bonne » information communiquée à l’ensemble des citoyens face à d’autres mesures restrictives telles que les fermetures des écoles [2] (suivant laquelle on peut considérer qu’une bonne campagne d’information peut éventuellement être aussi efficace que la fermeture des écoles). Les inégalités inter- et intra-pays, les niveaux de revenus, les possibilités pour certains travailleurs de télétravailler… tous ces aspects ont été documentés car impactant la lutte contre ce virus. A toutes les échelles, des pays à l’échelle mondiale, « la pandémie touche plus fortement les publics précarisés, et en plus elle va renforcer la précarisation des personnes » (M. Gilbert).

Considérer les inégalités, pas une mince affaire en santé ?

Pourtant l’OMS a publié en mars 2022 un document définissant les grandes lignes pour établir un prochain « plan pandémie » [3]. Et Richard Horton, rédacteur en chef de la prestigieuse revue The Lancet, s’est fendu d’un édito dénonçant notamment le fait que les inégalités – de manière générale – n’y sont pas sérieusement considérées, or la pandémie de Covid-19 « s’est épanouie grâce aux inégalités. Il n’y a pas de discussion sérieuse sur la manière dont ce virus a exploité les profondes disparités à travers les sociétés et pourquoi attaquer ces disparités doit faire partie d’un planning de préparation [4]». Pour appuyer ce constat, Marius Gilbert nous évoque également que lorsqu’il travaillait avec Céline Nieuwenhuys (secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux) au sein du groupe d’experts du GEMS et qu’elle soulevait la question des inégalités dans une discussion qui portait sur la santé, il lui était rétorqué que c’était une question de politique et pas tant de santé. « Ce n’est pas une coïncidence ou un hasard que [ces considérations] ne se rejoignent pas », remarque-t-il.

Pourtant, poursuit-il, mettre en évidence la composante sociale de la santé « permet d’avoir en tête les synergies possibles d’une action transversale, […] comme la rénovation du bâti ou la promotion de l’alimentation durable, à chacun des niveaux (individuel, de la société et de l’environnement) ». Si on reprend l’exemple de la rénovation du bâti, les impacts peuvent porter simultanément sur la diminution du risque d’infections respiratoires ou de maladies liées à la vétusté, la diminution du risque de contagions interpersonnelles ou de la vulnérabilité face aux vagues de chaleur, mais aussi diminuer la vulnérabilité économique par rapport à notre consommation d’énergie et diminuer les émissions de gaz à effet de serre, etc.

Enfin, Marius Gilbert clôt sa présentation et les réponses aux questions de l’assemblée en précisant qu’il est possible d’étayer et complexifier le modèle en trois cercles du One Health (« dans la santé humaine, on pourrait parler de santé individuelle ou collective ; on pourrait faire des distinctions dans la santé animale ou encore dans la santé de l’environnement en considérant les milieux urbains, sauvages, etc. ») On pourrait lui rétorquer qu’il existe déjà de nombreux modèles pour illustrer les déterminants de la santé, que le schéma simplifie peut-être trop ceux-ci, qu’on peut regretter cette vision très anthropocentrée, etc. Mais Marius Gilbert souligne : cette pyramide a un avantage considérable, « celui de passer un message clair et fort en termes de communication : la santé individuelle repose sur la santé de la société, qui repose sur la santé des écosystèmes ». Et sur ces mots de clôture, on ne peut que rejoindre l’intervenant de la soirée, qui a fait plusieurs mois durant l’exercice et qui continue encore aujourd’hui : « si au moins ce message-ci percole auprès de tous ».

Le certificat d’Universités en Santé et Précarité

Le certificat permet d’acquérir les connaissances en santé et précarité et les compétences pour une prise en charge pluridisciplinaire des problèmes de santé et d’accès aux soins des populations et des personnes en situation de précarité.

 Il est organisé par l’ULB et ses partenaires : la Fédération des Maisons médicales, Médecins du Monde, la Haute Ecole Libre de Bruxelles Ilya Prigogine et Solidaris.

Parmi les intervenants, vous retrouverez les asbl Aquarelle, Cultures & Santé, I-Care, le Projet LAMA, SMES et Transit. Pour en savoir plus : https://www.ulb.be/fr/programme/fc-529

[1] Lenton, T.M., Boulton, C.A. & Scheffer, M. Resilience of countries to COVID-19 correlated with trust. Sci Rep 12, 75 (2022)

[2] Levelu, A. ; Sandkamp, A-N (2022). A lockdown a day keeps the doctor away: The effectiveness of non-pharmaceutical interventions during the Covid-19 pandemic, Kiel Working Paper, N°221, Kiel Institute for the World Economy, Kiel

[3] “Strengthening the Global Architecture for Health Emergency Preparedness, Response and Resilience” (OMS, mars 2022)  https://www.who.int/publications/m/item/strengthening-the-global-architecture-for-health-emergency-preparedness-response-and-resilience (disponible en anglais)

[4] Retrouvez l’édito ici (en anglais): https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(22)00874-1/fulltext. La traduction de cet extrait est proposée par la rédaction.

unterricht draußen auf dem schulhof

Les compétences psychosociales, un levier pour la promotion de la santé

Le 31 Jan 23

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L’approche des compétences psychosociales en promotion de la santé est souvent abordée dans la littérature mais n’est pas encore assez visible concrètement sur le terrain. En quoi cette approche est-elle un levier en promotion de la santé ? Comment les intervenants éducatifs peuvent-ils l’intégrer dans leurs pratiques pour soutenir la santé mentale des enfants et des jeunes ?

unterricht draußen auf dem schulhof

Beaucoup d’encre a coulé sur les effets de la crise sanitaire sur la santé mentale, en particulier celle des jeunes. Des pistes d’actions émergent peu à peu. Nous avons voulu nous pencher sur une approche qui agit en amont des problèmes de santé mentale et plus généralement de comportement de santé, celle des compétences psychosociales (CPS). En quoi cette approche soutient-elle le développement global de la personne ? En quoi favorise-t-elle le développement des facteurs de protection de la santé ?

Compétences psychosociales (CPS) et promotion de la santé

L’émergence de cette approche dans le champ de la prévention et la promotion de la santé a été fort liée à l’évolution même du concept de santé, qui est passé de l’absence de maladie à un état de bien-être physique, mental et social, et une ressource de la vie quotidienne.

En 1986 déjà, la Charte d’Ottawa identifie comme stratégie d’intervention le renforcement des aptitudes individuelles et la participation des populations. Même si les CPS n’y sont pas explicitement citées, celle-ci y faisait donc déjà référence par la notion de « life skills » ou « aptitudes indispensables à la vie » avec la finalité de « donner aux individus davantage de maitrise sur leur propre santé ».

Extrait de la Charte d’Ottawa – Acquisition d’aptitudes individuelles

« La promotion de la santé appuie le développement individuel et social grâce à l’information, à l’éducation pour la santé et au perfectionnement des aptitudes indispensables à la vie. Ce faisant, elle donne aux gens davantage de possibilités de contrôle de leur propre santé et de leur environnement et les rend mieux aptes à faire des choix judicieux. Il est crucial de permettre aux gens d’apprendre à faire face à tous les stades de leur vie et à se préparer à affronter les traumatismes et les maladies chroniques. Ce travail doit être facilité dans le cadre scolaire, familial, professionnel et communautaire et une action doit être menée par l’intermédiaires des organismes éducatifs, professionnels, commerciaux et bénévoles et dans les institutions elles-mêmes.« 

Ce n’est que dans les années 90 que le concept des compétences psychosociales est explicitement introduit par l’OMS qui les définit comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement. Les CPS ont un rôle important à jouer dans la promotion de la santé dans son sens le plus large, en termes de bien-être physique, mental et social »[1].

Même si cette définition reste une référence, Santé publique France [2] l’a récemment actualisée et définit les CPS comme « un ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives » [3].

Nous remarquerons que les termes utilisés pour désigner les CPS varient en fonction des disciplines. En promotion de la santé, on parlera de compétences psychosociales ou compétences utiles à la vie (life skills). Dans les champs de l’éducation et de la prévention, on parle plutôt de compétences sociales et émotionnelles ou compétences socio-émotionnelles. Les économistes mentionnent les termes de compétences socio-comportementales et compétences sociales ou compétences transversales [4].

Classification des CPS

Afin de compléter les aspects théoriques, il nous semble utile de mentionner les diverses classifications de CPS développées. Elles nous permettent en effet de mieux cerner le concept et ce qu’il revêt.

La première classification est celle développée par l’OMS dans les années 90 qui présente les CPS en 5 couples de compétences : savoir résoudre des problèmes- savoir prendre des décisions ; avoir une pensée créative – avoir une pensée critique ; savoir communiquer efficacement – être habile dans les relations interpersonnelles ; avoir conscience de soi – avoir de l’empathie pour les autres ; savoir gérer son stress – savoir gérer ses émotions.

L’OMS présente ensuite, en 2001, une classification en 3 groupes de CPS : cognitives, émotionnelles et sociales. Enfin, en 2021, Santé publique France identifiera 9 CPS générales (comprenant au total 21 CPS spécifiques) : 3 CPS cognitives (avoir conscience de soi, capacité de maîtrise de soi, prendre des décisions constructives) ; 3 CPS émotionnelles (avoir conscience de ses émotions et de son stress, réguler ses émotions et gérer son stress); 3 CPS sociales (communiquer de façon constructive, développer des relations constructives, et résoudre des difficultés). [5]

Cette classification théorique nous permet probablement d’y voir un peu plus clair mais ce qui nous intéresse en promotion de la santé c’est surtout de comprendre comment s’exerce une CPS et comment celle-ci peut avoir un effet sur la santé et le bien-être.

L’exercice des CPS

Pour mieux comprendre à quoi correspond l’exercice d’une CPS, passons par la définition du terme compétence. Celle-ci est définie par Tardiff comme « un savoir agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » [6]. Les compétences sont psychosociales lorsqu’elles font appel aux ressources cognitives, émotionnelles et sociales. C’est en mobilisant ces ressources de façon combinée et appropriée, que l’on exerce une compétence psychosociale face aux aléas de la vie [7].

Des compétences représentent donc des habilités, des aptitudes… les CPS peuvent donc s’apprendre, se cultiver, être modifiées, renforcées. Elles se développent notamment grâce aux interactions familiales et sociales tout au long de la vie. La mobilisation des ressources qui composent les CPS est influencée et déterminée par trois éléments : la situation (ou contexte), l’état émotionnel et physique de la personne, les expériences personnelles passées. [8]

On comprendra que les CPS se vivent dans l’action : c’est face à une situation que l’on exerce une compétence psychosociale. Par exemple, une personne fait face à une situation stressante, c’est dans ce contexte qu’elle fera appel à ses ressources sociales, émotionnelles et/ou cognitives pour les mobiliser et agir face à cette situation.

Les CPS comme facteurs de protection

La santé mentale ne se résume pas à une absence de troubles psychologiques. Elle inclut des aspects liés au bien-être, la joie de vivre, l’optimisme, la confiance en soi, la capacité relationnelle et la régulation émotionnelle. Il ne s’agit pas d’un état figé mais d’une recherche constante d’équilibre entre contraintes et ressources. [9]

Comme la santé globale, la santé mentale dépend d’une multitude de facteurs qui interagissent entre eux. Certains y sont favorables (les facteurs de protection) et d’autres le sont moins (les facteurs de risques). Ces facteurs qui comprennent non seulement les caractéristiques individuelles d’une personne mais également le contexte socio-économique dans lequel elle vit, son environnement ou encore la société dans laquelle elle est intégrée. Ces déterminants s’influencent mutuellement et c’est de leur combinaison que résulte l’état de santé mentale d’une personne. A titre d’exemple, l’isolement social, la pauvreté, le chômage ou l’échec scolaire influent négativement sur la santé mentale ; à l’inverse le soutien social, de bonnes relations familiales, la sécurité économique ou la réussite professionnelle représentent des facteurs protecteurs.

Soutenir le développement des CPS, c’est augmenter les ressources des individus pour qu’ils puissent agir favorablement sur leur santé dans leurs choix de vie. En effet, des CPS peu développées peuvent être à la source de divers comportements défavorables à la santé : être incapable de gérer un échec, subir un aléa de la vie, des émotions, un stress, avoir des difficultés à faire des choix…

Mais c’est aussi agir sur les contextes de vie pour que les personnes soient placées dans des conditions favorables à l’exercice de l’une ou l’autre CPS.

Si par exemple, des jeunes ont la capacité d’exprimer une opinion ou des propositions mais que le cadre scolaire ou familial ne laisse pas la place à l’avis des jeunes ou n’en tient pas compte, ce contexte n’est alors pas cohérent et ne soutient pas l’exercice de CPS dans une approche d’empowerment. Il n’occasionnera alors que des frustrations chez les jeunes. A contrario, un cadre favorable leur permettra de développer voire de renforcer leurs compétences psychosociales.

Renforcer les CPS c’est donc contribuer à améliorer des facteurs de protection, c’est en cela que l’approche constitue un levier en promotion de la santé. Les CPS sont aujourd’hui reconnues comme un déterminant majeur de la santé et du bien-être. Elles se situent à la jonction entre le champ de la promotion de la santé et celui de la prévention de problèmes de santé physique et de santé mentale. [10]

Les bénéfices de l’approche

Il est à noter que les CPS sont considérées comme des « compétences transversales, génériques et interdisciplinaires, se caractérisant par un haut niveau de transférabilité, et une mobilisation à large spectre transcendant les milieux, disciplines et secteurs d’intervention« . [11]

Plusieurs programmes de développement des CPS existent, certains optent pour une approche thématique (autour d’un problème de santé comme le tabagisme), d’autres optent pour une approche plus globale de développement positif : donner des ressources et promouvoir la santé et le bien-être. Les données de recherche ont mis en évidence les bénéfices du renforcement des CPS : il favorise l’adaptation sociale et la réussite éducative, il contribue à prévenir la consommation de substances psychoactives, les problèmes de santé mentale ainsi que les comportements violents et les comportements sexuels à risque. [12]

En milieu scolaire, les recherches ont identifié les bénéfices des interventions portant sur le renforcement des CPS : une amélioration significative de l’estime de soi, des relations positives avec les pairs et les enseignants, de leurs résultats scolaires, et une réduction des symptômes de stress, d’anxiété et de dépression, ainsi qu’une diminution des violences et du harcèlement en contexte scolaire.
Les CPS développées améliorent donc le bien-être psychologique, la qualité relationnelle, les comportements favorables à la santé, l’empowerment [13], la capacité de résilience [14], ainsi que la santé globale.

Pour que des bénéfices soient observés, des critères d’efficacité ont été mis en évidence et élaborés grâce à l’évaluation de programmes CPS. Le développement des CPS n’est pas une recette miracle mais reste un déterminant majeur de la santé globale. Il est cependant important de tenir compte de certains critères d’efficacité afin de pouvoir favoriser l’émergence des bénéfices des actions et projets. Ainsi plusieurs facteurs clés ou critères d’efficacité ont été mis en en évidence grâce à l’étude et l’évaluation de programmes CPS (disponibles au niveau international). [15]

Renforcer les CPS, oui mais comment?

Les parents sont bien entendu en première ligne lorsque l’on parle du renforcement des CPS des enfants et des jeunes. Mais les professionnels de l’éducation sont également des acteurs incontournables. C’est dans leurs différents milieux de vie que les enfants et les jeunes se développent et évoluent en relation avec les autres.

Le renforcement des CPS passe par trois axes principaux : l’expérimentation et la généralisation des expériences, la posture des intervenants éducatifs et la mise en place d’environnements favorables.

Les professionnels et bénévoles travaillant avec les enfants et les jeunes peuvent contribuer au renforcement des CPS de leurs publics grâce à l’animation d’ateliers collectifs expérientiels. Ces ateliers, mis en place de manière régulière, sont structurés selon une trame précise qui permet le développement des CPS.

La pédagogie expérientielle et participative est essentielle et permet aux enfants et aux jeunes d’expérimenter des situations, de se questionner, et de réfléchir au transfert des CPS dans la vie de tous les jours. La partie réflexive est essentielle.

De plus, par sa manière d’interagir avec l’enfant ou le jeune, l’intervenant va contribuer au développement des CPS du jeune mais également de ses propres CPS.  Cela passe donc par une posture professionnelle soutenant le développement des CPS.

Enfin, l’action sur les contextes favorables à l’exercice des CPS concerne notamment la création d’un cadre bienveillant et sécurisant nécessaire pour la participation aux ateliers mais aussi en intégrant cette approche à toutes les pratiques plus informelles comme l’accueil, les moments « hors activité ».

Pour en savoir plus

La MC, en collaboration avec Ocarina et Cultures&Santé, organise en 2023 des journées de sensibilisation à destination des intervenants éducatifs dans plusieurs régions (les lieux seront précisés ultérieurement)

Ces journées seront l’occasion de découvrir l’approche des CPS en promotion de la santé et de l’expérimenter via des ateliers.

Cela se passera :

  • Le 28/03 (Namur)
  • Le 4/04  (Nivelles)
  • Le 27/04  (Verviers)
  • Le 23 mai (Charleroi)
  • Le 17/10 (Mouscron)
  • Le 14/11 (Bastogne)
  • Le 21/11 (Liège)
  • Le 28/11 ou 05/12  (Bruxelles) (date à confirmer)

Plus d’info: www.mc.be/competences-psychosociales

Quelques points d’attention

On pourrait penser que cette approche met l’accent sur la responsabilité individuelle et mettrait dans l’ombre les autres facteurs qui influencent la santé comme les facteurs environnementaux et contextuels. Or « la promotion de la santé s’appuie sur de nombreux champs de recherche (sociologie, psychologie, géographie…) qui appréhendent l’individu et la société différemment : au niveau des CPS, cela se traduit par la prise en compte de facteurs sociaux qui relativisent la responsabilité de l’individu. » [16]

Le renforcement des compétences psychosociales, comme toute action de promotion de la santé, tente d’agir simultanément sur plusieurs déterminants de la santé :  l’action sur l’environnement de vie a donc toute sa place.

Si par exemple, une action autour des CPS ne tient pas compte des conditions de vie du public, celle-ci peut contribuer à accentuer les inégalités sociales de santé.

Il est à noter aussi qu’une réflexion éthique est nécessaire auprès des intervenants qui par leurs actions contribuent au renforcement des CPS : se focaliser sur certaines compétences au détriment d’autres (par exemple les compétences cognitives plutôt que les compétences sociales) mènerait à stigmatiser les personnes qui ne répondraient pas à ces exigences.

De même, réfléchir et questionner sa posture professionnelle pour qu’elle soit en phase avec l’approche des CPS est essentiel mais peut être perçu comme inconfortable.  

Conclusion

L’approche des CPS a toute sa place dans les actions de prévention et de promotion de la santé, encore plus dans nos contextes de crise où chaque personne doit faire appel à ses ressources cognitives, émotionnelles et sociales pour exercer des compétences dans des contextes pas toujours favorables.

Soutenir le renforcement des CPS auprès des enfants et des jeunes c’est investir pour leur bien-être, c’est les aider à développer des facteurs de protection pour leur santé mentale. Les intervenants éducatifs ont un rôle clé à jouer par leur posture professionnelle et les actions qu’ils peuvent mettre en place pour permettre à leurs publics de développer et expérimenter leurs CPS.

[1] World Health Organization, Life skills education in schools, Geneva, WHO, 1997

[2] En France, une stratégie de développement des compétences psychosociales (CPS) interministérielle, est déclinée sur 15 ans (2022-2037). Elle présente des objectifs ambitieux pour qu’au moins 30 % des jeunes de 13 à 18 ans de la « génération 2037 » bénéficient d’interventions pluriannuelles sur les CPS et que cela soit renforcé également auprès des parents et des adultes en première ligne avec les jeunes (enseignants, éducateurs, professionnels de secteur social, de l’insertion etc.).

[3] Santé publique France, Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques, février 2022

[4] Santé publique France, Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques, février 2022

[5] ibid.

[6] Cultures&Santé, «  Compétences psychosociales des adultes et promotion de la santé », Focus Santé n°4, 2016

[7] Promotion Santé Normandie, « Préparer efficacement à la vie : Synthèse des interventions efficaces pour le renforcement des compétences psycho-sociales », avril 2018

[8] Cultures&Santé, Focus santé n°4, p.7.

[9] Promotion de la santé mentale Genève, Minds, La santé mentale ce n’est pas que dans la tête

[10] LAMBOY B., GUILLEMONT J., « Développer les compétences psychosociales des enfants et des parents : pourquoi et comment ? »Devenir, 2014/4 (Vol. 26), p. 307-325.

[11] Santé publique France, Les compétences psychosociales: un référentiel pour un déploiement auprès des enfants et des jeunes. Synthèse de l’état des connaissances scientifiques et théoriques réalisé en 2021.

[12] ibid.

[13] L’empowerment est un processus ou une approche qui vise à permettre aux individus, aux communautés, aux organisations d’avoir plus de pouvoir d’action et de décision, plus d’influence sur leur environnement et leur vie. (Cultures & Santé)

[14] Résilience : construire après avoir résisté à un traumatisme sévère, une situation déstabilisante, un accident de parcours OU aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques (Larousse).

[15] Santé publique France, Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques, février 2022.

[16] Cultures&Santé, « Compétences psychosociales des adultes et promotion de la santé », Focus Santé n°4, 2016.

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Santé mentale en Belgique: quelle approche préventive?

Le 3 Jan 23

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Le Service d’études de la MC a publié en octobre 2022 un numéro thématique de sa revue Santé & Société intitulé « Santé mentale : zone à haut risque ». Un premier article définit le concept de prévention en santé mentale et montre comment il peut permettre une politique de prise en charge précoce des problèmes de santé mentale. Education Santé vous le propose dans une version légèrement remaniée.

human memory loss

Les maladies mentales demeurent un problème fondamental de la santé publique : malgré les progrès en psychiatrie et en psychologie, la prévalence des maladies mentales ainsi que leur impact sur la mortalité n’ont pas diminué ces dernières années. L’efficacité des traitements des maladies psychiques reste limitée, surtout s’il ne s’agit pas d’une combinaison entre des traitements médicamenteux et psychothérapeutiques. De plus, encore aujourd’hui beaucoup de personnes ne reçoivent pas ou reçoivent trop tard un suivi par un·e spécialiste.  

Les limites de l’efficacité du traitement sont également liées au fait que les maladies mentales (tant leur apparition que leur suivi) dépendent fortement des facteurs sociaux, économiques et environnementaux. C’est pourquoi le traitement ne peut pas être une solution unique pour protéger ou améliorer la santé mentale de la population. Ainsi selon l’OMS, « la seule méthode durable pour réduire la charge causée par ces troubles est la prévention » (Organisation mondiale de la Santé, 2004, p.13). Les recherches scientifiques montrent en effet que la prévention permet d’éviter, au moins partiellement, l’apparition et/ou d’atténuer la gravité des maladies mentales.  

En quoi consistent la prévention des maladies psychiques et la promotion de la santé mentale ?  Pour qui et pourquoi la prévention des maladies mentales doit être mise en place ? Et enfin qui sont les acteurs·rices de la prévention et de la promotion de la santé mentale en Belgique ? 

Santé mentale ou maladie mentale?

Pour répondre à ces questions, il convient d’abord de préciser ce qu’on entend par prévention. Dans notre perspective, il faut en effet dépasser la conception classique de la prévention qui tend à concevoir cette dernière de façon linéaire en fonction du développement d’une maladie. Au contraire il s’agit ici de s’appuyer sur la conception large ou holistique de la santé, car la situation clinique ne se réduit pas à une ligne abstraite de temps de développement d’une maladie, mais se déploie dans une relation entre le·la patient·e et le·la médecin qui se construit à la fois autour des plaintes du·de la patient·e et des préoccupations du·de la médecin. Ce qui se joue dans la situation clinique est donc la façon dont chacun des participant·es envisage le problème : d’un côté, le·la patient·e évalue s’il se sent bien ou pas et, de l’autre côté, le·la médecin se prononce sur le diagnostic. De ce point de vue, la prévention a pour référence non seulement le développement de la maladie, mais également la façon dont ce développement se rapporte à la vie du·de la patient·e prise dans sa globalité. 

Cette approche permet de prendre en compte la spécificité de la santé mentale par rapport à la santé somatique. A la différence des maladies somatiques, la maladie mentale ne peut pas toujours simplement disparaitre : son impact sur la vie de la personne est tel que le retour à l’état « d’avant » souvent n’est pas possible. C’est pourquoi il convient de parler des objectifs de traitement d’une maladie psychique plutôt en termes de rétablissement que de guérison. À la différence de la guérison, le rétablissement « ne signifie pas nécessairement que la maladie ait complètement disparu, mais que la personne ait pu se dégager d’une identité de malade psychiatrique et recouvrer une vie active et sociale, en dépit d’éventuelles difficultés résiduelles… […] Ni déni, ni désintérêt pour la maladie, c’est au contraire une prise de conscience de la maladie et de ses conséquences, et sur cette base une forme de prise de distance à leur égard, au profit d’une focalisation sur des objectifs personnels et le souci de son propre devenir » ​(Pachoud, 2012, p. 258)​ 

Or, si le rétablissement se focalise davantage sur la réintégration de la personne dans la société, c’est parce que ce sont avant tout les conditions dans lesquelles les personnes naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent qui jouent le rôle crucial dans le développement des maladies mentales (tant dans leur apparition que dans leur évolution). En effet, le cadre proprement biomédical, la génétique et la neurologie notamment, ne permettent pas d’expliquer de façon exhaustive ce qui se passe dans les maladies psychiques. Les promesses de trouver les biomarqueurs qui permettraient de détecter les maladies psychiques avant leur apparition ne se sont jamais réalisées​ (Fuchs, 2018)​. De même les symptômes des maladies ne peuvent pas être traités uniquement comme des signes de perturbations de l’activité cérébrale, mais doivent être interprétés à partir du sens qu’ils ont pour la personne. Ce qui caractérise une maladie psychique, c’est en effet la façon dont la vie de la personne, son rapport au monde, aux autres et à soi-même est affectée.  

Une autre considération importante concerne la différence entre la maladie mentale et la souffrance psychique. Nous proposons en effet de distinguer ces deux concepts et de définir la souffrance psychique comme un état qui n’entrave pas de façon considérable la vie de la personne, son rapport au monde, aux autres et à elle-même. Cette distinction permet de mettre en avant l’idée que la santé mentale n’est pas un état binaire (où on est malade ou sain), mais « existe sur un continuum complexe, avec des expériences allant d’un état de bien-être optimal à des états débilitants de grande souffrance et de douleur émotionnelle » (Organisation mondiale de la Santé, 2022, p. 13). Ainsi de même que quelqu’un peut avoir un problème de santé physique et être en bonne santé physique, il est possible de bénéficier de niveaux de bien-être mental plus élevés même si on présente des symptômes modérés ou sévères des problèmes de santé mentale. En outre, cette distinction permet d’éviter la tendance vers la pathologisation de certaines expériences négatives. Car une personne qui ne souffre pas de maladie mentale peut avoir un niveau bas de bien-être mental.  

Santé mentale et ISS

Cette conception de la prévention des maladies mentales reste néanmoins insuffisante si elle prétend être universelle. Or, la santé n’est pas distribuée de façon équitable au sein de la société. En effet, la santé mentale dépend de nombreux facteurs : familiaux, sociétaux, environnementaux, économiques et politiques ainsi que biomédicaux, qui peuvent être de nature positive (facteurs protecteurs) ou négative (facteurs de risque). Un déséquilibre entre les facteurs de risque et les facteurs protecteurs peut agir sur la vie de la personne en ayant pour conséquences la baisse ou au contraire l’amélioration de la santé mentale. Dans tous les cas, la plupart de facteurs qui influencent la santé mentale d’une personne dépassent la maitrise de cette dernière et sont dépendants de la structure sociétale. Cette structure à son tour étant caractérisée par des rapports d’inégalité, le déséquilibre entre les facteurs protecteurs et facteurs de risque est défini majoritairement par ces inégalités sociétales. Ainsi, plus le statut social de la personne est bas, plus elle est exposée aux facteurs de risque et moins elle a de chance de bénéficier des facteurs protecteurs (Vandiver, 2008). Elle risque donc davantage d’avoir des problèmes de santé mentale, mais aussi de souffrir de leurs conséquences. En effet, plus la situation de la personne est précaire, plus sa maladie a un impact sur sa situation générale (on peut penser à l’impact du coût de l’hospitalisation, de l’absence de travail, de l’impossibilité de s’occuper des enfants, etc.). 

Afin de prendre en compte le fait que la santé mentale n’est pas distribuée de façon équitable au sein de la société, les actions en prévention ne peuvent donc pas rester universelles, mais doivent être calibrées en fonction du niveau de désavantage. Il s’agit donc de respecter le principe de l’universalisme proportionné : « Pour réduire la pente du gradient social de santé, les actions doivent être universelles, mais avec une ampleur et une intensité proportionnelles au niveau de défaveur sociale » (Marmot, Goldblatt, Allen, & et al, 2010, p. 16, nous traduisons). Or leur mise en place est loin d’aller de soi. En effet, comment définir le seuil à partir duquel les politiques et les actions doivent être calibrés différemment ? Nous proposons d’aborder cette question à partir des formes principales d’inégalité sociale. On peut alors identifier des groupes plus à risque des maladies mentales d’un point de vue économique (personnes appartenant à des classes plus pauvres), du point de vue des discriminations sur base d’origine ou de religion (personnes racisées) et du point de vue des discriminations genrées (personnes discriminées en fonction de leur sexe et/ou leur sexualité). 

Évidemment, en réalité, ces divisions coexistent et se superposent. Il convient toujours dès lors de privilégier une approche intersectionnelle, c’est-à-dire « un cadre théorique permettant de comprendre comment les multiples identités sociales telles que la race, l’orientation sexuelle, le statut socio-économique et les incapacités se combinent au niveau micro de l’expérience individuelle pour refléter des systèmes interdépendants de privilèges et d’oppression » (Bowleg, 2012 ; pour la première conceptualisation de l’intersectionnalité voir Crenshaw, 1989). La présentation à partir de trois perspectives que nous proposons ici a donc une visée analytique. 

  • Les inégalités économiques découlent de la hiérarchisation entre les différents groupes en fonction des moyens économiques qui se trouvent à leur disposition. Elles se manifestent dans les inégalités au niveau des revenus, des conditions et contenus de travail, de l’héritage et du patrimoine, de l’insécurité financière, de la qualité (ou absence) de logement, mais aussi de l’éducation. Les recherches montrent que ces inégalités ont un impact direct sur la santé mentale des personnes. Par exemple, selon les données de l’enquête de santé de Sciensano, : parmi les personnes dont le revenu est inférieur à 750 euros par mois, 17,7% semblent être affecté par les troubles d’anxiété, tandis que parmi les personnes dont le revenu est supérieur à 2.500 euros par mois, seulement 7,4% sont affectés. La même tendance peut être observée pour la dépression. Ces données sont d’autant plus inquiétantes que les inégalités économiques continuent à croitre et avec elles, par conséquent, les inégalités de santé. Selon l’Eurostat, en 2018, 20% de la population belge présente un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. La crise provoquée par la pandémie de COVID-19 et ensuite la crise énergétique sont venues accentuer cette tendance avec la détérioration rapide de la situation socio-économique des groupes vulnérables. Dans cette perspective, les problèmes de santé mentale vont croitre inévitablement. 
  • La situation économique des personnes victimes de discriminations en raison de leur origine explique en partie le fait qu’elles ont une plus mauvaise santé que les autres groupes : les personnes racisées sont surreprésentées parmi les personnes avec les plus bas revenus au sein de la société. Néanmoins, de nombreuses recherches démontrent que la discrimination raciale2 en elle-même est responsable des inégalités de santé (Williams, 1999, p. 177, nous traduisons). Les préjugés discriminatoires deviennent un facteur de stress pour les personnes et peuvent ainsi nuire à leur santé mentale. En outre, certaines personnes racisées intériorisent les stéréotypes raciaux négatifs omniprésents dans la culture (concernant leur infériorité), c’est-à-dire qu’elles finissent par les percevoir comme vrais. Les recherches indiquent que ce processus de l’intériorisation est associé à un bien-être psychologique moindre et à des niveaux plus élevés de consommation d’alcool, de symptômes dépressifs et d’obésité (Williams & Mohammed, 2009). Les facteurs qui influencent la santé mentale des personnes racisées relèvent également des modes de fonctionnement mêmes du système de santé (Smedley, Stith, & Nelson A. R, 2003), que ce soit par rapport au manque d’accès aux soins, aux inégalités de traitement (par exemple de biais dans le diagnostic), etc. (Hairston, Gibbs, Wong, & Jordan, 2020).  
  • Les inégalités de genre se manifestent également avant tout à travers les inégalités économiques. Ces inégalités s’expliquent par le fait que les femmes travaillent plus souvent que les hommes à temps partiel, sont surreprésentées dans les secteurs mal rémunérés, ont moins d’accès à des postes de direction, mais aussi par le fait que pour une même profession, un même secteur, un même âge, un même diplôme, etc., les femmes sont systématiquement moins rémunérées que les hommes. La santé mentale des femmes est influencée néanmoins également par des facteurs qui ne sont pas d’ordre économique (ou en tout cas qui ne sont pas directement liés à ce dernier). Par exemple, les inégalités de genre persistent au sein de la société sous la forme de l’assignation des femmes aux activités domestiques qui peuvent devenir une source d’épuisement, de stress et constituent ainsi un facteur de risque de maladies mentales. Selon les données de l’Enquête de santé menée par Sciensano, en 2018 pour les troubles dépressifs « les femmes présentaient une prévalence plus élevée (14,2% pour l’anxiété et 10,7% pour la dépression) que les hommes (7,9% pour l’anxiété et 8% pour la dépression) ». 

Si nous voulions mettre en avant ces trois types de public comme ceux qui se trouvent particulièrement à risque des maladies mentales, il ne s’agit pas de suggérer que la solution au problème serait à rechercher chez eux, dans leurs capacités individuelles à surmonter le stress, par exemple, mais bien dans les conditions de vie qui déterminent ces groupes comme dominés ou discriminés. Qu’est-ce qui pourrait être fait et quels sont les acteur·rices qui mettent en place des actions concrètes dans ce domaine ? 

Compétences et financements

La prévention des maladies psychiques et la promotion de la santé mentale, considérées au sens large du terme, font aujourd’hui l’objet de nombreux services en Belgique. Institutionnellement, il s’agit d’une organisation très complexe, les compétences étant partagées entre les trois niveaux de pouvoir (fédéral, régional, communautaire). Néanmoins, tant au sein du secteur des soins de santé que celui de la promotion de la santé, la santé mentale occupe une place mineure. Cela se reflète notamment par le niveau de financement. Pour le domaine des soins de santé par exemple, selon le groupe de travail « Les effets pervers des mécanismes de financement » des États généraux de soins en santé mentale, seulement 6% des dépenses en soins de santé sont dédiées à la santé mentale. Pour le domaine de la prévention, ce chiffre n’est pas disponible, mais il est sans doute encore plus petit en termes de dépenses absolues, sachant que toutes les dépenses pour la prévention et la promotion de la santé en Belgique dépassent à peine 2% de toutes les dépenses en soins de santé (Sholokhova, 2021). La prévention dans le domaine de la santé mentale souffre dès lors de l’accumulation des difficultés dans chacun de ces domaines séparément.  

La prévention des maladies psychiques et la promotion de la santé mentale ne se limitent pourtant pas à ces deux domaines, car elles sont réalisées et financées également au sein d’autres secteurs, notamment les secteurs social et culturel, mais aussi dans l’enseignement, les entreprises, logement, la culture, le sport, l’asile et migration, la lutte contre les violences et discriminations. D’où l’importance d’une approche qui promeuve la « santé dans toutes les politiques » (health in all policies) et qui mette en œuvre des actions multi-sectorielles.  

En guise de conclusion, soulignons dès lors que, selon les données probantes et les expériences internationales, une politique de santé transversale (qui crée des synergies entre différents niveaux de pouvoir), transdisciplinaire (qui met autour de la table les professionnel·les des différents secteurs ainsi que les patient·es et leurs aidant·es) et guidée par le principe de l’universalisme proportionné est la clé pour aborder cette question. En Belgique, plusieurs pas ont été faits dans cette direction notamment avec la nouvelle méthodologie de travail sur le budget de soins de santé et la nouvelle convention sur les soins psychologiques qui prévoit de meilleurs remboursements des soins psychologiques de première ligne. Ce cadre doit toutefois être élargi pour que la santé mentale ne reste pas identifiée aux soins de santé mentale. Le contexte économique difficile actuel invite à repenser les moyens mis en œuvre pour lutter contre l’accroissement des inégalités socio-économiques, en premier lieu contre l’appauvrissement de la population. Entre-temps, un meilleur financement des initiatives régionales et communautaires s’impose comme une priorité afin de développer les actions auprès des publics les plus à risque d’avoir une mauvaise santé mentale et de maladies psychiques et, réduire ainsi les inégalités de santé. 

Santé & Société est un périodique trimestriel de l’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes. On y retrouve des analyses et points de vue autour des politiques de soins de santé. 

Au sommaire du numéro d’octobre 2022 : 

  • Édito : Santé mentale : zone à haut risque 
  • Étude : Prévention dans le domaine de la santé mentale 
  • Étude : Le suivi psychologique : accessible en Belgique ? 
  • Étude : L’impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale des enfants et des adolescent·es en Belgique 
  • Lu pour vous : Écouter les enfants et les jeunes concernés par la santé mentale 
  • Lu pour vous : Soins de santé somatiques en institutions psychiatriques 

Retrouvez tous les articles en ligne sur https://www.mc.be/actualite/santeetsociete

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Une approche écologique de l’alimentation

Le 1 Déc 22

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La Chaire Unesco Alimentations du monde est une chaire d’enseignement et de recherche spécialisée sur les systèmes alimentaires durables. Elle a pour mission d’animer un dialogue entre le monde de la recherche et les différents acteurs investis dans la transformation des systèmes alimentaires, et remplit son mandat au travers de diverses activités de formation, de recherche-action et de décloisonnement/diffusion des savoirs. A l’occasion de son dixième anniversaire, la Chaire a publié en 2021 Une écologie de l’alimentation, un ouvrage collectif co-écrit par une vingtaine de chercheurs et chercheuses de différentes disciplines, qui donne à voir la multidimensionnalité des enjeux auxquels nos systèmes alimentaires contemporains doivent répondre, ainsi que plusieurs pistes de réflexion pour envisager leur transformation.

L’autrice est membre de la Chaure UNESCO Alimentation du monde.

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Le système alimentaire industriel, qui domine dans tous les pays dits « développés », est aujourd’hui plus que jamais remis en question. S’il faut rappeler qu’au siècle dernier, l’industrialisation de l’agriculture, puis le développement des industries agroalimentaires et de la grande distribution, ont permis de répondre en quantité et en qualités (sûreté microbiologique et diversité des produits) à une demande alimentaire croissante, les problèmes posés par nos modes de production et de consommation contemporains sont désormais reconnus. Malnutrition et maladies associées, mauvaise rémunération des producteurs, appauvrissement des sols, érosion de la biodiversité, contamination chimique des milieux naturels, etc. : les préjudices sont nombreux.     

De plus, les récentes crises sanitaire et énergétique ont révélé toute la fragilité de ces systèmes industrialisés et mondialisés en mettant au jour leur dépendance aux marchés internationaux des matières premières et de l’énergie, et aux marchés financiers.(1) En temps de crise, cette dépendance se traduit notamment par une augmentation des prix des denrées, pouvant générer des situations de précarité alimentaire ou aggraver des difficultés préexistantes, rappelant ainsi l’importance de l’enjeu de l’accès de toutes et tous à une alimentation saine et durable.

Face à un tel constat, la transformation des systèmes alimentaires est une nécessité qu’il convient de conduire au plus vite. Au regard de la singularité du sujet, nous proposons d’aborder cette transformation en termes d’ « écologie de l’alimentation ».

L’alimentation comme vecteur de liens

Si l’acte de manger est vital, l’alimentation a ceci de particulier qu’elle joue une diversité de rôles au travers desquels elle façonne les individus, la société et la biosphère.

Tout d’abord, elle est notre principal carburant. C’est au travers de l’alimentation que nous apportons les nutriments nécessaires à la croissance et au fonctionnement du corps : la malnutrition résultant d’un apport nutritionnel en quantité ou qualité inadéquates par rapport aux besoins a un impact direct sur notre santé. Mais au-delà de la dimension biologique, manger est un acte pluriel pour tout individu. C’est à la fois une expérience sensorielle et émotionnelle, une affirmation identitaire, culturelle ou éthique, et un phénomène d’incorporation imaginaire au travers duquel on ingère autant de nutriments que de significations… (2) Ces dimensions « extra-biologiques » ont au quotidien une influence fondamentale sur nos choix alimentaires et sur notre bien-être.

Ensuite, l’alimentation est l’un des ciments de la société. Le repas est le moment de partage par excellence, où se vit la convivialité entre « con-vives » et où l’on devient la même chair que nos « co-pains » (ceux avec qui on partage le pain). En dehors des repas, l’alimentation est un support privilégié de reconnaissance d’une appartenance commune : les cultures alimentaires, pêle-mêle de savoir-faire et de significations oscillant entre tradition et renouveau, constituent un patrimoine partagé, objet de fierté et de transmission. Au travers de l’alimentation s’expriment ainsi une myriade de liens sociaux qui contribuent à mailler un « vivre ensemble » fédérateur.

Enfin, l’alimentation ancre l’humanité dans le cycle du vivant auquel elle appartient : nous consommons des végétaux produits à partir de l’énergie du soleil, des minéraux du sol et du travail des pollinisateurs ; nos aliments sont digérés dans notre tractus intestinal par des millions de micro-organismes avec lesquels nous vivons en symbiose (le microbiote) ; notre rapport aux animaux, qui se dessine dans nos pratiques de prédation, d’élevage, d’abattage ou encore de consommation de viande, reflète la place que l’on se donne en tant qu’humain dans le règne du vivant (3). Ainsi, nous travaillons – et travaillons avec – la biosphère pour nous nourrir.

Croiser les regards sur l’alimentation

Parler d’alimentation est donc bien plus qu’une affaire de nutriments ou de réponse à un besoin biologique. Cela nécessite d’aborder le sujet avec une approche multidimensionnelle, qui permet de dépasser la seule question de la production de denrées comestibles pour porter un regard systémique sur les enjeux agricoles et alimentaires contemporains.

Nous proposons de qualifier d’« écologie de l’alimentation » le nécessaire décloisonnement des regards permettant de saisir la diversité des relations tissées par l’alimentation entre individus, sociétés et biosphère.

En effet, dans le sens premier que lui a donné le biologiste Ernst Haeckel au XIXe siècle, l’écologie est une « science des relations ». C’est une discipline à dimension « intégrative », c’est-à-dire qu’elle tend à développer une lecture globale des phénomènes qu’elle étudie, en s’intéressant à leurs différentes composantes, aux liens qui les unissent et aux dynamiques qui en résultent. De ce point de vue, une « écologie de l’alimentation » traduit bien la volonté d’analyser ensemble la multiplicité des enjeux de nos systèmes alimentaires (environnementaux, socio-économiques, de santé, etc.).

Faire de l’alimentation un objet politique

Alors que l’alimentation devrait être considérée comme un bien commun (4), car elle nous concerne toutes et tous, tous les jours, nos systèmes alimentaires contemporains ne sont pas ancrés dans la poursuite de l’intérêt général. Loin de faire de la santé, de l’équité ou de la préservation de l’environnement des priorités, ils servent au contraire le profit économique d’une poignée d’acteurs privés en position d’oligopole [a].
Face à ce constat, une « écologie de l’alimentation » s’entend alors comme un appel à une reprise en main politique de notre alimentation. Cette reprise en main va au-delà d’un engagement individuel des consommateurs qui, bien que nécessaire, rencontre un certain nombre de limites et ne suffit pas à initier une transformation en profondeur de nos systèmes alimentaires. Dans une perspective de rééquilibrage des rapports de pouvoir et de défense d’une justice sociale et environnementale, l’alimentation doit devenir un objet démocratique approprié à tous les citoyens et toutes les citoyennes. Au travers de moyens aussi divers que des expérimentations « d’autres façons de faire », des coalitions d’acteurs de la société civile, des réseaux de collectivités territoriales ou encore des consultations publiques, la voix de la société civile peut, et doit, être prise en compte dans la co-construction des politiques publiques alimentaires et non-alimentaires, qu’elles soient territoriales, nationales ou européennes. Car c’est bien sur une évolution de ces politiques publiques (soutien massif aux pratiques de production agro-écologiques, généralisation des approvisionnements locaux en restauration collective, législation sur les emballages et la gestion des déchets, réforme de la lutte contre la précarité alimentaire, etc.) que repose la nécessaire transformation structurelle de nos systèmes alimentaires.

L’accès de toutes et tous à une alimentation saine et durable

Parmi les sujets qui préoccupent largement citoyens et gouvernements en France, en Belgique et ailleurs dans le monde, celui de l’accès de toutes et tous à l’alimentation figure en bonne place à l’aube d’une crise énergétique qui contraint sévèrement les pouvoirs d’achat. Dans le même temps, la lutte contre la précarité alimentaire sous forme de dons en nature de denrées alimentaires, telle qu’elle existe dans de nombreux pays industrialisés, fait l’objet de critiques croissantes sur la mauvaise qualité des produits distribués – très majoritairement issus du système alimentaire industriel, l’absence de choix des aliments ou la perte de dignité des bénéficiaires qui doivent en permanence justifier de leur situation de « pauvre » pour accéder à l’aide alimentaire.(5)

Il y a là un enjeu fondamental de changement de regards et de pratiques dans le traitement de la précarité alimentaire pour aller 

  • vers une approche multidimensionnelle de la question : les personnes concernées par la précarité doivent pouvoir se nourrir, mais surtout avoir accès à une alimentation produite dans des conditions durables pour l’environnement et équitables pour les producteurs, et qui réponde à leurs besoins nutritionnels, à leurs goûts et à leurs cultures alimentaires ;
  • vers une pluralité de dispositifs, inclusifs et démocratiques : il est nécessaire d’aller au-delà d’un unique dispositif d’accès à une alimentation non choisie dédié aux personnes en situation de précarité pour lutter contre la précarité alimentaire. Parce qu’il existe autant de précarités alimentaires que de situations vécues, la réponse ne peut qu’être plurielle, tout en étant tournée vers la prévention, l’inclusion et la promotion du pouvoir d’agir.

Deux voies parallèles se dessinent alors. Celle d’une réforme de l’aide alimentaire, un dispositif qui reste indispensable pour répondre aux situations d’urgence, et celle du développement de solutions complémentaires portées par une ambition démocratique et ancrées dans un autre rapport au monde (à l’environnement, aux travailleurs du système alimentaire, aux habitants de son bassin de vie, etc.).

Ces nouvelles formes de solidarités alimentaires sont variées.(6) Ce sont des tiers-lieux alimentaires, où le faire ensemble dessine par l’alimentation des futurs communs ; des épiceries solidaires, dans lesquelles on peut choisir et acheter son alimentation à des tarifs adaptés ; des cantines solidaires où l’on retrouve le lien à l’alimentation et aux autres au travers de la cuisine et du repas ; des groupements d’achats organisés par des habitants soucieux de reprendre la main sur leur alimentation ; des jardins partagés, qui permettent un lien à la terre souvent contraint dans certains lieux de vie, mais aussi l’accès à des fruits et légumes frais ; des dispositifs de transferts monétaires mis en place par des collectivités aux échelles locales pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables ; etc.         

En plus de proposer des alternatives d’accès à une alimentation saine et durable pour les personnes concernées par la précarité, ces solidarités alimentaires posent les bases d’un autre système alimentaire, plus inclusif, plus conscient des rôles de l’alimentation dans la vie des individus, des sociétés et de la biosphère. Puissent nos dirigeants les soutenir et s’en inspirer pour mettre en place des politiques publiques à la hauteur des enjeux auxquels font actuellement face nos systèmes alimentaires.

Pour aller plus loin 

Une écologie de l’alimentation, Bricas N., Conaré D., Walser M. (dir), 2021. Versailles, éditions Quæ, 312 p. Ouvrage téléchargeable en libre accès : https://www.chaireunesco-adm.com/Parcours-thematique

Références

(1)  IDDRI, 2022. « Guerre en Ukraine : quelles implications pour l’Europe face aux enjeux de sécurité alimentaire ? ». iddri.org, 9 mars 2022. 

(2)  Fischler C., 1990. L’homnivore, Paris, Odile Jacob, 448 p.

(3)  Poulain J.-P. (dir), 2007. L’homme, le mangeur, l’animal. Qui nourrit l’autre ?, Paris, Les Cahiers de l’OCHA, 325 p.

(4)  Vivero Pol J., Ferrando T., De Schutter O., Mattei U. (éd.), 2020. Routledge handbook of food as a Commons, London, Routledge, 424 p.

(5)  Paturel D., Bricas N., 2019. Pour une réforme de nos solidarités alimentaires. So What? Série dela Chaire Unesco Alimentations du monde, (9) : 4 p.

(6)  Page « Poster initiatives » du site « Rencontre sciences-société pour des solidarités alimentaires » https://www.chaireunesco-adm.com/Rencontres-sciences-societe-Pour-des-solidarites-alimentaires

[a] Marché où un petit nombre de vendeurs ont le monopole de l’offre, les acheteurs étant nombreux.

worried gray haired agronomist or farmer using a tablet while inspecting organic wheat field before the harvest. back lit sunset photo. low angle view.

Droit à l’alimentation et droit à la santé : des liens étroits qui peinent à se concrétiser dans les politiques publiques

Le 1 Déc 22

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L’accès à une alimentation saine et durable paraissait acquis à tous et à toutes jusqu’il y a peu en Belgique. C’est d’ailleurs un droit humain que la Belgique s’est formellement engagé à réaliser, directement en ratifiant le PIDESC [1], indirectement en reconnaissant dans l’article 23 de la Constitution le droit « à mener une vie conforme à la dignité humaine ».

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Ce droit à l’alimentation est garanti de deux manières : d’abord en maintenant artificiellement des prix bas ; ensuite en mettant en œuvre des filets de sécurité sociaux que sont, d’une part, les aides sociales générales tel que le Revenu d’Intégration Sociale, et d’autre part, l’aide alimentaire. Certes, ces dispositifs empêchent que ceux qui ont faim, car il y en a, en meurent : la Fédération des services sociaux estime que 600 000 personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en Belgique en 2021. En revanche, si l’on regarde au niveau des adjectifs de « sains et durables », qui en termes juridiques ne sont pas un luxe, mais bien une condition sine qua non de la réalisation du droit à l’alimentation, nous n’y sommes pas – et pas du tout.

L’auteur est chargé de recherche et de plaidoyer chez FIAN Belgique. Le présent article est inspiré de l’étude « Droit à l’alimentation de qualité et systèmes alimentaire : pourquoi il est si difficile de bien manger en Belgique, et ce qu’on peut y faire » (FIAN 2022), étude à laquelle on se référera pour approfondir la réflexion.

Alimentation et santé

Le droit à la santé est un droit humain fondamental inscrit explicitement dans la constitution. Selon l’OMS, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas, seulement, en une absence de maladie ou d’infirmité ». Or, on sait que l’alimentation est un déterminant majeur de la santé, qu’elle est dite la première des médecines. Cependant, le lien entre alimentation et santé est loin de recevoir toute l’attention qu’elle requiert dans les politiques publiques.

La malnutrition se définit à la fois comme un manque nutritionnel et/ou calorifique (sous-alimentation) ou comme un surplus nutritionnel et/ou calorifique (sur-alimentation). Le lien le plus fort entre alimentation et santé, en Belgique, concerne la sur-alimentation. La moitié de la population est en surpoids, 16% est obèse [2]. Cet état nutritionnel se traduit par une contribution significative [3] aux maladies chroniques les plus fréquentes que sont l’hypertension et les accidents vasculaires cérébraux, les infarctus, le diabète de type 2 et encore certains cancers. En Belgique, entre 11% (2021) et 14% (2020) des décès sont directement liés à la nutrition, ou plutôt à la malnutrition [4]. Soit entre 12 000 et 15 000 personnes par an. Un ratio un peu inférieur à la moyenne mondiale, qui s’établit à 11 millions sur 57 millions de décès par an, soit 19%.

Rappelons que le système alimentaire ne se limite pas à impacter la santé de la population au niveau nutritionnel. Les mauvaises conditions de travail dans le secteur agroalimentaire, l’exposition à des polluants dans l’eau, l’air et le sol et la disponibilité d’aliments contaminés ou dangereux sont des sources de nuisances supplémentaires [5].

Une approche holistique

La réalisation du droit à l’alimentation oblige à prendre en compte tout le « système alimentaire », c’est-à-dire l’ensemble des facteurs et acteurs qui vont produire, transformer, distribuer, encadrer, surveiller, consommer la nourriture. Agir sur la consommation en aval nécessite d’influencer en amont les modes de production, les conditions de formation des prix, l’encadrement du marché, etc.

Pour cela, il faut comprendre dans quel cadre le système alimentaire s’inscrit afin de repérer les leviers d’action et les obstacles au changement. Ceux-ci sont nombreux. Une preuve en est que, malgré les appels récurrents depuis le lancement de la Stratégie mondiale sur l’alimentation et l’exercice physique de l’OMS en 2004, et le premier Plan fédéral nutrition-santé en 2005, peu de progrès significatifs ont été accomplis pendant que la situation nutritionnelle de la population ne cesse de se dégrader.

On ne saurait réaliser le droit à l’alimentation en adoptant une approche « médicalisante », amalgamant « médicaments » et « aliments », ce qui reviendrait à chercher à garantir à chaque individu sa dose de nutriment – éventuellement distribuée en complément alimentaire. En effet, une alimentation saine est également sociale et psychologique, ce que met de côté une approche fondée strictement sur les besoins biologiques. Par exemple, on ne mange jamais aussi mal que quand on mange seul.

Prévenir plutôt que guérir

En matière de nutrition, il est bien plus efficace de prévenir que de guérir. Or, prévenir est rendu difficile par une idée : celle de la responsabilité individuelle devant le choix de son alimentation. Il serait possible de bien manger aujourd’hui, et si « les gens » ne le font pas, c’est par manque d’éducation. Certes, il est possible de bien manger pour pas cher : en passant beaucoup de temps à faire ses courses à la recherche des bons plans, en passant beaucoup de temps en cuisine, et en étant convaincu que bien manger est véritablement quelque chose d’important pour soi, pour les autres, pour la planète. C’est confondre « volonté » et « ressource ». Ce n’est pas parce qu’on veut qu’on peut.

Au contraire, c’est plutôt la quantité de ressources disponibles (en temps, en argent, en connaissance) qui va déterminer la qualité d’un régime alimentaire. Ce n’est pas par manque d’éducation que les familles précarisées mangent le plus mal, mais par manque d’argent. Les travaux sur la question, scientifiques ou de témoignages, sont unanimes [6]. Ce manque rend davantage malades ceux qui ont le moins de ressources, nourrissant un cercle vicieux. En outre, il ne faudrait pas laisser croire que mal manger ne concerne que les plus pauvres : c’est l’ensemble de la population qui ne répond pas aux recommandations nutritionnelles. Malgré la connaissance des messages nutritionnels, seulement 15% de la population belge générale mange les fameuses 5 portions de fruits et légumes par jour [7]. Le chiffre monte à 20% chez les plus diplômés : pas de quoi décrocher la mention.

L’approche curative continue ainsi d’être dominante. On ne sera pris en charge par la sécurité sociale qu’en bout de course, lorsque de mauvaises habitudes alimentaires se concrétisent et s’incarnent en maladie chronique. Et à ce moment-là, ça coûte très cher et c’est très difficile à soigner. Entre temps, on aura été stigmatisé à coup de « faites des efforts mon vieux ». Sciensano estime que le surpoids et l’obésité augmente au minimum la facture en soins de santé de 4,5 milliards d’euros par an [8] ! On paye tout au long de sa vie une mauvaise alimentation, puis on la repaye en soins de santé en vieillissant. Autrement dit, les prix sont faussés et n’intègrent pas toutes les dépenses que ces produits engendrent [9].

Les prix bas de l’industrie

La modernisation du système alimentaire est un héritage significatif du 20e siècle basé sur le pétrole : industrialisation de la production agricole, de la transformation alimentaire, internationalisation de la commercialisation (import et export) et enfin économie d’échelle majeur dans la grande distribution. L’objectif de ce grand modèle agricole connu sous le nom de « révolution verte » ? Assurer une production alimentaire suffisante, à bas coût, tout en vidant les campagnes de ses forces vives pour les reporter dans les faubourgs urbains et faire tourner l’industrie lourde.

Le pari a été remporté. En 1960 en Belgique, 27,6% du budget des ménages était destiné à l’alimentation. Aujourd’hui, il est relégué en seconde position après le logement, bien qu’il remonte dernièrement après avoir été vers 11% entre 2000 et 2018 [10]. En 2020 : 15% du revenu (c’est-à-dire environ 10 € par jour) pour les ménages du premier quintile (les 20% les plus bas), et 16% du revenu (environ 23 € par jour) qui y est consacré pour le dernier quintile (les 20% les plus hauts). La question qui se pose est alors double : savoir si le revenu le plus bas est suffisant pour assurer l’accès à une alimentation « saine et durable », et s’il est vraiment utilisé à cela. On sait déjà que non.

Des choix piégés

Ces deux questions sont piégées, parce que les choix alimentaires qui sont mis à disposition des consommateurs ne sont pas neutres. On ne peut réfléchir comme si les consommateurs étaient libres de dépenser où ils le souhaitent leur budget alimentaire. Au contraire, les choix alimentaires sont pris dans un contexte qui est appelé « environnement alimentaire ». En effet, cette notion met en avant que de nombreux facteurs influencent voire déterminent l’accessibilité des produits, et donc les choix des consommateurs. Il s’agit principalement du prix des produits, de leur disponibilité géographique et physique, de leur adéquation culturelle, mais aussi, les produits qui nous viennent en tête « spontanément » lorsqu’on a faim et qui s’imposent dans l’imaginaire à travers la publicité par exemple. En étant plus ou moins accessibles, ces produits sont plus ou moins consommés, reléguant les aspects nutritionnels à l’arrière-plan. On ira plus facilement au fast-food qui est à côté de chez nous ouvert 20h/24h, qu’au marché paysan une fois par semaine le dimanche matin.

Or, les études montrent que les environnements alimentaires sont « obésogènes » [11]. Ils sont favorables à des produits trop gras, trop salés, trop sucrés. Construire un régime alimentaire équilibré nécessite alors des efforts individuels considérables, des mobilisations de ressources qu’on ne veut pas forcément mettre, même quand on les a. La vie est déjà assez dure comme ça pour en plus la compliquer au moment des repas, qui sont censés être un moment calme, ressourçant, de laisser-aller. Il faut sortir de la responsabilisation individuelle et aller vers des politiques publiques.

Que faire ?

Les pistes sont nombreuses. Le premier ministre lui-même a déclaré en octobre qu’il fallait augmenter le prix des produits malsains, et baisser le prix des produits sains. Différentes taxations et une meilleure distribution des subsides sont envisageables. Réguler la publicité des produits malsains serait un pas important pour arrêter de les banaliser alors qu’ils produisent des effets sociétaux considérablement négatifs. Améliorer l’aide alimentaire ? En donnant plus de moyens, elle fonctionnerait beaucoup mieux. Mais on ne peut demander à un dispositif d’aide sociale de réaliser un droit universel. Socialiser une partie de l’alimentation comme on l’a fait pour la santé pour réaliser le droit à l’alimentation, en donnant à tous les moyens de consommer de bons produits, en fléchant la consommation vers des modes de production souhaitables et respectueux. C’est la piste d’une sécurité sociale de l’alimentation [12].

Bien manger est un droit, on ne devrait pas avoir à s’épuiser ou à s’humilier pour se le voir garantir. Et pourtant…

[1] L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dit que les Etats s’engage à garantir le « droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence ».

[2] Sciensano, enquête de santé sur l’état nutritionnel, 2018.

[3] Contribution, car ces maladies n’ont pas pour seule cause l’alimentation, mais aussi notamment la sédentarité ou le tabagisme.

[4] OCDE, Etat de santé dans l’Union européenne, Profil de santé de la Belgique, 2020 et 2021.

[5] IPES-Food, Alimentation et santé : décryptage. Un examen des pratiques, de l’économie politique et des rapports de force pour construire des systèmes alimentaires plus sains, rapport 2017.

[6] M. Ramel et al., Se nourrir lorsqu’on est pauvre. Analyse et ressenti de personnes en situation de précarité, Montreuil, ATD Quart Monde, 2016 ; A. Osinski, Joos Malfait et FdSS, L’expérience de l’aide alimentaire. Quelles alternatives ? Rapport d’une recherche en croisement des savoirs, Bruxelles, 2019 ; N. Darmon et A. Drewnowski, « Contribution of food prices and diet cost to socioeconomic disparities in diet quality and health: a systematic review and analysis », Nutrition reviews, vol. 73, no 10, 2015, p. 643-660

[7] Eurostat, 2019, Daily consumption of 5 portions or more of fruit and vegetable.

[8] V. Gorasso et al., « Health care costs and lost productivity costs related to excess weight in Belgium », BMC Public Health, vol. 22, no 1, 6 septembre 2022, p. 1693

[9] En plus de la santé, les impacts de l’alimentation sur l’environnement sont énormes, estimés comme supérieurs en coûts aux effets sur la santé. Cf. S. Hendricks et and al., The True Cost and True Price of Food, United Nations, 2021.

[10] P. Defeyt, « Les dépenses alimentaires des belges », Institut pour un développement durable, avril 2020, p. 14

[11] J. Boone-Heinonen et P. Gordon-Larsen, « Obesogenic Environments in Youth: Concepts and Methods from a Longitudinal National Sample », American Journal of Preventive Medicine, vol. 42, no 5, mai 2012, p. e37-e46 ; S. Vandevijvere et al., « The Cost of Diets According to Their Caloric Share of Ultraprocessed and Minimally Processed Foods in Belgium », Nutrients, vol. 12, no 9, Multidisciplinary Digital Publishing Institute, septembre 2020, p. 2787

[12] Un collectif de dizaines d’organisation se penche depuis 2 ans sur la proposition. Plus d’info sur : https://www.fian.be/+-Securite-sociale-de-l-alimentation-+?lang=fr

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La psychologie positive, un levier pour la santé mentale

Le 3 Nov 22

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En cette période où les crises de différentes natures se succèdent sans se ressembler, nos capacités d’adaptation et de changement sont mises à rude épreuve. Entre espoirs d’innovation liés aux avancées de la recherche et sentiment d’impuissance face aux problèmes environnementaux, les réactions peuvent être vives et variées. Les recherches dans le champ de la psychologie positive ont mis en évidence plusieurs processus psychologiques sur lesquels il est possible d’agir afin d’aider les individus, les groupes et les institutions à avancer en direction de solutions constructives qui contribuent par là-même à maintenir une bonne santé mentale et relationnelle.

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La psychologie positive est une orientation relativement récente en psychologie qui propose d’étudier plus spécifiquement les facteurs protecteurs en santé mentale pouvant être développés en amont des problématiques et favoriser ainsi la capacité à faire face aux événements de vie et la résilience. Elle a ainsi été définie comme l’étude des conditions et des processus qui contribuent à l’épanouissement et au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions (1).

Réduire le biais de négativité par rapport à soi, aux autres et à l’existence

Nous avons une tendance naturelle à être davantage marqués par les aspects négatifs du quotidien et à nous remémorer ces événements le soir quand nous rentrons chez nous (2). Ce sont ces dimensions de notre quotidien qui vont aussi avoir tendance à tourner en boucle dans notre tête et nous empêcher d’orienter notre attention vers le moment présent et les personnes qui nous entourent. Or, plus nous ressassons ce qui nous dérange chez l’autre, ce que nous n’avons pas apprécié au travail ou un échec que nous avons essuyé, plus cela oriente notre attention vers d’autres aspects négatifs du quotidien, ce qui à son tour augmente les affects négatifs. On se retrouve alors embarqués dans une dynamique qui peut nous empêcher d’identifier les ressources en nous et autour de nous pour avancer de manière constructive.

Les recherches issues du champ de la psychologie positive ont expérimenté l’efficacité de pratiques permettant de réduire ce biais de négativité en apprenant à observer dans le quotidien d’autres aspects qui passent plus souvent inaperçus et que l’on a tendance à oublier rapidement : les éléments positifs et satisfaisants de la vie de tous les jours. Souvent, nous nous habituons rapidement à ce qui est positif ou agréable dans notre vie. Mais nous pouvons choisir de regarder à nouveau de plus près par exemple en réalisant un journal d’attention dans lequel on note chaque jour une ou plusieurs choses satisfaisantes qui se sont produites comme le fait d’avoir eu une conversation très intéressante avec un collègue ou d’avoir rencontré une personne chaleureuse qui a été à l’écoute. Ce type de pratique permet d’améliorer la satisfaction par rapport à la vie et diminuer les symptômes d’anxiété et de dépression (3). C’est l’un des processus qui permet de maintenir un équilibre psychologique.

Il existe également de nombreuses autres pratiques dont l’objectif est de développer une attitude bienveillante à l’égard de soi en diminuant la tendance à l’auto-critique répétitive négative. Au-delà du changement de regard que l’on porte sur soi grâce à ces pratiques, cela permet de diminuer la tendance à la procrastination et au sentiment d’impuissance face à la situation rencontrée. Cette forme de bienveillance envers soi représente un facteur protecteur important en santé mentale, comme nous avons pu l’observer pendant la période de pandémie auprès des parents (4) ou des étudiants par exemple (5). Développer de la compassion pour soi est aussi associé à de meilleures relations avec les autres, ce qui représente le facteur protecteur le plus important en santé mentale. Les interventions de psychologie positive ciblent ainsi spécifiquement des moyens de cultiver des relations constructives et permettre de développer des relations d’interdépendance positive (6).

Développer une culture de l’interdépendance positive

À une période où l’interdépendance a été au premier plan avec la situation de pandémie qui a mis en évidence de manière spectaculaire nos interdépendances à tous les niveaux : entre humains, avec les animaux, avec l’environnement, nous avons eu tendance à considérer que l’interdépendance était plutôt quelque chose de problématique. Toutefois, cette période a aussi révélé la possibilité de développer une interdépendance positive à travers des comportements solidaires qui ont été mis en œuvre, de nouvelles initiatives dans les villages, les quartiers, les immeubles pour aider les personnes âgées ou les personnes en difficulté pour faire leurs courses et prendre soin d’elles.

Durant cette période nous avons ainsi pris davantage conscience de l’importance de la qualité des relations avec les commerçants, les éboueurs, les voisins, les passants… En raison de la raréfaction des relations sociales en face à face, chaque interaction étant davantage valorisée. Nous avons davantage pris conscience des efforts de chacun, ce qui a pu faire émerger de la gratitude que l’on a pu exprimer envers les soignants en applaudissant le soir à 20h à la fenêtre. Cette expression de gratitude augmente le sentiment de proximité sociale et de confiance, un terreau favorable au développement de ce que l’on appelle l’interdépendance positive.

L’interdépendance positive est liée à la conscience que l’on partage un objectif commun et au fait de considérer que travailler ensemble est plus efficace et plus pertinent parce que l’on peut s’appuyer sur la richesse des différences et des complémentarités.

Cette relation est mutuellement bénéfique grâce au sentiment de lien social : chacun peut recevoir de l’aide sans se sentir inférieur, et peut à son tour apporter une contribution à d’autres à sa manière.

Dans le cadre d’une relation d’interdépendance positive, il s’agit de combiner les compétences complémentaires plutôt que de développer un esprit de compétition. L’idée de fond consiste à accepter que l’humain est incomplet, imparfait, mais que chacun possède des compétences pouvant être mises à profit dans le cadre d’un projet commun. Les recherches ont mis en évidence que la relation d’interdépendance positive offrait un contexte permettant de faire émerger le meilleur de chacun. Dans la relation, grâce au lien de confiance, cela permet d’accéder au mieux à ses compétences et qualités. De plus, le sentiment de proximité relationnelle modifie même la perception des difficultés qui sont alors davantage perçues comme un défi à relever plutôt que des menaces. Ce sentiment de lien social augmente également la vitalité et la persévérance.

Des chercheurs (7) avaient ainsi fait venir des participants au laboratoire en leur proposant de venir accompagné d’un ou une amie. Puis, soit cet ami restait dans la salle d’attente, soit elle entrait dans le laboratoire. Puis l’expérimentateur demandait au participant d’évaluer la raideur de la pente d’une colline. Les chercheurs ont alors observé que lorsque les participants étaient accompagnés d’un ami, ils percevaient la pente comme étant moins raide, comme si cela nous donnait l’impression d’avoir plus d’énergie et de ressources à disposition pour faire face à la situation.
Pourtant, nous vivons dans une société qui sur-valorise l’indépendance, souvent comprise comme le fait de montrer que l’on n’a pas besoin des autres. Il pourrait ainsi être utile de développer une culture de l’interdépendance dès le plus jeune âge. Des recherches dans le champ de l’éducation ont ainsi montré que l’interdépendance de moyens ou de buts augmente la motivation et l’engagement dans la tâche et ainsi la réussite scolaire.

Il existe aujourd’hui de nombreuses pratiques validées par la recherche pouvant contribuer au développement de relations d’interdépendance positive, notamment en favorisant le développement des compétences psychosociales, l’identification des forces et des complémentarités des individus à travers des pratiques de psychologie positive, ou encore grâce aux pratiques de pleine conscience, qui permettent de développer une plus grande ouverture à l’autre et peuvent faire émerger.

Les compétences psychosociales, ou compétences utiles à la vie, sont les ressources sociales (relation aux autres), affectives (émotions, vécu…) et cognitives (connaissances…) à mobiliser, de façon combinée et appropriée, face aux aléas de la vie (a) . Elles permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives (b).

Plus d’infos sur le sujet dans un prochain numéro d’Education Santé en 2023.

(a)https://(a) https://www.promotion-sante-normandie.org/_files/ugd/acc913_d53aa3e22d074f99afc9cdea94e01c37.pdf

(b) Santé publique France 2022

Pendant la période de confinement, avec un collectif de chercheurs et d’associations nous avons souhaité rendre ces outils accessibles pour développer des relations d’interdépendance positive à tous les niveaux dans le champ de l’éducation, à l’école et dans la famille. Vous pouvez retrouver ces outils sur le site https://covidailes.fr.

Pour aller plus loin

  • Shankland, R. (2019). La psychologie positive. 3e édition. Paris, France : Dunod.
  • Shankland, R. (2016). Les pouvoirs de la gratitude. Paris : Odile Jacob.

Rebecca Shankland est Professeure des Universités en psychologie du développement, Université Lumière Lyon 2

Références

(1)  Gable, S. L., & Haidt, J. (2005). What (and why) is positive psychology? Review of General Psychology, 9 (2), 103–110.

(2)  Baumeister, R. F., Bratslavsky, E., Finkenauer, C., & Vohs, K. D. (2001). Bad is stronger than good. Review of General Psychology, 5, 323–370.

(3)  Emmons, R.A., McCullough, M.E. (2003). Counting blessings versus burdens : an experimental investigation of gratitude and subjective well-being in daily life. Journal of Personality and Social Psychology, 84, 377-389.

(4)  Paucsik, M., Urbanowicz, A., Leys, C., Kotsou, I., Baeyens, C., & Shankland, R. (2021). Self-compassion and rumination type mediate the relation between mindfulness and parental burnout. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18, 8811. 

(5)  Paucsik, M., Leys, C., Marais, G., Baeyens, C., & Shankland, R. (2022). Self‐compassion and savoring buffer the impact of the first year of the COVID‐19 pandemic on PhD students’ mental health. Stress & Health. https://doi.org/10.1002/smi.3142.

(6)  Shankland, R., & André, C. (2020). Ces liens qui nous font vivre : Eloge de l’interdépendance. Paris : Odile Jacob. (7)  Schnall, S., Harber, K. D., Stefanucci, J. K., & Proffitt, D. R. (2008). Social Support and the Perception of Geographical Slant. Journal of experimental social psychology, 44(5), 1246–1255.

portrait enfant de dix ans sous la lumière regarde

Santé mentale: la parole aux jeunes

Le 24 Sep 22

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Le Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique de l’UNICEF montre qu’un grand nombre d’enfants hospitalisés en pédopsychiatrie ont d’abord cherché de l’aide dans leur milieu de vie mais ne l’ont pas toujours trouvée. Dans un contexte post-covid où la santé mentale des jeunes est plus que jamais fragilisée, une sensibilisation des professionnels de la santé et de l’éducation à cette question semble indispensable. Écouter les enfants, entendre leur souffrance, les orienter : beaucoup reste à faire en matière de prévention.

portrait enfant de dix ans sous la lumière regarde

Dans des sociétés de la performance portées par un désir d’invulnérabilité, la santé mentale demeure un tabou majeur. Cela est d’autant plus vrai s’agissant des enfants, que l’on se plaît parfois à percevoir comme imperméables à la souffrance psychique. Pourtant, les chiffres sont sans appel : selon les dernières estimations de l’UNICEF, plus de 16,3 % des jeunes âgés de 10 à 19 ans en Belgique sont atteints d’un trouble mental diagnostiqué selon les termes de la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé. Une réalité mal connue, difficile, inconfortable qui amène certains d’entre eux à voir s’interrompre le cours normal de leur vie pour un séjour à l’hôpital, lorsque les envies suicidaires, les troubles du spectre autistique ou les angoisses deviennent envahissants. Nul besoin de préciser qu’il faut ajouter à ce pourcentage les enfants qui n’ont pas été diagnostiqués, sans même parler de l’augmentation inévitable des troubles de santé mentale dans un contexte post-covid qui a brutalement bouleversé le quotidien des plus jeunes, favoriser l’isolement et l’exposition à des informations anxiogènes. « 54,8 % des enfants diagnostiqués sont touchés par des troubles anxieux », précise Maud Dominicy, auteure de l’étude et Advocacy Manager à UNICEF Belgique. « Et on ne parle pas seulement des adolescents, il y a aussi des petits, ce n’est pas une question de ‘crise d’adolescence’. » Les facteurs de risque pour la santé mentale que sont la violence et la pauvreté ont eux aussi été favorisés par la pandémie et les confinements successifs. Les facteurs protecteurs que sont une famille élargie soutenante, l’école et les loisirs ont été quant à eux moins présents. Le sujet est donc brûlant et mérite toute l’attention de la société et des pouvoirs publics.

Formuler des recommandations

En Belgique, selon le Guide vers une nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents, élaboré dans le cadre de la réforme des soins en santé mentale, « chaque enfant ou adolescent a droit à des soins en santé mentale à la mesure de ses besoins en termes d’accessibilité, d’implication, d’approche positive, d’expertise, de qualité et de continuité. L’efficacité et l’impact sur l’enfant et l’adolescent sont toujours pris en considération lors du choix des soins, qui sont de préférence offerts dans le milieu de vie et d’apprentissage. » L’UNICEF a voulu savoir ce qu’il en était dans les faits, sur le terrain, grâce à un travail de plus de deux ans mené auprès de 150 enfants et adolescents entre 6 et 17 ans hospitalisés en unités pédopsychiatriques de jour ou résidentielles. Une démarche qui s’inscrit dans le projet « What Do You Think ? » (Qu’en penses-tu ?), coordonné par UNICEF Belgique depuis 1999. « À chaque fois, nous sommes allés vers des jeunes en situation de vulnérabilité afin de mener des projets participatifs pendant des périodes de deux à trois ans, précise Maud Dominicy. Des enfants porteurs d’un handicap, touchés par la pauvreté, hospitalisés, en IPPJ, migrants et réfugiés… Tous ceux qu’on entend peu dans les structures participatives et dans le débat public en général. » Les avis des enfants ont été recueillis dans le cadre de débats en groupe, organisés en collaboration avec le personnel soignant et selon différentes modalités ludiques ou créatives (atelier peinture, chanson…) : il a été demandé aux jeunes de dégager des priorités, ce qui a permis de faire émerger une vision collective qui frappe par son ambition, son sens pratique et sa justesse. « C’est très bien d’avoir un cadre légal qui vise à axer les pratiques autour des besoins de l’enfant dans son milieu de vie, mais notre souci était de voir ce qu’il en était dans la pratique tout en remettant les enfants au centre : en tant qu’adultes, nous avons des tas d’idées sur ce qu’il faudrait faire mais, avec ce projet, nous voulions donner la parole aux principaux intéressés. » Les paroles recueillies, fortes et touchantes, donnent vie à ce rapport. Ici, c’est un garçon de 10 ans qui décrit le service de santé mentale de ses rêves comme une tente accrochée dans un arbre ; là, une jeune fille de 16 ans qui dit avoir découvert à l’hôpital qu’elle pouvait se faire des amis malgré ses « petites folies »…  

Faire entendre sa voix

« Notre objectif est vraiment de pouvoir relayer leur parole au plus haut niveau, précise Maud Dominicy, auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, un organe qui surveille au niveau mondial la mise en œuvre de la Convention des droits de l’enfant, y compris en Belgique, et qui remet lui-même des recommandations à l’État belge. Un tel rapport a donc un impact direct au niveau des politiques en Belgique mais pas seulement sur les ministres en charge de la santé. On relaie à tous les niveaux, car la prévention a lieu dans la famille, les quartiers, les lieux de loisir et surtout à l’école, donc on s’adresse à tous les niveaux de pouvoir. » Le premier message de ces jeunes semble évident, mais mérite d’être rappelé : ils demandent à être considérés d’abord comme des enfants, avec les mêmes envies que n’importe quel enfant et pas comme des patients, qu’on ne leur colle pas des étiquettes, qu’on ne les réduise pas à une identité psychiatrique. Trois recommandations principales se dégagent ensuite de ce rapport. La première concerne la participation : les enfants et les jeunes font part de leur souhait d’être impliqués dans toutes les décisions qui les concernent dans la société. Ils souhaitent qu’on les prenne davantage en considération et que les adultes cessent de discuter exclusivement entre eux, en particulier en ce qui concerne leur santé mentale. Car comme le prouve ce rapport, ils ont une voix à faire entendre, une expertise collective à valoriser.  

Trouver une oreille attentive

Le deuxième grand volet de recommandations concerne la prévention. « Ils veulent beaucoup plus de services de proximité au niveau de l’aide et de la prévention, commente Maud Dominicy. Ils aimeraient connaître les lieux qui existent dans leur quartier où ils peuvent obtenir de l’aide de qualité, gratuite, car bien souvent, ils ne savent pas vers qui se tourner. » Les jeunes évoquent aussi largement le tabou lié à la santé mentale, leur sentiment de ne pas pouvoir vraiment exprimer un malaise. « Beaucoup pensent que s’ils avaient seulement pu déposer une parole, ils ne seraient pas aujourd’hui hospitalisés, poursuit Maud Dominicy. Beaucoup ont cherché de l’aide mais ne l’ont pas trouvée. D’autres n’ont pas été entendus par les premières lignes à qui ils se sont adressés, médecins généralistes, psychologues ou enseignants. Ceux-ci n’ont pas pu apporter de réponse ou leur ont simplement conseillé de ‘mordre sur leur chique’, ce qui est assez interpellant… » Des enfants évoquent aussi le besoin d’un soutien apporté à leur famille, qu’il soit social, émotionnel et économique. « Certains ont aussi pointé les questions de violence domestique et rappelé les politiques à leur devoir d’un cadre légal contre la violence domestique à l’égard des enfants, qui n’existe toujours pas en Belgique. » Tous estiment que la sensibilisation aux problèmes de santé mentale devrait avoir lieu à l’école. « Ils donnent l’exemple de la visite médicale où la santé mentale n’est jamais abordée. De même, aller aux PMS reste stigmatisant : ils suggèrent donc que tout le monde devrait peut-être y aller afin que chacun soit sur un pied d’égalité… » Si l’école peut générer des problèmes de santé mentale (rapports de pouvoir, harcèlement scolaire, pression à la réussite…), on sait qu’elle est surtout un lieu de résilience et un facteur de protection pour les enfants qui rencontrent des difficultés psychiques. C’est pourquoi elle apparaît dans ce rapport comme le lieu où les enfants en souffrance pourraient/devraient trouver de l’aide. « Tous disent que l’hôpital doit être le dernier recours et tous font le lien entre le fait de ne pas avoir été aidé dans leur famille, quartier, école et leur situation actuelle », insiste Maud Dominicy. Une aide de première ligne que la réforme des soins en santé mentale pour les enfants et adolescents serait censée garantir… « Imaginez des enfants de 6 ans qui doivent rester parfois plusieurs mois dans une structure institutionnelle, privés de communiquer, de leur routine, de leurs parents, etc. L’admission en psychiatrie est toujours un arrachement. » Qui pourrait être évité dans bien des cas.

Plus de jeu, moins de cloisons

Le troisième volet des recommandations concerne le souhait d’une prise en charge adaptée. Globalement, le rapport montre que les enfants sont déjà extrêmement reconnaissants de la prise en charge qu’ils reçoivent dans les services de pédopsychiatrie. « C’est un point très positif car je pense que si l’on avait fait enquête il y a 10 ou 15 ans, on n’aurait pas eu les mêmes résultats, estime Maud Dominicy. En 2008, nous avions interrogé une cinquantaine d’enfants hospitalisés et nous avions été choqués de la situation des droits de l’enfant dans ces structures, mais depuis, le cadre a évolué au niveau légal, une réforme a eu lieu, un travail de plaidoyer, et aujourd’hui on observe une grande reconnaissance de la part des enfants, même s’ils rapportent aussi quelques cas problématiques avec tel ou tel soignant. » 

Parmi les très jeunes patients, beaucoup pointent le fait qu’ils ne comprennent tout simplement pas les questions qu’on leur pose en thérapie, qu’ils sont mal à l’aise avec l’expression par la parole peu adaptée à leur âge ou à leur problématique. Ils suggèrent des thérapies plus multiples et pourquoi pas plus ludiques… « Ils adorent tous jouer et disent tous qu’ils sont sous pression, que le temps de jeu n’est pas suffisant, pointe Maud Dominicy. Par rapport aux crises que nous traversons, le jeu est d’ailleurs clairement un facteur de protection : dans les crises humanitaires, la première chose qu’on fait est de remettre les enfants en jeu et à l’école car ce sont les premiers facteurs de résilience en termes de santé mentale, même quand le traumatisme est très fort, par exemple en situation de guerre et/ou dans le cas de la perte d’un proche. » Tous disent par ailleurs adorer l’école à l’hôpital… mais aimeraient que l’école ressemble aussi à ça à l’extérieur ! Ils pointent aussi le peu de communication avec l’école d’origine qui favorise les situations de décrochage et complique le retour à la vie « normale ».  

Tous les propos recueillis convergent en somme dans le sens d’un décloisonnement : qu’on autorise plus de contacts avec l’extérieur, qu’on cesse de ranger les individus dans des cases, dans des rôles, de séparer l’esprit et le corps, l’élève de l’enfant… Dans le sens, tout simplement, d’une plus grande ouverture et d’une plus grande disponibilité. « Quand on voit qu’un enfant ne va pas bien, il faut pouvoir être là au moins dix minutes avec suffisamment d’empathie… N’oublions pas que beaucoup d’enfants sont directement concernés mais n’oublions pas non plus qu’un enfant sur 4 vit avec un parent qui a un trouble de santé mentale, ce qui peut avoir des répercussions sur sa santé mentale à lui, rappelle Maud Dominicy. Pour que les enfants aillent bien, il faut aussi que les adultes puissent être aidés. » Une prévention qui passe en premier lieu par l’écoute et l’attention à l’autre, qu’on soit professionnel de la santé, de l’éducation ou simple citoyen.

GSM, Wifi… un hôpital déconnecté ? 

Le téléphone portable est au cœur de nos vies et plus encore au cœur de celles des adolescents. Même si l’on peut déplorer l’addiction qu’il génère chez certains, il est aussi devenu un outil de socialisation incontournable, qui permet à la fois de communiquer avec ses amis, de savoir ce qui se passe dans le monde, d’accéder à de la musique, à des séries, à des vidéos, etc. Au sein des unités pédopsychiatriques, son utilisation est régulée, une privation souvent mal vécue par les jeunes. « Dans certains établissements, la durée d’utilisation du GSM augmente en fonction des progrès thérapeutiques du jeune. Ces restrictions leur font bien sentir la particularité de leur situation », explique le rapport UNICEF. « On ne peut joindre les autres qu’en soirée. Ce n’est pas pareil que la vie réelle », commente un jeune. Dans les groupes de discussions, « on doit parfois attendre longtemps pour répondre aux messages des autres. On doit alors expliquer comment ça se fait. C’est difficile. » 

Plusieurs ados reconnaissent aussi l’ambiguïté du lien avec le GSM. « Un GSM peut inciter des personnes mal intentionnées à vous appeler pour sortir d’ici, explique un garçon de 14 ans. Je ne pense pas qu’on doit autoriser si facilement le GSM dans la chambre. Seulement pour les personnes qui ont atteint une certaine étape. Pour que ça soit motivant. » Au-delà du GSM, c’est l’accès au Wifi (tablettes, PC…) qui est souhaité par de nombreux jeunes. Pour certains, un accès accru à la « connexion » faciliterait grandement leur coopération au travail thérapeutique. « Tout le monde serait plus coopératif si on avait cette motivation. Tout le monde serait plus heureux. Si nous n’avons aucune motivation, pourquoi devrions-nous coopérer ? »

Hôpital animaux admis ? 

Qu’il s’agisse du cheval, du dauphin, du chien, le lien avec l’animal est utilisé depuis longtemps comme support à la thérapie. Mais paradoxalement, les enfants hospitalisés doivent vivre l’épreuve d’être séparé de leur animal de compagnie. Dans ce rapport, beaucoup d’enfants évoquent le crève-cœur que cela représente car l’animal leur apporte au quotidien une douceur et un réconfort physique qui leur permettent de mieux affronter leurs angoisses. « Les animaux me calment quand c’est difficile pour moi, et les animaux se calment aussi quand je suis calme. Les animaux connaissent bien les sentiments. Je caresse les animaux et ils sont calmes », explique un jeune garçon. Nombre d’enfants réclament que les hôpitaux autorisent la présence de ces animaux avec qui ils ont développé un lien de confiance et d’affection privilégié. Ils imaginent aussi une sorte de droit de visite pour les animaux de compagnie. Tous disent qu’un animal dans le groupe de vie « rendrait tout le monde heureux ».

« Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique », Rapport « What Do You Think ? », UNICEF Belgique, 2022.  

Télécharger le rapport : https://www.unicef.be/fr/projet-what-do-you-think-sante-mentale

a desperate african woman outside in street feeling anxious

La dépression: une réalité genrée

Le 26 Août 22

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Les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais en moins bonne santé ! Autrement dit, les femmes meurent en moyenne plus tard que les hommes mais elles souffrent davantage de maladies chroniques (qui peuvent se déclencher à différents stades de leur vie). Pourquoi cette différence ? Dans la prise en charge médicale des maladies, les femmes sont généralement plus suivies que les hommes, mais elles sont pourtant moins bien soignées que ces derniers… Dans ce contexte, les FPS vous proposent une étude d’éducation permanente féministe et intersectionnelle sur ce phénomène. On détricote la dépression chez les femmes au regard de la prévention !

Que doit-on savoir sur la dépression?

Ce n’est pas une déprime ou un « mal-être passager », c’est une maladie courante qui demande une prise en charge appropriée et ne doit pas être stigmatisée. Selon l’OMS1 , la dépression résulte d’une interaction complexe de facteurs sociaux, psychologiques (et/ou développementaux), environnementaux et biologiques (génétiques)2 . À noter que l’impact de chacun de ces facteurs varie d’une personne à une autre et, chez une même personne, évolue aussi en fonction d’évènements vécus au cours de la vie. Diagnostiquer un épisode dépressif reste difficile, car il en existe une diversité de formes cliniques, cela peut donc varier d’un·e patient·e à l’autre3 . En outre, dans certains contextes culturels, certaines personnes peuvent exprimer plus facilement leurs changements d’humeur sous la forme de symptômes corporels (par exemple, des douleurs particulières, une certaine fatigue, etc.).

La dépression chez les femmes et les hommes, ça dit quoi ?

Quel que soit le pays, la dépression touche deux fois plus de femmes que d’hommes. La dépression chez les femmes est aussi souvent plus sévère, plus précoce, avec des risques plus grands de rechutes, de tentatives de suicide ou d’aboutir à une maladie chronique. Au même titre que le chômage ou les ruptures conjugales par exemple, le fait d’être une femme est un facteur favorisant la dépression. Sans exclure totalement des facteurs biologiques, de nombreuses inégalités sociales pèsent dans cet écart.

Un paradoxe

Contrairement à ce qu’on peut penser, les troubles dépressifs concernent autant les femmes que les hommes. C’est en réalité la prise en charge de la maladie qui est inégale. Cela s’explique notamment par une méconnaissance des symptômes exprimés différemment par les hommes et les femmes mais aussi par un recours aux soins différent. Cette situation n’explique qu’en partie le sous-diagnostic chez les hommes et surtout, le sur-diagnostic chez les femmes. Il existe des facteurs de risques sociaux plus importants pour les femmes que pour les hommes. Nous en identifions cinq :

Les inégalités socio-économiques

Temps partiels, salaires inégaux, pensions moindres… la précarité économique des femmes est un fait bien établi aujourd’hui. Cette situation renforce les tabous et la stigmatisation autour des maladies mentales : honte ou culpabilité de ne pas jouir d’une certaine sécurité financière, sur-responsabilisation individuelle par rapport aux conditions de vie précaires, mécanismes d’auto-exclusion, mauvaise estime de soi…

Carla Marie Manly, psychologue clinicienne souligne : « quand on stresse à cause de ses finances, on peut devenir très anxieux, voire dépressif »4 . Si on compare les femmes entre elles, celles aux revenus les plus élevés ont 30 % moins de risques de dépression en comparaison aux autres catégories de revenus. Cela se constate aussi de manière générale : plus le niveau socio-économique est élevé, plus la fréquence des troubles dépressifs diminue.

D’autres études ont comparé des hommes et des femmes ayant le même âge, des études et des qualifications professionnelles similaires. Le résultat ? Les femmes ayant un salaire inférieur à celui des hommes étaient 2,5 fois plus touchées par la dépression que les hommes… Les inégalités de genre, qu’elles soient présentes dans le monde du travail ou dans un autre secteur ont donc des impacts notables sur la santé des femmes5 .

Violences : à la racine du mal(-être)

Dans le monde, 1 femme sur 3 subit des violences et ce nombre se multiple par 4 pour les femmes ayant un handicap6 . En réaction à la situation violente (quelle que soit sa forme), de nombreuses femmes peuvent connaitre des troubles du sommeil, de l’alimentation, des conduites addictives et des idées suicidaires. Ces symptômes de la dépression peuvent aussi révéler d’autres troubles comme le syndrome post-traumatique. Il existe 80 % de risques d’avoir un syndrome post-traumatique à la suite d’un viol (qui concerne majoritairement les femmes). Certains traumatismes peuvent durer une vie entière pour 13,8 % des femmes (contre 6 % des hommes dans la même situation).

La dépression est presque doublée chez les femmes lesbiennes ou bisexuelles (24 %) par rapport aux femmes hétérosexuelles (13 %)7 , et encore plus importante chez les personnes transgenres. Selon Estelle Depris, créatrice du podcast « Sans Blanc de rien »8 , les symptômes de troubles dépressifs sont présents chez un certain nombre de personnes racisées, qui s’expliquent par une estime de soi mise à mal, des troubles chroniques ou épisodiques de l’humeur et un affaiblissement physique global9.

De (très) nombreuses études montrent que les minorités vivant des discriminations répétées et quotidiennes sont touchées par la dépression, l’anxiété et des addictions, et sur le long terme, par des problèmes cardio-vasculaires et des cancers.

N’oublions pas que les violences peuvent soit être répétées au cours d’une même période, soit se répéter (et sous différentes formes) au cours d’une vie, ou encore s’accentuer en période de crise. En effet, tant dans l’espace public, numérique, que dans l’espace privé, les violences vécues par les femmes ont augmenté dès le début de la crise sanitaire en mars 2020, particulièrement lors des périodes de confinement10 .

Les normes de genre, défavorables à la santé mentale ?

Dès l’adolescence, les femmes sont incitées à atteindre des standards de féminité inatteignables qui impactent l’estime de soi. À l’âge adulte, ces injonctions sont étendues aux statuts de mère et d’épouse « parfaites » et aux « doubles journées ». Cela pousse à un rapport au corps négatif, à de l’anxiété, à un sentiment d’incapacité et de culpabilité, à un manque de confiance en soi et à des épisodes dépressifs précoces.

Certaines formes de la dépression sont particulières aux femmes dans le sens où elles sont liées à leurs conditions biologiques, c’est-à-dire qu’elles peuvent apparaitre durant la grossesse, l’accouchement, le post-partum et/ou le syndrome prémenstruel (la période avant les règles).

Comment oser parler de ce qui nous pèse, demander de l’aide lorsqu’on est censée être heureuse de devenir mère (la société tendant à idéaliser cette étape de la vie) ? Lorsque les proches comptent sur nous (et bien souvent sur personne d’autre) ? Comment exprimer son mal-être dans une société capitaliste valorisant la productivité à tout prix ?

La responsabilité incessante pour les soins d’autrui

Les femmes se trouvent souvent à la tête du soin à prodiguer, avec un manque cruel de soutien public ou familial, d’autant plus au sein des familles monoparentales. Selon l’OMS, c’est un facteur de risque qui affecte de manière disproportionnée les femmes, au même niveau que les violences sexistes et les inégalités de revenus11 .

Toutefois, ces inégalités ne seront pas prises en compte lorsqu’une dépression pointe le bout de son nez. Xavier Briffault, épidémiologiste et sociologue s’interroge : « Si une femme s’occupe seule de son enfant en bas âge la nuit, elle va pouvoir développer des troubles du sommeil qui entraînent une dépression très sévère. Le biologique est donc altéré, mais l’origine est sociale. Un médecin va-t-il analyser les rapports de pouvoir dans le couple pour expliquer cette dépression ? Les femmes se sentent alors non seulement mal, mais également responsables de leur état »12.

Catherine Markstein, médecin et fondatrice de l’ASBL Femmes et Santé, déplore cette situation : « En réponse à leurs plaintes [liées à une surcharge permanente], les médecins prescrivent trop souvent des anxiolytiques pour un problème social et culturel plus que véritablement individuel… »13 . En 2020, parmi les affilié·e·s Solidaris, 13,3 % des femmes ont consommé des antidépresseurs contre 7,3 % des hommes.

Vous reprendriez bien un peu de care ?

Autre exemple dans le care informel : les femmes constituent 85 % des aidant·e·s proches, âgées généralement de 35 à 64 ans, et qui assurent ces tâches en tant que mères, filles, belles-filles ou épouses/partenaires14 . Dans ce contexte, les aidantes proches souffrent davantage d’anxiété et de symptômes dépressifs que leurs homologues masculins15 . Durant la pandémie, leur santé mentale s’est dégradée, c’est-à-dire qu’une femme aidante sur deux s’est sentie plus dépressive pendant la crise sanitaire, à savoir 48,2 % d’entre elles pour 36,3 % des hommes. Ces dernières développent fréquemment des pathologies telles que des douleurs corporelles chroniques, des maladies cardio-vasculaires ou des risques de déclin cognitif en réaction à ce mal-être.

Ce terme désigne tous les métiers de soin à la personne. Les femmes constituent près de 80 % du personnel travaillant en hôpital, ce chiffre monte à 90 % dans les maisons de repos et les crèches. À titre d’exemple, Statbel comptabilise 98 % de femmes qui sont aides-soignantes à domicile, 91,8 % qui sont infirmières, 85 % qui sont psychologues16 et 96 % travaillant en titres-services (cela monte à 98 % pour les femmes d’origine immigrée à Bruxelles). Le secteur du care est fortement féminisé et précarisé en raison des conditions de travail difficiles (problèmes musculo-squelettiques, horaires inconfortables, etc.) et du revenu perçu. Ces conditions déjà précaires ont été exacerbées avec la pandémie de Covid-19, augmentant leur souffrance au quotidien. Une étude liégeoise menée par le psychiatre William Pitchot est sans appel : « Au cours des prochains mois, même chez les personnes qui, en apparence, se sont bien adaptées, on risque de voir apparaitre des épisodes de burn-out, des problèmes de trouble panique, des dépressions caractérisées, des états de stress post-traumatique ou des addictions. Le taux de suicide va vraisemblablement augmenter, à tout le moins on peut le craindre »17 .

Une dépression ne vient jamais seule

Les personnes ayant des troubles dépressifs ont 70 à 80 % de risque de développer des troubles anxieux. Le risque de suicide est multiplié par 30 au cours d’un épisode dépressif18 . Toutefois, la première cause de décès des personnes dépressives serait cardio-vasculaire. L’inverse est vrai : les personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires ont aussi un risque plus élevé de dépression. Ce n’est pas anodin lorsqu’on sait qu’en Belgique, la première cause de mortalité des femmes – toutes confondues – est déjà liée aux maladies cardio-vasculaires. Être femme et souffrir d’une dépression doubleraient donc potentiellement ce risque de mortalité.

Des coûts humains et financiers

Parmi les incapacités de travail, on trouve principalement les dépressions de longue durée et les burn-out, avec une augmentation de 39 % entre 2016 et 2020. Cela concerne 2/3 des femmes19 . Ces chiffres s’expliquent notamment par la non-reconnaissance de la pénibilité des secteurs majoritairement féminins et racisés (care, vente, etc.), l’insuffisance des politiques de prévention, la dévalorisation salariale et les impacts psychologiques des métiers ayant une grande charge émotionnelle ainsi que, finalement, la conciliation vie privée/vie professionnelle20 . L’OMS estime que le trouble dépressif caractérisé serait la maladie la plus coûteuse sur l’ensemble des maladies en termes de dépenses21 .

À quand un véritable investissement dans la prévention et la prise en charge de la dépression et des troubles de santé mentale ? Le bien-être de la population devrait être une variable prioritaire dans le calcul de croissance de notre pays. En chiffres, cela correspondrait à un véritable retour sur investissements : l’OMS a calculé que chaque dollar investi aux États-Unis dans un traitement élargi de la dépression et de l’anxiété donne un retour sur investissement de 5 dollars22 .

Quelles pistes de solution?

Les FPS ont aussi réfléchi à 7 points d’attention pour un système de santé plus inclusif. En voici 2 en termes de prévention.
⇒ Selon l’OMS, il a été démontré que les programmes de prévention réduisent la dépression23 . Il convient dès lors d’investir et donner sa place de choix à la prévention en :

  • enrayant l’insuffisance chronique des investissements en faveur de la promotion de la santé mentale, de la prévention et de l’éducation permanente (travaillant sur les tabous et les discriminations) ;
  • favorisant la multiplication des canaux, des outils et des publics-cibles de la prévention des troubles de santé mentale (et leur prise en charge précoce) : information et sensibilisation du grand public et des prestataires de soins via des campagnes médiatiques, des programmes scolaires (auprès des élèves et des parents) et de la formation 24, des approches communautaires, etc.

⇒ Partout où se trouve la lutte contre les inégalités fondées sur le genre se trouve la prévention des troubles mentaux. Prévenir les troubles mentaux, c’est donc continuer à lutter pour déconstruire les normes/modèles/schémas sexistes qui sont généralement en défaveur des femmes :

  • en ne banalisant plus la fatigue physique et l’épuisement mental lié à leur condition (issues des « doubles journées », des charges mentales domestique, émotionnelle, sexuelle, médicale, etc.) par des phrases telles que « ça passera », « ça ira mieux quand les enfants seront plus autonomes », etc.
  • en déconstruisant durablement les stéréotypes de la « femme superwoman », de la « nature des femmes, c’est de soigner », etc.
  • en luttant contre l’état d’alerte continuel qui les caractérise dès l’adolescence…

L’égalité, c’est bon pour la santé !

Les inégalités sociales sont des facteurs de risques de nombreuses maladies, pas seulement de la dépression. L’organisation de notre société a encore tendance à reproduire les inégalités dans tous les domaines, que ce soit la santé, l’accès au logement, au travail, à la citoyenneté, etc., mais ce sont pourtant ces facteurs, ces parties de notre vie qui influent sur le rétablissement. Les soins de santé n’en sont finalement qu’une petite part25 . La prévention durable de la dépression et d’autres maladies chroniques nécessite une approche globale dans tous les domaines politiques. Brecht Devleesschauwer, épidémiologiste belge, et Lisa Van Wilder, chercheuse belge en santé publique le soulignent : « en effet, la santé d’une population est principalement déterminée par le climat social et politique général, les inégalités sociales en matière de santé étant « le canari dans la mine de charbon ». C’est précisément là que des signaux d’alarme apparaissent »26 .

De manière globale, être dans une société plus égalitaire permet de réduire les problèmes de santé et d’augmenter le bien-être général de la population27 .
Finalement, lutter contre les inégalités, c’est lutter pour une meilleure santé.
Lutter contre les inégalités, c’est lutter pour un meilleur système de soins.
Lutter contre les inégalités, c’est lutter pour des politiques de santé nécessairement plus inclusives et féministes.

Notre nouvelle campagne sur la santé :

Les stéréotypes de genre, de sexe et les inégalités sociales sont présents tout au long du parcours de soins des femmes, affectant leur santé. Nous avons choisi 3 thématiques illustrant ces différentes étapes du parcours du soin, à savoir :
→ la prévention, au travers de l’exemple de la dépression,
→ la prise en charge, au travers de l’exemple des maladies cardio-vasculaires,
→ le traitement, au travers de l’exemple de la recherche médicale.

Retrouvez tous nos outils de campagne sur notre site internet : https://www.femmesprevoyantes.be/derniere-campagne-2-3/

Contacts: stephanie.jassogne@solidaris.be
fps@solidaris.be

  1. INSERM, « Troubles anxieux : quand l’anxiété devient pathologique », Article en ligne, 2021, https://bit.ly/3LJfcgw.
  2. COTTIN Eva, « Liens entre précarité et souffrance psychique », Analyse FPS, 2021, https://bit.ly/3rlR4Jc
  3. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir durablement », Article en ligne, 2019, https://bit.ly/3I49tQq
  4. BOND Casey, « Ce que cause le stress lié à l’argent sur votre corps et votre santé », Huffingtonpost, 2020, https://bit.ly/3ydKfNz
  5. Ibid.
  6. PAULUS Mai, « Femmes en situation de handicap : une double discrimination violente », Etude ASPH, 2020, https://bit.ly/3Io8Yk8
  7. SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, « Ampleur et impact sur la santé des discriminations et violences vécues par les personnes lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et trans (LGBT) en France », Synthèse du rapport, 2021, https://bit.ly/3saflSq
  8. Le podcast : https://spoti.fi/38M0SFo
  9. DEPRIS Estelle, « Trauma Racial : comment le racisme impacte la santé mentale », Analyse Bepax, 2020, pp. 15-19, https://bit.ly/3GLmxKb.
  10. VIERENDEEL Florence, « Covid-19 et violences faites aux femmes : quels impacts ? », Analyse FPS, 2020, https://bit.ly/3P8ezPY
  11. BERGE Jehanne, « Genre et santé mentale (2/3) : le cumul des violences », Les Grenades RTBF, 22 décembre 2020, https://bit.ly/3kxuI3k
  12. LEGRAND Manon, « La santé mentale inégale avec les femmes », Alter Echos n°429-430, 2016.
  13. BERGE Jehanne, « Genre et santé mentale (2/3)… », op.cit.
  14. Ibid.
  15. Ibid.
  16. JERECZEK Betty, « Pourquoi les femmes s’intéressent plus à la psychologie que les hommes ? », Huffingtonpost, 2021, https://bit.ly/3vCphGG
  17. LI V., « Le terrible impact psychologique de la pandémie sur les médecins et le personnel soignant », Médi-Sphère, 2020, https://www.medi-sphere.be/fr/actualites/covid-le-terrible-impact-de-la-pandemie-sur-les-medecins-et-le-personnel-soignant.html
  18. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir… », op.cit.
  19. WERNAERS Camille, « Accord sur le budget fédéral : quels effets sur les femmes ? », Les Grenades-RTBF, 2021, https://bit.ly/3Iw6NLt
  20. Ibid.
  21. INSERM, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir… », op. cit.
  22. OMS, « Journée mondiale de la santé mentale 2020 », Campagne 2020, https://bit.ly/3pJluD1
  23. Ibid.
  24. CENTRE FÉDÉRAL D’EXPERTISE DES SOINS DE SANTÉ (KCE), « Soins de santé mentale : il est difficile de savoir si l’offre de soins répond à la demande », Communiqué de presse, 2019, https://bit.ly/38MHEzC
  25. COTTIN Eva, « Liens entre précarité et souffrance psychique », Analyse FPS, 2021, https://bit.ly/3rlR4Jc
  26. DEVLEESSCHAUWER Brecht et VAN WILDER Lisa, « Le fardeau des maladies chroniques », Santé Conjuguée, 2022, https://bit.ly/34VshTv
  27. PICKETT Kate et WILKINSON Richard, Pour vivre heureux, vivons égaux, éd. Les liens qui libèrent, coll. Poche, 2020.