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Burnout parental : le poids d’une culture individualiste?

Le 27 Mai 21

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Mis en exergue par Isabelle Roskam et Moïra Mikolojaczak, chercheuses au sein de l’Institut de recherche en psychologie (IPSY) de l’UCLouvain, le burnout parental fait l’objet d’une attention accrue, particulièrement lors de la crise sanitaire qui a mis les familles à rude épreuve. Si son existence est reconnue mondialement, on observe que sa prévalence diffère d’un pays à l’autre. Notre pays se trouve parmi les trois pays les plus à risque. Un constat qui a poussé les chercheuses à se demander ce qui pouvait expliquer de telles différences et à lancer une étude internationale. Menée dans 42 pays, cette étude met en avant l’individualisme de nos sociétés comme déterminant dans la prévalence du burnout parental.

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Le burnout parental, retour sur un syndrome

Le burnout parental (BOP) est un syndrome qui touche tous les parents exposés à un stress chronique. Il s’exprime au travers de différentes facettes.

  • L’épuisement : c’est sans doute le symptôme le plus manifeste. Il fait écho à la sensation d’être “au bout du rouleau”. Le parent a le sentiment d’avoir épuisé ses ressources, que ce soit au niveau cognitif, émotionnel ou physique.
  • La distanciation affective avec l’enfant : par un mécanisme de protection vis-à-vis de l’épuisement, le parent se coupe de ses émotions pour se concentrer sur les tâches strictement nécessaires à la vie familiale, au détriment de l’aspect relationnel.
  • La perte d’efficacité et d’épanouissement dans son rôle de parent : le BOP met la personne en souffrance vis-à-vis de son identité de parent elle-même, créant un sentiment de décalage.
  • Le contraste : le parent se sent différent, en dehors de lui-même. Il n’est plus le parent qu’il a été. C’est un symptôme qui accompagne souvent la prise de conscience d’un dysfonctionnement.

Il faut que ces symptômes s’expriment de manière suffisamment sévère et régulière pour que l’on parle de BOP.

Les symptômes du burnout parental peuvent avoir des conséquences délétères, tant pour le parent en souffrance (sentiment de culpabilité, d’isolement et risques de suicide…) que pour l’équilibre familial et la relation parent-enfant (dont la négligence et violence parentale à l’égard des enfants).

Pour approfondir les explications sur le burnout parental, retrouvez l’article « Burnout parental : quel rôle pour la promotion de la santé ? » (Education Santé, février 2019).

Une étude internationale

Jusqu’à présent, les recherches sur le burnout parental s’étaient concentrées sur des facteurs individuels. Or, comme le précise Isabelle Roskam, « le désavantage, c’est qu’on se focalise sur l’individu, ce qui est culpabilisant pour lui. Il va se dire, « pourquoi est-ce que moi, je tombe en burnout ? ». Si on ne pointe que des facteurs individuels, il y a le risque que la personne se sente la seule responsable. » Pourtant comme dans le burnout professionnel, le contexte pèse également sur le développement de l’épuisement parental. Ainsi, la difficulté pour un parent de « trouver du temps pour lui », souvent exprimée par les parents en souffrance, est une préoccupation qui s’inscrit dans un modèle de société individualiste.

Afin de valider ces observations, les chercheuses ont activé leur réseau international. La thématique semble rassembleuse, les retours ne se sont pas fait attendre. Isabelle Roskam pose un premier constat : “cette notion de burnout parental a l’air de parler à tout le monde”. C’était un préalable nécessaire à l’étude. Pourtant, “ce n’était pas gagné d’avance parce que parfois quelque chose qui fait beaucoup de sens dans une culture n’en a pas dans une autre”. De fil en aiguille, des chercheuses et chercheurs issus de 42 pays différents se joignent ainsi à l’étude et alimentent la base de données.

Des facteurs d’ordre socio-démographiques (par exemple, le nombre d’enfants dans la cellule familiale, le nombre d’adultes investis dans l’éducation de l’enfant) mais également socio-économiques (notamment le Produit Intérieur Brut (PIB) de chaque nation) ont d’abord été envisagés. Aucune de ces variables ne permettait cependant d’expliquer les disparités dans la prévalence du burnout parental à travers le monde. Les chercheuses se sont alors intéressées aux valeurs culturelles, « qui, précise Isabelle Roskam, ne sont pas que l’individualisme. Il y a par exemple tout ce qui concerne les rapports hiérarchiques, les rapports de pouvoir entre les membres d’une société, il y a des sociétés plus ou moins égalitaires… ». Ces différentes valeurs contrôlées, l’analyse met en avant l’influence de la culture individualiste comme déterminante dans la prévalence du burnout parental. Isabelle Roskam enchérit « c’est interpellant de constater que ce sont les pays les plus riches et où on fait le moins d’enfants que le niveau de burnout est le plus élevé ». Selon la chercheuse, « quand on fait partie d’une culture dite individualiste, on a l’habitude d’être focalisé sur ses besoins, d’être à l’écoute de soi, de devoir « tracer notre route”, etc.; et finalement, la façon dont cela va impacter les autres, c’est secondaire. Tandis que dans une culture collectiviste, le rapport est inverse ; on va d’abord se tracasser de ce qu’il se passe pour le groupe avant de regarder vers soi. »

Culture individualiste: quelles conséquences sur la parentalité ?

L’individualisme qui imprègne notre culture occidentale impacte l’exercice de la parentalité dans de multiples dimensions.

Une société individualiste va valoriser la performance et la compétition. Les narratifs qui nous entourent regorgent de success stories[1] et de self made (wo)men[2]. Dans une société où on nous encourage à toujours être le meilleur, la surexposition aux modèles parentaux idéalisés génère comparaison et insécurité :  » C’est vrai aussi dans la parentalité ; on veut être le meilleur parent par rapport au voisin, avoir les enfants qui performent le mieux à l’école. On devient également perfectionniste dans sa parentalité, or cela a un coût : on n’est jamais content de soi, on est toujours à l’affût de recommandations sur la parentalité positive, on se fatigue dans des tâches où on a l’impression que l’on ne peut jamais atteindre le standard élevé que l’on recherche ». Insidieusement, cette quête de perfection sans cesse inassouvie mène à l’épuisement.

Cet environnement compétitif et porté sur la performance impacte aussi les buts de socialisation. Comme l’explique la chercheuse « dans une société individualiste, on va élever nos enfants en leur transmettant les valeurs dont ils vont avoir besoin pour se débrouiller eux-mêmes. Et une de ces valeurs, c’est leur apprendre à être assertif, à donner leur avis et à ne pas se laisser faire quand on leur dit quelque chose ». Or cette assertivité, les enfants la développent aussi à l’égard de leurs parents, qui se retrouvent à devoir négocier ou se justifier auprès de leur progéniture. Dans une société collectiviste, en revanche, ce ne seront pas les mêmes buts qui seront plébiscités : « dans des pays comme la Chine ou le Japon, explique Isabelle Roskam, on retrouve ce qu’on appelle la « piété filiale », qui inculque le respect inconditionnel des aînés. Il y a cette notion d’obéissance par défaut qui fait qu’un enfant comprend qu’il y a une hiérarchie, qu’il n’est pas l’égal de l’adulte et n’a pas son mot à dire sur tout ce que l’adulte raconte. Il y a donc un coût émotionnel à la parentalité qui est moins fort. »

En outre, dans une société individualiste, on observe qu’il y a très peu de délégation de l’autorité parentale et ce, même dans les familles monoparentales. Une charge conséquente repose sur les épaules des seuls parents. En cause, l’idée très répandue dans nos sociétés qu’il ne faudrait compter que sur soi-même. Isabelle Roskam explique : « dans une société individualiste, on apprend à ne compter que sur soi, à ne pas faire confiance aux autres, et ça, dans la parentalité, c’est très saillant. Nous serions très surpris, voire sur la défensive, qu’un voisin nous propose spontanément de s’occuper de nos enfants par exemple. On a perdu cette idée de communauté. Alors que dans certaines régions d’Afrique on dit que ‘pour élever un enfant, il faut tout un village’ ».

Enfin, selon la chercheuse, une autre caractéristique des cultures individualistes réside dans la recherche de l’égalité hommes-femmes. Elle rappelle que « dans beaucoup de pays traditionnels, les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes rôles dans la parentalité. Dans un pays individualiste comme le nôtre, avec des indicateurs d’égalité très élevés – qui vont imposer la parité dans le domaine politique, des entreprises, etc.- les femmes vont revendiquer cette égalité ». Or dans le domaine de la parentalité, on constate que ce sont toujours elles qui assument plus de 70% de la charge liée aux soins et à l’éducation des enfants. Ainsi, illustre-t-elle, « il y a encore beaucoup de lois qui placent la mère dans le rôle du premier donneur de soins : il y a tout ce qui touche au congé de maternité, mais pas seulement ; par exemple pour les allocations familiales, c’est le père qui ouvre les droits et par défaut c’est la mère qui les touche, puisque c’est elle qui élève les enfants là où le père serait le pourvoyeur de moyens. Tout cela contribue à maintenir l’idée que le premier donneur de soins par défaut, c’est la mère. » Dans une société qui semble prôner l’égalité, mais où beaucoup reste à faire notamment dans le domaine de la parentalité, cela contribue à renforcer un sentiment d’injustice face à ce qui apparait comme un décalage entre le discours affiché et la réalité vécue par les mères.

Quels leviers d’actions pour la promotion de la santé ?

Au vu des conclusions de cette étude, l’équipe de recherche évoque avec nous quelques pistes, mais souligne qu’elles sont encore nombreuses et multiples, telles qu’un travail sur les aspects politiques, socio-économiques, les représentations… pour mener un travail de fond sur la notion d’égalité dans la famille par exemple.

Une prise de conscience collective

Dans une société individualiste qui prône la performance, demander de l’aide est encore trop souvent perçu comme un aveu de faiblesse. Déconstruire les tabous autour de l’épuisement parental, informer le grand public et faire passer ces termes dans le langage courant sont autant d’étapes nécessaires dans la prise de conscience du phénomène. Isabelle Roskam précise : « c’est le genre de recherches qui ne peut pas rester dans le domaine académique, c’est essentiel d’avoir un relais. Pour le parent concerné, ‘si on en parle, s’il y a des mots pour parler de ce que je vis, c’est que du coup je ne suis pas le seul à être concerné. Et que cela ne fait pas de moi un mauvais parent’ ».

Le burnout parental n’est pas qu’une problématique individuelle, il se nourrit aussi des paradoxes de notre modèle individualiste. Une prise de conscience collective de cette dimension est nécessaire. Car l’omniprésence d’images de parentalité heureuse et épanouie isole ceux, parmi les parents, qui ont l’impression d’être défaillant par rapport à ce modèle. « Typiquement, c’est ce qu’on fait sur les réseaux sociaux en se mettant en avant, en laissant penser que nous-mêmes n’avons jamais de difficultés, parfois au détriment de l’impact que cela a sur les autres », ajoute Isabelle Roskam.

La sensibilisation des professionnels

Outre le frein culturel à oser exprimer la difficulté que l’on rencontre et ayant été élevé avec l’idée qu’il faut se débrouiller par soi-même, ces parents ont davantage de mal à accepter un soutien de l’extérieur.

Dès lors, sensibiliser et former les professionnels de première ligne à ces composantes culturelles semble un premier pas essentiel afin de leur donner des clés pour aborder le parent, lui offrir un espace où exprimer ses difficultés sans se sentir jugé.

Une formation pour les professionnels

Des formations sont proposées par le Training Institute for Parental Burnout. Pour plus d’information, rendez-vous sur https://www.parental-burnout-training.com

Des supports et des relais

La libération de la parole autour des difficultés du rôle de parent permet au parent en souffrance de sortir de l’isolement et de faire émerger, au niveau des communautés, des réseaux d’initiatives informelles de support et d’entraide. On pense, par exemple, aux solutions de garderie tournante que peuvent mettre en place des parents entre eux.

Au niveau formel, on retrouve les services qui sont offerts par des institutions, organismes et asbl qui offrent du soutien aux familles. Isabelle Roskam invite toutefois à la prudence lorsqu’on présente ces services afin d’éviter de sous-entendre que tous les parents ont besoin de l’assistance d’un professionnel, ce qui aurait pour effet d’augmenter, symboliquement, la pression qui pèse sur eux : « c’est faire passer la parentalité pour quelque chose de tellement difficile, avec tellement d’enjeux que si on ne prend pas les conseils d’un professionnel, on va forcément faire des erreurs. » Et de l’envisager sous le prisme de la bienveillance : « Dire à tous les parents de se faire confiance, c’est aussi très important et on l’a parfois oublié… »

Les résultats de l’étude « Parental Burnout Around the Globe: a 42-Country Study” (Roskam, I., Aguiar, J., Akgun, E. et al., 2021) a été publiée dans la revue Affective Science (en anglais : https://doi.org/10.1007/s42761-020-00028-4).

Des ressources pour les parents et les professionnels

La Mutualité chrétienne a mis sur pied un vaste programme autour du bien-être psychologique intitulé « je pense aussi à moi », mettant en avant la nécessité de préserver un espace de bien-être personnel, un équilibre entre tous les rôles que chacun est amené à jouer dans sa vie, et notamment le rôle de parent.
www.jepenseaussiamoi.be: un site internet avec des contenus ciblant notamment le burnout parental, et des solutions concrètes pour ne pas s’y enliser
Isabelle Roskam et Moïra Mikolojaczak ont créé un site dédié au burnout parental, à destination des parents, professionnels et chercheurs : www.burnoutparental.com.

[1] Cette expression anglophone signifie « des modèles, des histoires de réussite »
[2] Cette expression anglophone désigne des hommes ou femmes « qui se sont construits/ qui ont construit leur réussite tout.es seul.es »

traitement hormonal substitution

Femmes et médicaments: une relation toxique?

Le 27 Mai 21

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Le gouvernement Vivaldi affirme dans sa déclaration politique vouloir combattre la surmédicalisation. S’il faut agir efficacement contre la consommation inappropriée de certains médicaments, il est nécessaire d’analyser le phénomène sous le prisme du genre car ce sont les femmes1 qui en sont les plus touchées. Quel que soit son parcours de vie, chaque femme peut, à un moment ou à un autre de sa vie, être confrontée à une forme de surmédicalisation de son existence. Dans certains cas, des usages non pertinents ont des conséquences négatives sur sa santé et son bien-être, sur l’environnement et sur les dépenses privées et publiques.

traitement hormonal substitution

Un phénomène de société

La surmédicalisation de l’existence peut se définir comme un processus par lequel des problèmes non-médicaux, principalement sociaux (troubles de la libido, timidité, stress, chute de cheveux, etc.) ou certains aspects de l’existence (menstruations, ménopause, etc.) sont définis et traités comme des problèmes médicaux, voire comme des maladies2 . Il s’agit de faire respecter des normes de société (sous peine d’être perçu·e comme défaillant·e, malade) en usant d’un encadrement médical et médicamenteux qui s’institue au détriment d’approches plus préventives ou non-médicamenteuses3 . Ce phénomène résulte d’une foi en la science « neutre et inébranlable », une montée de la surconsommation générale, un individualisme croissant et un modèle capitaliste prônant la compétition et la performance. Pour rester productive·if, le recours aux psychotropes demeure un moyen de rester dans la course, particulièrement pour les personnes dont le revenu est faible. Une enquête de Solidaris4 a mis en évidence que plus le revenu d’une personne est faible, plus celle-ci a peur d’être en congé maladie trop longtemps, étant donné la précarité du marché de l’emploi, des conditions de travail et/ou du niveau d’endettement personnel. Ainsi, elle préfère consommer des médicaments pour rester active au lieu de prendre le temps de se reposer pour guérir. Cette réalité touche particulièrement les femmes qui sont généralement moins bien rémunérées que les hommes, sur-représentées dans les emplois à temps partiel et qui sont davantage à la tête d’une famille monoparentale. Au vu de leur statut économique et familial, de nombreuses femmes ne peuvent se « permettre » un congé maladie.

Retrouvez l’étude complète de Anissa D’ORTENZIO, « Une médecine sexiste ? Le cas de la surmédicalisation des femmes », Etude FPS, 2020.

Un phénomène typiquement féminin ?

La vie des femmes est rythmée par différentes étapes physiologiques et symboliques, construites étroitement par la médecine et les représentations sociales et culturelles5 . Il existe une pathologisation (c’est-à-dire la définition d’un aspect de la vie comme une pathologie, une maladie à guérir) des étapes de la vie des femmes qui, pathologie après pathologie, justifie une médicalisation continue de leur vie. Ainsi, médicaliser de manière aussi intensive leur existence permet de démontrer que le corps des femmes et leurs fonctions corporelles sont en fait considéré·e·s comme un réservoir d’irrégularités et d’anomalies qui nécessitent d’être normalisées par un traitement médicamenteux. Les cas de la contraception et de la dépression en sont deux exemples saillants6 .

La contraception : un enjeu concret de surmédicalisation

Les féministes des générations précédentes se sont battues pour que les femmes aient accès à la contraception, enclenchant par là même des changements socio-culturels majeurs et une amélioration de leurs conditions de vie. Toutefois, la contraception, et particulièrement la pilule, est de plus en plus vivement critiquée par les usagères. En effet, la surmédicalisation de l’existence passe par des usages détournés de l’objectif premier de la pilule, c’est-à-dire de l’éviction des grossesses non-désirées. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de traiter l’acné ou l’hirsutisme7 par la pilule, démontrant par la même occasion à ces jeunes filles que respecter les normes de beauté (une peau parfaite et sans poils) est plus important que les effets secondaires sur leur santé. La pilule est aussi prescrite comme « traitement » pour les symptômes de l’endométriose. De plus, régulariser les cycles menstruels chez les jeunes filles est un autre exemple fréquent de prescription de la pilule. Le temps de régularisation des règles est une information rarement partagée aux jeunes adolescentes qui s’inquiètent et consultent souvent pour la première fois les gynécologues de peur de ne pas être dans la « norme ». On remarque ici que les menstruations, perçues de manière négative, doivent être standardisées. Dans un autre contexte, les femmes militaires américaines sont vivement encouragées à prendre continuellement la pilule pour ne pas avoir leurs menstruations afin de « pouvoir être et faire comme des hommes » au détriment de leur santé8 . Cela démontre le contrôle des corps réglés, perçus comme un handicap dans la sphère professionnelle.

La surmédicalisation de l’existence des femmes passe également par la sur-prescription de la contraception hormonale au détriment d’autres moyens contraceptifs moins médicalisés ou plus durables dans le temps, qui pourraient mieux correspondre à certaines femmes. Parmi 12 004 participant·e·s à une enquête9 sur les moyens contraceptifs, 64,5% ont été à une consultation de gynécologie pour prendre une contraception, et 80,6% utilisent la pilule contraceptive. À la question « de quels moyens de contraception le/la soignant-e vous a-t-il déjà parlé ? », 89,5% répondent la pilule, contre 57,4% pour l’implant et le DIU10 au cuivre. Le DIU serait moins prescrit car à la fois, il existe encore des stéréotypes à son encontre (un moyen contraceptif uniquement pour les femmes ayant déjà eu un enfant, peut provoquer la stérilité, etc.) et à la fois, le DIU autorise l’insouciance. Après avoir posé un DIU et vérifié par une échographie un à trois mois plus tard si tout va bien, cette contraception permet une liberté pendant 3 à 10 ans. Au contraire, prendre la pilule implique plus de contrôle et de surveillance : prendre un comprimé tous les jours à heure fixe (et garder à l’esprit le risque de maternité tous les jours telle une épée de Damoclès au-dessus de la tête), retourner faire une ordonnance régulièrement chez le médecin, répondre à un interrogatoire préliminaire, et parfois à des examens invasifs (toucher vaginal, palpation de la poitrine, etc.).

En conséquence d’une volonté de surveiller le corps des jeunes femmes, les effets secondaires des contraceptifs hormonaux ne sont finalement que peu pris en compte alors qu’ils sont bien réels. Bien que la pilule féminine reste le moyen de contraception le plus connu, de plus en plus de femmes ne s’en sentent plus satisfaites car un sentiment de non-choix les envahit. Elles sont également de plus en plus conscientes des controverses médicales relatives à la pilule : les effets secondaires, le risque accru d’accidents thromboemboliques pour certaines générations de pilules et d’autres problèmes cardio-vasculaires, ou encore le développement du syndrome des ovaires micro polykystiques. Les effets secondaires de la contraception hormonale (manque de libido, prise de poids, migraines, sautes d’humeurs, saignements, etc.) semblent à priori bénins, mais ils peuvent réellement détériorer la qualité de vie de certaines femmes (relation de couple, charge mentale, confiance en soi, etc.). Pourtant, ils sont généralement niés et ne sont que vaguement expliqués lors de la prescription de la pilule. Il est essentiel que l’ensemble des moyens de contraception soit proposé à toute femme désirant en prendre, afin qu’elle soit libre de faire un choix éclairé au regard de la situation qui lui est propre et du moyen contraceptif qui lui correspond le mieux.

La dépression

Selon Solidaris11 , en 2006, il y avait déjà 18,5% de femmes de 18 ans et plus sous antidépresseurs contre 9,1% d’hommes, soit le double chez les femmes. En effet, la littérature médicale relève deux fois plus de dépressions chez les femmes. On remarque une prescription disproportionnée de tranquillisants pour celles-ci : une femme sur cinq de plus de 18 ans a déjà consommé un antidépresseur. Dans certains contextes, les femmes sont perçues comme fragilisées par les changements physiologiques et hormonaux qui se produisent chez elles lors d’un accouchement, d’une période post-partum, de la ménopause, etc. Cette affirmation signifierait que les changements hormonaux sont problématiques et à traiter médicalement car la norme est la non-fluctuation d’hormones (qui est davantage le fait du cycle hormonal masculin). Pourtant, les résultats de plusieurs études ont démontré qu’il y a la même proportion de femmes et d’hommes dépressifs12 mais l’évaluation d’un état dépressif se fait généralement à partir des symptômes spécifiquement féminins. Cela montre à quel point la représentation sociale des femmes comme des êtres vulnérables pousse à leur médicalisation et à une forme de diagnostic qui leur est spécifique, davantage que pour les hommes dans la même situation de souffrance psychologique. Enfin, il est récurrent de mal diagnostiquer certaines pathologies chez les femmes (comme l’endométriose13 ) car certains symptômes sont parfois (trop) rapidement expliqués par des « problèmes psychologiques ».

Des recommandations pour lutter contre la surmédicalisation féminine

Pour diminuer concrètement ce phénomène, il faut pouvoir avoir accès à des alternatives thérapeutiques et d’autres moyens alternatifs à l’utilisation de médicaments afin de répondre à la volonté des patient·e·s (méthode contraceptive plus naturelle, accouchement naturel, etc.) et à une volonté politique et budgétaire (raccourcissement des séjours à l’hôpital). Or, les alternatives thérapeutiques sont généralement peu connues, peu proposées par le personnel soignant et plus coûteuses que l’achat de médicaments. Il est donc primordial de partager davantage d’informations de qualité à ce sujet et de diminuer le coût pour la population. De manière plus spécifique, la contraception repose, dans 90% des cas, sur les femmes. Dans ce contexte, il est important de développer davantage de recherches scientifiques (médicales et sociologiques) sur les contraceptions masculines et les alternatives pour les femmes afin d’aboutir à une mise sur le marché concrète et une véritable contraception partagée entre les partenaires. Ensuite, intensifier l’EVRAS14 peut aider les citoyen·ne·s à développer une attitude active, informée et consciente quant à leur santé dès le plus jeune âge et tout au long de leur vie. Réduire la surmédicalisation de l’existence, c’est aussi avoir une meilleure maitrise du budget des médicaments en limitant le pouvoir des firmes pharmaceutiques qui n’hésitent pas à employer des stratégies de marketing auprès de la population et du lobbying intense auprès des organisations politiques et de la santé afin de générer de nombreux profits. Les efforts ne doivent pas être consentis qu’en aval mais également en amont de la « chaine du médicament ». Finalement, les politiques de santé ne pourront être effectives qu’à condition de prendre en compte le facteur genre dans l’équation en appliquant réellement le « gendermainstreaming »15 .

[1] Le terme « femme » désigne ici l’ensemble des personnes nécessitant un suivi gynécologique, la prise de contraception féminine et vivant des états physiologiques spécifiques tels que la ménopause. Nous partons ici d’une notion biomédicale binaire entre femmes et hommes en fonction du sexe auquel on tâchera d’ajouter ici l’impact du genre.

[2] WAGGONER Miranda et STULTS Cheryl, « Gender and Medicalization », Sociologists for Women in Society Fact Sheet, printemps 2010.

[3] COLLIN Johanne et SUISSA Amnon Jacob, « Les multiples facettes de la médicalisation du social », Nouvelles pratiques sociales, vol. 19, n° 2, 2007, p. 26.

[4] SOLIDARIS, « Vous, vos médicaments et votre pharmacien », Grande enquête Solidaris/Multipharma, 2018

[5] CAPIAUX Isabelle, « La ménopause, une construction socioculturelle ? », Femmes Plurielles, 2019

[6] Les menstruations, la ménopause, les compléments alimentaires sont d’autres exemples présents dans l’étude.

[7] Apparition d’une pilosité spécifique sur le visage, le cou, ou le thorax chez certaines femmes.

[8] Jeffreys Sheila, « Double Jeopardy: Women, the US military and the war in Iraq », Women’s Studies International Forum, vol.30, 2007, pp.16-25.

[9] Gineste Coline, L’impact du sexisme sur la qualité des soins en gynécologie (Mémoire de master en Ethique du soin et de la recherche), Université de Toulouse, 2017.

[10] L’abréviation DIU désigne les dispositifs intra-utérins, souvent également nommés les stérilets (qu’ils soient en cuivre ou hormonaux).

[11] Boutsen Michel, Laasman Jean-Marc et Reginster Nadine, « Données socio-économiques et étude longitudinale de la prescription des antidépresseurs », Solidaris, Direction Études, 2006.

[12] MARTIN Lisa et al., «The Experience of Symptoms of Depression in Men vs Women – Analysis of the National Comorbidity Survey Replication », JAMA Psychiatry, 70, 2013, pp. 1100-1106

[13] Une maladie gynécologique liée au développement de cellules d’origine utérine en dehors de l’utérus.

[14] Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle.

[15] C’est une stratégie qui intègre systématiquement des réflexions sur les conséquences positives et négatives des politiques publiques pour les femmes et les hommes.

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L’hésitation vaccinale: menace ou opportunité?

Le 8 Avr 21

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Dans le contexte de pandémie que nous traversons, le Service Universitaire de Promotion de la Santé UCLouvain/IRSS-RESO s’est penché sur la vaccination contre la COVID-19, au centre de toutes les attentions à l’heure actuelle. Comment appréhender l’hésitation vaccinale dans une perspective de promotion de la santé ? Eclairage sur le concept de « littératie vaccinale ».

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En un an, la littérature scientifique et grise s’est considérablement étoffée sur toute une série de domaines associés à la pandémie de coronavirus SARS-CoV2 (COVID-19) : les soins de la personne contaminée (prise en charge, traitements, etc.), les mesures de prévention (gestes barrières, port du masque, etc.), l’impact des mesures sanitaires (économique, écologique, psycho-sociale, etc.), et bien d’autres domaines. 

Dans cette littérature foisonnante, nous nous sommes arrêtés sur l’hésitation vaccinale, présentée comme une menace de santé publique, elle concernerait un quart de la population belge. Le pourcentage de la population favorable à la vaccination serait donc insuffisant pour atteindre l’immunité collective (Kessels 2020). En 2019, l’OMS classait en effet l’hésitation vaccinale parmi les 10 plus grandes menaces pour la santé mondiale (OMS, 2019).

Dans cet article, nous proposons de regarder l’hésitation vaccinale à travers le prisme de la promotion de la santé, une démarche d’intervention qui a vise à donner aux individus et aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, afin d’améliorer celle-ci (Charte d’Ottawa 1986). Dès lors, le fait de se questionner sur sa santé et de porter un regard critique sur certaines propositions thérapeutiques est révélateur d’une volonté d’appropriation des messages et d’un désir de renforcer son sentiment de choix et de maîtrise en matière de santé. Toutefois, le regard critique porté sur la santé doit être nourri d’informations valides pour amener à une décision éclairée que le contexte d’infodémie [1], qui accompagne la pandémie, peut compromettre. La population a donc besoin d’être accompagnée et soutenue dans ses questionnements relatifs à la vaccination.

Cet article fait suite à deux autres travaux du RESO sur le thème de la vaccination contre la COVID-19 :

  • Lambert H., Scheen B., Aujoulat I. (2020) Lu pour vous : Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J. A., L’hésitation vaccinale : un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 5 p.
  • Malengreaux S., Lambert H., Le Boulengé O., Rousseaux R., Doumont D., Aujoulat I. (2021). Tous égaux face au vaccin contre la COVID-19 : État des lieux de la littérature scientifique et grise. Woluwé-Saint-Lambert: Service universitaire de promotion de la santé de l’Université catholique de Louvain, 30 p.

« Tous égaux face aux vaccins contre la COVID-19 ? Etat des lieux de la littérature scientifique et grise »

En mars 2021, le RESO a réalisé un rapide état de la littérature scientifique et grise en matière de stratégie de vaccination équitable contre la Covid-19. Dans cette synthèse, nous partons de 3 défis de la stratégie de vaccination : l’hésitation vaccinale, les besoins spécifiques de certaines communautés et l’infodémie. Nous tirons de nos lectures 6 principes d’action pour une stratégie de vaccination adaptée aux réalités de vie et aux représentations des communautés : créer un réseau d’acteurs relais, mieux comprendre pour agir, communiquer de manière transparente et adaptée, multiplier les lieux de vaccination et les profils des vaccinateurs, aller à la rencontre, planifier et piloter.

Repères théoriques

L’hésitation vaccinale se traduit par des doutes et préoccupations relatives à la vaccination. Ces doutes et préoccupations se situent sur un continuum, un processus décisionnel, allant de l’acceptation au refus de se faire vacciner. Notre position sur ce continuum évolue constamment en fonction des informations reçues (par les médias, les discussions informelles, etc.) et trouvées (sur internet, en posant des questions aux professionnels de santé, etc.). De plus, notre capacité à comprendre ces informations, à les évaluer et enfin à les utiliser pour prendre une décision influencera notre position. Ces capacités (accéder, comprendre, évaluer et appliquer l’information pour la santé) sont regroupées sous le terme de « littératie en santé » (Cultures&Santé asbl 2016).  

La complexité du phénomène de l’hésitation vaccinale réside dans la multiplicité des facteurs l’influençant et leur interrelation. Ces facteurs se situent à différents niveaux plus ou moins éloignés de l’individu.

graph hesitation vaccination
Lambert H., Scheen B., Lu pour vous: Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J.A., L’hésitation vaccinale: un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert: UCLouvain/IRSS-RESO, 2020, 5p.

Les facteurs individuels influençant la décision de se faire vacciner ou pas sont :

  • la volonté de respecter les règles en vigueur ;
  • l’évaluation subjective du risque que représentent, d’une part, la vaccination, et, d’autre part, la maladie évitable par la vaccination ;
  • les expériences passées, positives ou négatives ;
  • les convictions éthiques, morales et religieuses en lien avec la santé ;
  • la confiance témoignée au gouvernement et aux professionnels de la santé, et le fait d’avoir la possibilité d’exprimer ses doutes et de poser des questions. 

Des facteurs situés à un niveau sociétal, extérieurs aux individus, vont également influencer la décision :

  • les vaccins sont souvent la cible de désinformations alimentées et diffusées par les médias et sur le web ;
  • l’augmentation récente du nombre de vaccins disponibles pour différentes pathologies et les disparités nationales et internationales au niveau des programmes et législations ;
  • l’attitude et les connaissances des soignants ; les prestataires de soins demeurent la source d’information la plus fiable aux yeux des usagers ;

la diminution des maladies évitables par la vaccination, liée au succès même des programmes de vaccination, a rendu les risques que comportent ces maladies moins visibles.

L’hésitation vaccinale en temps de Covid-19

Le contexte de la pandémie de covid-19 est marqué par certaines spécificités qui viennent renforcer l’hésitation vaccinale : les vaccins ont été développés très rapidement, de nombreuses informations erronées ont été propagées sur les médias sociaux, des critiques ont émergé autour des enjeux politiques et financiers liés à la vaccination, la survenue de nouvelles variantes du virus et l’incertitude quant à la durée de l’immunité acquise avec le vaccin ont accru les doutes et sentiments négatifs (Finney Rutten 2020 ; APA, 2020 ; Su 2020).

En Belgique, une étude a montré que les personnes plutôt jeunes [1], insatisfaites de la gestion de la crise, encourant un risque médical peu élevé et parlant français seraient plus hésitantes que les autres. Cette recherche a également montré que, dans une moindre mesure, le sexe de la personne aurait une influence sur ce phénomène : les femmes seraient légèrement plus hésitantes que les hommes. Au contraire, les individus dont un membre de l’entourage a été hospitalisé ou est décédé après avoir contracté la Covid-19 seraient plutôt favorables à la vaccination (Kessels 2020).

De la littératie en santé… à la littératie vaccinale

L’infodémie accompagnant la propagation de la COVID-19 a mis en évidence qu’une grande part de la population dispose d’un faible niveau de littératie en santé. Or le niveau de littératie est déterminant en période de pandémie.  

Dans un contexte où la population doit comprendre rapidement une quantité importante d’informations, parfois techniques, et utiliser ces informations pour adapter, continuellement son comportement, agir sur la littératie en santé permettrait aux individus de mieux comprendre les raisons des mesures sanitaires et des recommandations (Paakkari 2020). De manière générale, l’efficacité des politiques de santé serait tributaire du niveau de littératie de la population (Ratzan 2011).

Ce type d’action aurait plus largement pour effet de renforcer la capacité des individus à évaluer, à s’approprier et à utiliser les informations en matière de prévention de la COVID-19 pour prendre des décisions éclairées (Cultures&Santé asbl 2020). On peut donc présumer qu’en temps de pandémie, la littératie en santé de la population jouerait un rôle pour contrôler la propagation du virus.

Plusieurs articles scientifiques (Castro-Sanchez 2016 ; Biasio 2020) relèvent l’absence de prise en compte de la littératie en santé comme composante déterminante de l’hésitation vaccinale, mais aussi comme stratégie d’action pour y faire face. Le rédacteur en chef de la revue « Journal of health communication » proposera d’ailleurs en 2011 de parler de « littératie vaccinale » (Ratzan 2011), qu’il présente comme une approche pour améliorer la couverture vaccinale de la population. Notons que l’environnement des individus n’est pas toujours favorable à la mise en œuvre de la décision. Des facteurs tels que les modalités d’invitation et de prise de rendez-vous pour se faire vacciner ou l’accessibilité des lieux de vaccination sont par exemple des facteurs compromettant l’application de la décision de se faire vacciner.

Construire sur une opportunité

Plus haut, nous avons cité quelques éléments contextuels de la pandémie de COVID-19 qui ont, selon la littérature, créé un environnement propice à l’hésitation vaccinale. Nous pensons que le contexte actuel peut également représenter une opportunité pour développer la littératie en santé de la population.

D’abord, chaque individu est concerné par la vaccination contre la COVID-19 et est conscient qu’il doit prendre une décision : vaccin ou pas vaccin. La population est donc potentiellement intéressée à acquérir des compétences pour poser des choix éclairés. Cela est particulièrement vrai si les personnes se disent hésitantes, car cela signifie qu’elles ont déjà entamé un processus de réflexion. Dès lors, la vaccination contre la COVID-19 constitue une occasion pour les professionnel·les de la santé de dialoguer à ce sujet et d’accompagner les individus à faire des choix éclairés de manière à promouvoir, à maintenir et à améliorer leur santé et celle de leur entourage. Les professionnel·les ont néanmoins besoin d’être outillés (formation, outils de communication, accompagnement, etc.) pour aborder cette thématique dans cette perspective.

Le contexte présente ensuite des fenêtres d’opportunités pour inscrire la littératie en santé dans les préoccupations politiques. La littérature scientifique pousse dans ce sens (Paakkari 2020 ; Spring 2020 ; Abel 2020) et des initiatives internationales visant à partager des données probantes se mettent en place (par exemple : COVID-HL, un réseau international de recherche sur la littératie en santé dans le cadre de la pandémie de la Covid-19). Dans ces conditions, les acteurs politiques disposent d’un terreau favorable au développement de recherches et à la construction d’un plan d’action en faveur du renforcement de la littératie en santé basé sur des données probantes. Par conséquent, au-delà de la menace de santé publique que la décision de se faire vacciner ou pas représente, l’hésitation vaccinale constitue une opportunité pour renforcer la littératie en santé de la population. Nous pensons que les décideurs, les acteurs de terrain et les scientifiques disposent de conditions favorables au développement de politiques, d’actions de terrain et de recherches visant à améliorer la littératie en santé de la population qui, comme le démontre cette crise, relève d’un réel enjeu sociétal.

Références

Kessels R., Luyten J. & Tubeuf S. (2020). Willingness to get vaccinated against Covid-19: profiles and attitudes towards vaccination. Louvain-la-Neuve: Université Catholique de Louvain (UCLouvain) – Louvain Institute of data analysis and modeling in economics and statistics, 12 p.

Organisation Mondiale de la Santé (OMS). (2019) Ten threats to global health in 2019. Consulté le 26 mars 2021 : https://www.who.int/news-room/spotlight/ten-threats-to-global-health-in-2019

Organisation mondiale de la santé, (Bureau régional de l’Europe). 1986. Promotion de la santé. Charte d’Ottawa, https://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0003/129675/Ottawa_Charter_F.pdf

Cultures&Santé asbl (2016) La littératie en santé – D’un concept à la pratique. Guide d’animation. Bruxelles

Lambert H., Scheen B. Lu pour vous : Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J.A., L’hésitation vaccinale : un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 2020, 5p.

Finney Rutten L. J., Zhu X., Leppin A. & et al. (2020). Evidence-Based Strategies for Clinical Organizations to Address COVID-19 Vaccine Hesitancy. Mayo Clinic Proceedings, Advance online publication, 20 p.

American Psychological Association (APA). (2020). Building Vaccine Confidence Through Community Engagement. Wahsington: American Psychological Association (APA), 5 p.

Su Z., Wen J., Abbas J. & et al. (2020). A race for a better understanding of COVID-19 vaccine non-adopters. Brain, Behavior & Immunity – Health, vol. 9, Article number 100159, 3 p.

Paakkari L. (2020) COVID-19 : health literacy is an underestimated problem The Lancet vol.5 e.249-250

Cultures&Santé asbl (2020) Quelques clés pour évaluer l’information en lien avec ma santé – L’exemple de la COVID-19. Pistes de réflexion et d’animation. Bruxelles

Ratzan S. C. (2011) Vaccine Literacy: a new shot for advancing health J. Health Commun. 16 (3):227-29.

Castro-Sanchez E, Chang PW, Vila-Candel R, et al. (2016) Health literacy and infectious diseases: why does it matter? Int J Infect Dis; 43:103-10.

Biasio L.R., Bonaccorsi G., Lorini C. & Pecorelli S. (2020) Assessing COVID-19 vaccine literacy : a preliminary online survey, Human Vaccines & immunotherapeutics

Spring H. (2020). Health literacy and COVID-19. Health information and libraries journal, 37(3), 171–172.

Abel T., McQueen D., (2020) Critical health literacy and the COVID-19 crisis, Health Promotion International, Volume 35, Issue 6, pp.1612–1613.

[1] Terme qui qualifie, selon l’OMS, une surabondance d’informations, tant en ligne que hors ligne.

communicating with wirelesses technologies vector

Covid et numérique : les deux font la paire ?

Le 3 Mai 21

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La crise sanitaire liée au virus Covid-19 a rendu le numérique incontournable dans bien des domaines. Des sphères de la vie sociale telles que le télétravail, l’enseignement, mais aussi l’accès aux droits sociaux et aux services, voire le simple fait d’entretenir des liens sociaux sont désormais tributaires de la possession d’un ordinateur et d’une connexion internet. Or ce n’est pas l’apanage de tous. Dans un dossier thématique annuel « Le numérique en social-santé : inclusif ou excluant ? », l’équipe rédactionnelle de Bxl Santé s’est attachée à décortiquer les avancées et les limites d’une telle numérisation de la société. Constats et réflexions autour d’un enjeu majeur en termes de démocratie.

« Dématérialisation des services : opportunités ou dangers ? », « Fracture numérique : quels accès aux droits ? », « Sommes-nous gouvernés par des algorithmes ? », « Plateformes numériques et participation citoyenne » : tels sont les chapitres du dossier thématique que le magazine Bruxelles Santé propose à la lecture en ce début d’année. Dans le cadre de sa mission d’information des publics, l’asbl Question Santé se penche ainsi sur la question de la numérisation de notre société. Déjà bien entamée avant le coronavirus, elle est entrée dans nos existences à marche forcée, depuis le début de la pandémie. Sans pour autant s’assurer que tous pourraient prendre le train en marche.

Conçu comme un panorama d’une série de changements induits par cette évolution majeure que constitue la digitalisation, ce dossier s’articule autour d’une grande interview avec des observateurs avertis. Pour ensuite se pencher sur des champs d’application liés aux différentes thématiques abordées. Et ce, plus spécifiquement sur le territoire foisonnant en services et initiatives de Bruxelles.

Quel accès à la santé numérique?

Que ce soit dans le domaine de la santé numérique (mais aussi de la digitalisation des services bancaires ou en matière d’enseignement en distanciel), la dématérialisation des services induit des changements d’habitudes, de procédures, voire de paradigme. Pour explorer cette nouvelle donne, nous avons interrogé Alain Loute, maître de conférence au Centre d’éthique médicale de l’Université catholique de Lille, sur l’évolution de cette dématérialisation dans le domaine de la santé, et les choix politiques qui sous-tendent la question de la numérisation.

Partant de la question des soins de santé qui est un de ses domaines de recherche, il envisage dans cette interview ce que le terme « santé numérique » recouvre et l’impact que celle-ci peut avoir sur la relation de soins, notamment en dématérialisant les lieux de soins. Par exemple, concernant la télésurveillance des patients à domicile, « des études montrent en effet que les dispositifs de télésurveillance transforment le domicile pour en faire un lieu hybride entre domicile de vie et de soins. Le simple fait de mettre un lit dans un living va transformer le lieu de vie, va avoir un impact sur l’intimité du patient ». Et de citer aussi les plans de e-santé belges qui sont notamment centrés sur la question des données, de leur centralisation et leur partage. « Le dossier patient informatisé touche à beaucoup de pratiques et d’organisations, et transforme les relations entre les professionnels, leurs rapports avec l’administration et, in fine, avec les patients. »

D’où l’intérêt d’avoir également interrogé une structure comme la LUSS (Ligue des usagers des services de santé), à propos de ce dossier médical informatisé (DMI) et sur son usage. La question du consentement éclairé du patient est un des éléments-clefs relatifs à son adhésion à cet outil et à son utilisation. Comme le soulève Bernadette Pirsoul, chargée de projets e-santé à la LUSS, « Parmi les patients qui présentent des pluripathologies ou des maladies rares, il y a un réel intérêt, notamment pour l’accès au dossier, aux examens déjà effectués ou lorsqu’ils sont pris en charge dans un autre hôpital. Ce DMI est un outil dont ils se sont emparés. En revanche d’autres patients donnent leur consentement et ensuite s’en remettent aux soignants, sans jamais consulter leur dossier informatisé ou ne savent même pas comment procéder. Or cet accès au dossier partagé peut permettre un meilleur dialogue et un emporwerment accru dans le chef du patient. » Avant la crise de la Covid, sur les 844.000 patients disposant d’un DMI à Bruxelles, seuls 3.000 accès mensuels (chiffres Abrumet) étaient enregistrés…

Fracture numérique et accès aux droits sociaux

Autre sujet crucial de cette digitalisation croissante : celle de la fracture numérique que l’on pressentait avant la pandémie, mais qui s’avère bien plus répandue et creusant plus encore la fracture sociale. L’illectronisme [1] est bien présent et, selon le Baromètre sur l’inclusion numérique 2020, publié par la Fondation Roi Baudouin, 40% de la population belge serait en situation de vulnérabilité à cet égard.

Pour commenter les effets de cet illectronisme, éloignant certains publics de leurs droits, Périne Brotcorne, chercheuse au CIRTEF (Centre Interdisciplinaire de Recherche Travail Etat Société) à l’UCLouvain, s’interroge sur cette nouvelle norme sociale que constitue l’utilisation du numérique, mais qui révèle aussi des inégalités d’accès aux technologies et partant, aux droits fondamentaux, créant ainsi de véritables discriminations. Pour cette chercheuse, cela pose des questions éthiques de poids : « C’est comme si cette transition était une fatalité alors qu’on oublie que ce sont aussi des choix politiques. Je ne dis pas qu’il ne faut pas utiliser les technologies numériques pour toute une série d’activités et de services. Mais dire qu’il n’y a pas de contrôle sur le rythme auquel nous passons au numérique et que c’est quelque chose de naturel, c’est faux.

Les travaux menés avec mon équipe cherchent à souligner la responsabilité collective des fournisseurs qui numérisent leurs services ; en particulier, les services publics qui se doivent de respecter leurs principes fondateurs : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public.

Cela pose la question du non-recours aux droits sociaux, pourtant fondamentaux. »

Dans ce chapitre, la journaliste Anouitcha Lualaba Lekede a balayé différentes initiatives pour tenter de réduire cette fracture numérique, notamment dans le cadre de la promotion de la santé. Que ce soit au travers du concept d’informaticien public (à l’instar de l’écrivain public) ou des espaces publics numériques (EPN), la philosophie de ces initiatives est de rapprocher le citoyen de la maîtrise de l’outil numérique. Comme le souligne Nagib Moutarda, chargée de projets d’un EPN mis en place par l’asbl Forest Quartiers Santé, « parmi le public qui fréquente nos EPN, nous avons aussi des personnes qui viennent via nos différentes activités autour de la promotion de la santé. Les EPN s’inscrivent dans cette démarche parce que l’accès au numérique est un déterminant de la santé. Internet est devenu une source tellement importante d’informations qu’il faut avoir un minimum d’autonomie pour se renseigner, s’informer correctement. »

Deux autres champs d’investigation

Autre sujet abordé : le fait de savoir si de plus en plus de pans de la société, comme celui de la santé mentale, sont désormais régis par des algorithmes, ou le seront bientôt. Avec Thomas Berns, philosophe et professeur à l’ULB, nous avons abordé les notions de « gouvernementalité algorithmique » et de « consentement significativement amoindri » quant à la cession de nos données personnelles, avec pour conséquence une capacité de plus en plus faible de nous énoncer par nous-mêmes. Cédric Detienne, chercheur à l’ULB, analyse pour sa part l’outil BelRAI qui s’impose petit à petit, permettant, selon ses promoteurs, l’évaluation des besoins psychiques, cognitifs, psychologiques et sociaux d’une personne, sans que le modèle clinique sous-jacent à cet algorithme ne soit réellement débattu.

Enfin, les enjeux concernant les pratiques participatives via le numérique sont également explorés, au travers de différentes initiatives. Si la tendance actuelle est d’inciter la participation de la population aux nombreux domaines de l’action politique, que ce soit par les autorités publiques ou des initiatives citoyennes, les plateformes numériques sont-elles le médium approprié pour toucher le plus grand nombre ? Jean-Luc Manise, journaliste et directeur de la transformation digitale au CESEP (Centre Socialiste d’éducation permanente) se penche sur ce qui pourrait être un nouveau souffle pour la démocratie.

Pour découvrir le dossier thématique annuel de Bxl Santé
« Le numérique en social-santé : inclusif ou excluant ? »

Le magazine Bxl Santé s’adresse aux professionnels de la promotion de la santé, du social (CPAS, assistants sociaux, éducateurs…), du secteur ambulatoire (médecins, infirmiers, kinés, travailleurs en santé mentale, réduction des risques…) et aux politiques. Il est également accessible à toutes les personnes intéressées par les questions autour du social et de la santé. Envoyé cinq fois par an, par e-mail, l’e-Mag Bxl Santé allie des dossiers, des articles longs, ainsi que des liens vers d’autres sites et articles.

Un dossier thématique annuel vient compléter l’offre de contenus, en approfondissant une thématique sur une année de recherches, de rencontres et de rédaction de contenus. Le premier dossier thématique Bxl Santé portant sur « Le numérique en social-santé : inclusif ou excluant ? » est désormais disponible en ligne et peut aussi être demandé en version papier. Dans un ouvrage téléchargeable en PDF sur le site de Question Santé (www.questionsante.org) ou en version papier à la demande, toutes ces questions sont développées dans un souci de vulgarisation et de réflexion, accessible à toute personne et organisation intéressée par cette évolution sociétale majeure qu’est la digitalisation de la société.

[1] « analphabétisme numérique »

Dossier thématique: « Littératie numérique en santé »

Le 4 Mai 21

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La littératie en santé fait référence à des aptitudes propres à chaque individu ; elle ne s’inscrit pas moins dans des contextes spécifiques, que sont les « systèmes » en place et les « acteurs » qui y opèrent. La littératie numérique en santé spécifie le cadre dans lequel se trouvent ces informations, à savoir l’univers numérique et digital. Par la publication de ce nouveau dossier thématique sur le thème de la Littératie numérique en santé, Cultures&Santé désire mettre en avant des références bibliographies, outils pédagogiques et sites ressources en lien avec la littératie numérique en santé, avec une approche « promotion de la santé » et une attention particulière aux inégalités sociales de santé. 

Face au développement des technologies de l’information et de la communication, des sources d’informations virtuelles et de systèmes de plus en plus numériques, de nouvelles « compétences en cybersanté » sont en jeu. Si le déploiement du numérique présente un intérêt certain, il engendre et renforce par ailleurs de nombreuses inégalités.

Près de 90 références bibliographiques et documentaires sont recensées dans ce dossier thématique ; elles sont déclinées en 6 sous-parties :

  • Littératie (numérique) en santé
  • Évaluation des informations santé à l’ère des médias sociaux.
  • Fractures numériques et impacts sur la santé
    Les impacts sur le non-recours aux droits
  • Promotion de la santé et e-santé : pratiques et recommandations.
  • Plans politiques, services publics : les systèmes en action
  • Les technologies de l’information de la communication : des outils au service des professionnel·les et des citoyen·nes ?
    TIC et relation soignant·e-soigné·e

Une trentaine d’outils et ressources et une sitographie font suite à la sélection bibliographique.

Les ressources mentionnées sont disponibles au sein de notre centre de documentation ou directement accessibles en ligne (dernière consultation : mars 2021) ; les mots-clés apportent des précisions sur les contenus.

Le dossier thématique « Littératie numérique en santé » a fait l’objet d’une relecture par Périne Brotcorne, aujourd’hui sociologue au Centre Interdisciplinaire de Recherche Travail, État et Société (CIRTES) et assistante à la Faculté ouverte de politique, économique et sociale (FOPES) de l’UCLouvain.

Retrouvez le dossier thématique, ainsi qu’une multitude d’outils et ressources complémentaires sur le site de Cultures&Santé: https://www.cultures-sante.be/nos-outils/les-dossiers-thematiques/item/592-litteratie-numerique-en-sante.html

femmes maladies cardiovasculaires

Les femmes, les « oubliées » des maladies cardiovasculaires

Le 23 Mar 21

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Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès des femmes en Belgique, devant le cancer du sein. Pourtant, l’imaginaire collectif continue de considérer que la santé du cœur concerne davantage les hommes. Pour comprendre pourquoi ces maladies progressent chez les femmes alors qu’elles reculent chez les hommes, il faut pointer des inégalités de sexe [1] et de genre [2] aux lourdes conséquences sur la santé des femmes. Suivez-nous dans le parcours de soins (des facteurs de risques jusqu’au traitement) d’une femme victime d’un AVC ou d’un infarctus du myocarde, deux exemples parlants pour illustrer ce constat interpellant.

femmesmaladiescardiovasculaires

La prévention : les facteurs de risques

Dès le début, de nombreux stéréotypes de genre entourent les facteurs de risques des maladies cardiovasculaires. Ne considère-t-on pas souvent que ce sont les hommes les principaux consommateurs de tabac et d’alcool, et les femmes qui font plus souvent attention à leur ligne ? Contrairement aux idées reçues, les femmes sont de plus en plus concernées par les facteurs de risques tels que le tabagisme, la consommation d’alcool, le manque d’activité physique, le surpoids, l’obésité et le stress. Les femmes sont aussi plus susceptibles d’être plus vite ou plus gravement impactées par ces facteurs de risques que les hommes car, au niveau anatomique, leur cœur est en moyenne plus petit que celui d’un homme.

En matière de tabac, les hommes ne sont désormais que légèrement plus nombreux que les femmes à fumer (23% contre 21)[3]. Plusieurs enquêtes en France démontrent que les femmes commencent à fumer plus jeunes que les hommes, qu’elles le font plus régulièrement et qu’elles ont plus de difficultés à se sevrer car, pour 60% d’entre elles, la cigarette constitue un « anti-stress » et pour 19%, un « anti-prise de poids »[4].

De manière générale, les femmes consomment de l’alcool plus régulièrement et en plus grandes quantités qu’auparavant mais surtout elles y réagissent plus vite et plus intensément que les hommes, en raison d’un poids moyen moins élevé, mais aussi d’un foie et d’un cœur généralement plus petits.

52% des femmes européennes ne pratiquent pas d’activité physique, contre 40% des hommes [5]. Cela peut s’expliquer par la dévalorisation du sport féminin et par le manque de temps libre, car ces dernières consacrent près de 6 heures par semaine de moins que les hommes aux loisirs. Pourtant, les hommes sont davantage touchés par le surpoids (56,4% contre 47,8% de femmes) et l’obésité (18,8% contre 16,8% de femmes) de manière générale [6]. Il est intéressant de souligner que le poids des femmes fluctue davantage au cours de leur vie, au rythme de périodes de stress hormonal (grossesse, ménopause, etc.).

Les femmes ont en moyenne plus de problèmes d’anxiété, de stress ou de dépression qui peuvent s’expliquer par une charge mentale plus importante au quotidien, un stress professionnel parfois exacerbé par du harcèlement sexuel, ou des conditions de vie précaires (revenus plus faibles, temps partiels prépondérants, métiers « féminisés » dévalorisés, plus souvent à la tête de familles monoparentales, etc.). Ces différentes formes de stress génèrent un risque accru de maladies cardiovasculaires chez les femmes car ils provoquent en moyenne des effets plus importants sur leur système nerveux autonome.

D’autres facteurs transversaux peuvent jouer un rôle, tels que l’origine ethnique et l’âge. Or, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes mais en moins bonne santé. Ainsi, elles passent désormais 1/3 de leur vie en étant ménopausées, ce qui allonge leur période de vulnérabilité [7] aux maladies cardiovasculaires via une hypertension artérielle et un taux de cholestérol fréquemment plus élevés après 60 ans. La ménopause, comme d’autres étapes de la vie des femmes, est souvent accompagnée d’un traitement hormonal ou d’une contraception hormonale qui favorise des effets négatifs tels que la coagulation du sang et la formation de caillots. La combinaison avec le tabac peut multiplier par 30 le risque d’infarctus [8].

Par conséquent, développer une politique de prévention efficace en prenant le sexe et le genre en considération est très important. Cela constitue un enjeu majeur de santé publique car la plupart (80%) des maladies cardiovasculaires sont causées par des facteurs de risques liés à l’hygiène de vie, sur lesquels il est donc possible d’agir de manière très concrète au quotidien.

L’apparition de la maladie : des symptômes peu (re)connus

Le sexe et le genre influencent le diagnostic d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Les symptômes de ces deux maladies, bien identifiés du grand public, sont des signaux d’alerte spécifiques chez les hommes mais près d’une femme sur deux ne s’y reconnait pas. Les femmes sont davantage touchées par des maladies dites microvasculaires (à l’opposé des grandes artères coronaires chez les hommes), ce qui provoque des symptômes « atypiques » [9] chez ces dernières. De manière générale, les symptômes chez les femmes sont plus difficilement identifiables, et surtout, mal connus. Prenons le cas d’un infarctus du myocarde : une oppression thoracique, une grande fatigue persistante, des difficultés à respirer, des troubles digestifs, etc. Ajoutons à cela l’idée reçue selon laquelle les femmes sont moins concernées que les hommes par ces pathologies, et cela amène à de lourdes conséquences au niveau de la prise en charge des femmes malades. Tout d’abord, le manque de réaction de l’entourage : il faut en moyenne une heure de plus pour que l’entourage appelle un numéro d’urgence et ce sont rarement les partenaires masculins qui appellent en cas d’accident cardiaque [10]. Cela renvoie à la question du soin aux personnes (« care ») qui reste majoritairement pris en charge par les femmes. Or, les femmes elles-mêmes ont plus de difficultés à réaliser qu’elles sont victimes d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. Dans ce contexte, en cas de malaise elles sont 27% moins susceptibles que les hommes de bénéficier d’un massage cardiaque, alors qu’il est indispensable à la réanimation du cœur [11]. Cela s’explique par la méconnaissance des symptômes mais aussi par la réticence des personnes à toucher la poitrine d’une femme même si elle se trouve en danger. La poitrine féminine n’est d’ailleurs pas prise en compte dans les cours de réanimation cardio-respiratoire puisque les mannequins utilisés sont exclusivement des torses masculins. 

La norme médicale se pense à partir des hommes et cela a des impacts dramatiques sur la santé des femmes.

Une prise en charge à deux vitesses

En réalité, les maladies cardiovasculaires ne concernent pas majoritairement les hommes : elles sont simplement davantage diagnostiquées chez eux ! Ainsi, les femmes malades entament le processus de prise en charge médicale avec deux heures de retard sur les hommes : le temps que l’entourage appelle les urgences. Une fois arrivées à l’hôpital, les femmes doivent en moyenne attendre une heure de plus que leurs homologues masculins avant d’être prises en charge par un·e cardiologue [12]. Le temps d’attente explique un nombre de décès plus important au sein de la gent féminine : entre l’admission aux urgences et la sortie de l’hôpital, le taux de survie atteint seulement 37% contre 55% chez les hommes [13]. 

Le sous-diagnostic chez les femmes s’explique aussi par la méconnaissance de ces symptômes « atypiques » par les professionnel·le·s de la santé : seuls 51.3% des étudiant·e·s en médecine sont conscient·e·s que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes dans le monde [14].  

Toutefois, les patientes ayant des symptômes « typiques » (c’est-à-dire similaires à ceux des hommes) ne sont pas mieux loties : elles ont trois fois plus de chances que les médecins expliquent leur état par des causes émotionnelles plutôt que par des causes biologiques du type trouble cardiaque [15]. Dans le cas d’une suspicion d’un AVC mineur, les femmes ont 10% de chances de plus de recevoir un tout autre diagnostic : une migraine par exemple [16]. De manière générale, les symptômes présentés par une femme ont plus de risques d’être identifiés comme relevant d’une forme de stress, de dépression ou de fatigue plutôt qu’une maladie cardiovasculaire. Ainsi, les femmes se voient prescrire des anxiolytiques plutôt qu’un rendez-vous chez un·e cardiologue. Le genre d’une personne influence donc le diagnostic posé par un·e professionnel·le de la santé ! 

La prise en charge et la prescription de certains examens sont également inadaptées : une femme aura 40% de chances en moins qu’un homme de se faire prescrire un examen des artères coronaires [17]. De plus, certains examens prescrits, comme l’angiographie, un examen radiologique réalisé au moyen d’un colorant, est inefficace pour le diagnostic de maladies microvasculaires dont les femmes sont davantage victimes. Certains résultats doivent d’ailleurs être interprétés différemment selon le sexe du patient, ce qui n’est pas toujours le cas. 

Les traitements

Une fois la maladie détectée vient l’étape du traitement. Or, trois inégalités de traitement ressortent :

  • les femmes subissent moins fréquemment des interventions dites « invasives » (pacemakers, chirurgie, cathéters, etc.) ;
  • certains traitements sont trop faiblement dosés car on a sous-estimé leur maladie ;
  • et les trois types de médicaments les plus couramment indiqués (dans certains cas de crises cardiaques) sont moins fréquemment prescrits aux femmes. Pourtant, les recommandations européennes ne font aucune différence en fonction du sexe pour la prise en charge médicamenteuse en la matière.

Le rétablissement

Globalement, les femmes ont, en moyenne, plus de difficultés à se remettre d’une maladie cardiovasculaire, quelle qu’en soit la forme. Cela peut s’expliquer par le fait qu’elles reprennent plus rapidement les activités ménagères ainsi que leurs responsabilités familiales. Mais un autre élément qui rentre en ligne de compte est le suivi éventuel d’un programme de réadaptation cardiaque prometteur. Cependant, ce programme est peu connu et le nombre de places y est limité. Seule une femme victime d’infarctus sur cinq y a recours, contre un homme sur trois [18], car ce programme est davantage prescrit aux hommes. De plus, les femmes y ont plus difficilement accès car elles disposent moins souvent d’un véhicule que les hommes et se déplacent donc en transports en commun. Ces dernières ont également tendance à retourner le plus rapidement possible à leur domicile pour prendre soin de leur famille, un rôle qui, encore aujourd’hui, leur incombe principalement.

Conclusion

Les maladies cardiovasculaires sont donc moins bien traitées chez les femmes que chez les hommes, et ce tout au long du parcours de soin. Les femmes ne seraient d’ailleurs que 26% à avoir déjà échangé à ce sujet avec un·e professionnel·le de santé [19]. Une prévention efficace passe donc avant tout par une information et une sensibilisation (campagnes, formation continue, etc.) tant du grand public que des professionnel·le·s du secteur psycho-médico-social. En identifiant mieux les facteurs de risques, les obstacles à la prise en charge féminine, et surtout les leviers à mettre en place pour les limiter, chacun·e aura les clés pour prendre sa santé en main et se prémunir au mieux des maladies cardiovasculaires.

En tant que mouvement féministe, nous ne pouvons que saluer et soutenir la recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui insiste sur l’importance de la prise en compte des dimensions de sexe et de genre dans tous les domaines de la santé et à toutes les étapes de soins, y compris via les essais cliniques et la généralisation de mannequins féminins pour l’apprentissage des massages cardiaques. Il s’agit là d’un passage absolument nécessaire pour atteindre une société réellement égalitaire.

Tous les éléments mentionnés dans cet article sont approfondis dans l’étude suivante :COLARD Fanny, « Femmes et maladies cardio-vasculaires. Quand une approche non genrée de la santé fait des ravages », Etude FPS, 2019

Webinaire « La santé du cœur, tous égaux ? », organisé par les Femmes Prévoyantes Socialistes, septembre 2020

[1] Lorsque nous évoquons des éléments biologiques liés au sexe d’une personne, le terme « femme » recouvre ici l’ensemble des personnes ayant des caractéristiques physiques féminines pouvant avoir une influence sur les maladies cardiovasculaires.

[2] Lorsque nous évoquons la notion de genre et particulièrement certains stéréotypes pouvant avoir une influence sur la façon dont les maladies cardiovasculaires sont prises en charge, les termes « femmes » ou « hommes » désignent l’ensemble des personnes s’identifiant à ce genre, tant par leur ressenti que par leur expression de genre.

[3] FONDATION CONTRE LE CANCERet GFK BELGIQUE, Enquête tabac 2018, p. 6

[4] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 5

[5] COMMISSION EUROPÉENNE, Special Eurobarometer 472. Sport and physical activity. Summary, mars 2018

[6] BELGA, «Un Belge sur deux est trop gros», RTBF Info, 05 février 2019.

[7] La grossesse est également une étape physiologique typiquement féminine qui demande une prise en charge adaptée du diabète de grossesse, d’une potentielle pré-éclampsie, des facteurs de risques d’une grossesse après 35 ans, etc.

[8] Alexandra BRESSON, « Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité chez les femmes », Santé Magazine, 29 décembre 2016

[9] On qualifie ces symptômes « d’atypiques » car la norme en médecine et dans la recherche est le corps masculin.

[10] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 14.

[11] Emmanuelle JUNG, « Les femmes reçoivent moins de massages cardiaques que les hommes à cause de… leur poitrine », MediSite, 06 juin 2019

[12] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, Cœur, artères et femmes… op. cit., p. 13.

[13] Ibid.

[14] Sylvie LOGEAN, « Les stéréotypes liés aux hommes et aux femmes s’immiscent jusque chez le médecin», Le Temps, 30 janvier 2018

[15] Muriel SALLE et Catherine VIDAL, « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? Penser la santé au prisme du sexe et du genre », Paris, 2017, p. 38.

[16] RTBF TENDANCE AVEC AFP, « Les femmes sont moins diagnostiquées pour un AVC mineur que les hommes », RTBF Info, 15 juillet 2019

[17] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, « Cœur, artères et femmes… », op. cit., p. 12

[18] FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE, « Cœur & Femmes », op. cit., p. 9

[19] Ibid.

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La mobilité est un déterminant de la santé

Le 24 Mar 21

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« Ensemble pour la santé », un projet initié par la Plate-forme d’action Santé & Solidarité (la PASS), fête ses cinq ans. À son actif, une mobilisation de citoyen·es et d’associations de différents secteurs et, depuis 2019, un chantier ouvert sur les liens ente santé et mobilité. Tour d’horizon de nos avancées où la crise sanitaire s’est invitée sans crier gare.

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Cet article a été initialement publié dans Bruxelles en Mouvement, n°309 novembre/décembre 2020, périodique édité par Inter-Environnement-Bruxelles et la Fédération des Comités de quartier et Groupes d’habitants. Retrouvez-le sur www.ieb.be/Accessibilites. Nous les remercions, ainsi que les auteurs, pour leur aimable autorisation de reproduction.

2017… Citoyen·es et professionnel·les de différents secteurs des quatre coins du pays se retrouvent pour échanger sur la santé. Car oui, les projets locaux qui misent sur la participation des citoyens font santé et la promotionnent très certainement. À l’origine de cet évènement, un groupe de professionnel·les issu·es des secteurs de la santé, de la promotion de la santé, du social, mais aussi quelques habitant·es passionné·es et impliqué·es dans des initiatives citoyennes. En 2019, plus fort·es de l’engagement et de la présence de citoyen·es, nous décidons de creuser la question des liens ente santé et mobilité. En 2020, la crise sanitaire s’est invitée à la table de nos échanges. Qu’à cela ne tienne, nous optons pour réorienter le projet en cherchant à cerner les effets du confinement sur la mobilité. Nous épluchons et échangeons des articles, travaillons à un questionnaire pour récolter des témoignages de citoyen·es et élaborons une grille de lecture pour croiser tout ce matériel.

Émaillées de témoignages, constats et interrogations, les lignes qui suivent vous proposent un morceau de notre cheminement.

Mobilité, santé et inégalités

2019, nous voici donc arrimés au thème de la mobilité. Nous passons d’abord par une étape de définition et de recueil de nos représentations sur ce que recouvre ce thème. Le constat est dressé: tous et toutes, nous partageons la conviction que la mobilité est un facteur qui influence positivement ou négativement notre santé. De ces échanges, se dégage une vision large de la mobilité: c’est le fait de pouvoir se déplacer aussi bien physiquement, au quotidien et sur le long terme (si on pense à la migration par exemple) que socialement et virtuellement (si on pense à la capacité à se projeter, à se déplacer sur l’échelle sociale).

La mobilité est étroitement liée à la santé, autrement dit c’est un « déterminant de la santé ». D’abord et parce qu’elle nous permet de nous mouvoir, la mobilité participe à notre activité physique et est vectrice d’autonomie et d’émancipation. Elle permet également l’accès aux services (sociaux et de santé), aux offres (alimentaires, de loisirs) et aux contacts sociaux. Aussi, les temps de déplacement plus ou moins longs peuvent jouer sur notre qualité de vie. Son accessibilité pour tous et toutes est donc un enjeu majeur de santé publique. Or, il existe encore de trop nombreuses inégalités, qu’elles soient géographiques (certains quartiers étant mieux desservis par les transports en commun que d’autres), physiques (des lieux publics n’étant pas toujours adaptés aux personnes à mobilité réduite), financières (se déplacer pouvant coûter cher), de genre (une femme seule ne se déplaçant pas de la même manière qu’un homme seul), psychologiques (sentiment d’insécurité routière, prises de risque), environnementales (pollutions sonores, circulation accrue), ou encore administratives (circulation des personnes sans papier).

Ces inégalités peuvent se cumuler, entravant encore davantage la capacité d’une personne à se mouvoir et impactant in fine sa santé.

Et la Covid dans tout ça?

En mars, le confinement stoppe net la liberté de circulation, impactant par là également la santé des populations: report de soins, approvisionnement alimentaire au plus proche même quand l’offre est réduite, diminution des contacts sociaux, isolement, sédentarité… Le moral et la santé mentale des Belges en prennent alors un coup!

Ici aussi, les conséquences sur la santé de la population se voient réparties inégalement. Et les médias le relayent fortement : la crise du coronavirus exacerbe des inégalités préexistantes, voire crée de nouvelles inégalités.

Pour documenter la manière dont cela est vécu par notre groupe, nous effectuons une dizaine d’interviews par téléphone. Une façon également de maintenir le lien avec les citoyen·es malgré l’arrêt des activités.

Voici quelques retours de ces témoignages et de nos réflexions à ce propos.

Si certaines personnes ont limité au maximum leurs déplacements (par peur du virus, par méconnaissance ou incompréhension de certaines règles, par peur des contrôles d’identité), d’autres ont redécouvert la marche comme mode de déplacement privilégié: «Pendant le confinement j’ai pris du poids et mon médecin m’a demandé de faire plus d’activité physique alors je marche beaucoup et comme ça j’évite d’être avec les gens». Pour d’autres encore, les déplacements ont été facilités pendant le confinement : «Mon mari ne travaillait pas, donc la voiture était toujours disponible», «Mon trajet vers le bureau me prenait 40 minutes au lieu d’une heure trente habituellement».

Quel que soit leur quartier, les interviewé·es ont tous ressenti une amélioration de leur environnement lors du confinement. Ils témoignent d’une diminution des bruits et de la pollution ainsi que d’une meilleure qualité de l’air : «J’ai pu observer la diminution de la pollution sur ma peau et mes cheveux : mon coton de visage était propre tout le temps du confinement!», «Durant le confinement, c’était comme des dimanches sans voiture».

Si les reports de soins pendant le confinement ne sont pas liés directement à la mobilité mais à l’annulation des rendez-vous par les services de santé, notons qu’ils ont pu impacter la santé physique des personnes et par là leur mobilité: «Je bénéficie d’un traitement aux orteils régulièrement et je n’ai pas pu en bénéficier pendant le confinement alors que cela impacte ma capacité à marcher». La numérisation des services sociaux et de santé pour répondre aux mesures de sécurité liées au Covid pose la question de leur accessibilité: la fracture numérique est encore très forte.

Comme énoncé plus haut, la mobilité comme nous l’entendons n’est pas uniquement quotidienne et immédiate, elle dépasse les frontières, en témoigne cette personne: «Mon plus grand regret est de ne pas pouvoir partir au Maroc car les frontières sont fermées et qu’il y a beaucoup de Corona. D’habitude je pars chaque année au Maroc».

La réduction des contacts sociaux a plongé certaines personnes dans un état d’isolement. L’impossibilité de rendre visite aux proches est particulièrement difficile à vivre pour les personnes qui vivent seules ou qui sont à risque. Ces témoignages vont dans le sens de l’enquête réalisée par Sciensano: près de 60% des sondés sont insatisfaits de leurs contacts sociaux. Ils n’étaient que 8% dans l’enquête santé de 2018 [1].

Enfin, notons que la crise sanitaire a entraîné une nouvelle répartition de l’espace public: de longues files sur les trottoirs, des aménagements temporaires, une augmentation du nombre de cyclistes…

Aujourd’hui, alors que nous sommes dans un nouveau confinement, mais moins strict que le précédent, nos déplacements sont soumis à une nouvelle contrainte: celle du port du masque dans les transports en commun et les espaces publics à forte fréquentation. Est-ce que cela entrave la mobilité de certaines personnes? Ou au contraire, cette mesure peut-elle les rassurer, leur permettant ainsi d’oser sortir? La question reste ouverte.

Les citoyen.nes prennent les rênes

Divers mouvements et initiatives citoyennes ont émergé pour répondre, dans l’urgence, aux besoins de certaines personnes particulièrement fragilisées par la crise sanitaire [2].

En effet, de nombreu·ses habitant·es ont rencontré des difficultés à s’approvisionner pour des raisons financières, mais également pour des raisons de mobilité ou d’accessibilité aux denrées. Pour répondre à ces difficultés, des réseaux d’entraide, allant d’un niveau familial ou de voisinage à des initiatives plus structurées, sont apparus au sein des quartiers. Des mouvements citoyens se sont organisés pour collecter des vivres (comme «Collectmet») ou même les livrer (comme les Brigades populaires de Saint-Gilles).

Des initiatives citoyennes, s’apparentant selon les dires des participant·es à de vrais apprentissages d’organisation de solidarité, ont aussi vu le jour. Ainsi, près de la porte d’Anderlecht, des bénévoles se sont organisés pour collecter les invendus des magasins et les redistribuer et, ce faisant, se sont découverts une vraie fibre civique: «Avec un groupe de potes, on s’est dit qu’on ne pouvait pas rester les bras ballants quand on savait que dans le quartier il y avait des situations très compliquées… Première démarche, pas simple, convaincre les responsables de petites enseignes du coin de céder leurs invendus puis penser au dispatching. On savait qui avait besoin mais comment approcher ces personnes ? Il a fallu gagner la confiance… Puis on s’est organisés; le groupe de bénévoles s’est élargi, le bouche à oreille a fonctionné. Maintenant, on nous a à la bonne dans le quartier, on a l’impression qu’on fait partie d’une communauté, bien soudée» commente Olivier.

L’espace public a également été réapproprié par les habitant·es. Tel est le cas, par exemple, de la rue ouverte à Molenbeek. Comment s’échapper des appartements confinés ou trop exigus et/ou rompre l’isolement sans aller très loin? Des riverains ont fait en sorte que des rues puissent être investies de jeux d’enfants et des papotes entre voisin·es… Voitures non admises et distances physiques respectées !

On observe donc, dans cette période de confinement et de renforcement des inégalités, de nombreuses initiatives nées au plus proche des réalités. Nous ne relevons que quelques exemples mais il en existe quantité d’autres qui témoignent aussi de la créativité et de la pertinence de ces actions. Elles se sont développées pour répondre à des besoins et se sont adaptées rapidement, en regard de l’évolution de la situation, là où les dispositifs politiques traditionnels ont été lents à se mettre en place.

Vers un plaidoyer communautaire

Ces initiatives citoyennes sont l’illustration d’une capacité d’observation et d’écoute des personnes et des quartiers, de réactivité, de réflexion et d’entraide. Elles confortent dans l’idée, déjà défendue par la plateforme Agora [3], qu’il y a urgence à inclure la population dans les prises de décision. Dans son courrier à la Première Ministre, cette plateforme, comme tant d’autres, a marqué son étonnement quant aux profils des experts censés conseiller nos politiques face à cette pandémie: acteurs sanitaires (épidémiologistes, virologues) ou économiques. Quelle place pour les citoyen·es ? La gestion de cette crise semble les avoir envisagé·e·s comme des destinataires de consignes d’hygiène à suivre, voire comme responsables de la propagation du virus… leur faisant endosser des rôles, tels que confectionner des masques et des équipements pour nos soignant·es ou mettre en place les dispositifs d’urgence exemplifiés plus haut, pour pallier l’imprévoyance ou le manque de réactivité de celles et ceux qui nous gouvernent. Les citoyen·es ont pourtant montré bien d’autres compétences et capacités d’initiatives.

Quelle place pour les citoyen·es ? La gestion de cette crise semble les avoir envisagé·e·s comme des destinataires de consignes d’hygiène à suivre, voire comme responsables de la propagation du virus…

Le projet Ensemble pour la Santé parie sur les expertises d’habitant·s, expert·es de leur vécu, croisées avec celles d’associations (des secteurs de l’éducation permanente, de la promotion de la santé, du social, ou d’autres impliquées dans la mobilité). Ensemble, nous partageons nos constats et questions, soutenu·es dans notre réflexion par des études, des enquêtes, des échanges et des observations présentées et mises en débat par d’autres associations expertes dans les questions de mobilité (comme par exemple Provélo, Responsible Young Driver, IEB ou le Bral). La constitution et la manière de travailler du groupe évoluent au gré de ces rencontres et débats: un état des lieux se construit. Et progressivement émergent des propositions, des idées pour pallier des manques et répondre à des besoins simples ou plus complexes. Ensemble, nous réfléchissons aux possibles changements, nous construisons un plaidoyer communautaire pour une mobilité plus équitable.

Si ces questions vous intéressent ou si vous vous retrouvez dans ces démarches, n’hésitez pas à nous contacter via le site d’Ensemble Pour la Santé (www.samenvoorlasante.be) ou via la page Facebook (Samen voor gezondheid – Ensemble pour la santé)!

En complément de cet article, découvrez également l’article « Démarche communautaire et mobilité en santé » de Frédéric Dejou, Les Pissenlits asbl, paru dans Bruxelles en Mouvement, n°309, novembre/décembre 2020, périodique édité par Inter-Environnement-Bruxelles et la Fédération des Comités de quartier et Groupes d’habitants. Retrouvez-le sur www.ieb.be/Accessibilites.

Rapport « Ce que la première ligne a découvert durant la première vague de covid : en mode collaboratif et digital, ça fonctionne mieux ! »

Le 30 Mar 21

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En 2020, le Fonds Dr. Daniël De Coninck a rapidement répondu aux SOS des prestataires de première ligne qui demandaient un soutien afin de pouvoir agir vite. Une enquête auprès des 365 organisations soutenues montre ce que le soutien leur a permis de faire et quelles sont les leçons tirées pour l’avenir.  Ce rapport nous montre bien ce qu’accomplissent les pionniers lorsqu’on leur accorde un peu d’air.

[extrait de la publication]

Les crises sont des catalyseurs de changement. La pandémie de coronavirus ne fait pas exception à la règle. Elle a continuellement et durablement (re)modelé les soins primaires belges. Entre autres sur quatre plans :

  • Les nombreuses disciplines actives en première ligne* se sont rapprochées. L’heure est désormais à la collaboration.
  • Par ailleurs, la digitalisation a investi les relations avec les patients et les clients, et la numérisation interne a, à son tour donné un élan supplémentaire à la collaboration mutuelle.
  • Tout ceci concourt à une évolution des soins primaires vers des soins communautaires intégrés (Integrated Community Care).
  • Les soins primaires sont également devenus plus prévoyants : ils se constituent des réserves et apprennent à réagir aux crises inattendues.

Il n’y a pas que les hôpitaux qui méritent des applaudissements. Le coronavirus a dopé les soins communautaires intégrés.

Retrouvez la publication complète: Rapport « Ce que la première ligne a découvert durant la première vague de covid: en mode collaboratif et digital, ça fonctionne mieux! », G. Tegenbos, Fondation Roi Baudoin, 2021

business people meeting at office and use post it notes to share idea. brainstorming concept

Co-construire une évaluation au départ de données collectées sur le terrain

Le 18 Fév 21

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Au centre de deux séminaires « Evaluation » : la démarche d’évaluation mise en place par Prospective Jeunesse dans le cadre de son offre de formation-accompagnement. Une opportunité pour les participants de découvrir un cas concret et de travailler sur des données qualitatives collectées six mois après la formation. 

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Depuis mai 2019, ESPRIst-ULiège organise des séminaires « évaluation » à destination des acteurs intervenant dans le champ de la santé et de ses déterminants sociaux en Région wallonne. Ces rencontres suscitent l’intérêt de participants issus de secteurs variés et actifs en promotion de la santé, dans un milieu de vie particulier ou de manière transversale. 

Le but ultime poursuivi par ESPRIst-ULiège est de susciter l’intérêt pour l’évaluation participative et négociée. Pour ce faire, la méthodologie associe des présentations de cas concrets et des cadrages théoriques et méthodologiques. Au fil des rencontres émergent des balises essentielles à tout projet d’évaluation. 

En 2020, plusieurs séminaires ont été organisés en présentiel et en virtuel. En mars, une première séance a repositionné les repères théoriques et méthodologiques de l’évaluation participative et négociée abordés l’année précédente. C’est à l’automne que se sont tenus deux séminaires organisés en collaboration avec Prospective Jeunesse. 

Dans cet article, nous entendons disséminer davantage les réflexions sur ce cas précis dans lequel les acteurs de promotion de la santé pourront trouver un écho utile pour développer leurs pratiques d’évaluation. 

Qui est Prospective Jeunesse?

Prospective Jeunesse (PJ) est un centre d’étude et de formation, fondé en 1978 et subventionné par le Service public francophone bruxellois et l’AViQ. PJ dispose d’une grande expérience dans l’accompagnement des adultes, relais des jeunes, et dans la prévention des consommations problématiques et des dépendances aux produits psychotropes ou aux écrans chez les jeunes. Les activités de PJ s’articulent autour de trois axes : 

  • L’information et la sensibilisation via la parution d’une revue trimestrielle traitant de thématiques pointues en lien avec les consommations. 
  • Les consultations psychologiques à destination de consommateur.trice.s et/ou leurs proches. 
  • Les formations et accompagnements qui se réalisent principalement avec les adultes, au départ de demandes reçues, et qui permettent, entre autres, de travailler à la cohérence interne d’une équipe, à la posture à adopter face aux consommations problématiques, mais aussi à la prise en compte de la parole des jeunes. Les publics sont principalement les écoles ou encore le secteur de l’Aide à la jeunesse. L’objectif est de réunir le maximum de personnes autour d’un projet commun, depuis les encadrants jusqu’à la direction, en passant par les jeunes. Certaines formations sont programmées, tandis que d’autres peuvent être données à la demande. Elles se veulent participatives et interactives. 

Pour en savoir plus sur les missions et activités de Prospective Jeunesse : https://prospective-jeunesse.be/ 

Un dispositif d’évaluation à 6 mois

Comme d’autres acteurs en promotion de la santé, PJ a entamé une réflexion sur l’évaluation de ses projets et plus particulièrement des accompagnements et des formations sur mesure. Le but poursuivi est d’avoir un aperçu sur l’appropriation de ce qui a été vu et vécu en formation (changements d’attitude, culture institutionnelle enrichie, se sentir plus à l’aise pour parler des consommations, etc.), et également de porter un regard sur le chemin parcouru pour éventuellement identifier de nouveaux besoins ou pistes d’action.

Dans un premier temps, ce dispositif d’évaluation à 6 mois n’était pas formalisé ; il s’agissait plutôt d’un retour d’expériences et d’une manière d’inviter les participants à garder un lien avec la formation. Ensuite, ce dispositif a été construit et intégré à la formation comme module à part entière. Ainsi, dès le début de la formation, les participants sont informés du déroulement de cette rencontre, six mois après la formation.

Le module d’évaluation a été construit sur base de la méthode des Chapeaux d’Edouard De Bono. Les chapeaux de couleurs différentes invitent la personne à sortir de son raisonnement habituel en passant par différents modes de pensées : le factuel, l’émotionnel, le prospectif, etc. Cette méthode a montré des résultats intéressants dans le cadre de ce dispositif, permettant aux participants de réfléchir, six mois plus tard, aux apports de la formation et de se rendre compte, parfois, qu’ils ont déjà avancé sur ces problématiques de consommations et de dépendances, que le changement demande du temps et nécessite de mobiliser les ressources de l’institution.

Rapidement a émergé la question du traitement de ces données « vivantes » issues de ce module d’évaluation. C’est l’étape à laquelle PJ est arrivée à présent. Comment formaliser ces résultats, afin de faire évoluer les pratiques des intervenants, mais aussi de les faire remonter vers les pouvoirs subsidiants qui ont des canevas d’évaluation en décalage avec les pratiques de la seconde ligne? Comment se saisir pleinement de ces données et construire quelque chose de solide ? C’est à cette réflexion que le séminaire évaluation de ESPRIst-ULiège entendait contribuer au travers des ateliers et des échanges entre participants issus de secteurs et de niveaux institutionnels divers.

Un séminaire évaluation ancré dans la pratique 

En 2019, ESPRIst-ULiège invitait les participants aux séminaires à soumettre un cas concret d’évaluation pour de futurs séminaires. C’est ainsi qu’a été construit, en collaboration avec Prospective Jeunesse (PJ), le séminaire : « Objets, critères et indicateurs ; comment les construire et les identifier au départ des données collectées sur le terrain ? »

Après avoir découvert la démarche d’évaluation mise en place par PJ les participants ont travaillé sur des données qualitatives collectées lors de séances d’évaluation à 6 mois. Ces données sont présentées dans des tableaux où chaque colonne correspond à un chapeau de De Bono :

  • Blanc : Les faits : Ce dont on se souvient.
  • Rouge : Les émotions : Comment on se sent à ce stade par rapport à sa pratique.
  • Jaune : La critique positive : Ce qu’on a mobilisé et qui a bien fonctionné.
  • Noir : La critique négative : Ce qui n’a pas bien fonctionnée ou qui a manqué.
  • Vert : La créativité : Ce qu’on pourrait mettre en place aujourd’hui.
  • Bleu : La neutralité : Ce qui ressort de cette session à 6 mois.

Un glossaire accompagnait chaque tableau afin de permettre aux participants de comprendre les outils et concepts particuliers auxquels les participants aux formations font référence lors de la session.

Faire émerger les objets d’évaluation au départ d’un matériau collecté sur le terrain 

L’exercice proposé lors des ateliers du 18 septembre, différentes facettes de l’évaluation ont été évoquées : les finalités, les questions évaluatives et les objets. 

Le point de départ est une question évaluative formulée par l’équipe de PJ « Quels sont les effets des formations sur les pratiques professionnelles des participants ? » 

L’équipe de PJ a présenté ses activités et ses options méthodologiques ainsi que son dispositif de formation-accompagnement et d’évaluation. Deux ateliers ont été organisés. Dans chaque atelier, les données qualitatives sont présentées de façon identique, mais portent sur des interventions de formation différentes. 

En début d’atelier, chaque participant est invité à prendre connaissance des données brutes, recueillies par PJ durant leur module d’évaluation. Ensuite, individuellement, chacun a inscrit, sur des post-it, quatre éléments qui lui semblaient répondre à la question évaluative. Les participants ont ensuite expliqué leurs choix et procédé à des regroupements d’idées. C’est au travers de ces processus d’explicitation et de catégorisation qu’émergent une série d’objets sur lesquels on souhaite faire porter l’évaluation : les ressources et outils, l’évolution des pratiques professionnelles de l’équipe, la posture professionnelle, l’évolution des représentations, la formalisation, la mise en pratique, le processus de formation et les savoirs. Chaque objet a été détaillé et enrichi d’informations directement issues des données de départ. Cette catégorisation est représentée dans la mindmap. On y voit apparaître, sous chaque objet, les éléments retenus qui préfigurent les critères d’évaluation. Les flèches montrent les liens causaux voire temporels entre les catégories d’objets, qui s’enchainent logiquement ou se renforcent mutuellement. 

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Définir des critères et des indicateurs utiles et réalistes 

Quelques semaines plus tard, l’exercice a été poursuivi au départ de la mindmap, plus particulièrement, sur deux objets d’évaluation ; les « ressources et outils » et la « posture professionnelle individuelle ». 

La connaissance du contexte de la formation par PJ et l’œil extérieur apporté par les participants ont permis d’affiner progressivement la vision des objets pour aboutir à des critères et des indicateurs. C’est la confrontation des points de vue ainsi que les allers et retours dans la réflexion qui permettent d’aboutir à des indicateurs pertinents et réalistes. 

Dans une démarche d’évaluation pleinement participative et négociée, les professionnels formés par PJ pourraient – pourquoi pas – se voir impliqués de la sorte dans la définition et la négociation des critères et indicateurs d’évaluation. 

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Les critères sont précisés au départ des contenus évoqués durant la première séance et rassemblés sous chacun des objets de la mindmap. Les indicateurs sont choisis en fonction de leur utilité, de leur faisabilité, de leur proximité avec la réalité étudiée. Les indicateurs proposés ici devraient encore être affinés en définissant quel est le seuil, la proportion à partir de laquelle on jugera que la formation est pertinente ou au contraire doit être revue ; on peut aussi observer la progression des indicateurs au fur et à mesure que l’on adapte les formations.

Pour répondre à la question « La formation a-t-elle eu un effet sur les ressources mobilisées par les participants », deux critères complémentaires ont été investigués. L’un d’entre eux est le souvenir des outils présentés lors de la formation, avec pour indicateur :  la proportion des participants citant une majeure partie des outils. L’autre critère est l’utilisation des outils dans la pratique avec pour indicateur : la proportion des participants ayant utilisé un ou plusieurs outils six mois après la formation. Ce dernier indicateur peut être complété qualitativement par une description des modalités d’utilisation et d’appropriation de cet outil en contexte. 

Pour répondre à la question « la formation a-t-elle eu un effet sur la posture professionnelle de participants », on passe par un critère intermédiaire fondamental pour PJ : la lecture tri-variée des situations de consommation. Cette approche implique de concevoir les consommations comme la résultante d’une combinaison d’éléments de contexte, de facteurs individuels et de caractéristiques du produit consommé. Pour permettre aux professionnels de prendre du recul par rapport aux situations de consommation, d’atténuer leur vision problématique de celles-ci et de diminuer leur stress face à de telles situations (objet : posture), il importerait donc de passer par une évolution de ces représentations (objet : représentations). En conséquence, deux indicateurs sont retenus en lien avec l’évolution de la posture et deux indicateurs en lien avec l‘évolution des représentations. 

Les grains de sable essentiels

La formation donnée par PJ implique un double niveau d’intervention. Les dimensions collectives et individuelles interviennent et sont fondamentales dans la compréhension du contexte de l’évaluation. Le matériau brut ne permet pas toujours d’identifier clairement si les personnes parlent en leur nom ou au nom de leur équipe. Certes le matériau n’est pas parfait, mais il existe et permet à PJ de se questionner et d’envisager l’évolution du dispositif d’évaluation à 6 mois. 

La temporalité du dispositif d’évaluation à 6 mois a été un élément essentiel dans la définition des critères et des indicateurs. Spontanément, dans l’exercice, les participants citent des propositions qui relèvent davantage d’une évaluation au sortir de la formation plutôt que d’une évaluation à 6 mois. Dès lors, il importe de bien questionner la pertinence de chaque critère en regard de cette dimension temporelle. 

Ce dispositif d’évaluation à 6 mois illustre la maigre frontière entre évaluation formative et sommative. En effet, PJ endosse à la fois la casquette de formateur et celle d’évaluateur. Au-delà de l’évaluation, il s’agit de continuer à former, de renforcer les acquis et de favoriser leur transfert dans la pratique, de créer de la cohésion au sein de l’équipe formée. De plus, ce dispositif est intégré dès le départ dans l’offre de formation, en ce sens qu’il se déploie dans la continuité de l’apprentissage.

Perspectives pour les séminaires « Evaluation » de ESPRIst-ULiège

Le format de ce séminaire semble avoir été particulièrement formateur pour les participants. Enclencher la réflexion collective sur un projet d’évaluation en pleine construction est vécu comme une démarche motivante. Ce séminaire a suscité de nombreux échanges entre professionnels amenant une diversité de perspectives dans l’évaluation. 

De plus, la démarche proposée pour les exercices se voulait intuitive et transférable au sein des équipes. Certains y ont vu la possibilité de mener une réflexion en interne sur les dispositifs d’évaluation (de formation ou autres) et de transposer l’exercice dans leur structure en impliquant leurs collègues ou en les accompagnant dans le processus de co-construction. Certains ont découvert la possibilité d’identifier les objets d’évaluation au départ de données brutes en se distançant des modèles théoriques. 

Au terme de ce séminaire, les participants ont toutefois voulu partager une inquiétude. Si de telles pratiques d’évaluation font sens pour les professionnels, ceux-ci redoutent qu’elles soient peu valorisées par les pouvoirs subsidiants. Comment construire un langage commun avec ces derniers ? Est-il possible d’adopter un référentiel d’évaluation commun qui rencontre aussi leurs contraintes ? 

Vous aussi, vous souhaitez partager vos expériences et interrogations sur l’évaluation ? 

En 2021, une des rencontres sera consacrée à l’évaluation du partenariat. Si vous souhaitez être impliqué dans la préparation de celle-ci, contactez l’équipe ESPRIst-ULiège par mail esprist.appui@uliege.be 

(1) Lecture qui met en relation trois variables

Pair-aidance et pratiques participatives : le vécu au coeur de la réflexion du secteur du social et de la santé

Le 30 Déc 20

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La pair-aidance et les pratiques participatives sont “des façons de faire” qui recouvrent une multitude de pratiques et d’acteurs issus de différents secteurs du social et de la santé. Rendre compte de cette diversité, rassembler ses acteurs, partager les outils et les expériences, et donner envie à d’autres de “sauter le pas”, tels étaient les objectifs de la plénière organisée fin septembre par les asbl SMES, En Route et le Réseau Nomade en guise d’introduction au cycle de rencontres qu’ils organisent.

Pair-aidance et pratiques participatives : le vécu au coeur de la réflexion du secteur du social et de la santé

La pair-aidance désigne la participation professionnelle d’ancien.ne.s bénéficiaires de services sociaux ou de santé au sein de dispositifs psycho-médico-sociaux. Ces pair.e.s-aidant.e.s, parce qu’elles et ils ont cheminé vers le rétablissement et vers une meilleure qualité de vie, peuvent mettre leur expérience au service d’autruiNote bas de page.

Le concept n’est pas nouveau, des projets le mettent en pratique depuis des décennies déjà en Belgique, à l’instar des projets “Boules-de-neigeNote bas de page“ par exemple dans le champ de la réduction des risques liés à l’usage de drogues. Pourtant, cela reste encore relativement marginalNote bas de page. “Un besoin de renouveau en matière de social, une volonté de définir des dispositifs dans lesquels l’institution s’adapte aux spécificités des bénéficiaires plutôt que de leur imposer des conditions. A l’heure où le travail social est distordu par le culte de l’activation, ce décentrement est essentiel.” Il s’agit ici de donner la parole aux premier.e.s concerné.e.s et reconnaitre le vécu et l’expérience de chacun.e comme une plus-value dans l’accompagnement des personnes, dans la relation avec le professionnel du social, de la santé, dans le projet, dans la construction d’un savoir collectif, de besoins et de revendications communes… Dans son introduction, Tommy Thiange (membre du Réseau Nomade) insiste sur le fait que “l’écoute de cette parole, sa prise en compte, a un effet positif tant sur le/la bénéficiaire, l’usager.e, le/la patient.e, que sur le/la professionnel.le. La participation des pairs humanise le soin. Elle tisse des liens entre l’usager et le professionnel, elle permet de développer une relation d’aide plus équilibrée, plus horizontale, plus partagée. C’est en fait une opportunité pour créer, construire, une relation basée sur les savoirs et les ressources de chacun.e. Dans une société qui se veut démocratique, prendre en compte la parole des premier.e.s concerné.e.s devrait relever de l’évidence.” Plusieurs acteurs participent à l’émergence et à la visibilité de la pair-aidance en Belgique francophone ces dernières années. On peut citer l’asbl En RouteNote bas de page qui “ fédère les pairs-aidant.e.s, qu’ils/elles soient rémunéré.e.s ou bénévoles, et promeut la professionnalisation de cette pratique. (…) La pair-aidance, dans une équipe d’accompagnement et de soins, apporte une certaine forme d’aide et de complémentarité par rapport aux outils dont dispose l’équipe, une compréhension mutuelle par rapport aux usagers ou aux bénéficiaires, une traduction de leur réalité et surtout une manière complémentaire de mieux répondre aux besoins de toutes ces personnes qui cherchent à se rétablir », comme nous l’explique Stéphane Waha (membre de l’association).

Autre acteur-clé et co-organisateur de cette matinée, le Réseau Nomade regroupe à Bruxelles une quinzaine d’associations impliquées dans la participation des pairs Il a pour mission de promouvoir les pratiques participatives au sein du secteur social-santé et de susciter la réflexion et les échanges sur ces sujets, que ce soit au travers d’évènements, de groupes de travail, etc. Un focus particulier est mis sur la pair-aidance et les groupes d’auto-support.

Son site www.reseaunomade.be propose des ressources théoriques, un agenda, ainsi qu’un répertoire des expériences participatives en Belgique et ailleurs.

Carrousel de pratiques

L’implication et la participation de pair-aidant.e.s peut prendre de multiples formes. Démarrons avec les projets Housing FirstNote bas de page, dont le modèle implique l’intégration de pair-aidant.e.s. Au travers de ceux-ci, le SmesNote bas de page entend promouvoir cette pratique comme « une démarche permettant d’améliorer l’accès des publics plus fragiles à l’aide et aux soins». Le public final auquel s’adresse le Smes sont des « personnes qui cumulent des problématiques de précarité sociale, de santé mentale et d’addiction. Par ce cumul des problématiques, ce sont des personnes qui rencontrent d’importantes difficultés à accéder à l’aide sociale et aux soins de santé, qui sont pourtant des droits fondamentaux » (Matthieu De Backer, directeur).Nous continuons le tour par les groupes d’entraide avec Le FunambuleNote bas de page, une association de personnes qui vivent avec un trouble bipolaire et leurs proches. « Il faut casser cette image de ‘bras-cassés qui se regroupent entre eux » appuie l’une des participantes, « il y a un réel travail de sensibilisation qui peut être fait », tant sur les représentations que sur le bénéfice de la participation des pairs.Mêmes échos auprès du groupe ‘Médocs’ de L’Autre LieuNote bas de page : « Je suis toujours en recherche par rapport à la médication. Le seul lieu où je pouvais en discuter, c’est le cabinet médical. Le groupe Médocs (…) me donne d’autres sons de cloches, d’autres voix. Pour moi, ça répond à un réel besoin. J’avais beaucoup de questions qui ne trouvaient pas de place et pas d’écho. Ici, on échange avec beaucoup de personnes à ce sujet » (un membre du groupe). Mais le groupe Médocs va plus loin que la démarche de soutien, c’est aussi un groupe de co-production de savoirs en santé mentale. Ils souhaitent, par exemple, élaborer un outil de sensibilisation sur la prise de médicaments, ou encore produire des cahiers de revendications, des argumentaires. « On ne prétend pas avoir la vérité mais ce qui nous intéresse, c’est de discuter avec des professionnels de la santé mentale, avoir un vocabulaire commun, ne pas être trop dans le témoignage, dans l’expérientiel mais avoir une discussion « au même niveau », avec des personnes qui sont considérées comme experts. On a beaucoup de choses à dire sur notre vécu » (un membre du groupe)

Dans ce carrousel de découvertes de pratiques liées à la pair-aidance, on retrouve également les espaces de parole du collectif Sylloge, les anciens espaces de parole de La Strada et le collectif C-Prévu, créé par d’anciens SDF. La volonté de ces collectifs est de donner la voix à celles et ceux qui n’en ont pas l’occasion ou le droit pour ainsi sensibiliser lNote bas de pagee grand public et les politiques à leurs situations de vie.Autre groupe, autre pratique : nous retrouvons l’expérience d’UTSOPI, « un collectif par les travailleur.euse.s du sexe, pour les travailleur.euse.s du sexe (…) auto-géré, auto-organisé, qui fait de l’auto-support ». Maxime Maes (coordinateur d’UTSOPI) ajoute également que le collectif ne se reconnaît pas dans les termes « pair-aidant.e.s », ils ne se définissent pas ainsi. En effet, ce vocable fait référence, pour les membres du collectif, à la présence et à la supervision (même bienveillante) de travailleurs sociaux, psys ou issus du secteur médical. Outre créer des espaces sécurisés et bienveillants pour se regrouper, le collectif développe également un travail de plaidoyer sur de multiples thématiques les concernant. « Notre mot d’ordre est « rien à propos de nous sans nous ».Et c’est ainsi que se termine ce premier tour de présentation des pratiques participatives impliquant des pair-aidant.e.s… mais celles-ci revêtent encore de multiples formes. « La participation des pairs est un terrain mouvant, la recherche de l’équilibre est constante. Rien n’est jamais acquis et c’est finalement à l’image de la complexité des relations humaines, et en particulier de celles qui se nouent dans le cadre de l’aide et du soin. » (Tommy Thiange, membre du Réseau Nomade

« Y’a-t-il moyen d’être pair-aidant.e.s quand on n’a pas vécu les mêmes choses ? Est-ce qu’une personne qui vit avec un trouble bipolaire est capable d’accompagner une personne schizophrène, est-ce qu’un parcours de vie est quelque chose qu’on est capable de partager avec une personne qui a l’expérience de la drogue et des addictions ? En fait, oui. On partage certaines choses même si l’origine de nos vies est très différente. Ce qu’on partage, c’est ce dont on se remet : le décrochage social, la perte totale de l’estime de soi, le désespoir et les rêves qui s’évanouissent. » (Stéphane Waha, membre d’En Route)

Cartographie de la pair-aidance

Le Smes et Le Forum – Bruxelles contre les inégalités ont réalisé un état des lieux de la pair-aidance en Fédération Wallonie-Bruxelles, paru en février 2020. Le but est d’objectiver le développement de ces pratiques et illustrer leurs diversités. Voici une cartographie des pratiques par secteur :

Santé mentale

Addictions et Réduction des Risques

Précarité

Travailleur.euse.s du sexe

  • UTSOPI (Union de Travailleur.euse.s du Sexe Organisé.e.s pour l’Indépendance) – toute la Belgique : www.rainbowhouse.be/fr/association/utsopi
  • Espace P (Accompagnement de travailleur.euse.s du sexe) – Régions wallonne et bruxelloise : www.espacep.be
  • Alias asbl (Accompagnement travailleur.euse.s du sexe) – Région bruxelloise : www.alias-bru.be

Aide aux victimes

  • Brise le silence asbl (Aide aux victimes de violences sexuelles, physiques et psychologiques) – Mons et Région wallonne : www.briselesilence.be

Sensibilisation à la pair-aidance 

Outre cette cartographie, le Smes et Le Forum – Bruxelles contre les inégalités ont également édité un guide méthodologique à l’intention de toute association souhaitant se lancer dans l’aventure et d’engager un.e pair-aidant.e dans sa structure. Partant de l’analyse des besoins jusqu’à l’accompagnement et l’évolution de la fonction, ce guide soulève toutes les questions que l’on est amené.e à se poser successivement lorsqu’on initie cette réflexion et cette démarche.

Retrouvez l’état des lieux et le guide méthodologique ici :ALLARD M., LO SARDO S., La Pair-aidance en Fédération Wallonie-Bruxelles – Etat des lieux – Guide méthodologique, Le Forum et le Smes, Bruxelles, 2020.Disponible en ligne via https://smes.be/fr/la-pair-aidance-en-federation-wallonie-bruxelles/ ou https://www.le-forum.org/uploads/Pair-aidance-web.pdf

ALLARD M., LO SARDO S., La Pair-aidance en Fédération Wallonie-Bruxelles – Etat des lieux – Guide méthodologique, Le Forum et le Smes, Bruxelles, 2020.

Disponible en ligne via https://www.le-forum.org/uploads/Pair-aidance-web.pdf ou https://smes.be/fr/la-pair-aidance-en-federation-wallonie-bruxelles/

‘Projet coordonné par Modus Vivendi : https://www.modusvivendi-be.org/spip.php?article234

Idem (1)

Retrouvez l’article que nous avions consacré sur le sujet : https://educationsante.be/article/vers-la-fin-du-sans-abrisme/

Retrouvez leur ouvrage : SYLLOGE, Paroles données, paroles perdues ?, MaelstrÖm, 2020, 276 p.

Alcool et réduction des risques : l’industrie de l’alcool joue-t-elle vraiment le jeu ?

Le 30 Déc 20

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Article paru sur Addict’AIDE, le 12/10/2020. Retrouvez-le ici.

En France, selon l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) on compte environ 8,7 millions de consommateurs réguliers d’alcool. 39% des 18-75 ans sont considérés comme ayant un mésusage d’alcool, c’est-à-dire étant à risque de développer des dommages dus à leur consommation.Le terme « mésusage » n’englobe pas seulement l’addiction à l’alcool mais aussi tout usage d’alcool pouvant être préjudiciable à l’individu selon la quantité consommée, la fréquence des consommations ou le contexte de la consommation. On retrouve dans cette catégorie la consommation d’alcool au volant, pendant la grossesse, le binge drinking (consommation importante d’alcool en peu de temps), ou encore la consommation supérieure aux seuils recommandés par l’agence Santé Publique France (2 verres par jour, pas tous les jours).Un des moyens pour lutter contre ces usages à risque est d’informer clairement la population de leurs conséquences néfastes, et du type d’usages à atteindre, pour diminuer les dommages tant pour l’individu que pour la société. En France et ailleurs, les agences de santé publique ont, dans cette optique, développé des spots publicitaires délivrant des messages de prévention concernant l’usage d’alcool. L’idée est qu’en visionnant ces spots, les consommateurs puissent remettre en question leurs pratiques et revenir à des consommations moins risquées, moins fréquentes et moins importantes.Mais les agences de santé publique ne sont pas restées longtemps seules sur le coup : les industriels de l’alcool s’y sont aussi invités. Revendiquant leur droit et leur légitimité à faire de la prévention concernant les produits qu’ils vendent, ils produisent des publicités supposées mettre en garde les buveurs contre des consommations excessives. Cela peut paraître paradoxal car on sait que les intérêts – économiques – des industries ne sont pas toujours ceux de leurs consommateurs. Il semble donc y avoir dans cette affaire un évident conflit d’intérêt, dans la mesure où une telle campagne publicitaire de prévention des risques devrait logiquement conduire à une réduction de la consommation d’alcool, donc des ventes, et donc du chiffre d’affaires. La volonté affichée de réduction des risques est d’ailleurs parfois trompeuse, à l’image de ce qui se passe actuellement avec l’industrie du tabac, qui sous couvert d’encourager le sevrage tabagique s’est vue accusée de promouvoir certains produits nicotiniques addictogènes auprès des plus jeunes, via des influenceurs sur Instagram, bien que cela ne soit pas le public prétendument visé.

On pourrait donc se demander si les spots de prévention réalisés par l’industrie de l’alcool ne seraient pas moins efficaces que ceux produits par les organismes de santé publique. C’est ce qu’ont voulu tester des chercheurs dans cette étude. Ils y comparent l’impact des deux types de spots publicitaires sur les habitudes de consommation et la façon de voir l’alcool de volontaires australiens qui consomment régulièrement de l’alcool. Ils ont fait visionner à un premier groupe de volontaires 3 publicités réalisées par l’industrie de l’alcool, et à un deuxième groupe 3 publicités réalisées par des agences de santé publique. Les publicités visaient toutes à réduire les consommations d’alcool à risque.Après chaque visionnage, les participants répondaient à une série de questions portant sur leurs motivations à boire, l’impact que ces publicités pourraient avoir sur leurs futures consommations, et la façon dont ils percevaient les personnes consommant de l’alcool.Les résultats montrent que les publicités à visée préventive créées par les industriels de l’alcool engendrent moins de motivation et d’intention à réduire les quantités d’alcool (en quantité ou fréquence) et une perception plus positive des personnes qui consomment de l’alcool que les publicités des agences de santé publique.

En résumé : les publicités de l’industrie de l’alcool s’avèrent moins efficaces en termes de réduction des risques que celles des agences de santé publique. L’analyse des publicités des industriels de l’alcool montrent qu’elles mettent principalement l’accent sur la responsabilité individuelle lors des consommations d’alcool plutôt que sur les effets et les risques de l’alcool en lui-même. Elles inciteraient presque à boire… Mais raisonnablement, sans toutefois définir clairement ce qu’est une consommation raisonnable. La question n’est alors pas de moins consommer mais de mieux consommer.Si cet article ne permet scientifiquement pas de remettre en question la bonne foi des industriels de l’alcool concernant leurs spots publicitaires préventifs, il permet en revanche de montrer que, dans cette logique de réduction des risques, il vaudrait mieux privilégier la diffusion des spots publicitaires des agences de santé publique, qui paraissent plus efficaces.

Les normes sociales comme levier dans la prévention des assuétudes en Province de Liège

Le 30 Déc 20

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En septembre 2018, un projet de trois ans intitulé euPrevent Social Norms Approach (euPrevent SNA) est lancé, en collaboration, par 11 partenaires de l’Euregio Meuse-Rhin (EMR) et de l’Eifel occidental (DE). Son objectif : enrichir les stratégies de prévention dans le domaine des assuétudes en utilisant une méthodologie en pleine expansion : ‘l’Approche par les Normes Sociales’.

Les normes sociales comme levier dans la prévention des assuétudes en Province de Liège

Depuis de nombreuses années, les agents de prévention/promoteurs de santé de l’Euregio Meuse-RhinNote bas de page travaillent sur les moyens de retarder et/ou de limiter les choix de santé à risques et favoriser les comportements protecteurs de la santé au sein de sa population. Soucieux d’œuvrer ensemble à l’amélioration de la qualité de vie des habitants de l’Euregio Meuse-Rhin (EMR), le groupe euPreventNote bas de page est particulièrement actif dans le domaine de la prévention des assuétudes depuis plus de 15 ans.

A côté des mesures défensives, répressives ou structurelles relevant principalement des pouvoirs des législateurs et des organes de contrôle sous la direction du gouvernement, les agents de prévention font un travail de proximité avec les usagers via des actions préventives et centrées sur la personne. Cela prend du temps, beaucoup de temps (cf. le changement d’attitude vis-à-vis du tabac d’une génération à l’autre) et nécessite que les professionnels de la prévention renouvellent et enrichissent continuellement leurs interventions. Dans ce cadre, le consortium euPrevent s’est penché plus spécifiquement sur l’approche par les normes sociales (Social Norms Approach en anglais – SNA), dont le développement prend de plus en plus d’ampleur en Europe (Streel, et al., 2019).

L’approche par les normes sociales (SNA)

La SNA vise à réduire la fréquence des comportements de santé à risque des individus en diminuant l’écart entre ce que la majorité de la population pense que les autres consomment et ce qui est réellement consommé.

Plus précisément, le fondement théorique de la méthodologie SNA est que le comportement et l’attitude d’un individu sont influencés par sa perception de l’attitude et du comportement de ses pairs, c’est-à-dire la perception des normes. Boot et al. (2012) et Helmer et al. (2014) différencient deux types de normes sociales : les normes sociales descriptives, qui font référence à la perception qu’a un individu de la quantité et de la fréquence de la consommation d’une substance par ses pairs ; et les normes sociales injonctives, qui renvoient à la perception qu’a un individu de l’approbation (de la consommation) de cette même substance par ses pairs.

Ces perceptions sont généralement erronées : les individus étant plus susceptibles de surestimer l’engagement et l’approbation des pairs dans des comportements à risques et de sous-estimer l’engagement et l’approbation des pairs dans des comportements protecteurs, par rapport à leurs propres comportements (Dempsey et al., 2018). Par exemple, les individus sont plus susceptibles de surestimer la consommation d’alcool, de cannabis et de tabac de leurs pairs (Stock et al., (2014) ; McAlaney et al., 2015 ; Pischke et al., 2015) et de sous-estimer la consommation de fruits et légumes (Lally et al., 2011) ou l’utilisation de protection solaire (Reid & Aiken, 2013) de leurs pairs par rapport à la leur.

Une perception erronée de ces normes sociales peut ainsi amener l’individu à penser que ces attitudes et comportements sont socialement souhaitables, ce qui peut engendrer l’adoption de ces comportements et attitudes dans un désir de se conformer à ce qui est perçu comme étant la norme sociale du groupe (Dempsey et al., 2018). Ce désir de se conformer aux normes groupales est d’autant plus fort que l’individu s’identifie fortement aux autres membres de son groupe social d’appartenance.

L’objectif de la SNA est alors de corriger ces perceptions erronées en offrant un feedback et des informations sur les normes effectivement en vigueur dans le groupe (Perkins, 1997, 2003; McAlaney et al., 2011). Le message met alors en évidence les comportements et attitudes positifs et protecteurs que le groupe cible adopte en réalité. Ceci dans le but d’encourager les individus à faire des choix plus sains, en suivant les normes sociales les plus positives émanant de leur groupe social (Perkins, 2003).

Pour être efficace, un message qui utilise le principe de la SNA doit être perçu par les membres du groupe cible comme faisant sens pour eux, et donc en lien direct avec les normes de leur propre groupe. Pour cela, les données doivent nécessairement être issues du groupe cible (Dempsey et al., 2018) : comme Dempsey et ses collègues l’indiquent clairement, le message de la SNA ‘doit être présenté comme provenant du groupe social plus large associé à la population cible, et non être perçu comme provenant d’une figure d’autorité, afin d’éviter des changements de comportement et d’attitude dus à la pression de l’obéissance ou à la peur‘ (Dempsey et al., 2018, p. 3).

Le mécanisme théorique qui régit la méthodologie de la SNA est résumé dans la figure 1.ImageFigure 1 : la logique d’une intervention SNA (Logic of Social Intervention – Source: Keller & Bauerle, (2009)Note bas de page).

Ce que l’on sait de la SNA et son utilisation : aux USA…

Les interventions basées sur la SNA sont prometteuses en ce sens qu’elles ont montré des résultats positifs en matière de réduction des comportements de consommation d’alcool (Neighbors et al., 2009, 2010) et de réduction de la perception des normes de consommation d’alcool par les pairs (Neighbors et al., 2010 ; Lewis et al., 2014), mais aussi de réduction de la consommation de cannabis (Lee et al., 2013). Par exemple, la mise en place sur un campus universitaire d’une campagne de sensibilisation basée sur la norme sociale, utilisant différents canaux de communication électronique (installation d’écran de veille transmettant le message «la majorité des étudiants du campus boit entre 1 et 4 verres d’alcool en soirée ou ne boit pas du tout » sur les ordinateurs du campus, etc.), a entraîné une diminution de 18 % du nombre moyen de verres d’alcool consommé par étudiant et par soirée. Elle a également amené à une diminution de 17 % du pourcentage d’étudiants consommant 5 verres ou plus d’alcool par soirée (Perkins & Craig, 2002). Ces résultats proviennent néanmoins principalement des États-Unis, en particulier du système universitaire américain.

Et en Europe ?

À l’exception d’une étude menée en Angleterre (Bewick et al., 2008) montrant une diminution de la consommation d’alcool chez les personnes ayant bénéficié d’une intervention contenant un message SNA, et d’une autre aux Pays-bas (Stok, et al., 2014) mettant en évidence une augmentation de la consommation de fruits après une exposition à des normes sociales promouvant l’alimentation saine (via la consommation régulière de fruits), les preuves de l’efficacité d’une intervention SNA en Europe sont rares. Les études ne vont que rarement jusqu’à la phase d’implémentation.

Cependant, l’intérêt d’appliquer cette méthodologie en Europe retient de plus en plus l’attention des chercheurs européens, notamment celle d’une équipe menée, entre autres, par le professeur McAlaney (Royaume-Uni) et le professeur van Hal (Belgique). En effet, une vaste étude européenne intitulée ‘Norms Intervention for the Prevention of Polydrug usE‘ (SNIPE), a été menée dans six pays européens et en Turquie, afin d’examiner la faisabilité d’une intervention SNA dans le contexte culturel européen, qui diffère de celui des États-Unis. Les résultats de cette vaste étude ont montré que les répondants surestimaient les normes de leurs pairs, par rapport aux leurs, pour l’alcool (McAlaney et al., 2015), le tabac (Pischke et al., 2015), les stimulants non médicaux (Helmer et al., 2016) et le cannabis (Dempsey et al., 2016).

La surestimation de la consommation des pairs s’avère également présente en Europe. L’étape suivante consiste donc à mettre en œuvre de véritables actions impliquant la SNA. C’est dans ce contexte que le projet euPrevent SNA prend place.

Le projet euPrevent SNA en Province de Liège

Les partenaires impliqués dans le projet euPrevent SNA ambitionnent de mettre à profit leur expérience et la méthode SNA pour promouvoir des comportements de santé protecteurs. Le projet euPrevent SNA vise à encourager les habitants de l’EMR à faire un usage responsable de l’alcool, du cannabis, des jeux en ligne (pour les 12-26 ans) et de l’alcool et des médicaments (pour les 55 ans et plus). Le Département des Sciences de la Santé Publique (DSSP) de l’ULiège prend une place active dans ce projet en contribuant à la rigueur scientifique des recherches qui y sont menées et en essayant d’être le relais du développement de ce type d’action dans la région liégeoise.

Comme présenté précédemment (voir figure), l’un des principes fondateurs d’une intervention SNA de qualité étant le recueil d’informations sur l’attitude et le comportement du groupe cible en lien avec les comportements à risques et l’approbation de ces comportements (réel et perçus), une vaste ‘enquête eurégionale sur la santé’Note bas de page a été menée dans l’Eurorégion Meuse-Rhin et Eifel-Ouest. Ces informations servent de base à la création et au développement d’actions basées sur la méthodologie SNA et à l’élaboration de messages positifs pour le groupe cible.

Les premiers résultats de l’enquête confirment la surestimation des comportements à risques des pairs, comparés à ce qui se fait en réalité, légitimant ainsi la possibilité de mettre en place la méthodologie SNA dans le contexte culturel et social de l’EMR en général, et de la Province de Liège en particulier.

C’est dans ce cadre qu’ont été réunis différents intervenants, actifs dans les domaines de la prévention des assuétudes, de la promotion de la santé et de la réduction des risques en Province de Liège, le 29 septembre 2020 à Liège. Au total, une vingtaine de partenaires de la Province de Liège ont répondu présents.

La demi-journée de réflexion et d’échange – co-organisée par le DSSP de l’ULiège et les CLPS de Liège, Huy-Waremme et Verviers – avait pour ambition de réunir autour d’une même table plusieurs acteurs-clés, dans un désir d’engager le débat et recueillir les avis suite à la présentation de la méthodologie SNA et des premiers résultats de l’enquête, en appliquant la méthode des 6 chapeaux de Bono (de Bono, 2005)Note bas de page. L’objectif : réfléchir collectivement aux différentes manières d’intégrer la méthodologie SNA dans des stratégies d’actions et aux diverses déclinaisons opérationnelles qui en découleraient.

Au terme de cette journée, un constat s’impose : la méthodologie SNA divise autant qu’elle interpelle.

Les réactions émotionnelles se situaient sur un continuum entre la crainte et l’enthousiasme, en passant par la perplexité et la curiosité. Les principales sources d’inquiétudes résident dans l’utilisation de la norme comme référence, avec le risque qu’une stigmatisation en découle (que fait-on lorsqu’on est « hors-norme » ?), du manque de données probantes quant à l’efficacité d’une telle méthodologie, mais également de la faisabilité de l’implémentation de cette méthodologie, tant au niveau des moyens humains, financiers et techniques nécessaires que de l’applicabilité aux réalités de terrain. A cela s’ajoute l’appréhension légitime d’un effet inverse : les personnes qui consomment moins que la norme n’auraient-elles pas dès lors envie de consommer plus pour se conformer ? Le recours aux normes dites « tendancielles » (Mortensen et al., 2019) pourrait alors jouer un rôle majeur ici : mettre en évidence non pas ce que fait la majorité, mais les choix sains posés par une minorité (ex : alors que presque 1 jeune sur 2 entre 12 et 26 ans joue régulièrement aux jeux vidéo, 1 sur 5 n’y joue jamaisNote bas de page). Ces normes tendancielles minoritaires seront d’autant plus efficaces que leur prévalence est perçue comme allant en augmentant.

Au-delà de ces appréhensions, la méthodologie SNA a tout autant suscité enthousiasme et curiosité : d’aucun ont pointé son adaptabilité à plusieurs domaines, thématiques et contextes ; sa facilité et simplicité d’implémentation ; son côté objectif au vu de l’utilisation de données « vraies » ; sa compatibilité avec d’autres démarches ; et son intérêt comme outil « déclencheurs » de débat et réflexion, dans le but de travailler sur les représentations et les idées reçues. Là aussi, les avis sont divisés, avec certains enthousiastes à l’idée de travailler sur les représentations erronées directement avec les jeunes du groupe cibles (12-26 ans), alors que d’autres envisagent plutôt un travail auprès des publics « intermédiaires » (les enseignants, éducateurs, partenaires de santé, entourage proche, etc.) qui ont potentiellement une perception erronée du groupe cible avec lequel ils sont en relation. Enfin, le fait que la SNA mette l’accent sur les comportements positifs et les choix sains posés par la majorité a retenu l’attention de plusieurs participants.

Les discussions issues de ces ateliers ont été riches en enseignements, offrant ainsi l’opportunité aux partenaires liégeois (ULiège) du consortium euPrevent de penser l’implémentation conjointement avec les acteurs de terrain, afin de coller au plus près des spécificités et des réalités régionales. Faisant suite à ces ateliers, un premier travail de concertation et de réflexion s’est enclenché avec les partenaires de la Province de Liège, avec comme résultat le désir de certains de s’inscrire dans la construction des perspectives.

Concrètement, il sera essentiel de s’assurer de conditions d’utilisation rigoureuses et précises de la méthodologie SNA. Comme mis en évidence par les participants aux ateliers, les objectifs devront être parfaitement définis et le cadre dans lequel s’inscrit l’utilisation de la méthodologie clairement précisé afin de proposer un accompagnement (individuel ou groupal) de qualité, dans lequel les ressources internes et externes seront formellement identifiées (notamment pour les personnes nécessitant un suivi personnalisé). Une approche SNA de qualité se devra encore de collecter des données probantes issues du groupe cible pour être au plus proche de la réalité. Enfin, le projet euPrevent SNA étant en soi un projet pilote, une phase d’évaluation, pour témoigner de l’efficacité des actions SNA mises en place, sera indispensable au terme du projet. En effet, plusieurs acteurs de terrain ont regretté l’absence de données concrètes attestant de l’utilité et l’efficacité des méthodes SNA.

Bien que prometteuse à plusieurs égards, la méthodologie SNA se doit d’être réfléchie et co-construite rigoureusement par tous les partenaires engagés. L’implémentation de la SNA dans la pratique déjà très diversifiée des acteurs de terrain pourra se faire grâce à une collaboration étroite entre les porteurs liégeois du projet euPrevent SNA et les intervenants actifs dans la prévention des assuétudes, promotion de la santé et réduction des risques en Province de Liège.

Ce projet est financé par INTERREG V et co-financé par la Wallonie.

Bibliographie

Bewick, B. M., Trusler, K., Mulhern, B., Barkham, M., & Hill, A. J. (2008). The feasibility and effectiveness of a web-based personalised feedback and social norms alcohol intervention in UK university students: a randomised control trial. Addictive Behaviors, 33(9), 1192-1198. doi: 10.1016/j.addbeh.2008.05.002

Boot, C. R., Dahlin, M., Lintonen, T., Stock, C., Van Hal, G., Rasmussen, S., & McAlaney, J. (2012). A survey study on the associations between misperceptions on substance use by peers and health and academic outcomes in university students in North-West Europe. Internation Journal on Disability and Human Development, 11, 1–7. doi: 10.1515/ijdhd- 2012-0027

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Rapport de l’enquête Eurégionale de Santé, bientôt disponible

Cette méthode consiste à organiser la réflexion selon 6 points de vue ou modes de pensées symbolisés par des chapeaux de couleurs différentes : les faits (la présentation de la méthodologie SNA et des résultats de l’enquête) ; les émotions (positives ou négatives par rapport à la méthodologie SNA) ; la prudence (les freins à la mise en place de cette méthodologie) ; l’optimisme (les avantages perçus de la SNA pour soutenir les pratiques) ; la créativité (comment introduire la méthodologie SNA dans les pratiques ? quelles en sont les conditions d’utilisation ?

Les résultats de cette enquête seront publiés prochainement sur le site du projet euPrevent SNA (https://euprevent.eu/fr/project-social-norms-approach/) ainsi que sur le site de l’Euregional Health Atlas (https://euregionalhealthatlas.eu/index.html)

Traduction personnelle de l’original

Limbourg Néerlandais, Limbourg belge, région d’Aachen et Province de Liège

Soins de santé : les vidéo-consultations doivent être encouragées

Le 30 Déc 20

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Article paru initialement le 24 juin 2020 à cette adresse.

À la demande de l’INAMI et du CHU de Namur, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a étudié l’impact des consultations vidéo sur la santé des patients atteints de maladies (somatiques) chroniques et a analysé la manière dont ce type de consultations est organisé en France et aux Pays-Bas. D’après le KCE, il n’existe actuellement aucune preuve scientifique que les consultations vidéo aient un impact différent sur la santé des patients que les consultations ‘ordinaires’. Les soignants ont semblé quelque peu réticents à utiliser ces technologies et leur introduction en France et aux Pays-Bas a aussi montré que le chemin est long et semé d’obstacles. Mais la crise du coronavirus a éclaté dans le courant de cette étude et les chercheurs ont été rattrapés par la réalité ; les consultations à distance par téléphone ou par vidéo ont soudain été acceptées et remboursées partout dans le monde. La dynamique actuelle devrait être mise à profit pour introduire davantage ce type de soins ‘numériques’ comme complément utile à une consultation en face à face, et non pour la remplacer. Certaines conditions doivent toutefois être respectées, dont notamment le consentement éclairé du patient.

Soins de santé : les vidéo-consultations doivent être encouragées

La crise du coronavirus a donné un sérieux coup d’accélérateur

Ces dernières décennies ont vu se développer un foisonnement de technologies numériques, y compris dans le secteur des soins. Ces technologies ont reçu des dénominations et définitions diverses : santé à distance, téléconsultation, télé-monitoring, télé-expertise, e-santé, santé mobile, etc. Grâce à elles, soignants et patients ne doivent plus nécessairement se trouver dans le même espace physique, ce qui peut éviter des déplacements aux personnes moins mobiles et aider à limiter le problème des salles d’attente bondées, des longs trajets et des délais d’attente.

Jusqu’il y a quelques mois, les soins numériques étaient considérés avec une certaine suspicion mêlée d’expectative et les soignants restaient assez réticents à les utiliser. C’est alors qu’est apparu le coronavirus… Chez nous comme dans le monde entier, des mesures drastiques de ‘distanciation sociale’ ont été mises en place pour contenir sa progression. Dans le domaine des soins numériques, certaines décisions comme l’autorisation et le remboursement des consultations par téléphone ou par vidéo ont été prises en l’espace de quelques jours alors qu’elles semblaient encore hautement hypothétiques – voire inacceptables – peu de temps auparavant. L’essor des soins numériques semble désormais inéluctable, tant ils paraissent prometteurs pour rendre les soins de santé plus accessibles et contribuer à leur amélioration.

Pourtant, les soins à distance soulèvent également de nombreuses questions concernant leur sécurité, leur qualité et leur efficacité, le bien-être des patients, le respect de la vie privée, le remboursement du prestataire de soins, les responsabilités et les assurances. Il est donc bien nécessaire de réfléchir à la meilleure façon de les intégrer dans l’organisation actuelle de nos soins de santé.

Focus sur les maladies chroniques (somatiques)

Cette étude du KCE s’est spécifiquement focalisée sur les vidéo-consultations entre des prestataires de soins et des patients atteints de maladies chroniques (somatiques) comme par exemple le suivi de l’insuffisance cardiaque, de l’accident vasculaire cérébral (AVC), de l’insuffisance rénale, du diabète, de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), de l’asthme ou encore des maladies rhumatologiques. Les chercheurs ont analysé la littérature scientifique internationale et ont étudié la manière dont les consultations vidéo sont organisées et remboursées en France et aux Pays-Bas. Ils ont également consulté les parties prenantes belges et étrangères.

Les vidéo-consultations méritent d’être davantage encouragées

Malgré de nombreuses recherches déjà effectuées, il n’existe encore aucune preuve formelle que les vidéo-consultations soient équivalentes ou meilleures que les consultations en face à face. Mais rien ne prouve non plus qu’elles puissent avoir un impact négatif sur la santé des patients, qui pour leur part s’en montrent globalement satisfaits.

En ce qui concerne les patients chroniques, il existe toutefois suffisamment d’indications – chez nous comme à l’étranger – que les vidéo-consultations peuvent être davantage encouragées. Le KCE recommande donc de développer une politique (de remboursement) des vidéo-consultations et plus généralement pour l’ensemble des soins numériques, et de la mettre en œuvre étape par étape et de manière réfléchie. Cela correspond d’ailleurs aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et aux politiques d’incitation de la France et des Pays-Bas.

Le consentement éclairé du patient est indispensable

Les associations de professionnels et de patients devront déterminer ensemble dans quels cas les vidéo-consultations peuvent être utiles et dans quels cas elles ne le sont pas, et à quelles conditions. L’une de ces conditions est qu’il ne peut y être fait appel qu’avec le consentement éclairé du patient.

La technique et l’équipement doivent fonctionner correctement, être pratiques à l’usage et s’intégrer facilement aux soins habituels. Les soignants et les patients doivent disposer des compétences nécessaires pour les utiliser (ou avoir l’occasion de les acquérir), ce qui, pour certains patients, nécessitera un certain accompagnement. Les critères de bonne pratique actuellement applicables aux consultations face à face devront être respectés, tout comme certaines conditions spécifiques aux soins numériques (encore à définir).

Une liste des applications fiables et conviviales

Une pléthore d’applications de vidéo-consultations ont vu le jour, ce qui ne facilite pas une vision claire de la situation, ni pour les prestataires de soins, ni pour les patients. Il est également indispensable que ces applications soient assorties de garanties de sécurité et de conformité à toutes les exigences légales. Il serait par conséquent souhaitable qu’un organisme officiel indépendant les évalue de manière transparente et publie une liste de celles qui satisfont à toutes ces conditions, c’est-à-dire, au minimum, être conformes à la législation sur la protection de la vie privée, être compatibles avec le système belge eHealth et pouvoir s’inscrire dans le portail de santé personnel des patients. Ceci afin d’éviter qu’un patient ou un prestataire de soins doive utiliser plusieurs applications différentes.

‘Never waste a good crisis’

Les vidéo-consultations ne sont pas censées remplacer toutes les consultations classiques ; les contacts interpersonnels, l’examen physique et la communication en face à face restent les fondements des soins de santé. Mais les vidéo-consultations peuvent en être une modalité complémentaire utile.

L’expression de Churchill ‘Never waste a good crisis’ (Ne jamais gaspiller une bonne crise) est tout à fait d’actualité dans le contexte de la pandémie du coronavirus. Cette crise a causé énormément de dégâts, mais elle a aussi créé de nombreuses opportunités inédites. On peut espérer que les soins numériques et les vidéo-consultations feront partie intégrante de notre système de soins de santé à l’avenir. Ils sont encouragés depuis longtemps au niveau international, mais leur mise en œuvre est restée difficile. Voici donc l’occasion de leur donner une nouvelle impulsion.

Les inégalités sociales de santé au cœur d’un colloque de l’Académie Nationale de Médecine française : échos du RESO

Le 30 Déc 20

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Au niveau des populations, la santé est marquée par d’importantes inégalités. Elles sont d’abord sociales en rapport avec le niveau d’éducation, de revenus, et de conditions de travail ; elles sont territoriales, les conditions de vie et d’accès aux services de santé étant fortement dépendantes des lieux de vie ; elles sont liées au genre, les différences de santé entre les femmes et les hommes résultants de différences biologiques, médicales et sociales affectant aussi bien la prévention, la prise en charge que les représentations de la santé. Elles sont enfin environnementales venant ainsi renforcer les inégalités sociales de façon complexe.

Extraits de l’éditorial du programme du Colloque Inégalités Sociales de Santé, janvier 2020, Paris, rédigé par Jean François Allilaire, Secrétaire de l’Académie nationale de médecine.
Les inégalités sociales de santé au cœur d’un colloque de l’Académie Nationale de Médecine française : échos du RESO

Début 2020, l’Académie Nationale de Médecine de France organisait à l’occasion de son bicentenaire un colloque portant sur les inégalités sociales de santé (ISS)Note bas de page. Un choix intéressant pour le premier événement scientifique de l’année d’une telle institution, qui s’intéresse ainsi à la santé avec une perspective plus multidisciplinairePlus particulièrement, le programme de la journée couvrait plusieurs sous-thématiques, dont la migration, le genre, la santé sexuelle et reproductive, le système de santé, l’éducation et la santé mentale. Et ce, avec des intervenants internationaux dont la réputation des travaux de recherche n’est plus à faire dans le monde de la santé publique. Dans cet article, nous vous proposons quelques résumés des interventions qui nous ont le plus marquées.Note bas de page

Après un rappel sur les déterminants de la santé et de ce que les médecins anglo-saxons appellent le « shit life syndrom » (ou comment les conditions de vie affectent la santé, en se passant de traduction) ; le professeur Alfred SpiraNote bas de page fait le point sur les dernières données chiffrées disponibles pour la France : 13 ans, c’est la différence d’espérance de vie entre les hommes ayant les revenus les plus faibles et ceux ayant les revenus les plus élevés. A. Spira rappelle également que selon Sir Michael Marmot, expert de la question depuis plus de 25 ans, cet indicateur stagne, voire augmente (crises financières, politiques sanitaires et sociales austères, etc.). Pourtant depuis longtemps étudiées, les ISS sont toujours très prégnantes aujourd’hui, notamment parce que les dynamiques délétères entre fragilité sociale et mauvaise santé demeurent.

Alors, il est légitime de se poser la question suivante, après toutes ces années : Comprend-on vraiment les ISS et pourquoi persistent-elles ? Le professeur et chercheur Johan MackenbachNote bas de page a tenté de répondre brièvement à cette question dans son exposé, et plus longuement dans son ouvrage « Health Inequalities : Persistence and change in European welfare states »Note bas de page.

J. Mackenbach avance 3 mécanismes contribuant à la persistance des ISS dans les sociétés européennes. Le premier réside dans le fait que, même dans les états providence les plus généreux, il existe encore de très larges inégalités en ce qui concerne l’accès pour les personnes d’un niveau socioéconomique faible aux ressources matérielles, mais aussi non matérielles, comme les ressources appartenant à l’environnement psychosocial des personnes et qui sont importantes pour la santé. Les inégalités en matière d’accès aux ressources expliqueraient aujourd’hui près de 25% des inégalités de mortalité. Que peut-on faire face à cela ? Selon J. Mackenbach, il est essentiel de continuer de renforcer et perfectionner les systèmes de protection sociale.

Un deuxième mécanisme contribuant à la persistance des ISS, selon J. Mackenbach, réside dans certaines modifications dans la nature des inégalités sociales. Les changements de structure que connait la société expliqueraient ces modifications. Par exemple, l’expansion des systèmes éducatifs au cours du siècle dernier a renforcé certaines stratifications sociales liées au statut socioéconomique, créant ainsi de nouvelles inégalités. La santé des personnes est influencée par ces nouvelles combinaisons de variables qui créent des écarts entre les groupes sociaux. Une des solutions que les états peuvent apporter à ce propos est par exemple la mise en place de politiques compensatoires innovantes pour celles et ceux qui sont laissés pour compte.

Enfin, malgré l’amélioration indéniable de l’état de santé des Européens au cours des siècles derniers, d’après J. Mackenbach, celle-ci dépend beaucoup de l’adoption de comportements favorables à la santé. Or, on observe que les groupes socio-économiques plus élevés ont plus de facilités à adopter ces comportements. Les taux de mortalité de ces personnes diminuent donc plus rapidement et creusent l’écart avec les autres groupes de population. Il s’agit d’un phénomène généralisé en Europe, et ce pour de nombreuses causes de mortalité (cancer, maladies cardiovasculaires…). Plus les comportements négatifs pour la santé seraient évitables (consommation de tabac, alcool, etc.), plus il y aurait d’inégalités de santé au sein de la population. Ces différences systématiques entre groupes sociaux démontrent qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de volonté individuelle, mais que les comportements sont façonnés par d’autres contraintes.Selon J. Mackenbach, il semble plus judicieux de « s’attaquer » d’abord aux inégalités absolues. Cela veut dire : tenter de réduire la mesure de l’écart des inégalités, en chiffre absolu, entre les différents groupes socio-économiques. Vouloir réduire les inégalités dites relatives est, d’après lui, une idée plus difficilement réalisable. Cela voudrait dire réduire la mesure dans laquelle ‘ il y a plus de chance qu’une personne d’un groupe défavorisé soit en moins bonne santé que quelqu’un du groupe de référence’ Note bas de page. Les inégalités en matière de santé continuent donc d’augmenter et il semble difficile de contrer cette progression. Toutefois des moyens d’action existent et doivent continuer d’être activés. Le mot de la fin du chercheur et professeur porte notamment sur les investissements en matière d’éducation : ils prennent des dizaines d’années avant de porter leurs fruits, mais ce n’est pas une raison pour ne pas le faire. Nous nous permettons ici d’ajouter que c’est également le cas concernant les investissements dans le secteur de la promotion de la santé.

L’intervention de Margaret WhiteheadNote bas de page a quant à elle porté sur les inégalités sociales de santé chez les enfants. Son exposé attire l’attention sur le fait qu’il est nécessaire d’évaluer systématiquement l’impact des politiques nationales de santé et hors du champ de la santé pour les différents groupes de population, dont les enfants, pour éviter des dynamiques délétères imprévues. En parallèle, des politiques publiques spécifiques de réduction de la pauvreté infantile sont indispensables. Pour avoir un plus grand impact, les données issues de la recherche doivent être utilisées pour informer les décisions politiques. En ce sens, les « chercheurs en politiques » ont la responsabilité de collaborer à un niveau international pour partager leurs réflexions et résultats et ainsi « nager à contre-courant » des inégalités.De plus, en matière de lutte contre les inégalités sociales de santé chez les enfants, il est primordial pour les États de continuer à améliorer l’accès et la qualité des services sociaux, de santé et d’aide à la jeunesse et de promouvoir des environnements sains pour les enfants, à l’école, dans les milieux ouverts et dans la famille. L’accès à ces services contribuerait selon M. Whitehead à réduire de moitié le niveau des inégalités sociales de santé concernant les enfants, un public parfois laissé pour compte.Ensuite, notre collègue le professeur et chercheur Vincent LorantNote bas de page a continué la réflexion en se penchant sur les inégalités d’accès à la santé pour les populations migrantes en Europe. Dans ce cadre, sa présentation rappelle qu’il est complexe de parler « des migrants » et de leur santé en général. Hormis les causes externes et les maladies infectieuses, les populations migrantes auraient un risque plus faible de mortalité que les populations des pays d’accueil, selon une étude de Aldridge, R. W., et al. (2018). Mais les simples indicateurs de mortalité ne suffisent pas pour décrire la santé. Une approche multidimensionnelle est nécessaire, incluant des indicateurs de qualité de vie et de santé subjective. Les ISS peuvent ainsi être très hétérogènes selon une longue liste de critères (statut migratoire, pays d’origine, pays de destination, âge, genre, …), mais aussi varier dans le temps.Nos politiques de santé sont-elles « migrant friendly », ou en tous les cas, ouvertes à la diversité ? On peut répondre à cette question en analysant trois critères : les droits, l’accès et la qualité des soins. Un premier constat est que cela ne dépend pas que des politiques publiques. Selon V. Lorant, dans l’explication des inégalités d’accès aux soins, et plus largement des ISS pour les migrants, il faut en particulier considérer le lien social et le besoin d’homophilie, c’est-à-dire le besoin et la facilité à se connecter avec des personnes partageant des caractéristiques culturelles communes. Un des niveaux d’intervention possible à ce stade serait de travailler les compétences culturelles et les représentations du personnel soignant. Un défi important ! Exemple à l’appui, une étude aux États-Unis, de Schulman, K. A., et al. (1999), sur la différence de prise en charge et de traitements entre personnes blanches et issues de minorités ethniques, au détriment de ces dernières.Pour conclure, le professeur souligne notamment la nécessité d’application de mesures pour agir sur les discriminations dans et hors des soins.

Les ISS et les pratiques différenciées dans les soins de santé sont aussi dans le viseur de la sociologue démographe Nathalie BajosNote bas de page, mais cette fois sous le prisme du genre. Les ISS étant souvent analysées au regard de la mortalité, il peut paraitre contre-intuitif de s’intéresser aux femmes, puisqu’elles connaissent une longévité en moyenne plus élevée. Toutefois, cet avantage en longévité est bien relatif lorsque l’on s’intéresse aux trajectoires de vie selon le genre, ici considéré comme rapport social de pouvoir et non plus comme simple différence de sexe. Le genre comme rapport social de pouvoir fait référence à l’interprétation de ces différences dans la société et aux conséquences que cela a sur la vie des personnes (représentations sociales, rôles sociaux, etc.). Les personnes qui s’identifient comme femme rencontreraient en effet plus d’inégalités au cours de leur vie. N. Bajos plaide pour que l’on s’intéresse aux processus et aux structures hiérarchiques qui construisent les ISS tout au long du parcours de vie. La présentation interroge avec une perspective intersectionnelle les rapports de genre, de classe et de race. Éléments, qui selon elle, doivent être pensés de manière articulée, et non indépendante. Un enjeu majeur pour les recherches à venir.

La formation du personnel de santé face aux inégalités a été abordée l’après-midi par le professeur Laurent ChambaudNote bas de page. Celui-ci pose les questions suivantes : former qui et par quel moyen ? Les professionnels de la santé ? Oui, mais pas que. Bien évidemment, il y a nécessité de diffuser le savoir concernant les ISS dans les professions médicales. Ce type de formation existe déjà, notamment via les cours de santé publique. Mais au sein des cursus médicaux et paramédicaux, ces modules sont très restreints, voire inexistants. Pour exemple, L. Chambaud mentionne les dentistes, qui ne reçoivent pratiquement aucune information à ce sujet. Il y a donc encore du chemin à faire.

Il conviendrait aussi de distinguer les inégalités sociales de santé des inégalités d’accès aux soins de santé, les ISS recouvrant de plus larges aspects sociétaux. Les professionnels de santé ne peuvent à eux seuls agir dans ces domaines. Ainsi, d’autres publics devraient, selon L. Chambaud, bénéficier des mêmes enseignements. À commencer par les décideurs et les élus locaux. Plus de moyens doivent être trouvés pour les sensibiliser à ce que sont les enjeux de santé publique actuels, dont les inégalités. À côté d’eux, c’est aussi l’ensemble de la population qu’il serait souhaitable de sensibiliser davantage.

L. Chambaud insiste en tout cas sur la nécessité de former pour l’action. Les formations doivent pouvoir orienter les décisions et faire en sorte que celles-ci soient basées sur les données issues de la recherche. Les formations consacrées aux ISS se doivent d’être pluridisciplinaires et basées sur des connaissances pour objectiver et documenter ces inégalités. Le corpus existant doit encore s’affiner pour une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents. Par ailleurs, il est important de se situer dans une perspective internationale. Des enseignements sont à tirer de ce qu’il se passe dans les autres pays et les comparaisons peuvent être intéressantes pour comprendre les logiques à l’œuvre en matière d’ISS.

Ces 6 intervenants nous ont particulièrement marqués, mais de nombreux autres intervenants ont pris la parole lors de ce colloque, dont le programme complet est accessible sur le site de l’Académie nationale de médecine. La succession des interventions du colloque a permis de mettre en évidence et d’expliquer une série de constats connus et moins connus sur les inégalités sociales de santé auprès d’un public essentiellement composé de médecins, mais aussi, dans une moindre mesure, d’élus, de chercheurs, de représentants d’ONG et du monde associatif. Nous ne pouvons que saluer la diversité des angles par lesquels la thématique des ISS a été abordée lors de cet événement. L’équipe du RESO ne manquera pas de suivre avec intérêt les futurs travaux des chercheurs présents lors du colloque et de vous en faire à nouveau écho.

Pour information, les données et auteurs présentés dans cet article ont été repris des interventions orales auxquelles nous avons assisté et nous nous permettons de les évoquer sans leurs références complètes.

Professeur honoraire de santé publique et d’épidémiologie, membre de l’Académie nationale de médecine (FR).

Professeur de santé publique à Erasmus MC (NL), professeur honoraire à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, membre de la Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences, membre d’Academia Europaea.

L’ouvrage est disponible et peut être emprunté au centre de documentation du RESO.

Lentille ISS, Mesurer la réduction des inégalités sociales. Available from : https://www.inegalitesdesante.be/fondements/mesurerreduction.php [04/03/2020]

Professeure titulaire de la Chaire W.H. Duncan de santé publique à l’université de Liverpool (UK), directrice du centre OMS de collaboration de recherches politiques sur les déterminants de l’équité en santé.

Professeur de sociologie de la santé à la faculté de santé publique de l’Université catholique de Louvain, chercheur à l’Institut de Recherche Santé Société de l’UCLouvain.

Directrice de recherche à l’Inserm du programme « Genre et santé », chercheuse dans le projet GENDHI – Gender and Health Inequalities : from embodiment to health care cascade.

Directeur de l’Ecole des hautes études en Santé Publique.

Le rôle de l’information et de la lecture quant à la santé

Le 30 Déc 20

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Linda Binette, chercheureNote bas de page indépendante québécoiseNote bas de page en sciences de l’éducation, en santé environnementale et en sciences de l’information nous propose de revenir dans cet article sur le rôle de l’information relative à la santé, la gestion de la connaissance et la formation tant pour les professionnels de santé que les bénéficiaires. Elle met en avant le rôle émergeant de l’« informationniste » en santé – apparu principalement dans le monde anglo-saxon et au Québec-et nous partage quelques considérations sur les bienfaits de la lecture et de la bibliothérapie. [fin]

Le rôle de l’information et de la lecture quant à la santé

Informationniste en santé, émergence d’une nouvelle fonction

Depuis toujours, les centres de documentation dans le domaine de la santé et les bibliothèques médicales jouent un rôle important pour véhiculer l’information vers les praticiens de la santé, mais aussi des bénéficiaires du système de santé, dans une démarche d’éducation à la santé. Par exemple, durant les années 2000, dans certains milieux de la santé aux États-Unis et en Grande-Bretagne, considérant les enjeux présentés par les sciences de l’information, la fonction de bibliothécaire médical traditionnel a été complexifiée et enrichie en un rôle un peu élargi, dénommé « Informationniste » (Hill, 2008).Idéalement, « l’informationniste » devrait posséder des connaissances en sciences de l’information, en informatique documentaire, tout en ayant certaines connaissances liées au domaine médical (Brown, 2004). Par ailleurs, il faut ajouter à cela une connaissance du monde numérique (revues en ligne, bases de données …) qui est maintenant omniprésent dans les divers milieux reliés à la santé.Au Québec, lorsque cette fonction s’est progressivement implantée, on a voulu qu’elle soit évolutive et qu’il soit possible de l’ajuster selon les milieux, les circonstances et les ressources disponibles. Il était souhaitable que l’informationniste puisse intervenir dans différents groupes – groupes de pratique, groupes cliniques, communautés de pratique interdisciplinaires – en repérant les meilleures sources d’information qui orienteront et serviront d’assises aux pratiques, et aideront à bâtir des outils de formation. Les équipes cliniques de soins sont souvent très occupées à prodiguer les soins. Le fait de pouvoir compter sur des personnes capables de rechercher l’information la plus exhaustive et rigoureuse qui soit constitue donc un atout majeur.

Des besoins en recherche, formation et gestion des connaissances

Parmi les besoins rencontrés dans le secteur de la santé, on peut citer :

  • La recherche servie par des services documentaires de qualité
  • La formation continue
  • La gestion des connaissances et de l’information

En effet, une culture de la connaissance, de l’apprentissage ou de la formation continue est à instaurer de plus en plus dans les centres de documentation et bibliothèques de la santé (Robinson et al. 2005).Les aptitudes à donner des informations et de la formation ainsi qu’à développer des outils de formation pour le personnel soignant et les patients sont à prioriser. D’une part, les compétences informationnelles aident à savoir où trouver les informations pertinentes et à être ensuite capable de les évaluer. D’autre part, le volet de la formation, la connaissance des processus d’apprentissage tout au long de la vie, et donc des principes inhérents à l’éducation des adultes est un atout de plus pour répondre aux divers besoins d’apprentissage qui peuvent se présenter.L’andragogieNote bas de page repose entre autres sur les analyses de besoins et d’apprentissage ainsi que l’adaptation à ces diverses demandes. (Knowles, 1984; Pring, 1991; Elias, 1995). Par exemple, l’information peut être formulée différemment selon le destinataire : Un médecin veut-il de l’information pointue concernant les données recueillies sur un nouveau virus? Ou un patient demande-t-il de l’information exacte en rapport avec sa maladie?Les activités de recherche et de publication ont aussi de l’importance pour les chercheurs. Les médecins-praticiens et autres professionnels ont toujours eu l’obligation professionnelle de baser leurs décisions sur la meilleure information disponible (Davidoff, 2000). Les questions provenant de la clinique peuvent bénéficier des avantages des dernières avancées en recherche. Les «informationnistes» peuvent aussi donner un appui quant à la consultation de diverses ressources , ce qui donne des effets positifs sur les soins aux patients, sur le temps sauvegardé et sur la qualité et l’exhaustivité de l’information trouvée, tout en fournissant une aide pour l’enseignement et la formation continue.

L’apport d’Internet

Le développement et l’accessibilité d’Internet ces dernières décennies est un fait incontournable. Les consultations en ligne de la part des gens qui recherchent des informations, des conseils, des renseignements quant à une maladie ou autres sujets d’ordre médical ont pris de l’importance. Les TICNote bas de page ont permis l’accessibilité aux divers types d’information et à un partage des connaissances sur le Web. En santé publique, on tend à considérer Internet comme un outil supplémentaire pour donner des informations au patient, favoriser la promotion de la santé et la prévention, et pour aider à réduire les inégalités sociales en santé.

Une information « grand public » vs « spécialisée »?

Une vision simplifiée des choses consisterait à considérer qu’il existe une information à la santé dédiée au « grand public » et une autre, plus spécifique, adressée au monde médical et scientifique, englobant des bases de données moins accessibles car payantes. La personne qui recherche une information santé «grand public», donc accessible en termes de compréhension, doit tout de même s’assurer de la qualité de celle-ci en vérifiant les sources et en étant consciente que de véritables industries du contenu se sont spécialisées dans le domaine de la santé, faisant entrer en jeu des dynamiques commerciales et des enjeux financiers (vente de produits, etc.) (Romeyer, 2008). Quant aux articles retrouvés dans les bases de données spécialisées, ils ont été validés par des comités de lecture avant publication. Il existe aussi de plus en plus d’articles publiés en « open edition ». Selon le schéma organisationnel choisi, « l’informationniste» ou certaines instances en santé publique, peuvent aider à référencer, documenter ou construire des sites fiables accessibles au grand public. Une ambivalence subsiste toutefois chez certains professionnels de santé quant à la validité de l’information véhiculée pour le grand public. Certains voient d’un mauvais œil le fait que les gens se documentent ainsi. Pourtant, certains sites de consultation et sources en accès libre sont très valables puisque des médecins et autres professionnels de la santé ont participé à l’élaboration de ces sites. Les informations de qualité et vulgarisées tout en étant valides au niveau des contenus sont souvent très utiles aux patients qui peuvent devenir plus participatifs et donc être capables de s’impliquer plus activement dans la compréhension et l’application de leur traitement. Entre en jeu ici la notion de patient-partenaire. Ce sont eux qui vivent les symptômes de leur maladie, qui sont experts de leur vécu. En formant une équipe avec le personnel soignant, dans une relation patient-médecin empreinte de respect mutuel, un patient bien informé peut représenter un atout majeur dans la réussite d’un traitement.

Bibliothérapie et autres bienfaits de la lecture

Un autre aspect qu’il est important d’aborder est le rôle des bibliothèques publiques et, à travers elles, le rôle des livres et de la lecture sur l’information, l’éducation et le bien-être des gens en général. Plusieurs études se développent au sujet de la bibliothérapie. La lecture de tous types d’ouvrages tels que romans, essais, ou encore recueil de poésies auraient des effets positifs au niveau de la diminution du stress, de la dépression et donc de la santé physique et mentale. La lecture devient aussi un remède contre le manque de littératie dans plusieurs domaines. Les avantages au plan cognitif sont indéniables. La lecture permet de contrer les méfaits de la solitude, de l’isolement, de la perte d’autonomie chez plusieurs aînés. Il arrive parfois que certains praticiens recommandent à leurs patients des titres de livres pouvant les aider dans leurs problématiques (Detambel, 2015). Mais il n’y a pas que des textes à saveur thérapeutique qui peuvent aider en ce sens. La lecture de grands textes peut aussi devenir réparatrice et transformer le regard, faire connaître d’autres horizons et mobiliser des énergies méconnues. Des catégories de livres utilisés ont été discernées en bibliothérapie. Le répertoire classique est constitué de romans, recueils de poésie, biographies, livres de fiction, etc. qui par un mécanisme d’identification, de divertissement apporte un mieux-être au lecteur (Detambel, 2015; Pellé-Douël, 2017). En effet, le lecteur, envoûté par la lecture d’un livre qu’il aime, y puise un réconfort, un plaisir et souvent un soulagement à certains de ses maux ou éprouve tout simplement une présence émotionnelle tout au long de son parcours de lecture. Certains livres font voyager des personnes qui n’auront jamais l’occasion de le faire, leur faisant découvrir des lieux et des horizons inédits (Pellé-Douël, 2017). Tandis que d’autres, comme les livres de développement personnel et de psychologie peuvent aider certaines personnes dans des situations de vies diverses. D’autres livres encore aident les individus à déceler et comprendre leur(s) problème(s), réaliser qu’ils ne sont pas seuls, ou ressentir une certaine aide et un renforcement du bien-être psychologique. Mieux connue dans les pays anglo-saxons, la bibliothérapie gagnerait à être explorée. Même si cette pratique n’est pas entièrement médicalement fondée, plusieurs personnes affirment que la lecture d’un roman les a aidées à porter un autre regard sur les choses et même à développer l’empathie (Matthijs et Veltkamp, 2013). Enfin, mises à part les valeurs thérapeutiques, les avantages de la lecture comme outil de transmission des savoirs, des informations ou tout simplement pour tous les bienfaits cités qu’elle apporte auraient avantage à être connus et à être privilégiés. Ces avantages incluent, entre autres, une aide à la relaxation, à la détente, à l’évasion, au maintien des capacités cognitives et au retour à la santé s’il y a lieu.

Bibliographie

Binette, Linda et Lauzon, Hélène. 2008. Un nouveau modèle s’impose, l’informationniste. Argus. Vol. 37, no. 2: pp. 33-36.Brown, Helen-Ann. 2004. Clinical medical librarian to clinical information. Research paper. Vol. 32, no. 1: pp. 45-49.Davidoff, Frank, et Florance, Valerie. June 2000. The informationist: A New Health profession? Annals of Internal Medicine. Vol. 132, no. 12: pp. 996-998.Detambel, Régine. 2015. Les livres prennent soin de nous – Pour une bibliothérapie créative. Actes-Sud. 163 p.Elias, John et Merriam, Sharan 2004. Philosophical foundations of adult education. 3 edition, Krieger Pub. Co. 286 p.Galbraith, Michael. 2003. Adult learning methods: a guide for effective instruction. Krieger, 478 p.Giuse, Nunzia B. 2005. Evolution of a Mature Clinical Informationist Model. Journal of the American Medical Informatics Association. Vol. 12 no. 3: pp. 249-255.Hill, Peter. 2008. Report of a national review of NHS health library services in England. England.Knowles, Malcolm S. et al. 1984. Andragogy in action. San Francisco: Jossey-Bass. 444 p.Matthijs Bal, P. et Veltkamp, M. 2013. How does fiction reading influence empathy? An experimental investigation on the role of emotional transportation. PLOS ONE 8(1): e55341. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0055341.McKnight, Michelyn. 2005. Librarian, Informaticists, Informationists and Other Information Professionals in Biomedicine and the Health Sciences: What Do They Do? Journal of Hospital Librarianship, Vol. 5 (1). : pp. 13-29.Pellé-Douël, Christilla. 2017. Ces livres qui nous font du bien. Marabout. 224 p.Pring, R. 1991. Curriculum integration proceeding of the philosophy of Education. Society of Great Britain. Vol. 5, no. 2. Supplementary issue. p. 184.Robinson, Lyn, et al. 2005. Healthcare librarians and learner support: a review of competences and methods. Health, Information and libraries Journal. Vol. 22: pp. 42-50.Romeyer, Hélène. 2008. TIC et santé: entre information médicale et information de santé. Tic& société.-2(1).Sladek, Ruth et al. 2004. The Informationist in Australia: a feasibility study. Health Information and Libraries Journal. Vol. 21: pp. 94-101.Ward, Linda. 2005. A survey of UK clinical librarianship: February 2004. Health information and Libraries Journal. Vol. 22: pp. 26-34.

 

Au Québec, lorsque la féminisation se forme à partir d’un nom masculin, on se contente d’ajouter un –e à la fin du mot.

Docteure en sciences de l’éducation. Retrouvez son parcours et ses publications sur www.lindabinette.com

L’andragogie se définit comme étant la pratique de l’éducation des adultes. Le concept, né en Allemagne au 19 e siècle et popularisé aux États-Unis et en Europe à partir des années 1950, développe plusieurs principes inhérents aux conditions d’apprentissage optimales des adultes.

Technologie de l’information et des communications

Crise sanitaire de la Covid 19 : l’expérience des CLPS wallons en tant qu’acteurs de promotion de la santé

Le 30 Déc 20

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Dès le début de la pandémie, le secteur « Promotion de la Santé », dont les Centres Locaux de Promotion de la Santé (CLPS) font partie, a dû s’ajuster et agir pour faire face à cette situation inédite, à l’instar des différents secteurs d’activités composant notre société. En guise de premières réponses, les CLPS ont développé des actions spécifiques en lien avec les stratégies de promotion de la santé. Les objectifs étaient de soutenir les professionnels de terrain, de les outiller et d’envisager les possibilités d’adaptation. La présentation de ces actions, menées dès les premiers mois de la pandémie, illustre l’intérêt des démarches de promotion de la santé.

Crise sanitaire de la Covid 19 : l’expérience des CLPS wallons en tant qu’acteurs de promotion de la santé

Les stratégies de promotion de la santé : une grille de lecture des réponses formulées en temps de crise

La crise a bousculé notre conception de la maladie, de l’hygiène, de la prise de risque (individuelle et collective), de notre rapport aux autres…Les très nombreux messages d’information transmis par les autorités n’ont pas permis à tou.te.s d’évaluer la gravité de la situation, de se sentir concerné.e.s, d’estimer l’efficacité des mesures prises ou tout simplement de se sentir capable de les mettre en œuvreNote bas de page.Dans ce contexte, les stratégies de promotion de la santé développées dans la Charte d’Ottawa en 1986 ont structuré les modalités d’intervention des CLPS.

Renforcer le développement des aptitudes individuelles

Pour permettre un changement durable de comportement, l’individu doit se sentir en capacité d’agir. Un axe de travail consiste donc à augmenter ses connaissances, ses aptitudes et sa motivation au changement.Dans un premier temps, les démarches des CLPS se sont concentrées sur la sélection des ressources, particulièrement abondantes durant la crise sanitaire. Celles-ci ont été diffusées à un large panel d’acteurs.Les CLPS ont aussi créé et diffusé des répertoires d’outils en ligne via les réseaux sociaux, leurs sites web et/ou leurs newsletters. Ces ressources, destinées à des publics spécifiques (enfants et famille, milieu scolaire, secteur du handicap, public des ainés…) permettaient d’aborder un ensemble de thématiques en lien avec la covid-19 : explications adaptées pour la compréhension du virus et des comportements protecteurs, bien-être et santé mentale, activités spécifiques réalisables en période de confinement, démarches pratiques de maintien du lien social, etc.En parallèle, les centres de ressources documentaires des CLPS, malgré leur inaccessibilité physique, ont continué à répondre aux demandes spécifiques, notamment en proposant des ressources disponibles au format numérique.

…et le pouvoir d’agir

Mais le renforcement du pouvoir d’agir ne passe pas que par la diffusion d’informations.Les CLPS ont aussi développé des supports (ci-dessous) permettant l’expression des représentations de la maladie, de l’hygiène, des mesures de protection et également du « vivre ensemble ».Si ces supports d’expression des vécus et des émotions sont utilisés au sein des institutions lors des accompagnements proposés par les CLPS et des concertations de professionnels, ils peuvent aussi être utilisés par les acteurs de terrain avec leurs publics.La diffusion d’informations, le travail autour des représentations et le renforcement des compétences psychosociales à tout âge, participent à redonner confiance en sa capacité de faire des choix éclairés et libres pour sa santé et celle de la collectivité.

« Et si on en parlait d’abord ? »

Le CLPS du Brabant Wallon a réalisé cet outil afin d’échanger en équipe sur la manière dont a été vécue la période du coronavirus et ses moments de confinement et de déconfine. Retrouvez-le ici.

« Le Covid-19 et nous »

Le CLPS de Charleroi-Thuin a réalisé un outil de photo-expression qui permet, à des personnes, en individuel ou en collectif, d’exprimer leurs ressentis et leurs représentations liées à la crise. Retrouvez-le ici.

Renforcer l’action communautaire

Le soutien au renforcement de la cohésion sociale et de la solidarité est un élément incontournable du travail d’accompagnement des CLPS. Au sein de chaque territoire couvert par un CLPS, encore plus durant la période de crise sanitaire, des réponses adaptées ont été initiées par de nombreux professionnels et citoyens. Les CLPS ont souhaité rendre visibles ces initiatives locales en réalisant des interviews de professionnels de secteurs variés, en recensant les projets et en les relayant via leurs sites internet, pages Facebook et newsletters.

Quelques exemples d’initiatives qui ont vu le jour

  • ouverture d’une ligne téléphonique « soutien à la parentalité » à l’initiative de différents intervenants dans le secteur du soin et du social ;
  • mise en place au départ d’un Centre Culturel, d’un projet avec des citoyens pour réaliser et distribuer des masques aux institutions du secteur associatif et aux écoles ;
  • dans le cadre de la « Plateforme Enseignement / Aide à la Jeunesse », enquête pour relever les besoins liés à la reprise des activités mais aussi pour relever et faire connaître les bonnes pratiques de gestion de la crise.

L’amélioration des conditions de vie en soutenant la création d’environnements naturels et socioéconomiques favorables à la santé

Les mesures prises dans le cadre de la pandémie de Covid-19 en Belgique, le confinement par exemple, étaient probablement essentielles maisont révélé et aggravé des inégalités sociales de santé déjà existantes. Assurément, des situations sociales complexes ont été aggravées par le contexte de pandémie : les personnes sans-abris se retrouvant dans l’incapacité de se confiner ; les personnes victimes de violences conjugales et intrafamiliales qui ne peuvent fuir leur foyer ; la difficulté de télétravailler dans de bonnes conditions en situation de monoparentalité, etc.Note bas de pagePour promouvoir une équité en santé, les interventions des CLPS se sont aussi concentrées sur des professionnels travaillant avec des publics spécifiques. Les CLPS ont poursuivi les accompagnements de certaines institutions dans le développement de projets destinés à des publics aux vulnérabilités variées.

Accompagner des projets spécifiques et prioritaires

Par exemple, accompagner une asbl qui accueille des femmes victimes de violences pour un travail sur la gestion du service : les conditions d’accueil, le fonctionnement interne de l’équipe, la recherche de nouveaux partenariats pour des logements de crise, etc.

Réorienter les services de santé

La réorientation des services de santé implique notamment l’articulation entre le domaine de la santé, de la promotion de la santé et l’ensemble des secteurs qui composent la société. Les CLPS ont maintenu le contact entre les acteurs locaux issus de différents secteurs, via des diffusions de témoignages et d’échanges de pratiques, et des concertations en visio-conférence. Ces temps d’échanges ont permis de structurer l’action locale en ayant une meilleure connaissance et complémentarité des déploiements des services de soins, sociaux, et de prévention pendant la crise.

Lancement d’une Plate-forme regroupant les acteurs et institutions de 1ère ligne et 2ème ligne

afin de travailler davantage en synergie dans le domaine de la santé pour permettre une prise en charge plus globale de la population, en collaboration avec le Groupe de travail ‘santé’ du Conseil de développement Wallonie picardeNote bas de page. La démarche est en construction au départ d’une analyse des besoins de l’ensemble de ces acteurs.

 

Elaborer des politiques pour la santé

Dans le cadre des accompagnements menés par les CLPS à l’échelon local, la participation de tous – élus, professionnels et citoyens – aux politiques locales qui agissent sur les déterminants de la santé est largement encouragée.A titre d’exemples, citons la prise de conscience de communes, durant la crise, sur la nécessité de la mise en place d’un dispositif local en faveur de la qualité de vie des aînés ; la mise en place de visites à domicile de personnes âgées isolées, suite à la fermeture des Maisons Communautaires ; la poursuite de la politique de soutien à la parentalité par l’organisation d’ateliers en visio-conférence, au départ de « Maison des parents » (CPAS). Cette période de crise sanitaire et sociale a rappelé une démarche essentielle : la Santé dans toutes les Politiques (SdtP). En effet, alors que le secteur médical a été mis en avant à juste titre au début de la crise, l’importance de la prise en compte des déterminants sociaux, politiques, économiques et environnementaux s’est réaffirmée assez rapidementNote bas de page. Dans ce cadre, les CLPS ont encouragé le maintien des concertations intersectorielles à l’échelon local et poursuivent leur travail de mise en commun en proposant des concertations régionales et notamment en faveur de la qualité de vie des aînés, durement touchés par cette crise.

Et maintenant ?

Ces exemples d’actions menées par les CLPS montrent la pertinence de poursuivre et d’encourager les démarches de promotion de la santé. Ceux-ci pourraient utilement être complétés par l’ensemble des actions menées localement par les acteurs de terrain, du secteur de la promotion de la santé ou d’autres secteurs. Il n’en reste pas moins que la réflexion sur les opportunités à développer dans le cadre des principes d’action de promotion de la santé doit se poursuivre.Il semble essentiel que les pouvoirs publics, en parallèle aux renforcements du système de soins de santé, soutiennent les acteurs qui développent au quotidien des actions dans le champ de la promotion de la santé, notamment au niveau local. Comme le soulignent les auteurs de la Tribune « Covid 19 et lutte contre les inégalités : pour un véritable soutien aux dynamiques territoriales de santé »Note bas de page : « Les dynamiques territoriales de santé, quand elles existent, facilitent la gestion locale de la crise (…). Ces dynamiques, marquées dans leur ADN par la lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé, sont des points d’appui incontournables à la mise en place de réponses rapides, adaptées et concertées, au plus près des besoins et ressources du territoire. La crise actuelle confirme – amèrement – que la santé renvoie à un champ large de déterminants sociaux et économiques : logement et urbanisme, éducation, alimentation, emploi, environnement, cadre de vie, etc. Les réponses les plus pertinentes, au plus près de situations, se tissent au niveau local, dans la solidarité, avec l’ensemble des acteur.rices locaux.ales, en particulier avec les habitant.e.s ».Comme souligné par le Refips : « Par son adoption d’une vision globale de la santé, le domaine de la promotion de la santé fournit des réponses pour améliorer la santé et le bien-être des populations de manière durable et équitable ».Note bas de page La promotion de la santé, en complémentarité avec les autres secteurs de la société, aura ainsi les moyens d’aider à faire face aux moments de crise comme celle de la Covid-19.

Pandémie de covid-19 : les réponses de la promotion de la santé. Webinaire « Education et santé » organisé par la Chaire Unesco, avec le professeur Stéphan Van den Broucke – https://www.youtube.com/watch?time_continue=340&v=eakBX2Tw1Fo&feature=emb_title

Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé. (2020, 5 mai). Tribune de la Fnes « Épidémie, crise sanitaire et Covid-19 : le pouvoir d’agir de la promotion de la santé ».

Le Conseil de développement est une structure pilote qui anticipe l’évolution de la gouvernance territoriale à l’échelle de la Wallonie picarde. Il est composé d’acteurs des milieux politique, socio-économique, syndical, culturel, environnemental…

International Union for Health Promotion and Education, & Réseau francophone international pour la promotion de la santé. (2020). La promotion de la santé en temps de crise. https://refips.org/wp-content/uploads/2020/06/IUHPE_REFIPS_COVID19.pdf

Fabrique, Territoires et Santé, & Elus, Santé Publique et Territoire. (2020, 20 avril). Covid-19 et lutte contre les inégalités : pour un véritable soutien aux dynamiques territoriales de santé. https://espt.asso.fr/wp-content/uploads/2020/04/CP-FTS-ESPT-avril-2020.pdf

Op. Cit. International Union for Health Promotion and Education, & Réseau francophone international pour la promotion de la santé. (2020). La promotion de la santé en temps de crise.

La littératie en santé des populations à l’épreuve de la Covid-19 : le défi de l’évaluation de l’information

Le 30 Déc 20

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La pandémie de Covid-19 et sa prise en charge sont révélatrices d’inégalités sociales lancinantes au sein de notre société. Les individus et les groupes sociaux, compte tenu de leurs conditions de vie, sont touchés de manière différenciée par le virus et par les mesures prises par les pouvoirs publics pour contenir sa propagation. Genre, âge, logement, travail, revenus, statut administratif… vont déterminer les possibilités de se prémunir de la contagion, d’accéder à des soins et surtout de vivre avec plus ou moins de difficultés cette période de vigilance sanitaire extrême. Dans le domaine de l’information et des compétences d’évaluation de celle-ci, le phénomène épidémique met également en évidence des facteurs de disparités.

La littératie en santé des populations à l’épreuve de la Covid-19 : le défi de l’évaluation de l’information

L’info au pouvoir

Pendant cette crise, l’information est omniprésente. Elle joue un rôle fondamental à plusieurs égards. D’abord, pour les autorités publiques (en tant qu’émettrices), elle a une fonction de prévention et de contrôle à travers une forme d’encadrement idéologique des individus. Basées sur une expertise scientifique, leurs communications martèlent les comportements à adopter (gestes barrières, dispositions de confinement) et conscientisent à une forme de gravité en essayant de conférer un sens individuel et collectif aux décisions prises. Leurs objectifs sont des objectifs de santé publique précis : limiter la propagation du virus, empêcher une saturation des services de soins et préserver le maximum de vies. Pour cela, l’État doit notamment réaffirmer sa puissance en communiquant les sanctions qu’il adopte, sans oublier les dispositifs de soutien qu’il met en place pour limiter les « effets collatéraux » de ses propres mesures.

Ensuite, pour la population (ici en tant que réceptrice), l’information répond à un besoin de savoir. Dans une optique rationnelle, il s’agit pour elle de cerner le risque auquel elle est exposée et la manière d’y faire face concrètement. Elle recherche là une capacité d’agir dans un contexte de vulnérabilité et de limitations. Elle est également en quête d’explications au milieu d’un océan d’incertitudes. À côté de cela, face à une « menace létale » relativement proche, l’information vient assouvir une pulsion chez l’individu le renvoyant à son propre devenir et à sa propre finitude. Il y a ici nécessité impérieuse de connaître la manière dont s’en sortent nos semblables et dont nous allons nous en sortir. Les diffuseurs (médias de masse ou spécialisés, acteurs et actrices d’internet et des réseaux sociaux, relais communautaires, entourage) offrent donc une réponse à cet immense besoin d’informations, en proposant un flot continu de contenus hétéroclites avec une qualité et des enjeux inégauxNote bas de page. La consommation d’informations sur la crise du coronavirus varie fortement au sein de la société (canaux utilisés, intensité de la prise d’informations, attention portée à certaines d’entre elles plutôt qu’à d’autres) et les réactions face à celles-ci se déploient sur une large palette : d’un sentiment de responsabilité au repli sur soi et à la peur, en passant par la compassion et l’élan de solidarité.

L’enjeu de la littératie en santé

La littératie en santé désigne les compétences que les individus exercent pour accéder aux informations, pour les comprendre, les évaluer et les utiliser dans la perspective de maintenir ou d’améliorer leur santé et celle de leur entourage. Pendant cette crise sanitaire, ces compétences et les possibilités de les mettre en œuvre jouent un rôle essentiel. Elles vont conditionner les capacités de prévention de la maladie chez chacun·e et à l’échelle de la collectivité, mais aussi déterminer la santé dans son aspect plus global, alors que les repères sociaux sont bouleversés. En fonction des ressources sociales, économiques et culturelles à disposition, le rapport à l’information variera et les compétences en littératie en santé s’exerceront à des échelles différentes.

L’évaluation de l’info en temps d’infodémie

Infodémie, voilà comment l’Organisation Mondiale de la Santé appelle cette surabondance d’informations sur la Covid-19. Causes et origines du virus et de la maladie, symptômes et modes de transmission, traitements et mesures prophylactiques, efficacité des interventions des autorités : ces champs font l’objet de beaucoup d’incertitudes scientifiques, ce qui amène des informations contradictoires ou relevant plus de l’hypothèse que du fait. Puis, il y a bien entendu des informations manipulées. Elles déferlent, en particulier, sur les plateformes numériques et les réseaux sociaux. Compte tenu de cela, la troisième dimension de la littératie en santé, à savoir l’évaluation de l’information, constitue un enjeu de taille. Les compétences que les personnes mobilisent pour émettre un jugement sur l’information, estimer sa fiabilité, la sélectionner, s’en distancier ou non, influeront leurs attitudes face à la pandémie ainsi que leur santé notamment mentale. Les facteurs influençant cette capacité d’évaluation sont multiples. Trois facteurs nous viennent particulièrement à l’esprit à la lumière de la situation actuelle : les représentations, la peur et l’éducation.

Le poids des représentations

Il est évident que l’information consultée forge en partie les représentations que l’on se fait de la question. La manière dont une personne va percevoir et interpréter le risque et les moyens de se protéger va fortement varier en fonction des informations auxquelles elle aura été exposée et qu’elle aura pu intégrer. Par exemple, l’obtention d’une information décomptant un nombre de décès de la Covid-19 géographiquement proches pourra rendre prégnant un sentiment de vulnérabilité par rapport à une maladie qui se présentera dès lors à l’esprit comme grave et particulièrement mortelle. Mais, à leur tour, les représentations personnelles vont conditionner la manière dont l’information sera recherchée, sélectionnée et retenue. S’appuyant sur les expériences vécues, les représentations, par exemple, du risque (proche ou lointain), du corps (fragile ou résistant), de la science et de la médecine (porteuses ou non de solutions), mais aussi du pouvoir public (peu ou prou digne de confiance) détermineront l’attention portée à certaines informations, l’utilisation de certains types de sources et le crédit qu’on leur accordera. Chacun·e vivant la situation à travers un champ de représentations propre, plus ou moins partagé avec les autres, portera un jugement sur l’information de manière singulière. Une personne qui se représente la maladie à coronavirus comme une « simple grippe » et estimant que les autorités en font trop, pourrait être plus encline à se détourner des canaux officiels voire être plus réceptive aux thèses alternatives.

Une série de biais cognitifsNote bas de page peuvent intervenir dans le traitement de l’information. Évoquons ici, le biais de confirmation. On aura tendance à chercher et à écouter plus attentivement ce qui confirme les perspectives déjà installées dans notre esprit. De surcroît, dans un monde numérique, où une bonne part des informations est amenée par des algorithmesNote bas de page, le risque de figement des représentations grandit. Branchée sur les mêmes registres informationnels, une personne s’installe dans une bulle qui peut s’avérer délétère surtout quand elle se compose d’infos manipulées et/ou de contenus anxiogènes.

La peur, conseillère en désorientation

Cet épisode pandémique d’une ampleur jamais connue par les générations actuelles diffuse inévitablement une certaine anxiété au sein de la population. Il la génère d’autant plus que la menace reste relativement imprécise, que l’horizon est incertain. Face à ce fait social totalNote bas de page fortement chargé en émotions, il est difficile de rester rationnel·le. Dès lors, nos capacités de jugement et de prise de recul s’étiolent en fonction de ce vécu émotionnel. Toute personne aspirant à trouver des solutions rapides et globales à la problématique, la crédulité s’accroît face à des explications péremptoires, décontextualisée et non-étayées (ex. : le virus a été créé dans un labo) ou face à des remèdes miracles (ex. : boire de l’eau chaude tue le virus). Les informations tronquées, frelatées, manipulées, les théories du complot qui offrent des explications limpides à un phénomène terrifiant, s’infiltrent donc allègrement dans les flux et les esprits. Si ces nouvelles peuvent porter de graves atteintes à la santé (déni ou exagération du risque, comportements préventifs inefficaces voire nocifs), elles peuvent, elles-mêmes, alimenter la peur. Par exemple, le contact avec certaines infox pourrait nous amener à penser que nous sommes gouvernés par des personnes qui nous cachent à dessein une série d’informations essentielles. Des infox catastrophistes ou déclinistes peuvent nourrir une méfiance face aux institutions, au collectif, à l’Autre ; qui se profileront tantôt comme inconscients tantôt comme menaçants. Même si le sentiment de peur est présent et sans doute inévitable dans cette situation, il ne doit pas nous empêcher de continuer à réfléchir et de se donner un délai de traitement de l’information.

Info(x)

Les infox (contraction d’information et d’intoxication) sont rarement des fausses nouvelles, construites de toute pièce. Elles sont souvent des « faits manipulés sortis de leur contexte, des généralisations hâtives ou des interprétations subjectives présentées comme des faitsNote bas de page ». Ni tout à fait justes, ni tout à fait fausses, elles sont diffusées pour différentes raisons en vue d’orienter les pensées et comportements : objectifs commerciaux, géopolitiques, de notoriété… Elles peuvent également être relayées de bonne foi.

L’éducation : esprit critique es-tu là ?

Certes, le parcours éducatif joue un rôle. Les clés obtenues à l’école et utilisées au quotidien pèsent sur l’approche que nous allons avoir de l’information ; par exemple, pour décrypter les récits médiatiques ou pour suspendre notre jugement à partir de certains indices. Mais, nous vivons ici de l’inédit : une vulnérabilité universelle dans un monde de l’immédiateté dans lequel chaque individu est producteur et consommateur de contenu. Ces clés éducatives sont donc mises à rude épreuve et se révèlent pour beaucoup insuffisantes. Il est pourtant plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre notre esprit critique. Comme le dit le sociologue Gérald Bronner, il s’agit d’abord de se méfier de nos intuitions, de prendre conscience de l’ensemble des biais cognitifs qui interviennent dans nos jugements. Pour faire face à la manipulation et aux opinions peu fondées, il est indispensable de se décentrer de ses propres réactions émotionnelles et d’adopter d’autres points de vue. Tout cela exige des ressources mentales et de la méthode. En effet, exercée sans méthode, la pensée critique peut paradoxalement nous amener sur la voie de la crédulité. Se méfier de tout, ne plus croire en rien nous expose aux révélations non-fondées. Si l’émission du doute face à certaines informations est nécessaire, elle doit s’accompagner d’un effort, celui de déployer une pensée méthodique nous permettant de nous raccrocher avec raison à la réalité.

Employer une méthode

L’adoption par le ou la citoyen·ne de quelques principesNote bas de page contribuera à déjouer les pièges de la mésinformation. Qui est son auteur·rice ? Pourquoi est-elle diffusée ? De quand date-t-elle ? À quelle source fait-elle référence ? Il est d’abord fondamental de se poser certaines questions pour décrypter l’information avant de lui accorder du crédit. Il s’agit ensuite de garder une circonspection face à ce qui est trop « évident », comme la cause unique à un problème complexe ou une solution apportée par une seule personne.

La méthode de latéralisation peut constituer un bon levier de vérification : l’information est-elle confirmée sur d’autres types de médias avec les mêmes nuances ? La diversification des sources est donc importante tout comme le fait d’avoir en tête la distinction entre fait et opinion. Si le fait peut être vérifié et est indépendant des personnes qui le relaient, l’opinion relève d’idées qui peuvent être discutées et partagées ou non entre les individusNote bas de page. Enfin, garder la maîtrise de l’information est un dernier point à souligner. Il s’agit de choisir et de limiter les temps d’information et même de pouvoir faire un pas de côté face à un flux intarissable. Se déconnecter permet de se donner de l’air par rapport à ce qu’il se passe.

Suivre ces quelques principes n’est pas une mince affaire. Cela nécessite des ressources matérielles, techniques et mentales que la collectivité se doit de proposer à tout·e citoyen·ne.

Et les diffuseurs dans tout ça

Mais l’évaluation de l’information se joue aussi sur d’autres tableaux. L’environnement informationnel actuel est terriblement exigeant, peu propice à la sérénité et au déploiement de la pensée réflexive. Dans cette infodémie, la responsabilité des diffuseurs est en jeu. Exemples :

  • Les géants du Web déclarent faire des efforts pour lutter contre les fake news en redoublant leurs efforts de signalement, mais le fondement sur lequel leurs produits commerciaux reposent, à savoir un marché de l’attentionNote bas de page, est peu favorable à la prise de recul.
  • Les médias traditionnels (en particulier la télévision) devraient également poser un regard sur le cadrage qu’ils font de l’actualité en ayant en tête le niveau d’angoisse qu’ils peuvent générer, tout en favorisant l’appropriation critique et nuancée de l’information.
  • La communication de crise des autorités publiques est sans aucun doute un exercice d’équilibriste. Mais, le cas échéant, elles gagneraient à reconnaître publiquement leurs erreurs (ex. : gestion des masques) dans une optique d’accroître leur transparence et d’éviter de donner du grain à moudre aux défenseur·euses de thèses conspirationnistes.
  • Enfin, n’oublions pas que chacun·e d’entre nous est potentiellement diffuseur·euse d’informations. Il relève dès lors de notre responsabilité citoyenne de réfléchir à la qualité des informations et de les contextualiser avant de les relayer.

Faisant affleurer des enjeux fondamentaux, l’épidémie de Covid-19 peut être la cause d’un changement de société. Un défi se présente à nous aussi en termes d’éducation permanente et de promotion de la santé avec, entre autres, l’axe stratégique de renforcer les capacités des citoyen·nes leur permettant d’apprivoiser ce monde de l’information en lien avec la santé mais aussi de le repenser collectivement. À suivre donc…

Ressources bibliographiques pour aller plus loin …

  • BRONNER G., Aiguiser le sens critique, in : Sciences Humaines, n°287, 2016
  • DESCLOS A., La mondialisation des infox et ses effets sur la santé en Afrique, l’exemple de la chloroquine, in : The conversation.fr, mars 2020
  • FRAU-MEIGS D., Epidémie d’infox, des gestes barrières numériques à adopter, in : The conversation.fr, Avril 2020
  • GURVIEZ P., Covid-19 : comment les biais cognitifs ont diminué l’efficacité de la communication officielle, in : The conversation.fr, avril 2020
  • MOUTON P., Coronavirus et fausses informations : Les aléas de la liberté d’expression en période de crise sanitaire, in : Revue des droits et libertés fondamentaux, Centre de Recherches Juridiques de Grenoble, 2020
  • MURAILLE E., Rien ne prouve que le coronavirus a été créé en laboratoire : les dessous de l’infodémie sur le Covid-19, in : The conversation.fr, avril 2020
  • PAAKKARI A. & OKAN O., Covid-19 : Health literacy is an underestimated problem, in : The Lancet, Avril 2020
  • LOMBARD F. & MERMINOD M., Esprit critique en sciences : Comment concilier l’émotion et la raison ?Abstract de séminaire, Université de Genève, avril 2019
  • PERETTI-WATEL P., Peur, danger, menace… Le poids des représentations, in : Sciences Humaines, n°124, 2002
  • WHO, Providing timely and accurate information to dispelthe « infodemic », in : Covid-19 situation report, n°86, Avril 2020

Note : L’équipe promotion de la santé contributrice de cette réflexion écrite en avril 2020 : Alexia Brumagne, Maïté Cuvelier, Jeanne Dupuis, Denis Mannaerts et Céline Prescott.

Par parenthèse, on ne peut éluder le fait que certain·es profitent de ce contexte exceptionnel pour se faire une notoriété, asseoir une emprise sur les consciences en surfant sur une angoisse diffuse, n’hésitant pas à propager des informations non-étayées ou manipulées ; nous revenons sur ces aspects dans la suite du texte.

Mécanismes de pensée faussement logiques. Ils sont fondés sur les expériences intériorisées et les émotions. Ils altèrent notre jugement et nous font agir intuitivement.

Ceux-ci amènent souvent les informations en fonction des recherches précédemment effectuées ou sur base des préférences affichées sur les réseaux sociaux.

 

Concept développé par Marcel Mauss qui désigne un phénomène qui impacte tous les champs de la société, ébranle les systèmes et bouleverse nos habitudes.

 

DESCLOS A., La mondialisation des infox et ses effets sur la santé en Afrique, l’exemple de la chloroquine, in : The conversation.fr, mars 2020

 

Cultures&Santé a dernièrement publié des outils permettant d’obtenir quelques clés pour faire face à ce torrent d’infos : Fiche Lisa n°3 : Comment évaluer l’information pour la santé sur le Web ?, Covid-19 : Comment réagir face à l’info ? (infographie et clés méthodologiques et de réflexion).

 

À ce propos, Olenka Czarnocki, une enseignante de l’Institut Emile Gryson, donne ses clés pour rester critique face à l’information dans la vidéo Confiné mais critique (https://www.youtube.com/watch?v=3cdb3XUOBzo&feature=youtu.be).

Tout est fait sur les réseaux sociaux pour capter l’attention de l’utilisateur·rice et de créer chez lui ou elle des stimuli notamment au travers des émotions.

COVID et POST-COVID : quelle place pour la vie relationnelle, affective et sexuelle (VRAS) ?

Le 30 Déc 20

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Différents professionnels actifs dans le domaine de la vie relationnelle, affective et sexuelle des personnes en situation de handicap, en souffrance psychique et avec des aînés ont uni leur(s) expérience(s) autour de la question.

COVID et POST-COVID : quelle place pour la vie relationnelle, affective et sexuelle (VRAS) ?

Quelques mois déjà que nous sommes entrés dans l’ère du Coronavirus… que de bouleversements dans la vie de tous, mais aussi et plus particulièrement dans la vie des personnes qui, pour des raisons diverses, vivent dans un lieu d’hébergement souvent collectif. Un lieu où leur capacité à vivre leur propre vie s’est révélée encore plus complexe qu’à l’ordinaire : maisons de repos pour les personnes âgées, centres d’hébergement pour les personnes en situation de handicap, sections psychiatriques pour les personnes en souffrance psychique, service de logements supervisés, services d’aide à la vie journalière… Des lieux qui ont un point commun : ils accueillent tous des personnes qui, dans leur vie et pour leurs choix quotidiens, dépendent d’autres individus.Parmi ces personnes accompagnées, il y a notamment :

  • celles qui ont vécu en famille, pour lesquelles cela a pu être un moment de retrouvailles, mais aussi celles qui dans leurs familles ont rencontré une situation plus tendue, parfois même explosive, car le répit n’était plus possible, ni pour leurs familles, ni pour elles-mêmes. Or ce besoin de répit était parfois à l’origine de leur présence en institution ;
  • celles qui ont été plongées dans des conditions plus strictes là où le Covid 19 a sévi et qui ont parfois dû vivre isolées en chambre ;
  • celles qui, en situation de grande dépendance physique, ont dû se contenter des soins primordiaux. Elles ont parfois été privées de leurs activités et leur vie sociale, déjà souvent appauvrie, a été considérablement réduite ;
  • celles qui ont été confrontées à la mort et qui n’ont pas les outils pour y faire face ;
  • celles dont les institutions ont vécu dans le stress, lié à la présence du virus, aux craintes du personnel ou des directions, voire parfois aux conflits au sein des équipes.

Depuis lors, un message quasi unique est véhiculé : la distanciation sociale, érigée au statut de loi sans aucune dérogation. Légitimement utilisée comme rappel pour le citoyen en général, la nécessaire distance de 1 mètre 50 pourrait être réductrice et enfermante pour les personnes évoquées.Certaines personnes ont été soumises à des mesures de confinement renforcées par rapport au reste de la population. Ces mesures de confinement, comprenant des restrictions de liberté et l’instauration d’une distanciation physique, ainsi que leur maintien probable sur une période longue, conduisent à une limitation des relations sociales ou à des changements majeurs dans celles-ci.Le confinement, dont le but est de protéger la vie des plus fragiles d’entre nous a son grand paradoxe : certains, enfants, adolescents, personnes vieillissantes, personnes fragilisées psychiquement, socialement ou cognitivement, personnes en situation de handicap sont autant d’individus pour lesquels la désocialisation et un changement brutal des routines peuvent se révéler néfastes pour cette même santé que nous cherchons à protéger.

Et maintenant…

Certains ne disposent pas de ressources suffisantes pour se relever d’un déconfinement inadéquat.Tout cela risque d’avoir des conséquences sur le plan affectif et relationnel tant pour les personnes accompagnées que peut-être aussi pour certains professionnels. Au cœur de la crise sanitaire, certaines personnes en situation de handicap ou âgées constatent que la dynamique consistant à leur donner la parole risque d’être mise de côté dans le cadre d’un déconfinement centré sur la protection plus que sur l’autodétermination.Qu’en sera-t-il désormais dans nos institutions, si les temps de la découverte et de l’apprivoisement sont interdits, dans une logique sécuritaire, où la santé se réduit au biologique et où elle n’est plus prise dans l’ensemble de ses composantes, dont la santé sexuelle ?Des gestes affectueux, contenant ou d’apaisement sont indispensables pour tous, en particulier pour les personnes souffrant d’angoisse, présentant des comportements à problèmes ou désorientées.Celles qui vont réintégrer leur institution après trois mois de vie en famille et qui devront y reconstruire leur place.Quelle place, au temps du COVID et post-COVID, pour ce toucher hors contrôle sanitaire? Ce toucher qui permet une meilleure conscience de soi par le contact avec l’autre? Ce toucher qui, pour être porteur, ne peut être aseptisé ?Quelles conséquences pour chacun et chacune d’entre nous, conséquences psychiques, relationnelles, corporelles ? Conséquences qui seront plus profondes pour les personnes fragilisées par l’âge, le handicap, la réalité sociale mais aussi les enfants et les adolescents au niveau de la construction de leur identité, et enfin pour chacun et chacune d’entre nous. S’il était et est toujours indispensable de se mettre à distance et se « cacher » derrière un masque, quelles seront les conséquences de ce comportement dans l’avenir ? Pour toutes ces personnes, le corps occupe une place très importante dans leur vie.

Agissons !

L’après COVID avec la réouverture progressive et prudente se prépare, mais elle ne pourra se faire sans l’apport d’experts plus en lien avec les secteurs psychologique, psycho-pédagogique et sociologique, mais aussi avec des apports plus philosophiques et éthiques permettant de re-questionner le rapport à l’autre et à soi, la place du corps et de ses expressions toniques et émotionnelles à la lumière du coronavirus. Faisons en sorte que chacun, femme, homme, enfant, adulte, aîné, soit reconnu comme personne à part entière, être désirant et désiré. Osons ramener la vie là où elle a été chassée par la peur. Osons redonner sa force de vie à la sexualité accueillie dans sa globalité : affective, relationnelle et sexuelle.Dépassons nos résistances : les personnes qui vivent avec un handicap, les personnes âgées, les personnes en souffrance psychique nous confirment de plus en plus nettement qu’elles sont semblables à nous et que si elles ont à être protégées, c’est seulement à hauteur des risques réels qu’elles encourent.C’est ainsi qu’il faudra globalement veiller au respect de la qualité de vie et cela englobe notamment :

  • une reprise des activités, des groupes de paroles autour de la vie relationnelle, affective et sexuelle ;
  • de permettre aux personnes qui développent des sentiments amoureux de s’apprivoiser, de se rapprocher, de se toucher, alors que la distanciation sociale sera encore de mise durant les prochains mois, et peut-être même les prochaines années… ;
  • pour les personnes en situation de handicap, il important de recommencer les soirées adaptées en discothèques dont elles raffolent ou encore les après-midis de rencontres entre célibataires de plusieurs institutions, les initiatives ainsi que les speedating qui étaient en train de se développer ;
  • de permettre finalement à tout le monde de réaliser ses besoins de rencontres avec l’extérieur, d’élargissement du champ social.

Redonnons vie à la vie !

Christian Nile est référent Vie Relationnelle Affective et Sexuelle à l’AVIQ et l’article que vous venez de lire est un condensé des écrits déjà réalisés que vous pouvez retrouver dans leur entièreté sur la page AVIQ enVIE d’amour.
N’hésitez pas à alimenter les réflexions de ce groupe en partageant vos émotions, vos remarques, positives ou négatives, et vos témoignages, personnes accompagnées, familles et travailleurs du secteur. En connaissant mieux le concret de votre vécu autour des questions de vie relationnelle affective et sexuelle, il sera plus aisé de mieux comprendre vos attentes à ces niveaux.
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