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Les 40 ans de Question Santé, ou comment penser la communication aujourd’hui ?

Le 20 Déc 21

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Le 22 octobre dernier, l’asbl Question Santé fêtait ses 40 ans. Quarante années consacrées à rendre l’information santé accessible et ce, dans un souci d’émancipation de l’usager. Dans le cadre de cet anniversaire, une table ronde s’est tenue sur les évolutions de cette communication santé et sur le contexte de tension actuelle autour de la question. Compte-rendu des échanges.

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Communiquer en santé c’est tout un programme. C’est en tout cas le programme de Question Santé depuis 40 ans : dès sa naissance en 1981 et ses premiers subsides en éducation permanente, l’association se pose la question de la communication autour de la santé. Bien sûr, en 40 ans, les choses ont évolué, des fiches-techniques à la mise sur pied du tout nouveau site internet de Question Santé, en passant par la création de multiples outils de communication, éducatifs, d’animation, des campagnes de sensibilisation et l’accompagnement et le conseil aux structures de promotion de la santé. Jusqu’à cette communication de crise autour du Covid qui nous occupe depuis plus d’un an et demi, avec la sensibilisation à la vaccination, aux gestes barrières, la publication d’outils de promotion de la santé ou dans le cadre des stratégies concertées.

Pour aborder la question de la communication santé sous tension, avaient été réunis sur l’estrade, Matthieu Méan, coordinateur de l’équipe de première ligne de Modus Vivendi, actif dans la réduction des risques pour les usagers de drogues, Godefroi Glibert, responsable de projets à la Plateforme Prévention Sida, Sophie Lefèvre, chargée de communication à la Direction Santé de l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance), ainsi que Mark Hunyadi, professeur de philosophie morale et politique à l’UCLouvain, venu préalablement entretenir le public présent de ses réflexions sur la confiance dans un contexte numérique. Pour animer le débat, notre journaliste maison Pascale Gruber.

Quelles préoccupations en matière de communication ?

Un premier questionnement portait sur les préoccupations en termes de communication pour les trois associations de terrain, avant la crise sanitaire. Pour Matthieu Méan (Modus Videndi), il va sans dire que cette préoccupation se pose depuis longtemps, mais s’est transformée avec l’apparition des réseaux sociaux qui sont devenus rapidement incontournables. « Facebook, mais aussi Instagram, c’est très important aujourd’hui. Certes nous organisons toujours des permanences, trois fois par semaine, mais nous avons également créé un espace de permanence digital, pour permettre à ceux qui ne peuvent ou n’osent pas franchir le seuil de l’association de pouvoir entrer en contact avec notre service. »

Idem pour Godefroi Glibert (Plateforme Prévention Sida) qui confirme cette importance des réseaux sociaux, mais temporise : « Personnellement, je suis assez mitigé envers les GAFA qui représentent une menace pour les relations entre les personnes. En promotion de la santé, le message va vraiment passer, percoler, quand à un moment, à un instant d’une relation interpersonnelle, on emporte l’adhésion et qu’alors, un changement peut se produire. La question est donc : comment être proche en utilisant les réseaux sociaux ? On n’y arrive pas toujours, c’est sûr. On essaie. Un exemple : sur notre site Internet, on parle en « vous ». Sur Facebook, on parle en « tu », pour aller vers une proximité plus importante. »

Le numérique pour toucher son public ?

Sophie Lefèvre (ONE) estime pour sa part qu’il faut s’interroger sur l’accessibilité de l’outil numérique pour tous « car s’il se généralise, il n’est pas pour autant abordable pour une série de publics. J’ai déjà entendu : ‘Tout le monde sait utiliser un smartphone et va sur Internet’, mais ce n’est pas encore une réalité. On fait appel à des capacités de littératie médiatique (comme on parle de littératie en santé) que tout le monde n’a pas. Parmi les chiffres cités par la Fondation Roi Baudouin en matière de fracture numérique, j’ai été interpellée par ceux montrant une sous-utilisation de l’e-santé : seulement 16 % des personnes se sentent à l’aise avec l’outil numérique en santé. C’est pour cela que je plaide vraiment pour une utilisation multimodale des canaux d’information. »

En guise de relance, Pascale Gruber (QS) posait la question un peu iconoclaste de savoir si le numérique atteint en fin de compte sa cible. Pour Godefroi Glibert, « Avec le numérique, tout est comptabilisé, le temps de rebond, les temps de visites, etc. Mais en même temps, c’est vrai que l’on a peu de retours. Or c’est important d’être en contact avec les publics, d’être dans les festivals, les fêtes, avec un stand d’information, il faut aller sensibiliser dans les écoles. »  Mathieu Méan enfonce le clou : « Les réseaux sociaux sont un appui. Mais ils ne peuvent absolument pas se substituer à ce que l’on fait sur le terrain. Cela étant, au moment du confinement, on a dû trouver d’autres solutions. Donc, on a proposé des tables de discussion sur les réseaux sociaux. Avant, en présentiel, on arrivait, pour les gros événements, à 30 personnes. Avec la discussion en ligne, on est monté à 1.500. Donc, c’est intéressant. Mais c’est aussi très loin des journées festives où l’on en touche 30.000. »

Information ou communication ?

Il s’agit aussi de replacer la question de la communication dans le contexte actuel de l’infobésité ou l’excès d’information propre à l’ère numérique. Comme l’a souligné Mark Hunyadi (UCLouvain), « Avec la multiplication des réseaux de communication et des messages, différents à chaque fois, l’utilisateur ne sait plus comment s’orienter dans cette immense manne, cette mer à messages. En fait, cette prolifération dévalue les informations elles-mêmes. Un message à faire passer, sur ceci ou sur cela, tout le monde en a. Mais c’est très différent des informations, supposées être vraies, vérifiées et donc vérifiables. Je me demande dans quelle mesure cette prolifération des messages de la com’ et les stratégies de com’ ne participent pas à cette défiance généralisée. »

Pour Sophie Lefèvre (ONE), la clé réside dans l’éducation aux médias, mais aussi dans l’expérience des personnes avec les institutions. Quand elles sont déçues, la confiance est rompue. Ça peut être le cas si, par les expériences de vie que l’on a, la manière d’être intégré dans la société, on se rend compte qu’on est en marge, pas pris en compte… « D’où l’importance de ne pas laisser des gens sur le côté, de prendre en compte la diversité. S’adresser à une famille avec Papa, Maman, Boule et Bill et le SUV, comme cela a pu être le cas avec le Covid, cela ne va pas : ceux qui ne correspondent pas à ce schéma vont se sentir à l’écart et vont rejeter les messages qu’on a envie de faire passer… »

Bernadette Taeymans, directrice de l’asbl Question Santé jusqu’en 2020, resitue les enjeux : « Si on se rapporte à 1981, quand Question Santé est née, l’information était aux mains du pouvoir médical. Parfois, il y avait une Encyclopédie médicale dans les maisons, et c’est tout. Il n’y avait pas moyen d’avoir accès à l’information santé sans passer par le pouvoir médical. Donc, il y a quarante ans, l’enjeu de Question Santé était de donner accès à cette info. »

Aujourd’hui, cet enjeu est bouleversé, il y a de l’info partout et de la communication partout. La question est donc de savoir comment aider les personnes à trouver leur chemin et à faire des choix éclairés en matière de santé. « On ne sait plus très bien comment être entendu, sachant qu’avec les outils du numérique, mais aussi avec les médias en général, ce qui attire et intéresse, ce sont les infos qui sortent du lot, créent l’événement, choquent… Or, en éducation permanente comme en promotion de la santé, on n’est pas là pour choquer ou pour faire peur. Donc le risque est de ne pas être entendus dans le brouhaha et cette dérégulation informationnelle. On est donc vraiment dans un moment assez compliqué. Comment continuer à travailler en restant en accord avec nos objectifs et nos valeurs, et, en même temps, en arrivant à toucher le public ? »

Une réflexion partagée par les participants à cette table ronde qui plaident pour un usage raisonné des réseaux sociaux, pour des messages de qualité, qui sensibilisent sans choquer et en restant connectés à tous les publics, dans l’interpersonnel, mais sans bouder le numérique, tout en gardant la confiance. Tout un challenge !

Mark Hunyadi : « Quelle confiance dans un contexte numérique ? »

Lors de cet après-midi de réflexion qui ouvrait les festivités des 40 ans de Question Santé, Marc Hunyadi, philosophe et professeur à l’UCL, est venu parler de son ouvrage « Au début est la confiance »1,

publié en pleine pandémie et qui a beaucoup résonné durant cette crise sanitaire. Son propos est de documenter la notion de confiance qui a été mise à rude épreuve durant cette période. Pour Mark Hunyadi, « La perte de confiance que la crise sanitaire a entraînée s’est avérée extrêmement large car elle a touché à notre relation aux objets, à l’environnement où le virus était présent, mais aussi à nos interactions avec les personnes, possiblement contaminées, ainsi qu’à la confiance dans les institutions amenées à gérer cette crise. »

Or la confiance est transversale à l’ensemble de l’agir humain et s’appuie sur des attentes réciproques de comportements qui sous-tendent le collectif. Sans confiance, comment fonctionner ? « Quand on circule en voiture sur la route, on s’attend à des comportements dans le chef des autres usagers de la route, en fonction de la sécurité routière. Pourtant il n’y a pas de véritable définition de la confiance, ni dans le chef des philosophes, ni chez les grands auteurs. Les économistes utilisent cette notion mais dans une vision réductrice et utilisatrice, en l’associant à la prise de risque et à la gestion de l’incertitude. »

Dans ce contexte, l’auteur pointe le numérique comme un élément qui a modalisé fortement le collectif et in fine la confiance, notamment en la médecine. Cela a été le cas durant le Covid, mais aussi bien au-delà de la crise sanitaire que nous avons traversée. « De plus en plus, le numérique devient une médiation obligée au monde, que ce soit pour des achats, des réservations, le contrôle de son diabète, repérer des champignons, obtenir un CST… Chacun satisfait ses besoins dans sa petite bulle, dans son cockpit, en gérant sa relation au monde derrière son écran. Et ça a été d’autant plus vrai avec le Covid. Dans un tel système, la sécurité tend à remplacer la confiance naturelle. »

Quant à la médecine dans un tel paysage, si le numérique a permis des progrès extraordinaires et des acquis sans précédent, on assiste, pour Mark Hunyadi, à une numérisation de celle-ci : « Les gens se plaignent : « On ne nous écoute plus, on nous mesure ». La médecine devient uniquement technologique, quantitative, ne fonctionne plus que sur des mesures, au détriment de la relation médicale et la perte de la dimension relationnelle. L’Evidence-Based Medecine qui avait pour but, il y a 20-30 ans, d’évaluer la littérature médicale est devenu le paradigme général, avec une substitution tendancielle de la relation technique à la relation naturelle. » De plus en plus la relation fiduciaire est mise à mal et l’inquiétude de Mark Hunyadi réside dans le fait que si la confiance est remplacée par la sécurité, tout devient automatisé. « Obéir à des machines fait de nous des machines obéissantes, des pièces du système. C’est pourquoi des associations comme Question Santé sont salutaires. Car elle est merveilleusement résistante parce qu’elle installe de la proximité là où le numérique met de la distance froide. A Question Santé, on met du commun, du sens là où le numérique en est bien incapable. »

[1] Mark Hunyadi, « Au début est la confiance », Editions Le bord de l’eau, 2020, 240 p.

fondt cancer

L’interdiction de la vente de tabac aux moins de 18 ans, 2 ans après.

Le 23 Déc 21

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Le premier novembre a marqué les 2 ans d’interdiction de la vente de tabac aux moins de 18 ans en Belgique. Pour renforcer la mesure prise il y 2 ans, la Fondation contre le Cancer interpelle à nouveau les autorités pour qu’elles se donnent les moyens de mettre en place un plan antitabac ambitieux.

Une mesure importante, mais pour la Fondation contre le Cancer, il faut aller plus loin

Le nombre de jeunes qui fument est en baisse, mais cela cache des inégalités. De manière générale, les parents des adolescents constatent que leurs enfants, et les amis de leurs enfants fument de moins en moins. Cela peut donner l’impression que la lutte contre le tabac est terminée et que le problème va se résoudre de lui-même. Cependant, des efforts sont encore à fournir ; des études ont montré par exemple que les jeunes des classes socio-économiques moins favorisées sont plus entourés par des fumeurs ce qui les expose plus au risque de devenir eux-mêmes fumeurs, et qu’ils ont également plus de difficultés à arrêter.

La Fondation contre le Cancer met tout en oeuvre pour que chaque jeune puisse être protégé du tabac, et ne commence jamais à fumer.  

L’objectif de l’industrie du tabac : le renouvellement de ses clients

Les jeunes restent une proie idéale pour l’industrie du tabac qui recherche encore et toujours ses clients de demain. Elle va donc cibler les mineurs afin de maintenir le nombre de fumeurs et faire perdurer son activité, malgré les lois et les interdits toujours plus nombreux.

Pourquoi les adolescents sont-ils particulièrement visés? Les jeunes se sentent invulnérables, et ils n’ont pas peur d’avoir un cancer, ils ne s’inquiètent pas trop du fait que leur tabagisme d’aujourd’hui pourra un jour les confronter à la maladie.  Chaque jeune qui commence à fumer est convaincu qu’il pourra s’arrêter à temps, quand il le voudra. La gravité de la dépendance à la nicotine et l’impact sur le circuit de la récompense dans le cerveau sont largement sous-estimés, tant par les jeunes que par les adultes. Or les jeunes qui tendent à multiplier l’expérience de comportements à risque finissent trop souvent par en faire une habitude. 

Le cerveau des jeunes réagit différemment à la nicotine que celui des adultes. Le noyau central de toutes les addictions est un petit circuit neurologique qui s’appelle le « circuit de la récompense ». C’est un moteur qui donne le goût du plaisir, l’envie d’aller de l’avant en faisant les choses que l’on aime. Dans le circuit de la récompense, la force de la nicotine est équivalente à celle d’une drogue dure ! Ajoutez à cela que le circuit de la récompense est encore plus sensible à l’exposition aux produits psychotropes avant la maturité du cerveau, vers l’âge de 23 ans. Tout nous dit, dans la littérature scientifique, que nous devrions absolument protéger nos jeunes de fumer au moins jusqu’à l’âge de 23 ans.

Que demande la Fondation contre le Cancer pour aller plus loin ?

Pour renforcer la mesure prise il y 2 ans, la Fondation contre le Cancer interpelle à nouveau les autorités pour qu’elles se donnent les moyens de mettre en place un plan antitabac ambitieux. Il s’agit de mettre en oeuvre plusieurs mesures visant à :

  • diminuer les points de ventes et y interdire les displays
  • interdire les distributeurs automatiques de produits nicotiniques
  • interdire la vente des produits nicotiniques hors magasins licenciés (comme cela se passe par exemple sur des festivals comme Tomorrowland)
  • instaurer une augmentation significative des taxes, les jeunes étant très sensibles à cette mesure
  • mettre en place un remboursement pour les substituts nicotiniques

« La Fondation contre le Cancer espère que le gouvernement continuera sur la voie des augmentations fermes … mais il est indispensable de prendre également des mesures fortes afin de permettre l’accès aux aides au sevrage et aux substituts de nicotine pour aider les fumeurs à arrêter. Pour que les jeunes ne commencent pas à fumer il faut également soutenir les parents et enseignants qui fument encore. » nous dit Suzanne Gabriels, expert Prévention Tabac de la Fondation contre le Cancer.

marche pour le climat

L’approche One Health :
un changement de paradigme indispensable en santé publique

Le 23 Sep 21

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Eric Muraille est Maître de recherches F.R.S.-FNRS., rattaché au Laboratoire de Parasitologie de l’Université Libre de Bruxelles, et ULB Center for Research in Immunology (U-CRI).

marche pour le climat

La pandémie de SARS-CoV-2, un révélateur de la fragilité de nos sociétés

Apparue en novembre 2019 dans la région de Wuhan en Chine, l’épidémie du nouveau coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2) causant la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) s’est rapidement muée en pandémie. Au 21 mars 2020, en 4 mois, elle avait déjà gagné plus de 160 pays et causé plus de 20 000 morts. En août 2021, bien que des mesures exceptionnelles de distanciation sociale aient été appliquées sur l’ensemble de la planète et que plusieurs vaccins sûrs et efficaces aient été validés et distribués, nous peinons toujours à maîtriser cette pandémie qui a déjà causé officiellement plus de 4.5 millions de morts. Un chiffre considéré comme très sous-estimé par de nombreuses organisations1 et qui serait dans les faits plus proche du double.

Depuis la tristement célèbre pandémie de grippe espagnole de 1918, responsable de plus de 50 millions de morts, la vaccination de masse, la découverte des antibiotiques et antiviraux, une meilleure compréhension des infections, l’amélioration des services de santé ainsi que la création d’organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé (WHO) ont fortement accru notre capacité à gérer les épidémies. Mais, par d’autres aspects, nos sociétés sont également devenues structurellement beaucoup plus fragiles face aux épidémies.

Par exemple, le vieillissement des populations ainsi que la forte occurrence de bronchopneumopathie chronique obstructive (COPD) contribuent à aggraver le bilan des infections pulmonaires. La proportion d’individus de plus de 65 ans dans nos sociétés a fortement augmenté ces dernières décennies et cette fraction de la population est plus susceptible aux infections virales2 . Plus de 250 millions d’individus dans le monde souffrent de COPD due au tabagisme et à la pollution. La COPD augmente fortement la susceptibilité aux infections pulmonaires3 en réduisant l’efficacité de la réponse immune. Lors d’infection par le SARS-CoV-2, les patients présentant une COPD affichent un taux de mortalité deux fois supérieur à la norme4 .

Le sous-financement et la gestion managériale de la recherche fondamentale5 ainsi que des services de santé6 , dénoncés depuis de nombreuses années, réduisent notre capacité d’anticiper et de répondre aux épidémies. Les chercheurs sont précarisés et les réseaux coopératifs entre équipes de recherche fragilisés. Cette situation ne favorise pas le maintien des compétences et l’exploration de nouveaux domaines de recherche pouvant contribuer à mieux connaître les agents infectieux émergents et à identifier les nouvelles menaces. La pratique du flux tendu dans les hôpitaux est devenue la norme7 , ce qui réduit leur capacité à faire face à des crises sanitaires majeures. En début de pandémie de Covid-19, l’Italie a notamment dû pratiquer un tri des malades8 , ce qui pose de sérieuses questions éthiques.

Il est bien établi que notre système économique favorise l’émergence mais aussi la dissémination des agents infectieux. Les activités agricoles, par exemple, sont associées à 25% de toutes les émergences d’agents infectieux9 . En 2018, on comptait plus de 4.3 milliards de passagers aériens et plus de 37 millions de vols10 . Cette interconnexion rend quasi inéluctable la dissémination mondiale extrêmement rapide des agents pathogènes à partir d’un certain niveau de contagiosité.

L’interconnexion des économies nationales rend nos systèmes économiques extrêmement fragiles face aux épidémies. Les conséquences économiques de celles-ci, bien que difficiles à quantifier, sont considérables. On estime que les pertes économiques mondiales liées à l’épidémie de SARS-CoV en 2003 seraient proches de 40 milliards de dollars11 . Dans l’hypothèse où la pandémie de SARS-CoV-2 serait maîtrisée fin 2021, les experts estiment qu’elle aura alors coûté aux États-Unis entre 3 00012 et 16 000 milliards de dollars13 . Ces coûts gigantesques grèvent le budget des États et réduisent le financement des services publics, ce qui affecte nos sociétés dans leur ensemble.

Enfin, de nombreux experts ont pointé la gestion chaotique et souvent inefficace de la pandémie de SARS-CoV-2 par les gouvernements occidentaux. En l’absence de vaccins et de traitements spécifiques, les seules mesures possibles au cours des 9 premiers mois de l’épidémie étaient de limiter la propagation du virus à l’aide de tests, de traçage ainsi que l’imposition du port du masque et de la distanciation sociale. Avec le recul, cette riposte, qui nécessitait surtout une bonne organisation et une bonne communication avec les citoyens, s’est souvent avérée trop tardive pour empêcher la propagation du virus et surtout très désordonnée. Chaque gouvernement a mis en œuvre sa propre stratégie, conduisant à une absence de coordination internationale qui a parfois généré des situations absurdes.

Par exemple, certains pays européens ont opté au début de la pandémie pour une stratégie de confinement14 tandis que d’autres ont adopté une stratégie de « laisser faire » avec l’espoir d’obtenir rapidement une immunité collective naturelle15 . Ce manque de coordination a même été observé entre régions ou États d’un même pays. Par exemple, aux États-Unis, chaque État a mené sa propre politique de lutte, indépendamment de ce que faisaient ses voisins, ce qui s’est avéré particulièrement contre-productif16 . La crise du Covid-19 a également été caractérisée par une attitude antiscience de plusieurs dirigeants politiques, comme les présidents Trump et Bolsonaro, qui ont publiquement nié la dangerosité de l’épidémie, l’efficacité des mesures de distanciation sociale ou prôné des thérapies non validées. Cela a généré de fortes divisions politiques et réduit l’acceptation par les citoyens des mesures de santé publique.

Pourtant, en appliquant une stricte politique de confinement, de dépistage, de tracing des contacts des individus infectés et de mise en quarantaine de ceux-ci, la Chine, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud et Taiwan ont pu drastiquement limiter le nombre de décès sur leur territoire. Mais la majorité des autres pays ont été incapables d’appliquer ces mesures assez rapidement ou avec efficacité. Ces échecs ont conduit les éditeurs de revues scientifiques réputées, telles que The Lancet17 et The New England Journal of Medicine18 , à condamner fermement la gestion politique de la pandémie de Covid-19 en Europe et aux USA. Le WHO a également fréquemment fustigé la trop faible réactivité de nombreux gouvernements dans la lutte contre la pandémie19 .

Ces échecs démontrent la nécessité de changer drastiquement de stratégie de santé publique face aux menaces globales. Une stratégie réactive est très coûteuse, difficile à mettre en œuvre dans l’urgence et à faire accepter par la population. Il est donc indispensable de tenter d’anticiper ces menaces et surtout de les prévenir en agissant sur les conditions favorisant leur émergence. C’est ce que prône la nouvelle approche de la santé publique connue comme One Health (une seule santé).

One Health, une vision unifiée de la santé

One Health constitue aujourd’hui le cadre conceptuel de référence de la plupart des organisations nationales et internationales de santé publique, comme l’Organisation mondiale de la santé (WHO), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la Santé animale (OIE) ainsi que les centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américains.

One Health peut se résumer à la reconnaissance de l’interconnexion du vivant.

C’est-à-dire de l’interconnexion entre santé humaine, santé animale et état des écosystèmes, et ce sur base des évidences scientifiques accumulées en plus d’un demi-siècle. Historiquement, on peut reconstituer sa genèse en trois grandes étapes.

1. Le terme One medicine (une médecine)

Il fut introduit en 1984 par Calvin Schwabe, un vétérinaire et épidémiologiste américain, dans son ouvrage Médecine Vétérinaire et Santé Humaine20 . Schwabe proposa le terme One medicine pour souligner que : « Il n’y a aucune différence de paradigme entre médecine humaine et médecine vétérinaire. Les deux sciences partagent un corpus commun de connaissances en anatomie, physiologie, pathologie, sur les origines des maladies chez toutes les espèces ».

L’interconnexion entre santé animale et humaine est aujourd’hui bien documentée en matière d’épidémie. Sur les 1 407 agents pathogènes affectant l’humain, 58 % sont d’origine animale21 , dont un quart capable d’une transmission interhumaine potentiellement source d’épidémie ou de pandémie, à l’instar des virus Influenza et Ebola. De plus, 75 % des maladies infectieuses émergentes sont d’origine animale22 . Schwabe fait également le constat que la collaboration entre vétérinaires et médecins génère des bienfaits qui sont bien plus que simplement additifs. Par exemple, en identifiant chez l’animal une épidémie pouvant affecter l’humain, il est souvent possible de la contrôler plus rapidement et à moindre coût, ce qui se traduit par une réduction des risques et d’importantes économies financières.

Prenons le cas de la brucellose. Cette maladie est due aux bactéries Brucella, dont plusieurs espèces infectent de manière chronique les ruminants domestiques et causent des avortements. L’humain peut être infecté par contact direct avec les animaux touchés ou, le plus souvent, suite à la consommation d’aliments contaminés, mais la transmission entre humains est quasi inexistante. Agir sur le réservoir animal permet ainsi de réduire les coûts économiques liés à la perte du bétail et d’améliorer la santé humaine.

2. Les “12 principes de Manhattan”23

Ils ont été présentés en 2004, lors d’une conférence organisée à New York par la Société pour la conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society).

Le premier de ces principes insiste sur la nécessaire reconnaissance des liens entre santé humaine, santé animale et environnement. Illustrons ces liens par quelques exemples.

Le lien entre l’intrusion de l’humain dans un écosystème et l’apparition d’une épidémie est bien illustré par le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), qui a fait plus de 32 millions de morts entre 1981 et 2018. Son émergence est vraisemblablement due à une augmentation de la chasse et de la consommation de viande de chimpanzé dans la région de Kinshasa (République démocratique du Congo) dans les années 1920-50 : les contacts alors accrus entre humains et primates infectés par le virus de l’immunodéficience simienne ont favorisé l’adaptation de cet agent pathogène à l’humain24 .

On peut également citer pour exemple la maladie de Lyme. Cette pathologie, qui témoigne des liens entre altération de la biodiversité et épidémies25 , est due à une bactérie, Borrelia burgdorferi, transmise par la morsure de tiques. Dans la nature, les tiques se nourrissent sur un grand nombre de vertébrés. Certains, comme les écureuils et les cervidés, sont assez résistants à l’infection. D’autres, telles les souris, y sont en revanche très susceptibles. Suite à un effet de dilution, on trouve ainsi peu de tiques infectées dans les forêts présentant une grande biodiversité. Mais là où elle est faible, dans de petites parcelles boisées où les prédateurs sont donc peu nombreux, les souris peuvent voir leur nombre augmenter, ce qui accroît la fréquence d’infection des tiques et le risque pour l’humain : dans le nord-est des États-Unis et en Europe, un cycle historique de déforestation, de reboisement et de fragmentation des zones boisées a ainsi favorisé la progression de la maladie.

Dernier exemple emblématique : le réchauffement climatique. Il est désormais bien établi qu’il change la donne pour un large éventail de maladies à transmission vectorielle en Europe, et continuera de le faire dans les décennies à venir26 . On sait par exemple que le moustique tigre d’origine asiatique (Aedes albopictus), vecteur de maladies telles que Zika, la dengue et le chikungunya, ou encore la mouche des sables (phlébotome), originaire du Bassin méditerranéen et de l’Afrique du Nord et qui transmet la leishmaniose, se sont désormais établis dans le sud de l’Europe.

Les “12 principes de Manhattan” pointent également la nécessité d’approches holistiques et prospectives des maladies infectieuses émergentes en mêlant des spécialistes de toutes les disciplines et en tenant compte des interconnexions complexes entre espèces. La prévention des épidémies passe notamment par une réduction du commerce d’animaux sauvages en raison de « la menace réelle qu’il représente pour la sécurité socioéconomique mondiale » ; une augmentation des investissements dans les infrastructures de santé et les réseaux de surveillance des maladies infectieuses ; un partage rapide et clair des informations ; une éducation et une sensibilisation des populations et des décideurs politiques à l’interconnexion du vivant.

La conclusion livrée dans le résumé du congrès est sans appel : « Résoudre les menaces d’aujourd’hui et les problèmes de demain ne peut être accompli avec les approches d’hier ». « Nous devons concevoir des solutions adaptatives, prospectives et multidisciplinaires aux défis qui nous attendent sans aucun doute ».

3. Le concept One World, One Health (un seul monde, une seule santé)

Ce concept fut présenté en 2008 lors d’un symposium à Sharm el-Sheikh sur les risques infectieux liés aux contacts des écosystèmes humain et animal27 . Il présente un cadre stratégique global pour réduire les risques d’émergence de nouvelles maladies infectieuses à l’interface animal-humain-écosystèmes.

Pour atteindre cet objectif, plusieurs changements stratégiques importants sont présentés comme indispensables. Il est nécessaire d’initier des actions plus préventives en s’attaquant aux causes profondes et aux moteurs de maladies infectieuses, en particulier à l’interface animal-homme-écosystèmes. De passer d’intervention à court terme à des interventions à long terme. De renforcer des capacités nationales et internationales d’intervention d’urgence afin de prévenir et contrôler les épidémies avant qu’elles ne deviennent régionales et surtout internationales. De promouvoir une large collaboration institutionnelle entre les secteurs et disciplines.

Peu de temps après ce symposium, suite à la pandémie de grippe A due au virus H1N1 de 2008-2009, l’OMS adopta un nouveau programme mondial de lutte contre la grippe basé sur la stratégie One Health et impliquant une surveillance accrue des réservoirs animaux. Et dans le même temps, une première agence One Health fut créée aux États-Unis en collaboration avec les CDCs28. Elle œuvre aujourd’hui à promouvoir un agenda mondial de la sécurité sanitaire29 , en coopération avec de nombreuses autres organisations nationales et internationales, et implique plus de 70 pays.

One Health, EcoHealth et Planetary Health

Depuis l’émergence de One Health, d’autres concepts s’en rapprochant30 , comme EcoHealth et Planetary Health, ont vu le jour et ont été adoptés par la communauté scientifique.

Pour des raisons historiques, One Health reste très focalisée sur la prévention des épidémies pouvant toucher l’humain et donc se soucie principalement de la santé des vertébrés, même si son approche inclus également les écosystèmes. EcoHealth et Planetary Health partagent le même socle conceptuel que One Health mais ont fortement élargi la dimension environnementale, le type de menaces à considérer dans le cadre d’une politique efficace de santé publique et ont introduit des considérations d’équités dans les politiques de santé publique.

L’approche EcoHealth, supportée par le journal EcoHealth, s’axe sur la protection de la biodiversité dans son ensemble et la prévention de toutes les menaces dans le domaine de la santé. Elle s’intéresse donc également aux menaces d’origine non infectieuses comme la pollution atmosphérique ou les polluants contaminant l’environnement. Elle insiste sur la valeur intrinsèque de la biodiversité et la nécessité de trouver des solutions équitables, et donc plus acceptables par les populations, face aux menaces pesant sur la santé humaine.

Planetary Health est l’approche la plus récente. Elle est portée par la fondation Rockefeller et le journal The Lancet. Elle se présente comme une approche globale pour faire face à l’ensemble des menaces croissantes dans le domaine de la santé humaine à l’échelle mondiale. Elle insiste notamment sur la nécessité d’une économie soutenable et respectueuse de la santé animale et humaine ainsi que des écosystèmes.

Si ces trois approches traduisent des sensibilités et des composantes disciplinaires différentes, elles convergent cependant toutes sur la nécessité d’une politique de santé publique basée sur la prévention des menaces en agissant sur les facteurs socio-économiques favorisant leur émergence. Elles s’accordent également sur le constat qu’une partie croissante des causes de décès sont la conséquence directe de notre système socioéconomique. Par exemple, la pollution de l’air cause 9 millions de décès par année, soit 16% des décès totaux (chiffre OMS 2019). Si l’on additionne les décès liés à la pollution, au tabac (8 millions, 13.6%), à l’alcool (3.3 millions, 5.6%) et à l’obésité liée à la consommation d’aliments ultra-transformés (2.8 millions, 4.7%), on constate que 39.9% des causes de décès sont directement liées à la qualité de l’air et à l’alimentation. Bien loin devant les décès liés aux maladies infectieuses.

La conclusion d’un rapport publié en 2015 par la fondation Rockefeller et la Commission Lancet est sans ambiguïté : « Nous hypothéquons la santé des générations futures pour réaliser des gains économiques et de développement dans le présent. En exploitant de manière non durable les ressources de la nature, la civilisation humaine s’est épanouie, mais elle risque à l’avenir d’avoir à faire face à des effets importants sur la santé dus à la dégradation des systèmes de survie de la nature. »31 .

One Health, de la théorie à la pratique

Si le concept One Health s’est imposé depuis les années 2010 dans les agences de santé publique, son application concrète par les décideurs politiques reste encore très timide.

A l’exception de programmes de surveillance ciblé sur des menaces connues, comme celle des virus influenza, on consacre encore trop peu de moyens à détecter l’émergence de nouvelles menaces. L’exemple du SARS-CoV-2 est désormais emblématique. Suite à l’épidémie de SARS-CoV-1 de 2003 et de Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERS-CoV) de 2012, de très nombreuses études ont été consacrées aux coronavirus. Dès 2013, des recherches indiquaient clairement que des coronavirus proches du SARS-CoV-1 et disposant d’un fort potentiel infectieux pour l’humain étaient présents en nature chez les chauves-souris32 33 . Ces études soulignaient la « menace permanente (…) et la nécessité d’une étude et d’une surveillance continues »34 de ces virus. L’épidémie de SARS-CoV-2 de 2019 a pourtant été accueillie avec surprise, voire avec un certain déni, par de nombreux gouvernements.

La prévention de l’apparition de nouveaux agents pathogènes se heurte à la difficulté d’agir sur les conditions socioéconomiques favorisant leur émergence et surtout à l’absence d’une gouvernance mondiale en matière sanitaire. Des mesures internationales coordonnées sont indispensables pour lutter efficacement contre les épidémies. Rappelons que le WHO est une simple agence spécialisée de l’Organisation des Nations unies. Financée par les États et des fondations privées, elle ne dispose d’aucune capacité d’investigation autonome et est tributaire du bon vouloir des gouvernements qui font malheureusement souvent passer l’économie avant la santé publique. Son rôle se borne donc à fournir une expertise et des recommandations aux États. Elle ne peut être tenue pour responsable de l’inaction de ceux-ci.

Une réponse internationale coordonnée n’est possible que si la menace est perçue de la même manière par tous et si les gouvernements fixent des priorités similaires. Son efficacité dépend également de l’acceptation des mesures par la population, ce qui implique souvent des sacrifices en faveur de l’intérêt général. Certaines caractéristiques fondamentales de l’idéologie libérale qui domine les sociétés occidentales rendent problématique cette réponse globale et collective : la neutralité de l’État et le primat de l’individu sur le collectif. D’après John Rawls35 et Charles Larmore36 , le libéralisme préconise que les institutions et les politiques publiques soient neutres. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas censées favoriser une conception spécifique du bien commun. Ce qui est le mieux pour tous est généralement déterminé démocratiquement, par une « compétition d’opinions ». Le libéralisme impose également un strict respect des libertés individuelles et des intérêts privés et tend à rejeter toute forme de collectivisme ou de dictat imposé par le bien commun. Une politique de santé publique inspirée par One Health implique donc certains aménagements de l’idéologie libérale et des choix éthiques. A minima, la santé doit être réhabilitée comme un bien commun et devenir une priorité de l’action des gouvernements car elle est indispensable à toutes les activités économiques ou culturelles au sein d’une société moderne.

Enfin, l’approche One Health repose sur un socle de connaissances scientifiques empiriques et rationnelles. Or, la valeur des connaissances scientifiques elles-mêmes et leur légitimité à éclairer la gouvernance est de plus en plus fréquemment combattue, et ce même au sein des universités. Le mouvement postmoderne37 incarne une défiance envers la science et la rationalité, perçues comme normatrices et outils de domination. De nombreux universitaires, particulièrement en sciences humaines, ont intégré la vision constructiviste de la connaissance faisant des théories scientifiques des constructions sociales et non de véritables descriptions de la réalité38 . Dans cette perspective, les vérités scientifiques ne doivent plus être considérées comme des vérités universelles mais comme des « vérités locales », c’est-à-dire des vérités n’ayant de valeur qu’au sein de certains groupes sociaux.

Ainsi, bien que l’approche One Health ait à de nombreuses reprises prouvé son efficacité, sa mise en application se heurte à un grand nombre de problèmes pratiques (l’absence de gouvernance mondiale), idéologiques (l’absence de définition claire de l’intérêt général, la dominance de l’individu sur le collectif) et même épistémologique (le rejet de la légitimité de la science comme source de vérité). Son application nécessite donc une véritable révolution sociétale. Une révolution qu’il est urgent de mener car face aux menaces globales comme la pollution et le changement climatique, le coût de l’inaction peut s’avérer exorbitant et mener à terme à l’effondrement de nos sociétés.

[1]Https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/22/le-covid-19-a-fait-plus-de-six-millions-de-morts-dans-le-monde_6081100_3244.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[2]https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S128645791000211X?via%3Dihub (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[3]https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(11)60968-9/fulltext (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[4]https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0233147  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[5]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/20/nous-chercheurs-voulons-defendre-l-autonomie-de-la-recherche-et-des-formations_6026543_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[6]https://www.fhf.fr/Presse-Communication/Espace-presse/Communiques-de-presse/La-ligne-rouge-est-depassee-les-hopitaux-devraient-connaitre-un-deficit-historique-de-1-5-milliards-d-euros.-Reformes-structurelles-et-financieres-sont-desormais-vitales  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[7]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/11/coronavirus-l-hopital-ne-peut-pas-fonctionner-comme-une-clinique-privee-qui-choisit-ses-patients-pour-optimiser-sa-plomberie_6032559_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[8]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/16/coronavirus-la-question-du-tri-des-malades-est-un-enjeu-ethique-et-democratique-majeur_6033323_3232.html  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[9]https://www.nature.com/articles/s41893-019-0293-3  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[10]https://www.icao.int/annual-report-2018/Pages/FR/the-world-of-air-transport-in-2018.aspx  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[11]https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK92473/  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[12]https://www.insurancejournal.com/news/national/2020/12/14/593838.htm (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[13]https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2771764  (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[14]https://www.lesoir.be/287310/article/2020-03-15/coronavirus-larmee-requisitionnee-pour-lutter-contre-lepidemie-en-espagne (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[15]https://www.lesoir.be/287724/article/2020-03-17/laisser-faire-le-coronavirus-les-pays-bas-et-le-royaume-uni-misent-sur-une (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[16]R. L. Haffajee, M.M. Mello. Thinking Globally, Acting Locally — The U.S. Response to Covid-19. N Engl J Med. 382, e75 (2020).

[17]R. Horton, Ed., The COVID-19 Catastrophe: What’s Gone Wrong and How to Stop It Happening Again (Policy Press, Cambridge, UK and Medford, MA, 2020)

[18]Editors. Dying in a Leadership Vacuum. N Engl J Med. 383(15), 1479-1480 (2020).

[19]https://www.rtbf.be/info/monde/detail_pour-l-oms-beaucoup-de-pays-n-en-font-pas-assez-pour-combattre-le-coronavirus%C2%A0?id=10449010 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[20]Schwabe C.W. Williams & Wilkins; Baltimore: 1984. Veterinary Medicine and Human Health.

[21]https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/11/12/05-0997_article (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[22]https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2001.0888 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[23]https://www.oneworldonehealth.org/sept2004/owoh_sept04.html (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[24]https://science.sciencemag.org/content/346/6205/56 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[25]https://www.nature.com/articles/nature09575 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[26]https://academic.oup.com/femsle/article/365/2/fnx244/4631076 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[27]https://www.oie.int/doc/ged/D5720.PDF (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[28]https://www.cdc.gov/onehealth/index.html (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[29]https://ghsagenda.org/ (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[30]https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fvets.2017.00163/full (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[31]https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(15)60901-1/fulltext (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[32]https://www.nature.com/articles/nature12711 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[33]https://www.nature.com/articles/nm.3985 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[34]https://www.pnas.org/content/113/11/3048 (dernière consultation: 2 septembre 2021)

[35]J. Rawls, Ed., Theory of Justice (Harvard University Press, Cambridge, MA, 1973)

[36]C. Larmore. Political Liberalism. Political Theory. 18(3), 339-360 (1990)

[37]Jean-François Lyotard. La Condition postmoderne. 1979

[38]Bruno Latour et Steven Woolgar. La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques. 1979

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Transition socio-écologique et urgence climatique,
les « nouveaux » défis de la promotion de la santé !

Le 30 Sep 21

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Epidémie dans les maisons de repos, inondations catastrophiques, en situation de crise les acteurs de la promotion de la santé sont interpellés pour des actions dans l’urgence. Même des citoyens engagés s’interrogent sur l’utilité réelle de ce secteur ! Les conséquences directes et indirectes de la pression exercée par l’anthropocène sur la planète doivent-elles nous faire abandonner toute réflexion et action en matière de prévention et de promotion de la santé ? Certainement pas, il faut continuer, comme on le fait sans relâche depuis une quarantaine d’années, à plaider pour une autre vision de la santé tout en y intégrant davantage les préoccupations pour l’environnement et les troubles climatiques extrêmes.

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Introduction

Convaincus que la promotion de la santé répond aux mêmes enjeux et utilise les mêmes outils conceptuels et opérationnels que ceux de la transition socio-écologique, nous avions préparé avec Chantal Vandoorne et des collègues français du secteur de l’environnement un module de formation « Inégalités sociales de santé et transition socio-écologique » pour la 18ème Université d’été francophone en santé publique à Besançon (FNES, 2021).

Ce module n’a pu avoir lieu faute d’inscriptions suffisantes. Modalités d’enseignement à distance trop contraignantes, sentiment de répétition du discours sur les inégalités sociales et sur la promotion de la santé, difficultés de perception de la pertinence du lien entre santé, environnement et inégalités sociales, ou encore doute sur les possibilités opérationnelles de la promotion de la santé ?

La préparation de cette formation nous fournit cependant l’occasion de repréciser trois axes de réflexion à propos des concepts de transition socio-écologique, de promotion de la santé, d’inégalités sociales de santé. Le premier concerne la place de l’environnement dans les déterminants des inégalités sociales de santé. Le second se penche sur la proximité des démarches de transition socio-écologique et de promotion de la santé. Le troisième s’interroge sur les synergies à créer avec les secteurs de l’environnement et de la sécurité civile, comme nouveaux défis pour la promotion de la santé.

Même dans un contexte d’urgence climatique, il reste essentiel (et urgent) de construire avec les publics les plus précaires des solutions soutenant leur émancipation et leur pouvoir d’agir sur les déterminants sociaux et environnementaux de leur santé.

Inégalités sociales et environnementales de santé

Faut-il répéter les liens établis entre le changement climatique, les inégalités sociales et la santé ?

Les documents internationaux qui établissent ces liens ne manquent pas tant au niveau du GIEC (climat.be 2021, Smith 2014) que de l’OMS (WHO 2021) : inondations, vagues de chaleur, maladies infectieuses… Partout dans le monde et chez nous, les populations les plus précaires sont les plus soumises aux aléas du changement climatique. (Dupuis 2013)

Prenons cependant des exemples proches de nous.

Eric Deffet (2021), journaliste au Soir, présente une carte des revenus médians par quartier à Verviers réalisée par le Centre Jacky Morael à partir des données de Statbel, dans un article du 29 juillet « Les quartiers ravagés par les inondations sont souvent les plus pauvres ». Il fait la relation avec les quartiers du bord de la Vesdre les plus touchés par l’inondation.

De même, il est éclairant de faire la relation entre la cartographie des revenus médians dans les quartiers les plus urbanisés de Bruxelles (Wayens et al 2016) ou encore de la perception de la qualité du logement et de l’environnement (Wayens 2016) avec la carte sur les ilots de fraicheur (ou plutôt de l’absence d’ilots de fraicheurs !) proposée par Bruxelles Environnement (2021).

La crise pandémique Covid-19 nous a aussi montré à suffisance les liens entre pauvreté et contamination, hospitalisation ou encore adhésion vaccinale (UIPES 2020, OSH 2020).

Transition socio-écologique et promotion de la santé

Pour présenter les concepts de transition écologique et de transition socio-écologique, citons la DREAL-BFC (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bourgogne – Franche Comté) partenaire du module.

« […] la notion de transition écologique est née d’un mouvement citoyen en Angleterre, initié notamment par l’agronome Rob Hobkins, et qui a pris rapidement une ampleur internationale.

Il s’agit d’un processus de transformations de la société par le renouvellement de nos façons de consommer, de produire, de travailler, d’urbaniser, de se déplacer, mais plus largement de tous les aspects de nos modes de vie dans l’optique de répondre aux enjeux environnementaux, mais aussi sociaux. 

Afin d’articuler la lutte contre la pauvreté et celle pour le climat, la biodiversité, la préservation des ressources, le bien-être, etc., c’est le concept de « transition socio-écologique » qui est proposé par le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD). La logique est ascendante : elle n’est plus de poursuivre des objectifs fixés à l’avance par les pouvoirs publics, mais de co-construire de multiples chemins de transition à partir des citoyens, des associations, des entreprises, et toutes les composantes de la société civile.

La transition socio-écologique se construit alors « de proche en proche par des expérimentations qui s’appuient sur le lien social et souvent sur des formes d’économie plus collaborative, de pair en pair, poursuivant des finalités écologiques. Ces expérimentations émanent de valeurs et d’alternatives concrètes qui se nourrissent les unes les autres pour donner sens à l’action » (CGDD 2017, p. 6). »

De cette introduction et surtout de la lecture des deux rapports français du CGDD (Commissariat général au développement durable) de 2015 et 2017, la proximité avec la démarche de la promotion de la santé est claire : émancipation et pouvoir d’agir des personnes et des communautés en particulier les plus précaires, multi-déterminisme des facteurs qui influencent l’environnement comme la santé, inégalités sociales face à l’environnement comme face à la santé, actions par les milieux de vie et les territoires locaux, villes en transition en miroir des villes en santé (Réseau français des villes santé 2014)… les enjeux et les stratégies sont semblables.

Lydie Laigle (2015), en nous invitant à analyser les rapports entre la cohésion sociétale et la transition écologique, évoque des fondements qui sont familiers aux acteurs de la promotion de la santé. Elle mentionne les relations inégalitaires des êtres humains aux transformations de l’environnement et elle fait appel aux éthiques de la justice de Rawls. Elle insiste sur les capabilités des individus et des collectifs de s’adosser sur des relations d’expériences à leur milieu pour en mobiliser les ressources et susciter des innovations sociales et des formes alternatives de coopération. Favoriser la résilience et la réduction des risques semble une voie prometteuse. Elle pourrait l’être à condition de rester attentif au risque d’aggraver les inégalités sociales par des approches qui amplifient la responsabilité individuelle. La résilience doit être une opportunité de construire d’autres rapports nature-société, de déployer des pratiques émancipatrices. L’action publique doit alors dépasser les politiques normatives d’assistance et de compensation pour soutenir les initiatives d’adaptation localisées, éthiques et coopératives, et les capacités citoyennes d’agir.

D’autres références peuvent être mobilisées dans le sens de cette proximité. Citons par exemple l’article de Jacques Morel « Déclaration pour une santé planétaire » en mai 2020. Il y présente la déclaration de Rotorua de l’UIEPS en 2019 et les liens entre la promotion de la santé et le changement climatique.

Mais si les défis et les démarches sont communs, pourquoi n’y-a-t-il pas une mise en commun des ressources ? C’était le dernier axe de réflexion du module.  

Comment faire pour que les politiques territoriales et les interventions de proximité mises en place pour prévenir et corriger les iniquités en matière de santé comme en matière d’environnement avancent de manière moins sectorisée ?  Pourquoi ne pas concevoir et construire des interventions de proximité de réduction des inégalités sociales et environnementales de santé en lien avec les enjeux de la transition, en attachant une attention aux synergies entre acteurs et aux dynamiques qui accroissent le pouvoir de dire et d’agir des citoyens ?

Les « nouveaux » défis de la promotion de la santé

Le premier défi est celui de la contribution de la promotion de la santé à la transition socio-écologique.

La promotion de la santé travaille déjà dans une perspective de transition socio-écologique en particulier dans le domaine de l’alimentation durable et inclusive comme le montre le projet Interreg AD-In.

La proximité avec le secteur de l’ERE (Education Relative à l’Environnement) ne date pas non plus d’hier (Partoune 2006). L’asbl Réseau Idée a aussi invité à plusieurs reprises des opérateurs de la promotion de la santé et propose de nombreuses références relatives à la santé.

positive company workers playing with jigsaw puzzle during team building activity

Mais ne faudrait-il pas aller plus loin ? Plus loin dans la concertation, la coordination et surtout la coopération !  

Nous préconisons un rapprochement structurel des acteurs « promotion – éducation – santé – environnement ». Attention, il ne s’agit pas de se cantonner au domaine actuel « santé environnement » (Luong 2017) qui n’envisage le plus souvent que l’impact « médical » des nuisances directes liées à l’environnement comme les pollutions par le bruit, l’eau ou encore l’air, domaine attribué d’ailleurs institutionnellement au Ministre en charge de l’environnement.

Non, il s’agit de refonder simultanément les bases conceptuelles et opérationnelle des secteurs de la santé et de l’environnement pour en faire un véritable outil d’une politique croisée de la transition sociale, sanitaire et écologique.

Prenons l’exemple prometteur du Plan wallon alimentation activité physique et santé publié en 2018,et pointons ses atouts et ses faiblesses

Parmi ses atouts : une démarche de co-construction multi-acteurs avec des représentants des secteurs de la santé, de l’enseignement, de l’environnement, mais aussi de la recherche ou de l’économie et donc des objectifs partagés ; une conception élargie de l’alimentation et de l’activité physique s’inscrivant dans la transition sociétale comme l’alimentation durable ou l’activité physique et la mobilité ; des références explicites à la transformation des modes de vie, la diminution des inégalités sociales de santé, le numérique, la participation citoyenne et la mobilisation de toutes les politiques.

Sa principale faiblesse : un plan porté en responsabilité par un seul secteur et un seul budget en limitant drastiquement la portée effective.

Pourtant un objectif commun et des moyens y afférent peuvent multiplier l’impact d’une politique au bénéfice de la population. Prenons l’exemple de l’objectif opérationnel 3.5.1 du WALAPSanté : « Renforcer l’accès à des espaces publics proches, de bonne qualité et multifonctions comme par exemple des espaces verts, de récréation, de détente, de repos et des équipements sportifs. ». La réalisation de cet objectif pourrait (devrait) être une option à proposer aux habitants au moment de la reconstruction des zones sinistrées par les inondations.  Elle peut dégager des gains appréciables et directs en matière de santé, d’environnement, de qualité de vie, mais aussi à moyen terme de lutte contre le changement climatique et ses aléas. Elle nécessite néanmoins un accompagnement des acteurs locaux et des citoyens dans la conception et l’utilisation de ces espaces à des fins de santé, de cohésion sociale et de sécurité.

Il faut clairement et rapidement aller plus loin dans la démarche de co-opération : inscrire la promotion de la santé dans le cadre de la transition socio-écologique, identifier voire désigner des relais institués dans les différents secteurs, dégager des ressources budgétaires communes, identifier un lieu, une instance de prospective et de monitoring commune. Tous les efforts doivent être rassemblés pour faire face à la crise climatique dans son ensemble de manière préventive, sans attendre les catastrophes futures.

Urgence et promotion de la santé

Cependant cette vision stratégique du futur de la promotion de la santé au sein de la transition socio-écologique ne suffit pas ! Nous ne sommes plus dans la perspective d’une transition douce. Sans devenir collapsologues et craindre l’effondrement, nous pouvons, nous devons envisager des événements problématiques plus fréquent et plus graves.

Crise sanitaire et inondations ont montré la nécessité de clarifier l’apport de la promotion de la santé au cœur de l’urgence et de la crise. Quel rôle alors pour les professionnels de la promotion de la santé au-delà de leur engagement dans la transition de la société ? C’est le second défi.

Il faut répondre aux critiques des gestionnaires de crise même si elles sont parfois infondées… A chacun son métier. Ce n’est pas parce que nous avons des pompiers capables de faire face à un incendie qu’il ne faut pas développer des actions de prévention sur la sécurité passive des bâtiments, sur les alarmes, sur les mesures individuelles de précaution.  Augmenter le nombre de pompiers est une stratégie, comme de leur demander d’assurer toutes les facettes de la gestion du risque y compris celles de la prévention. Mais polyvalence ne signifie pas nécessairement expertises et compétences.

Le secteur de la promotion de la santé répond présent au cours de la crise COVID-19 (CLPS 2020). S’inspirant des stratégies de la promotion de la santé, les acteurs de promotion de la santé ont renforcé le développement des aptitudes individuelles, celles du pouvoir d’agir en particulier, travaillé avec les communautés de professionnels et d’habitants. Mais ne faut-il pas investir d’autres outils et d’autres stratégies ? Serait-il judicieux de s’inspirer des expertises développées dans des champs plus spécifiques de la prévention : la prévention des accidents domestiques, la prévention et la protection au travail, l’analyse et de la réduction du risque.

Pourrait-on créer un dialogue constructif et non substitutif dans le champ de la prévention et de l’éducation avec les gestionnaires du risque environnemental et ceux de la sécurité civile ? L’expérience et les ressources du secteur de la promotion et de l’éducation pour la santé seraient des atouts pour développer des mesures d’éducation pour faire face au risque climatique comme l’inondation ou la vague de chaleur, comme on le fait dans certains pays en matière de risque sismique ou cyclonique.

Références

  • AD-in. Projet transfrontalier Interreg. Blog (ad-in.eu), consulté le 29 août 2021.
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  • Bruxelles Environnement. « Cartographie des îlots de fraîcheur dans la Région de Bruxelles-Capitale », Cartographie des îlots de fraîcheur à Bruxelles | Bruxelles Environnement, consulté le 29 août 2021.
  • Climat.be. « Conséquences sur la santé »,  Santé (climat.be), consulté le 29 août 2021.
  • Comité de concertation des CLPS wallons. « Crise sanitaire de la Covid 19 : l’expérience des CLPS wallons en tant qu’acteurs de promotion de la santé. », Education Santé, Octobre 2020.
  • Commissariat général au développement durable. « Société résiliente, transition écologique et cohésion sociale : études de quelques initiatives de transition en France, premiers enseignements. », Etudes et documents n°124, mai 2015.
  • Commissariat général au développement durable. « Initiatives citoyennes et transition écologique : quels enjeux pour l’action publique ? », Théma, juin 2017.
  • Deffet E. « Les quartiers ravagés par les inondations sont souvent les plus pauvres », Le Soir, 29 juillet 2021.
  • DREAL. « Du développement durable à la transition socio-écologique », Démarches de développement durable – Portail internet DREAL Bourgogne-Franche-Comté (developpement-durable.gouv.fr), consulté le 29 août 2021.
  • Dupuis P. « Inégaux devant les caprices du climat. », Education Santé, Juillet 2013.
  • Ferron C. « La transition socio-écologique : réduire les fractures sociales dans le monde d’après. », Education Santé, Septembre 2020.
  • FNES. Université d’été francophone en santé publique. Programme 2021. Université d’été 2021 – 18ème édition : programme & inscriptions – FNES
  • Luong J. « Santé environnementale : inégalités et inconnues. », Education santé, juillet 2017.
  • Morel J. « Déclaration pour une santé planétaire », Education Santé, Mai 2020.
  • OSH. « Quand le masque tombe … la crise de la pandémie du COVID-19 dans l’aggravation des inégalités sociales de santé. Education Santé, Juillet 2020.
  • Partoune C. « L’éducation relative à l’environnement et à la santé : une approche globale. Quelques grilles de lecture pour situer nos pratiques pédagogiques. », Congrès pluraliste des sciences – Louvain-la-Neuve, 23 août 2006.  Orbi.uliege , Microsoft Word – Actes-ere.doc (uliege.be)
  • Réseau Idée. https://www.reseau-idee.be/presentation/, consulté le 29 août 2021.
  • Réseau français des villes santé de l’OMS. « La résilience communautaire et la santé pour tous. », janvier 2014.
  • Smith K.R. and al. « Human health: impacts, adaptation, and co-benefits. », In: Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, pp. 709-754, 2014.
  • UIEPS. « COVID-19 un mélange des déterminants sociaux de la santé et une intensification des inégalités de santé existantes. », Education Santé, Juillet 2020.
  • WALAPSanté. Promouvoir la santé de toutes et de tous par l’alimentation et l’activité physique. Proposition de référentiel stratégique. Octobre 2018. WALAPSanté (wallonie.be), consulté le 30 août 2021.
  • Wayens, B. « L’environnement du logement », in Atlas de la santé et du social de Bruxelles-Capitale, chapitre 8, 2016.
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  • WHO. « Climate change and health », https://www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/climate-change-and-health, consulté le 29 août 2021.

environmental activists march in city. a french sign is seen close up, depicting planet earth and saying together, during a street demonstration by eco activists, with copy space on the right

La lutte contre les changements climatiques:
la santé peut y gagner deux fois

Le 23 Sep 21

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Les changements climatiques sont à l’œuvre et notre trajectoire suit pour l’instant celles des scénarios élevés d’émissions de gaz à effet de serre. Des politiques d’atténuation ambitieuses sont nécessaires pour éviter le pire. Ces politiques doivent d’une part tenir compte des inégalités sociales dans leur élaboration, et d’autre part être pensées sous l’angle des potentiels avantages qu’elles offrent en matière de santé publique… car ces derniers sont nombreux.

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Des risques émergents pour la santé

Les changements climatiques sont en cours. Et les scénarios élevés de réchauffement deviennent les plus probables tant le monde tarde à réagir. Or, une planète plus chaude de 4 à 5°C, l’espèce humaine ne l’a jamais connue. Même avec les efforts d’atténuation les plus ambitieux, nos sociétés vont devoir s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Le secteur de la santé est particulièrement concerné.

Les impacts sanitaires de ces changements sont déjà perceptibles. Les vagues de chaleur et les évènements extrêmes augmentent en fréquence et en intensité. Plus imperceptibles en revanche sont les effets véhiculés par les écosystèmes et les systèmes humains. Or, la dégradation de la qualité de l’air, l’augmentation des pollens allergisants, la nouvelle distribution des maladies à vecteur et l’augmentation d’autres maladies infectieuses sont des risques à prendre très au sérieux. Il en va de même pour les effets du dérèglement climatique sur la santé mentale, les conditions de vie et les systèmes de santé qui sont potentiellement ravageurs.

Par ailleurs, ces risques se répartissent inéquitablement au sein de la population, l’âge, l’état de santé et les conditions de vie étant les principaux déterminants de la vulnérabilité. Les changements climatiques agissent en réalité comme un facteur aggravant les inégalités sociales de santé.

Les politiques climatiques

Pour limiter l’ampleur des changements climatiques, il faudra réduire fortement et durablement les émissions de gaz à effet de serre (GES), ce qui, avec l’adaptation, est susceptible de limiter les risques liés à ces changements1 . Selon le GIEC, les émissions annuelles mondiales doivent être divisées par deux d’ici 2030 et atteindre zéro net d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5°C, tout en reconnaissant qu’aucun niveau de réchauffement global n’est considéré comme sûr2 .

En Belgique, les émissions de GES proviennent dans l’ordre essentiellement de l’industrie (production et consommation d’énergie, processus industriels), du transport, du chauffage (résidentiel et tertiaire) et de l’agriculture. Dès lors, pour limiter le réchauffement planétaire, il convient de diminuer drastiquement les émissions de ces différents secteurs. Une transformation est nécessaire dans la façon dont nous effectuons nos activités telles que générer de l’énergie, voyager, développer nos collectivités, manger et produire nos aliments.

Dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’Accord de Paris a été conclu en 2015. La Belgique est signataire de cet accord. L’objectif central de celui-ci est de limiter l’augmentation de la température mondiale à un niveau nettement inférieur à 2°C, et de viser une augmentation maximale de 1,5°C par rapport au niveau préindustriel3 .

Concrètement, la Belgique dispose d’un objectif de réduction contraignante des émissions de 35% en 2030 par rapport à 2005 pour les secteurs non couverts par le système communautaire d’échange de quotas d’émissions. Si les émissions ont diminué au cours des dernières années, il semble que cet objectif sera difficilement atteint alors même que les 27 pays de l’Union européenne ont décidé en décembre 2020 d’atteindre une baisse nette de leurs émissions d' »au moins 55 % » d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, contre – 40 % précédemment, afin d’atteindre en 2050 la neutralité carbone.

Pour ce faire, les stratégies des entités fédérées misent fortement sur les sources d’énergie renouvelable pour la production d’électricité, sur l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les secteurs industriels et sur la transition vers une économie circulaire. Dans le secteur des transports, chacune des stratégies régionales souligne l’importance du transfert modal pour limiter la part de la voiture individuelle en faveur de modes de transport alternatifs tels que le transport actif (marche et vélo), les véhicules électriques légers et les modes de transport partagés (transports en commun et véhicules partagés). Dans le secteur des bâtiments, les différentes stratégies misent sur l’amélioration de l’efficacité énergétique du parc immobilier au moyen de normes ambitieuses pour les nouvelles constructions et de l’amélioration accélérée et significative de la performance énergétique du parc immobilier existant. Tendre en 2050 vers un parc de bâtiments tertiaires neutre en énergie pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, le refroidissement et l’éclairage est également poursuivi4 .

Des co-bénéfices pour la santé

Non seulement la réduction des émissions atténuerait les impacts directs et indirects des changements climatiques sur la santé sur le long terme, mais ces mesures d’atténuation auraient également des impacts positifs beaucoup plus immédiats sur la santé.  C’est ce que l’on appelle les co-bénéfices pour la santé de la lutte contre les changements climatiques.

Ainsi, la réduction des émissions produites par la combustion des énergies fossiles pour la production d’électricité, la production industrielle, les transports et le chauffage des bâtiments diminuera la pollution de l’air en microparticules et en oxydes d’azote et par conséquent le poids des maladies respiratoires et cardiovasculaires5 . Les mesures prises pour favoriser les déplacements actifs et les transports en commun participent également à réduire le risque de maladies liées à l’inactivité physique et l’obésité. La sécurité routière pourrait également se retrouver renforcée et les méfaits de la pollution liée au bruit seraient réduits6 .

Les régimes alimentaires actuels contribuent à la fois aux maladies non transmissibles, aux émissions de gaz à effet de serre, à la perte de biodiversité et aux changements dans l’utilisation de l’eau et des terres. Promouvoir une alimentation moins polluante revient à promouvoir un régime alimentaire plus sain qui fait la part belle aux produits alimentaires d’origine végétale7 . La baisse de la consommation de viande, et spécifiquement de la viande de ruminants, diminuerait également les émissions de méthane. Ce dernier est un puissant gaz à effet de serre et il est également responsable de la formation d’ozone troposphérique. Des réductions du méthane pourraient donc à la fois réduire la morbidité et la mortalité de la population liées à la pollution de l’air et celles liées au forçage climatique8 .

Les mesures d’adaptation engendrent également des co-bénéfices pour la santé. Une politique d’aménagement du territoire basée sur le verdissement des villes en vue d’améliorer la qualité de l’air et de diminuer la vulnérabilité à la chaleur favorisera aussi l’activité physique, un mode de vie plus sain et le bien-être physique et mental des habitants9 . En revanche, la climatisation comme mesure d’adaptation est quant à elle une arme à double tranchant: d’une part, l’utilisation de la climatisation réduit la mortalité liée à la canicule par rapport à l’absence totale de la climatisation; et d’autre part, elle est préjudiciable à la santé, car elle contribue aux changements climatiques, elle aggrave la pollution de l’air en augmentant considérablement la demande en électricité les jours chauds et elle renforce l’effet d’îlot de chaleur urbain10 . Cette mesure d’adaptation devrait donc plutôt être utilisée là où elle est indispensable et laisser le plus possible la place à la climatisation naturelle et à une isolation performante des bâtiments. Les rénovations énergétiques diminuent l’exposition à la chaleur, au froid, aux moisissures et à l’humidité extrêmes et améliorent la qualité de l’air intérieur grâce à une meilleure ventilation. Ces mesures améliorent la santé générale, la santé respiratoire et la santé mentale11 .

Bon nombre des mesures d’atténuation et d’adaptation en réponse aux changements climatiques sont donc des mesures « sans regret », qui réduisent directement le poids des maladies non transmissibles. Ces stratégies permettront également de réduire les pressions pesant sur les budgets de santé nationaux, offrant potentiellement d’importantes économies en termes de coûts, et permettant d’investir en faveur de systèmes de santé plus solides et plus résistants12 .

Si l’on tient compte de la valeur économique des co-bénéfices pour la santé humaine et de la création d’opportunités industrielles à faible émission de carbone, le retour sur investissement de ces mesures pourrait être positif en termes économiques. Ces avantages économiques seront probablement maximisés et les coûts minimisés si des mesures politiques fortes sont prises le plus rapidement possible pour accélérer la transition à faible émission de carbone13 .

Le risque de renforcer les inégalités sociales

Ces mesures doivent être promues, mais elles devront être bien pensées afin d’éviter de creuser les inégalités sociales. Les effets régressifs de l’imposition d’une taxe carbone sont à ce titre emblématiques. Pour leur part, les améliorations écoénergétiques peuvent hausser la valeur des biens immobiliers, entraîner des déplacements de populations et de plus grandes disparités socioéconomiques.

De même les coûts initiaux de rénovations des logements ne doivent pas être un obstacle pour les faibles revenus. Les opérations de rénovations urbaines peuvent également entraîner des coûts de logement plus élevés. Toutes ces répercussions négatives peuvent être atténuées grâce à une conception efficace des politiques et à la redistribution des revenus14 . La lutte contre les changements climatiques et la transition écologique sont bels et bien des enjeux de santé publique et de solidarité.

La convergence du développement durable et de la promotion de la santé

Tout ceci illustre donc bien à quel point la convergence des objectifs du développement durable avec ceux de santé publique est forte. L’approche et les stratégies du développement durable sont d’ailleurs conceptuellement très proches de la promotion de la santé comme l’a formalisé la déclaration de Shanghai15. Celle-ci est la porte d’entrée toute désignée pour intégrer pleinement les enjeux climatiques. La multiplicité et la variété des impacts dus aux changements climatiques sur les déterminants non médicaux de la santé, par ailleurs largement marqués par des inégalités sociales, rendent plus pertinente que jamais l’adoption d’une approche de promotion de la santé pour prévenir ce risque émergent pour la santé.

Le Thermomètre Solidaris de 2019 met en évidence une réelle attente de la part des Belges francophones pour recevoir plus d’informations sur les conséquences sanitaires des changements climatiques. En effet, si un répondant sur deux déclare se sentir bien informé quant aux impacts des changements climatiques sur sa santé, 73 % d’entre eux souhaitent davantage être informés sur ces questions16 . Plus que de la simple information, il conviendrait d’augmenter les capacités des personnes, et plus particulièrement des personnes plus vulnérables (comme les personnes âgées, en mauvais état de santé ou défavorisées sur le plan socio-économique) à affronter ce risque. Les actions d’éducation à la santé et de préparation du public doivent tenir compte des différences d’exposition, de sensibilité et de capacité d’adaptation des différents groupes17 .

Il convient donc d’agir à la fois sur les « environnements de santé » et les caractéristiques individuelles en renforçant la capacité d’agir. Il existe une réelle opportunité pour que les mesures de lutte contre le réchauffement global, qu’elles soient à portée collective ou individuelle, permettent d’agir conjointement sur l’environnement et les déterminants de la santé, et donc de viser aussi l’équité en santé. Ainsi, par le biais des changements des habitudes et des comportements (en matière de mobilité, d’alimentation…), de l’amélioration des compétences personnelles et sociales, de l’action sur les milieux de vie (hébergement, travail…), et plus largement sur l’organisation de la société, il est possible de promouvoir conjointement la santé et l’environnement.

La santé et l’équité doivent être au cœur de l’indispensable lutte contre les changements climatiques. Les professionnels de la santé, et de la promotion de la santé en particulier, peuvent contribuer à ce que les changements climatiques ne soient pas la plus grande menace sanitaire du 21ème siècle, et que la lutte contre le réchauffement global soit pour sa part, la plus grande opportunité de santé publique.

[1]GIEC (2014a). Changements climatiques 2014: Rapport de synthèse. Contribution des Groupes de travail I, II et III au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Genève, Suisse, GIEC, 161 p.

[2]WATTS N. et al. (2019). “The 2019 report of The Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate”. The Lancet, 394 (10211): 1836-1878.

[3]https://climat.be/doc/national-lt-strategy-fr.pdf

[4]https://climat.be/doc/national-lt-strategy-fr.pdf

[5]WATTS N. et al. (2015). “Health and climate change: policy responses to protect public health”. The Lancet, 386 (10006): 1861 : 1914

[6] Association canadienne des médecins pour l’environnement (2019). Boîte à outils sur les changements climatiques à l’intention des professionnels de la santé: Module 6 -Contre les changements climatiques dans les établissements de soins de santé, Toronto, 41 p.

[7]WATTS N. et al. (2019)., op. cit.

[8]IPCC (2014). Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge and New York, Cambridge University Press, 1132 p.

[9] WATTS N. et al. (2015), op. cit.

[10] WATTS N. et al. (2019),  op. cit.

[11] Association canadienne des médecins pour l’environnement, op. cit.

[12] WATTS N. et al. (2019), op. cit.

[13] Ibid.

[14] Association canadienne des médecins pour l’environnement, op. cit.

[15] OMS (2016). Déclaration de Shanghai sur la promotion de la santé dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Neuvième conférence mondiale sur la promotion de santé, Shanghai, 2p. 

[16] INSTITUT SOLIDARIS (2020). Thermomètre – Comment percevons-nous l’impact du réchauffement climatique et des pollutions environnementales sur notre santé ? Bruxelles, Solidaris, 130 p.

[17] PAAVOLA J. (2017). “Health impacts of climate change and health and social inequalities in the UK”. Environmental Health, 16 (113): 61-68

Faire face à une crise et se préparer pour l’avenir, deux défis à relever avec la promotion de la santé !

Le 28 Sep 21

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Dans ce contexte de crise sanitaire, nous entendons fréquemment ce rapprochement fait entre la pandémie Covid-19 et des préoccupations de santé environnementale1 . Les acteurs de la promotion de la santé sont directement concernés et mis à contribution pour d’une part faire face à la crise sanitaire et d’autre part pour aider à révéler des liens subtils entre les soubresauts des écosystèmes et notre santé. A première vue des préoccupations complémentaires mais avec entre les deux un changement d’échelle dans le temps et dans l’espace et des notions d’écologie difficiles à manier comme la «biodiversité». Sommes-nous prêts à faire le saut ?

Ce texte a été publié dans La grande minute doc, n°1-2021, publié par l’IREPS Nouvelle-Aquitaine. Nous les remercions pour leur aimable autorisation de reproduction. Retrouvez le texte initial sur LaGrandeMinuteDoc-1-Irepsna.pdf.

La lutte contre le coronavirus s’appuie d’abord sur des gestes barrières avec peu de conséquences néfastes pour l’environnement. Mais l’utilisation de produits nettoyants et/ou désinfectants, ainsi que la consommation des masques et de diverses fournitures jetables, souvent constituées de matière plastique peuvent réellement poser problème. Il ne faut pas sous-estimer ce que coûtent sur le plan environnemental l’ensemble de tous les process, depuis la fabrication des produits jusqu’à la gestion des déchets. Nous pourrions chercher à suivre les effets des biocides que nous répandons autour de nous, que nous inhalons ou que nous manipulons sans toujours prendre les précautions que cela demande pourtant. De nombreux acteurs s’en préoccupent déjà sérieusement, notamment parmi les Etablissements Recevant du Public (ERP), et c’est un premier lien entre COVID-19 et santé environnementale.

Dans nos mains du gel hydroalcoolique et des télécommandes

Parallèlement nous subissons le confinement, imposant a priori un mode de vie économe et sans danger. Mais il s’avère qu’il montre vite les limites de l’espace dans lequel nous sommes confinés. S’agit-il d’un petit appartement sans balcon au dixième étage d’un immeuble en zone urbanisée ou bien d’un pied-à-terre spacieux entouré d’une végétation luxuriante ? Tout ce qui nous entoure a alors le don de nous faire changer d’air ou à l’inverse de nous faire tourner en rond entre les écrans, dans un bain de rayonnements divers. En contrepartie de la réduction des déplacements il n’y aura sans doute jamais eu autant de flux de données entre les serveurs et une telle surchauffe des réseaux. Deux autres liens assez évidents donc entre COVID-19 et santé environnementale, maintenant bien connus d’acteurs de terrain œuvrant pour le lien social : des situations de cumul de l’isolement et d’environnements défavorables d’une part, l’adoption pour un temps ou pour longtemps de modes de vie sédentaires et très connectés.

Dans ce contexte d’urgence face à l’épidémie prenant le pas sur d’autres préoccupations, des voix s’élèvent malgré tout pour maintenir des engagements de choix des solutions les plus écologiques possibles. Avec d’autres, les acteurs de l’Education à l’Environnement et au Développement Durable (EEDD) et ceux de la promotion de la santé se font entendre pour que la santé environnementale ne soit pas oubliée et proposent de véritables stratégies de survie en milieu hostile, en guidant vers les éco-gestes toujours valables en situation de crise sanitaire (le Do It Yourself ou faire soi-même des produits ménagers simples et sans danger, encouragé par exemple par les Centres Permanents d’Initiation à l’Environnement).

Mais si la prise de conscience et les engagements sur le terrain en restaient là nous ne ferions en fait qu’aborder trop partiellement le sujet. L’épidémie de COVID-19 nous a appris très tôt, dès le mois de mars 2020, que nous avions d’autres interactions avec la biosphère, avec des conséquences potentiellement considérables. Tout particulièrement lorsque des populations continuent d’aller chercher un apport alimentaire non négligeable en prélevant sur une faune sauvage habitant des milieux semi-naturels très perturbés par les activités humaines (braconnage des pangolins par exemple).

Quand la santé tire ses forces et ses faiblesses des écosystèmes et de la biodiversité

C’est ce que nous sommes en train d’apprendre comme si c’était la première grande leçon de ce genre : des causes humaines de la dégradation de certains équilibres naturels provoquent des causes de mise en danger pour des populations entières. Des phénomènes d’une telle ampleur que cela remet en cause l’image d’une nature généreuse et «protectrice», soutien de notre bien-être.

Pour aller un peu plus loin nous pouvons dire que lorsque l’environnement «pose problème» à la santé humaine cela provient d’au moins trois grands cas de figure :

  1. Quand certaines caractéristiques du monde vivant créent des difficultés sans cause humaine préalable : c’est le cas des pollens provenant d’une zone boisée provoquant des allergies ou encore celui des moustiques se développant dans une zone humide et devenant vecteurs de certaines maladies,
  2. Lorsque des activités humaines volontaires bien identifiées sont à l’origine de la présence de substances toxiques dans notre environnement : les particules fines dans l’air que nous respirons par exemple, ou encore l’utilisation de pesticides pouvant migrer de la plante vers le sol, puis vers les aquifères,
  3. Enfin, sans doute le cas le plus problématique en raison de l’ampleur des phénomènes, quand l’humanité agit pour son développement et que les conséquences de ses actes entraînent directement ou indirectement de nouvelles confrontations avec les éléments naturels : c’est manifestement le cas pour le SARS-CoV-2 ainsi que pour le changement climatique qui doivent tous les deux beaucoup à la civilisation industrielle.

La COVID-19 provoque l’irruption de cette image schématique mais percutante de l’enchaînement d’un facteur déclenchant de la responsabilité des hommes conduisant à l’apparition d’un élément pathogène et à des conséquences inattendues. C’est dans le cas présent la transmission du virus de l’animal à l’homme puis la pandémie, comme cela semble maintenant clairement établi. Le changement climatique, causé par les activités humaines, révélera progressivement l’étendue des dégâts qu’il peut causer et qui s’articuleront aussi autour des évolutions de la faune et de la flore (comme avec les espèces invasives).

Cette situation peut donc être à l’origine d’un changement de regard sur une santé environnementale qui fait sa mue et qui rejoint ce qu’avait initié le mouvement One Health2 , en français Une seule santé. Un changement de perspective et d’échelle de temps aussi pour la promotion de la santé amenée à embrasser cette si longue chaîne de causes à effets. Celle qui se déroule entre, au départ, les conditions semi-naturelles façonnées par l’homme, ensuite les répercussions sur la biodiversité3 (faune et flore, espèces et écosystèmes), puis enfin des situations défavorables ou favorables aux êtres humains.

Susciter et animer la transition socio-écologique avec des arguments en faveur de la santé

La promotion de la santé a bien cette vocation à faire apparaître la globalité des déterminants de santé et à montrer les liens qu’ils entretiennent entre eux, grâce à son approche intersectorielle. Si la promotion de la santé est une clé pour ouvrir cette complexité, puis est en mesure d’éclairer et de diffuser largement la compréhension des liens entre environnement et santé, c’est aussi un défi pour elle de se saisir des grands bouleversements planétaires que sont l’érosion de la biodiversité et le changement climatique. Il s’agit en effet d’une mission à mener en amont des crises à venir. Ceci constitue un véritable changement d’échelle de temps alors que la préoccupation est encore à contre-courant de ce qui anime actuellement les publics. C’est aussi un changement de «relation à l’espace» car la question se pose globalement et est assez évidente à l’échelle planétaire (la situation dans l’arctique, les courants océaniques, etc.) mais reste plus discrète encore dans les territoires et n’est pas encore perçue localement.

Enfin le détour par l’écologie comme science contribuant à expliquer ces phénomènes ne va pas de soi, même si c’est bien dans les débats entre écologues que nous trouverons une partie des clés de compréhension de la dynamique des écosystèmes, de la biodiversité et des services qu’elle rend, ceux qu’elle ne rendra plus, de la place de l’humanité dans ces évolutions…

Avec la COVID-19 la promotion de la santé va davantage se préoccuper de l’état et de la gestion des environnements proches et lointains, ainsi que de leurs conséquences directes et indirectes sur la santé. Les enjeux sont considérables et méritent qu’elle s’y consacre, notamment en Nouvelle-Aquitaine, première région agricole et forestière de France. Elle a des atouts pour favoriser l’appropriation de ces questions par les citoyen·ne·s. En évitant l’écueil de l’anxiété démobilisatrice elle peut rendre accessible les arguments scientifiques, co-construire les réponses appropriées avec les habitants. Elle favorisera d’autant mieux l’émergence de mobilisations collectives en s’appuyant sur un diagnostic des changements globaux et de leurs conséquences prévisibles à moyen-terme dans les territoires.

La promotion de la santé est légitime pour susciter une meilleure possession par toutes et tous, communautés et individus, des liens entre environnement et santé et des moyens d’engager une transition socio-écologique4 préventive. Pour leur montrer comment passer les obstacles et faire en sorte que cette transition pour une meilleure santé grâce à un environnement plus sain soit à notre portée, entre nos mains.

Entretien avec Linda Cambon5

Avec la Covid-19, sommes-nous à un tournant du regard que nous portons sur la biodiversité ?

L.C. – Il le faudrait. Cette énième épidémie nous rappelle à quel point les caractéristiques de notre fonctionnement mondial nous mettent en péril. La mondialisation des systèmes de production animale, la vente d’animaux sauvages vivants, le tourisme de masse, le commerce international, l’hypermobilité sont les facteurs qui conduisent à la situation que nous vivons. Nous mettons la planète à mal et en recueillons les fruits. Cela dit, je ne suis pas sûre que les responsables se rendent compte des liens qui existent entre l’écosystème et ce qui se produit. Par exemple, en France, au moment même où nous luttons contre cette pandémie, une loi vient d’être prise par la ministre en charge de l’environnement permettant la réintroduction des néonicotinoïdes dans les cultures dont la betterave alors même que cet insecticide avait été interdit en raison de sa toxicité humaine et environnementale. Nous sommes donc loin d’une approche « One health », une seule santé.

L’approche One Health «une seule santé» veut-elle nous faire prendre conscience des liens entre qualité de l’environnement et santé humaine ?

L.C. – Oui. L’approche One Health (Une seule santé) rappelle que 75 % des maladies infectieuses émergentes sont d’origine animale. Les épidémies d’origine zoonotique sont liées aux perturbations de la dynamique des interactions entre les populations d’humains, d’agents infectieux, de réservoirs animaux, et parfois d’insectes vecteurs. C’est la modification des habitats des différentes espèces (déforestation, urbanisation, etc), les changements environnementaux, climatiques et socio-économiques, et les concentrations d’espèce qui modifient les probabilités d’interactions entre chaque population et la circulation d’agents infectieux entre elles. Plus que la prise de conscience, cette approche convoque donc des stratégies globales de respect de l’écosystème que les responsables n’ont pas encore intégré. En effet, nous le voyons bien, alors que l’émergence de nouvelles pandémies virales d’origine zoonotique avait été maintes fois prédite par la communauté scientifique, il n’y a ni anticipation, ni synergie entre les pays dans les réponses apportées. Les mesures restent hétéroclites (et parfois contradictoires), alors qu’une pandémie est un problème supranational.

La «santé de l’environnement», la «santé des milieux naturels», cela existe vraiment ?

L.C. – Il est courant d’inventer ou modifier des termes pour renforcer le discours politique. Cela fait partie du plaidoyer. Parler de santé de l’écosystème ou des milieux naturels plutôt que de qualité va dans ce sens. La santé humaine dépend de l’écosystème (la disponibilité de sources d’eau douce, de nourriture, de carburant, la qualité de l’air, etc.) car la perte de biodiversité a des conséquences directes non négligeables sur la santé si les services de l’écosystème ne répondent plus aux besoins des populations. La qualité ou la santé de l’écosystème est donc essentielle à l’homme. Parler de santé de l’environnement contribuera peut-être à rapprocher dans les consciences la santé animale et des milieux à celle de l’Homme.

A long terme un équilibre de la nature et des activités humaines respectueuses de l’environnement pourrait-il conduire à un monde sans risque sanitaire ?

L.C. – La question est moins celle du long terme que celle du courage politique. Je ne crois pas que l’on puisse prévenir tous les risques sanitaires, mais une approche par déterminant ici s’applique. Nous connaissons les conséquences de la maltraitance de l’environnement mais nous continuons en nous aveuglant de ces connaissances ou en continuant à mettre en compétition nos intérêts (enrichissement, tourisme versus pollution, appauvrissement par exemple) et nos ministères (santé versus agriculture) et en n’investissant pas dans les solutions alternatives protectrices de l’écosystème (énergie propre, culture biologique, tourisme et consommation durable, etc.). Nous multiplions les COPs et les conférences citoyennes sur l’environnement sans en appliquer véritablement les mesures. Je crois que si des mesures étaient prises avec courage, nous n’aurions pas besoin d’attendre longtemps pour voir les résultats.

Pour en savoir plus

Pour suivre l’actualité de ces sujets avec l’IREPS Nouvelle-Aquitaine

[1] La santé environnementale, selon la définition de l’OMS, comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures.

[2] L’approche dite «One Health» s’intéresse aux liens fondamentaux entre la santé humaine et celle des animaux et des écosystèmes, ainsi que sur la valeur ajoutée des collaborations interdisciplinaires et intersectorielles dans ce domaine. Cette approche intégrée de la santé repose notamment sur le renforcement des capacités des autorités sanitaires en matière de prévention, de préparation et d’intervention face aux foyers de maladies.

[3] La biodiversité : c’est le tissu vivant de notre planète. Cela recouvre l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie (plantes, animaux, champignons, bactéries, etc.) ainsi que toutes les relations et interactions qui existent, d’une part, entre les organismes vivants eux-mêmes, d’autre part, entre ces organismes et leurs milieux de vie. Nous autres, humains, appartenons à une espèce – Homo sapiens – qui constitue l’un des fils de ce tissu. La notion même de biodiversité est complexe, car elle comprend trois niveaux interdépendants : la diversité des milieux de vie à toutes les échelles, la diversité des espèces, la diversité des individus au sein de chaque espèce.

[4] La transition socio-écologique : évolution vers un nouveau modèle économique et social, un modèle de développement durable qui renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble pour répondre aux grands enjeux environnementaux, ceux du changement climatique, de la rareté des ressources, de la perte accélérée de la biodiversité et de la multiplication des risques sanitaires environnementaux.

[5] PhD-HDR, titulaire Chaire Prévention ISPED-SpF, Equipe MeRISP Centre Inserm U1219, Bordeaux Population Health, Université de Bordeaux.

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La santé des Belges à l’épreuve des changements climatiques

Le 28 Sep 21

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La communauté scientifique, les mouvements citoyens et l’actualité ne cessent d’alerter sur l’urgence d’agir contre le réchauffement global. Épisodes caniculaires plus fréquents, pollutions atmosphériques aggravées, allongement des périodes propices aux allergies, migrations de certaines maladies à vecteur, etc., sont autant d’exemples de risques associés aux changements climatiques et qui affecteront la santé dans nos régions. Selon l’OMS, les changements climatiques représentent la plus grande menace pour les systèmes de santé dans le monde au 21ème siècle. Comme souvent, les risques qui pèsent sur la santé se répartiront inégalement au sein de la population.

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Cet article a été rédigé en mars 2020.

Les changements climatiques en cours et à venir

Le réchauffement du système climatique est sans équivoque et l’influence de l’homme est clairement établie. Les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique sont en cause. La moyenne globale de la température à la surface de la Terre a augmenté de 1°C par rapport aux niveaux préindustriels et le retard pris dans les efforts d’atténuation place le monde sur la trajectoire d’un niveau élevé d’émissions qui, selon les projections, devrait aboutir à un réchauffement global compris entre 2,6 et 4,8°C d’ici la fin du siècle1 . Une planète aussi chaude, notre espèce n’en a jamais connu.

En Belgique, si une élévation généralisée des températures est anticipée, les projections prévoient également un renforcement du caractère saisonnier des précipitations. Les précipitations hivernales seront plus importantes tandis que les étés seront plus secs et plus chauds. Outre ces tendances saisonnières, les projections prévoient une augmentation de la fréquence des évènements extrêmes que sont les pluies intenses et les canicules2 .

Le dernier rapport The Lancet Countdown on health and climate change met en garde : si nous continuons sur cette trajectoire, un enfant né aujourd’hui vivra dans un monde plus chaud de 4°C en moyenne, et verra sa santé menacée par les changements climatiques à toutes les étapes de sa vie3. Voyons comment.

Des impacts directs

L’impact le plus immédiat et le plus direct des changements climatiques sur la santé humaine se manifeste par l’augmentation constante de la température moyenne mondiale et par l’augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la durée des chaleurs extrêmes. Les conséquences physiopathologiques de l’exposition à la chaleur chez l’homme comprennent le stress thermique et le coup de chaleur, les lésions rénales aiguës et l’exacerbation de l’insuffisance cardiaque congestive4 . Plus que la mise en échec de la thermorégulation de l’organisme, c’est surtout l’effet déclenchant sur diverses maladies ou l’aggravation de phénomènes pathologiques préexistants qui devraient engendrer une surmorbidité et une surmortalité estivale5.

Les étés chauds de 2003 et 2006 ont provoqué une augmentation de la mortalité toutes causes confondues en Belgique (environ 1230 décès supplémentaires en 2003 et 1263 décès en 20066). Or, selon le scénario d’émissions les plus élevées (RCP8.5), les vagues de chaleur extrêmes telles que celle qui s’est produite en 2003 devraient se produire aussi souvent que tous les deux ans dans la seconde moitié du 21ème siècle7. Dans toutes les régions du monde, la proportion de populations vulnérables à l’exposition à la chaleur augmente. Mais l’Europe est la région la plus vulnérable en raison de sa population plus âgée, de son haut taux d’urbanisation et de la prévalence élevée des maladies cardiovasculaires et respiratoires et du diabète8. Or, en Belgique, les personnes âgées de 80 ans et plus étaient 412 098 en 2003, elles étaient 654 084 en 2019 et leur effectif devrait se situer autour de 1 255 008 en 20509.

Les changements climatiques peuvent également affecter directement la santé en raison de l’augmentation prévue des évènements météorologiques extrêmes. Si une tendance à la hausse de ces évènements n’a pas encore été enregistrée par l’Institut royal de météorologie, c’est en revanche déjà le cas au niveau mondial, principalement en raison de l’augmentation des inondations et des tempêtes10. L’accroissement du risque d’incendie de forêt inquiète également la communauté scientifique et les autorités sanitaires. Ces évènements extrêmes peuvent entrainer des décès et des blessures accidentelles, désorganiser des systèmes de soins, entrainer une pollution de l’eau (dans le cas des inondations) et de l’air (dans le cas des feux sauvages). Par ailleurs, dans les mois et années qui suivent les évènements météorologiques extrêmes, des répercussions sur la santé mentale peuvent apparaître comme les troubles du sommeil, l’anxiété, les phobies, le stress post-traumatique, la dépression voire des tendances suicidaires, surtout en cas de troubles psychiques antérieurs ou lorsque les populations ont dû être déplacées11.

Figure : Les relations entre les changements climatiques et la santé

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Source : WATTS N. et al. (2018). “The 2018 report of the Lancet Countdown on health and climate change: shaping the health of nations for centuries to come”. The Lancet, 392 (10163): 2479–2514

Des impacts indirects véhiculés par les écosystèmes

En modifiant les écosystèmes, les changements climatiques pourraient indirectement engendrer des impacts sur la santé. La dégradation de la qualité de l’air, les modifications bioclimatiques influençant la production des allergènes aériens et la présence de vecteurs de maladies infectieuses sont particulièrement redoutées.

La pollution atmosphérique est le plus grand risque environnemental pour la santé en Europe. Environ 400 000 décès prématurés ont été attribués à la pollution atmosphérique en 201812 (9380 en 2016 en Belgique13). Ces décès résultent de maladies cardiovasculaires, respiratoires et de cancers. Étant donné les modifications de température, de luminosité et de précipitations attendues, les concentrations d’ozone troposphérique et de microparticules risquent d’augmenter en Europe14.

La concentration dans l’air de pollens allergisants pourrait elle aussi augmenter. Nous observons déjà des tendances au déplacement de la floraison, à la prolongation de la saison et à l’augmentation des quantités de pollen de fin d’été15 . En se conjuguant, ces différentes tendances renforceraient l’occurrence et la sévérité des allergies respiratoires, rhinite ou asthme16 . Par ailleurs, le déplacement en latitude ou en altitude de l’aire de répartition de différentes plantes, dont certaines fortement allergisantes, engendrera une nouvelle géographie des pollens17 . La colonisation de nos contrées par l’ambroisie en est une illustration et constitue une réelle préoccupation en matière de santé.

La communauté scientifique s’inquiète également depuis de nombreuses années de ce que les changements climatiques vont probablement contribuer à influencer l’émergence de certaines maladies infectieuses ainsi que leur distribution géographique. Les changements climatiques, parce qu’ils impliquent dans certaines situations un climat plus chaud, plus humide (ou plus sec), devraient induire des changements substantiels dans la répartition géographique et saisonnière des vecteurs et de leurs maladies associées en Europe et pourraient permettre l’établissement de maladies exotiques actuellement absentes du continent18 . Actuellement, les craintes se portent vers la borréliose de Lyme (déjà présente en Belgique) transmise par des tiques. L’évolution de l’implantation du moustique tigre asiatique qui transmet les virus de la dengue, du chikungunya et du zika fait également l’objet d’inquiétudes de même que les vecteurs du virus du Nil occidental et de la leishmaniose.

Des impacts indirects véhiculés par le système social

Enfin, quatre effets indirects des changements climatiques véhiculés par le système social apparaissent essentiels à anticiper. Il s’agit des risques pesant sur la sécurité alimentaire, des conséquences en matière de santé mentale, des répercussions socioéconomiques attendues et enfin des pressions qui s’exerceront sur le système de santé.

En matière de sécurité alimentaire, si les risques pesant sur la disponibilité des denrées semblent moins concerner un pays comme la Belgique, il convient de souligner que les pays développés ne seront de toute façon pas épargnés par la hausse et la volatilité des prix induites par les changements climatiques en raison de la mondialisation du marché alimentaire19 . Or celles-ci risquent de se répercuter sur les comportements d’achat des populations les moins aisées tentées de se rabattre sur des aliments transformés, de moindre qualité nutritionnelle, souvent très gras et sucrés mais assez peu sensibles aux fluctuations tarifaires des produits de base20 .

Concernant la santé mentale, en plus des impacts des évènements météorologiques extrêmes, les changements climatiques peuvent entraîner un sentiment de perte de sens suscitée par le fait de voir notre environnement et nos biens être endommagés, ainsi que nos opportunités diminuées21 . Ce sentiment est connu sous le nom de « solastalgie » ou « éco-anxiété ». Les messages alarmants concernant l’avenir de notre environnement alimentent cette éco-anxiété qui se traduit par des troubles anxieux en lien avec la peur de la fin du monde (sous la forme d’attaques de panique ou d’angoisses plus diffuses pouvant conduire à des troubles du sommeil, un manque de motivation, des troubles de concentration) allant même parfois jusqu’à l’épisode dépressif22 .

Un autre impact indirect sur la santé très préoccupant est la fragilisation des conditions socioéconomiques de la population en général et de certaines franges en particulier que pourrait engendrer le réchauffement global. En effet, les changements climatiques entraînent déjà des pertes économiques et on s’attend à une accélération de celles-ci avec l’augmentation du nombre d’évènements climatiques extrêmes et la multiplication des sinistres. Une autre répercussion économique largement évoquée par la littérature est la perte de productivité. La hausse des températures et les vagues de chaleur limitent de plus en plus la capacité de travail de diverses populations et le phénomène est appelé à s’amplifier. À titre illustratif, les régions du sud des États-Unis auraient perdu 15 à 20% des heures potentielles de travail de jour pendant le mois le plus chaud de 201823 . Au bout du compte, les incidences des changements climatiques devraient ralentir la croissance économique dans son ensemble et entraver les efforts de lutte contre la pauvreté24 .

Enfin, les systèmes de santé vont également être soumis à une pression croissante, ce qui pourrait avoir des répercussions en matière d’accès aux soins. Même si la crise sanitaire provoquée par la Covid-19 n’est, a priori, pas corrélée aux changements climatiques, elle n’en est pas moins une illustration de l’ampleur avec laquelle notre système de santé peut être mis sous pression, à la fois sur le plan économique et sur le plan organisationnel. Aussi, par son impact sur la transmission des maladies infectieuses et les conséquences sanitaires des vagues de chaleur, de la pollution de l’air ou des inondations, le réchauffement global risque de mettre sous pression le système de santé, l’afflux soudain d’un grand nombre de personnes malades dans les structures de santé monopolisant une grande partie des ressources du système. Les taux de mortalité des autres maladies pour lesquelles les malades peineraient à accéder à des soins pourraient ainsi augmenter25 . Par ailleurs, les risques pesant sur les infrastructures et leur accessibilité (pannes de courant, endommagement du réseau routier, des bâtiments) doivent être pris en compte26 . Il est important de noter que le réchauffement global « agit comme un multiplicateur des risques, exacerbant nombre des problèmes auxquels les communautés sont déjà confrontées, et renforçant la corrélation entre plusieurs risques sanitaires, ce qui les rend plus susceptibles de se produire simultanément »27 . Enfin, les évolutions attendues du climat, en l’absence d’adaptation, provoqueront inévitablement des dépenses de santé supplémentaires. Ces dépenses seront à charge de la société via le remboursement des soins de santé, ou bien viendront gonfler les dépenses de santé des ménages.

Des vulnérabilités inégales au sein de la population

L’interconnexion des systèmes climatiques et des écosystèmes, et l’interdépendance des économies et des sociétés font que personne ne sera épargné par les conséquences des changements climatiques. Néanmoins, les effets des changements climatiques sur la santé ne seront pas les mêmes pour tous en raison des différences d’exposition, de sensibilité et de capacité d’adaptation qui ensemble concourent à des différences de vulnérabilité des individus et des groupes28 .

Les impacts sanitaires du réchauffement global vont donc inégalement se répartir au sein des territoires et de la population. De manière générale, les personnes âgées, les personnes malades ou à mobilité réduite, et les groupes les plus pauvres ou marginalisés seront les plus affectés.

En effet, pour des raisons à la fois physiologiques, socioéconomiques et comportementales, les personnes âgées sont les plus exposées aux tempêtes, inondations, vagues de chaleur et autres évènements extrêmes, mais aussi à la dégradation de la qualité de l’air et à certaines maladies infectieuses climato-sensibles29 . Elles sont moins mobiles et ont donc plus de difficulté à éviter les situations dangereuses et sont aussi plus susceptibles de vivre seules. Par ailleurs, elles sont également plus nombreuses à souffrir de problèmes de santé qui limitent la capacité du corps à répondre à des facteurs de stress tels que la chaleur et la pollution de l’air30 . Les personnes âgées sont également plus susceptibles de se faire prescrire des médicaments, dont certains sont associés à un risque accru de décès lié à la chaleur.

L’état de santé est également un facteur clé de la vulnérabilité aux conséquences des changements climatiques. En effet, les maladies chroniques comme le diabète et les cardiopathies ischémiques amplifient le risque de décès ou de maladies graves associés à des températures ambiantes élevées31 . Au même titre que les maladies respiratoires chroniques, elles amplifient aussi le risque lié à la pollution atmosphérique. La consommation de certains médicaments (par exemple les antihypertenseurs, les antidépresseurs et les antipsychotiques) a une incidence sur la sensibilité à la chaleur en nuisant à la fonction de réfrigération du corps ou la rétention d’eau et du sel32 .

Enfin, la capacité à s’adapter ou à se rétablir peut être moindre en raison de faibles revenus. Les populations défavorisées sur le plan socioéconomique vivent par ailleurs plus souvent dans des logements de moindre qualité (notamment du point de vue de l’isolation), dans des quartiers plus densément peuplés, plus pollués et moins bien équipés (en espaces verts notamment), ce qui les expose plus aux vagues de chaleur et à la pollution atmosphérique33 .

Conclusion

Même avec les efforts d’atténuation les plus ambitieux, nos sociétés vont devoir s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Le secteur de la santé est particulièrement concerné car les changements climatiques vont influencer de manière croissante la santé en agissant d’une part sur les déterminants environnementaux de la santé, mais également à travers le vieillissement de la population, l’état du système de soins et les répercussions socioéconomiques.

Par ailleurs, ces risques se répartissent inéquitablement au sein de la population, l’âge, l’état de santé et les conditions de vie étant les principaux déterminants de la vulnérabilité. Les changements climatiques agissent en réalité comme un facteur aggravant les inégalités sociales de santé.

En 2014, l’OMS affirmait que les changements climatiques seront la question déterminante pour les systèmes de santé au 21ème siècle. La crise sanitaire provoquée par le Covid-19 illustre bien l’importance de doter le système de santé d’un bon niveau de résilience face à des chocs de grande ampleur. Selon l’OMS, un système de santé résilient face aux changements climatiques est « un système capable d’anticiper les chocs et stress liés au climat, d’y réagir, d’y faire face, de s’y adapter, et de se rétablir, de façon à améliorer durablement la santé des populations, malgré un climat instable »34 . Un tel objectif est réalisable à condition que tous les professionnels de la santé y contribuent à leur niveau.

[1] WATTS N. et al. (2017b). “The Lancet Countdown on health and climate change: from 25 years of inaction to a global transformation for public health”, The Lancet, 391: 581-630

[2] DE RIDDER K. et al. (2020b). Evaluation of the socio-economic impact of climate change in Belgium, study commissioned by the national climate commission,Etude commandée par la commission nationale climat, 253 p.

[3] WATTS N. et al. (2019). “The 2019 report of The Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate”. The Lancet, 394 (10211): 1836-1878.

[4] Ibid.

[5] BESANCENOT J-P. (2015). « Changement climatique et santé ». Environnement, Risques & Santé, 14 (5) : 394-414.

[6] SCIENTIFIC INSTITUTE OF PUBLIC HEALTH (2009). Climate change and health – Set-up of monitoring of potential effects of climate change on human health and on the health of animals in Belgium. Bruxelles, Unit Environment and Health, 54 p.

[7] EUROPEAN ENVIRONMENT AGENCY (EEA) (2020). Healthy environment, healthy lives: how the environment influences health and well-being in Europe. Luxembourg, Publications Office of the European Union, 165 p.

[8] WATTS N. et al. (2019), op. cit.

[9] Calculs personnels sur base des données de population « 1991-2019 : observations, Statbel; 2020-2071 : perspectives – mise à jour COVID-19″, BFP et Statbel, Bureau fédéral du Plan; SPF Economie – Statbel.

[10] SCIENTIFIC INSTITUTE OF PUBLIC HEALTH, op. cit.

[11] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit.

[12] European Environment Agency (EEA), (2020), op. cit.

[13] EUROPEAN ENVIRONMENT AGENCY (EEA) (2019). Air quality in Europe – 2019 Report. Luxembourg, Publications Office of the European Union, 99 p.

[14] SCIENTIFIC INSTITUTE OF PUBLIC HEALTH, op. cit.

[15] CLOT B. (2008). « Pollen de l’air et risque d’allergie : l’évolution récente », Environnement, Risques & Santé ,7(6) : 431 – 434

[16] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit. 

[17] Ibid.

[18] EUROPEAN ENVIRONMENT AGENCY (EEA), (2020), op. cit.

[19] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit.

[20] Ibid.

[21] IPCC (2014). Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge and New York, Cambridge University Press, 1132 p.

[22] FOND G. et Al. (2019). « Psychiatrie et réchauffement climatique ». L’encéphale, 45(1) : 1-2

[23] WATTS N. et al, (2019), op. cit.

[24] GIEC (2014b). Changements climatiques 2014 : Rapport de synthèse – Résumé à l’intention des décideurs, p.16.

[25] Ibid.

[26] PAAVOLA J. (2017). “Health impacts of climate change and health and social inequalities in the UK”. Environmental Health, 16 (113): 61-68

[27] WATTS N. et al. (2017b), op. cit. , p. 582.

[28] PAAVOLA J., op. cit.

[29] BESANCENOT J-P. (2015), op. cit.

[30] IPCC, op. cit.

[31] Ibid.

[32] Ministère de la santé et des soins de longue durée – direction des politiques et des programmes de santé publique   (2016).  Trousse de l’Ontario sur le changement climatique et la santé, Ontario, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 58 p.

[33] IPCC, op. cit.

[34] OMS (2016). Cadre opérationnel pour renforcer la résilience des systèmes de santé face au changement climatique. Genève, Organisation mondiale de la Santé, p. 8.

Le télétravail en questions, ses atouts, ses failles…
et après ?

Le 24 Août 21

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Et si le télétravail était l’occasion de repenser nos vies ?

Certains l’adorent. D’autres l’aiment un peu moins… Le télétravail s’est imposé à un bon nombre de travailleurs avec la pandémie de la Covid-19. Un an plus tard, quel bilan en tirer ? Pour Question Santé, derrière les avantages et les inconvénients de cette nouvelle organisation de travail se cache surtout l’opportunité de questionner la valeur du travail dans nos vies.

Vivre peut-il se résumer à avoir un “boulot pour survivre” ? Une société où le travail ne serait plus seulement une base journalière de rémunération compétitive mais un service à soi et à la communauté, qui ait du sens, soit varié, n’occupe plus la majeure partie de nos journées (transports compris), est-ce une utopie ou une nécessité ? Devons-nous nous résigner ou choisir de discuter des avantages, sinon de la nécessité pour tous, d’un rythme de travail, d’espace et de temps à la mesure de nos besoins humains ?

Et si nous profitions du changement pour repenser la direction dans laquelle faire évoluer notre société… ? 

Retrouvez la brochure de Question Santé ici

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Burnout parental : le poids d’une culture individualiste?

Le 27 Mai 21

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Mis en exergue par Isabelle Roskam et Moïra Mikolojaczak, chercheuses au sein de l’Institut de recherche en psychologie (IPSY) de l’UCLouvain, le burnout parental fait l’objet d’une attention accrue, particulièrement lors de la crise sanitaire qui a mis les familles à rude épreuve. Si son existence est reconnue mondialement, on observe que sa prévalence diffère d’un pays à l’autre. Notre pays se trouve parmi les trois pays les plus à risque. Un constat qui a poussé les chercheuses à se demander ce qui pouvait expliquer de telles différences et à lancer une étude internationale. Menée dans 42 pays, cette étude met en avant l’individualisme de nos sociétés comme déterminant dans la prévalence du burnout parental.

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Le burnout parental, retour sur un syndrome

Le burnout parental (BOP) est un syndrome qui touche tous les parents exposés à un stress chronique. Il s’exprime au travers de différentes facettes.

  • L’épuisement : c’est sans doute le symptôme le plus manifeste. Il fait écho à la sensation d’être “au bout du rouleau”. Le parent a le sentiment d’avoir épuisé ses ressources, que ce soit au niveau cognitif, émotionnel ou physique.
  • La distanciation affective avec l’enfant : par un mécanisme de protection vis-à-vis de l’épuisement, le parent se coupe de ses émotions pour se concentrer sur les tâches strictement nécessaires à la vie familiale, au détriment de l’aspect relationnel.
  • La perte d’efficacité et d’épanouissement dans son rôle de parent : le BOP met la personne en souffrance vis-à-vis de son identité de parent elle-même, créant un sentiment de décalage.
  • Le contraste : le parent se sent différent, en dehors de lui-même. Il n’est plus le parent qu’il a été. C’est un symptôme qui accompagne souvent la prise de conscience d’un dysfonctionnement.

Il faut que ces symptômes s’expriment de manière suffisamment sévère et régulière pour que l’on parle de BOP.

Les symptômes du burnout parental peuvent avoir des conséquences délétères, tant pour le parent en souffrance (sentiment de culpabilité, d’isolement et risques de suicide…) que pour l’équilibre familial et la relation parent-enfant (dont la négligence et violence parentale à l’égard des enfants).

Pour approfondir les explications sur le burnout parental, retrouvez l’article « Burnout parental : quel rôle pour la promotion de la santé ? » (Education Santé, février 2019).

Une étude internationale

Jusqu’à présent, les recherches sur le burnout parental s’étaient concentrées sur des facteurs individuels. Or, comme le précise Isabelle Roskam, « le désavantage, c’est qu’on se focalise sur l’individu, ce qui est culpabilisant pour lui. Il va se dire, « pourquoi est-ce que moi, je tombe en burnout ? ». Si on ne pointe que des facteurs individuels, il y a le risque que la personne se sente la seule responsable. » Pourtant comme dans le burnout professionnel, le contexte pèse également sur le développement de l’épuisement parental. Ainsi, la difficulté pour un parent de « trouver du temps pour lui », souvent exprimée par les parents en souffrance, est une préoccupation qui s’inscrit dans un modèle de société individualiste.

Afin de valider ces observations, les chercheuses ont activé leur réseau international. La thématique semble rassembleuse, les retours ne se sont pas fait attendre. Isabelle Roskam pose un premier constat : “cette notion de burnout parental a l’air de parler à tout le monde”. C’était un préalable nécessaire à l’étude. Pourtant, “ce n’était pas gagné d’avance parce que parfois quelque chose qui fait beaucoup de sens dans une culture n’en a pas dans une autre”. De fil en aiguille, des chercheuses et chercheurs issus de 42 pays différents se joignent ainsi à l’étude et alimentent la base de données.

Des facteurs d’ordre socio-démographiques (par exemple, le nombre d’enfants dans la cellule familiale, le nombre d’adultes investis dans l’éducation de l’enfant) mais également socio-économiques (notamment le Produit Intérieur Brut (PIB) de chaque nation) ont d’abord été envisagés. Aucune de ces variables ne permettait cependant d’expliquer les disparités dans la prévalence du burnout parental à travers le monde. Les chercheuses se sont alors intéressées aux valeurs culturelles, « qui, précise Isabelle Roskam, ne sont pas que l’individualisme. Il y a par exemple tout ce qui concerne les rapports hiérarchiques, les rapports de pouvoir entre les membres d’une société, il y a des sociétés plus ou moins égalitaires… ». Ces différentes valeurs contrôlées, l’analyse met en avant l’influence de la culture individualiste comme déterminante dans la prévalence du burnout parental. Isabelle Roskam enchérit « c’est interpellant de constater que ce sont les pays les plus riches et où on fait le moins d’enfants que le niveau de burnout est le plus élevé ». Selon la chercheuse, « quand on fait partie d’une culture dite individualiste, on a l’habitude d’être focalisé sur ses besoins, d’être à l’écoute de soi, de devoir « tracer notre route”, etc.; et finalement, la façon dont cela va impacter les autres, c’est secondaire. Tandis que dans une culture collectiviste, le rapport est inverse ; on va d’abord se tracasser de ce qu’il se passe pour le groupe avant de regarder vers soi. »

Culture individualiste: quelles conséquences sur la parentalité ?

L’individualisme qui imprègne notre culture occidentale impacte l’exercice de la parentalité dans de multiples dimensions.

Une société individualiste va valoriser la performance et la compétition. Les narratifs qui nous entourent regorgent de success stories[1] et de self made (wo)men[2]. Dans une société où on nous encourage à toujours être le meilleur, la surexposition aux modèles parentaux idéalisés génère comparaison et insécurité :  » C’est vrai aussi dans la parentalité ; on veut être le meilleur parent par rapport au voisin, avoir les enfants qui performent le mieux à l’école. On devient également perfectionniste dans sa parentalité, or cela a un coût : on n’est jamais content de soi, on est toujours à l’affût de recommandations sur la parentalité positive, on se fatigue dans des tâches où on a l’impression que l’on ne peut jamais atteindre le standard élevé que l’on recherche ». Insidieusement, cette quête de perfection sans cesse inassouvie mène à l’épuisement.

Cet environnement compétitif et porté sur la performance impacte aussi les buts de socialisation. Comme l’explique la chercheuse « dans une société individualiste, on va élever nos enfants en leur transmettant les valeurs dont ils vont avoir besoin pour se débrouiller eux-mêmes. Et une de ces valeurs, c’est leur apprendre à être assertif, à donner leur avis et à ne pas se laisser faire quand on leur dit quelque chose ». Or cette assertivité, les enfants la développent aussi à l’égard de leurs parents, qui se retrouvent à devoir négocier ou se justifier auprès de leur progéniture. Dans une société collectiviste, en revanche, ce ne seront pas les mêmes buts qui seront plébiscités : « dans des pays comme la Chine ou le Japon, explique Isabelle Roskam, on retrouve ce qu’on appelle la « piété filiale », qui inculque le respect inconditionnel des aînés. Il y a cette notion d’obéissance par défaut qui fait qu’un enfant comprend qu’il y a une hiérarchie, qu’il n’est pas l’égal de l’adulte et n’a pas son mot à dire sur tout ce que l’adulte raconte. Il y a donc un coût émotionnel à la parentalité qui est moins fort. »

En outre, dans une société individualiste, on observe qu’il y a très peu de délégation de l’autorité parentale et ce, même dans les familles monoparentales. Une charge conséquente repose sur les épaules des seuls parents. En cause, l’idée très répandue dans nos sociétés qu’il ne faudrait compter que sur soi-même. Isabelle Roskam explique : « dans une société individualiste, on apprend à ne compter que sur soi, à ne pas faire confiance aux autres, et ça, dans la parentalité, c’est très saillant. Nous serions très surpris, voire sur la défensive, qu’un voisin nous propose spontanément de s’occuper de nos enfants par exemple. On a perdu cette idée de communauté. Alors que dans certaines régions d’Afrique on dit que ‘pour élever un enfant, il faut tout un village’ ».

Enfin, selon la chercheuse, une autre caractéristique des cultures individualistes réside dans la recherche de l’égalité hommes-femmes. Elle rappelle que « dans beaucoup de pays traditionnels, les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes rôles dans la parentalité. Dans un pays individualiste comme le nôtre, avec des indicateurs d’égalité très élevés – qui vont imposer la parité dans le domaine politique, des entreprises, etc.- les femmes vont revendiquer cette égalité ». Or dans le domaine de la parentalité, on constate que ce sont toujours elles qui assument plus de 70% de la charge liée aux soins et à l’éducation des enfants. Ainsi, illustre-t-elle, « il y a encore beaucoup de lois qui placent la mère dans le rôle du premier donneur de soins : il y a tout ce qui touche au congé de maternité, mais pas seulement ; par exemple pour les allocations familiales, c’est le père qui ouvre les droits et par défaut c’est la mère qui les touche, puisque c’est elle qui élève les enfants là où le père serait le pourvoyeur de moyens. Tout cela contribue à maintenir l’idée que le premier donneur de soins par défaut, c’est la mère. » Dans une société qui semble prôner l’égalité, mais où beaucoup reste à faire notamment dans le domaine de la parentalité, cela contribue à renforcer un sentiment d’injustice face à ce qui apparait comme un décalage entre le discours affiché et la réalité vécue par les mères.

Quels leviers d’actions pour la promotion de la santé ?

Au vu des conclusions de cette étude, l’équipe de recherche évoque avec nous quelques pistes, mais souligne qu’elles sont encore nombreuses et multiples, telles qu’un travail sur les aspects politiques, socio-économiques, les représentations… pour mener un travail de fond sur la notion d’égalité dans la famille par exemple.

Une prise de conscience collective

Dans une société individualiste qui prône la performance, demander de l’aide est encore trop souvent perçu comme un aveu de faiblesse. Déconstruire les tabous autour de l’épuisement parental, informer le grand public et faire passer ces termes dans le langage courant sont autant d’étapes nécessaires dans la prise de conscience du phénomène. Isabelle Roskam précise : « c’est le genre de recherches qui ne peut pas rester dans le domaine académique, c’est essentiel d’avoir un relais. Pour le parent concerné, ‘si on en parle, s’il y a des mots pour parler de ce que je vis, c’est que du coup je ne suis pas le seul à être concerné. Et que cela ne fait pas de moi un mauvais parent’ ».

Le burnout parental n’est pas qu’une problématique individuelle, il se nourrit aussi des paradoxes de notre modèle individualiste. Une prise de conscience collective de cette dimension est nécessaire. Car l’omniprésence d’images de parentalité heureuse et épanouie isole ceux, parmi les parents, qui ont l’impression d’être défaillant par rapport à ce modèle. « Typiquement, c’est ce qu’on fait sur les réseaux sociaux en se mettant en avant, en laissant penser que nous-mêmes n’avons jamais de difficultés, parfois au détriment de l’impact que cela a sur les autres », ajoute Isabelle Roskam.

La sensibilisation des professionnels

Outre le frein culturel à oser exprimer la difficulté que l’on rencontre et ayant été élevé avec l’idée qu’il faut se débrouiller par soi-même, ces parents ont davantage de mal à accepter un soutien de l’extérieur.

Dès lors, sensibiliser et former les professionnels de première ligne à ces composantes culturelles semble un premier pas essentiel afin de leur donner des clés pour aborder le parent, lui offrir un espace où exprimer ses difficultés sans se sentir jugé.

Une formation pour les professionnels

Des formations sont proposées par le Training Institute for Parental Burnout. Pour plus d’information, rendez-vous sur https://www.parental-burnout-training.com

Des supports et des relais

La libération de la parole autour des difficultés du rôle de parent permet au parent en souffrance de sortir de l’isolement et de faire émerger, au niveau des communautés, des réseaux d’initiatives informelles de support et d’entraide. On pense, par exemple, aux solutions de garderie tournante que peuvent mettre en place des parents entre eux.

Au niveau formel, on retrouve les services qui sont offerts par des institutions, organismes et asbl qui offrent du soutien aux familles. Isabelle Roskam invite toutefois à la prudence lorsqu’on présente ces services afin d’éviter de sous-entendre que tous les parents ont besoin de l’assistance d’un professionnel, ce qui aurait pour effet d’augmenter, symboliquement, la pression qui pèse sur eux : « c’est faire passer la parentalité pour quelque chose de tellement difficile, avec tellement d’enjeux que si on ne prend pas les conseils d’un professionnel, on va forcément faire des erreurs. » Et de l’envisager sous le prisme de la bienveillance : « Dire à tous les parents de se faire confiance, c’est aussi très important et on l’a parfois oublié… »

Les résultats de l’étude « Parental Burnout Around the Globe: a 42-Country Study” (Roskam, I., Aguiar, J., Akgun, E. et al., 2021) a été publiée dans la revue Affective Science (en anglais : https://doi.org/10.1007/s42761-020-00028-4).

Des ressources pour les parents et les professionnels

La Mutualité chrétienne a mis sur pied un vaste programme autour du bien-être psychologique intitulé « je pense aussi à moi », mettant en avant la nécessité de préserver un espace de bien-être personnel, un équilibre entre tous les rôles que chacun est amené à jouer dans sa vie, et notamment le rôle de parent.
www.jepenseaussiamoi.be: un site internet avec des contenus ciblant notamment le burnout parental, et des solutions concrètes pour ne pas s’y enliser
Isabelle Roskam et Moïra Mikolojaczak ont créé un site dédié au burnout parental, à destination des parents, professionnels et chercheurs : www.burnoutparental.com.

[1] Cette expression anglophone signifie « des modèles, des histoires de réussite »
[2] Cette expression anglophone désigne des hommes ou femmes « qui se sont construits/ qui ont construit leur réussite tout.es seul.es »

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Femmes et médicaments: une relation toxique?

Le 27 Mai 21

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Le gouvernement Vivaldi affirme dans sa déclaration politique vouloir combattre la surmédicalisation. S’il faut agir efficacement contre la consommation inappropriée de certains médicaments, il est nécessaire d’analyser le phénomène sous le prisme du genre car ce sont les femmes1 qui en sont les plus touchées. Quel que soit son parcours de vie, chaque femme peut, à un moment ou à un autre de sa vie, être confrontée à une forme de surmédicalisation de son existence. Dans certains cas, des usages non pertinents ont des conséquences négatives sur sa santé et son bien-être, sur l’environnement et sur les dépenses privées et publiques.

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Un phénomène de société

La surmédicalisation de l’existence peut se définir comme un processus par lequel des problèmes non-médicaux, principalement sociaux (troubles de la libido, timidité, stress, chute de cheveux, etc.) ou certains aspects de l’existence (menstruations, ménopause, etc.) sont définis et traités comme des problèmes médicaux, voire comme des maladies2 . Il s’agit de faire respecter des normes de société (sous peine d’être perçu·e comme défaillant·e, malade) en usant d’un encadrement médical et médicamenteux qui s’institue au détriment d’approches plus préventives ou non-médicamenteuses3 . Ce phénomène résulte d’une foi en la science « neutre et inébranlable », une montée de la surconsommation générale, un individualisme croissant et un modèle capitaliste prônant la compétition et la performance. Pour rester productive·if, le recours aux psychotropes demeure un moyen de rester dans la course, particulièrement pour les personnes dont le revenu est faible. Une enquête de Solidaris4 a mis en évidence que plus le revenu d’une personne est faible, plus celle-ci a peur d’être en congé maladie trop longtemps, étant donné la précarité du marché de l’emploi, des conditions de travail et/ou du niveau d’endettement personnel. Ainsi, elle préfère consommer des médicaments pour rester active au lieu de prendre le temps de se reposer pour guérir. Cette réalité touche particulièrement les femmes qui sont généralement moins bien rémunérées que les hommes, sur-représentées dans les emplois à temps partiel et qui sont davantage à la tête d’une famille monoparentale. Au vu de leur statut économique et familial, de nombreuses femmes ne peuvent se « permettre » un congé maladie.

Retrouvez l’étude complète de Anissa D’ORTENZIO, « Une médecine sexiste ? Le cas de la surmédicalisation des femmes », Etude FPS, 2020.

Un phénomène typiquement féminin ?

La vie des femmes est rythmée par différentes étapes physiologiques et symboliques, construites étroitement par la médecine et les représentations sociales et culturelles5 . Il existe une pathologisation (c’est-à-dire la définition d’un aspect de la vie comme une pathologie, une maladie à guérir) des étapes de la vie des femmes qui, pathologie après pathologie, justifie une médicalisation continue de leur vie. Ainsi, médicaliser de manière aussi intensive leur existence permet de démontrer que le corps des femmes et leurs fonctions corporelles sont en fait considéré·e·s comme un réservoir d’irrégularités et d’anomalies qui nécessitent d’être normalisées par un traitement médicamenteux. Les cas de la contraception et de la dépression en sont deux exemples saillants6 .

La contraception : un enjeu concret de surmédicalisation

Les féministes des générations précédentes se sont battues pour que les femmes aient accès à la contraception, enclenchant par là même des changements socio-culturels majeurs et une amélioration de leurs conditions de vie. Toutefois, la contraception, et particulièrement la pilule, est de plus en plus vivement critiquée par les usagères. En effet, la surmédicalisation de l’existence passe par des usages détournés de l’objectif premier de la pilule, c’est-à-dire de l’éviction des grossesses non-désirées. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de traiter l’acné ou l’hirsutisme7 par la pilule, démontrant par la même occasion à ces jeunes filles que respecter les normes de beauté (une peau parfaite et sans poils) est plus important que les effets secondaires sur leur santé. La pilule est aussi prescrite comme « traitement » pour les symptômes de l’endométriose. De plus, régulariser les cycles menstruels chez les jeunes filles est un autre exemple fréquent de prescription de la pilule. Le temps de régularisation des règles est une information rarement partagée aux jeunes adolescentes qui s’inquiètent et consultent souvent pour la première fois les gynécologues de peur de ne pas être dans la « norme ». On remarque ici que les menstruations, perçues de manière négative, doivent être standardisées. Dans un autre contexte, les femmes militaires américaines sont vivement encouragées à prendre continuellement la pilule pour ne pas avoir leurs menstruations afin de « pouvoir être et faire comme des hommes » au détriment de leur santé8 . Cela démontre le contrôle des corps réglés, perçus comme un handicap dans la sphère professionnelle.

La surmédicalisation de l’existence des femmes passe également par la sur-prescription de la contraception hormonale au détriment d’autres moyens contraceptifs moins médicalisés ou plus durables dans le temps, qui pourraient mieux correspondre à certaines femmes. Parmi 12 004 participant·e·s à une enquête9 sur les moyens contraceptifs, 64,5% ont été à une consultation de gynécologie pour prendre une contraception, et 80,6% utilisent la pilule contraceptive. À la question « de quels moyens de contraception le/la soignant-e vous a-t-il déjà parlé ? », 89,5% répondent la pilule, contre 57,4% pour l’implant et le DIU10 au cuivre. Le DIU serait moins prescrit car à la fois, il existe encore des stéréotypes à son encontre (un moyen contraceptif uniquement pour les femmes ayant déjà eu un enfant, peut provoquer la stérilité, etc.) et à la fois, le DIU autorise l’insouciance. Après avoir posé un DIU et vérifié par une échographie un à trois mois plus tard si tout va bien, cette contraception permet une liberté pendant 3 à 10 ans. Au contraire, prendre la pilule implique plus de contrôle et de surveillance : prendre un comprimé tous les jours à heure fixe (et garder à l’esprit le risque de maternité tous les jours telle une épée de Damoclès au-dessus de la tête), retourner faire une ordonnance régulièrement chez le médecin, répondre à un interrogatoire préliminaire, et parfois à des examens invasifs (toucher vaginal, palpation de la poitrine, etc.).

En conséquence d’une volonté de surveiller le corps des jeunes femmes, les effets secondaires des contraceptifs hormonaux ne sont finalement que peu pris en compte alors qu’ils sont bien réels. Bien que la pilule féminine reste le moyen de contraception le plus connu, de plus en plus de femmes ne s’en sentent plus satisfaites car un sentiment de non-choix les envahit. Elles sont également de plus en plus conscientes des controverses médicales relatives à la pilule : les effets secondaires, le risque accru d’accidents thromboemboliques pour certaines générations de pilules et d’autres problèmes cardio-vasculaires, ou encore le développement du syndrome des ovaires micro polykystiques. Les effets secondaires de la contraception hormonale (manque de libido, prise de poids, migraines, sautes d’humeurs, saignements, etc.) semblent à priori bénins, mais ils peuvent réellement détériorer la qualité de vie de certaines femmes (relation de couple, charge mentale, confiance en soi, etc.). Pourtant, ils sont généralement niés et ne sont que vaguement expliqués lors de la prescription de la pilule. Il est essentiel que l’ensemble des moyens de contraception soit proposé à toute femme désirant en prendre, afin qu’elle soit libre de faire un choix éclairé au regard de la situation qui lui est propre et du moyen contraceptif qui lui correspond le mieux.

La dépression

Selon Solidaris11 , en 2006, il y avait déjà 18,5% de femmes de 18 ans et plus sous antidépresseurs contre 9,1% d’hommes, soit le double chez les femmes. En effet, la littérature médicale relève deux fois plus de dépressions chez les femmes. On remarque une prescription disproportionnée de tranquillisants pour celles-ci : une femme sur cinq de plus de 18 ans a déjà consommé un antidépresseur. Dans certains contextes, les femmes sont perçues comme fragilisées par les changements physiologiques et hormonaux qui se produisent chez elles lors d’un accouchement, d’une période post-partum, de la ménopause, etc. Cette affirmation signifierait que les changements hormonaux sont problématiques et à traiter médicalement car la norme est la non-fluctuation d’hormones (qui est davantage le fait du cycle hormonal masculin). Pourtant, les résultats de plusieurs études ont démontré qu’il y a la même proportion de femmes et d’hommes dépressifs12 mais l’évaluation d’un état dépressif se fait généralement à partir des symptômes spécifiquement féminins. Cela montre à quel point la représentation sociale des femmes comme des êtres vulnérables pousse à leur médicalisation et à une forme de diagnostic qui leur est spécifique, davantage que pour les hommes dans la même situation de souffrance psychologique. Enfin, il est récurrent de mal diagnostiquer certaines pathologies chez les femmes (comme l’endométriose13 ) car certains symptômes sont parfois (trop) rapidement expliqués par des « problèmes psychologiques ».

Des recommandations pour lutter contre la surmédicalisation féminine

Pour diminuer concrètement ce phénomène, il faut pouvoir avoir accès à des alternatives thérapeutiques et d’autres moyens alternatifs à l’utilisation de médicaments afin de répondre à la volonté des patient·e·s (méthode contraceptive plus naturelle, accouchement naturel, etc.) et à une volonté politique et budgétaire (raccourcissement des séjours à l’hôpital). Or, les alternatives thérapeutiques sont généralement peu connues, peu proposées par le personnel soignant et plus coûteuses que l’achat de médicaments. Il est donc primordial de partager davantage d’informations de qualité à ce sujet et de diminuer le coût pour la population. De manière plus spécifique, la contraception repose, dans 90% des cas, sur les femmes. Dans ce contexte, il est important de développer davantage de recherches scientifiques (médicales et sociologiques) sur les contraceptions masculines et les alternatives pour les femmes afin d’aboutir à une mise sur le marché concrète et une véritable contraception partagée entre les partenaires. Ensuite, intensifier l’EVRAS14 peut aider les citoyen·ne·s à développer une attitude active, informée et consciente quant à leur santé dès le plus jeune âge et tout au long de leur vie. Réduire la surmédicalisation de l’existence, c’est aussi avoir une meilleure maitrise du budget des médicaments en limitant le pouvoir des firmes pharmaceutiques qui n’hésitent pas à employer des stratégies de marketing auprès de la population et du lobbying intense auprès des organisations politiques et de la santé afin de générer de nombreux profits. Les efforts ne doivent pas être consentis qu’en aval mais également en amont de la « chaine du médicament ». Finalement, les politiques de santé ne pourront être effectives qu’à condition de prendre en compte le facteur genre dans l’équation en appliquant réellement le « gendermainstreaming »15 .

[1] Le terme « femme » désigne ici l’ensemble des personnes nécessitant un suivi gynécologique, la prise de contraception féminine et vivant des états physiologiques spécifiques tels que la ménopause. Nous partons ici d’une notion biomédicale binaire entre femmes et hommes en fonction du sexe auquel on tâchera d’ajouter ici l’impact du genre.

[2] WAGGONER Miranda et STULTS Cheryl, « Gender and Medicalization », Sociologists for Women in Society Fact Sheet, printemps 2010.

[3] COLLIN Johanne et SUISSA Amnon Jacob, « Les multiples facettes de la médicalisation du social », Nouvelles pratiques sociales, vol. 19, n° 2, 2007, p. 26.

[4] SOLIDARIS, « Vous, vos médicaments et votre pharmacien », Grande enquête Solidaris/Multipharma, 2018

[5] CAPIAUX Isabelle, « La ménopause, une construction socioculturelle ? », Femmes Plurielles, 2019

[6] Les menstruations, la ménopause, les compléments alimentaires sont d’autres exemples présents dans l’étude.

[7] Apparition d’une pilosité spécifique sur le visage, le cou, ou le thorax chez certaines femmes.

[8] Jeffreys Sheila, « Double Jeopardy: Women, the US military and the war in Iraq », Women’s Studies International Forum, vol.30, 2007, pp.16-25.

[9] Gineste Coline, L’impact du sexisme sur la qualité des soins en gynécologie (Mémoire de master en Ethique du soin et de la recherche), Université de Toulouse, 2017.

[10] L’abréviation DIU désigne les dispositifs intra-utérins, souvent également nommés les stérilets (qu’ils soient en cuivre ou hormonaux).

[11] Boutsen Michel, Laasman Jean-Marc et Reginster Nadine, « Données socio-économiques et étude longitudinale de la prescription des antidépresseurs », Solidaris, Direction Études, 2006.

[12] MARTIN Lisa et al., «The Experience of Symptoms of Depression in Men vs Women – Analysis of the National Comorbidity Survey Replication », JAMA Psychiatry, 70, 2013, pp. 1100-1106

[13] Une maladie gynécologique liée au développement de cellules d’origine utérine en dehors de l’utérus.

[14] Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle.

[15] C’est une stratégie qui intègre systématiquement des réflexions sur les conséquences positives et négatives des politiques publiques pour les femmes et les hommes.

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L’hésitation vaccinale: menace ou opportunité?

Le 8 Avr 21

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Dans le contexte de pandémie que nous traversons, le Service Universitaire de Promotion de la Santé UCLouvain/IRSS-RESO s’est penché sur la vaccination contre la COVID-19, au centre de toutes les attentions à l’heure actuelle. Comment appréhender l’hésitation vaccinale dans une perspective de promotion de la santé ? Eclairage sur le concept de « littératie vaccinale ».

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En un an, la littérature scientifique et grise s’est considérablement étoffée sur toute une série de domaines associés à la pandémie de coronavirus SARS-CoV2 (COVID-19) : les soins de la personne contaminée (prise en charge, traitements, etc.), les mesures de prévention (gestes barrières, port du masque, etc.), l’impact des mesures sanitaires (économique, écologique, psycho-sociale, etc.), et bien d’autres domaines. 

Dans cette littérature foisonnante, nous nous sommes arrêtés sur l’hésitation vaccinale, présentée comme une menace de santé publique, elle concernerait un quart de la population belge. Le pourcentage de la population favorable à la vaccination serait donc insuffisant pour atteindre l’immunité collective (Kessels 2020). En 2019, l’OMS classait en effet l’hésitation vaccinale parmi les 10 plus grandes menaces pour la santé mondiale (OMS, 2019).

Dans cet article, nous proposons de regarder l’hésitation vaccinale à travers le prisme de la promotion de la santé, une démarche d’intervention qui a vise à donner aux individus et aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, afin d’améliorer celle-ci (Charte d’Ottawa 1986). Dès lors, le fait de se questionner sur sa santé et de porter un regard critique sur certaines propositions thérapeutiques est révélateur d’une volonté d’appropriation des messages et d’un désir de renforcer son sentiment de choix et de maîtrise en matière de santé. Toutefois, le regard critique porté sur la santé doit être nourri d’informations valides pour amener à une décision éclairée que le contexte d’infodémie [1], qui accompagne la pandémie, peut compromettre. La population a donc besoin d’être accompagnée et soutenue dans ses questionnements relatifs à la vaccination.

Cet article fait suite à deux autres travaux du RESO sur le thème de la vaccination contre la COVID-19 :

  • Lambert H., Scheen B., Aujoulat I. (2020) Lu pour vous : Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J. A., L’hésitation vaccinale : un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 5 p.
  • Malengreaux S., Lambert H., Le Boulengé O., Rousseaux R., Doumont D., Aujoulat I. (2021). Tous égaux face au vaccin contre la COVID-19 : État des lieux de la littérature scientifique et grise. Woluwé-Saint-Lambert: Service universitaire de promotion de la santé de l’Université catholique de Louvain, 30 p.

« Tous égaux face aux vaccins contre la COVID-19 ? Etat des lieux de la littérature scientifique et grise »

En mars 2021, le RESO a réalisé un rapide état de la littérature scientifique et grise en matière de stratégie de vaccination équitable contre la Covid-19. Dans cette synthèse, nous partons de 3 défis de la stratégie de vaccination : l’hésitation vaccinale, les besoins spécifiques de certaines communautés et l’infodémie. Nous tirons de nos lectures 6 principes d’action pour une stratégie de vaccination adaptée aux réalités de vie et aux représentations des communautés : créer un réseau d’acteurs relais, mieux comprendre pour agir, communiquer de manière transparente et adaptée, multiplier les lieux de vaccination et les profils des vaccinateurs, aller à la rencontre, planifier et piloter.

Repères théoriques

L’hésitation vaccinale se traduit par des doutes et préoccupations relatives à la vaccination. Ces doutes et préoccupations se situent sur un continuum, un processus décisionnel, allant de l’acceptation au refus de se faire vacciner. Notre position sur ce continuum évolue constamment en fonction des informations reçues (par les médias, les discussions informelles, etc.) et trouvées (sur internet, en posant des questions aux professionnels de santé, etc.). De plus, notre capacité à comprendre ces informations, à les évaluer et enfin à les utiliser pour prendre une décision influencera notre position. Ces capacités (accéder, comprendre, évaluer et appliquer l’information pour la santé) sont regroupées sous le terme de « littératie en santé » (Cultures&Santé asbl 2016).  

La complexité du phénomène de l’hésitation vaccinale réside dans la multiplicité des facteurs l’influençant et leur interrelation. Ces facteurs se situent à différents niveaux plus ou moins éloignés de l’individu.

graph hesitation vaccination
Lambert H., Scheen B., Lu pour vous: Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J.A., L’hésitation vaccinale: un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert: UCLouvain/IRSS-RESO, 2020, 5p.

Les facteurs individuels influençant la décision de se faire vacciner ou pas sont :

  • la volonté de respecter les règles en vigueur ;
  • l’évaluation subjective du risque que représentent, d’une part, la vaccination, et, d’autre part, la maladie évitable par la vaccination ;
  • les expériences passées, positives ou négatives ;
  • les convictions éthiques, morales et religieuses en lien avec la santé ;
  • la confiance témoignée au gouvernement et aux professionnels de la santé, et le fait d’avoir la possibilité d’exprimer ses doutes et de poser des questions. 

Des facteurs situés à un niveau sociétal, extérieurs aux individus, vont également influencer la décision :

  • les vaccins sont souvent la cible de désinformations alimentées et diffusées par les médias et sur le web ;
  • l’augmentation récente du nombre de vaccins disponibles pour différentes pathologies et les disparités nationales et internationales au niveau des programmes et législations ;
  • l’attitude et les connaissances des soignants ; les prestataires de soins demeurent la source d’information la plus fiable aux yeux des usagers ;

la diminution des maladies évitables par la vaccination, liée au succès même des programmes de vaccination, a rendu les risques que comportent ces maladies moins visibles.

L’hésitation vaccinale en temps de Covid-19

Le contexte de la pandémie de covid-19 est marqué par certaines spécificités qui viennent renforcer l’hésitation vaccinale : les vaccins ont été développés très rapidement, de nombreuses informations erronées ont été propagées sur les médias sociaux, des critiques ont émergé autour des enjeux politiques et financiers liés à la vaccination, la survenue de nouvelles variantes du virus et l’incertitude quant à la durée de l’immunité acquise avec le vaccin ont accru les doutes et sentiments négatifs (Finney Rutten 2020 ; APA, 2020 ; Su 2020).

En Belgique, une étude a montré que les personnes plutôt jeunes [1], insatisfaites de la gestion de la crise, encourant un risque médical peu élevé et parlant français seraient plus hésitantes que les autres. Cette recherche a également montré que, dans une moindre mesure, le sexe de la personne aurait une influence sur ce phénomène : les femmes seraient légèrement plus hésitantes que les hommes. Au contraire, les individus dont un membre de l’entourage a été hospitalisé ou est décédé après avoir contracté la Covid-19 seraient plutôt favorables à la vaccination (Kessels 2020).

De la littératie en santé… à la littératie vaccinale

L’infodémie accompagnant la propagation de la COVID-19 a mis en évidence qu’une grande part de la population dispose d’un faible niveau de littératie en santé. Or le niveau de littératie est déterminant en période de pandémie.  

Dans un contexte où la population doit comprendre rapidement une quantité importante d’informations, parfois techniques, et utiliser ces informations pour adapter, continuellement son comportement, agir sur la littératie en santé permettrait aux individus de mieux comprendre les raisons des mesures sanitaires et des recommandations (Paakkari 2020). De manière générale, l’efficacité des politiques de santé serait tributaire du niveau de littératie de la population (Ratzan 2011).

Ce type d’action aurait plus largement pour effet de renforcer la capacité des individus à évaluer, à s’approprier et à utiliser les informations en matière de prévention de la COVID-19 pour prendre des décisions éclairées (Cultures&Santé asbl 2020). On peut donc présumer qu’en temps de pandémie, la littératie en santé de la population jouerait un rôle pour contrôler la propagation du virus.

Plusieurs articles scientifiques (Castro-Sanchez 2016 ; Biasio 2020) relèvent l’absence de prise en compte de la littératie en santé comme composante déterminante de l’hésitation vaccinale, mais aussi comme stratégie d’action pour y faire face. Le rédacteur en chef de la revue « Journal of health communication » proposera d’ailleurs en 2011 de parler de « littératie vaccinale » (Ratzan 2011), qu’il présente comme une approche pour améliorer la couverture vaccinale de la population. Notons que l’environnement des individus n’est pas toujours favorable à la mise en œuvre de la décision. Des facteurs tels que les modalités d’invitation et de prise de rendez-vous pour se faire vacciner ou l’accessibilité des lieux de vaccination sont par exemple des facteurs compromettant l’application de la décision de se faire vacciner.

Construire sur une opportunité

Plus haut, nous avons cité quelques éléments contextuels de la pandémie de COVID-19 qui ont, selon la littérature, créé un environnement propice à l’hésitation vaccinale. Nous pensons que le contexte actuel peut également représenter une opportunité pour développer la littératie en santé de la population.

D’abord, chaque individu est concerné par la vaccination contre la COVID-19 et est conscient qu’il doit prendre une décision : vaccin ou pas vaccin. La population est donc potentiellement intéressée à acquérir des compétences pour poser des choix éclairés. Cela est particulièrement vrai si les personnes se disent hésitantes, car cela signifie qu’elles ont déjà entamé un processus de réflexion. Dès lors, la vaccination contre la COVID-19 constitue une occasion pour les professionnel·les de la santé de dialoguer à ce sujet et d’accompagner les individus à faire des choix éclairés de manière à promouvoir, à maintenir et à améliorer leur santé et celle de leur entourage. Les professionnel·les ont néanmoins besoin d’être outillés (formation, outils de communication, accompagnement, etc.) pour aborder cette thématique dans cette perspective.

Le contexte présente ensuite des fenêtres d’opportunités pour inscrire la littératie en santé dans les préoccupations politiques. La littérature scientifique pousse dans ce sens (Paakkari 2020 ; Spring 2020 ; Abel 2020) et des initiatives internationales visant à partager des données probantes se mettent en place (par exemple : COVID-HL, un réseau international de recherche sur la littératie en santé dans le cadre de la pandémie de la Covid-19). Dans ces conditions, les acteurs politiques disposent d’un terreau favorable au développement de recherches et à la construction d’un plan d’action en faveur du renforcement de la littératie en santé basé sur des données probantes. Par conséquent, au-delà de la menace de santé publique que la décision de se faire vacciner ou pas représente, l’hésitation vaccinale constitue une opportunité pour renforcer la littératie en santé de la population. Nous pensons que les décideurs, les acteurs de terrain et les scientifiques disposent de conditions favorables au développement de politiques, d’actions de terrain et de recherches visant à améliorer la littératie en santé de la population qui, comme le démontre cette crise, relève d’un réel enjeu sociétal.

Références

Kessels R., Luyten J. & Tubeuf S. (2020). Willingness to get vaccinated against Covid-19: profiles and attitudes towards vaccination. Louvain-la-Neuve: Université Catholique de Louvain (UCLouvain) – Louvain Institute of data analysis and modeling in economics and statistics, 12 p.

Organisation Mondiale de la Santé (OMS). (2019) Ten threats to global health in 2019. Consulté le 26 mars 2021 : https://www.who.int/news-room/spotlight/ten-threats-to-global-health-in-2019

Organisation mondiale de la santé, (Bureau régional de l’Europe). 1986. Promotion de la santé. Charte d’Ottawa, https://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0003/129675/Ottawa_Charter_F.pdf

Cultures&Santé asbl (2016) La littératie en santé – D’un concept à la pratique. Guide d’animation. Bruxelles

Lambert H., Scheen B. Lu pour vous : Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J.A., L’hésitation vaccinale : un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 2020, 5p.

Finney Rutten L. J., Zhu X., Leppin A. & et al. (2020). Evidence-Based Strategies for Clinical Organizations to Address COVID-19 Vaccine Hesitancy. Mayo Clinic Proceedings, Advance online publication, 20 p.

American Psychological Association (APA). (2020). Building Vaccine Confidence Through Community Engagement. Wahsington: American Psychological Association (APA), 5 p.

Su Z., Wen J., Abbas J. & et al. (2020). A race for a better understanding of COVID-19 vaccine non-adopters. Brain, Behavior & Immunity – Health, vol. 9, Article number 100159, 3 p.

Paakkari L. (2020) COVID-19 : health literacy is an underestimated problem The Lancet vol.5 e.249-250

Cultures&Santé asbl (2020) Quelques clés pour évaluer l’information en lien avec ma santé – L’exemple de la COVID-19. Pistes de réflexion et d’animation. Bruxelles

Ratzan S. C. (2011) Vaccine Literacy: a new shot for advancing health J. Health Commun. 16 (3):227-29.

Castro-Sanchez E, Chang PW, Vila-Candel R, et al. (2016) Health literacy and infectious diseases: why does it matter? Int J Infect Dis; 43:103-10.

Biasio L.R., Bonaccorsi G., Lorini C. & Pecorelli S. (2020) Assessing COVID-19 vaccine literacy : a preliminary online survey, Human Vaccines & immunotherapeutics

Spring H. (2020). Health literacy and COVID-19. Health information and libraries journal, 37(3), 171–172.

Abel T., McQueen D., (2020) Critical health literacy and the COVID-19 crisis, Health Promotion International, Volume 35, Issue 6, pp.1612–1613.

[1] Terme qui qualifie, selon l’OMS, une surabondance d’informations, tant en ligne que hors ligne.

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Covid et numérique : les deux font la paire ?

Le 3 Mai 21

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La crise sanitaire liée au virus Covid-19 a rendu le numérique incontournable dans bien des domaines. Des sphères de la vie sociale telles que le télétravail, l’enseignement, mais aussi l’accès aux droits sociaux et aux services, voire le simple fait d’entretenir des liens sociaux sont désormais tributaires de la possession d’un ordinateur et d’une connexion internet. Or ce n’est pas l’apanage de tous. Dans un dossier thématique annuel « Le numérique en social-santé : inclusif ou excluant ? », l’équipe rédactionnelle de Bxl Santé s’est attachée à décortiquer les avancées et les limites d’une telle numérisation de la société. Constats et réflexions autour d’un enjeu majeur en termes de démocratie.

« Dématérialisation des services : opportunités ou dangers ? », « Fracture numérique : quels accès aux droits ? », « Sommes-nous gouvernés par des algorithmes ? », « Plateformes numériques et participation citoyenne » : tels sont les chapitres du dossier thématique que le magazine Bruxelles Santé propose à la lecture en ce début d’année. Dans le cadre de sa mission d’information des publics, l’asbl Question Santé se penche ainsi sur la question de la numérisation de notre société. Déjà bien entamée avant le coronavirus, elle est entrée dans nos existences à marche forcée, depuis le début de la pandémie. Sans pour autant s’assurer que tous pourraient prendre le train en marche.

Conçu comme un panorama d’une série de changements induits par cette évolution majeure que constitue la digitalisation, ce dossier s’articule autour d’une grande interview avec des observateurs avertis. Pour ensuite se pencher sur des champs d’application liés aux différentes thématiques abordées. Et ce, plus spécifiquement sur le territoire foisonnant en services et initiatives de Bruxelles.

Quel accès à la santé numérique?

Que ce soit dans le domaine de la santé numérique (mais aussi de la digitalisation des services bancaires ou en matière d’enseignement en distanciel), la dématérialisation des services induit des changements d’habitudes, de procédures, voire de paradigme. Pour explorer cette nouvelle donne, nous avons interrogé Alain Loute, maître de conférence au Centre d’éthique médicale de l’Université catholique de Lille, sur l’évolution de cette dématérialisation dans le domaine de la santé, et les choix politiques qui sous-tendent la question de la numérisation.

Partant de la question des soins de santé qui est un de ses domaines de recherche, il envisage dans cette interview ce que le terme « santé numérique » recouvre et l’impact que celle-ci peut avoir sur la relation de soins, notamment en dématérialisant les lieux de soins. Par exemple, concernant la télésurveillance des patients à domicile, « des études montrent en effet que les dispositifs de télésurveillance transforment le domicile pour en faire un lieu hybride entre domicile de vie et de soins. Le simple fait de mettre un lit dans un living va transformer le lieu de vie, va avoir un impact sur l’intimité du patient ». Et de citer aussi les plans de e-santé belges qui sont notamment centrés sur la question des données, de leur centralisation et leur partage. « Le dossier patient informatisé touche à beaucoup de pratiques et d’organisations, et transforme les relations entre les professionnels, leurs rapports avec l’administration et, in fine, avec les patients. »

D’où l’intérêt d’avoir également interrogé une structure comme la LUSS (Ligue des usagers des services de santé), à propos de ce dossier médical informatisé (DMI) et sur son usage. La question du consentement éclairé du patient est un des éléments-clefs relatifs à son adhésion à cet outil et à son utilisation. Comme le soulève Bernadette Pirsoul, chargée de projets e-santé à la LUSS, « Parmi les patients qui présentent des pluripathologies ou des maladies rares, il y a un réel intérêt, notamment pour l’accès au dossier, aux examens déjà effectués ou lorsqu’ils sont pris en charge dans un autre hôpital. Ce DMI est un outil dont ils se sont emparés. En revanche d’autres patients donnent leur consentement et ensuite s’en remettent aux soignants, sans jamais consulter leur dossier informatisé ou ne savent même pas comment procéder. Or cet accès au dossier partagé peut permettre un meilleur dialogue et un emporwerment accru dans le chef du patient. » Avant la crise de la Covid, sur les 844.000 patients disposant d’un DMI à Bruxelles, seuls 3.000 accès mensuels (chiffres Abrumet) étaient enregistrés…

Fracture numérique et accès aux droits sociaux

Autre sujet crucial de cette digitalisation croissante : celle de la fracture numérique que l’on pressentait avant la pandémie, mais qui s’avère bien plus répandue et creusant plus encore la fracture sociale. L’illectronisme [1] est bien présent et, selon le Baromètre sur l’inclusion numérique 2020, publié par la Fondation Roi Baudouin, 40% de la population belge serait en situation de vulnérabilité à cet égard.

Pour commenter les effets de cet illectronisme, éloignant certains publics de leurs droits, Périne Brotcorne, chercheuse au CIRTEF (Centre Interdisciplinaire de Recherche Travail Etat Société) à l’UCLouvain, s’interroge sur cette nouvelle norme sociale que constitue l’utilisation du numérique, mais qui révèle aussi des inégalités d’accès aux technologies et partant, aux droits fondamentaux, créant ainsi de véritables discriminations. Pour cette chercheuse, cela pose des questions éthiques de poids : « C’est comme si cette transition était une fatalité alors qu’on oublie que ce sont aussi des choix politiques. Je ne dis pas qu’il ne faut pas utiliser les technologies numériques pour toute une série d’activités et de services. Mais dire qu’il n’y a pas de contrôle sur le rythme auquel nous passons au numérique et que c’est quelque chose de naturel, c’est faux.

Les travaux menés avec mon équipe cherchent à souligner la responsabilité collective des fournisseurs qui numérisent leurs services ; en particulier, les services publics qui se doivent de respecter leurs principes fondateurs : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public.

Cela pose la question du non-recours aux droits sociaux, pourtant fondamentaux. »

Dans ce chapitre, la journaliste Anouitcha Lualaba Lekede a balayé différentes initiatives pour tenter de réduire cette fracture numérique, notamment dans le cadre de la promotion de la santé. Que ce soit au travers du concept d’informaticien public (à l’instar de l’écrivain public) ou des espaces publics numériques (EPN), la philosophie de ces initiatives est de rapprocher le citoyen de la maîtrise de l’outil numérique. Comme le souligne Nagib Moutarda, chargée de projets d’un EPN mis en place par l’asbl Forest Quartiers Santé, « parmi le public qui fréquente nos EPN, nous avons aussi des personnes qui viennent via nos différentes activités autour de la promotion de la santé. Les EPN s’inscrivent dans cette démarche parce que l’accès au numérique est un déterminant de la santé. Internet est devenu une source tellement importante d’informations qu’il faut avoir un minimum d’autonomie pour se renseigner, s’informer correctement. »

Deux autres champs d’investigation

Autre sujet abordé : le fait de savoir si de plus en plus de pans de la société, comme celui de la santé mentale, sont désormais régis par des algorithmes, ou le seront bientôt. Avec Thomas Berns, philosophe et professeur à l’ULB, nous avons abordé les notions de « gouvernementalité algorithmique » et de « consentement significativement amoindri » quant à la cession de nos données personnelles, avec pour conséquence une capacité de plus en plus faible de nous énoncer par nous-mêmes. Cédric Detienne, chercheur à l’ULB, analyse pour sa part l’outil BelRAI qui s’impose petit à petit, permettant, selon ses promoteurs, l’évaluation des besoins psychiques, cognitifs, psychologiques et sociaux d’une personne, sans que le modèle clinique sous-jacent à cet algorithme ne soit réellement débattu.

Enfin, les enjeux concernant les pratiques participatives via le numérique sont également explorés, au travers de différentes initiatives. Si la tendance actuelle est d’inciter la participation de la population aux nombreux domaines de l’action politique, que ce soit par les autorités publiques ou des initiatives citoyennes, les plateformes numériques sont-elles le médium approprié pour toucher le plus grand nombre ? Jean-Luc Manise, journaliste et directeur de la transformation digitale au CESEP (Centre Socialiste d’éducation permanente) se penche sur ce qui pourrait être un nouveau souffle pour la démocratie.

Pour découvrir le dossier thématique annuel de Bxl Santé
« Le numérique en social-santé : inclusif ou excluant ? »

Le magazine Bxl Santé s’adresse aux professionnels de la promotion de la santé, du social (CPAS, assistants sociaux, éducateurs…), du secteur ambulatoire (médecins, infirmiers, kinés, travailleurs en santé mentale, réduction des risques…) et aux politiques. Il est également accessible à toutes les personnes intéressées par les questions autour du social et de la santé. Envoyé cinq fois par an, par e-mail, l’e-Mag Bxl Santé allie des dossiers, des articles longs, ainsi que des liens vers d’autres sites et articles.

Un dossier thématique annuel vient compléter l’offre de contenus, en approfondissant une thématique sur une année de recherches, de rencontres et de rédaction de contenus. Le premier dossier thématique Bxl Santé portant sur « Le numérique en social-santé : inclusif ou excluant ? » est désormais disponible en ligne et peut aussi être demandé en version papier. Dans un ouvrage téléchargeable en PDF sur le site de Question Santé (www.questionsante.org) ou en version papier à la demande, toutes ces questions sont développées dans un souci de vulgarisation et de réflexion, accessible à toute personne et organisation intéressée par cette évolution sociétale majeure qu’est la digitalisation de la société.

[1] « analphabétisme numérique »

Dossier thématique: « Littératie numérique en santé »

Le 4 Mai 21

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La littératie en santé fait référence à des aptitudes propres à chaque individu ; elle ne s’inscrit pas moins dans des contextes spécifiques, que sont les « systèmes » en place et les « acteurs » qui y opèrent. La littératie numérique en santé spécifie le cadre dans lequel se trouvent ces informations, à savoir l’univers numérique et digital. Par la publication de ce nouveau dossier thématique sur le thème de la Littératie numérique en santé, Cultures&Santé désire mettre en avant des références bibliographies, outils pédagogiques et sites ressources en lien avec la littératie numérique en santé, avec une approche « promotion de la santé » et une attention particulière aux inégalités sociales de santé. 

Face au développement des technologies de l’information et de la communication, des sources d’informations virtuelles et de systèmes de plus en plus numériques, de nouvelles « compétences en cybersanté » sont en jeu. Si le déploiement du numérique présente un intérêt certain, il engendre et renforce par ailleurs de nombreuses inégalités.

Près de 90 références bibliographiques et documentaires sont recensées dans ce dossier thématique ; elles sont déclinées en 6 sous-parties :

  • Littératie (numérique) en santé
  • Évaluation des informations santé à l’ère des médias sociaux.
  • Fractures numériques et impacts sur la santé
    Les impacts sur le non-recours aux droits
  • Promotion de la santé et e-santé : pratiques et recommandations.
  • Plans politiques, services publics : les systèmes en action
  • Les technologies de l’information de la communication : des outils au service des professionnel·les et des citoyen·nes ?
    TIC et relation soignant·e-soigné·e

Une trentaine d’outils et ressources et une sitographie font suite à la sélection bibliographique.

Les ressources mentionnées sont disponibles au sein de notre centre de documentation ou directement accessibles en ligne (dernière consultation : mars 2021) ; les mots-clés apportent des précisions sur les contenus.

Le dossier thématique « Littératie numérique en santé » a fait l’objet d’une relecture par Périne Brotcorne, aujourd’hui sociologue au Centre Interdisciplinaire de Recherche Travail, État et Société (CIRTES) et assistante à la Faculté ouverte de politique, économique et sociale (FOPES) de l’UCLouvain.

Retrouvez le dossier thématique, ainsi qu’une multitude d’outils et ressources complémentaires sur le site de Cultures&Santé: https://www.cultures-sante.be/nos-outils/les-dossiers-thematiques/item/592-litteratie-numerique-en-sante.html

femmes maladies cardiovasculaires

Les femmes, les « oubliées » des maladies cardiovasculaires

Le 23 Mar 21

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Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès des femmes en Belgique, devant le cancer du sein. Pourtant, l’imaginaire collectif continue de considérer que la santé du cœur concerne davantage les hommes. Pour comprendre pourquoi ces maladies progressent chez les femmes alors qu’elles reculent chez les hommes, il faut pointer des inégalités de sexe [1] et de genre [2] aux lourdes conséquences sur la santé des femmes. Suivez-nous dans le parcours de soins (des facteurs de risques jusqu’au traitement) d’une femme victime d’un AVC ou d’un infarctus du myocarde, deux exemples parlants pour illustrer ce constat interpellant.

femmesmaladiescardiovasculaires

La prévention : les facteurs de risques

Dès le début, de nombreux stéréotypes de genre entourent les facteurs de risques des maladies cardiovasculaires. Ne considère-t-on pas souvent que ce sont les hommes les principaux consommateurs de tabac et d’alcool, et les femmes qui font plus souvent attention à leur ligne ? Contrairement aux idées reçues, les femmes sont de plus en plus concernées par les facteurs de risques tels que le tabagisme, la consommation d’alcool, le manque d’activité physique, le surpoids, l’obésité et le stress. Les femmes sont aussi plus susceptibles d’être plus vite ou plus gravement impactées par ces facteurs de risques que les hommes car, au niveau anatomique, leur cœur est en moyenne plus petit que celui d’un homme.

En matière de tabac, les hommes ne sont désormais que légèrement plus nombreux que les femmes à fumer (23% contre 21)[3]. Plusieurs enquêtes en France démontrent que les femmes commencent à fumer plus jeunes que les hommes, qu’elles le font plus régulièrement et qu’elles ont plus de difficultés à se sevrer car, pour 60% d’entre elles, la cigarette constitue un « anti-stress » et pour 19%, un « anti-prise de poids »[4].

De manière générale, les femmes consomment de l’alcool plus régulièrement et en plus grandes quantités qu’auparavant mais surtout elles y réagissent plus vite et plus intensément que les hommes, en raison d’un poids moyen moins élevé, mais aussi d’un foie et d’un cœur généralement plus petits.

52% des femmes européennes ne pratiquent pas d’activité physique, contre 40% des hommes [5]. Cela peut s’expliquer par la dévalorisation du sport féminin et par le manque de temps libre, car ces dernières consacrent près de 6 heures par semaine de moins que les hommes aux loisirs. Pourtant, les hommes sont davantage touchés par le surpoids (56,4% contre 47,8% de femmes) et l’obésité (18,8% contre 16,8% de femmes) de manière générale [6]. Il est intéressant de souligner que le poids des femmes fluctue davantage au cours de leur vie, au rythme de périodes de stress hormonal (grossesse, ménopause, etc.).

Les femmes ont en moyenne plus de problèmes d’anxiété, de stress ou de dépression qui peuvent s’expliquer par une charge mentale plus importante au quotidien, un stress professionnel parfois exacerbé par du harcèlement sexuel, ou des conditions de vie précaires (revenus plus faibles, temps partiels prépondérants, métiers « féminisés » dévalorisés, plus souvent à la tête de familles monoparentales, etc.). Ces différentes formes de stress génèrent un risque accru de maladies cardiovasculaires chez les femmes car ils provoquent en moyenne des effets plus importants sur leur système nerveux autonome.

D’autres facteurs transversaux peuvent jouer un rôle, tels que l’origine ethnique et l’âge. Or, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes mais en moins bonne santé. Ainsi, elles passent désormais 1/3 de leur vie en étant ménopausées, ce qui allonge leur période de vulnérabilité [7] aux maladies cardiovasculaires via une hypertension artérielle et un taux de cholestérol fréquemment plus élevés après 60 ans. La ménopause, comme d’autres étapes de la vie des femmes, est souvent accompagnée d’un traitement hormonal ou d’une contraception hormonale qui favorise des effets négatifs tels que la coagulation du sang et la formation de caillots. La combinaison avec le tabac peut multiplier par 30 le risque d’infarctus [8].

Par conséquent, développer une politique de prévention efficace en prenant le sexe et le genre en considération est très important. Cela constitue un enjeu majeur de santé publique car la plupart (80%) des maladies cardiovasculaires sont causées par des facteurs de risques liés à l’hygiène de vie, sur lesquels il est donc possible d’agir de manière très concrète au quotidien.

L’apparition de la maladie : des symptômes peu (re)connus

Le sexe et le genre influencent le diagnostic d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Les symptômes de ces deux maladies, bien identifiés du grand public, sont des signaux d’alerte spécifiques chez les hommes mais près d’une femme sur deux ne s’y reconnait pas. Les femmes sont davantage touchées par des maladies dites microvasculaires (à l’opposé des grandes artères coronaires chez les hommes), ce qui provoque des symptômes « atypiques » [9] chez ces dernières. De manière générale, les symptômes chez les femmes sont plus difficilement identifiables, et surtout, mal connus. Prenons le cas d’un infarctus du myocarde : une oppression thoracique, une grande fatigue persistante, des difficultés à respirer, des troubles digestifs, etc. Ajoutons à cela l’idée reçue selon laquelle les femmes sont moins concernées que les hommes par ces pathologies, et cela amène à de lourdes conséquences au niveau de la prise en charge des femmes malades. Tout d’abord, le manque de réaction de l’entourage : il faut en moyenne une heure de plus pour que l’entourage appelle un numéro d’urgence et ce sont rarement les partenaires masculins qui appellent en cas d’accident cardiaque [10]. Cela renvoie à la question du soin aux personnes (« care ») qui reste majoritairement pris en charge par les femmes. Or, les femmes elles-mêmes ont plus de difficultés à réaliser qu’elles sont victimes d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Dans ce contexte, en cas de malaise elles sont 27% moins susceptibles que les hommes de bénéficier d’un massage cardiaque, alors qu’il est indispensable à la réanimation du cœur [11]. Cela s’explique par la méconnaissance des symptômes mais aussi par la réticence des personnes à toucher la poitrine d’une femme même si elle se trouve en danger. La poitrine féminine n’est d’ailleurs pas prise en compte dans les cours de réanimation cardio-respiratoire puisque les mannequins utilisés sont exclusivement des torses masculins. 

La norme médicale se pense à partir des hommes et cela a des impacts dramatiques sur la santé des femmes.

Une prise en charge à deux vitesses

En réalité, les maladies cardiovasculaires ne concernent pas majoritairement les hommes : elles sont simplement davantage diagnostiquées chez eux ! Ainsi, les femmes malades entament le processus de prise en charge médicale avec deux heures de retard sur les hommes : le temps que l’entourage appelle les urgences. Une fois arrivées à l’hôpital, les femmes doivent en moyenne attendre une heure de plus que leurs homologues masculins avant d’être prises en charge par un·e cardiologue [12]. Le temps d’attente explique un nombre de décès plus important au sein de la gent féminine : entre l’admission aux urgences et la sortie de l’hôpital, le taux de survie atteint seulement 37% contre 55% chez les hommes [13]. 

Le sous-diagnostic chez les femmes s’explique aussi par la méconnaissance de ces symptômes « atypiques » par les professionnel·le·s de la santé : seuls 51.3% des étudiant·e·s en médecine sont conscient·e·s que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes dans le monde [14].  

Toutefois, les patientes ayant des symptômes « typiques » (c’est-à-dire similaires à ceux des hommes) ne sont pas mieux loties : elles ont trois fois plus de chances que les médecins expliquent leur état par des causes émotionnelles plutôt que par des causes biologiques du type trouble cardiaque [15]. Dans le cas d’une suspicion d’un AVC mineur, les femmes ont 10% de chances de plus de recevoir un tout autre diagnostic : une migraine par exemple [16]. De manière générale, les symptômes présentés par une femme ont plus de risques d’être identifiés comme relevant d’une forme de stress, de dépression ou de fatigue plutôt qu’une maladie cardiovasculaire. Ainsi, les femmes se voient prescrire des anxiolytiques plutôt qu’un rendez-vous chez un·e cardiologue. Le genre d’une personne influence donc le diagnostic posé par un·e professionnel·le de la santé ! 

La prise en charge et la prescription de certains examens sont également inadaptées : une femme aura 40% de chances en moins qu’un homme de se faire prescrire un examen des artères coronaires [17]. De plus, certains examens prescrits, comme l’angiographie, un examen radiologique réalisé au moyen d’un colorant, est inefficace pour le diagnostic de maladies microvasculaires dont les femmes sont davantage victimes. Certains résultats doivent d’ailleurs être interprétés différemment selon le sexe du patient, ce qui n’est pas toujours le cas. 

Les traitements

Une fois la maladie détectée vient l’étape du traitement. Or, trois inégalités de traitement ressortent :

  • les femmes subissent moins fréquemment des interventions dites « invasives » (pacemakers, chirurgie, cathéters, etc.) ;
  • certains traitements sont trop faiblement dosés car on a sous-estimé leur maladie ;
  • et les trois types de médicaments les plus couramment indiqués (dans certains cas de crises cardiaques) sont moins fréquemment prescrits aux femmes. Pourtant, les recommandations européennes ne font aucune différence en fonction du sexe pour la prise en charge médicamenteuse en la matière.

Le rétablissement

Globalement, les femmes ont, en moyenne, plus de difficultés à se remettre d’une maladie cardiovasculaire, quelle qu’en soit la forme. Cela peut s’expliquer par le fait qu’elles reprennent plus rapidement les activités ménagères ainsi que leurs responsabilités familiales. Mais un autre élément qui rentre en ligne de compte est le suivi éventuel d’un programme de réadaptation cardiaque prometteur. Cependant, ce programme est peu connu et le nombre de places y est limité. Seule une femme victime d’infarctus sur cinq y a recours, contre un homme sur trois [18], car ce programme est davantage prescrit aux hommes. De plus, les femmes y ont plus difficilement accès car elles disposent moins souvent d’un véhicule que les hommes et se déplacent donc en transports en commun. Ces dernières ont également tendance à retourner le plus rapidement possible à leur domicile pour prendre soin de leur famille, un rôle qui, encore aujourd’hui, leur incombe principalement.

Conclusion

Les maladies cardiovasculaires sont donc moins bien traitées chez les femmes que chez les hommes, et ce tout au long du parcours de soin. Les femmes ne seraient d’ailleurs que 26% à avoir déjà échangé à ce sujet avec un·e professionnel·le de santé [19]. Une prévention efficace passe donc avant tout par une information et une sensibilisation (campagnes, formation continue, etc.) tant du grand public que des professionnel·le·s du secteur psycho-médico-social. En identifiant mieux les facteurs de risques, les obstacles à la prise en charge féminine, et surtout les leviers à mettre en place pour les limiter, chacun·e aura les clés pour prendre sa santé en main et se prémunir au mieux des maladies cardiovasculaires.

En tant que mouvement féministe, nous ne pouvons que saluer et soutenir la recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui insiste sur l’importance de la prise en compte des dimensions de sexe et de genre dans tous les domaines de la santé et à toutes les étapes de soins, y compris via les essais cliniques et la généralisation de mannequins féminins pour l’apprentissage des massages cardiaques. Il s’agit là d’un passage absolument nécessaire pour atteindre une société réellement égalitaire.

Tous les éléments mentionnés dans cet article sont approfondis dans l’étude suivante :COLARD Fanny, « Femmes et maladies cardio-vasculaires. Quand une approche non genrée de la santé fait des ravages », Etude FPS, 2019

Webinaire « La santé du cœur, tous égaux ? », organisé par les Femmes Prévoyantes Socialistes, septembre 2020

[1] Lorsque nous évoquons des éléments biologiques liés au sexe d’une personne, le terme « femme » recouvre ici l’ensemble des personnes ayant des caractéristiques physiques féminines pouvant avoir une influence sur les maladies cardiovasculaires.

[2] Lorsque nous évoquons la notion de genre et particulièrement certains stéréotypes pouvant avoir une influence sur la façon dont les maladies cardiovasculaires sont prises en charge, les termes « femmes » ou « hommes » désignent l’ensemble des personnes s’identifiant à ce genre, tant par leur ressenti que par leur expression de genre.

[3] FONDATION CONTRE LE CANCERet GFK BELGIQUE, Enquête tabac 2018, p. 6

[4] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 5

[5] COMMISSION EUROPÉENNE, Special Eurobarometer 472. Sport and physical activity. Summary, mars 2018

[6] BELGA, «Un Belge sur deux est trop gros», RTBF Info, 05 février 2019.

[7] La grossesse est également une étape physiologique typiquement féminine qui demande une prise en charge adaptée du diabète de grossesse, d’une potentielle pré-éclampsie, des facteurs de risques d’une grossesse après 35 ans, etc.

[8] Alexandra BRESSON, « Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité chez les femmes », Santé Magazine, 29 décembre 2016

[9] On qualifie ces symptômes « d’atypiques » car la norme en médecine et dans la recherche est le corps masculin.

[10] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 14.

[11] Emmanuelle JUNG, « Les femmes reçoivent moins de massages cardiaques que les hommes à cause de… leur poitrine », MediSite, 06 juin 2019

[12] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 13.

[13] Ibid.

[14] Sylvie LOGEAN, « Les stéréotypes liés aux hommes et aux femmes s’immiscent jusque chez le médecin», Le Temps, 30 janvier 2018

[15] Muriel SALLE et Catherine VIDAL, « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? Penser la santé au prisme du sexe et du genre », Paris, 2017, p. 38.

[16] RTBF TENDANCE AVEC AFP, « Les femmes sont moins diagnostiquées pour un AVC mineur que les hommes », RTBF Info, 15 juillet 2019

[17] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, « Cœur, artères et femmes… », op. cit., p. 12

[18] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, « Cœur & Femmes », op. cit., p. 9

[19] Ibid.

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La mobilité est un déterminant de la santé

Le 24 Mar 21

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« Ensemble pour la santé », un projet initié par la Plate-forme d’action Santé & Solidarité (la PASS), fête ses cinq ans. À son actif, une mobilisation de citoyen·es et d’associations de différents secteurs et, depuis 2019, un chantier ouvert sur les liens ente santé et mobilité. Tour d’horizon de nos avancées où la crise sanitaire s’est invitée sans crier gare.

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Cet article a été initialement publié dans Bruxelles en Mouvement, n°309 novembre/décembre 2020, périodique édité par Inter-Environnement-Bruxelles et la Fédération des Comités de quartier et Groupes d’habitants. Retrouvez-le sur www.ieb.be/Accessibilites. Nous les remercions, ainsi que les auteurs, pour leur aimable autorisation de reproduction.

2017… Citoyen·es et professionnel·les de différents secteurs des quatre coins du pays se retrouvent pour échanger sur la santé. Car oui, les projets locaux qui misent sur la participation des citoyens font santé et la promotionnent très certainement. À l’origine de cet évènement, un groupe de professionnel·les issu·es des secteurs de la santé, de la promotion de la santé, du social, mais aussi quelques habitant·es passionné·es et impliqué·es dans des initiatives citoyennes. En 2019, plus fort·es de l’engagement et de la présence de citoyen·es, nous décidons de creuser la question des liens ente santé et mobilité. En 2020, la crise sanitaire s’est invitée à la table de nos échanges. Qu’à cela ne tienne, nous optons pour réorienter le projet en cherchant à cerner les effets du confinement sur la mobilité. Nous épluchons et échangeons des articles, travaillons à un questionnaire pour récolter des témoignages de citoyen·es et élaborons une grille de lecture pour croiser tout ce matériel.

Émaillées de témoignages, constats et interrogations, les lignes qui suivent vous proposent un morceau de notre cheminement.

Mobilité, santé et inégalités

2019, nous voici donc arrimés au thème de la mobilité. Nous passons d’abord par une étape de définition et de recueil de nos représentations sur ce que recouvre ce thème. Le constat est dressé: tous et toutes, nous partageons la conviction que la mobilité est un facteur qui influence positivement ou négativement notre santé. De ces échanges, se dégage une vision large de la mobilité: c’est le fait de pouvoir se déplacer aussi bien physiquement, au quotidien et sur le long terme (si on pense à la migration par exemple) que socialement et virtuellement (si on pense à la capacité à se projeter, à se déplacer sur l’échelle sociale).

La mobilité est étroitement liée à la santé, autrement dit c’est un « déterminant de la santé ». D’abord et parce qu’elle nous permet de nous mouvoir, la mobilité participe à notre activité physique et est vectrice d’autonomie et d’émancipation. Elle permet également l’accès aux services (sociaux et de santé), aux offres (alimentaires, de loisirs) et aux contacts sociaux. Aussi, les temps de déplacement plus ou moins longs peuvent jouer sur notre qualité de vie. Son accessibilité pour tous et toutes est donc un enjeu majeur de santé publique. Or, il existe encore de trop nombreuses inégalités, qu’elles soient géographiques (certains quartiers étant mieux desservis par les transports en commun que d’autres), physiques (des lieux publics n’étant pas toujours adaptés aux personnes à mobilité réduite), financières (se déplacer pouvant coûter cher), de genre (une femme seule ne se déplaçant pas de la même manière qu’un homme seul), psychologiques (sentiment d’insécurité routière, prises de risque), environnementales (pollutions sonores, circulation accrue), ou encore administratives (circulation des personnes sans papier).

Ces inégalités peuvent se cumuler, entravant encore davantage la capacité d’une personne à se mouvoir et impactant in fine sa santé.

Et la Covid dans tout ça?

En mars, le confinement stoppe net la liberté de circulation, impactant par là également la santé des populations: report de soins, approvisionnement alimentaire au plus proche même quand l’offre est réduite, diminution des contacts sociaux, isolement, sédentarité… Le moral et la santé mentale des Belges en prennent alors un coup!

Ici aussi, les conséquences sur la santé de la population se voient réparties inégalement. Et les médias le relayent fortement : la crise du coronavirus exacerbe des inégalités préexistantes, voire crée de nouvelles inégalités.

Pour documenter la manière dont cela est vécu par notre groupe, nous effectuons une dizaine d’interviews par téléphone. Une façon également de maintenir le lien avec les citoyen·es malgré l’arrêt des activités.

Voici quelques retours de ces témoignages et de nos réflexions à ce propos.

Si certaines personnes ont limité au maximum leurs déplacements (par peur du virus, par méconnaissance ou incompréhension de certaines règles, par peur des contrôles d’identité), d’autres ont redécouvert la marche comme mode de déplacement privilégié: «Pendant le confinement j’ai pris du poids et mon médecin m’a demandé de faire plus d’activité physique alors je marche beaucoup et comme ça j’évite d’être avec les gens». Pour d’autres encore, les déplacements ont été facilités pendant le confinement : «Mon mari ne travaillait pas, donc la voiture était toujours disponible», «Mon trajet vers le bureau me prenait 40 minutes au lieu d’une heure trente habituellement».

Quel que soit leur quartier, les interviewé·es ont tous ressenti une amélioration de leur environnement lors du confinement. Ils témoignent d’une diminution des bruits et de la pollution ainsi que d’une meilleure qualité de l’air : «J’ai pu observer la diminution de la pollution sur ma peau et mes cheveux : mon coton de visage était propre tout le temps du confinement!», «Durant le confinement, c’était comme des dimanches sans voiture».

Si les reports de soins pendant le confinement ne sont pas liés directement à la mobilité mais à l’annulation des rendez-vous par les services de santé, notons qu’ils ont pu impacter la santé physique des personnes et par là leur mobilité: «Je bénéficie d’un traitement aux orteils régulièrement et je n’ai pas pu en bénéficier pendant le confinement alors que cela impacte ma capacité à marcher». La numérisation des services sociaux et de santé pour répondre aux mesures de sécurité liées au Covid pose la question de leur accessibilité: la fracture numérique est encore très forte.

Comme énoncé plus haut, la mobilité comme nous l’entendons n’est pas uniquement quotidienne et immédiate, elle dépasse les frontières, en témoigne cette personne: «Mon plus grand regret est de ne pas pouvoir partir au Maroc car les frontières sont fermées et qu’il y a beaucoup de Corona. D’habitude je pars chaque année au Maroc».

La réduction des contacts sociaux a plongé certaines personnes dans un état d’isolement. L’impossibilité de rendre visite aux proches est particulièrement difficile à vivre pour les personnes qui vivent seules ou qui sont à risque. Ces témoignages vont dans le sens de l’enquête réalisée par Sciensano: près de 60% des sondés sont insatisfaits de leurs contacts sociaux. Ils n’étaient que 8% dans l’enquête santé de 2018 [1].

Enfin, notons que la crise sanitaire a entraîné une nouvelle répartition de l’espace public: de longues files sur les trottoirs, des aménagements temporaires, une augmentation du nombre de cyclistes…

Aujourd’hui, alors que nous sommes dans un nouveau confinement, mais moins strict que le précédent, nos déplacements sont soumis à une nouvelle contrainte: celle du port du masque dans les transports en commun et les espaces publics à forte fréquentation. Est-ce que cela entrave la mobilité de certaines personnes? Ou au contraire, cette mesure peut-elle les rassurer, leur permettant ainsi d’oser sortir? La question reste ouverte.

Les citoyen.nes prennent les rênes

Divers mouvements et initiatives citoyennes ont émergé pour répondre, dans l’urgence, aux besoins de certaines personnes particulièrement fragilisées par la crise sanitaire [2].

En effet, de nombreu·ses habitant·es ont rencontré des difficultés à s’approvisionner pour des raisons financières, mais également pour des raisons de mobilité ou d’accessibilité aux denrées. Pour répondre à ces difficultés, des réseaux d’entraide, allant d’un niveau familial ou de voisinage à des initiatives plus structurées, sont apparus au sein des quartiers. Des mouvements citoyens se sont organisés pour collecter des vivres (comme «Collectmet») ou même les livrer (comme les Brigades populaires de Saint-Gilles).

Des initiatives citoyennes, s’apparentant selon les dires des participant·es à de vrais apprentissages d’organisation de solidarité, ont aussi vu le jour. Ainsi, près de la porte d’Anderlecht, des bénévoles se sont organisés pour collecter les invendus des magasins et les redistribuer et, ce faisant, se sont découverts une vraie fibre civique: «Avec un groupe de potes, on s’est dit qu’on ne pouvait pas rester les bras ballants quand on savait que dans le quartier il y avait des situations très compliquées… Première démarche, pas simple, convaincre les responsables de petites enseignes du coin de céder leurs invendus puis penser au dispatching. On savait qui avait besoin mais comment approcher ces personnes ? Il a fallu gagner la confiance… Puis on s’est organisés; le groupe de bénévoles s’est élargi, le bouche à oreille a fonctionné. Maintenant, on nous a à la bonne dans le quartier, on a l’impression qu’on fait partie d’une communauté, bien soudée» commente Olivier.

L’espace public a également été réapproprié par les habitant·es. Tel est le cas, par exemple, de la rue ouverte à Molenbeek. Comment s’échapper des appartements confinés ou trop exigus et/ou rompre l’isolement sans aller très loin? Des riverains ont fait en sorte que des rues puissent être investies de jeux d’enfants et des papotes entre voisin·es… Voitures non admises et distances physiques respectées !

On observe donc, dans cette période de confinement et de renforcement des inégalités, de nombreuses initiatives nées au plus proche des réalités. Nous ne relevons que quelques exemples mais il en existe quantité d’autres qui témoignent aussi de la créativité et de la pertinence de ces actions. Elles se sont développées pour répondre à des besoins et se sont adaptées rapidement, en regard de l’évolution de la situation, là où les dispositifs politiques traditionnels ont été lents à se mettre en place.

Vers un plaidoyer communautaire

Ces initiatives citoyennes sont l’illustration d’une capacité d’observation et d’écoute des personnes et des quartiers, de réactivité, de réflexion et d’entraide. Elles confortent dans l’idée, déjà défendue par la plateforme Agora [3], qu’il y a urgence à inclure la population dans les prises de décision. Dans son courrier à la Première Ministre, cette plateforme, comme tant d’autres, a marqué son étonnement quant aux profils des experts censés conseiller nos politiques face à cette pandémie: acteurs sanitaires (épidémiologistes, virologues) ou économiques. Quelle place pour les citoyen·es ? La gestion de cette crise semble les avoir envisagé·e·s comme des destinataires de consignes d’hygiène à suivre, voire comme responsables de la propagation du virus… leur faisant endosser des rôles, tels que confectionner des masques et des équipements pour nos soignant·es ou mettre en place les dispositifs d’urgence exemplifiés plus haut, pour pallier l’imprévoyance ou le manque de réactivité de celles et ceux qui nous gouvernent. Les citoyen·es ont pourtant montré bien d’autres compétences et capacités d’initiatives.

Quelle place pour les citoyen·es ? La gestion de cette crise semble les avoir envisagé·e·s comme des destinataires de consignes d’hygiène à suivre, voire comme responsables de la propagation du virus…

Le projet Ensemble pour la Santé parie sur les expertises d’habitant·s, expert·es de leur vécu, croisées avec celles d’associations (des secteurs de l’éducation permanente, de la promotion de la santé, du social, ou d’autres impliquées dans la mobilité). Ensemble, nous partageons nos constats et questions, soutenu·es dans notre réflexion par des études, des enquêtes, des échanges et des observations présentées et mises en débat par d’autres associations expertes dans les questions de mobilité (comme par exemple Provélo, Responsible Young Driver, IEB ou le Bral). La constitution et la manière de travailler du groupe évoluent au gré de ces rencontres et débats: un état des lieux se construit. Et progressivement émergent des propositions, des idées pour pallier des manques et répondre à des besoins simples ou plus complexes. Ensemble, nous réfléchissons aux possibles changements, nous construisons un plaidoyer communautaire pour une mobilité plus équitable.

Si ces questions vous intéressent ou si vous vous retrouvez dans ces démarches, n’hésitez pas à nous contacter via le site d’Ensemble Pour la Santé (www.samenvoorlasante.be) ou via la page Facebook (Samen voor gezondheid – Ensemble pour la santé)!

En complément de cet article, découvrez également l’article « Démarche communautaire et mobilité en santé » de Frédéric Dejou, Les Pissenlits asbl, paru dans Bruxelles en Mouvement, n°309, novembre/décembre 2020, périodique édité par Inter-Environnement-Bruxelles et la Fédération des Comités de quartier et Groupes d’habitants. Retrouvez-le sur www.ieb.be/Accessibilites.

Rapport « Ce que la première ligne a découvert durant la première vague de covid : en mode collaboratif et digital, ça fonctionne mieux ! »

Le 30 Mar 21

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En 2020, le Fonds Dr. Daniël De Coninck a rapidement répondu aux SOS des prestataires de première ligne qui demandaient un soutien afin de pouvoir agir vite. Une enquête auprès des 365 organisations soutenues montre ce que le soutien leur a permis de faire et quelles sont les leçons tirées pour l’avenir.  Ce rapport nous montre bien ce qu’accomplissent les pionniers lorsqu’on leur accorde un peu d’air.

[extrait de la publication]

Les crises sont des catalyseurs de changement. La pandémie de coronavirus ne fait pas exception à la règle. Elle a continuellement et durablement (re)modelé les soins primaires belges. Entre autres sur quatre plans :

  • Les nombreuses disciplines actives en première ligne* se sont rapprochées. L’heure est désormais à la collaboration.
  • Par ailleurs, la digitalisation a investi les relations avec les patients et les clients, et la numérisation interne a, à son tour donné un élan supplémentaire à la collaboration mutuelle.
  • Tout ceci concourt à une évolution des soins primaires vers des soins communautaires intégrés (Integrated Community Care).
  • Les soins primaires sont également devenus plus prévoyants : ils se constituent des réserves et apprennent à réagir aux crises inattendues.

Il n’y a pas que les hôpitaux qui méritent des applaudissements. Le coronavirus a dopé les soins communautaires intégrés.

Retrouvez la publication complète: Rapport « Ce que la première ligne a découvert durant la première vague de covid: en mode collaboratif et digital, ça fonctionne mieux! », G. Tegenbos, Fondation Roi Baudoin, 2021

business people meeting at office and use post it notes to share idea. brainstorming concept

Co-construire une évaluation au départ de données collectées sur le terrain

Le 18 Fév 21

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Au centre de deux séminaires « Evaluation » : la démarche d’évaluation mise en place par Prospective Jeunesse dans le cadre de son offre de formation-accompagnement. Une opportunité pour les participants de découvrir un cas concret et de travailler sur des données qualitatives collectées six mois après la formation. 

business people meeting at office and use post it notes to share idea. brainstorming concept

Depuis mai 2019, ESPRIst-ULiège organise des séminaires « évaluation » à destination des acteurs intervenant dans le champ de la santé et de ses déterminants sociaux en Région wallonne. Ces rencontres suscitent l’intérêt de participants issus de secteurs variés et actifs en promotion de la santé, dans un milieu de vie particulier ou de manière transversale. 

Le but ultime poursuivi par ESPRIst-ULiège est de susciter l’intérêt pour l’évaluation participative et négociée. Pour ce faire, la méthodologie associe des présentations de cas concrets et des cadrages théoriques et méthodologiques. Au fil des rencontres émergent des balises essentielles à tout projet d’évaluation. 

En 2020, plusieurs séminaires ont été organisés en présentiel et en virtuel. En mars, une première séance a repositionné les repères théoriques et méthodologiques de l’évaluation participative et négociée abordés l’année précédente. C’est à l’automne que se sont tenus deux séminaires organisés en collaboration avec Prospective Jeunesse. 

Dans cet article, nous entendons disséminer davantage les réflexions sur ce cas précis dans lequel les acteurs de promotion de la santé pourront trouver un écho utile pour développer leurs pratiques d’évaluation. 

Qui est Prospective Jeunesse?

Prospective Jeunesse (PJ) est un centre d’étude et de formation, fondé en 1978 et subventionné par le Service public francophone bruxellois et l’AViQ. PJ dispose d’une grande expérience dans l’accompagnement des adultes, relais des jeunes, et dans la prévention des consommations problématiques et des dépendances aux produits psychotropes ou aux écrans chez les jeunes. Les activités de PJ s’articulent autour de trois axes : 

  • L’information et la sensibilisation via la parution d’une revue trimestrielle traitant de thématiques pointues en lien avec les consommations. 
  • Les consultations psychologiques à destination de consommateur.trice.s et/ou leurs proches. 
  • Les formations et accompagnements qui se réalisent principalement avec les adultes, au départ de demandes reçues, et qui permettent, entre autres, de travailler à la cohérence interne d’une équipe, à la posture à adopter face aux consommations problématiques, mais aussi à la prise en compte de la parole des jeunes. Les publics sont principalement les écoles ou encore le secteur de l’Aide à la jeunesse. L’objectif est de réunir le maximum de personnes autour d’un projet commun, depuis les encadrants jusqu’à la direction, en passant par les jeunes. Certaines formations sont programmées, tandis que d’autres peuvent être données à la demande. Elles se veulent participatives et interactives. 

Pour en savoir plus sur les missions et activités de Prospective Jeunesse : https://prospective-jeunesse.be/ 

Un dispositif d’évaluation à 6 mois

Comme d’autres acteurs en promotion de la santé, PJ a entamé une réflexion sur l’évaluation de ses projets et plus particulièrement des accompagnements et des formations sur mesure. Le but poursuivi est d’avoir un aperçu sur l’appropriation de ce qui a été vu et vécu en formation (changements d’attitude, culture institutionnelle enrichie, se sentir plus à l’aise pour parler des consommations, etc.), et également de porter un regard sur le chemin parcouru pour éventuellement identifier de nouveaux besoins ou pistes d’action.

Dans un premier temps, ce dispositif d’évaluation à 6 mois n’était pas formalisé ; il s’agissait plutôt d’un retour d’expériences et d’une manière d’inviter les participants à garder un lien avec la formation. Ensuite, ce dispositif a été construit et intégré à la formation comme module à part entière. Ainsi, dès le début de la formation, les participants sont informés du déroulement de cette rencontre, six mois après la formation.

Le module d’évaluation a été construit sur base de la méthode des Chapeaux d’Edouard De Bono. Les chapeaux de couleurs différentes invitent la personne à sortir de son raisonnement habituel en passant par différents modes de pensées : le factuel, l’émotionnel, le prospectif, etc. Cette méthode a montré des résultats intéressants dans le cadre de ce dispositif, permettant aux participants de réfléchir, six mois plus tard, aux apports de la formation et de se rendre compte, parfois, qu’ils ont déjà avancé sur ces problématiques de consommations et de dépendances, que le changement demande du temps et nécessite de mobiliser les ressources de l’institution.

Rapidement a émergé la question du traitement de ces données « vivantes » issues de ce module d’évaluation. C’est l’étape à laquelle PJ est arrivée à présent. Comment formaliser ces résultats, afin de faire évoluer les pratiques des intervenants, mais aussi de les faire remonter vers les pouvoirs subsidiants qui ont des canevas d’évaluation en décalage avec les pratiques de la seconde ligne? Comment se saisir pleinement de ces données et construire quelque chose de solide ? C’est à cette réflexion que le séminaire évaluation de ESPRIst-ULiège entendait contribuer au travers des ateliers et des échanges entre participants issus de secteurs et de niveaux institutionnels divers.

Un séminaire évaluation ancré dans la pratique 

En 2019, ESPRIst-ULiège invitait les participants aux séminaires à soumettre un cas concret d’évaluation pour de futurs séminaires. C’est ainsi qu’a été construit, en collaboration avec Prospective Jeunesse (PJ), le séminaire : « Objets, critères et indicateurs ; comment les construire et les identifier au départ des données collectées sur le terrain ? »

Après avoir découvert la démarche d’évaluation mise en place par PJ les participants ont travaillé sur des données qualitatives collectées lors de séances d’évaluation à 6 mois. Ces données sont présentées dans des tableaux où chaque colonne correspond à un chapeau de De Bono :

  • Blanc : Les faits : Ce dont on se souvient.
  • Rouge : Les émotions : Comment on se sent à ce stade par rapport à sa pratique.
  • Jaune : La critique positive : Ce qu’on a mobilisé et qui a bien fonctionné.
  • Noir : La critique négative : Ce qui n’a pas bien fonctionnée ou qui a manqué.
  • Vert : La créativité : Ce qu’on pourrait mettre en place aujourd’hui.
  • Bleu : La neutralité : Ce qui ressort de cette session à 6 mois.

Un glossaire accompagnait chaque tableau afin de permettre aux participants de comprendre les outils et concepts particuliers auxquels les participants aux formations font référence lors de la session.

Faire émerger les objets d’évaluation au départ d’un matériau collecté sur le terrain 

L’exercice proposé lors des ateliers du 18 septembre, différentes facettes de l’évaluation ont été évoquées : les finalités, les questions évaluatives et les objets. 

Le point de départ est une question évaluative formulée par l’équipe de PJ « Quels sont les effets des formations sur les pratiques professionnelles des participants ? » 

L’équipe de PJ a présenté ses activités et ses options méthodologiques ainsi que son dispositif de formation-accompagnement et d’évaluation. Deux ateliers ont été organisés. Dans chaque atelier, les données qualitatives sont présentées de façon identique, mais portent sur des interventions de formation différentes. 

En début d’atelier, chaque participant est invité à prendre connaissance des données brutes, recueillies par PJ durant leur module d’évaluation. Ensuite, individuellement, chacun a inscrit, sur des post-it, quatre éléments qui lui semblaient répondre à la question évaluative. Les participants ont ensuite expliqué leurs choix et procédé à des regroupements d’idées. C’est au travers de ces processus d’explicitation et de catégorisation qu’émergent une série d’objets sur lesquels on souhaite faire porter l’évaluation : les ressources et outils, l’évolution des pratiques professionnelles de l’équipe, la posture professionnelle, l’évolution des représentations, la formalisation, la mise en pratique, le processus de formation et les savoirs. Chaque objet a été détaillé et enrichi d’informations directement issues des données de départ. Cette catégorisation est représentée dans la mindmap. On y voit apparaître, sous chaque objet, les éléments retenus qui préfigurent les critères d’évaluation. Les flèches montrent les liens causaux voire temporels entre les catégories d’objets, qui s’enchainent logiquement ou se renforcent mutuellement. 

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Définir des critères et des indicateurs utiles et réalistes 

Quelques semaines plus tard, l’exercice a été poursuivi au départ de la mindmap, plus particulièrement, sur deux objets d’évaluation ; les « ressources et outils » et la « posture professionnelle individuelle ». 

La connaissance du contexte de la formation par PJ et l’œil extérieur apporté par les participants ont permis d’affiner progressivement la vision des objets pour aboutir à des critères et des indicateurs. C’est la confrontation des points de vue ainsi que les allers et retours dans la réflexion qui permettent d’aboutir à des indicateurs pertinents et réalistes. 

Dans une démarche d’évaluation pleinement participative et négociée, les professionnels formés par PJ pourraient – pourquoi pas – se voir impliqués de la sorte dans la définition et la négociation des critères et indicateurs d’évaluation. 

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Les critères sont précisés au départ des contenus évoqués durant la première séance et rassemblés sous chacun des objets de la mindmap. Les indicateurs sont choisis en fonction de leur utilité, de leur faisabilité, de leur proximité avec la réalité étudiée. Les indicateurs proposés ici devraient encore être affinés en définissant quel est le seuil, la proportion à partir de laquelle on jugera que la formation est pertinente ou au contraire doit être revue ; on peut aussi observer la progression des indicateurs au fur et à mesure que l’on adapte les formations.

Pour répondre à la question « La formation a-t-elle eu un effet sur les ressources mobilisées par les participants », deux critères complémentaires ont été investigués. L’un d’entre eux est le souvenir des outils présentés lors de la formation, avec pour indicateur :  la proportion des participants citant une majeure partie des outils. L’autre critère est l’utilisation des outils dans la pratique avec pour indicateur : la proportion des participants ayant utilisé un ou plusieurs outils six mois après la formation. Ce dernier indicateur peut être complété qualitativement par une description des modalités d’utilisation et d’appropriation de cet outil en contexte. 

Pour répondre à la question « la formation a-t-elle eu un effet sur la posture professionnelle de participants », on passe par un critère intermédiaire fondamental pour PJ : la lecture tri-variée des situations de consommation. Cette approche implique de concevoir les consommations comme la résultante d’une combinaison d’éléments de contexte, de facteurs individuels et de caractéristiques du produit consommé. Pour permettre aux professionnels de prendre du recul par rapport aux situations de consommation, d’atténuer leur vision problématique de celles-ci et de diminuer leur stress face à de telles situations (objet : posture), il importerait donc de passer par une évolution de ces représentations (objet : représentations). En conséquence, deux indicateurs sont retenus en lien avec l’évolution de la posture et deux indicateurs en lien avec l‘évolution des représentations. 

Les grains de sable essentiels

La formation donnée par PJ implique un double niveau d’intervention. Les dimensions collectives et individuelles interviennent et sont fondamentales dans la compréhension du contexte de l’évaluation. Le matériau brut ne permet pas toujours d’identifier clairement si les personnes parlent en leur nom ou au nom de leur équipe. Certes le matériau n’est pas parfait, mais il existe et permet à PJ de se questionner et d’envisager l’évolution du dispositif d’évaluation à 6 mois. 

La temporalité du dispositif d’évaluation à 6 mois a été un élément essentiel dans la définition des critères et des indicateurs. Spontanément, dans l’exercice, les participants citent des propositions qui relèvent davantage d’une évaluation au sortir de la formation plutôt que d’une évaluation à 6 mois. Dès lors, il importe de bien questionner la pertinence de chaque critère en regard de cette dimension temporelle. 

Ce dispositif d’évaluation à 6 mois illustre la maigre frontière entre évaluation formative et sommative. En effet, PJ endosse à la fois la casquette de formateur et celle d’évaluateur. Au-delà de l’évaluation, il s’agit de continuer à former, de renforcer les acquis et de favoriser leur transfert dans la pratique, de créer de la cohésion au sein de l’équipe formée. De plus, ce dispositif est intégré dès le départ dans l’offre de formation, en ce sens qu’il se déploie dans la continuité de l’apprentissage.

Perspectives pour les séminaires « Evaluation » de ESPRIst-ULiège

Le format de ce séminaire semble avoir été particulièrement formateur pour les participants. Enclencher la réflexion collective sur un projet d’évaluation en pleine construction est vécu comme une démarche motivante. Ce séminaire a suscité de nombreux échanges entre professionnels amenant une diversité de perspectives dans l’évaluation. 

De plus, la démarche proposée pour les exercices se voulait intuitive et transférable au sein des équipes. Certains y ont vu la possibilité de mener une réflexion en interne sur les dispositifs d’évaluation (de formation ou autres) et de transposer l’exercice dans leur structure en impliquant leurs collègues ou en les accompagnant dans le processus de co-construction. Certains ont découvert la possibilité d’identifier les objets d’évaluation au départ de données brutes en se distançant des modèles théoriques. 

Au terme de ce séminaire, les participants ont toutefois voulu partager une inquiétude. Si de telles pratiques d’évaluation font sens pour les professionnels, ceux-ci redoutent qu’elles soient peu valorisées par les pouvoirs subsidiants. Comment construire un langage commun avec ces derniers ? Est-il possible d’adopter un référentiel d’évaluation commun qui rencontre aussi leurs contraintes ? 

Vous aussi, vous souhaitez partager vos expériences et interrogations sur l’évaluation ? 

En 2021, une des rencontres sera consacrée à l’évaluation du partenariat. Si vous souhaitez être impliqué dans la préparation de celle-ci, contactez l’équipe ESPRIst-ULiège par mail esprist.appui@uliege.be 

(1) Lecture qui met en relation trois variables

Pair-aidance et pratiques participatives : le vécu au coeur de la réflexion du secteur du social et de la santé

Le 30 Déc 20

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La pair-aidance et les pratiques participatives sont “des façons de faire” qui recouvrent une multitude de pratiques et d’acteurs issus de différents secteurs du social et de la santé. Rendre compte de cette diversité, rassembler ses acteurs, partager les outils et les expériences, et donner envie à d’autres de “sauter le pas”, tels étaient les objectifs de la plénière organisée fin septembre par les asbl SMES, En Route et le Réseau Nomade en guise d’introduction au cycle de rencontres qu’ils organisent.

Pair-aidance et pratiques participatives : le vécu au coeur de la réflexion du secteur du social et de la santé

La pair-aidance désigne la participation professionnelle d’ancien.ne.s bénéficiaires de services sociaux ou de santé au sein de dispositifs psycho-médico-sociaux. Ces pair.e.s-aidant.e.s, parce qu’elles et ils ont cheminé vers le rétablissement et vers une meilleure qualité de vie, peuvent mettre leur expérience au service d’autruiNote bas de page.

Le concept n’est pas nouveau, des projets le mettent en pratique depuis des décennies déjà en Belgique, à l’instar des projets “Boules-de-neigeNote bas de page“ par exemple dans le champ de la réduction des risques liés à l’usage de drogues. Pourtant, cela reste encore relativement marginalNote bas de page. “Un besoin de renouveau en matière de social, une volonté de définir des dispositifs dans lesquels l’institution s’adapte aux spécificités des bénéficiaires plutôt que de leur imposer des conditions. A l’heure où le travail social est distordu par le culte de l’activation, ce décentrement est essentiel.” Il s’agit ici de donner la parole aux premier.e.s concerné.e.s et reconnaitre le vécu et l’expérience de chacun.e comme une plus-value dans l’accompagnement des personnes, dans la relation avec le professionnel du social, de la santé, dans le projet, dans la construction d’un savoir collectif, de besoins et de revendications communes… Dans son introduction, Tommy Thiange (membre du Réseau Nomade) insiste sur le fait que “l’écoute de cette parole, sa prise en compte, a un effet positif tant sur le/la bénéficiaire, l’usager.e, le/la patient.e, que sur le/la professionnel.le. La participation des pairs humanise le soin. Elle tisse des liens entre l’usager et le professionnel, elle permet de développer une relation d’aide plus équilibrée, plus horizontale, plus partagée. C’est en fait une opportunité pour créer, construire, une relation basée sur les savoirs et les ressources de chacun.e. Dans une société qui se veut démocratique, prendre en compte la parole des premier.e.s concerné.e.s devrait relever de l’évidence.” Plusieurs acteurs participent à l’émergence et à la visibilité de la pair-aidance en Belgique francophone ces dernières années. On peut citer l’asbl En RouteNote bas de page qui “ fédère les pairs-aidant.e.s, qu’ils/elles soient rémunéré.e.s ou bénévoles, et promeut la professionnalisation de cette pratique. (…) La pair-aidance, dans une équipe d’accompagnement et de soins, apporte une certaine forme d’aide et de complémentarité par rapport aux outils dont dispose l’équipe, une compréhension mutuelle par rapport aux usagers ou aux bénéficiaires, une traduction de leur réalité et surtout une manière complémentaire de mieux répondre aux besoins de toutes ces personnes qui cherchent à se rétablir », comme nous l’explique Stéphane Waha (membre de l’association).

Autre acteur-clé et co-organisateur de cette matinée, le Réseau Nomade regroupe à Bruxelles une quinzaine d’associations impliquées dans la participation des pairs Il a pour mission de promouvoir les pratiques participatives au sein du secteur social-santé et de susciter la réflexion et les échanges sur ces sujets, que ce soit au travers d’évènements, de groupes de travail, etc. Un focus particulier est mis sur la pair-aidance et les groupes d’auto-support.

Son site www.reseaunomade.be propose des ressources théoriques, un agenda, ainsi qu’un répertoire des expériences participatives en Belgique et ailleurs.

Carrousel de pratiques

L’implication et la participation de pair-aidant.e.s peut prendre de multiples formes. Démarrons avec les projets Housing FirstNote bas de page, dont le modèle implique l’intégration de pair-aidant.e.s. Au travers de ceux-ci, le SmesNote bas de page entend promouvoir cette pratique comme « une démarche permettant d’améliorer l’accès des publics plus fragiles à l’aide et aux soins». Le public final auquel s’adresse le Smes sont des « personnes qui cumulent des problématiques de précarité sociale, de santé mentale et d’addiction. Par ce cumul des problématiques, ce sont des personnes qui rencontrent d’importantes difficultés à accéder à l’aide sociale et aux soins de santé, qui sont pourtant des droits fondamentaux » (Matthieu De Backer, directeur).Nous continuons le tour par les groupes d’entraide avec Le FunambuleNote bas de page, une association de personnes qui vivent avec un trouble bipolaire et leurs proches. « Il faut casser cette image de ‘bras-cassés qui se regroupent entre eux » appuie l’une des participantes, « il y a un réel travail de sensibilisation qui peut être fait », tant sur les représentations que sur le bénéfice de la participation des pairs.Mêmes échos auprès du groupe ‘Médocs’ de L’Autre LieuNote bas de page : « Je suis toujours en recherche par rapport à la médication. Le seul lieu où je pouvais en discuter, c’est le cabinet médical. Le groupe Médocs (…) me donne d’autres sons de cloches, d’autres voix. Pour moi, ça répond à un réel besoin. J’avais beaucoup de questions qui ne trouvaient pas de place et pas d’écho. Ici, on échange avec beaucoup de personnes à ce sujet » (un membre du groupe). Mais le groupe Médocs va plus loin que la démarche de soutien, c’est aussi un groupe de co-production de savoirs en santé mentale. Ils souhaitent, par exemple, élaborer un outil de sensibilisation sur la prise de médicaments, ou encore produire des cahiers de revendications, des argumentaires. « On ne prétend pas avoir la vérité mais ce qui nous intéresse, c’est de discuter avec des professionnels de la santé mentale, avoir un vocabulaire commun, ne pas être trop dans le témoignage, dans l’expérientiel mais avoir une discussion « au même niveau », avec des personnes qui sont considérées comme experts. On a beaucoup de choses à dire sur notre vécu » (un membre du groupe)

Dans ce carrousel de découvertes de pratiques liées à la pair-aidance, on retrouve également les espaces de parole du collectif Sylloge, les anciens espaces de parole de La Strada et le collectif C-Prévu, créé par d’anciens SDF. La volonté de ces collectifs est de donner la voix à celles et ceux qui n’en ont pas l’occasion ou le droit pour ainsi sensibiliser lNote bas de pagee grand public et les politiques à leurs situations de vie.Autre groupe, autre pratique : nous retrouvons l’expérience d’UTSOPI, « un collectif par les travailleur.euse.s du sexe, pour les travailleur.euse.s du sexe (…) auto-géré, auto-organisé, qui fait de l’auto-support ». Maxime Maes (coordinateur d’UTSOPI) ajoute également que le collectif ne se reconnaît pas dans les termes « pair-aidant.e.s », ils ne se définissent pas ainsi. En effet, ce vocable fait référence, pour les membres du collectif, à la présence et à la supervision (même bienveillante) de travailleurs sociaux, psys ou issus du secteur médical. Outre créer des espaces sécurisés et bienveillants pour se regrouper, le collectif développe également un travail de plaidoyer sur de multiples thématiques les concernant. « Notre mot d’ordre est « rien à propos de nous sans nous ».Et c’est ainsi que se termine ce premier tour de présentation des pratiques participatives impliquant des pair-aidant.e.s… mais celles-ci revêtent encore de multiples formes. « La participation des pairs est un terrain mouvant, la recherche de l’équilibre est constante. Rien n’est jamais acquis et c’est finalement à l’image de la complexité des relations humaines, et en particulier de celles qui se nouent dans le cadre de l’aide et du soin. » (Tommy Thiange, membre du Réseau Nomade

« Y’a-t-il moyen d’être pair-aidant.e.s quand on n’a pas vécu les mêmes choses ? Est-ce qu’une personne qui vit avec un trouble bipolaire est capable d’accompagner une personne schizophrène, est-ce qu’un parcours de vie est quelque chose qu’on est capable de partager avec une personne qui a l’expérience de la drogue et des addictions ? En fait, oui. On partage certaines choses même si l’origine de nos vies est très différente. Ce qu’on partage, c’est ce dont on se remet : le décrochage social, la perte totale de l’estime de soi, le désespoir et les rêves qui s’évanouissent. » (Stéphane Waha, membre d’En Route)

Cartographie de la pair-aidance

Le Smes et Le Forum – Bruxelles contre les inégalités ont réalisé un état des lieux de la pair-aidance en Fédération Wallonie-Bruxelles, paru en février 2020. Le but est d’objectiver le développement de ces pratiques et illustrer leurs diversités. Voici une cartographie des pratiques par secteur :

Santé mentale

Addictions et Réduction des Risques

Précarité

Travailleur.euse.s du sexe

  • UTSOPI (Union de Travailleur.euse.s du Sexe Organisé.e.s pour l’Indépendance) – toute la Belgique : www.rainbowhouse.be/fr/association/utsopi
  • Espace P (Accompagnement de travailleur.euse.s du sexe) – Régions wallonne et bruxelloise : www.espacep.be
  • Alias asbl (Accompagnement travailleur.euse.s du sexe) – Région bruxelloise : www.alias-bru.be

Aide aux victimes

  • Brise le silence asbl (Aide aux victimes de violences sexuelles, physiques et psychologiques) – Mons et Région wallonne : www.briselesilence.be

Sensibilisation à la pair-aidance 

Outre cette cartographie, le Smes et Le Forum – Bruxelles contre les inégalités ont également édité un guide méthodologique à l’intention de toute association souhaitant se lancer dans l’aventure et d’engager un.e pair-aidant.e dans sa structure. Partant de l’analyse des besoins jusqu’à l’accompagnement et l’évolution de la fonction, ce guide soulève toutes les questions que l’on est amené.e à se poser successivement lorsqu’on initie cette réflexion et cette démarche.

Retrouvez l’état des lieux et le guide méthodologique ici :ALLARD M., LO SARDO S., La Pair-aidance en Fédération Wallonie-Bruxelles – Etat des lieux – Guide méthodologique, Le Forum et le Smes, Bruxelles, 2020.Disponible en ligne via https://smes.be/fr/la-pair-aidance-en-federation-wallonie-bruxelles/ ou https://www.le-forum.org/uploads/Pair-aidance-web.pdf

ALLARD M., LO SARDO S., La Pair-aidance en Fédération Wallonie-Bruxelles – Etat des lieux – Guide méthodologique, Le Forum et le Smes, Bruxelles, 2020.

Disponible en ligne via https://www.le-forum.org/uploads/Pair-aidance-web.pdf ou https://smes.be/fr/la-pair-aidance-en-federation-wallonie-bruxelles/

‘Projet coordonné par Modus Vivendi : https://www.modusvivendi-be.org/spip.php?article234

Idem (1)

Retrouvez l’article que nous avions consacré sur le sujet : https://educationsante.be/article/vers-la-fin-du-sans-abrisme/

Retrouvez leur ouvrage : SYLLOGE, Paroles données, paroles perdues ?, MaelstrÖm, 2020, 276 p.