Articles de la catégorie : Réflexions

Une politique sociale des soins de santé dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne?

Le 30 Déc 20

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L’Union européenne comptera le mois prochain 25 Etats membres. La plupart des nouveaux pays sont des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) qui transitent d’une économie centralisée à une économie de marché. Ce processus de transition politique, économique et de société a également mené, dans la plupart des pays de cette région, à une réforme ou plusieurs réformes successives des systèmes de santé. Cependant, la redéfinition des politiques de protection sociale et de santé, dominée par une idéologie libérale et individualiste, ne vise généralement qu’à assurer une couverture minimale, une aide qui ne suffit pas à atteindre un niveau de vie décent.
Dans les faits, les systèmes de protection sociale et de santé sont dualistes, la majorité de la population ayant accès à des services plutôt médiocres et limités tandis qu’une fraction privilégiée de la société, ayant les moyens de se payer une assurance complémentaire, bénéficie d’une couverture sociale et de soins de qualité.

Les soins de santé en Europe centrale après la chute du communisme

Après la chute du communisme en 1989, le système social de nombreux pays d’Europe centrale a rapidement changé. Durant l’époque communiste, un réseau de services médicaux et sociaux a été mis gratuitement à la disposition de l’ensemble de la population. Les usagers étaient proches des structures de soins locales et y avaient, en théorie, accès sans distinction ni restriction. Cependant, la réalité était souvent très différente de cette image idéale. De nombreux services n’existaient pas dans la pratique, étaient souvent d’une mauvaise qualité ou ne pouvaient être obtenus que moyennant des paiements “officieux” (dessous-de-table) aux prestataires de soins ou de services.
Depuis, les gouvernements se sont succédé et se sont engagés dans l’économie de marché qui a creusé le fossé des inégalités sociales au sein du pays et entre les pays. Sous la contrainte des organisations internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale), de nombreux pays en transition ont en effet ouvert leur marché aux privatisations et considérablement réduit leurs dépenses publiques au cours de la dernière décennie. Le secteur de la santé n’échappe pas à ce climat de régression. L’ ‘économisme’ marginalise davantage les catégories sociales et les pays les plus défavorisés. L’écart s’est creusé entre ceux qui se sont trouvés dans une situation défavorable dans le nouveau contexte et les élites économiques totalement à l’aise dans l’économie de marché.
Presque dans tous les Etats d’Europe centrale et orientale, le recul des systèmes de protection sociale a ouvert la porte au développement des assurances privées. Les réformes structurelles ne compensent pas le manque de ressources, ce qui encourage entre autres le phénomène des dessous-de-table, déjà endémique par le passé.
Faute d’investissement, l’état de vétusté des hôpitaux ne s’est pas amélioré. Les professions médicales dans le domaine public restent mal rémunérées, provoquant la fuite vers le privé. A titre d’exemple, 95% des dentistes en Pologne sont privés. Si le médecin n’a pas de contrat avec le fonds d’assurance maladie, le patient doit payer la somme intégrale de la consultation. Ce qu’il est parfois obligé de faire pour éviter de longues files d’attente dues au nombre limité de services contractés par la caisse d’assurance publique.
Le prix des médicaments est en augmentation constante depuis le début des années 1990. D’une part, parce que les prix en général ont commencé à s’aligner sur les prix des pays occidentaux, d’autre part parce que la part des médicaments produits localement diminue de manière spectaculaire, les médicaments étrangers occupant des parts croissantes de marché. L’économie de marché a eu pour effet l’introduction de l’importation de produits qui coûtent plusieurs fois le prix de médicaments de même qualité, fabriqués autrefois localement. Le développement économique des pays de l’Est ne peut que souffrir de l’affaiblissement de leur industrie médicale et pharmaceutique.

Des pistes pour sortir de la crise

Des politiques résolument orientées vers la prévention et la promotion de la santé concourraient sans aucun doute à la réduction des dépenses. Du côté des professionnels de la santé, il faudrait diversifier et élargir les missions et les activités des médecins généralistes vers la protection et la promotion de la santé des individus et, d’autre part, favoriser le travail d’équipe. L’introduction de conseils de bonne pratique pour les médecins, combinée à l’accent mis sur la prescription des médicaments génériques, doit également être encouragée.
Le mouvement mutualiste , sur base de l’expérience accumulée dans notre pays en matière de gestion de l’assurance maladie, de l’économie sociale, d’organisation des soins et de services complémentaires, peut constituer une alternative intéressante pour renforcer l’accessibilité aux soins et contribuer à la prise de responsabilités par la population locale.
Depuis 1995, la Mutualité chrétienne soutient des projets mutualistes en Europe centrale, principalement en Pologne, Roumanie et dans les pays baltes. Ces projets visent la mise en place d’organisations mutualistes, qui peuvent assurer un accès plus facile à des soins de santé de meilleure qualité.
Grâce à un projet d’information cofinancé par l’Union européenne, la Mutualité chrétienne a mené une campagne d’information dans sa presse, présentant un ou plusieurs pays d’Europe centrale, ainsi que leur système de sécurité sociale et le secteur de la santé, en faisant également référence aux projets mutualistes. Des soirées thématiques et expositions ont été organisés dans six villes belges (Brugge, Gent, Antwerpen, Namur, Liège et Oostende) par les comités de partenariat mis en place dans les Mutualités chrétiennes qui soutiennent des projets.

Des projets et des résultats

En soutenant des mutualités à l’étranger, l’objectif de la Mutualité chrétienne est de contribuer à l’accessibilité à des soins de santé de qualité. L’accessibilité financière passe par des tarifs maîtrisés pour les médicaments et les consultations. Des cabinets médicaux en région rurale ou des cabinets « itinérants » contribuent à rendre les soins disponibles en les rapprochant des gens. Enfin, de nouveaux services qui n’existaient pas jusqu’alors ont été mis en place, surtout la location de matériel de revalidation ou la mise sur pied d’un service de soins à domicile.
La qualité des soins a pu être améliorée grâce à des investissements dans une infrastructure propre ou des formations dispensées aux prestataires et aux mutualistes.
Alors qu’un «nouveau» modèle de société est apparu après la chute du communisme, basé sur l’individu et dans lequel le «social» est désormais chargé d’une signification négative, c’est un modèle social alternatif et démocratique que promeut la mutualité. Un mouvement fondé sur la collaboration entre organisations sociales, administrations locales et prestataires, sur la responsabilisation et la participation des membres.
Le développement d’un mouvement de bénévoles qui stimule la solidarité et apporte son soutien aux jeunes, aux personnes handicapées et âgées, et ce grâce à des réseaux de partenariat tissés avec les Mutualités chrétiennes de Belgique, revêt une importance capitale pour faire connaître le concept du mutualisme dans ces pays.
Valérie Van Belle , Coopération internationale Mutualité chrétienne
Article publié dans En Marche et remanié par l’auteur

La paille et la poutre

Le 30 Déc 20

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Nous avons reçu à quelques semaines de distance deux contributions abordant la question de la responsabilité individuelle face à la santé avec des points de vue très éloignés sur la question. Le Dr Pieters défend l’idée largement répandue dans l’opinion que notre système de solidarité collective ne peut couvrir indéfiniment les dépenses occasionnées par les conséquences des comportements erratiques de certains individus. Pour sa part, Christian Léonard , un économiste de la santé, plaide pour la conscientisation plutôt que sur une responsabilisation accrue, qui risque de renforcer les inégalités et d’ajouter du malheur à l’existence des plus malheureux.
Le thème est passionnant, et le comité stratégique d’Education Santé n’a pas voulu l’ignorer, au contraire. Il a confié à un de ses membres, le Prof . Alain Deccache (UCL) la tâche d’y apporter quelques nuances supplémentaires.
Si le sujet vous inspire des réflexions pertinentes, ou impertinentes, n’hésitez pas à nous en faire part. Le débat est ouvert…

Christian De Bock , rédacteur en chef

Education et santé

,

entre responsabilité individuelle et responsabilité sociale

Depuis des années, l’éducation pour la santé est au cœur d’un interminable débat, celui de la place des facteurs individuels et des facteurs sociaux dans la genèse des comportements de santé, et plus largement du mode de vie lié à la santé. Il s’accompagne invariablement de la question: «Qui est responsable de la santé et qui doit en assumer le coût?». Ces questions, fondamentales pour les pratiques de prévention des maladies et de promotion de la santé, influencent les orientations des politiques de santé et des programmes d’éducation pour la santé. On connaît les influences réciproques entre les dimensions idéologique (axiologique: au nom de quoi? pour quoi faire?), théorique (ontologique: quoi et sur quoi faire?) et méthodologique (praxéologique: comment faire?) de la promotion de la santé. La réponse à chaque question influence le choix de réponses aux autres, jusqu’à définir le champ des possibles au niveau des actions de promotion de la santé.
La politique actuelle vise une éducation émancipatrice, formant à la responsabilité «citoyenne» (rejetant une éducation qui normalise et rend obéissant), favorisant la lutte contre les inégalités sociales et sanitaires (reconnaissant à la fois que les comportements de santé sont une des composantes de la santé, et qu’ils apparaissent différemment selon les conditions sociales) et intégrant prévention des maladies et maintien de la santé (inscrivant ses actions à la fois dans le moment présent (l’urgence) et dans le temps (prévision)).
Une telle position est de nature idéologique, et son implication sur les actions est évidente: on n’y fera pas la même promotion de la santé que si l’on ne valorisait que la responsabilité et la réponse individuelles dans le domaine de la santé. Cette réflexion ne s’applique d’ailleurs pas qu’à la santé, tous les domaines de la vie sont concernés: emploi, logement, éducation, qualité de vie, sécurité, relations humaines…
Le concept de promotion de la santé, tel que défini par la Charte d’Ottawa, régit aujourd’hui le champ politique et professionnel de la santé, sauf dans le domaine des soins curatifs où il a toutes les difficultés du monde à pénétrer, et pour cause!
Il apparaît utopique parce qu’il implique clairement l’action concertée de tous les domaines de la vie qui influencent la santé, et ils sont nombreux. Au niveau des politiques, nationales, régionales, locales, il nécessite une sérieuse collaboration entre ministères, départements et services, et au niveau des professionnels, entre organisations éducatives, environnementales, de partage de moyens, d’entraide, de pression sociale, etc. On est bien loin du compte.
Mais ce concept a aussi l’immense avantage de résoudre le problème de la part de responsabilité, individuelle ou sociale, de la santé. Il tranche indiscutablement en faveur d’un mélange réaliste des deux! Le débat aberrant qui traîne, parfois sans citer son nom, est ainsi résolu. Du moins en théorie, parce que maintenant la question est: «Comment faire la part entre les enjeux et les besoins individuels et sociaux?» (et comment y affecter les ressources sociales?) , auxquels toute collectivité est confrontée. Cela ne se limite évidemment pas aux questions financières!
C’est sur ce plan que G. Pieters, l’auteur du texte «Responsabilité et santé» a choisi de construire son argumentation en faveur d’une plus grande responsabilisation individuelle en matière de santé et de maîtrise des coûts de santé. Ce faisant, il aborde pêle-mêle dans son constat le déficit grandissant de la sécurité sociale (en particulier de l’assurance maladie), l’inefficacité de la prévention et de la persuasion, la surconsommation de médicaments, l’irresponsabilité de certains vis-à-vis de leur santé, le laxisme légal sur les comportements irresponsables, le flou juridique existant et le danger pour «notre civilisation qui doit rester viable».
Ces arguments sélectifs, soutenant la thèse de la nécessité d’une politique plus répressive (pression constante), et d’une éducation précoce à assumer ses responsabilités en matière de santé, omettent de nombreux autres éléments, que plusieurs chercheurs et auteurs ont mis en évidence, et qui contredisent ou pour le moins atténuent ses constats.

Prévention et déficit du budget de la santé

Il est curieux de lier les dépenses de la santé aux seuls comportements de santé. S’il est clair que ces derniers jouent un rôle important (43% de la mortalité, selon Dever (1) ), ils ne représentent qu’une faible part de l’affectation des ressources de santé (1,5% aux USA selon Dever, 0,1 % en Belgique). Il est indiscutable que la part des dépenses de santé la plus importante et celle qui a le plus «explosé» est celle liée aux soins, diagnostiques, médicaux et chirurgicaux, suivie des dépenses de médicaments.
Pour rester dans les finances, les ressources et investissements devraient aussi être examinés: si les budgets de prévention représentent 0,1% de ceux de la santé en Belgique, la situation est aussi interpellante au niveau européen. Ainsi, la Commission européenne dépense 400 fois plus pour le soutien à l’agriculture du tabac que pour en prévenir la consommation (source: information non publiée CEE DGV 1999).
Les économies de santé réalisables devraient commencer là où elles sont les plus efficaces. 50% des soins de santé et des traitements sont efficaces et utiles, et 50% des dépenses concernent 5% de la population. Cela n’exclut évidemment pas la réduction des risques et de leurs conséquences. Mais à ce jeu on parviendrait à des choix dangereux.

Prévention et efficacité

La mesure de l’efficacité de la prévention et de l’éducation pour la santé dépend de deux choses: d’une part des indicateurs utilisés ou privilégiés (savoirs de santé, facteurs psychosociaux, comportements, compétences, représentations sociales, attitudes, données biologiques, cliniques ou épidémiologiques…), et d’autre part du moment de l’évaluation (immédiatement après, à moyen terme, à long terme…).
On sait que les campagnes antitabac ont diminué la proportion de fumeurs de manière timide (environ 1 à 2 % par an), mais on sait aussi qu’en une génération, on a profondément modifié l’image, la représentation sociale du tabac, ce qui est une étape importante dans le changement. Remarquable victoire, vu que l’information et l’éducation du public luttent à armes très inégales contre les moyens puissants et persuasifs des cigarettiers, soutenus passivement par les pouvoirs publics européens et nationaux.
La situation est la même en matière de consommation de médicaments, tant pour les prescripteurs que pour les consommateurs: il suffit de remplacer cigarettiers par industrie pharmaceutique, et les autres industries assimilées, comme les fabricants d’’alicaments’. En France, les bureaux de tabac se sont qualifiés publiquement de «commerces de proximité» sans que cela ne soulève d’objection. A quand les dealers? Pour le citoyen, il y a de quoi s’y perdre.
On sait aussi que des mesures de réduction brutale de l’accessibilité financière du tabac portent des fruits inattendus (premiers chiffres publics en France fin 2003: 14% de ventes en moins): sur le plan de la psychosociologie de la santé, c’est un levier important, mais il n’est pas le seul, loin s’en faut! Ici aussi, on peut parler de résultats importants, dans un contexte où peu de choses sont favorables à l’arrêt du tabagisme: échanger un plaisir contre d’éventuelles conséquences à long terme? Il faut le vouloir, alors qu’on continue d’être sollicité, visuellement (sport et tabac), physiquement (de l’ammoniac et du cacao dans le tabac pour augmenter la dépendance? Oui, et avec l’approbation silencieuse des pouvoirs publics: Godiva et Galler devraient s’insurger!), psychologiquement et socialement. En vendant du tabac, on a longtemps «vendu» l’image d’être libre, adulte, heureux, etc. Il y a peu, on offrait encore des cigarettes sans risque de procès pour tentative d’assassinat!
Enfin, si la prévention organisée, individuelle ou collective, existe depuis 4 ou 5 décennies, on commence seulement à mieux comprendre les tenants et aboutissants des comportements de santé, et encore plus récemment à élaborer des programmes préventifs ou de promotion de la santé qui intègrent les savoirs scientifiques en question.

Conséquences sociales et responsabilité des risques et des accidents

L’argument de faire porter «indûment et indéfiniment à la société des habitudes à risque irresponsables, et entre autres une consommation excessive de médicaments» nécessite une réponse. Tout d’abord, si la société supporte les conséquences de ces actions, c’est bien chaque victime qui les supporte d’abord et avant tout, dans sa santé, sa vie et son portefeuille. Jusqu’à nouvel ordre, les ressources sociales sont aussi celles de tous et de chacun.
Si la société décide de supporter certains coûts, c’est bien aussi parce que sa responsabilité est engagée. Evidemment, si l’on s’en tient à une vision strictement individuelle de la santé, proche de celle du système américain où chacun doit assumer les coûts de sa santé et son assurance de santé, la part de la société est mise en cause, et l’on aboutit au «victim blaming» que d’aucuns ont annoncé. Cette vision ultra-libérale ne résout rien: les Américains consacrent au final plus de leurs ressources que nous le faisons à la santé, à la différence qu’ils disposent de couverture sociale non-obligatoire.
Sur le sujet des médicaments, s’il est admis que la consommation a atteint, en Belgique comme en France, des sommets dangereux (pour la santé et le budget de l’Etat et des familles), les causes de cette surconsommation sont loin de celle annoncée par le Dr Pieters. En Belgique, 90% des médicaments vendus le sont sur prescription médicale! et 9 consultations sur 10 s’y achèvent par une prescription de médicaments, contre 53,9% aux Pays-Bas par exemple (voir le tableau). Le patient a bon dos! On sait que les Ecoles de médecine ne préparent ni à la prescription de médicaments (aspects relationnels, explications, alternatives…), ni au rôle de soutien – conseil – écoute grandissant des médecins et autres soignants, dont la maîtrise est une alternative crédible à la non-prescription hâtive de la ‘solution’ médicament. Comment aider un patient insomniaque autrement que par des somnifères et autres antidépresseurs, si l’on n’a pas le réseau socio-sanitaire utile, et les moyens d’y faire appel pour comprendre et résoudre le problème (emploi, endettement, solitude, peur existentielle…) du patient?

Part des ventes de médicaments non-prescrits et de consultations médicales sans prescription, en Europe

Médicaments vendus sans prescription (Rosa Rosso, 1986 )
Pays

Belgique France Italie GB Pays-Bas
% ventes 10 23 5 22

Consultations sans prescription de médicaments (IMS Farma Feiten, 1990 )
Pays

Belgique France Italie GB Pays-Bas
% consultations 8,5 21,5 4,2 26 46,1

Irresponsabilité de santé

?
Il y a deux manières de concevoir la responsabilité comme objectif d’éducation. Etre responsable c’est assumer les conséquences d’un acte. C’est, étymologiquement, en rendre compte, répondre de… Cela peut-être aussi, dans la logique de l’empowerment, être capable de répondre à une situation, d’y faire face par des choix et des comportements appropriés. L’éducation pour la santé par « empouvoirement » revient à donner ou rendre à l’apprenant le pouvoir possible sur sa santé, et sur les facteurs et conditions qui l’influencent, qu’ils soient individuels ou collectifs, internes (à l’individu) ou externes (sociaux ou environnementaux).
Dans les deux visions de la responsabilité, un ingrédient est indispensable: la liberté de choix. Et c’est là que la première vision de la responsabilité montre ses limites et son incohérence. Si l’éducation doit être persuasive et normative, elle vise l’obéissance et exclut partiellement la liberté.
On ne peut confondre les règles, coercitives, et dont le respect est attendu et sanctionné (positivement ou négativement), avec les comportements de santé, libres mais dont les conséquences seront assumées, selon les priorités et les possibilités des personnes.
Les deux coexistent et font l’objet d’un apprentissage de nature différente selon le cas.
Enfin, la question soulevée par le Dr Pieters concerne tous les comportements de santé, et plus largement le mode de vie lié à la santé. Lorsqu’il parle «d’une partie de la population désinvolte et socialement immature», il ne se doute probablement pas qu’il parle de tous.
Si les adjectifs qu’il utilise se réfèrent aux personnes qui adoptent des comportements défavorables à leur santé, comment ne pas se rappeler les cordonniers mal chaussés. L’étude la plus citée sur les comportements d’adhésion aux prescriptions de médicaments montre que les soignants sont aussi peu «observants» que leurs patients, lorsqu’ils doivent eux-mêmes suivre un traitement (Haynes et Sackett, 1979 (3) )! Ces mêmes professionnels de santé présentent les mêmes comportements (inadaptés) que leurs patients en matière de mode de vie, de sommeil, d’hygiène, d’alimentation, d’activité physique, de surpoids, etc. Lorsque Pieters reproche à ses concitoyens de ne pas être parfaits, sont-ils pour autant irresponsables? Le débat prend une autre tournure, éloignée des préoccupations de la promotion de la santé.
Les arguments et conceptions que véhicule le texte de G. Pieters peuvent choquer les puristes et les professionnels de la promotion de la santé (qui tous deux connaissent les options et les implications de la Charte d’Ottawa). Toutefois, ces conceptions existent, et sont parfois dominantes dans certains milieux. Il ne faut pas les ignorer, mais par une éducation (encore!?) appropriée, il est possible d’apprendre à les nuancer et les replacer dans leur contexte, et surtout à être capable d’en éviter les écueils et le simplisme, tant dans l’analyse que dans les solutions.
Peut-être faudrait-il accorder plus d’importance à la déclaration préliminaire de la Charte d’Ottawa?
Peut-être faudrait-il qu’Education Santé se livre plus souvent à des débats contradictoires?
Alain Deccache , UCL-RESO- Education pour la santé – Education du patient, Université catholique de Louvain.

Bibliographie


(1)DEVER G.: an epidemiological model for Health Policy Analysis, Soc Ind Res, 2-465, 1976
(2)BURY JA: Education pour la santé, Ed de Boeck-Université, (Ed. 1999), Bruxelles, 1988
(3)BRIAN HAYNES et SACKETT: Compliance in Health Care, John Hopkins University Press, Baltimore, 1979

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La responsabilisation, une conséquence logique de l’individualisme?

Le 30 Déc 20

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Nous avons reçu à quelques semaines de distance deux contributions abordant la question de la responsabilité individuelle face à la santé avec des points de vue très éloignés sur la question. Le Dr Pieters défend l’idée largement répandue dans l’opinion que notre système de solidarité collective ne peut couvrir indéfiniment les dépenses occasionnées par les conséquences des comportements erratiques de certains individus. Pour sa part, Christian Léonard , un économiste de la santé, plaide pour la conscientisation plutôt que sur une responsabilisation accrue, qui risque de renforcer les inégalités et d’ajouter du malheur à l’existence des plus malheureux.
Le thème est passionnant, et le comité stratégique d’Education Santé n’a pas voulu l’ignorer, au contraire. Il a confié à un de ses membres, le Prof . Alain Deccache (UCL) la tâche d’y apporter quelques nuances supplémentaires.
Si le sujet vous inspire des réflexions pertinentes, ou impertinentes, n’hésitez pas à nous en faire part. Le débat est ouvert…

Christian De Bock , rédacteur en chef Il est de ces concepts dont l’ambiguïté est plus porteuse d’inertie que de débats idéologiques. Leur utilisation est d’ailleurs d’autant plus inquiétante que chacun s’accorde à penser qu’ils représentent exactement ce que l’on est prêt à leur concéder comme contenu. C’est incontestablement le cas pour la « responsabilisation ».

Responsabiliser ou conscientiser

?
Dans le secteur des dépenses publiques et tout particulièrement des dépenses sociales comme les remboursements de soins de santé, responsabiliser le patient signifie, dans l’esprit du politique, augmenter le ticket modérateur.
Pour un acteur de la promotion de la santé, le terme responsabilisation fait plutôt référence à une prise en charge, par l’individu, de son capital santé. Pour cela, on est prêt à l’aider, l’accompagner afin qu’il soit conscient qu’il est « acteur » de sa santé et qu’il prenne toutes les dispositions possibles pour la recouvrer ou la garder. Des prestataires de soins, surtout dans les médecines dites alternatives, utiliseront le même concept en mettant l’accent sur l’écoute des signaux que le corps envoie à celui qui en est propriétaire et qui, de ce fait, doit l’entretenir en bon père de famille. L’expression « ce qui vous arrive n’est pas le fruit du hasard » relève de cette approche. Si nous souffrons d’un mal de dos chronique, cela signifie peut-être que nous «endossons» trop les charges qui devraient être mieux réparties au sein de la vie familiale ou professionnelle. Les douleurs, légères au début, sont autant de signaux d’alerte qu’il nous faut prendre en considération. Il ne tient finalement qu’à nous d’alléger la barque, de faire passer un peu plus notre plaisir avant celui des autres, de nous ménager des moments de détente.
De manière presque imperceptible, tous ces discours se rapprochent et se renforcent. Nous devenons indiscutablement les personnes les mieux placées pour agir sur notre santé. Il suffit ensuite de s’appuyer sur quelques enquêtes ou études pour asséner le coup décisif. La santé est liée au mode de vie, à l’hygiène de vie et il est donc hautement conseillé d’en adopter les standards reconnus. Il s’agira donc de ne pas fumer (sauf un petit joint de temps en temps), de ne pas boire (du moins pas plus que la dose reconnue comme bénéfique par les sociétés médicales et œnologiques), faire du sport (mais pas trop pour éviter les fractures de fatigue et les incidents cardiaques), manger sainement (une nourriture variée et certifiée d’origine biologique de préférence) et surtout ne pas céder au stress, car cela risquerait d’annihiler tous les efforts fournis par ailleurs.
Optons donc pour une fonction dirigeante, bien rémunérée et source de nombreuses satisfactions personnelles et pour une vie de famille où l’épanouissement de chacun contribue à l’épanouissement de tous. Il est donc très simple de rester en bonne santé et celui qui n’y parvient pas est responsable de son échec. De nombreuses enquêtes révèlent qu’environ un quart des populations interrogées, quelle que soit la nationalité ou la profession, est prêt à accepter ce que nous nommerons le principe méritocratique.
Nous sommes reconnus responsables de notre santé, il serait donc normal que nous en assumions les conséquences financières. La chirurgie cardiaque serait moins bien remboursée pour ceux qui n’auraient pas fourni d’efforts suffisants pour cesser de fumer, réduire leur taux de cholestérol et augmenter leur activité physique. Comment en effet continuer à justifier l’intervention de la solidarité à l’égard d’un cadre supérieur qui, après un triple pontage, s’empresse de fêter sa sortie de l’hôpital en arrosant abondamment un repas bien lourd qu’il termine par un bon cigare? Une vision extrêmement réductrice et caricaturale qui fait pourtant son chemin lorsqu’on invoque ce genre de « gaspillages » pour expliquer les déficits de l’assurance maladie et les nécessaires mesures d’économie. Heureusement, un autre quart de la population ne se laisse pas prendre au piège de la stigmatisation de ce type de comportement « asocial ». Ceux-là pensent sans doute plus aux laissés pour compte, bénéficiaires d’un revenu d’intégration, chômeurs de longue durée, malades chroniques et autres invalides qui ne disposent ni de la formation, voire de l’éducation, ni des capacités financières pour appliquer tous ces beaux principes de « saine existence ».
Il reste évidemment ce que l’on pourrait appeler « le ventre mou » de la population qui n’a pas d’avis tranché sur la question et qui est prêt à pencher dans un sens ou l’autre au gré de la force de persuasion de l’argumentation utilisée. En période de basse conjoncture, il est toutefois plus aisé de faire porter la responsabilité des déconvenues budgétaires sur les boucs émissaires parfaits que sont les étrangers et les assistés sociaux.
Les conseils ou mises en garde des prestataires et des travailleurs sociaux n’ont évidemment pas pour but de légitimer les hausses de parts personnelles des patients ou l’introduction d’un système méritocratique. Cependant, les contraintes budgétaires et une certaine mauvaise foi pourraient détourner des discours de bon sens pour en faire des recommandations de bonnes conduites contraignantes.
Le fruit est mûr. Tout est en place pour introduire ou accentuer la responsabilisation alors que les graines de la conscientisation n’ont germé que dans les terrains fertiles, chez ceux qui n’ont pas attendu les messages de prévention et de promotion de la santé pour s’engager sur le « bon » chemin d’un comportement « sanitairement correct ».

Comment en est

on arrivé là

?
Dans le cadre du présent article, il ne nous est pas possible de dépasser le stade de l’expression de thèses voire d’intuitions. Prétendre expliquer une situation sociologique d’une telle complexité en quelques lignes relèverait de la prétention ou de l’inconscience. Qu’il nous soit donc permis de procéder à quelques raccourcis afin de saisir pourquoi il semble si naturel d’utiliser ce terme de responsabilisation tant dans des discours politiques que dans des articles scientifiques et jusqu’au fond de la salle du café du commerce.
Les signes d’un individualisme croissant sont nombreux et ce n’est pas l’action de nombreux bénévoles, dont le rôle est du reste très important, qui suffit à démentir une évidence acceptée par tous. Cet individualisme nous semble lié à la transformation du référent, de ce qui présente une valeur, de ce qui peut faire l’objet d’une recherche pour accomplir ce que l’on appelle une « vie bonne ». Depuis fort longtemps, des transcendances ont guidé l’homme dans cette quête d’une vie bonne. Les transcendances cosmologiques et ensuite théologiques ont fait place progressivement à la transcendance des utopies humanistes qui n’ont pu résister à une certaine forme de l’avènement de l’individu nietzschéen souverain. Même si Nietzsche, qui n’apportait de l’importance qu’à la seule intensité de la vie, considérait comme une absurdité la notion de libre arbitre et l’aspiration du sujet concret à la responsabilité.
Ce sont peut-être les psychiatres et psychanalystes qui les premiers ont détecté ce basculement relativement brusque. Il y a quelques décennies encore, leurs patients les consultaient pour ce qui s’avérait être des sentiments de culpabilité. La loi de Dieu et la loi des hommes dressaient il est vrai de véritables obstacles sur la route du futur pénitent. Progressivement, une société de l’interdit ou du permis a laissé la place à une société fondée sur la liberté, le « tout est possible ». Ce qui n’est pas atteint est alors vécu comme un échec, la culpabilisation fait place à la responsabilisation et, dans les termes d’Alain Ehrenberg (1) , à « la fatigue d’être soi ». C’est-à-dire la pression de satisfaire aux standards de vie que les media déversent à longueur de journée en nous proposant des exemples de réussites physiques, financières ou intellectuelles. Dans ce monde, quelle place reste-t-il pour le citoyen lambda, celui qui ne peut s’identifier au mannequin, au capitaine d’entreprise ou au champion sportif?

Une spirale destructrice de santé et de cohésion sociale

L’individualisme croissant aurait donc fait le lit de la responsabilisation, ressentie et vécue comme une progressive inaptitude à satisfaire les exigences d’une société de la consommation et du paraître. Cette responsabilisation se renforce concrètement par l’augmentation de la prise en charge financière de ce qui semble être des choix délibérés. On constate de plus en plus d’exclusions de compagnies d’assurance en raison d’un nombre de sinistres jugés trop important. Des prêts hypothécaires sont refusés ou rendus plus coûteux pour ceux qui n’ont pas « géré » leur taux de cholestérol. Les banques se débarrassent de clients qui ne peuvent assurer des rentrées substantielles régulières. Et enfin, le patient doit supporter une part de plus en plus importante des coûts des soins de santé.
Responsable de son état de santé, il est donc responsable de sa consommation de soins que seul le ticket « modérateur » peut freiner. En outre, les pathologies que cet individualisme génère ne sont que très partiellement prises en charge par la solidarité. Ce qui est sans doute symptomatique d’une part de la manière d’appréhender la responsabilité de chacun dans les maladies mentales au sens très large du terme et d’autre part de considérer comme toute relative l’efficacité des thérapies proposées. Le seul indicateur de la consommation de médicaments psychotropes suffit à révéler un phénomène dont l’ampleur ne peut que nous inquiéter. Entre 1997 et 2001, cette consommation a augmenté de plus de 35 % chez les femmes de moins de 65 ans et de plus de 28 % chez les hommes du même âge. C’est maintenant près de 16 % de la population féminine de moins de 65 ans qui devient dépendante progressivement de ce type de médicaments.
Quelle société étrange où chacun a besoin des autres pour vivre et exister mais où le collectif ne fait plus recette que de manière épisodique. Une cause, même lointaine, à défendre et des centaines de milliers de personnes se mettent en marche, mais de retour chez soi chacun se replie sur son ambition ou son désespoir. On ne peut regretter les sentiments de culpabilité engendrés par la soumission aux différentes formes de transcendances. Cependant, ces dernières constituaient le lot commun du plus grand nombre. Petits et grands se sentaient ou se savaient jugés par le même souverain ou le même Dieu. Une faute restait une faute quel que soit le rang de celui qui l’avait commise. D’ailleurs, la justice divine ne semblait-elle pas plus exigeante envers les nantis pour lesquels l’entrée dans le Royaume de Dieu paraissait si difficile? En outre, les sentiments de culpabilité étaient surtout le fruit d’une mauvaise transmission et compréhension de l’essence même de la transcendance. Sans doute a-t-il fallu beaucoup d’ignorance, et donc de peur, pour susciter et entretenir ce sentiment de culpabilité face à un Dieu d’Amour et de miséricorde.
Quoi qu’il en soit, nous nous transformerons dorénavant en individus atomisés qui vivent les uns à côté des autres et qui s’essoufflent dans des quêtes vaines d’une reconnaissance futile mais nécessaire pour notre équilibre physique et mental.
Aujourd’hui, nous sommes libres mais nous payons immédiatement nos erreurs ou du moins les conséquences de ce qui est considéré comme le fait de notre volonté. Mais sommes-nous réellement les acteurs de notre vie? En ce qui concerne cette responsabilisation des coûts des soins de santé, est-il raisonnable de penser que nous en soyons complètement les initiateurs? Au delà du processus selon lequel l’offre peut, d’une certaine manière, créer la demande, de nombreux déterminants interagissent pour développer ou amoindrir notre capital santé. Ce capital qui, dès la naissance est réparti de manière si inégalitaire et correspond souvent aux inégalités de santé et sociales des générations précédentes. Quel est en outre notre liberté d’action pour modifier notre hygiène de vie tellement liée à notre éducation? Comment pouvons-nous œuvrer pour améliorer notre environnement de travail ou écologique?
L’ensemble des politiques participent pourtant de la même logique « responsabilisante ». Tout ce qui constitue l’Etat social actif mais aussi le contenu et l’ampleur de la réforme fiscale renforcent cette autonomie de chacun rendue nécessaire par la force des choses. En effet, les réductions d’impôts représentent une hausse de pouvoir d’achat que l’homo oeconomicus est sensé affecter de manière optimale à la satisfaction de ses besoins. Libre, il doit choisir par exemple entre une amélioration de son bien-être dans le court terme et une couverture de ses coûts de santé hypothétiques mais probables dans le moyen et long terme. Dans les faits, ce sont ceux qui bénéficieront le moins de cette réforme qui subiront le plus son coût social, c’est-à-dire la réduction des dépenses publiques qui rendaient accessibles des biens publics essentiels à la réduction des inégalités. Ce sont eux également qui devront fournir le plus grand effort pour obtenir et comprendre l’information, forcément imparfaite, indispensable pour effectuer des choix dits optimaux.
Notre propos n’est évidemment pas de prôner l’assistanat généralisé mais plutôt de différencier la responsabilisation de la conscientisation, surtout dans le domaine de la santé. En l’état actuel des politiques d’emploi, de logement, de mobilité, de formation et de santé, il ne serait pas décent de responsabiliser davantage les membres d’une société dont les rouages empêchent si peu la reproduction des inégalités de tous types. La santé qui est en quelque sorte le réceptacle des conséquences de toutes ces inégalités ne doit pas faire l’objet d’une responsabilisation financière ou morale du patient. Cette dernière ne peut qu’exacerber le sentiment d’échec qui accompagne la souffrance de la maladie. Ne suffit-elle pas?
Christian Léonard , Chef du département Recherches & Développement, Alliance nationale des mutualités chrétiennes
Article paru dans La Revue Nouvelle, numéro d’avril 2003

(1) Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, Dépression et société, Odile Jacob, 19988

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Responsabilité et santé

Le 30 Déc 20

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Nous avons reçu à quelques semaines de distance deux contributions abordant la question de la responsabilité individuelle face à la santé avec des points de vue très éloignés sur la question. Le Dr Pieters défend l’idée largement répandue dans l’opinion que notre système de solidarité collective ne peut couvrir indéfiniment les dépenses occasionnées par les conséquences des comportements erratiques de certains individus. Pour sa part, Christian Léonard , un économiste de la santé, plaide pour la conscientisation plutôt que sur une responsabilisation accrue, qui risque de renforcer les inégalités et d’ajouter du malheur à l’existence des plus malheureux.
Le thème est passionnant, et le comité stratégique d’Education Santé n’a pas voulu l’ignorer, au contraire. Il a confié à un de ses membres, le Prof . Alain Deccache (UCL) la tâche d’y apporter quelques nuances supplémentaires.
Si le sujet vous inspire des réflexions pertinentes, ou impertinentes, n’hésitez pas à nous en faire part. Le débat est ouvert…

Christian De Bock , rédacteur en chef Un problème inquiétant pour les sociétés occidentales actuelles est celui du coût croissant des soins de santé et des déficits des systèmes de sécurité sociale. Or, se situant parmi l’ensemble des dépenses sectorielles d’un état, le budget de la santé est, comme tous les autres, défini chaque année et limité. A l’intérieur de son enveloppe propre ce budget doit essayer de répondre à la demande et de tout couvrir. Et les ministères des affaires sociales et de la santé manifestement ne s’en sortent pas.
Les campagnes de prévention, qu’elles ciblent l’alcoolisme et le tabagisme, le sida et les drogues, les accidents de la route et l’abus de médicaments coûtent chaque année beaucoup d’argent. Le drame est qu’elles n’ont que peu d’effet. Les personnes, de toutes classes sociales, se laissant aller à ces dérives ou abus de comportement n’ont cure des avertissements réitérés. Les dégâts qui en résultent pour leur santé, manifestés à court terme ou moyen terme, sont en grande partie à charge de la société toute entière. Ceci au nom d’une solidarité dans le malheur, mais aussi dans l’irresponsabilité individuelle, dans l’égocentrisme asocial de certains… et dans la bêtise.
Maladie virale chronique encore inguérissable, handicap grave ou mort par accident de roulage, les assuétudes et leurs conséquences sont de lourds tributs supportés par toute la société. Alors que faire de ce constat? Le professeur G. Sokal écrivait déjà en septembre 1996, dans le Bulletin de l’Ordre national des médecins : ‘La responsabilité des patients et des patients potentiels joue un rôle important dans le domaine de la prévention et d’une prise en charge personnelle et responsable des problèmes de santé. On ne pourra plus indûment (et indéfiniment ) porter en compte de la société des habitudes à risque irresponsables et, entre autres, une consommation excessive de médicaments…’.
Cet ‘entre autres’ recèle le non-dit qui comprend précisément tous les domaines de la prévention cités plus haut et qui concerne plus généralement la jeune génération d’adultes.
Face aux désinvoltes, le mot ‘persuasion’ est un terme creux; il semble incapable de pénétrer les mentalités. Il n’a jusqu’ici pas eu l’impact que l’on espérait et le coût / bénéfice de la prévention demeure très négatif à lire les statistiques officielles.
Alors que l’on voit de temps en temps des groupes de citoyens se rassembler et manifester contre des pollutions de leur environnement, la pollution volontaire ou dilettante de leur corps dont ils sont responsables n’entre nullement dans leurs soucis.
On déclare sans cesse avec emphase que les citoyens sont des êtres adultes et conscients, qu’ils le sont à partir de 18 ans, qu’ils le sont devant la loi (‘que nul n’est sensé ignorer la loi ‘), qu’ils ont le droit de vote et doivent payer leurs impôts et qu’ils doivent respecter un certain nombre de contraintes de vie communautaire à peine de verbalisation. En fait, on doit reconnaître qu’une partie de la population n’est pas mature socialement: elle ne réagit ou ne se comporte de façon conforme que par la peur du gendarme et la crainte d’une ponction financière dans son avoir. Cette partie de la population, plus ou moins importante, ne sent son comportement engagé et contraint socialement qu’à ce niveau-là et sa sensibilité n’atteint pas non plus le seuil du concept de ‘self respect’. Cependant chez certaines instances supérieures de la santé et dans certaines strates de la population, le concept général de ‘responsabilité vis-à-vis de sa propre santé ‘ et donc par là même vis-à-vis de la communauté fait lentement son chemin.
Alors que, par ailleurs, la déontologie médicale demeurerait inchangée et respectée, il se pourrait qu’une loi vienne à déclarer que ‘Vu les nombreuses campagnes de prévention financées depuis des années par le pays tout entier, tout citoyen est sensé connaître les dangers pour lui-même et pour son entourage de ses éventuels comportements à risque. Il supportera dorénavant financièrement la plus grande part des soins de santé qui en seraient la conséquence’.
L’épargne de fonds importants qui peut en résulter serait une manne pour d’autres problèmes de santé publique fondamentaux: cancers, maladies génétiques, handicaps lourds, diabète, Alzheimer, etc. Face à cette loi, les individus seraient bien forcés de reconsidérer leur responsabilité vis-à-vis de leur propre santé et de leur entourage immédiat.
Au cours des siècles passés on mettait en quarantaine les malades contagieux ou dangereux. Plus récemment ils étaient placés en isolement hospitalier et obligés de se faire surveiller et soigner. En cela on faisait passer logiquement la philosophie de liberté individuelle au second plan par rapport à la sécurité communautaire.
Il est peut-être temps que pour les comportements à risque irresponsables, le laxisme légal en la matière soit revu et que le flou juridique trop fréquemment remis sur le métier soit réexaminé clairement avec compétence et souci du bien-être communautaire.
Le problème demeure cependant complexe car un handicap sérieux à des prises de position européennes efficaces réside dans le fait, malheureusement, que l’Europe est encore, à cette heure, une entité disparate dans laquelle chaque pays défend son ‘exception nationale’ et sa sensibilité particulière.
Misons sur une éducation sociale dès le jeune âge et sur une pression constante sur la maturation des mentalités. Il y va de notre civilisation qui doit rester vivable!
Dr Guy Pieters

La santé des adolescents dans une perspective de ‘promotion de la santé’: quels outils pour quelles actions?

Le 30 Déc 20

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La santé des adolescents

Il existe de nombreuses études portant sur l’évaluation de la santé des enfants et des adolescents, utilisant un grand nombre d’indicateurs. Ces indicateurs sont des outils importants pour l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques. Mais peu s’intéressent aux aspects positifs de la santé et du bien-être. Et si la santé n’est pas seulement «l’absence de maladie, mais un état de complet bien-être physique, mental et social », que savons-nous de la santé des jeunes?
Une approche de la santé des enfants et des adolescents focalisée sur la morbidité, sur l’identification des «facteurs de risque», des «comportements à risque», etc. rend difficile la mise en place d’actions de «promotion de la santé».
Selon la Charte d’Ottawa, la promotion de la santé a pour but de «donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer». Le paradigme de la «salutogenèse», développée par Aaron Antonovsky , permet de comprendre l’approche émancipatrice du concept de promotion de la santé (1): la salutogenèse signifie qu’on s’intéresse en premier lieu aux causes et aux conditions de la santé. On s’éloigne ainsi du paradigme classique de pathogenèse qui, lui, est orienté sur la maladie. L’accent n’est plus mis sur les facteurs de risque mais sur les ressources dont dispose l’être humain pour préserver et développer sa santé.

Tableau I – Pathogenèse vs Salutogenèse (adapté d’après Antonovsky par Gretler Bonanomi S., 1997)

(ayant un effet salutaire)

Pathogenèse (conception traditionnelle de la santé/de la maladie) Salutogenèse (conception de la santé/de la maladie selon Antonovsky)
Définition de santé/maladie Dichotomique: on est soit en bonne santé, soit malade Santé et maladie sont les deux extrêmes abstraits d’un continuum
Focalisation sur Maladie – Patiente/patient – « cas » Tous les êtres humains et leur état de santé
Facteurs actifs Facteurs de risque (dommageables pour la santé) Ressources
Facteurs de stress Les facteurs de stress sont des facteurs de risque nuisibles pour la santé et donc pathogènes Il est normal qu’il y ait des facteurs de stress; potentiellement, ils ont des effets positifs et négatifs sur la santé: ils peuvent être salutogènes ou pathogènes
Traitement Le traitement consiste en une suite de «guerres» contre des maladies spécifiques Le «traitement» implique une confrontation permanente entre les effets positifs et négatifs sur la santé

Les instruments d’évaluation

Dans le champ de la santé mentale, par exemple, les questionnaires utilisés en population scolaire sont souvent des questionnaires de mauvaise santé mentale, qui évaluent le mal-être, la dépression, le stress… Il s’agit par exemple des échelles CES-D (Center for Epidemiological Studies – Depression scale), BDI (Beck Depression Inventory),… (2-3)
L’utilisation de ce genre de questionnaires amène deux types de questions.
La première est d’ordre éthique: ne risquons-nous pas d’induire chez des jeunes en plein développement physique et psychoaffectif un questionnement qui relèverait du bilan existentiel? En effet, certains questionnaires, relativement détaillés et particulièrement intrusifs, sont centrés sur les aspects les plus négatifs possibles de la santé et de la vie. En outre, ils ne s’intéressent pas aux autres domaines de la santé, comme les aspects sociaux, par exemple: les amitiés, la famille, les loisirs, l’école, etc, autant de ressources possibles chez les jeunes en «mal-être», ou encore les aspects physiques.

Deux exemples de questions reprises dans des questionnaires de dépressivité ou de dépression (2-3):
«Pendant la semaine dernière, je pensais que ma vie était un échec»: et l’adolescent de répondre: jamais, un peu, beaucoup, à la folie…
«Coche la case qui décrit le mieux ton état actuel:
( ) je ne pense jamais à me tuer
( ) je pense parfois à me tuer mais je ne le ferai pas
( ) j’aimerais me tuer
( ) si j’en ai la possibilité, je me tue»

La deuxième question est d’ordre pratique: quelle est l’utilité concrète de telles enquêtes menées en milieu scolaire? Ces enquêtes sont probablement utiles pour planifier des programmes éducatifs, à un niveau collectif, mais elles sont rarement utilisées dans un but immédiat de réponse à des besoins individuels qui seraient identifiés. La question est dès lors de nouveau éthique!
D’autres types de questionnaires, comme les questionnaires de santé ou de qualité de vie, par exemple, plus globaux et positifs, semblent précieux en prévention primaire pour identifier les besoins des jeunes à la consultation de médecine scolaire ou chez le médecin généraliste et donner l’occasion de faire une réelle éducation pour la santé sur le terrain, mais ils sont malheureusement rarement utilisés dans la pratique quotidienne.
La mesure de la qualité de vie permet une approche globale (multidimensionnelle) et positive de la santé (4-5). La qualité de vie s’intéresse:
– à la santé physique mais aussi mentale, sociale et à certains comportements de santé;
– à la santé observée mais aussi à la santé ressentie;
– à la santé négative mais aussi à la santé positive.

Exemple de questions d’un questionnaire de qualité de vie pour adolescents (le VSP-A, Vécu et Santé perçue de l’Adolescent) (6):
«Durant les quatre dernières semaines, as-tu
pu discuter avec tes copains, tes copines?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
été optimiste, confiant(e) pour l’avenir?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
eu l’impression que tes parents comprenaient tes soucis, tes problèmes?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
eu tendance à prendre la vie du bon côté?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
et t’es-tu senti(e) en bonne forme physique?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours»

Tout comme un questionnaire de dépressivité, un questionnaire de qualité de vie utilisé chez des adolescents permet le repérage des personnes en souffrance psychique, ainsi que des lieux ou domaines, de cette souffrance, et des aspects positifs de leur vie, pouvant servir de ressources dans l’accompagnement. Ce dernier permet en outre de s’intéresser aux autres aspects de la santé: physiques et sociaux (relations avec la famille, les amis, bien-être à l’école, etc.). Une étude a montré une forte corrélation négative significative entre les mesures de dépressivité et de qualité de vie d’adolescents en médecine scolaire (7).

Vers une approche globale de la santé

Une approche holistique de la santé des enfants et des adolescents implique que son évaluation utilise, à côté des indicateurs cliniques ou comportementaux classiques, des indicateurs de santé positive et de santé perçue, de qualité de vie, de comportements de santé positifs, de résilience, de développement, de bien-être social…
L’évolution du concept de santé nécessite non pas tant d’élaborer de nouveaux indicateurs éclairant des aspects de qualité de vie, car ceux-ci existent, mais bien de faire le choix de les utiliser, c’est-à-dire de changer notre regard sur la santé des enfants et des adolescents, de s’intéresser aussi aux facteurs de protection et aux ressources mobilisées (facteurs individuels mais aussi facteurs externes, tels que la famille, les amis, les loisirs, les enseignants, etc) et par là, de leur laisser la possibilité de vivre un réel «bien-être» ou de les aider à un «mieux-être».

Tableau II – Définition de la santé des adolescents

La santé des adolescents peut être définie par 4 propriétés qui la résument:
– elle est multidimensionnelle, englobant des dimensions physique, mentale, sociale et spirituelle ( globalité );
– elle peut être appréhendée de manière positive et/ou négative, santé et maladie étant les deux extrêmes abstraits d’un continuum ( bivalence );
– c’est une notion éminemment subjective, l’approche médicale classique objective ne suffit donc pas ( subjectivité );
– enfin les adolescents sont par définition dans un processus «en train de se produire»; les enfermer dans un diagnostic ponctuel de santé ne convient donc pas ( dynamique )

.

Dans la pratique de médecine scolaire

L’utilisation d’un questionnaire de santé globale lors des bilans de santé réalisés dans le cadre des services de «Promotion de la santé à l’école» fournit des informations complémentaires sur la santé des adolescents, permettant d’améliorer les réponses à leurs besoins en termes de prévention et d’éducation pour la santé.
Ce genre d’outil de diagnostic global de l’état de santé des adolescents peut par exemple s’attacher aux sujets suivants:
– santé physique et perception de la santé;
– mode de vie et comportements de santé;
– bien-être et qualité de vie;
– préoccupations de santé;
– recours aux soins.
Florence Renard (1) (2), Alain Deccache (1)
(1) Université catholique de Louvain, Faculté de médecine – Ecole de santé publique, Bruxelles, Belgique
(2) Centre de Santé, Service de Promotion de la santé à l’école, Université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique

Références bibliographiques

(1) Gretler Bonanomi S. «La promotion de la santé dans la formation de base des enseignantes et enseignants», éd. CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique), Berne, 1997, 80p.
(2) Garrison CZ, Addy CL, Jackson KL, McKeown RE, Waller JL. The CES-D as a screen for depression and other psychiatric disorders in adolescents. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991; 30 (4): 636-641.
(3) Winter L, Steer R, Jones-Hicks L, Beck A. Screening for major depression disorders in adolescent medical outpatients with the Beck Depression Inventory for Primary Care. J Adolesc Health 1999, 24(6), 389-94.
(4) Etienne AM, Fontaine O, Le concept de qualité de vie. Revue francophone de Clinique Comportementale et Cognitive 1997, Vol II, n°3, 16-25.
(5) Joliot E., Deschamps J.P. La mesure de la qualité de vie des adolescents: un nouvel outil d’évaluation de leurs besoins de santé pour une nouvelle approche éducative? Promotion et Education , Vol.IV, 1997/4, pp.7-9.
(6) Simeoni MC, Sapin C, Antoniotti S, Auquier P. Health-related quality of life reported by French adolescents: a predictive approach of health. J Adolesc Health 2001; 28: 288-294.
(7) Renard F, Delpire S, Deccache A. Evaluer la santé des adolescents en médecine scolaire: la qualité de vie comme complément aux indicateurs cliniques. Rapport de recherche, UCL – Unité d’éducation pour la santé, Bruxelles, 2003, non publié.

Plaidoyer pour un apprentissage de l’autonomie et de la citoyenneté à l’école (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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P. Lecorps et J-B. Paturet dressent une analyse critique radicale du behaviorisme qui sous-tend les politiques de santé publique dans leur prétention à contrôler et à maîtriser les comportements ‘déviants’ par des mesures de propagande et de réglementation autour du tabac, du sida, des drogues, de la sécurité routière, etc. au nom de la médecine et de l’économie, en niant l’être humain comme sujet de désir, prêt à s’investir dans ce qui donne sens à sa vie au risque même de sa mort. Ils en appellent à redéfinir des objectifs plus adéquats en termes de développement de l’autonomie individuelle et citoyenne et d’engagement collectif dans l’espace public démocratique (empowerment).
Or les mêmes présupposés contaminent les pratiques des éducateurs à l’école. Le plaidoyer des deux auteurs vient légitimer et conforter le travail actuellement mené dans l’enseignement secondaire de la Communauté française par les professeurs de morale: sous l’impulsion de l’Inspection, ils ont mis en œuvre de nouvelles pédagogies d’éducation morale qui, au lieu de ‘moraliser’, permettent d’accompagner les jeunes dans la construction de leur identité, de leurs valeurs et de leurs choix afin de les amener à être acteurs de leur vie personnelle et sociale. (1)
Une attention particulière a été portée à la capacité de s’impliquer dans la discussion philosophique et la délibération politique, compétences au cœur même de la démocratie. Car c’est ensemble, dans l’incertitude de repères assurés, que se débat la question du sens et que s’élaborent des significations et des projets communs. Le théâtre-forum, parce qu’il met en scène une situation d’injustice et convoque le public à trouver dans l’improvisation des solutions nouvelles, est aussi fréquemment utilisé dans les classes pour stimuler l’audace de transformer le monde (cf la pièce ‘Partir’ (2) sur le droit de mourir dans la dignité).
Récemment, l’Observatoire de la Santé du Hainaut, à l’initiative de Geneviève Houioux , a organisé un stage d’initiation aux exercices de la ‘Clarification des valeurs’ que j’ai animé pour des formateurs afin de les adapter ensuite plus précisément à des problématiques de santé publique. Cette initiative devrait déboucher sur une publication à usage des intervenants auprès des jeunes. Il s’agira là d’une première esquisse de mise en pratique concrète dans le domaine de la santé publique de cette ‘pédagogie de la citoyenneté’ proposée par P. Lecorps et J-B. Paturet.
Cathy Legros , inspectrice du cours de morale – formatrice et conseiller pédagogique à Entre-vues
(1) Résultats d’une longue recherche qui s’étend sur une quinzaine d’années de dispositifs, de démarches et d’outils diversifiés favorisant la prise de responsabilité morale et la citoyenneté, qui ont été publiés dans Entre-vues, revue trimestrielle pour une pédagogie de la morale, depuis 1989.
c/o CAL Brabant wallon, rue Provinciale 11, 1301 Wavre. Tél. 010 40 19 67. Fax 010 41 16 37.
Tous les numéros sont encore disponibles; un catalogue peut être envoyé sur simple demande.
(2) Partir, par Cathy Legros, pièce de théâtre-forum, Editions Entre-vues.

Education pour la santé à l’école: peut mieux faire!

Le 30 Déc 20

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Je souhaiterais vous faire part d’un constat plutôt décevant en matière de pratique préventive. Celui-ci concerne la façon dont certains établissements scolaires français répondent à la mission de prévention qui leur incombe au travers des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté.
Ces comités ont été mis en place dans les établissements scolaires depuis 1998. Complément à l’éducation transmise par les parents, ils répondent à la nécessité d’intervenir auprès des jeunes adolescents, afin de les aider à appréhender leur rôle de citoyen et à prévenir les conduites à risques. Ils ont également pour autres missions de développer le partenariat. Cette démarche, bien que répondant à un réel besoin, est loin d’obtenir le succès escompté, notamment en matière d’éducation pour la santé.
Publics captifs, les jeunes jouent le jeu, sont présents sur les actions et participent avec spontanéité. Les difficultés sont plus ressenties au niveau des équipes d’encadrement, dont la motivation et le degré d’implication font souvent défaut. Par équipe, il faut comprendre l’ensemble des personnes intervenant dans l’établissement scolaire: la direction, les professeurs, les conseillers pédagogiques, les surveillants et la médecine scolaire.

Les attentes de l’école: une action « clés en mains»

J’ai été amenée à faire ce constat sur le terrain alors qu’au titre de « conférencière » pour un centre de prévention: « l’Espace prévention », j’anime auprès de publics d’âges scolaires, des interventions de type débat, sur des thèmes de santé ayant un lien avec les cancers (MST-Sida, tabac, alcool, drogues, alimentation, etc.). Ces interventions, j’en suis bien consciente, ne représentent pas la panacée en matière d’action d’éducation pour la santé, surtout lorsqu’elles sont ponctuelles (durée 1h30) et menées auprès de groupes d’au moins 25 à 30 jeunes (une classe). Par ailleurs elles ont le très grand avantage d’être gratuites ; les organismes de lutte contre le cancer à l’initiative de ce centre de prévention, les finançant en totalité.

Danielle Forgeot nous montre une nouvelle fois les limites, souvent dénoncées, d’actions éducatives ponctuelles visant à prévenir des problèmes de santé. Elle remet en évidence la nécessité d’une approche globale de la santé mobilisant l’ensemble des acteurs (élèves, enseignants, professionnels de la médecine scolaire mais aussi parents et intervenants extérieurs) et partant de leurs représentations de santé, de leurs attentes et besoins.
Entre les actions ponctuelles d’information préventive et le développement d’une école en santé (voir notre dossier du n° 158), de nombreux paliers d’investissement sont possibles. L’essentiel est et reste de garantir au mieux un renforcement des compétences ‘santé’ (au sens global) de chacun des acteurs et partenaires.
B.T.

Bon nombre d’établissements scolaires ont donc trouvé dans ce service, une solution très pratique pour répondre à leur mission d’éducation pour la santé. Pour quelques trop rares établissements scolaires, ces interventions composent un temps particulier d’un programme plus ou moins développé, résultant d’une démarche pensée et soutenue par toute ou une partie de l’équipe d’encadrement. Nos interventions trouvent alors tout leur sens, car elles s’intègrent dans un ensemble d’actions complémentaires et propices à la prise de conscience des jeunes en matière de santé.

Un réel manque de savoir-faire

Les conditions d’intervention sont néanmoins loin d’être idéales. Les élèves sont trop nombreux et contraints d’assister à la séance. La salle réservée à cet effet, est souvent une salle de classe qui reproduit le rapport professeur-élèves, alors que l’on souhaite amener une dimension éducative différente. La présence d’un représentant de l’établissement, souvent nécessaire pour limiter les débordements des jeunes, est soit absente laissant le groupe livré à lui-même, soit trop perçue et bloquant alors la spontanéité de réaction des jeunes.
Mais la plupart du temps, notre centre de prévention est utilisé comme un simple prestataire de service, en réponse à une exigence d’action de santé du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Dans ce cas l’intervention fait si peu l’objet d’une réflexion préalable, que les conditions d’intervention sont encore plus inadaptées. Les établissements n’hésitent pas à réduire la durée de la séance pour passer le plus de classes possible, ou surchargent les groupes pour rentabiliser la location d’un car lorsqu’ils se déplacent jusqu’au centre.
L’organisation dans l’établissement scolaire laisse également à désirer: salle non réservée ou non adaptée, horaires non respectés, plannings oubliés, interruption inopinée de l’intervention par du personnel peu ou pas informé. Je passe ici les détails concernant l’accueil qui nous est parfois réservé, et qui reflète également le degré d’implication de l’établissement dans la mise en place de ces actions.
Certes l’éducation nationale ne donne peut-être pas toujours suffisamment de moyens aux établissements scolaires pour mener à bien leur mission d’éducation à la santé. Bien que faisant preuve de bonne volonté, les membres des équipes enseignantes chargées de ces actions, ont un manque évident de savoir faire. Les services de promotion de la santé des élèves (médecine scolaire) sont surchargés de travail et la formation des infirmières et des médecins scolaires n’est pas systématiquement assurée dans ce domaine.

Des moyens pour éveiller les consciences

Même si l’équipe de notre centre de prévention fait des efforts et s’adapte à certaines contraintes liées à l’organisation des établissements scolaires, il nous paraît également important d’éveiller la conscience des professionnels de l’éducation sur la pratique préventive.
Tout d’abord, les méthodes employées par les intervenants en éducation pour la santé n’ont rien à voir avec celles des enseignants. Bien que le terme ‘éducation’ soit commun aux deux fonctions, le type de relation instaurée avec le public dans une action de prévention positionne les participants en tant qu’acteurs. L’intervenant prend alors la place d’un meneur de jeu qui amène les participants à s’exprimer et à réfléchir sur leur propre prévention. Le fait de mener une action de santé dans un cadre différent de celui de la classe habituelle, permet de donner à l’intervention une dimension particulière où les participants se trouvent au même niveau que l’intervenant, facilitant ainsi tous les types d’échanges.
De plus, agir sur les populations nécessite, pour la personne ayant en charge les actions de santé, d’avoir mené au préalable une réflexion sur sa propre vision de la santé. La motivation et l’implication en résultant sont de précieux atouts pour la réussite de l’action; les jeunes sont particulièrement sensibles au fait qu’une action à laquelle ils participent, soit reconnue et soutenue par les adultes qui les entourent.
Bien utilisées dans le cadre d’un programme d’actions, les interventions que nous proposons, sont un bon outil car elles viennent en complément d’autres outils tels que les expositions ou les vidéos (plus souvent utilisées), permettant aux jeunes d’exprimer verbalement leurs préoccupations, d’échanger avec d’autres, de vérifier leurs connaissances et d’en acquérir d’autres. Mais trop souvent, elles sont utilisées seules, sans être rattachées à aucune autre démarche. Elles sont alors dénuées de tout sens en matière d’éducation pour la santé, et ne constituent qu’une réponse à une demande administrative.
Pour amener les professionnels de l’éducation à réfléchir à l’importance de leur place dans cette démarche, l’équipe de notre centre de prévention élabore actuellement une charte de partenariat. Destinée à créer un lien avec les établissements scolaires qui nous sollicitent, cette charte permettra de mesurer l’engagement de chacun des partenaires. Ainsi les responsables de l’action devront préciser les motivations sous-tendant leur démarche et le cadre dans lequel elle s’inscrit. Elle sera doublée d’un cahier des charges précisant les modalités de mise en place des interventions.

Conclusion

En l’absence d’une réelle prise de conscience des professionnels de l’éducation dans ce domaine, et de la mise en place d’une formation adaptée à ce type de mission, il était important que notre centre réagisse contre le laisser faire du « tout et n’importe quoi » en matière d’action d’éducation pour la santé, et permette une ouverture sur des pratiques plus appropriées. Souhaitons que cette charte que nous avons pensée comme une aide pour les établissements scolaires, mais qui, nous en sommes conscients, peut être perçue comme une contrainte, amène une réflexion et donne un cadre spécifique indispensables à l’impact que ces actions doivent avoir sur les jeunes.

Danielle Forgeot , infirmière de santé publique, conférencière

L’espace prévention

« L’Espace prévention » est un centre de prévention qui a ouvert ses portes en janvier 1995.
Il a été créé à l’initiative d’un hôpital spécialisé dans le traitement des cancers: le Centre René Huguenin de St Cloud (92), en partenariat avec une association de lutte contre le cancer: la Ligue Nationale Contre Le Cancer. Seule structure de ce type en Ile de France (Région comprenant Paris et les départements l’entourant), il s’inscrit dans le champ de la prévention primaire et offre à tout public, la possibilité de s’informer sur la survenue des cancers. Il a toutefois pour priorité de toucher les jeunes.
Grâce à une équipe pluridisciplinaire (médecin, psychologues, infirmière de santé publique), il propose des conférences débats à tous les publics scolaires, de la maternelle à la terminale. Les thèmes le plus souvent traités sont: les toxicomanies, l’hygiène de vie, l’équilibre alimentaire, les MST, le sida, le sommeil, le soleil. « L’Espace prévention » offre également à ses visiteurs, la possibilité de s‘informer par le biais d’expositions permanentes et de bornes interactives.
A l’heure actuelle, « l’Espace prévention » élargit sa démarche de prévention au champ de l’éducation pour la santé et s’inscrit en tant que promoteur et conseiller méthodologique, partenaire d’actions de terrain où les jeunes se positionnent en tant qu’acteurs de leur propre santé.
Complémentaire aux activités préalablement citées, une consultation de sevrage tabagique a été ouverte depuis un an, dans les locaux de « l’Espace prévention ». Sa présence dans le centre réaffirme la volonté d’agir dans le sens de la prévention et lui confère une dimension supplémentaire.
Espace prévention, 9 rue Gaston Latouche, 92210 Saint-Cloud, France, tél.: 01.47.11.15.44, fax: 01.47.11.15.43

Pour une meilleure collaboration entre santé publique et soins de santé primaire (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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L’idée d’une santé publique appelée à revitaliser l’espace démocratique chatouille agréablement les oreilles d’un soignant de première ligne. Participation de la population à sa santé, approche globale de la santé incluant ses déterminants non-médicaux tels que socio-économiques et environnementaux, dénonciation d’une médicalisation outrancière, respect de l’autonomie des sujets définissent le projet de nombre d’acteurs des soins de santé primaires, dont les maisons médicales.
Ce projet déborde le champ du curatif dans lequel ces acteurs sont enclos. Trop souvent en effet leur rôle, en termes de santé publique, est confiné à l’application de mesures biologiques alors que les actions classiques de santé publique semblent lointaines, parfois contre-productives.
Or les soins de santé primaires constituent une charnière entre le système de soins et la population. Dispensés de dispenser des soins complexes ou de haute technologie qu’ils renvoient aux autres niveaux, les professionnels du premier niveau de soins sont à l’écoute du vécu des usagers et immergés dans leur milieu de vie. Proximité qui en fait des témoins, des relais et des acteurs potentiels efficaces et déjà en place dans la communauté.
S’il est indispensable que la santé publique soit développée par des experts qui disposent des outils nécessaires, la première ligne de soins peut en constituer un pôle de qualité. Le décloisonnement entre curatif, préventif, promotion de la santé, santé communautaire et santé publique est souhaitable. C’est un choix politique, car il implique une réorientation des priorités et des moyens dévolus à la première ligne. Mutation périlleuse, car la dérive vers un renforcement du contrôle sur les populations au détriment d’un plus de démocratie n’est pas impensable.
Certes, la proximité de la première ligne avec la population ne constitue pas une garantie absolue contre le ‘biopouvoir’, mais elle offre un espace où peut se déployer une gestion plus démocratique de la santé et se constituer un réel contre-pouvoir. Pourquoi ne pas s’en donner les moyens?
Axel Hoffman , médecin généraliste à la Maison médicale Norman Béthune

Pour une expertise de qualité au service de la démocratie (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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L’ouvrage de Philippe Lecorps et Jean-Bernard Paturet présente la santé comme n’étant pas maîtrisable de façon mécanique parce que l’être humain est complexe, animé de contradictions et riche de désirs. L’ouvrage revisite avec ironie l’opposition entre l’interventionnisme aliénant et le libre arbitre, source d’épanouissement personnel. Certes, ce questionnement est indispensable pour éviter les dérapages du genre ‘bonheur des gens malgré eux’. Mais il n’est pas spécifique à la santé, me semble-t-il. C’est vrai pour l’éducation, la culture, l’aide sociale, la sécurité, l’organisation politique,…
Deux aspects de ce débat ne sont pas approfondis dans l’ouvrage.
1.La question de la légitimité de la lutte contre les inégalités de santé, dont l’existence en tant que telle est suffisante pour motiver une démarche de santé publique.
2.La coexistence chez chaque individu du raisonné et de l’irraisonné, abondamment décrite dans l’ouvrage, est présentée comme une donnée statique. Or, ce qui est raison et ce qui ne l’est pas, au niveau individuel et collectif est loin d’être immuable dans le temps et dans l’espace. C’est en partie le reflet des conditions historiques et sociales et de vécus individuels dans ces conditions, donc cela peut être objet de travail. La part de raisonnable et d’irraisonnable chez l’être humain n’est pas déterminée une fois pour toutes. Le caractère relatif et évolutif du ‘plaisir du risque’ chez les individus montre que c’est aussi un produit social qui peut donc légitimement interpeller l’organisation sociale.
Par ailleurs, il existe dans l’ouvrage une confusion entre les systèmes d’information sanitaires (indicateurs de santé) et les objectifs de santé. Les uns et les autres poursuivent des buts différents et sont ou devraient être gérés dans des processus différents. A partir des données recueillies dans les systèmes d’information sanitaires (au sein desquels la part prise par les déterminants de santé devient importante), d’autres forces, politiques et sociales, interviennent pour traduire une partie de ces données en objectifs de santé, dans un processus que l’on peut souhaiter le plus démocratique possible. Autrement dit et contrairement à ce que laissent entendre les auteurs, une expertise de qualité (par exemple en information sanitaire) peut servir la démocratie si cette dernière est bien organisée.
On connaît en Communauté Wallonie-Bruxelles un certain nombre de progrès dans la gestion de la santé publique (adoption du décret promotion de la santé, instauration d’un plan de santé,…). On note cependant aussi des faiblesses , qui se rapprochent de celles identifiées par les auteurs de l’ouvrage dans le système français. Notamment la faiblesse des moyens consacrés à la démocratisation des prises de décisions en santé publique (comme par exemple, le manque de soutien aux travaux du Conseil supérieur de promotion de la santé, le déficit de transparence et le manque de moyens pour le suivi des décisions).
Luc Berghmans , Médecin directeur de l’Observatoire de santé du Hainaut

Santé publique contre inégalités sociales (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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(1)
Pour moi, comme pour les auteurs de ‘Santé publique, du biopouvoir à la démocratie’, il est impensable de faire l’impasse du sujet en santé publique. Et qui dit sujet dit sujet avec son inconscient, son rapport à l’autre, sa soif de donner sens aux discours qui lui sont adressés, notamment par les professionnels de la santé. On peut légitimement contester une certaine façon de faire la santé publique avec des moyens contraignants, autoritaires, castrateurs, se braquant sur les comportements individuels, le style de vie, évitant de mettre en cause notre mode d’organisation sociale, agissant sur le symptôme et non sur la cause. ‘Santé publique, du biopouvoir à la démocratie’ a le mérite d’introduire le questionnement de l’éthique du sujet dans la santé publique. Les agents sanitaires perçoivent trop souvent les individus comme sujets ‘objectifs et collectifs’.
Je suis d’accord avec les auteurs quand ils disent que faute de pouvoir produire les conditions de vie favorisant le déploiement de la santé, l’Etat assoit son emprise sur les corps. Pouvoir combattre l’argent, l’Etat le peut, mais il ne l’ose pas ou en est complice. C’est vrai: il est important de replacer l’individu dans sa subjectivité, mais de là à stigmatiser les politiques de la santé publique en une contrainte totalitaire il y a une marge!
On peut informer des individus sans les contraindre. Où est l’atteinte aux droits quand on installe des étrangleurs de circulation, quand on fluorise l’eau ou le sel de cuisine? La santé publique est un peu hâtivement réduite à une action contraignante par des individus pour des individus. Les déterminants sociaux de la maladie constituent une des observations les plus centrales dans l’histoire de la recherche en santé publique.
Un ouvrage est une somme à cet égard: ‘ Etre ou ne pas être en bonne santé ‘ d’Evans, Barer et Marmor(2) . On y trouve la chose suivante: 10.000 employés anglais, tous cols blancs, ont été suivis médicalement pendant 20 ans. Constat: la position du personnel dans la hiérarchie a une valeur prédictive de la mortalité et ce à facteur de risque égal (tabac, hypertension, cholestérol)! Si la population adoptait un mode de vie plus sain, l’espérance de vie serait certes accrue, mais les écarts de santé des diverses classes sociales persisteraient sans doute. La santé serait liée à la hiérarchie sociale et les maladies n’en seraient qu’une manifestation. Parmi les éléments constitutifs de la hiérarchie, le statut social, le pouvoir, le stress, la capacité de faire face à la situation, le sentiment d’avoir un avenir, quels sont ceux qui ont une nature causale? Peut-on les modifier? Par quelle voie biologique ces facteurs opèrent-ils? D’une manière générale, notre place dans la hiérarchie est définie par le travail, le logement, l’éducation, le revenu. Agir sur les inégalités sociales diminue la mortalité et réduit les comportements à risque par une voie indirecte et non terroriste.
Pierre Gillet , professeur à l’Ecole de santé publique de l’Ulg et CHU de Liège
(1) Ce texte a déjà été publié dans Le Généraliste.
(2) ‘Etre ou ne pas être en bonne santé’, R. Evans, M. Barer, T. Marmor, Ed. John Libbey Eurotext/Les presses de l’université de Montréal, 359p., 1996.

Invitation à la ‘récalcitrance’ (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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Il n’y a pas d’expert au sens de quelqu’un qui saurait le bien de l’autre (…)
C’est dans la reconnaissance du sujet comme auteur de sa vie qu’une action de santé publique peut être construite (…) On attend de l’expert qu’il aide les sujets à échapper à la sidération du poids de l’histoire, de la place sociale , de la culture pour s’ouvrir au débat et à la construction des conditions du vivre ensemble , écrivent Philippe Lecorps et Jean Bernard Paturet.
C’est le ‘ sujet ‘, objet et sujet de savoir que le livre convoque et mobilise, et c’est aussi à cause de cette mobilisation du sens qu’il peut être considéré comme un livre engagé, comme une invitation à la ‘ récalcitrance ‘ définie comme condition de la démocratie; il nous engage à lutter contre le ‘ rapt des experts ‘ en rappelant que le savoir de l’expert se présente comme un savoir ‘ indiscutable ‘, c’est-à-dire en somme, un savoir confisqué.
Or, il m’apparaît que ce ‘ sujet ‘, parce que à la fois sujet et objet de savoir, présente, dans la multiplicité des définitions proposées, quelques contradictions. Je vais donc essayer, en quelques lignes, de vous les présenter, avec leurs ressources et les difficultés auxquelles ils engagent.
Coexistent dans cette mobilisation trois ‘ sujets majeurs ‘. Le premier, le sujet de la ‘ récalcitrance ‘, nous invite, dans une perspective aux accents foucaldiens, à réfléchir ensemble aux mécanismes de pouvoir à l’œuvre dans les techniques de prévention, c’est-à-dire des techniques de ‘ conduite des conduites ‘.
Ensuite, émerge le sujet freudien: c’est un sujet plus pessimiste, qui s’arrache aux désirs et aux pulsions; mais c’est un sujet qui en même temps, parce qu’il est toujours opaque, résiste à la volonté de maîtrise et de transparence des techniques de sciences humaines. Ce sujet cependant, de par son opacité, pose le problème du sujet ‘ face à l’expert ‘: qui, sinon le discours savant de la psychanalyse – ou de la technique qui lui est corollaire – définira l’identité de ce sujet ? En échappant, grâce à son opacité, à la volonté de maîtrise des techniques des conduites, n’est-il pas dans le geste même qui en produit la définition, en train de se soumettre à un autre expert ?
Le troisième sujet qui parcourt le livre apparaît, comme les deux premiers, comme un sujet qui s’efforce de résister. Mais au contraire du premier et du second, il ne le fait pas dans le régime de la déconstruction, (des pouvoirs ou de la psyché), mais dans celui de l’engagement, et plus encore dans celui de l’engagement politique et collectif; c’est le sujet qui ne s’en laisse pas compter.
Ce sujet pose la question essentielle: comment construire avec la population les problématiques et les solutions aux problèmes de santé publique ? Quel sera le bon sujet, patient, usager, citoyen, client ? Le politique recherche comme interlocuteur, l’usager vertueux , hors des lobbies associatif , syndical ou politique , compétent , intéressé / désintéressé qui participe aux débats et fait des propositions . Comment, demandent – à juste titre – les auteurs, comment cette personne sans qualité, va-t-elle tenir face à l’expert ? Elle ne le peut pas. Car le politique soumet comme condition au débat ce qui justement le rend impossible: le fait que les sujets ne s’inscrivent pas dans des collectifs proprement politiques. Les exemples du livre, et notamment la mobilisation des homosexuels lors de l’émergence du sida, montrent que non seulement les auteurs refusent explicitement cette exigence du politique, mais qu’en outre, ils situent les conditions les meilleures pour ce débat, pour résister à la confiscation de l’expertise, dans cette transformation possible des usagers.
Vinciane Despret , docteur en philosophie de l’ULg

Biopouvoir et liberté(s) (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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La tradition de la philosophie britannique a coutume de faire la distinction entre deux sortes de libertés. Les premières sont dites ‘positives’, et correspondent aux droits dont tout un chacun peut se prévaloir dans une société donnée. Dans une société démocratique, ces droits devraient tendre à être à peu près identiques pour tout le monde, en vertu du principe d’égalité. Les secondes sont dites ‘négatives’ et désignent les espaces, réels ou métaphoriques, au sein desquels un individu est assuré de n’être pas contrarié par quiconque dans ses actions. L’évolution des sociétés modernes a favorisé le développement des premières au détriment des secondes. Les unes ne vont cependant pas sans les autres. Réclamer l’exercice de droits alors que l’on fait l’objet de contrôles sociaux croissants risque fort de vider ces droits de toute substance.
Dans le domaine de la santé, sans doute est-il légitime de prôner le droit à un ‘égal accès aux soins’, notamment grâce à des dispositifs de sécurité sociale, dont je serais l’un des premiers à proclamer qu’ils doivent être soigneusement préservés. Mais si la médecine, pour l’appeler ainsi, se mêle d’assortir ce droit d’un centre qui lui serait cette fois réservé de contrôler la légitimité du recours aux soins, en rendant responsables les individus qui n’auraient pas respecté certaines contraintes du corps et de l’esprit des dysfonctionnements du système, par exemple de son surcoût social, reste-t-on dans un régime qui protège correctement l’usage des libertés négatives? Si certains comportements peuvent se révéler néfastes pour autrui (conduire une voiture en état d’ivresse), d’autres ne le seraient, et cela reste souvent à prouver, que pour l’individu lui-même. Au moment où le mot d’ordre est de se ‘trouver bien dans sa peau’, il y a là de délicats équilibres à trouver, ce dont le soin ne peut être laissé aux seuls ‘professionnels de la santé’.
Claude Javeau , Professeur à l’Institut de sociologie de l’ULB

Les fabricants de cigarettes disent non au tabac

Le 30 Déc 20

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Voici un communiqué de presse à tout le moins troublant, jugez-en plutôt. Les fabricants belges de cigarettes poursuivent en 2001 la campagne informative dans les cinémas qui vise à déconseiller aux jeunes de commencer à fumer.
Une contradiction? Non. Depuis quelques années déjà, les fabricants ont lancé plusieurs initiatives pour déconseiller aux jeunes de commencer à fumer. Celles-ci sont destinées aussi bien aux points de vente («Vendre des cigarettes aux enfants? Pas moi»), qu’aux jeunes eux-mêmes («Hé, faut-il fumer pour être branché? Les jeunes disent non»).
Les fabricants soutiennent que la consommation de produits de tabac doit être un choix conscient d’un adulte informé. Les jeunes ne doivent donc pas fumer.

En 2001 dans tous les cinémas belges

La campagne de dissuasion se fait à l’aide de deux spots, qui montrent respectivement un garçon et une fille de 14 ans dans leurs habitudes de vie, acceptés par leur entourage, et qui disent non à la cigarette.
Les deux spots ont déjà été projetés en 2000 dans 430 salles de cinéma, réparties dans l’ensemble du pays (fin août – mi-octobre 2000, décembre 2000 – janvier 2001). Au total, cela revient approximativement à 45.000 diffusions par mois.
Etant donné les résultats positifs d’un post-test (voir encadré) et compte tenu du fait que les cinémas sont un excellent canal de communication pour atteindre les jeunes, la campagne se poursuit en 2001 durant des périodes alternées. Et ce sur la base de données statistiques qui indiquent des périodes de pointe concernant la fréquentation des cinémas par les jeunes.

Les spots Yannick et Sylvie

Dans un premier spot, le spectateur fait connaissance avec Sylvie, 15 ans. C’est une véritable jeune d’aujourd’hui, qui sait ce qu’elle veut. Elle aime la mode et l’élégance, sa liberté. Et elle ne fume pas. Elle dit non.
Yannick, 14 ans joue le rôle principal dans le deuxième spot. Il aime le rythme, les sorties et la musique. De plus, il est apprécié par les filles. Bref, Yannick a tout pour être «in». Il ne fume pas non plus et dit non.

Disposée à un dialogue avec les pouvoirs publics

L’industrie s’est toujours déclarée disposée à une concertation et à une collaboration avec les pouvoirs publics pour aborder la problématique de l’usage des produits de tabac chez les jeunes. Seule une approche commune peut permettre d’enregistrer des progrès.
L’industrie du tabac a déjà fait connaître à plusieurs reprises et de façon très claire son point de vue concernant les jeunes. Même une interdiction officielle de vente de produits de tabac aux jeunes ne susciterait pas une opposition de la part de l’industrie. L’introduction d’un âge minimum apporterait de la clarté.Pour de plus amples informations: Fedetab –Fédération belgo-luxembourgeoise de l’industrie du tabac asbl, IDT – Centre d’information et de la documentation sur le tabac asbl, Avenue Lloyd George 7/1, 1000 Bruxelles.
Tél: 02-646 40 20. Fax 02-646 22 13. Mél : w.baert@fedetab.be.

En octobre 2000, un post-test de la campagne a été réalisé par INRA. L’impact et l’efficacité ont été testés au travers de 506 interviews (60% de jeunes, 40% d’adultes). Les interviews ont été menées auprès de visiteurs de cinémas répartis dans l’ensemble du pays, avec une proportion 50/50 entre néerlandophones et francophones.
Plus de 27% des personnes interviewées se rappelaient le spot, ce qui est un pourcentage assez élevé. Le fait que l’industrie du tabac en soit à l’initiative est jugé positif par 87% d’entre eux. La plupart des visiteurs de cinémas sont tout à fait d’accord (75%) ou plutôt d’accord (21%) avec le message de la campagne. L’efficacité et la forme sont jugées positives par 46% des personnes interviewées.

Une campagne crédible?

Ce qu’en pensent les ados

La FARES et Question Santé ont évalué la première vague de diffusion des spots au moyen de groupes de discussion de jeunes appartenant au groupe-cible (garçons et filles de 13-15 ans) et de futurs professionnels de l’image (étudiants de 3e année en communication graphique à La Cambre).
Les informations récoltées au cours de cette évaluation dépassent le cadre de cette seule campagne et offrent des pistes de réflexion intéressantes pour la prévention du tabagisme en général.

Les filles

Le message des spots passe bien, elles trouvent Sylvie très bien, mais pas Yannick. Elles sont surprises d’apprendre l’identité du promoteur de la campagne et émettent des hypothèses intéressantes pour expliquer cette démarche apparemment peu commerciale:

  • les industriels ont mauvaise conscience et veulent empêcher les jeunes de fumer;
  • ils veulent se prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires (‘On vous avait prévenu…’);
  • ils veulent attirer l’attention des jeunes sur la cigarette, sachant que ces derniers font le contraire de ce qu’on leur dit!

Elles se montrent aussi critiques par rapport à la prévention, qui n’exploite pas les arguments pertinents pour accrocher les adolescents. La prévention, c’est plus une question de confiance en soi, en ses parents, qu’une affaire de spot cinéma ou d’affiche.

Les garçons

Le message passe moins bien (certains croient d’abord à une pub pour des vêtements), et Yannick est adopté par les uns et rejeté par les autres.
Ils pensent assez spontanément que l’industrie du tabac pourrait être à l’origine des spots en invoquant les motifs suivants:

  • obligation légale de mise en garde des consommateurs;
  • peur d’être attaquée en justice;
  • susciter l’envie (parler de cigarette fait qu’on y pense);
  • éviter les problèmes avec les associations anti-tabac;
  • réduire la consommation pour maintenir les ventes en évitant des décès trop prématurés.

Leur impression est que les campagnes médiatiques de promotion de la santé en général ne sont pas efficaces en termes de changements de comportement. On pourrait en conclure que cette campagne aurait finalement peu d’effets, que ce soit d’ordre dissuasif ou incitatif…

Ce qu’en pense le Conseil supérieur de promotion de la santé

D’initiative, le Conseil supérieur a rendu un avis critique sur cette campagne. Le voici résumé dans un communiqué de Question Santé, le Service communautaire chargé de la communication en promotion de la santé:

Quand l’industrie du tabac invite les jeunes… à refuser de fumer

L’industrie du tabac mène campagne depuis bientôt deux ans pour, prétend-elle, « inciter les jeunes à ne pas commencer à fumer ».
La première campagne du Centre d’information et de documentation sur le tabac IDT (une asbl créée à l’initiative de la Fédération belgo-luxembourgeoise du tabac) date de 1999. Elle s’affichait sur des panneaux de 20m² et claironnait haut et fort «Faut-il fumer pour être branché? Les jeunes peuvent dire non».
L’année dernière, elle reprenait le même concept en le déclinant, cette fois, sous forme de deux spots publicitaires projetés pendant 10 semaines dans 430 salles de cinéma du pays. Les héros: Sylvie, 15 ans et Yannick, 14 ans, deux jeunes qui « disent non ».
Cette campagne continue en 2001.
Quel est, en réalité, l’objectif recherché par les «cigarettiers»? Alors même que l’on sait que pour maintenir sa prospérité, l’industrie du tabac a besoin de nouveaux fumeurs pour remplacer ceux qui arrêtent ou qui meurent? Alors même que l’on sait que ce n’est pas à l’âge adulte que l’on commence à fumer?
Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut que difficilement croire en une volonté désintéressée des «cigarettiers» de mener une campagne de promotion de la santé contraire à leurs intérêts commerciaux.
Le Conseil supérieur de promotion de la santé (CSPS) serait plutôt tenté d’y voir une subtile manière de parler du tabac dans un pays où la publicité pour ce produit est très limitée voire quasi interdite.
Et même s’il leur laisse le bénéfice du doute, le CSPS pense que la prévention relève du secteur non-commercial. C’est la raison pour laquelle il souligne la nécessité de dégager des moyens financiers importants pour lutter contre ce problème de santé majeur.
A partir d’un avis remis par le Conseil supérieur de promotion de la santé à Madame Nicole Maréchal, Ministre de l’Aide à la jeunesse et de la Santé du Gouvernement de la Communauté française. (1) Ce n’est pas un poisson d’avril tardif, il s’agit vraiment d’une initiative de l’industrie du tabac !
(2) Suite à une plainte du président du Conseil supérieur de promotion de la santé auprès du Jury d’éthique publicitaire, le slogan français a été modifié et aligné sur le texte néerlandais. Ce dernier dit depuis le début de la campagne « Ik zeg neen » (« Je dis non » »). La version française, qui était plus évasive (« Je peux dire non »), affirme maintenant la même chose (« Je dis non »).

Renforcement ou dilution des normes? (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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Ce qui est bon pour la santé collective l’est-il tout autant pour ma petite santé individuelle? Est-ce réaliste, raisonnable, souhaitable, éthiquement acceptable de traduire les acquis d’une science médicale basée sur les niveaux de preuve en injonctions par rapport aux conduites privées? Le débat, qui ne date pas d’hier, est toujours d’actualité en ce début de troisième millénaire.
Mais la question est-elle bien posée? Assiste-t-on en matière de santé au même phénomène qu’en géopolitique, avec l’irruption d’une forme de droit d’ingérence de la santé publique dans la vie privée? Les enjeux financiers considérables du business de la santé pourraient nous le faire croire, les opérateurs privés ayant en ce domaine une longueur d’avance sur les gestionnaires publics en raffinant leurs méthodes d’objectivation des risques que leur font courir les ‘mauvais’ clients.
La réalité est toutefois plus complexe que cela.
Dans son essai Le crépuscule du devoir (1) , Gilles Lipovetsky , constatant que la revitalisation des valeurs et de l’esprit de responsabilité sont brandis comme l’impératif principal de notre époque, ne croit pas pour autant à un retour de la morale. Notre société postmoderne nous immerge dans une culture inédite qui diffuse davantage les normes du bien-être que les obligations suprêmes de l’idéal. Selon lui, les démocraties ont répudié la rhétorique du devoir austère et intégral, couronnant les droits individuels à l’autonomie, au désir, au bonheur. On serait donc loin du ‘faites ceci’, ‘ne faites pas ça’ que d’aucuns stigmatisent.
Il est vraisemblable que cette vague de fond caractérisée par des engagements et une éthique à la carte se retrouve dans l’approche de certains problèmes de santé publique (voir par exemple les tensions permanentes entre les tenants de la sécurité publique et ceux de la réduction des risques en prévention des toxicomanies). Une culture vivante du dialogue, du débat, pour épuisante et souvent peu rentable qu’elle paraisse nous aidera peut-être à dépasser les antagonismes et à donner un sens nouveau à une démocratie équilibrant devoirs indispensables et droits légitimes…
Christian De Bock , rédacteur en chef de la revue Education Santé et Président du Conseil supérieur de promotion de la santé (1) Gilles Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, l’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, 1992, Gallimard. Réédité en 2000, Folio Essais, n°361.

Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre

Le 30 Déc 20

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Point de départ au débat: un livre ‘Santé publique, du biopouvoir à la démocratie’ (1) écrit par Philippe Lecorps et Jean Bernard Paturet dont l’ambition est de proposer une ‘critique de la raison politique’ en santé publique. Avec la présence de Philippe Lecorps, les services communautaires APES-Ulg et asbl Question Santé (avec la collaboration du CLPS de Bruxelles) ont proposé des tables rondes et séminaires pour débattre de questions éthiques soulevées par les interventions en santé publique.
Face à l’affirmation que la santé est une notion intrinsèquement individuelle, les auteurs interrogent les présupposés théoriques de la santé publique et essaient de situer le champ de responsabilité de l’Etat. Ne serait-elle pas de créer les conditions qui permettent au sujet de déployer sa santé? Si oui, quelles sont ces conditions? Quels sont la place et le rôle du professionnel de la promotion de la santé parmi celles-ci?
Face à la tyrannie de l’expert les auteurs souhaitent redonner toute leur place au ‘sujet désirant’ et au citoyen. Mais le sujet ne veut pas toujours son ‘bien’ et le citoyen se dérobe trop souvent aux responsabilités du vivre ensemble. En effet, il vit la santé et le bien-être sur un mode essentiellement individuel et subjectif. Comment et au nom de quoi le professionnel de la promotion de la santé peut-il lui demander de participer au maintien et à la création des conditions de santé?

Questions de points de vue!

Lors des tables rondes, différentes personnalités et professionnels de la santé ont été invitées à partager leur ‘lecture’ du livre. Avec leur collaboration et celle de l’équipe de l’APES-Ulg, nous vous proposons un condensé de la plupart de ces interventions, sorte d’invitation pour chacun à dépoussiérer les valeurs qui sous-tendent nos choix méthodologiques.
Bon nettoyage d’été!
Bernadette Taeymans
(1) ‘Santé publique, du biopouvoir à la démocratie’, P. Lecorps et J.B. Paturet, éditions ENSP, 1999, 186p.

Investir en santé

Le 30 Déc 20

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Investir en santé peut apparaître incongru en promotion santé. Cela peut en effet être perçu comme un conseil de placer des capitaux dans le domaine de la santé en leur assurant des rendements intéressants. Il ne s’agit bien sûr pas de cette signification. Les investisseurs ne nous ont d’ailleurs pas attendus pour exploiter un secteur aussi profitable sur le plan commercial avec son cortège de méga-fusions.

Investir en santé doit en effet se lire “investir pour la santé”. Selon la proposition de l’OMS-Europe, il s’agit d’une approche de la promotion santé visant à utiliser au mieux les ressources pour agir le plus efficacement possible au niveau des déterminants socio-économiques de la santé. Un triangle résume bien cette approche (santé au sommet, déterminants sociaux et déterminants économiques à la base) et nous rappelle l’importance de la situation socio-économique des individus, des familles, des communautés et des sociétés dans le développement de la santé et du bien-être.

Mieux vaut être riche et bien-portant…

En Europe, les différences socio-économiques subsistent entre les pays de l’Ouest et de l’Est et à l’intérieur de ceux-ci (OMS-Europe 1999a; UNICEF 1997). On observe des différences dans l’état sanitaire des populations ou des groupes de population en fonction du gradient socio-économique.

Par exemple, il y a une différence moyenne de 9 à 12 ans d’espérance de vie sans handicap ou maladies invalidantes entre les pays les plus riches et les plus pauvres d’Europe. A l’intérieur de chaque pays Européen, on observe une relation entre le niveau socio-économique et une vie plus confortable, exempte de labeur physique harassant, de pollution acoustique et toxicologique. Il n’est même plus besoin de préciser dans quel sens va ce gradient ou en faveur de quel groupe social.

Les preuves s’accumulent, montrant qu’une grande partie des différences de santé et de qualité de vie trouvent leur origine dans l’exposition à des conditions de vie promotrices ou destructrices de santé et de bien-être.
Face à ces constats, les professionnels de la santé peuvent saisir les occasions de dénoncer l’influence des déterminants socio-économiques sur la santé et même d’agir de concert avec la population et d’autres groupes de professionnels pour modifier certaines des causes profondes des problèmes de santé et de mal-être.

Cette ouverture de la promotion de la santé vers le secteur socio-économique n’est certainement pas neuve. Elle a même été officiellement ratifiée il y a trois ans par nos dirigeants. En effet, en 1998, les 51 pays de la Région européenne de l’OMS ont voté pour une nouvelle politique “Santé 21: 21 objectifs pour le 21e siècle”.

Tout en reconnaissant l’importance cruciale des services de santé dans l’amélioration de la santé de la population, ce document souligne le fait que la plupart des problèmes de santé les plus importants trouvent leur origine dans les conditions de vie. Un document publié par l’OMS-Europe (1998) résume les évidences scientifiques expliquant le rôle des déterminants sociaux sur la santé et le bien-être à travers des thèmes comme le stress, les conditions de la petite enfance, l’exclusion sociale, le travail, le chômage, le support social, les toxico-dépendances, l’alimentation ou les transports.

Un ‘investissement’ éthique

Il est devenu clair pour tous que l’état de santé n’est pas seulement influencé par la présence ou non de services de santé performants ni par l’absence ou la présence de germes pathogènes. Si les conditions sociales et économiques jouent un rôle central dans les inégalités de santé, si les déterminants sociaux influencent l’état de santé, alors, les conditions socio-économiques des populations doivent être prises en compte par les professionnels de santé.

Face à l’accumulation de ces constats, il est impératif, tout en continuant la dispensation des soins de santé et le développement de politique de soins et de prévention efficientes, d’adopter une stratégie de promotion de la santé qui prenne en compte les conditions socio-économiques génératrices de maladies, morts précoces et mal-être et tente réellement de remédier aux inégalités. “Investir en santé” est une approche de promotion santé qui identifie les investissements capables d’améliorer la santé des populations en prenant en considération les déterminants sociaux de la santé d’une manière crédible, efficace et éthique.

Il est difficile de présenter cette approche qui se cherche et se structure encore. Aussi est-ce très modestement qu’est faite ci-dessous la tentative d’en partager les principes, les questions, les processus.

Le fonds de l’information est constitué par le projet de l’OMS-Europe “The Verona initiative” qui en est à la troisième et dernière année de son développement. Une présentation de ce projet et des principaux documents est disponible sur un site internet en évolution (https://www.who.dk/verona/intro.htm).

Une deuxième source d’information rassemble les expériences vécues durant les deux premiers séminaires de Vérone (Arènes de Vérone de 1998 et 1999) et reconduites en partie par des équipes ou étudiants de différents pays ou régions (dont la Roumanie, l’Ecosse, la Norvège et la Communauté française de Belgique).

Enfin, la dernière source d’information est fournie par les résultats intermédiaires d’un projet portant sur les compétences nécessaires pour adopter efficacement l’approche “investir en santé”. Ce travail sur les compétences et la formation a été réalisé par les membres de l’Union internationale de promotion éducation santé (UIPES) invités par l’OMS à participer aux Arènes de Vérone.

Pas de remède miracle

Les principes de l’approche ‘investir en santé’ sont reproduits dans le premier encadré.

Prenons le premier, “garder constamment la santé comme cible des interventions et des politiques en documentant scientifiquement les déterminants des problèmes” et voyons ce qu’il peut vouloir dire.

Un très bel exemple nous est fourni par la Roumanie dont une loi nouvelle va obliger les parlementaires à considérer l’impact pour la santé de toutes les nouvelles politiques, quel que soit le domaine considéré. Comme il n’y a pas de miracle, les décisions du Parlement roumain, par exemple en matière de transport, d’urbanisme ou d’agriculture seront réellement promotrices de santé si l’influence sur la santé des déterminants concernés par une nouvelle loi est bien documentée. Donc, si des équipes préparent les dossiers sur la relation entre ces conditions de vie et la santé… Tout le champ des politiques publiques saines, jusqu’ici peu investi, s’ouvre largement aux équipes pluridisciplinaires de promotion de la santé.

Les principes de l’approche “investir en santé”

  • garder constamment la santé comme cible des interventions et des politiques en documentant scientifiquement les déterminants des problèmes;
  • impliquer les populations au maximum, non seulement à travers les processus démocratiques mais par un engagement des communautés dont de nouvelles formes de participation doivent être expérimentées dans le respect des différences;
  • travailler en intersectorialité, ce qui paraît indispensable vu l’importance de secteurs comme l’éducation, le commerce, l’emploi, les services sociaux, etc.
  • assurer l’équité en offrant à tous de réelles occasions de développer et maintenir leur santé par une distribution appropriée des ressources;
  • développer durablement la santé, ce qui signifie à la fois adopter un processus continu d’investissement en santé et aussi utiliser les ressources de manière à ne pas compromettre le développement des générations futures;
  • baser les décisions d’investissement sur un savoir multiple, non seulement celui produit par les experts mais aussi celui exprimé par les communautés.

(source: briefing document, Verona, Arena meeting II, 1999)

Toutefois, certaines ou peut-être même la plupart des décisions posent de véritables dilemmes car aucune alternative n’apporte une solution adéquate pour chaque groupe de partenaires. Pensons au débat récent concernant la diminution des nuisances sonores de l’aéroport de Zaventem et l’impact des mesures de restriction des vols de nuit sur l’emploi.

A la deuxième arène de Vérone, en 1999, les participants avaient travaillé en sous-groupes autour de “dilemmes” et avaient dégagé des tensions. Il faut assumer et gérer ces problèmes, qui ont aussi été identifiés par des étudiants de l’ULB travaillant sur des dilemmes similaires. Il semble donc y avoir une constante dans les difficultés rencontrées.

Ces tensions n’ont pas de solution simple. Comme promoteurs de la santé, on serait tenté par exemple de privilégier systématiquement la direction “population vers le politique” plutôt que le processus du politique vers la population. Dans ce cas, il est probable qu’aucune limitation de vitesse n’existerait sur nos routes, qu’il n’y aurait pas non plus de vaccination obligatoire, ni de cotisation de solidarité… Il faut donc légiférer parfois – ou souvent? – contre l’avis de la majorité de la population.

Un autre problème est celui du développement de l’ensemble de la population opposé au travail exclusif avec les populations défavorisées. Les tenants de la première approche démontrent que le développement socio-économique durable concerne toujours l’ensemble de la population, développement qui bénéficie à tous les groupes sociaux, et donc, y compris aux plus défavorisés. Les défenseurs du travail avec les défavorisés avancent l’urgence des situations de souffrance des familles fragilisées pour justifier une exclusivité de services ou projets pour cette population. Il est facile de dire “faisons les deux”. Dans la pratique des répartitions budgétaires et de l’utilisation des ressources, il est parfois – ou souvent? – nécessaire de choisir.

Trouver des repères

Revenons au processus de l’approche “investir en santé”. Durant la première Arène de Vérone, en 1998, les participants ont tenté de définir et peaufiner des jalons vers une approche efficace d’investissement pour la santé.
Les résultats de ces travaux sont présentés sur le site internet indiqué plus haut. Ces jalons ont été testés par 4 régions ou pays durant l’année 1998-1999. Le résultat présenté lors de la deuxième rencontre de Vérone est assez décevant: les 4 équipes ont proposé des changements intéressants, bien adaptés à leur situation mais sans beaucoup de caractéristiques communes.

Un travail similaire de définition de jalons a été effectué par les étudiants de l’ULB de troisième cycle (orientation promotion santé) avec un résultat tout aussi différent. Il semble donc que les jalons soient utiles et même extrêmement utiles quand ils sont définis par et pour une équipe autour d’un projet précis mais que ces repères ne soient pas, dans l’état actuel de leur développement, transposables tels quels à d’autres situations.

Compétences pour “investir en santé”

Communication
communication générale
habileté à communiquer avec les médias
habileté à organiser des événements publics

Explication, plaidoyer

  • habileté d’analyser et comprendre les déterminants sociaux, économiques, culturel de l’entourage individuel et de la société
  • compétence d’identification et d’utilisation des occasions de rencontre avec les décideurs
  • compétence de “lobbying” pour influencer les décisions

Travailler avec d’autres

  • habileté à construire des partenariats
  • habileté à coopérer
  • habileté à reconnaître les compétences des autres professionnels et les potentialités de promotion santé des autres secteurs

Les autres compétences concernaient les habiletés à faciliter le développement et l’autonomie des individus et des communautés, à former à investir en santé, à identifier et tenir compte du lien recherche et action et enfin, à planifier l’investissement en santé (y compris, le diagnostic, la définition de jalons et l’évaluation)

Principales barrières à l’adoption de l’approche ‘investir en santé’

  • manque d’intérêt et de volonté politique
  • manque de prise de responsabilités de la société civile
  • pauvreté du dynamisme social et politique au niveau macro-économique
  • dominance médicale dans le champ sanitaire (centré sur les soins et les maladies) et donc, manque d’innovation dans l’approche des problèmes et de leur résolution
  • manque d’intérêt des professionnels de la santé pour étudier puis pour informer sur les déterminants socio-économiques de la santé
  • peu de connaissances des mécanismes politiques parmi les groupes professionnels

Quelques-unes des propositions d’actions pour développer les compétences et favoriser l’adoption de l’approche “investir en santé”

  • réorganisation du contenu et du processus des formations;
  • identification des critères de succès des actions intersectorielles et information des professionnels sur cette efficacité;
  • favoriser l’intersectorialité par des séminaires ou des formations continues interdisciplinaires

(source: Garcia I, March JC & Piette D. Rapport de l’enquête Delphi, Grenade, 9/1999)

Concernant les compétences utiles pour adopter l’approche “investir en santé”, les 19 membres de l’UIPES ont identifié durant les 3 étapes d’une enquête Delphi les capacités présentées dans l’encadré ci-dessus.

L’importance de l’identification de ces compétences n’est pas dans la spécificité d’une habileté mais dans la combinaison de ces éléments. Par exemple, être capable d’identifier les déterminants socio-économiques de la santé, être capable d’en parler avec les groupes concernés, de construire des solutions en partenariat, d’en informer le presse et de former les étudiants. Et si on n’est pas capable de réaliser toutes ces actions, alors, il faut savoir identifier les alliés ou partenaires qui peuvent prendre le relais de ces activités.

Dépasser les obstacles

L’encadré présente également les barrières à l’adoption de l’approche “investir en santé”. Ces freins sont importants car ils sont autant d’éléments à traduire en objectifs d’intervention, puisqu’il nous faut lever ces barrières tout autant que développer les compétences. Il est intéressant de remarquer qu’on retrouve dans cette liste des champs d’activités de la promotion santé tels que définis dans la Charte d’Ottawa. Citons deux exemples dont le plus frappant est probablement les deux barrières concernant la pauvreté du dynamisme communautaire. On retrouve ici l’intervention “renforcer l’action communautaire” mais cette proposition a mûri.

En effet, à côté du travail horizontal de développement communautaire se trouve la volonté d’introduire une troisième dimension, celle d’influencer, au départ des communautés, les décisions politiques aux niveaux local, régional et national. Un deuxième exemple pourrait être celui de la réorientation des services prônée par la Charte d’Ottawa.

Les 3 derniers problèmes identifiés sont la dominance du modèle traditionnel médical, le manque d’intérêt pour lier recherche et advocacy et la non-connaissance des mécanismes de décision politique. Ces constatations peuvent facilement conduire vers une réorientation des formations. C’est d’ailleurs cette dernière constatation qui a amené les membres de l’UIPES participants à la deuxième arène de Vérone à décider la réalisation et l’évaluation de projets pilotes de formation durant l’année 1999-2000, notamment en Norvège, en Espagne et en Belgique.

Tout le monde peut gagner

Les implications concrètes pour l’action sont les suivantes:

  • donner une priorité politique à la santé: la santé n’est plus seulement l’affaire du ministre de la santé, des médecins et infirmiers mais aussi d’un large groupe de politiciens et planificateurs. Ces derniers doivent être constamment informés des déterminants socio-économiques de la santé;
  • réorienter les services vers la santé et non plus seulement vers les soins de santé;
  • développer les occasions de travailler en intersectoriel en identifiant ou nommant les personnes responsables pour initier le processus, en dégageant un minimum de financement pour le fonctionnement des groupes de travail, etc.
  • informer et expliquer afin que chacun comprenne les bénéfices de l’intersectorialité pour chacun des secteurs participants. Au besoin, produire des gratifications, par exemple par un fonds de financement encourageant les projets intersectoriels;
  • examiner les différents secteurs publics de l’organisation politique et identifier leurs potentialités pour la promotion de la santé; diffuser largement les résultats pour lancer un large débat public;
  • identifier et assurer une nouvelle infrastructure pour garantir la permanence des investissements en santé, cette approche nécessitant un support institutionnel solide et un réseau d’alliés de diverses origines institutionnelles. Cette structure ne doit pas être marginalisée et l’approche “investir en santé” ne doit pas être une fonction pour de nouveaux spécialistes: cette approche doit être totalement intégrée dans les structures dynamiques et participatives de la région ou du pays, quelles que soient ces structures.

(basé en partie sur les sources suivantes: briefing document, Verona, Arena meeting II, 1999)

Un dernier encadré commente quelques implications des principes de l’approche “investir en santé”. Plusieurs concernent directement ou indirectement l’intersectorialité. Il ne semble pas possible de développer l’intersectorialité pour l’intersectorialité: il faut identifier les possibilités de promotion de la santé des divers secteurs de la politique publique et convaincre les différents partenaires des bénéfices que chaque secteur peut retirer de l’opération.

Cette proposition semble audacieuse. Pourtant, dans ce domaine comme dans d’autres, il semble bien que très modestement, ou plutôt trop confidentiellement, la Communauté française est un pionnier. Citons par exemple le fax d’information santé envoyé régulièrement par Question Santé aux élus communaux et la volonté de notre Ministre de la Santé de dynamiser communes et communautés (voir la Déclaration de Namur).

Il y a d’autres signes de l’évolution de notre secteur vers la promotion santé. Par exemple, on observe au fil des années une évolution du contenu des articles d’Education Santé (par un nombre de plus en plus varié d’auteurs) vers une diversité plus grande des interventions (concernant différents déterminants de la santé), qui n’excluent pas l’éducation pour la santé et l’éducation du patient dont nous avons toujours besoin.

Le travail entrepris par les Centres Locaux de promotion santé en matière de recueil des besoins de la population est un autre exemple de l’avancée vers une nouvelle approche de diagnostic des problèmes. Il est vrai qu’un long chemin reste à parcourir. Pour le baliser, il pourrait être intéressant de réunir un consensus en Communauté française, autour de jalons relatifs à différents domaines, comme celui de la santé à l’école ou de la prévention des traumatismes. Ces exemples ne sont pas choisis au hasard: la Communauté est riche de nombreuses expériences dans ces domaines.

Il est prématuré de conclure de manière traditionnelle un article sur une approche qui se cherche. Toutefois, il semble qu’une recommandation pourrait s’ajouter à la définition de jalons. Cette recommandation concerne l’étude concrète en Communauté française des possibilités de promotion santé non seulement de notre secteur mais d’autres domaines voisins comme le travail social (et la lutte contre l’exclusion), l’environnement ou le mouvement syndical.

Promouvoir la santé dans une époque de libre échange économique

L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé vient de sortir une résolution qui est bien dans l’air du temps et nous semble plus que jamais pertinente. En voici le texte intégral.

Une société prospère et en bonne santé est une société dans laquelle les richesses sont produites d’une manière durable écologiquement et réparties équitablement parmi ses citoyens.

Les accords de libre échange économique de même que ceux sur les investissements, dans leur forme actuelle, ont eu tendance à diminuer la prospérité et la santé généralisées de différentes manières: en concentrant l’accumulation des capitaux et du pouvoir dans les mains d’un nombre réduit d’individus et d’entreprises transnationales, en encourageant chaque fois plus la consommation des ressources et des biens et de ce fait en soumettant l’environnement à des efforts importants, en diminuant la possibilité des gouvernements des pays d’atteindre leurs objectifs sociaux en les contraignant à rivaliser coûte que coûte pour les investissements de capitaux mondiaux, en réduisant les dépenses sociales, en orientant les salaires à la baisse, en affaiblissant la législation sur le travail et l’environnement et en s’appuyant sur un impôt qui favorise la grande fortune.

Si l’on veut que les gouvernements gardent ou retrouvent leur capacité de financer des programmes sociaux de redistribution et de protéger l’environnement, il faudra qu’il y ait des méthodes régulatoires internationales pour contrôler le flux et l’accumulation des capitaux transnationaux.

Bien que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ait les moyens d’imposer une discipline aux pays signataires qui ne respectent pas les accords de libre échange économique, les Agences des Nations Unies, qui ont pour mission de superviser la mise en œuvre et la mise en vigueur des chartes de clauses sociales telles que celles concernant la protection de l’environnement, les droits de l’enfant, ou le code international du travail, doivent s’appuyer sur des arguments moraux pour inciter les pays signataires à introduire de telles clauses dans leur politique nationale.

De nombreuses organisations non gouvernementales ont lancé des campagnes pour que soient incluses des clauses sociales dans les accords commerciaux de l’Organisation mondiale du commerce, afin d’utiliser les moyens dont dispose l’OMC de réguler le capital mondial au profit de la protection de l’environnement et de l’amélioration du bien-être de chaque être humain.

L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé s’engage à plaider en faveur de politiques qui vont dans le sens de l’amélioration des conditions sociales, économiques et de l’environnement qui déterminent la santé de la communauté mondiale.

La 51e Assemblée mondiale de la santé a encouragé la responsabilité sociale en faveur de la santé et elle a reconnu que la promotion de la santé est une ressource du développement social et qu’il faut absolument briser les barrières traditionnelles qui existent au sein des secteurs gouvernementaux, entre organismes gouvernementaux et non gouvernementaux et entre secteurs public et privé.

L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a tenté de développer un Accord multilatéral sur les investissements qui aurait limité la capacité des gouvernements à réglementer l’investissement pour servir et protéger les intérêts sociaux, économiques, sanitaires des citoyens de même que ceux liés à l’environnement et autres intérêts nationaux.

Bien que les discussions sur l’Accord multilatéral sur les investissements aient été abandonnées en novembre 1998 par l’OCDE, il est probable que le débat soit repris soit par l’OMC soit à nouveau par l’OCDE.

L’adoption des éléments de base de l’Accord multilatéral sur les investissements, soit par les Etats membres de l’OCDE, soit plus globalement, par les pays qui actuellement participent aux accords gérés par l’OMC, compromettrait considérablement la campagne d’incorporation de clauses sociales dans les accords commerciaux de l’Organisation mondiale du commerce et irait à l’encontre de l’engagement de l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé de soutenir la participation et la responsabilisation des personnes de même que les principes des politiques de santé publiques.

Par solidarité avec les résolutions adoptées par les Associations canadienne et australienne de santé publique sur lesquelles se fonde ce document, il est entendu que:

  • L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé encourage, endosse et s’associe aux campagnes menées pour inclure des clauses sociales dans les accords commerciaux de l’OMC;
  • L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé informe les organisations de santé publique et celles concernées par d’autres intérêts publics au niveau régional, national et international, en particulier celles des pays en voie de développement économique, des préoccupations et des intentions que nous avons, dont il est question dans cette résolution, et participe avec ces organisations à la création d’un lobby de santé mondial pour la campagne sur les clauses sociales, et pour soutenir toute autre stratégie de réglementation mondiale qui ferait que l’augmentation des échanges économiques et des investissements ne se fasse pas au détriment de l’environnement et contribue à une meilleure répartition des richesses et des ressources matérielles;
  • L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé prenne contact avec l’OMC et l’OCDE pour les informer de cette résolution;
  • L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé fasse part à l’OMS, l’UNICEF et d’autres organisations de collaborations internationales des préoccupations dont il est question dans cette résolution et cherche à ce que leurs Conseils exécutifs les mettent à l’ordre du jour de leurs discussions (par exemple l’Assemblée mondiale de la santé de l’OMS, etc.);
  • L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé élargisse son travail par rapport à l’incorporation des clauses sociales dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres accords économiques en exerçant une surveillance constante de l’évolution des Accords multilatéraux sur les investissements (AMI), et incorpore une analyse de l’AMI et d’autres accords multilatéraux sur les investissements dans le cadre du programme d’activité de l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé;
  • L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé continue de développer des positions analytiques sur les accords sur le commerce mondial et les investissements et communique avec ses membres sur les positions à adopter par les gouvernements qui participent aux discussions sur les accords sur le commerce et les investissements, pour que la santé des populations soit maintenue et améliorée.

Cette résolution a été adoptée le 01/09/2000 par consultation de l’assemblée générale des membres de l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé et fait suite à une première résolution (San Juan de Porto Rico, juin 1998) relative à l’impact potentiel sur la santé des accords de l’OMC et des accords multilatéraux sur les investissements.

Merci à Marie-Claude Lamarre pour ses précisions.

Communication. Etude de cas: les pièges d’un titrage

Le 30 Déc 20

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Qui niera l’importance d’un titre d’article? En renseignant sur le sujet traité, il ramène déjà dans ses filets le public a priori friand de la thématique. En y ajoutant l’un ou l’autre procédé d’accroche – fantaisie, mystère, émotion, surprise…-, il peut en outre espérer rallier à la lecture du texte tous les badauds amusés, intrigués ou inquiétés. Mais, au-delà de sa fonction de rabatteur, le titre est aussi un message à part entière. Qui sera lu et parfois retenu comme tel par ceux qui ne font que parcourir la page. Et qui, pour les autres, risque parfois d’induire une interprétation biaisée des éléments informatifs qui suivent. Sans vouloir brider la créativité journalistique dans le domaine médico-sanitaire, il nous semble dès lors que l’anticipation des effets indésirables et la prévention des quiproquos en matière de titrage sont des objectifs à poursuivre, parmi d’autres facteurs de qualité des messages transmis. Le décorticage d’un exemple, somme toute banal, va nous servir à illustrer ce souci.
Au moins deux de nos quotidiens francophones ont fait écho (dans leurs éditions du 27 octobre 2000) à la problématique des embryons anormaux, dont il est établi que la fréquence augmente à mesure que l’âge de la génitrice est plus élevé. Ce qui nous a fait sursauter, et qui retiendra ici notre attention, c’est l’accroche choisie par un de ces quotidiens (1). L’ensemble du titrage se présentait comme suit: un mot-clé d’ouverture (“ chromosome ”), un sur-titre (“ 58 % des embryons chez les femmes de plus de 37 ans sont anormaux ”), un titre principal (“ Grossesse tardive , grossesse à risque ”).
Diable, nous sommes-nous dit de prime abord, une future mère de plus de 37 ans dont les yeux tombent sur un tel message est effectivement très à risque: celui, en particulier, de paniquer par rapport à son état présent. Ne va-t-elle pas s’imaginer qu’elle n’a plus que quatre chances sur dix (100 % – 58 % = 42 %) de mettre au monde, dans quelques semaines ou quelques mois, un bébé “normal”? Bonjour l’angoisse! Mais ne forcions-nous pas un peu la note en imaginant un tel scénario? L’examen minutieux de l’article devrait permettre d’en décider. Peut-être, après tout, comportait-il tous les ingrédients voulus afin de dissiper les craintes de la lectrice et du lecteur moyennement ou peu avertis.

Le corps du texte

Que nous relatait donc cet article? Primo, que des chercheurs de l’AZ-VUB (hôpital académique de l’Université libre néerlandophone de Bruxelles), intrigués par la baisse de fertilité et par le taux élevé de fausses couches chez les femmes proches de la quarantaine, ont analysé les chromosomes “ des patientes ” ayant eu recours à une fécondation in vitro sans avoir pour autant d’antécédents génétiques négatifs.
Secundo, que “ dans ce cadre , les embryons ont été soumis , avant replacement , à un screening pour les chromosomes 13 , 16 , 18 , 21 , 22 , X et Y ”, ce qui a abouti au constat chiffré évoqué dans le sur-titre.
Tertio, que l’équipe qui a mené ces travaux préliminaires (l’étude se poursuit et devrait inclure quelque 90 femmes) a été primée et est à la base des “ premières grossesses obtenues en Belgique après analyse chromosomique d’embryons humains , pratiquée chez des patientes de plus de 37 ans ”. La seconde moitié de l’article, via l’interview d’un des chercheurs, comporte quatre messages additionnels:
1 ° sur l’apport de l’étude en termes de connaissances : elle confirme “ ce que l’on pensait , à savoir que , soit dans la nature , soit lorsque l’on réalise une fécondation in vitro , beaucoup de femmes reçoivent des embryons anormaux ” ( N . B .: on aimerait savoir au passage de qui elles “reçoivent” ceux-ci “dans la nature”!);
2 ° sur l’utilité pratique des données recueillies : “ une telle approche pourrait , dans le futur , permettre d’éviter des grossesses multiples et le recours au diagnostic anténatal ”;
3 ° sur la représentativité des résultats : pour des raisons techniques, le screening était limité à sept chromosomes, mais si on avait pu multiplier les analyses, affirme le chercheur interrogé, on aurait trouvé “ très probablement 80 pc d’embryons anormaux dans cette catégorie d’âge ”;
4 ° sur les leçons à en tirer par le grand public : il est bon de réaliser que la technologie de la PMA (procréation médicalement assistée) est surtout conçue “ pour des femmes jeunes ” présentant un obstacle physiologique à la procréation; il est recommandé par ailleurs de ne pas attendre trop longtemps avant de concrétiser un désir d’enfant, pourvu qu’on s’y sente apte “ du point de vue psychologique , financier ou autre ”.

Équivoques non compensées

L’article procède sans doute d’un louable réflexe d’information concernant une avancée médicale réelle, en l’occurrence la possibilité offerte à présent de limiter les échecs, les frustrations, les souffrances associés à la fécondation in vitro (et accessoirement les coûts de tentatives à répétition). En ne réimplantant plus que des embryons non suspects pour les anomalies congénitales prises en compte, on peut prévenir en effet divers déboires susceptibles d’affecter les femmes et les couples en cours ou au terme de la grossesse: implantation d’un embryon voué à la fausse couche ou à l’avortement thérapeutique; naissance d’un bébé handicapé…
Toutefois, dans sa conception et son organisation, le corps du texte ne fournit pas les clés indispensables aux non-spécialistes pour saisir la portée très spécifique du sujet et, en particulier, pour relativiser la charge anxiogène extensive qui hante le titre (2). Pour y voir un peu plus clair nous-même, nous avons dû recourir à l’aide d’experts (3). C’est ainsi seulement que nous avons pu faire le tri entre l’information scientifique “pure”, dont la portée et la validité sont liées aux conditions d’observation propres à la recherche-mère, et la réalité non moins objective et importante des grossesses vécues dans leur écoulement classique.
Oui, près de 60 % d’embryons peuvent s’avérer effectivement anormaux pour la tranche d’âge maternel citée… Mais cette photographie du risque correspond exclusivement au tout premier stade du développement , celui que recouvre par exemple la phase de fécondation “extra-corporelle” propres à certaines PMA. Au-delà, et bien avant la fin du premier trimestre de gestation, la plupart de ces embryons sont éliminés spontanément, parfois à l’insu des femmes et avant même qu’elles se sachent enceintes!
La probabilité de découvrir une anomalie foetale , au moyen des diverses techniques de surveillance proposées aujourd’hui aux femmes présentant un risque particulier (âge, antécédents génétiques…), avoisine les 2 ou 3 % sur l’ensemble des grossesses. On est donc bien loin des 58 % placés au fronton de l’article et localisés de façon pour le moins floue dans le processus procréatif (“chez les femmes…” , dit le sur-titre)!
Quelques prérequis essentiels manquaient sans doute à la majorité des lecteurs ordinaires pour interpréter toutes ces choses de façon pondérée.
Premièrement, il fallait être bien au fait de ce que signifie exactement le mot “embryon”. Dans l’espèce humaine, rappelons-le, il s’agit du produit de la conception depuis la fécondation jusqu’à la huitième semaine du développement intra-utérin. Au-delà, on parle de “foetus”. Combien de lecteurs auront eu ce distinguo à l’esprit en lisant les chiffres litigieux? Combien auront compris de surcroît qu’on ne parle pas ici de n’importe quels embryons, ceux qui avaient fait l’objet de la recherche et qui se soldaient par un taux si élévé d’“anormaux” n’étant encore que de simples hôtes d’“éprouvettes” au stade le plus inaugural de leur destinée?

Conclusions et contre-exemple

Le choix du titre principal, déjà, aurait pu être plus heureux: “Grossesse tardive, grossesse à risque” associe deux notions qui ne se superposent pas entièrement et fait oublier qu’un seuil minimal de risque subsiste dans toute tranche d’âge en matière d’anomalies congénitales.
Parler de “risque accru” pour les femmes plus âgées aurait donc été préférable, tout en préservant la brièveté de la formule. Mais le pire vient évidemment de l’élément choc privilégié par l’accroche statistique. Inattaquable en sciences de la reproduction, cette information est très peu pertinente en journalisme de santé publique. Non seulement parce qu’elle n’apporte aux profanes aucun savoir pratique (sauf peut-être dans le cadre des fécondations in vitro), mais aussi parce qu’elle est peu intelligible et source de croyances erronées pour la plupart des (candidats) procréateurs.
Appeler un public ciblé (les futures mères de 35 ans ou plus) à la vigilance est une chose. Risquer d’affoler inutilement le public tout-venant en est une autre. Nous le soulignons d’autant plus volontiers qu’un second quotidien, rappelons-le, avait fait écho le même jour au communiqué émanant du service de reproduction humaine de l’AZ-VUB. Dans les mêmes conditions hyper-accélérées de traitement de l’information (4) et dans un format plus compact, ce journal a su en tout cas déjouer tous les pièges disséqués ci-dessus. Son côté accrocheur, il l’avait investi dans un titre principal un tantinet cocardier mais scientifiquement précis: “ Fécondation in vitro : prouesse belge ”. Un sous-titre sobre et explicite rendait en outre bien compte du strict objet médical de l’information rapportée: “ Objectif : détecter les handicaps avant la grossesse ”.
L’art du titrage est sans doute un exercice difficile, mais ce n’est pas une loterie. Puisse ce double exemple en convaincre.
(1) Voir à ce propos l’encadré “Ethique, transparence et anonymat”.
(2) Pire même, l’article ajoute à cela d’autres éléments de confusion, glissant sans crier gare de phrases qui semblent vraies (mais ne le sont pas toujours) pour toute grossesse à des affirmations qui ne concernent que les PMA. Ou encore passant allègrement des chromosomes “des femmes” à ceux “des embryons” dans le survol descriptif de l’étude, sans nous éclairer sur ce que cela recouvre comme vraie ou fausse distinction, etc.
(3) Un entretien avec un médecin travaillant dans un centre universitaire de conseil génétique et la lecture de deux sections de l’excellent ouvrage collectif La nouvelle génétique médicale (Ed. de l’ULB, coll. « Laus Medicinae » , (1998) n’ont pas été superflues.
(4) D’après nos recoupements, les deux articles ont été écrits dans les quelques heures qui ont suivi la réception de la dépêche. On peut s’interroger au passage sur l’urgence réelle qu’il y a à réagir à des sollicitations à substrat scientifique de ce type, si ce n’est que les rédactions de la presse quotidienne doivent souvent se débattre avec une pression assez factice : ne pas paraître à la traîne des confrères…. Un paramètre, reconnaissons-le, qui n’entretient qu’un rapport très lointain avec l’intérêt foncier du grand public, métaboliseur final des informations.

Ethique, transparence et anonymat

Comme ce mois-ci avec l’article ci-contre, notre rubrique ‘Communication’ sera de temps à autre émaillée d’ études de cas.
Une question de principe se pose à cet égard: convient-il ou non d’y désigner de façon précise les médias au sein desquels sont puisés les exemples (en citant le nom du journal, de l’émission, etc.)?
La question peut paraître plus délicate, et donc plus opportune encore sur un plan éthique, lorsque le propos est “égratigneur” que lorsqu’il est louangeur. Constatons d’emblée que l’unanimité ne se fait pas sur la réponse à donner. Pour les uns, trop de discrétion permet toutes les esquives (“ce n’est pas moi qu’on vise, ce sont les autres!”). La transparence serait alors un incitant bienvenu à la prise de responsabilité des rédactions concernant leurs éventuels manquements passés. Tel est l’argument que soutient par exemple Benoît Grevisse , de l’Observatoire du récit médiatique (ORM-UCL), lorsqu’il se réjouit que les instances déontologiques à visée autorégulatrice de l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique, dans leur dernier rapport annuel (1999), aient enfin rompu avec l’anonymat qui prévalait jusque-là dans les avis publiés suite à une plainte ou interpellation (*).
Mais ce qui semble largement justifié de la part d’une instance déontologique, qui se prétend gardienne de la rectitude de toute une profession et qui agit de surcroît sur dénonciation de pratiques supposées “répréhensibles”, s’impose-t-il à nous dans le cas présent? Ne nous situons-nous pas plutôt sur un plan préventif que coercitif? Notre but premier n’est-il pas de faire réfléchir tout un chacun à ces aspects problématiques de la communication en santé qui nous guettent tous: simple maladresse, induction non voulue d’effets indésirables, accentuation de représentations tendancieuses…?
En analysant certaines pratiques, heureuses ou malheureuses à nos yeux (et cela peut toujours se discuter!), ce n’est pas tant leurs auteurs que nous cherchons à sensibiliser, à encourager et encore moins à stigmatiser. Ce sont tous ceux qui, ayant à communiquer demain, devront se montrer à leur tour circonspects et se poser un maximum de questions pertinentes.
Et là, le repérage immédiat des organes ou canaux de presse dont sont tirés les exemples concrets importe peu. Cherchera à les identifier qui veut (ce n’est pas forcément compliqué), mais pas avec notre complicité active. Dans une époque où la transparence fait volontiers figure d’impératif absolu, méditons au moins sur une des vertus résiduelles de l’anonymat. Il laisse planer un doute sur la localisation des pratiques améliorables: “ Et si c’était chez nous ?”…(*) B. Grevisse, “Le Conseil de déontologie au rapport”, Médiatiques , n° 21, ORM, automne 2000, pp. 39-40.

Ne perdez plus le nord (de vue)!

Le 30 Déc 20

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La recherche en promotion de la santé peut-elle nous servir de boussole, surtout celle produite dans les pays du nord de l’Europe? C’est l’interrogation qui nous a poussé à participer à la troisième conférence nordique de la recherche en promotion de la santé qui se tenait du 6 au 9 septembre à Tampere (Finlande). En tout cas, cette interrogation était partagée. Les 300 inscriptions venant de 27 pays montrent l’intérêt croissant pour la recherche en promotion de la santé.
Le thème de cette conférence portait sur la question des résultats de la promotion de la santé.
Il s’inscrit dans le débat actuel sur la mesure de l’efficacité de la promotion de la santé et le rôle de la recherche dans le développement de pratiques fondées sur des preuves scientifiques ( evidence-based).
En effet, à coté des recherches de type expérimental plutôt quantitatives et orientées vers la vérification des résultats en termes d’état de santé des individus et de comportements, il semble nécessaire de développer d’autres approches pour rendre compte de l’évolution du bien-être ou de la cohésion sociale. Ce serait une responsabilité de la communauté des chercheurs en promotion de la santé.
Dans les lignes qui suivent, nous ferons un bref état de cette question à travers les exposés entendus. La contribution de la recherche y sera abordée.
Vous trouverez aussi en encadré les échos de notre participation à un atelier plus thématique consacré à la promotion de l’activité physique favorable à la santé (HEPA : Health-Enhancing Physical Activity). Les autres ateliers ainsi que certains exposés en plénière étaient consacrés à la promotion de la santé mentale, à la prévention des toxicomanies, à la promotion de la santé au travail ou à l’école, à la prévention des accidents ou des risques environnementaux et aux politiques nationales de promotion de la santé. Des informations sur ceux-ci sont disponibles dans le livre reprenant le résumé des communications.

Vers des pratiques efficaces fondées sur des preuves scientifiques?

D’emblée, Don Nutbeam indique la complexité de la question des ‘preuves scientifiques’ en promotion de la santé. Influencé probablement par la proximité des jeux olympiques (Don Nutbeam est professeur de santé publique à Sydney), il oppose le champ de la promotion de la santé identifiée à un match de water-polo et le champ de l’intervention médicale (chirurgicale par exemple) identifiée à une compétition de billard. Les participants sont dans un contexte différent avec des règles de jeu différentes. Le billard offre peu de surprises. Les règles sont précises et stables comme la surface de jeu. En promotion de la santé comme en water-polo les acteurs et l’environnement sont mouvants voire cachés. Une partie de l’action se déroule sous la surface! Il nous rappelle alors deux modèles conçus par lui en 1996 sur la complexité des résultats et des modes d’intervention en promotion de la santé. Il termine par une question: les ‘preuves scientifiques’ sont-elle vraiment des preuves en dehors de la communauté scientifique?
Gordon Macdonald nous présente ensuite, sur le thème du match de football, l’évolution des paradigmes de la promotion de la santé, du modèle bio-médical à l’analyse systémique qu’il prône. L’analyse des ‘outcomes’ héritée du modèle bio-médical reçoit une carte jaune.
Cet avertissement avant l’exclusion signifie que la question des résultats doit être sérieusement repensée. Pour lui, il faut clairement recueillir avec de nouvelles méthodes de nouveaux indicateurs pour de nouveaux critères (équité, cohésion sociale, développement durable).
Lawrence Green poursuit par une critique assez vive des concepts de la ‘preuve scientifique’ et des ‘bonnes pratiques’. La recherche actuelle ne peut avoir la prétention de proposer de bonnes pratiques scientifiquement fondées. Elle ne peut offrir que des réponses très partielles sur des situations artificielles, limitées et sur des effets à très court terme. Elle apporte encore peu de choses aux défis actuels de la promotion de la santé.
Green suggère de privilégier l’étude des processus en cours dans des programmes qui ne seraient plus ‘clés sur porte’, mais construit ‘sur mesure’ avec des cycles ‘diagnostic – évaluation’. Ces programmes seraient au service des usagers voire contrôlés par eux de manière à mieux s’adapter aux contextes socioculturels. Ainsi les recherches seraient plus fines et plus centrées sur la compréhension des phénomènes. Ces principes étaient étayés de nombreux exemples dans le domaine des politiques de contrôle de la consommation de tabac.
Deux exemples d’études sur des politiques locales de promotion de la santé nous ont été ensuite donnés, allant dans le sens de la compréhension de phénomènes complexes avec des méthodologies plus qualitatives.
Dans le premier, Evelyne de Leeuw nous présente une étude consacrée aux politiques de promotion de la santé menées par une dizaine de ‘Villes-Santé’ en Europe. Elle établit, à partir d’entretiens et d’analyse de documents, l’absence de relation entre l’existence préalable de compétences politiques en matière de santé au niveau local et le développement effectif de programmes de promotion de la santé. L’engagement volontaire serait un meilleur prédicteur. Toutefois, les données proposées, dont le projet ‘Liège-Santé’, ne semblent pas tenir compte de l’intrication de différents niveaux de compétences politiques (local, régional, national ou fédéral). Bien que novateur, ce travail montre que l’analyse politique en promotion de la santé exige encore davantage de recherche.
Pour sa part, Elisabeth Fosse utilise un modèle plus linéaire d’analyse politique pour étudier de manière qualitative les obstacles à l’implantation locale de trois programmes nationaux de promotion de la santé en Norvège. Elle note que les programmes traitant de sujets qui font déjà partie de l’action de santé publique institutionnalisée s’implantent mieux. Par contre pour les programmes développant une approche intersectorielle où la thématique santé n’est pas dominante, il semble que l’implication du secteur de la santé soit plutôt un obstacle à l’implantation. Elle y voit un dilemme pour la promotion de la santé et son idéologie ‘ bottom-up » basée sur l’engagement communautaire et l’ empowerment.

Des tabous à briser

La conférence s’est ensuite terminée sur une interpellation forte des chercheurs en promotion de la santé par Leif AarØ . Ceux-ci devraient bousculer certaines de leur certitudes comme l’importance de la santé publique pour la société, l’importance de la recherche pour les praticiens, le sous-financement de la recherche, la possibilité de démontrer l’efficacité, la possibilité pour eux de diffuser de ‘bonnes pratiques’. Pour cela, les chercheurs ne devraient plus prendre comme seul étalon de la qualité de leur travail l’opinion d’autres chercheurs (évaluation par les pairs).
Le constat est là. La plupart des grandes interventions de santé publique largement financées et menées par des chercheurs notamment dans le domaine de la prévention des maladies cardio-vasculaires sont des échecs. Les effets disparaissent rapidement après le départ des chercheurs. Par contre, les projets de petite taille, menés par des praticiens, ou les modifications de l’environnement physique ou socio-économique par les citoyens ou leurs représentants, ont eux des effets souvent persistants. La recherche se doit d’étudier le ‘monde réel’ et pas de créer un monde ‘virtuel’.
Un exemple de ces effets importants et persistants de l’action communautaire orienté vers l’environnement fut ensuite apporté par Leif Svanström en présentant le programme de préventions des traumatismes ‘ Safe Community ‘ (voir Education Santé n° 153 pour une application de ce concept en Communauté française).
En conclusion, il semble que la recherche en promotion de la santé soit bien consciente des limites de sa démarche et de la nécessité de travailler en profondeur pour comprendre la complexité des phénomènes qu’elle observe. Mais cette prise de conscience est encore loin d’avoir débouché sur des propositions méthodologiques concrètes et précises ou sur des résultats. Le chantier est néanmoins ouvert. Gardez un œil sur ce qui nous vient du nord !

La promotion de l’activité physique favorable à la santé: un exemple des apports et des limites de la recherche

A entendre les promoteurs de l’activité physique favorable à la santé, il n’y a plus de doute. Cette démarche a non seulement des bases scientifiques solides et acceptées (par consensus), elle est aussi réalisable sur un plan pratique et financier.
IIka Vuori et Pekka Oja de l’Institut finnois de la recherche en promotion de la santé UKK, responsable du réseau européen santé HEPA (Health-Enhancing Physical Activity) , nous ont fait une présentation fort complète de leurs arguments.
Une activité physique, quelle que soit sa nature (promenade, jardinage), d’une intensité modérée, quotidienne et d’une durée d’au moins 30 minutes a des effets physiologiques favorable à la santé.
De plus, les interventions pour modifier ou pour favoriser le niveau d’activité physique (formation, communication sociale, modification de l’environnement par exemple pour faciliter l’usage du vélo) sont efficaces. Il existe également des ressources (matériel, réseau) pour les soutenir au niveau européen. Il ne manquerait plus que la volonté politique d’appliquer ce type de programme.
Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Heureusement, certains doutes subsistent! Les travaux en atelier nous ont rassurés.
Une étude menée par Rinne et Mattila dans le même institut indique que les effets d’une formation donnée à des personnes sédentaires ont des effets à très court terme sur leurs comportements, qui ne peuvent entraîner aucun bénéfice pour la santé.
L’intervention doit être longue, répétée et le soutien social joue probablement un rôle déterminant. Le rôle de ce soutien est d’ailleurs confirmé par un travail réalisé à Copenhague par Christensen . Le maintien de l’activité physique est en relation avec l’importance des relations sociales créées à cette occasion. Ces deux études portaient sur un petit nombre de personnes.
Une autre étude par Foster analyse les résultats de quatre programmes nationaux de promotion de l’activité physique quotidienne et modérée. Cette analyse indique des divergences importantes dans la manière de mener les programmes et la difficulté (l’impossibilité!) de pouvoir comparer les données par manque de standardisation au niveau des indicateurs et des modes de recueil.
La présentation de Sjöstrom nous propose justement une telle standardisation. L’ International Physical Activity Questionnaire (IPAQ) se veut un instrument universel applicable partout dans le monde. Mais cet instrument d’observation de l’évolution du niveau d’activité physique est difficile à utiliser en dehors de systèmes de surveillance (monitoring) à l’échelon national ou international. Il est peu utile pour l’évaluation d’un programme particulier.
Pour ceux-ci Foster décrit, sur base d’une autre étude en Angleterre, le niveau d’attentes en matière d’évaluation de décideurs politiques et administratifs. Il le compare au niveau de compétences déclaré par des responsables de 86 programmes de promotion de l’activité physique. Le bilan est négatif. Il en conclut à la nécessité de construire ces compétences en matière d’évaluation par la formation ou la mise à la disposition d’outils d’évaluation.
Une dernière étude de Stal et Kannas met en évidence les difficultés méthodologiques d’une étude comparative des politiques menées en faveur de l’activité physique dans deux régions allemandes (est et ouest) et une région finlandaise.
Il semble malgré ces difficultés que les perceptions de la population et les différences observables dans l’offre d’infrastructures sportives et dans leur fréquentation sont liés au type de politique menée: promouvoir l’activité physique modérée du plus grand nombre (Finlande) ou promouvoir le sport et l’exercice (Allemagne).
En conclusion, la promotion de l’activité physique modérée et quotidienne apparaît comme un domaine à développer en Communauté française surtout dans le cadre de la nouvelle politique ‘sport et santé’. Mais les obstacles restent importants et les problèmes à résoudre fort semblables à ceux rencontrés dans d’autres secteurs: implication de la communauté, intersectorialité des politiques, évaluation du processus et des résultats.
Le questionnement lancé au cours de cette conférence des pays nordiques sur le rôle d’une recherche plus soucieuse de comprendre que de démontrer les ‘bonnes pratiques’ intervient ici aussi.