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L’éducation du patient à l’hôpital

Le 30 Déc 20

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Le Centre d’éducation du patient a organisé, le 21 octobre dernier, une conférence dont le thème était «Y a-t-il une place pour l’éducation du patient dans les hôpitaux?». Une question qui ne devrait pourtant plus se poser tant l’éducation du patient a démontré son efficacité dans le bon suivi et le bien-être des malades. Le problème est que si elle est organisée et structurée au sein de l’hôpital, elle coûte en temps et en personnel, donc demande des moyens financiers. Aussi dépend-elle non seulement des bonnes volontés des soignants et de la direction des hôpitaux, mais aussi des politiques.
L’éducation du patient regroupe différentes réalités, comme l’éducation à la santé des personnes saines en vue de la prévention, l’éducation à la maladie des personnes malades ou encore l’éducation de ces dernières à leurs traitements.
Cette information peut être dispensée par un médecin externe, généraliste ou spécialiste dans son cabinet, par un médecin hospitalier ou une infirmière, voire par des associations de patients. Nous nous limiterons à la problématique des soignants hospitaliers et à leur situation particulière. Même si la question reste posée pour les généralistes, par exemple, dont le temps de consultation est compté et qui ne sont peut-être pas rétribués comme il le faudrait lorsqu’ils apprennent à un malade à comprendre sa maladie et à la canaliser en dehors des périodes de crise, comme dans le cas de l’asthme.

Poupée russe

« L’éducation du patient pourrait être personnifiée’ par une poupée russe qui renferme les différents groupes de patients . La plus grande représente l’éducation à la santé du patient . C’est le cas de la femme enceinte par exemple , dans sa relation avec un professionnel de soins . Elle n’est pas malade , jusqu’à preuve du contraire , mais son état nécessite une information pour conserver une bonne santé . Pour le gynécologue , elle n’en est pas moins une patiente dont certains aspects de la vie peuvent nécessiter une adaptation , avec une explication sur cette adaptation », explique Jean-Luc Collignon , directeur du Centre d’Education du patient. Il inclut également dans cette catégorie les patients atteints d’une maladie chronique mineure (eczéma, allergies, hypertension légère) correctement contrôlée et ne nécessitant pas de traitement. « A l’intérieur de cette poupée , on trouve celle qui regroupe les patients atteints d’une maladie chronique qui nécessitent des soins réguliers et répétitifs : c’est l’éducation du patient à sa maladie qui recouvre à la fois la gestion du traitement , l’aspect curatif et la prévention de complications ainsi que la vie avec la maladie ou le handicap . Dans ce dernier cas , le soignant s’intéresse à la façon dont le patient accepte son état et gère ses problèmes au quotidien , incluant les traitements , la prévention des complications et des rechutes , l’impact de la maladie sur la vie personnelle , familiale , professionnelle , sociale , etc . Pour terminer , la plus petite poupée est celle de l’éducation thérapeutique pure du patient , c’est à dire celle qui vise à aider le patient à prendre en charge son traitement . Prenons le cas ici de l’asthmatique à qui on apprendra à adapter les doses de médicaments , manipuler l’inhalateur , comprendre le peak flow , etc . ou le diabétique à qui l’on apprend à contrôler son taux de glucose et à s’injecter son insuline . Autrement dit , les malades chroniques sont formés à l’autogestion , à l’adaptation du traitement aux crises ou aux périodes de latence , pour leur permettre de faire face au suivi quotidien
Le but de cette éducation du patient est d’aider le patient, mais aussi son entourage à gérer le traitement et prévenir les complications, tout en maintenant, voire en améliorant, sa qualité de vie. Un complément bien nécessaire aux effets des autres interventions, qu’elles soient d’ordre pharmacologique, de kinésithérapie, diététique ou autres.

Une information sur mesure

« La démarche éducative doit être structurée , adaptée au patient et au contexte dans lequel il évolue , ce qui demande une évaluation de la part du soignant . Elle doit aussi être intégrée aux soins , avec une information et une sensibilisation sur la maladie , ses complications , ses risques , si nécessaire un apprentissage ( comme , dans le cas du diabète , celui de l’injection ), un accompagnement psychologique et enfin un soutien social qui devrait , idéalement , se poursuivre après l’hospitalisation », poursuit Jean-Luc Collignon.
Les soignants doivent aussi toujours garder à l’esprit que même lorsqu’ils font de l’éducation du patient, la relation qu’ils entretiennent avec lui est déséquilibrée. D’une part, le patient reste le malade dans un état d’anxiété, de faiblesse; d’autre part, il y a le soignant, représentant du savoir, donc du pouvoir. Cette relation sera par ailleurs influencée par la représentation que le patient a de sa maladie et des médecins… Malgré cela, il doit participer activement à cette démarche. Aussi faut-il dépasser ce cadre relationnel qui peut constituer un frein, et transformer la relation radicalement, pour que l’éducation du patient passe par le dialogue et la construction d’un projet commun, qu’elle devienne « une démarche basée sur l’écoute , la négociation avec le patient , le transfert de compétences et le partage des responsabilités
Mais pour être bien suivie, l’éducation du patient doit avoir un sens pour celui-ci: « Elle n’est possible que s’il y trouve , au présent , un intérêt , une satisfaction , voire du plaisir , s’il peut l’intégrer à ses projets de vie , à son avenir , s’il peut la situer par rapport à son passé , son histoire personnelle et familiale et par rapport à sa culture .» Il n’est pas aisé de conseiller à un gros fumeur d’arrêter de fumer pour éviter le cancer ou toute autre maladie pulmonaire; ou de demander à un cadre habitué des restaurants avec les clients d’adopter une alimentation plus saine… En cas de rejet de la part du patient, le soignant ne doit pas hésiter à se remettre en question. « Si nous prenons l’habitude de questionner le patient sur les informations qu’il reçoit , de réfléchir , de dialoguer , d’argumenter , de rechercher avec lui les autres solutions , il saura aussi mettre en œuvre ces compétences vis à vis de nous et de notre modèle éducatif …», conclut Jean-Luc Collignon.

Des blocages institutionnels et financiers

L’hôpital, à côté des médecins généralistes et spécialistes extra-hospitaliers ou des associations de patients, peut jouer un rôle dans l’éducation du patient, notamment lorsqu’ils sont hospitalisés.
Ce moment «idéal» où il peut mesurer les conséquences de comportements inadéquats par rapport à sa maladie le rend peut-être plus réceptif à des messages pratiques de prévention et de bonne gestion de sa maladie. Malheureusement, l’hôpital souhaitant mettre en pratique cette éducation rencontre différents freins dont le moindre n’est pas celui du manque de financement de ses programmes d’éducation du patient, et a fortiori celui d’équipes, généralement d’infirmières, spécialement formées.
Car éducation du patient est synonyme de temps: du temps passé à expliquer au patient, un temps qui a un coût que peu veulent assumer. Selon l’interprétation de chaque niveau de pouvoir, il est possible de se renvoyer sans fin la responsabilité de financer ce «service» pourtant bien utile et efficace. Hôpitaux? Cela relève du fédéral! L’éducation du patient est une mission des médecins généralistes dans le suivi des malades: allez voir à la Région wallonne! L’éducation du patient fait partie de la promotion à la santé? C’est de la compétence de la Communauté française… Les hôpitaux qui ne débloquent pas d’initiative des fonds pour l’éducation du patient n’ont eu, jusqu’à présent, que peu de soutien des pouvoirs publics…
D’autres freins se dressent également, plus liés au fonctionnement. « A l’hôpital , les différents métiers sont encore trop cloisonnés . Il y a trop peu de lieux pour travailler ensemble , trop peu de projets réalisés en interdisciplinarité . Du fait même des différences de statut entre les acteurs de soins impliqués , les uns indépendants et les autres salariés , les logiques de travail sont très différentes ce qui constitue un obstacle important au travail interdisciplinaire . Un autre problème rencontré relève du facteur humain : il est difficile de dégager un coordinateur de projet et une équipe pour le seconder . Certains hôpitaux ont nommé’ une personne de référence chargée de développer l’éducation du patient . Ils ont tiré profit pour cela de la loi sur les hôpitaux qui permet de confier plusieurs missions aux infirmières chefs de service , comme la gestion d’unités de soins , d’unités médico techniques , mais aussi de l’art infirmier qui inclut l’éducation du patient . Enfin , on s’en doute , il y a des contraintes d’ordre financier : l’éducation n’est une priorité ni pour le législateur , ni pour les hôpitaux . Les projets qui émanent de personnes individuelles ou de groupes au sein de l’hôpital ont un financement de bric et de broc’ . Il est donc difficile de mettre en place dans ces conditions des structures dédiées à l’éducation du patient . Alors certains hôpitaux misent sur le sponsoring …», poursuit Francine Duchateau , de l’Intercommunale hospitalière Famenne Ardenne Condroz. Il s’agit d’offrir par exemple aux patients des brochures publiées par l’industrie.

Bon pour l’hôpital!

Alors, les hôpitaux auraient-ils raison de se désengager de cette coûteuse mission pour la laisser à d’autres? Ne pourraient-ils pas y trouver avantage?
C’est ce que croit Benoît Hallet , directeur des Cliniques universitaires de Mont-Godinne: « Un hôpital peut se différencier tant en termes de qualité que de rentabilité par une politique d’éducation du patient », estime-il. En bon gestionnaire, il en a évalué le coût et le bénéfice tant pour le patient que pour l’institution de soins ou pour la santé publique. « Pour les patients , les études sont claires : grâce à l’éducation du patient , on constate une meilleure prise en charge , une plus grande autonomie , par exemple dans la prise des traitements dans le cas notamment du diabète , un exemple type en termes d’éducation du patient .
On constate également une meilleure acceptation de la maladie , une diminution de l’anxiété et aussi une diminution des inégalités face à la maladie . Bref , les choses sont entendues : l’efficacité de l’éducation du patient est claire !», soutient-il.
« Sur le plan socio économique , le nombre d’hospitalisations est réduit . Par exemple , dans le cas des diabétiques , lorsqu’ils sont bien éduqués à leur maladie , ils ne vont pas attendre pour traiter des débuts d’escarres , par exemple , et ne seront pas hospitalisés . La durée de séjour est également diminuée car on constate chez ces patients une meilleure observance des traitements . Tout ceci a un effet positif sur les taux de morbidité et de mortalité ».
Pour l’hôpital, il a constaté que l’éducation du patient s’accompagne d’une diminution des complications post-opératoires ou post-hospitalisation, de la durée de la convalescence qui, améliorée, induit un absentéisme moindre, donc des coûts indirects plus bas. Cela devrait parler à l’Etat qui peut également s’y retrouver puisque le nombre de ré-hospitalisations est réduit, ainsi que la prise d’antidouleurs, notamment.
Pour obtenir une efficacité optimale, l’éducation du patient doit être dispensée par du personnel qualifié. Et qui dit personnel qualifié dit formation spécifique qui a un coût, de même que le fait de permettre à ce personnel formé de passer du temps avec les patients pour les éduquer. « Les modalités actuelles de financement ne favorisent pas le développement de l’éducation du patient : financement à l’acte , quota minimum de journées et sous financement systématique du secteur ne permettent pas de voir à long terme . Pour y remédier , il faudrait des financements forfaitaires par patient , des incitants financiers à la diminution de la durée de séjour en hôpital , des incitants à la prise en charge multidisciplinaire ( à travers des conventions Inami et qui peuvent induire des débats entre intervenants pour trouver des stratégies d’efficacité ), des incitants à la mise en place de filières de soins notamment en impliquant les médecins généralistes ou les soins à domicile , et enfin des incitants à la mise en place de réseaux intra et extra hospitaliers
Il préconise donc de désigner un responsable spécialisé en éducation du patient entouré d’un comité de pilotage, ou de coordination, multidisciplinaire.
Benoît Hallet a évalué le coût d’une pareille structure: 0,05 équivalent temps plein (ETP) par tranche de 20 lits justifiés dans les hôpitaux aigus et par 20 lits spécialisés agréés. Donc 1 ETP pour 400 lits justifiés. « On parvient à un budget d’environ 7 millions d’euros , soit 0 . 03 % des dépenses totales fédérales de santé …» Le tout soumis à un contrôle budgétaire strict.
Mais ces chiffres s’inscrivent néanmoins dans le cadre d’un budget toujours plus critiqué et plus étriqué qui permet peu de marge de manœuvre pour l’engagement de personnel soignant supplémentaire.

Une notion qui fait son chemin

Depuis 20 ans, l’Education du patient (EDP) fait son chemin partout ailleurs en Europe, mais à des rythmes différents. « C’est aux Pays Bas qu’elle a été le plus développée , avec des critères de qualité importants . Elle est organisée autour de 5 axes : un axe légal comme la loi sur les droits des patients ; un financement important des projets pilote et de la recherche , avec la création de postes de coordinateurs d’EDP dans chaque hôpital et l’engagement d’infirmières spécialisées ; l’introduction de l’EDP dans les critères de qualité des hôpitaux ( en médecine et pour les professions paramédicales ); le développement rapide de programmes de formation des professionnels de soins et enfin , une place importante accordée aux associations de patients », explique Joëlle Berrewaerts , de l’Ecole de santé publique de l’UCL.
On trouve une autre logique en Suisse, où l’initiative est venue des institutions privées, poussées par les associations de patients. Le financement et le remboursement par des compagnies d’assurance de santé a alors suivi, donnant l’impulsion.
En France, des initiatives intéressantes sont menées dans un cadre plus global. Il faut bien avouer qu’en plus d’une reconnaissance de l’EDP par les instances officielles de la santé, on assiste à un début de reconnaissance financière, donc une multiplication des projets expérimentaux.
Joëlle Berrewaerts a épinglé deux projets: le premier concerne huit «pôles de prévention et d’EDP» en Picardie, l’autre la création du «pôle Santé du Douaisis».
Le premier projet relie 8 pôles à Amiens, Laon, Abbeville, Creil, Beauvais, Soisson, St-Quentin et Compiègne, tous créés entre 1998 et 2002. Ils sont financés par l’Agence régionale d’hospitalisation (ARH) et sont centrés chacun autour d’un «hôpital pivot», avec une coordination centrale. « Leur objectif est de renforcer les liens ville hôpital et le travail de prévention en milieu ambulatoire . Le médecin généraliste y est le pilier de la prise en charge : c’est lui qui réfère ses patients à l’un des pôles et ils lui seront renvoyés ensuite .
Les patients trouvent une équipe pluridisciplinaire de 3 à 9 personnes : médecins , infirmiers , diététiciens , psychologues , podologues , secrétaires , assistantes sociales , chapeautés par un coordinateur responsable du pôle , généralement tous à temps partiel . Ils vont mener des activités de prévention et d’éducation des patients atteints de maladies chroniques essentiellement , dans ce cadre , les maladies cardiovasculaires . Ils vont aussi coordonner et participer aux actions locales développées dans les champs de la prévention et organiser des actions de formation de soignants aux pratiques d’EDP
Ces activités pour les patients passent par un contrat d’éducation thérapeutique qui encourage le patient à assister à des séances d’éducation individuelles ou collectives, suivre une consultation de synthèse et une autre de suivi éducatif. Chaque équipe communique avec les généralistes et les autres professionnels de la santé impliqués, fait participer les patients à la conception et l’évaluation des séances éducatives, fait la promotion de la santé vers le grand public et le personnel de santé, organise des formations à l’éducation du patient… Tous ces pôles se soumettent régulièrement à une évaluation de leur activité.
Par ailleurs, les 8 pôles du réseau restent en contact entre eux par l’échange d’expérience, la diffusion d’informations ou l’organisation de formation continue.
« Ce type de structures a des avantages : il offre aux soignants un service , une aide à l’accompagnement , établit le lien entre ville et hôpital , peut se concentrer uniquement sur la prévention et l’EDP sans se focaliser sur les aspects liés aux soins et permet une prise en charge de plus longue durée que celle proposée lors d’un séjour à l’hôpital . Mais il présente aussi des inconvénients : les pôles se situent dans l’hôpital sans vraiment en faire partie et ne bénéficient pas toujours d’une véritable reconnaissance de l’institution . Certains pôles éprouvent aussi des difficultés à travailler avec certains médecins de ville parce qu’ils manquent encore de crédibilité et de légitimité
L’initiative du Douaisis fonctionne un peu comme ce projet, mais se focalise sur les maladies chroniques (diabète, asthme, obésité, hypertension) et les soins palliatifs à domicile. Il est par ailleurs né d’une initiative de professionnels de terrain en partenariat avec les associations de patients. « Ce pôle a créé un Dossier Patient Partagé facilitant les échanges entre soignants . Il octroie des aides financières pour les consommables en soins palliatifs et pour une aide à domicile , propose un site internet avec des référentiels de soins et offre aux soignants la possibilité d’être rémunérés pour des actes d’éducation du patient
Ces initiatives ont le mérite d’éviter certains écueils, mais ne doivent leur survie qu’à une reconnaissance politique. Chez nous, point encore d’initiative de cette ampleur. Mais peut-être la Belgique, par son fonctionnement particulier, n’est-elle pas prête, voire pas intéressée par une éducation du patient à l’hôpital?
Carine Maillard
Centre d’éducation du patient asbl (aide méthodologique, production d’outils d’information, évaluation, documentation, formation), rue Fond de la Biche 4, 5530 Godinne. Tél.: 082 61 46 11. Fax: 082 61 46 25. Courriel: cep_godinne@skynet.be.

Le tabac: manières de voir d’adultes et de jeunes

Le 30 Déc 20

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Deuxième partie: les représentations autour d’une problématique complexe

Le cadre de travail: une recherche action

C’est par une recherche-action en promotion de la santé que le service prévention tabac a décidé avec ses partenaires (le Centre local de promotion de la santé de Bruxelles, Infor-Drogues, Modus Vivendi, PROMES-ULB et Prospective Jeunesse) d’envisager de nouvelles pistes de prévention concernant les jeunes et le tabac. Dans un processus de promotion de la santé, outre l’activation d’un partenariat, la mise en évidence des représentations des acteurs avec lesquels il semble opportun de travailler est un point de départ fécond.

L’intérêt des représentations

Une représentation c’est ce que les personnes ressentent et pensent, par exemple de la santé, de la prévention, de l’usage de tabac, c’est-à-dire la conception qu’elles en ont (Coppe M., Schoonbroodt C., voir bibliographie à la fin du texte). Les représentations comportent des éléments de savoir scientifique, d’information générale, des opinions, des images, des normes, des croyances, des valeurs, des modèles de comportement (Ossiek-Parisod F.).
Nos représentations organisent nos expériences et donnent un sens à nos pratiques. Même si notre représentation d’une réalité est personnelle, elle a aussi un caractère social, dans certains contextes nous la partageons avec d’autres. Nos représentations déterminent nos actions et nos conduites et donc aussi la démarche de prévention pour laquelle optent une maison d’accueil, une école ou toute autre institution. Ceci dans le cadre d’un choix institutionnel, implicite ou plus formalisé, concerté ou plus directif.

Le point de vue de différents acteurs

Notre préoccupation de professionnels de promotion de la santé se porte sur les relations des jeunes au tabac. Par souci d’efficience, une démarche de prévention à mettre en œuvre avec des adultes accompagnant les jeunes est privilégiée, les jeunes sont considérés comme des acteurs à part entière, le partenariat est choisi comme méthode de pilotage.
Chacun de ces acteurs occupe une position différente dans l’espace social et développe un point de vue différent sur cet espace social. Tout acteur peut être caractérisé par des éléments mesurables de cette position mais aussi par la représentation qu’il en a. Des données sur le tabac, le sexe, l’âge, l’origine socio-économique, le nombre de cigarettes consommées, la régularité ou non de l’usage sont disponibles. Ces données ne suffisent cependant pas pour envisager l’ensemble des usages et permettre une analyse des enjeux personnels, relationnels, institutionnels d’une démarche de promotion de la santé associant les acteurs concernés. L’émergence des représentations de ces acteurs apporte ainsi une autre facette objective de la problématique (Bourdieu Pierre).

Construire un fait social…

Considérons la relation des jeunes au tabac comme un fait social: cela implique de prendre connaissance de ces relations, d’écouter différents échos à partir de différents points de vue sur l’espace social, et de développer une approche compréhensive (considérer le plus largement possible l’ensemble des aspects de la problématique considérée).

…et le réinvestir

La démarche de promotion de la santé met ce fait social construit en dialogue avec les pratiques professionnelles pour y réintégrer quelque chose qui appartient aux acteurs impliqués et qui est de l’ordre du changement.

A l’écoute des acteurs

Les acteurs rencontrés pour ce travail sont 30 travailleurs de terrain qui accompagnent des jeunes et trois groupes ES-Pairs (l’expression a un double signifié: expert et entre pairs) réunissant 25 jeunes entre 12 et 17 ans.
Des entretiens semi-directifs ont permis de rencontrer des services résidentiels et non résidentiels d’aide aux jeunes. Soit des organismes tels que: services d’accueil et d’accompagnement des jeunes en milieu ouvert, coordination assuétudes, service d’aide et d’intégration sociale, planning familial et services de prévention, services résidentiels mandatés par l’aide à la jeunesse et internat scolaire.
Dans le milieu scolaire les institutions rencontrées sont des centres psychomédicosociaux , centre d’enseignement et de formation en alternance, coordination santé, coordination pédagogique, service promotion de la santé à l’école, des médiateurs scolaires.
Les groupes ES-Pairs ont été organisés dans une maison de jeunes, un service résidentiel mandaté par l’aide à la jeunesse, un service d’accueil et d’accompagnement en milieu ouvert.

L’émergence des représentations

Les entretiens semi-directifs et les débats des groupes ES-Pairs ont été analysés avec les partenaires du service prévention tabac. Des groupes de représentations nuancées ont émergé autour de notions clés qui sont autant de préoccupations pour les acteurs.
Ci-dessous sont énoncées différentes représentations qui ont émergé des rencontres, d’une part avec les adultes et d’autre part avec les jeunes. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise représentation. L’intérêt est leur diversité et les nuances qu’elles apportent. Il est utile de prendre conscience de la mesure dans laquelle ces différentes représentations déterminent les attitudes personnelles, collectives et institutionnelles qu’il s’agisse des jeunes ou des adultes. Un commentaire en italique accompagne certaines représentations en éclairage complémentaire.

Représentations en termes de priorité

La priorité a été déclinée par les adultes en termes de temps, de dangerosité ou par rapport aux compétences et aux missions.
Pour les travailleurs de services non résidentiels d’aide aux jeunes le tabac est vécu comme un problème à long terme, ils ne disposent pas du temps nécessaire pour travailler convenablement. Au regard de leurs missions, certains adultes ne voient pas de lien direct avec le tabac. Ils se définissent comme «non compétents» par rapport à cette matière. Si un problème se pose, ils préfèrent faire appel à des spécialistes.
Pour certains, le tabac est moins prioritaire en termes de dangerosité. Contrairement aux autres drogues, il n’induit pas de modification de comportement
Les adultes de la plupart des services non résidentiels d’aide aux jeunes ne considèrent pas le tabac comme une priorité notamment au regard d’autres problématiques (alcool, drogues, décrochage scolaire…).
Ces professionnels construisent leurs actions sur base des interpellations des jeunes. Si les jeunes ne présentent pas une volonté manifeste d’aborder certains sujets, on n’en parlera pas facilement.
Selon les adultes de ce secteur la plupart des jeunes fumeurs ne vivent pas leur consommation comme un problème.
Il n’y a donc pas de demande directe des jeunes vers les adultes . Parmi les préoccupations des jeunes , le tabac arriverait dans les dernières positions .
Par contre, pour quasi l’ensemble des acteurs du milieu scolaire le tabac est un sujet préoccupant. C’est un phénomène visible qui pose question dans l’école, il fait partie des sujets à aborder dans l’environnement scolaire.
Mais, que la consommation de tabac soit complètement interdite pour les élèves ou que les plus grands aient un lieu pour fumer dans l’école, les acteurs sont perplexes quant à la manière dont l’école prendrait en considération cette problématique.
Plus encore que l’alcool, le tabac est une consommation visible et peut être perçue par certains comme problématique.
Différents textes légaux régissent les consommations à l’école et mettent cette question à l’agenda des chefs d’établissement.

Selon des jeunes, lorsqu’ils fréquentent un lieu pour se délasser (maison de jeunes par exemple) ils n’ont pas envie qu’on les empêche de fumer. Des jeunes de 13-15 ans considèrent que c’est bien de parler du tabac, mais en s’adressant aux plus jeunes qui n’ont pas encore commencé.

Représentations en termes d’adulte modèle

Pour les adultes être fumeur ou non fumeur influence la représentation de leur propre image comme modèle.
Des personnes interrogées pensent que les jeunes sont sensibles à l’authenticité de l’attitude des adultes.
L’adulte se sent investi d’un rôle exemplatif, en fonction de comportements de consommation adoptés ou non par lui, il estimera avoir une légitimité ou non à parler. Tant du point de vue des adultes que des jeunes il semble que c’est principalement l’authenticité de la relation qui donne du sens. Cette authenticité peut s’imaginer aussi bien à un niveau personnel qu’institutionnel.
Des adultes pensent que les attitudes adoptées à la maison et à l’école ne sont pas forcément complémentaires.
La santé, c’est aussi une histoire de famille. Il n’y a pas forcément concordance entre les modèles familiaux et scolaires. Certains milieux familiaux seront plus en adéquation avec le discours de l’école. Il est intéressant de prendre conscience de ces différences, de se préoccuper du contexte de vie des jeunes.
Selon les jeunes, l’éducateur fumeur est perçu comme quelqu’un dont le message est crédible: «il sait de quoi il parle, qu’il parle de sa propre expérience ou de lui-même».
Certains jeunes perçoivent l’adulte non-fumeur davantage comme quelqu’un qui pourrait poser un interdit.
Beaucoup perçoivent chez les adultes un côté moralisateur: ‘ Tous les adultes ont le même discours , il ne faut pas fumer , même quand ils ont une cigarette en bouche ‘. L’adulte peut leur parler de la cigarette mais pas pour dire que ce n’est pas bon.
Au-delà des incohérences des adultes, certains jeunes soulignent l’incohérence de l’Etat: ‘ L’Etat n’en a rien à faire que tu fumes ou pas , car il gagne de l’argent sur les paquets ‘.

Représentations du produit tabac

Généralement les adultes font un lien entre tabac et dépendance. Il n’y a pas d’association spontanée aux drogues.
On peut appeler drogue toute substance psychoactive qui provoque un état modifié de conscience.
Il y a souvent un amalgame entre le caractère illégal et la dangerosité d’un produit. Les «drogues» sont vues comme entraînant un risque d’exclusion sociale, de marginalisation.
Les risques sont perçus à court terme pour les produits considérés comme « drogues » (alcool/ivresse, héroïne/overdose, ecstasy/déshydratation). En ce qui concerne le tabac, les risques sont perçus à long terme.

En évoquant la drogue les jeunes pensent au cannabis et pas spécifiquement au tabac. ‘Ceux qui fument un joint, ils dorment en classe, ils déconnent avec les profs et ne s’en souviennent pas’. Les jeunes trouvent que c’est normal que le joint soit interdit à l’école.
Il y a une prise de prise de distance par rapport au joint en raison de changements de comportement observés.

Représentations de la place de l’école dans la promotion de la santé

Les adultes se répartissent entre deux pôles, certains considèrent l’école comme un lieu de socialisation, d’autres, comme un lieu de contrôle social.
Pour des acteurs du milieu scolaire, l’école n’est plus uniquement un lieu de transmission du savoir. Elle doit également s’ouvrir sur d’autres apprentissages (les «choses de la vie»). Les professionnels de l’école voient positivement l’augmentation du nombre d’intervenants extérieurs.
Le revers des partenariats extérieurs est parfois le manque de prise de conscience des différents cadres de référence.
L’école secondaire est perçue par certains comme une entreprise de contrôle social.
La place de l’élève est pour eux plus cadenassée par crainte de débordements.
Pour ces acteurs, accompagner des jeunes dans un lieu de vie, partir de leurs demandes n’est pas en ambivalence avec occuper une position pédagogique ou d’éducation, être un référent de manière institutionnelle et personnelle.
Selon les jeunes, le règlement est imposé, il n’y a pas de concertation. Selon eux, ce n’est pas à l’école de décider s’ils peuvent fumer ou pas, «sauf pour les plus jeunes car en 1e et en 2e, on n’est pas encore accros.»
Par contre pour certains jeunes rencontrés, «les parents c’est normal qu’ils interdisent».

Représentations de la place du tabac dans la vie des jeunes

Selon les adultes le tabac remplit différentes fonctions.
La consommation de tabac est associée par certains au plaisir. Des relais de service non-résidentiels d’aide aux jeunes, et plus particulièrement les fumeurs, pointent la «nécessité» de reconnaître le plaisir associé à la consommation de tabac. Pour certains, c’est primordial. Les jeunes ne vont pas fumer s’ils n’en tirent aucun bénéfice, ils ne fument pas sans raison.
D’autres accordent une fonction occupationnelle au tabac, ils pensent que pour «éviter que les jeunes ne fassent des bêtises» il faut les insérer dans des activités, notamment sportives.
D’autres adultes ont amené l’idée qu’il n’y a pas de causes spécifiques aux toxicomanies et donc pas une démarche univoque pour aborder les consommations.
La notion d’effet «dé-stressant» est présente chez bon nombre d’adultes.
Certains adultes émettent l’avis que les jeunes fument plus qu’avant. Cette constatation est mise en parallèle avec la recherche par les jeunes d’une certaine reconnaissance en consommant du tabac («Je fume donc je suis!») ou encore avec une pression accrue exercée sur le jeune par le milieu scolaire et le milieu familial.
Selon les jeunes il y a différentes motivations liées aux premières cigarettes: se donner un genre, faire comme les autres, être dans le “move”, transgresser… Dans les motivations à fumer, le fait qu’il n’y ait ‘rien à faire’ entre parfois en jeu. Pour certains commencer à fumer c’est l’accès à la liberté.
Les jeunes qui ont un usage plus régulier du tabac évoquent d’autres motivations, gestion du stress, mal-être.

Représentations de la place de la parole

Selon les adultes, le tabac est surtout une source de conflit chez les adultes.
Des acteurs du milieu scolaire considèrent que chez les adultes aussi bien que chez les jeunes, il peut y avoir des questions sous-jacentes au tabac.
Des difficultés peuvent être rencontrées, pour aborder ce sujet avec les adultes car cela touche parfois à l’intime. A la question du tabac, certains réagissent préférentiellement en tant que personnes. Il y a par exemple presque toujours émergence de la question de la cohabitation fumeur-non fumeur.
Des acteurs scolaires évoquent un manque de dialogue, de temps et de logistique pour aborder la question des consommations à l’école.
Bien souvent annoncer dans une classe, «aujourd’hui on va parler du tabac» ça ne marche pas, le choix du sujet et du moment est effectué par l’adulte. Il serait bien de promouvoir des espaces de parole pour faire émerger le désir de parler, une demande… dans un climat de confiance.
Certains adultes considèrent que chacun consomme ce qu’il veut du moment qu’il n’ennuie pas les autres.
Pour ces adultes la question du tabac n’est pas une question précise sur laquelle donner un temps ou un lieu de parole .
Les jeunes apprécient de pouvoir parler librement. ‘On peut en parler, en discuter librement mais sans message moralisateur’. ‘Ca m’intéresse d’avoir l’avis des autres. C’est rare qu’au foyer, on aborde des sujets qui concernent tout le monde, qu’on fume ou qu’on ne fume pas’. Les jeunes attendent des adultes qu’ils essaient de comprendre pourquoi ils fument avant d’interdire.
Ils attendent que leur vécu soit pris en compte et que les conséquences d’une décision soient mesurées . En l’absence de toute concertation les jeunes qui se sentent en « manque » vivent très mal la proximité d’adultes fumeurs , ils se sentent bafoués en tant que personne .

Représentations à propos des risques

Selon les adultes des services d’aide aux jeunes, les jeunes sont conscients des risques.
Certains adultes considèrent que les jeunes en difficulté ont d’autant plus difficile à anticiper les risques.
Dans un ouvrage intitulé ‘La débrouille des familles’, Pascale Jamoulle montre que les risques sont relatifs en fonction du contexte de vie des personnes. Les familles en exclusion sociale développent des circuits parallèles d’intégration.
Pour l’ensemble des adultes les jeunes sont dans l’ici et maintenant.
«La grande majorité des jeunes scolarisés rencontrés… connaissent précisément les risques associés aux produits qu’ils-elles consomment et ne songent pas à arrêter. Ceci montre bien que la connaissance des dangers d’un produit n’en limite pas la consommation. Nous postulons même que l’arrêt de la pratique peut représenter un risque d’ordre social et individuel plus important que le risque de santé.» (Sophie Le Garrec)
Les jeunes fumeurs débutants ont le sentiment de «pouvoir arrêter quand ils veulent’. Les fumeurs plus réguliers disent qu’à un certain point, on ne peut plus arrêter aussi facilement. Par rapport à la gestion proprement dite de la consommation, certains pensent qu’on devient directement dépendant, d’autres pensent que ‘ça dépend des personnes’.

Représentation des discours (à) adopté(r)

Selon les adultes des services non-résidentiels d’aide aux jeunes le discours d’abstinence est perçu, par le jeune, comme un discours d’exclusion alors que la tolérance est une valeur importante pour les jeunes.
Le discours d’abstinence stigmatise le comportement et la personne. Cela ne sert à rien de parler d’abstinence à quelqu’un qui n’a pas envie d’arrêter. Il est important de s’attacher au contexte particulier dans lequel évolue la personne.
Des adultes hésitent entre discours d’abstinence et de réduction des risques.
Beaucoup de services non résidentiels d’aide aux jeunes pensent qu’on attend d’eux un discours de tolérance zéro, alors qu’intuitivement ils aimeraient peut-être tenir un autre propos (gestion, réduction des risques…).
Ce discours du tout ou rien constitue un obstacle et amène certains intervenants à ne pas parler du tout du tabac. Les équipes travaillant déjà dans une optique de réduction des risques liés à l’usage des drogues ont une vision généralement plus ouverte de ce que pourrait être la promotion de la santé en matière de tabac.
Selon des acteurs scolaires l’école privilégie le discours d’abstinence. Ils constatent que dans les écoles, la notion de bon usage n’est pas facilement intégrée. L’école est perçue par certains comme un lieu où il est difficile d’entamer un dialogue sur les consommations intégrées dans les habitudes de vie.
D’autres pensent que parler des consommations c’est inciter à consommer.
Pour certains acteurs de terrain, issus de services d’aide, le fait de mener une action à propos du tabac peut donner envie à certains jeunes de fumer: soit en donnant l’idée d’expérimenter la consommation, soit en renforçant un comportement existant.
Dans certaines circonstances si on en parle autrement du tabac que pour interdire, c’est comme si un espace de permission s’ouvrait.
Des jeunes considèrent que ce que disent les adultes et la presse est exagéré. Ils préfèrent voir par eux-mêmes plutôt que d’avoir des discours tout faits.
Certains vivent mal l’interdit pur, car ‘ interdire sans expliquer incite ‘, ‘ je ne supporte pas qu’on me donne des ordres ‘.

Brève conclusion

La lecture de ces différentes représentations donne un aperçu de la complexité de ce type de problématiques liées aux assuétudes . Une approche de promotion santé ne peut être simpliste , unilatérale ou univoque . Interroger le sens des consommations dans la vie des acteurs permettra de développer une démarche qui a une chance de leur appartenir . Le débat est ouvert !
Cécile Plas , sociologue, coordinatrice promotion santé du service prévention tabac de la FARES.

Bibliographie

BOURDIEU Pierre, entretien avec l’historien Roger CHARTIER, ‘Le monde me comprend mais je le comprends’, diffusé dans ‘Les chemins de la connaissance’ partie 3, France Culture, 1988. Site web Sociotoile – thème: rupture épistémologique.
COPPE M., SCHOONBROODT C., ‘Guide pratique d’éducation pour la santé’. Ed. De Boeck, 1992.
JANSSEN Bérengère, PLAS Cécile, “Tabac: recherche et développement de pistes de prévention dans différents milieux de vie des jeunes. 1ère partie: regards d’acteurs.» Rapport de recherche, décembre 2003.
LE GARREC Sophie, ‘Tabac, alcool, cannabis: pour une approche sociologique’, Université de Fribourg, septembre 2002.
OSIEK-PARISOD F, ‘C’est bon pour ta santé. Représentations et pratiques familiales en matière d’éducation pour la santé’, Genève, Cahier de la Recherche Sociologique, n° 31, 1990.

De la participation: un éventuel mythe, obligatoire?

Le 30 Déc 20

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1997 marque l’entrée officielle, décrétale même, du concept de promotion de la santé en Communauté française. D’éducateurs pour la santé, de nombreux professionnels sont devenus par la magie des mots «promoteurs de la santé», avec une extension théorique de leur champ de compétence qui donne le vertige.
Au fil des années, cette mutation et les concepts qui l’accompagnent ont soulevé bien des interrogations. Soucieux de quitter quelques instants nos préoccupations opérationnelles, de prendre un peu de recul par rapport à nos pratiques quotidiennes, le Service communautaire de promotion de la santé – asbl Question Santé a sollicité un regard extérieur au secteur de la santé, celui de la philosophie. Voici donc la trace écrite laissée par des entretiens libres au cours desquels Samantha Crunelle, philosophe, a partagé avec nous divers questionnements. Ces quelques réflexions exigeront sans doute un petit effort de la part du lecteur, mais nous pensons que cela peut être fécond.
Après un premier article qui présentait quelques notions fondamentales, le second s’intéresse aujourd’hui au concept de la participation.
SCPS – Question Santé

«Dans les démocraties occidentales, on pense habituellement qu’il est préférable pour assurer le bon fonctionnement du système démocratique que l’individu soit disposé à jouer un rôle actif dans les rouages du système à titre d’électeur, de participant communautaire, de travailleur, d’activiste et de membre d’un parti politique. On estime que chaque citoyen doit être convaincu qu’il lui incombe d’être un participant actif et informé dans le système démocratique. Au bout du compte, les membres de la société devraient tous être aptes à juger de l’efficacité de divers points de vue et d’épouser la ligne de conduite qui semble être la plus sage. Chaque citoyen pourrait ainsi prendre des décisions avisées et la société pourrait fonctionner de façon stable.» (1)
Si on s’intéresse à diverses problématiques (2) liées à l’éducation ou la promotion de la santé, un des points soulevés est celui de la participation du ou des citoyens aux projets de santé publique, afin que ces projets se voient dotés de légitimité.
Car nous sommes, bien heureusement, dans un régime démocratique, et celui-ci suppose, impose la participation des citoyens. L’absence de participation impliquerait par là même la négation du système démocratique, en théorie.
Comparons donc participation supposée au modèle démocratique et à la promotion de la santé, afin de constater si ces concepts vont effectivement et pragmatiquement de pair, ou s’il faut parfois forcer les rapprochements, et voyons quelles en sont les conséquences.
Qu’est-ce que la participation? L’étymologie nous dit «acte de prendre part à quelque chose».
Dès lors, quel est le cadre réel de la participation, dans son sens le plus large, mais également plus spécifiquement par rapport à la promotion de la santé? Où commence-t-elle et où finit-elle? Qui est concerné?
On peut avancer que notre cadre politique, dans lequel la participation prend racine, est celui de la démocratie; encore faut-il s’entendre aussi sur ce que ce mot recouvre réellement.

Démocratie et promotion de la santé

En promotion de la santé, le point de départ des «professionnels» est d’aller chercher l’avis des gens sur un problème qui s’avère digne d’être traité pour la ou les collectivités.
Plusieurs antinomies à la démocratie peuvent déjà apparaître à ce stade. En effet, les promoteurs de la santé ne disposent eux-mêmes que de peu de légitimité démocratique. Ils ne sont pas élus (mis à part généralement le ministre de la santé) et travaillent dans ce secteur parfois pour des raisons totalement aléatoires (entendez non décisionnelles). D’où provient en effet leur validité, leur recevabilité eu égard à l’idéal démocratique? Peut-être simplement au fait qu’ils sont eux-mêmes également électeurs…
Mais justement, dans leur travail communautaire, ils devraient également «oublier» leur avis purement personnel (puisqu’ils parlent aussi en leur nom) afin d’élever cet avis subjectif au rang de «jugement universel»: il s’agit de transformer leur subjectivité en appréciation communautaire, en vue d’une application qui concerne justement la communauté. Lourde tâche et autre postulat théorique riche de sens… Est-il donc réaliste de jouer l’idéal de la légitimité démocratique, des prémisses aux finalités de promotion de la santé, en feignant d’ignorer l’impossibilité pratique d’un tel idéal?
Après avoir soulevé le problème du «Qui?», il est judicieux de se demander «A qui?» va s’adresser tel ou tel programme de promotion de la santé («Quoi»)? Et d’où naissent les préoccupations face à certaines problématiques? Les problèmes se font-ils connaître d’eux-mêmes à un certain moment? Comment émergent les problématiques d’éducation ou de promotion de la santé? Il ne s’agit bien évidemment pas d’émergence spontanée mais de décisions humaines, de choix de regard d’un «Qui?» face à un certain objet qui concerne certaines personnes.
Toujours happés par ce souci d’allégeance à la démocratie, nous vient alors la question du juste traitement des problèmes de santé, de leur travail équitable qui devrait être soustrait de toutes préoccupations (par les travailleurs en promotion de la santé) d’intérêt personnel, d’inclination politique et d’intérêts financiers (autres que ceux imposés par les budgets pour leur application).
C’est évidemment ici que clignote plus que jamais cette obligation de participation (publique), c’est là qu’elle joue un rôle fondamental de refondation, afin que les pratiques ne perdent pas tout leur sens. En ce qui concerne le choix des thèmes à traiter, la population peut en effet se manifester pour faire connaître l’urgence de certains faits et la nécessité qu’il y a à y trouver des solutions.
Participation de la population, une nécessité donc? Mais si la participation des citoyens devenait un obstacle qui plongeait cette population dans un état plus néfaste qu’auparavant? Et si aucune motivation participante n’émergeait de la population? Devrions-nous la forcer à prendre part aux discussions, aux décisions? Dans un cas comme dans l’autre, nous nous éloignerions immanquablement de notre idéal démocratique.
Il devient nécessaire, pour nous faire bien comprendre, de clarifier cette participation, de voir quelles sont les différentes facettes dont elle pourrait se parer, et laquelle conviendrait le mieux au souci égalitaire.

Du spectateur à l’acteur: modes de participation

Le recours à la métaphore théâtrale peut nous aider.
Dans l’art du spectacle, on peut en effet considérer la participation du spectateur de différentes manières: soit la participation est postulée d’emblée par le simple fait que le spectateur est présent (le public formant une sorte de communauté), soit il devient réellement participant quand il se transforme en acteur, lorsque la division scène/salle est remise en cause.
Cette image peut nous éclairer. Tout d’abord parce qu’elle illustre le «statut» multiple que peut revêtir tout individu dans quelque acte de société (voire de vie) que ce soit. Une personne peut décider de demeurer un simple spectateur, sans pour cela tomber dans un désintéressement total. Le spectateur participe tout de même à la représentation et ce, sous différents modes, par les différentes réactions qu’il peut manifester (les participations émotionnelles pouvant varier de l’implication – identification totale à une position et une réaction beaucoup plus distanciées, en passant par le rire éventuellement…). De plus, n’oublions pas qu’en principe, sans spectateur, le spectacle n’a pas lieu, ou n’a pas de raison d’être!
Il peut au contraire, s’il le souhaite, se retrouver acteur et entrer en milieu de scène, si toutefois la forme théâtrale le permet. Différentes participations donc, plus ou moins impliquées (puisque liées aux multiples personnalités) mais jamais figées à tout jamais: le spectateur et l’acteur se retrouvent souvent permutés (en la position de l’autre) en fonction des faits et de leur «prise au cœur» de l’histoire se déroulant devant eux.
Si nous comparons donc une pièce de théâtre à un programme de promotion de la santé, nous pourrions simplement constater qu’effectivement, certains s’impliquent quasiment totalement, – affectivement, matériellement, corporellement- dans ce projet (de son élaboration à sa mise en pratique), alors que d’autres observent la scène de l’extérieur, sans pour autant être aveugles, sourds ou insensibles à ce qui est vu, dit ou senti par d’autres. Chacun «décide» donc de participer à sa manière à ce qui se déroule ici et maintenant.
Si d’ailleurs, les personnes œuvrant en promotion de la santé voulaient appliquer la démarche holistique au concept même de participation, ce serait peut-être la conclusion à laquelle ils arriveraient.
En effet, la conception holistique de la santé postule qu’on envisage cette dernière dans ses multiples aspects, les plus complets, et dans toutes ses interactions. En conséquence, la participation devrait se trouver vêtue des mêmes atours. La participation, sous l’angle holistique, est sous-jacente à toutes les activités humaines; pour nous calquer sur la conception de la communication de Palo Alto, on pourrait dire «On ne peut pas ne pas participer» (3), car ne pas participer est aussi un mode de participation. Décider de ne pas participer, par exemple, aura de toute façon des conséquences sur le monde en général. Quelle que soit notre position de participant, de partisan, de profane, in-intéressé, acteur/spectateur, nous participons au monde car nous sommes dans le monde; nous ne pouvons nous dérober à cette scène, même si nous pensons observer simplement de la salle. Toutes nos actions ou ce que nous croyons être des inactions ont une implication, une conséquence quelconque sur le monde.
Si nous penchons donc vers ce type d’argument, la question de l’existence ou de la non-existence, du bien-fondé ou de l’obligation de la participation des individus dans les sujets de promotion de la santé, cette question devient un faux problème , puisque la participation s’avère être toujours existante, présente avant, pendant et après toute action de promotion de la santé.

De la participation à l’engagement volontaire

Cette démonstration ne doit évidemment pas nous amener à la regrettable conséquence du «laisser-aller» généralisé en matière de prise de décision, ce qui plongerait notre démocratie dans un peu plus de mollesse encore. Constatons simplement que le problème est ailleurs: qu’il est vain de toujours bien vérifier la présence d’un taux démocratique de participation de la population en matière de projets de promotion de la santé, plutôt que d’en constater l’intérêt et le bénéfice commun (4).
Si nous continuons à associer malgré tout participation et engagement pratique sur le terrain, il se peut en effet qu’il y ait parfois absence totale de participation. Cela signifie-t-il dès lors que nous devons aller à tout prix chercher les gens désintéressés, pour les tirer de leur état d’ignorance, les sortir de force de la Caverne, tout cela pour leur propre Bien?
Est-ce toujours proche de notre idéal démocratique? Toute cette énergie ne se trouverait-elle pas déployée dans ces actes d’éveil, de réveil, alors que bien souvent d’énormes moyens matériels et humains viennent à manquer dans les projets de promotion de la santé?
Il n’en reste pas moins que la participation revêt un caractère positif dans les pratiques démocratiques, un effet positif par excellence, qu’il ne peut être tu: celui de l’éveil éventuel à de nouvelles motivations. Plus il y aurait d’engagement civique, plus les individus en apprendraient sur les possibilités de changement (inhérentes au rôle de citoyen) de la société et des citoyens. Une porte leur serait ouverte sur un plus large champ des possibles.
Avant de tirer conclusion, voyons où peut se situer de manière caricaturale la participation démocratique, et plus spécialement dans la promotion de la santé.
Dans un scénario que l’on pourrait qualifier de pire, l’éducation pour la santé serait un mode de transmission, d’application à sens unique, de communication totalitaire, où la population plaquerait les bons conseils imposés, sans avoir le choix de les adopter ou d’exprimer un avis contraire. Dans cette optique défaitiste, les éducateurs pour la santé seraient des «haut-parleurs de la pensée unique».
Dans un scénario idéal, chaque entreprise de promotion de la santé serait encadrée d’une multitude de participants, tous plus motivés les uns que les autres, qui auraient eu le temps de se renseigner minutieusement sur chaque sujet, ses déterminants et ses enjeux; ils disposeraient tous d’un maximum de tolérance vis-à-vis des arguments d’autrui sur la question en cours ainsi que d’un libre arbitre dépassant toutes les espérances. Ainsi, on pourrait dire que la phrase de Lavelle, « Le propre de la participation , c’est de me découvrir un acte qui , au moment où je l’accomplis , m’apparaît à la fois comme mien et comme non mien , comme universel et personnel tout ensemble » (5), est immanquablement et véritablement véridique.
C’est cette même utopie théorique qui sous-tend la théorie classique de la démocratie. En effet, elle suppose un très haut niveau de participation politique, qui devrait « ne pas se limiter à l’action d’influence sur les choix , mais devrait même se confondre purement et simplement avec l’exercice de ces choix » (6). Sans pour autant tomber dans la cacophonie totale des avis et participations de chacun, chaque citoyen capable d’émettre un jugement prend part à la constitution de l’avis général en vue des prises de décision. Dans cette vision donc, les promoteurs de la santé se retrouveraient maillons parmi d’autres; tout individu se verrait attribuer un statut, une facette de travailleur de promotion de la santé…
Est-il bien réaliste et productif de soutenir une telle proposition en l’étendant à toute démarche dans le secteur de la santé? N’en devient-il pas parfois malsain de feindre cet idéal plutôt que de réfléchir et d’agir en ayant la réalité comme champ d’investigation et de vision (7)?

Ni panacée, ni obligatoire, toujours possible

Dans la réalité donc, dans la factualité, ne devrait-on pas réaliser la tension entre les deux propositions ci-dessus, entre les visions pessimistes et idéalistes? Il est évident qu’il n’est pas possible de nier en théorie l’égale participation de chaque citoyen, libre de surcroît. Il faut néanmoins continuellement se heurter à la réalité du terrain démocratique pour ne pas ou plus tomber dans les pièges d’applications impossibles, car montées sur des bases faussées. Il ne faut pas non plus oublier la formation et la compétence de la plupart des professionnels de la promotion de la santé, qui, loin de leur assurer un statut de dictateurs de consciences, leur permet tout de même de prodiguer des conseils légitimes, avisés et fondés.
Nier la participation (et dès lors la démocratie) est tout aussi stérile et délétère que de la prôner et la forcer, en toutes circonstances.
De même que nous ne pouvons pas nier l’idéal holistique en matière d’appréhension et de connaissance de la santé, nous ne pouvons nier la participation comme composante idéale à toute finalité dans des projets de santé publique. Il ne faudrait cependant pas que ces hypostases qui devraient a priori servir de moteurs dynamiques ne se transforment en murs stérilisateurs.
Il faudrait connaître et admettre les limites qu’il y a à penser et à pratiquer la santé de cette manière faussement naïve.
En référence à la phrase mise en exergue de cet article, il ne faudrait pas oublier que l’idéal (démocratique) n’est pas la réalité factuelle que l’on va rencontrer, sous peine de tomber dans une virtualité aux conséquences assez malsaines…
L’important est peut-être de toujours laisser une place à table pour l’absent ou pour celui ou celle qui désirerait prendre place à la table des discussions et des mises en pratiques en promotion de la santé. Ne serait-il en effet pas plus judicieux, plus responsable et plus démocratique de considérer la participation dans ce domaine comme «toujours possible», toujours ouverte, mais non obligatoire, à prendre à bras le corps par sa propre initiative?
Samantha Crunelle
(1) Frideres, James S., «La participation du citoyen à la vie civique, sa conscience et sa connaissance de ses droits et devoirs et sa capacité de les exercer», Deuxième conférence nationale Métropolis en immigration, Montréal, Novembre 1997.
(2) Toutes ces questions posées et peu de réponses proposées, toutes les mesures de prudence ayant été prises, il n’en reste pas moins que se lancer, à bonnes doses, dans l’éducation ou la promotion de la santé reste un projet fondamental, déjà en voie d’expansion grandissante et qu’on ne peut détourner d’un simple regard méfiant ou méprisant.
(3) Cf. « On ne peut pas ne pas communiquer », un axiome de l’école de Palo Alto: puisque la communication est associée aux comportements et que nous ne pouvons pas ne pas avoir de comportement (ou plutôt, il n’y a pas de non comportement), dès lors, on ne peut pas ne pas communiquer. Faire part de notre refus de communiquer, par exemple, sera toujours un type de communication. Nous sommes toujours déjà pris dans cette matrice qu’est la communication, dont nous ne connaissons pas consciemment la partition.
(4) A ce sujet, nous pourrions même dire que, puisque la participation est présente à tous les niveaux, à tous les échelons (humains et non humains), un individu participerait à un projet de santé publique global qu’il le veuille ou non. Par exemple, un citoyen qui utiliserait ou non le préservatif, participerait d’une manière ou d’une autre à la lutte contre le sida. Ou pour caricaturer, si j’arrête de fumer, je participe à un projet général de diminution des frais médicaux et hospitaliers en préservant mon capital santé…
(5) Lavelle, L., De l’Acte, in «L’existence des deux mondes», Revue philosophique de Louvain, 1983, 81, n°49, p.5-36.
(6) Encyclopédie philosophique universelle, TII. Les notions philosophiques, Philosophie occidentale, «Participation», Presses Universitaires de France, 1990.
(7) Ne devrait-on pas plutôt considérer le fait que la participation n’est pas le moteur principal dans bien des projets?

Quelles urgences pour la promotion de la santé en Communauté française?

Le 30 Déc 20

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Une fois n’est pas coutume, nous donnons la parole à un politicien, André du Bus (CdH), élu bruxellois au Parlement de la Communauté française. Son intérêt pour la santé en général et la promotion de la santé en particulier n’est pas fortuit, puisqu’il a travaillé plusieurs années au service de promotion de la santé de la Croix-Rouge de Belgique avant de se lancer dans l’aventure politique qui l’a mené aux niveaux communal, fédéral, régional et communautaire.
Education Santé: Le secteur de la promotion de la santé a l’impression que les politiques le connaissent mal, qu’ils s’intéressent peu finalement à cette compétence de la Communauté française (à de rares exceptions près comme vous-même) mais aussi qu’ils jugent un peu sévèrement ses initiatives. Qu’en pensez-vous?
André du Bus : La question de la pertinence et de l’efficacité des stratégies déployées actuellement par les acteurs de la promotion de la santé sur l’ensemble de la Communauté française est effectivement posée par le monde politique. Cette question est alimentée par une série d’éléments qui tendent à opposer le monde politique et celui de la promotion de la santé. J’en pointerai 5 qui me frappent particulièrement.
Les cadres de référence de la promotion de la santé s’opposent à ceux du politique
La promotion de la santé fait référence, par nature, à la transversalité et l’intersectorialité. Elle plaide pour une approche globale de la santé et de ses déterminants. Ce qui s’oppose à l’organisation du monde politique qui reste cloisonné à des compétences distinctes les unes des autres. Cette organisation institutionnelle permet à chacun des acteurs politiques de se différencier et d’exister sous une bannière bien spécifique et clairement identifiable. Dans ce contexte, le discours sur l’intégration des compétences, la transversalité et le décloisonnement s’oppose en permanence aux intérêts des acteurs politiques. Ce discours réunit donc, en lui-même, les conditions d’une frustration permanente dans le chef des acteurs de la promotion de la santé à l’égard du politique.
Mais, étant d’une nature optimiste, je dirais que ce constat ouvre une perspective d’action tant pour le politique que pour le secteur: multiplier les occasions de concertation mutuelle, se mettre à l’écoute les uns des autres.
L’horizon de la promotion de la santé n’est pas celui du politique
Travaillant sur les facteurs comportementaux, sur les habitudes et les modes de vie, sur les représentations mentales et sur les valeurs, les programmes de la promotion de la santé proposent des objectifs de santé qui inscrivent leur action principalement dans le long terme. Un horizon temporel qui ne correspond pas à celui des acteurs politiques. Ces derniers inscrivent leur action prioritairement dans le cadre de leur mandat, soit un terme de quatre à cinq années au mieux. La question de la visibilité des résultats des actions menées échappe la plupart du temps à l’acteur politique qui ne peut sortir de sa logique du court terme.
Cette opposition entre le long et le court terme ne trouve pas seulement son origine dans cet antagonisme entre acteurs. Cette tension est également observée sur le terrain: les séances d’animation, les campagnes de sensibilisation, les formations tout comme de nombreux projets se caractérisent par du (très) court terme… pour répondre à des objectifs fixés par les programmes quinquennaux et autres qui sont à (très) long terme. Entre ces deux extrêmes émerge une nouvelle demande, celle du moyen terme. Il s’agit de trouver le juste milieu entre actions «one shot» et projets de longue durée, entre ambition et modestie, entre projet «réaliste» et plan «idéal».
Une piste de solution résiderait dans un travail d’identification des critères de réussite à moyen terme, des critères différents ou nuancés par rapport au court comme au long terme.
Le politique commence à reconnaître le modèle holistique de la santé, mais…
Cantonnés jusqu’il y a peu dans un modèle strictement biomédical de la santé, les acteurs politiques ont (enfin) compris que l’état de santé des individus résultait avant tout d’une série de déterminants sociaux et environnementaux. Le discours sur la santé faisant référence au bien-être tel que défini par l’OMS juste après la guerre n’est plus un discours novateur. Il se heurte cependant toujours, aujourd’hui comme hier, à l’organisation politique, aux structures, aux institutions et aux enjeux économiques qui s’alimentent malheureusement encore principalement et majoritairement d’une vision biomédicale de la santé.
Dans le registre des compétences politiques et à titre d’exemple, si l’état et la qualité du logement sont reconnus comme des facteurs de santé, le responsable politique en charge de la santé renverra à son collègue en charge du logement toute réflexion sur le sujet.
Tout comme il renverra à son collègue en charge des matières sociales ou de l’aide aux personnes le discours portant sur l’urgence du renforcement des liens sociaux, également reconnus comme facteurs de santé.
Dans ses structures et au sein de son organisation, le monde politique éprouve donc des difficultés à traduire le caractère transversal de la santé. On ne peut ignorer toutefois le plan national «Environnement-Santé» assuré par le fédéral et auxquels participent les entités fédérées. Tout comme on soulignera l’initiative conjointe des ministres bruxellois francophones de la santé et de l’aide aux personnes qui défendent actuellement un projet de décret intégrant le social et la santé. Cela va dans le bon sens.
Le discours de la méthode: le piège de la promotion de la santé
Sur le plan de la santé tel que défini par la Charte d’Ottawa, la promotion de la santé valorise tous les processus d’appropriation par les citoyens des questions qui les concernent. Ces processus restent complexes et aléatoires. Ils font donc débat. Des débats qui font intrinsèquement partie du quotidien des acteurs de la promotion de la santé et qui justifient les multiples réunions axées sur des questions méthodologiques, sur celles des indicateurs, sur les concepts d’évaluation… La multiplication de ces réunions, le temps y consacré et une forme d’intellectualisation du discours participent à l’impression suivant laquelle le monde de la promotion de la santé, véritable terreau pour initiés, vit en vase clos.
En parallèle de cette réalité s’organise une série d’actions très concrètes et très lisibles (petits déjeuners malins, opération de distribution de fruits, journée de l’escalier à la place de l’ascenseur) dont il est malaisé, pour l’observateur extérieur, de comprendre les liens avec l’ampleur de la réflexion qui les sous-tend.
Afin de réduire l’écart entre réflexion et action, une piste féconde pourrait être de travailler sur la lisibilité des objectifs poursuivis.
Responsabiliser et réglementer: des logiques apparemment dissonantes
La promotion de la santé qui se veut respectueuse des droits individuels, qui veut promouvoir responsabilisation et autonomie, est souvent opposée aux interdits et aux messages culpabilisateurs. Elle valorisera tous les processus de prise de conscience et de respect. Des processus sans doute louables, qui se heurtent toutefois aux résultats positifs des dispositions légales radicales telles que l’interdiction de fumer dans la plupart des lieux publics et au travail. Fondamentalement, la promotion de la santé a encore des difficultés avec la valeur structurante de la loi.
Dans le registre des messages culpabilisateurs qui utilisent le champ émotionnel, on notera, en matière de sécurité routière, l’opposition entre les partisans des photos sanglantes d’accidents de voiture et les tenants des campagnes de sécurité routière de type «soft».
Cette dissonance dans les messages se matérialise également face à l’évolution de la recherche: à propos de l’obésité, comment s’y retrouver entre les résultats des recherches qui identifient une origine génétique et les recommandations de type «manger mieux» qui privilégient le style de vie?
On le voit à travers ces options différentes, les stratégies utilisées pour susciter de nouveaux comportements font l’objet de réels débats qui doivent trouver des occasions de rencontre et d’expression entre les acteurs.
S’il n’y a pas nécessairement opposition entre les deux logiques – responsabiliser contre réglementer – nombreux sont ceux qui pointent une carence pédagogique des mesures légales favorables à la santé, tant auprès des relais que du grand public.
E.S.: N’êtes-vous pas un peu trop sévère à l’égard de la promotion de la santé? Ses logiques ‘citoyennes’ n’ont-elles pas quitté la sphère de l’expertise pour percoler sur le terrain?
A. d. B .: La promotion de la santé s’est caractérisée par la mise en avant des méthodologies participatives et par la valorisation de la notion de projet collectif. Durant les années ’90 jusqu’au début des années 2000, ces pratiques étaient surtout le fait d’experts qui traduisaient les fruits de leurs recherches à travers des expériences pilotes.
Aujourd’hui, faisant suite aux différentes initiatives politiques (décret PSE entre autres) et à l’essaimage progressif des concepts grâce à la vigueur d’un secteur en recherche constante (colloques, publications…), force est de constater que de plus en plus d’acteurs de terrain (enseignants, travailleurs médico-sociaux entre autres) se sont appropriés les concepts de base et sont entrés dans la logique du projet.
Du côté du secteur privé, on remarque également une intégration progressive des messages de santé globale. En témoigne l’utilisation des slogans promotionnels pour toute une série de produits alimentaires.
Cette évolution largement positive ne doit pas masquer trois éléments:
-une frilosité grandissante liée aux changements brutaux de notre société;
-les demandes de communication, de vulgarisation et d’appropriation des expertises, projets réalisés et expériences menées sont de plus en plus grandes;
-si les messages semblent bien intégrés, les aspects méthodologiques sont souvent délaissés, principalement en termes d’évaluation. Les critères de réussite sont peu transmis ou mal communiqués.
A ce propos, peut-être faudrait-il renforcer le rôle du service communautaire chargé de la veille documentaire en matière méthodologique?
D’autre part, j’observe aussi que les demandes d’accompagnement sur le terrain sont croissantes, ce qui en soi est très positif.
Ce sont plus particulièrement les structures qui ont pignon sur rue, telles que les Centres locaux de promotion de la santé, qui établissent ce constat. Les demandes proviennent tant du secteur public que du secteur associatif. Des communes souhaitent un accompagnement méthodologique pour monter un projet de lutte contre l’obésité ou de sensibilisation au dépistage de tel cancer ou encore de sensibilisation aux assuétudes. Des associations sont en recherche d’une demande de support méthodologique pour évaluer leur action, pour mieux identifier les besoins émergents. Des enseignants sont à la recherche d’outils d’animation…
Les demandes sont de plus en plus diversifiées et de plus en plus nombreuses. Les CLPS n’ont pas les moyens et les ressources nécessaires pour répondre à ces demandes, ce qui les place dans des situations de choix et de sélection constante. Derrière ces constats se profile indirectement la question du type de soutien à l’égard d’un secteur associatif souvent en phase avec les besoins de la population.
La question des moyens et des priorités d’action à l’égard des CLPS doit être mise en avant et tranchée par le politique.
E.S.: La communication entre les niveaux de réflexion et d’action vous laisse parfois perplexe?
A. d.B .: C’est pour moi une source majeure de distorsion.
On peut distinguer schématiquement trois niveaux d’action et/ou de réflexion:
-les théoriques / producteurs de modèles / universités /Conseil supérieur de promotion de la santé;
-les associations et opérateurs de projets / les ASBL diverses / …;
-les acteurs de terrain / écoles / animateurs / … «consommateurs».
Le terrain est souvent confronté à des opérateurs qui ne se sont peu ou pas concertés ou coordonnés, offrant des «produits» parfois redondants, et dont la connaissance et la maîtrise des concepts, programmes, évaluations produits par le niveau expert reste très limitée. Cette situation génère, selon André Lufin , une dispersion d’énergie, l’impression d’inventer des concepts pourtant anciens et éprouvés, la répétition des activités et… des erreurs. Je partage assez son avis.
On pourrait dès lors objectiver un manque de concertation des associations et des opérateurs. Or des organes de concertation existent, comme par exemple le Conseil supérieur, ce qui ne réduit pas pour autant l’écart entre les niveaux d’action: les effets semblent peu visibles sur le terrain, les enseignants, éducateurs… restent confrontés à un ensemble de produits, offres, méthodes, associations… diversifiés et multiples. Comment choisir? Comment s’y retrouver? Comment établir des liens? Ce n’est pas simple.
E.S.: Dans ces conditions, le secteur de la promotion de la santé fait-il autorité?
A. d. B . La question de la légitimité et de l’autorité est posée face aux interventions de plus en plus nombreuses du secteur privé (notamment agroalimentaire) en milieu scolaire, avec des moyens sans commune mesure avec ceux dont dispose l’associatif, et donc plus d’impact sur le terrain.
Les relations entre privé et public sont une vaste question à aborder (peut-être) de façon moins manichéenne et crispée que ce n’est le cas aujourd’hui, votre revue s’y emploie d’ailleurs et cela me semble utile.
Que penser du projet Viasano et de sa noble cause, la lutte contre l’obésité, quand cela implique que des firmes comme Unilever, Carrefour ou -pire- Ferrero sont amenées indirectement à travailler avec les pouvoirs publics locaux?
Dans ces initiatives, la Communauté française semble céder de plus en plus de terrain au privé. Elle n’est plus reconnue comme organe de concertation/coordination incontournable. Je le déplore.
La Communauté (avec le niveau fédéral dans certains cas) devrait reprendre la main, mieux encadrer, coordonner, et pourquoi pas susciter elle-même des partenariats plutôt que de les subir.
E.S.: Vous êtes aussi très sensible aux services rendus par la Promotion de la santé à l’école?
A. d. B .: Tout à fait, et là je suis vraiment inquiet. Dans notre société caractérisée par une précarité croissante, les services PSE me disent qu’ils n’arrivent plus à remplir leurs missions de base.
Confrontés à des situations familiales de plus en plus difficiles, à l’absence de référence à un médecin de famille, à la baisse de consultation médicale, les PSE doivent de plus en plus souvent pallier la précarité croissante qui signe la dualisation montante de notre société.
A titre d’exemple, le manque de financement pour administrer les vaccins (1) impose des choix difficiles à poser pour les travailleurs de la santé. Et dans ce contexte la présence d’un médecin est indispensable, ce qui pose aussi problème. Les difficultés actuelles à recruter et fidéliser un médecin coordinateur – dont le statut réclame aujourd’hui une revalorisation – ne sont pas de nature à soutenir les équipes PSE dans leurs missions de base!
Par ailleurs on ne note aucune amélioration des relations entre le «terrain» et les «décideurs», les pouvoirs organisateurs. Le sentiment du terrain est celui de ne pas être écouté, soutenu, suivi, même quand il respecte et suit les recommandations des pouvoirs organisateurs. Cela suscite incompréhension et découragement.
E.S.: Vous êtes particulièrement attentif aux initiatives du secteur associatif. Des motifs de satisfaction de ce côté?
A. d. B .: En répondant à des besoins de santé fondamentaux émanant de tous les publics, le secteur associatif devient un acteur de santé de première ligne, j’en suis convaincu.
Les expériences de terrain fourmillent d’exemples concrets qui illustrent les urgences en matière de santé publique. En voici trois que j’aime citer en exemple, et qui concernent la surcharge pondérale chez les jeunes, les enjeux de la parentalité et la prise en charge des personnes âgées.
Le travail effectué dans les Babykots (2) (5 unités à Bruxelles-Ville) prend en considération l’urgente question de la mauvaise alimentation des enfants, avec un travail sur les messages parentaux, les habitudes, les valeurs, les connaissances alimentaires de base, l’accompagnement dans le temps. Ce travail, effectué par des professionnelles, exige des investissements financiers conséquents en termes de formation continue et de supervision, mais le jeu en vaut largement la chandelle.
Les «Ateliers autour de la naissance» s’adressent aux futurs et/ou jeunes parents et visent à les accompagner dans leur projet parental et à répondre aux multiples questions que génère ce changement de vie. En les aidant à franchir ce cap, ces ateliers créent les conditions favorables pour aider les parents à faire de leurs enfants des personnes épanouies, citoyennes et responsables. Soutenues par les communes à travers les partenariats santé-parentalité, ces actions s’inscrivent pleinement dans la dimension «long terme» de la promotion de la santé.
Je veux aussi pointer les expériences menées en partenariat avec l’asbl Baluchon Alzheimer, qui s’adressent aux personnes âgées et visent à leur permettre de prendre des décisions à temps, c’est-à-dire lorsqu’elles sont encore en pleine possession de leurs facultés. La personne âgée connaît aujourd’hui le paradoxe suivant lequel la société l’incite à s’investir pour l’intérêt collectif et, par ailleurs, lui demande de faire à temps un travail de deuil quant aux limites qui sont les siennes et qui ne connaissent qu’une logique, celle de la croissance infinie. Dans ce contexte, l’accompagnement à la prise de décision se révèle particulièrement pertinent, à la fois source d’apaisement, de confort, de prévention et par là également source d’économies financières. L’ampleur des besoins en cette matière, ampleur liée au vieillissement de la population et à l’augmentation de la longévité, nécessiterait une démultiplication de ces initiatives.
A ces exemples on pourrait ajouter la situation des consultations prénatales qui deviennent les premiers réceptacles des demandes de santé. Le report de plus en plus fréquent de la consultation médicale tout comme l’absence chez certaines familles précarisées d’un médecin de famille transforme progressivement la consultation pour nourrissons de l’ONE en acteur médical de première ligne. Pour de nombreuses familles, c’est à l’occasion de ces consultations que sont exposés des problèmes de santé familiaux.
Ces exemples illustrent une réalité réconfortante: le secteur associatif a les capacités d’adapter son offre de services aux besoins de la société. Cette offre de services est de plus en plus pertinente et de mieux en mieux ciblée. C’est aussi la raison pour laquelle le débat sur le pacte associatif doit trouver un aboutissement concret et ouvert à l’évolution des besoins.
Et, en matière de santé, toutes les initiatives locales renforçant la cohésion sociale tout en répondant à des objectifs de première nécessité et de lutte contre la précarité devront être privilégiées.
Ma conviction profonde est que la promotion de la santé pourrait apporter une plus-value à ces multiples initiatives en leur fournissant un cadre méthodologique, des repères et des outils d’évaluation. Ce qui nécessite une affirmation politique majeure de l’importance de la promotion de la santé dans notre société.
Propos recueillis par Gilles C. Jourdan
Note: avant cette interview, André du Bus a eu une série d’entretiens avec plusieurs acteurs du monde de la santé et de la promotion de la santé qu’il tient à remercier ici: Chantal Noël , Lydwine Verhaegen , André Lufin , Michel Pettiaux et Christian De Bock . (1) Précision: il ne s’agit pas ici de moyens insuffisants pour acheter les vaccins, mais bien pour réaliser le mieux possible la vaccination en milieu scolaire, avec en plus chaque année de nouveaux défis à relever à mesure que le calendrier vaccinal s’étoffe (ndlr).
(2) Le Babykot est un espace, un lieu d’accueil chaleureux et convivial pour les enfants âgés de 0 à 3 ans, accompagnés de leurs parents ou d’un adulte de référence. Les parents peuvent venir partager un moment agréable avec leurs enfants. De plus, ces derniers rencontrent leurs pairs et font ainsi l’expérience du groupe, ce qui facilite leur socialisation et les prépare tout doucement à l’école maternelle. Ces lieux ouverts permettent également la rencontre avec d’autres parents en offrant un espace pour se poser et partager vécu et expériences.

Diversité des orientations sexuelles, question de genre et promotion de la santé

Le 30 Déc 20

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Introduction

Dernièrement, la Belgique s’est pourvue d’outils juridiques qui sont utiles aux personnes d’orientation homosexuelle ou bisexuelle ou d’identité transsexuelle. Il s’agit de la loi anti-discrimination et de l’ouverture du droit au mariage pour les personnes de même sexe. Ces lois, qui s’inscrivent dans une symbolique instituée, ouvrent un champ possible pour les tentatives de changement de certaines représentations à l’égard de ces personnes. Elles répondent aussi à des directives européennes de lutte contre les discriminations.
Néanmoins, au quotidien, les représentations des personnes à l’égard de celles qui sont homosexuelles, bisexuelles et/ou transgenres sont encore fortement connotées négativement tant sur le plan familial que social. Les orientations homo ou bisexuelles et les identités transgenres sont encore trop souvent considérées comme un péché, un crime, une perversion, une pathologie. En effet, celles-ci touchent à la sexualité, à l’intime, à l’ordre des genres construit socialement et à la peur de l’autre en soi et elles sont encore stigmatisées par des préjugés et des stéréotypes, ainsi que des pressions sociales et individuelles importantes.
Nous savons gré à Nicole Maréchal d’avoir intégré dans le processus de réflexion plus global au sujet des animations scolaires «vie affective et sexuelle», la question des orientations homo et bisexuelles, par le biais de cette recherche scientifique, que l’asbl Magenta a réalisée pour la Fédération des Associations Gayes et Lesbiennes ( FAGL ) en 2003.
Cette recherche sur l’intégration des sujets des orientations sexuelles, des identités de genre et de la question du genre dans les animations scolaires a été réalisée auprès et avec les intervenants professionnels de la promotion de la santé. Celle-ci s’est donnée en effet comme priorité de partir du point d’ancrage de ceux dont c’est la mission, de partir du vécu, des représentations et des demandes des intervenants professionnels en promotion de la santé.
Un comité d’expertise a accompagné le processus de notre recherche. Vladimir Martens de l’Observatoire du sida et des sexualités et Catherine Vegairginsky du Centre local de promotion de la santé de Bruxelles ont activement participé à ce comité, pour intégrer les questions soulevées par cette recherche dans une perspective plus globale.

Contexte

Lorsqu’un jeune prend conscience de ses attirances sexuelles (d’orientation homosexuelle ou bisexuelle), il est confronté à d’énormes pressions de la société et de son milieu (familial et scolaire). Les pressions de cette stigmatisation sociale se présentent globalement sous deux formes: l’homophobie (que nous utiliserons comme terme générique bien que des différences qualitatives existent entre gayphobie, lesbophobie, biphobie et transphobie) et l’hétérosexisme, qui sont intimement liées. Elles ont de lourdes conséquences sur la santé des jeunes d’orientations sexuelles ou d’identités de genre minoritaires.

L’homophobie

Homophobie générale : réaction agressive de rejet, forme générale d’hostilité à l’égard des personnes et des comportements homosexuels et, plus largement, envers les personnes dont l’apparence ou le comportement déroge aux standards de féminité et de masculinité pré-établis. “L’homophobie est le produit de la peur de l’autre en soi; c’est la réaction agressive de rejet qu’entraîne cette peur. Loin d’être une conduite d’évitement ou de fuite, l’homophobie est agression, stigmatisation et discrimination. L’homophobie est une sorte de domination ”(1).
Homophobie cognitive ou sociale : elle se traduit par le maintien des différences entre homosexuels et hétérosexuels, même si elle prône la tolérance à l’égard des gays et des lesbiennes. Elle refuse donc l’égalité entre hétérosexuels et homosexuels tout en affichant l’acceptation à l’égard de ces derniers.
Homophobie spécifique : hostilité spécifique vis-à-vis des gays, des lesbiennes et des bisexuels.
Daniel Welzer-Lang décrit et étudie ce concept, qui est fortement lié au sexisme. Celui-ci est une construction sociale qui envisage la pseudo nature des hommes, définie comme le genre masculin, comme supérieure, qui distingue donc les genres sociaux, les sexes et les sexualités, et les hiérarchise. Dans cette pensée, le sexe biologique détermine l’appartenance à un genre social et à chaque genre social correspondent des attributions que l’on croit «naturelles».

L’hétérosexisme ou l’hétéronormativité

Promotion de la supériorité de l’hétérosexualité comme modèle relationnel.
Les discours et les pratiques hétérosexistes créent l’illusion que tout le monde est hétérosexuel en occultant la diversité réelle des orientations sexuelles. L’idéologie hétérosexiste assume qu’il est plus normal, moral ou acceptable d’être hétérosexuel que d’être gay, lesbienne ou bisexuel. Comme le racisme, le sexisme ou toute autre forme d’oppression, l’hétérosexisme accorde des privilèges au groupe dominant (les hétérosexuels) et privent les minorités sexuelles des droits humains les plus fondamentaux.(2) Cela se manifeste notamment par de l’exclusion et/ou de l’omission des personnes d’orientation sexuelle minoritaire dans les politiques, les pratiques ou les actions des institutions.
Ces deux concepts explicitent la construction sociale qui met l’homme, masculin, hétérosexuel en haut de la pyramide hiérarchique. Sexe biologique (fille, garçon), identité de genre (féminin, masculin) et orientation sexuelle (hétérosexuelle, homosexuelle, bisexuelle), doivent donc coïncider aux prescriptions et aux attentes de la société. Dans cette perspective, un homme, féminin, hétérosexuel peut ainsi subir de l’homophobie et être ostracisé.

Conséquences en termes de santé

Les jeunes d’orientation sexuelle ou d’identité de genre minoritaires doivent lutter contre ces pressions et de tels combats accroissent le risque de dépression, d’augmentation du taux de décrochage scolaire, de toxicomanie et même de suicide. Ces jeunes souffrent encore trop souvent d’isolement social et de rejet de la part de la famille et des amis. De plus, l’homophobie et l’hétéronormativité, que ces jeunes ont également intégrées au fil de leur éducation, suscitent en eux de la honte en regard de leur propre orientation sexuelle. Cette honte est donc d’autant plus grande que les jugements sur ce qui est acceptable ou non sont intégrés au gré de l’éducation et de la transmission des valeurs et régulièrement rappelés dans les différents contextes de vie des jeunes (école, famille, groupes de pairs, etc.).
En ce sens, ces jeunes sont vulnérables, d’autant plus au moment du processus adolescentaire qui se caractérise notamment par des remaniements identificatoires et par l’importance du regard de l’autre dans la construction de soi.

Idées suicidaires et tentatives de suicide

De nombreuses études ont été réalisées à ce sujet, dans différents pays. Les jeunes d’orientations homo ou bisexuelles tentent de 6 à 16 fois plus de se suicider, étant donné les pressions, les discriminations et les violences subies.
Une étude belge met en évidence que:

idées suicidaires comportements suicidaires comportements suicidaires comportements suicidaires

Orientations homosexuelle, bisexuelle Orientation hétérosexuelle Conclusion
H et F
37,7% 21,5% 2 x plus à risque
H et F
17,2% 5,6% 4 x plus à risque
H
12,4% 5,9% 2 x plus à risque
F
25,0% 5,5% 6 x plus à risque

n = 404, or. sex. min. = 215, or. sex. maj. = 189, F = 196, H = 208. Age moyen, 20 ans.
C. van Heeringen – J. Vincke, 2000, University of Gent, Belgium. “Suicidal acts and ideation in homosexual and bisexual young people: a study of prevalence and risk factors”.

Etat des lieux au sujet des animations scolaires «Vie affective et sexuelle»

Les thèmes de l’orientation sexuelle et de la question de genre sont peu abordés en animation par les intervenants. Par contre, les jeunes, souvent des garçons, vont provoquer ou railler un jeune dans la classe («lui, c’est un pédé, il aime ça par derrière») ou se montrer dégoûtés («c’est dégueulasse») ou encore en questionnement («les homos peuvent se marier maintenant!») lorsque les relations affectives entre personnes de même sexe sont abordées.
La recherche a montré que sans formation spécifique et soutenue en terme de processus, ces thèmes recèlent de grandes difficultés pour les intervenants professionnels sur le terrain, qui se sentent démunis pour parler des relations affectives et sexuelles entre personnes de même sexe.
Pourquoi les intervenants se sentent-ils démunis quant à la gestion du groupe qui exprime du rejet ou de la violence homophobe? En effet, si un jeune noir est discriminé directement ou si des propos racistes sont énoncés en animation, l’intervenant aura probablement moins de difficultés pour réagir. L’hypothèse est que les discriminations sur base de l’orientation sexuelle sont plus difficilement contrées, étant donné que, d’une part, celle-ci est invisible et que d’autre part, les violences suscitées entrent en résonance avec les représentations de l’intervenant au sujet de l’orientation sexuelle, empreintes comme tout un chacun d’homophobie et d’hétéronormativité. Ces représentations sont d’autant plus chargées émotionnellement que celles-ci relèvent du domaine de l’intime et du sexuel.
Sans sensibilisation et sans formation spécifique continuée à ces sujets, l’intervenant ne peut donc qu’être guidé par ses propres représentations inconscientes, issues des constructions sociales dans lesquelles il ou elle baigne. Les tentatives des intervenants pour aménager les difficultés ressenties, peuvent maintenir ce sujet comme un tabou ou le simplifier et le réduire à ce qui est le plus connu et à ce qui est majoritaire, c’est-à-dire l’hétérosexualité, en gommant les difficultés, mais aussi les ressources spécifiques rencontrées par les jeunes homosexuels et bisexuels.
Les intervenants en promotion de la santé se sont révélés motivés pour intégrer ces thèmes dans les animations et demandeurs de préparation, d’information et de formation spécifiques, ainsi que d’outils pédagogiques. En 2004-2005, Magenta développe un processus intégré en ce sens (construction d’un module spécifique de formation et d’un guide pédagogique et d’outils), en étroite collaboration avec les formateurs(trices) des intervenants et les animateurs(trices) professionnel(le)s. Magenta souhaiterait l’étendre aux autres intervenants scolaires (professeurs, éducateurs…) et aux intervenants extra-scolaires (Aide à la Jeunesse, etc.).

Prévention de l’homophobie, stratégies globales et spécifiques

Dans notre recherche, le thème de l’orientation sexuelle a été couplé à celui de la question de genre. Comme le cite J-P Martin (3), “ le combat contre l’homophobie… est l’affaire de tous et doit bénéficier à tous… tout le monde a intérêt à l’assouplissement / déconstruction des schémas de genre qui emprisonnent les individus dans les stéréotypes binaires du masculin et du féminin… C’est pourquoi la problématique du sexisme et de l’homophobie doit principalement s’inscrire, à mon sens, dans le cadre de l’éducation à la citoyenneté”.
Dans cette perspective, qui constitue un virage stratégique en terme de prévention, parler des diverses orientations sexuelles, des identités de genre et de la question de genre, c’est non seulement prévenir le suicide et les IST chez les jeunes d’orientation sexuelle ou d’identité de genre minoritaires, mais c’est aussi prévenir l’homophobie, au bénéfice de tous les jeunes, filles, garçons, de toute orientation sexuelle. En effet, l’homophobie est une sorte de domination, fortement liée au sexisme. Des études québécoises mettent en lumière que les jeunes qui correspondent le plus aux stéréotypes de genre sont ceux qui échouent le plus à l’école (comparativement à leurs pairs de même sexe) et qu’il existe un lien entre l’adéquation à ces stéréotypes et les violences dans les relations amoureuses. Il s’agit donc bien de favoriser des attitudes et des comportements et de construire un environnement qui visent à l’égalité de droit pour tous et toutes, quelle que soit la race, le genre, les croyances, l’orientation sexuelle, etc. En résumé, il s’agit de se préparer et de préparer les jeunes à s’adapter au monde et à sa diversité dans le respect de chacun. Cela se traduit par des objectifs généraux :
-pour tous et toutes, une éducation à la citoyenneté et à la diversité, pour permettre d’entendre des messages ouverts et de vivre et de participer à des actions qui visent, tout en respectant les différences («on n’est pas tous les mêmes»), au développement de l’égalité des sexes et des sexualités, et à lutter contre les discriminations, les préjugés et les stéréotypes;
-plus particulièrement, il importe aussi de briser l’isolement des jeunes et des adultes d’orientation homo et bisexuelles ou d’identité transgenre, de leur fournir des ressources cognitives et émotionnelles, d’agir sur le contexte pour qu’il leur soit plus favorable.
En ce sens, l’éducation et les animations scolaires «vie affective et sexuelle» semblent être un levier particulièrement intéressant, comme l’a également montré les études de l’ ULB-PROMES (Danielle Piette et Katty Renard, article d’Education Santé, août 2004). Elles permettent en effet de dédramatiser, de démystifier et de déconstruire des stéréotypes de genre, au bénéfice de tous les jeunes. Elles permettent aussi d’informer plus justement, de normaliser et d’agir ainsi sur les représentations. Plus globalement, il s’agit donc de participer à la construction d’une société davantage basée sur l’égalité de droit, en déconstruisant les notions de sexisme et d’homophobie et en allant vers le développement d’attitudes et de comportements citoyens, qui favorisent des déterminants de santé pour tous les jeunes, garçons et filles, de toutes les orientations sexuelles.

Quelques questions fréquentes pour terminer

N’est-ce pas mettre des idées dans la tête des jeunes, que de parler de la diversité des orientations sexuelles?
Il est illusoire de penser que les jeunes n’évoquent pas ce sujet entre eux. Il en est déjà question, même sans animation scolaire, même si l’animation n’a pas comme objectif de parler des orientations sexuelles. Cette recherche le démontre, mais aussi tout simplement la vie quotidienne. Quels jeunes ne regardent pas la Star’Ac, les feuilletons pour ados comme Friends , les groupes de musique tels que T.a.T.u., Eminem, etc. Parler et entendre parler de l’homosexualité et de la bisexualité, souvent avec des clichés stéréotypés, fait partie du quotidien de tous les jeunes, filles et garçons, quelle que soit leur orientation sexuelle.
De plus, avec l’adoption de la loi sur le mariage et le projet sur l’adoption par les couples de personnes de même sexe, le sujet est social. Eduquer et parler de l’homophobie et de l’hétéronormativité à l’école, à tous et toutes, est donc d’autant plus important.
Au passage de l’adolescence, qui commence de plus en plus tôt et finit de plus en plus tard, des remaniements identificatoires s’opèrent chez tous les jeunes. Ils apprennent la vie en communauté et s’approprient un savoir mais aussi des normes et des valeurs. Il est donc nécessaire d’aborder ces thèmes, au même titre que le racisme ou le sexisme par exemple, afin d’informer les élèves objectivement, de stimuler leur esprit critique, pour qu’ils puissent dialoguer avec autrui et comprendre les situations auxquelles ils seront confrontés pendant leur scolarité et tout au long de leur vie, et aussi afin de prévenir les violences entre jeunes, entre adultes et jeunes ou encore que le jeune peut s’infliger à lui-même (ex: tentative de suicide).
N’est-ce pas orienter les jeunes qui sont en questionnement mais qui ne sont peut-être pas vraiment homosexuels?
Les jeunes plus directement concernés, qui s’identifient comme homosexuel(le)s ou bisexuel(le)s ou qui se posent des questions, ont besoin d’une aide supplémentaire à l’école. En effet, ces jeunes ne sont pas placés à égalité avec les jeunes hétérosexuels, car ils vivent au quotidien une situation de non-conformité avec les attentes sociales et familiales, ils ne reçoivent pas les ressources cognitives pour réagir (ils pensent souvent être seuls à être « comme ça ») et ils vivent de la stigmatisation et des violences (la moitié des violences subies par ces jeunes ont lieu à l’école, par des pairs, violences psychologiques et verbales 90%, harcèlement 61%, violences physiques 71% et/ou sexuelles (4)). D’autres violences proviennent de membres du personnel scolaire.
Certain(e)s jeunes homosexuel(le)s ou bisexuel(le)s sont plus enclins à obtenir de mauvais résultats scolaires, à consommer des substances toxiques, à s’isoler, à avoir peu d’estime d’eux-mêmes et à commettre des tentatives de suicide. La loi du silence à l’école, qui entoure les orientations homo ou bisexuelles, est donc lourde de conséquences.
Elle l’est d’autant plus que ces orientations sont caractérisées simultanément par une absence de communication et de transmission intergénérationnelle familiale et une absence de soutien parental à ce sujet, ainsi que par de l’invisibilité et de l’absence de modèles positifs. Les jeunes qui se questionnent ou qui s’identifient comme gay, lesbienne ou bisexuel(le) manquent de points de repère et ont du mal à se construire une identité autour de leurs sentiments les plus intimes. Ces jeunes ne voient pas leur réalité reconnue, ni même évoquée, si ce n’est en des termes négatifs (insultes, railleries, plaisanteries…). En restant silencieuses quant au thème de l’orientation sexuelle, l’école et les éducations affectives et sexuelles cautionnent l’homophobie ambiante, notamment au niveau du langage. Elles ne remplissent pas leur devoir d’objectivité et d’éducation pour tous et toutes, en ne valorisant que les formes de socialisation hétérosexuelles.
Mais est-ce que tant de jeunes sont concernés?
Dans chaque classe, il peut y avoir en moyenne un-e ou deux jeunes qui se sentent attiré(e)s par des pairs de même sexe (de 5 à 10% de la population globale). Dans chaque classe, il peut y avoir en moyenne plusieurs enfants dont un parent et/ou un membre de la famille est gay, lesbienne ou bisexuel.
Ne s’agit-il pas de faire du prosélytisme pour l’homosexualité et la bisexualité, que d’en parler avec les jeunes?
D’une part, est-ce donc du «prosélytisme noir» que de parler de racisme à des blancs? D’autre part, c’est prêter aux orientations homo ou bisexuelles un pouvoir d’attraction et une suprématie relationnelle qu’elles n’ont pas!
L’homosexualité ou la bisexualité, tout comme l’hétérosexualité, n’est pas un choix. De plus, bon nombre de personnes d’orientation homo ou bisexuelle viennent de familles majoritairement ou totalement hétérosexuelles, et la plupart des enfants qui ont des parents homosexuels, sont hétérosexuels.
Mais ne sont-ils pas trop jeunes pour qu’on leur parle d’homosexualité?
Dès la première année primaire, les jeunes connaissent une panoplie d’insultes, dont certaines sont homophobes. L’école a comme mission de faire en sorte que tous les élèves puissent s’exprimer dans la diversité et que les jeunes puissent poser des questions et recevoir de l’information neutre et la plus objective possible, notamment sur les orientations homo ou bisexuelles.
S’ils ne sont pas trop jeunes pour intégrer des mécanismes sexistes et homophobes ambiants, pour apprendre à se détester et à cibler un bouc émissaire, ils ne sont certainement pas trop jeunes pour que, dès la première année primaire, on leur parle des diverses formes d’amour et qu’on leur apprenne le respect de chacun. Il y a autant d’âge adéquat pour commencer à parler d’homosexualité, que d’hétérosexualité. En résumé, dès qu’un enfant est différencié et voit deux personnes qui s’aiment, qu’il se rend compte qu’il vit dans un monde où les gens ont des sentiments les uns par rapport aux autres, il peut apprendre que l’amour est pluriel et prend diverses formes, que l’important est le respect.
Magenta , Rosine Horincq , psychologue, psychothérapeute, coordinatrice du projet
Pour plus d’infos, adresse de l’auteure: asbl Magenta, BP 5, 1040 Etterbeek 3. Courriel: magenta@contactoffice.be. Tél.: 02 524 42 16 ou 0478 404 314
(1) “ La peur de l’autre en soi. Du sexisme à l’homophobie ”, sous la direction de Daniel Welzer-Lang, Pierre Dutey et Michel Dorais, vlb éditeur, coll. Des hommes en changement, 1994.
(2) Irène Demczuk, « Des droits à reconnaître: les lesbiennes face à la discriminations », Montréal, Les éditions du remue-ménage, 1998.
(3) Maître de conférence à l’Université de Lille 3, en Sciences de l’Education, au “ Symposium “ Rapport à la Loi et construction de l’identité en milieu scolaire ”, 6/9/2001.
(4) Recherche de Mason et Palmer, 1996, citée dans « Talking about homosexuality in the secondary school ».

De l’éducation pour la santé à la promotion de la santé

Le 30 Déc 20

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1997 marque l’entrée officielle, décrétale même, du concept de promotion de la santé en Communauté française. D’éducateurs pour la santé, de nombreux professionnels sont devenus par la magie des mots «promoteurs de la santé», avec une extension théorique de leur champ de compétence qui donne le vertige.
Au fil des années, cette mutation et les concepts qui l’accompagnent ont soulevé bien des interrogations. Soucieux de quitter quelques instants nos préoccupations opérationnelles, de prendre un peu de recul par rapport à nos pratiques quotidiennes, le Service communautaire de promotion de la santé – asbl Question Santé a sollicité un regard extérieur au secteur de la santé, celui de la philosophie. Voici donc la trace écrite laissée par des entretiens libres au cours desquels Samantha Crunelle , philosophe, a partagé avec nous divers questionnements. Ces quelques réflexions exigeront sans doute un petit effort de la part du lecteur, mais nous pensons que cela peut être fécond.
Le premier article présente quelques notions fondamentales, le second, à paraître prochainement, s’intéressera au concept incontournable (mais l’est-il vraiment?) de la participation.
SCPS – Question Santé
Dans une étude réalisée en 2001 par le Ministère des Affaires économiques, l’Etat belge posait la question suivante à nos compatriotes: «Etes-vous en bonne santé?». Nous avions pour tout choix de réponse une échelle d’appréciation allant de bonne santé à faible santé, en passant par moyenne santé.
Nombreux sont ceux qui, déconcertés, hésitèrent avant de répondre en toute honnêteté à cette question du recensement.

De la santé…

Cette question posée, parmi tant d’autres, pouvait sembler très simple, voire triviale. Mais derrière l’évidence apparente, elle ne renvoyait pas moins d’une part, à considérer pour chacun quel était son état de santé et d’autre part, par conséquent, à pouvoir définir ce que pouvait bien être la santé à un moment donné de l’histoire de notre plat pays… Questions de santé qui nous font parfois prendre conscience de l’abîme d’imprécisions, de réponses toutes faites ou d’absence de réponses sur ce sujet.
La question de la santé, et de la santé publique, s’avère bien entendu complexe, malgré les essais de définitions, données entre autres par les dictionnaires, les spécialistes et chartes diverses sur le sujet (1). De ces diverses définitions, on peut néanmoins dégager un tronc commun, un commun dénominateur et envisager quelles en sont les implications pour la promotion de la santé et quelles questions cela soulève.
On sait que «la santé» ne recouvre pas qu’une étendue biomédicale et qu’elle implique le contexte socioculturel ainsi que tout le contexte subjectif de «niveau de vie». Déjà, on se trouve devant une dimension si englobante que cette notion peut redevenir floue, imprécise, voire décourageante.
Comme il ressort de diverses lectures, la notion de santé est à mettre en parallèle avec celle de changement (2). En effet, la santé est changeante, fluctuante, et nos conceptions et appréciations envers elle sont à chaque fois à réaménager, car la vie est elle-même dotée des mêmes atouts de modification et de mouvement. Mais en même temps, on sait que tout système humain ou simplement vivant tend à l’homéostasie, à l’harmonie . On se trouve ici devant un des nombreux aspects paradoxaux de la santé: elle tend à être réconciliation du changement et de l’harmonie, «tout simplement»… Cette dualité montre à quel point la santé est une notion en perpétuelles tensions, qui porte en elle deux dimensions inconciliables et qui pourtant vont de pair.

…à l’intelligence

Mais ce dualisme montre aussi que la santé a peut-être un synonyme peu connu, celui d’ intelligence . En effet, n’est-ce pas une des définitions de l’intelligence que «la capacité à utiliser au mieux ses potentialités dans une adaptation modulée au monde extérieur», qu’on peut aussi appliquer à la santé (3)? Il est dès lors intéressant de travailler la santé à l’aide de cette mise en avant de l’intelligence.
Cette approche permet de faire comprendre aux gens, dans le domaine de la promotion de la santé, qu’il existe une sorte de ‘quotient intellectuel’ de santé et que le travailler, le respecter c’est aussi le réalimenter. Elle est également pertinente dans la démarche d’«alarme» aux populations: «c’est une affaire d’intelligence publique, voire mondiale, et puisque nous savons que vous n’êtes pas stupides, nous vous en faisons part comme aux spécialistes, afin que vous réagissiez de la façon la plus sage qui soit…».
Dans cette notion de la santé «adaptative», le caractère d’ activité est à souligner. La santé ne semble pas être un état d’équilibre obtenu de manière passive: cette finalité (éphémère?) n’est pas inerte mais dynamique; a priori, elle veut vivre, elle est, comme tout être vivant, une vie voulante , concept schopenauerien qui lui colle bien à la peau.
Et ce que déclarait déjà Schopenhauer, à savoir que toutes ces «vies voulantes» en arrivaient toujours à s’entrechoquer, à grignoter sur la santé de l’autre, peut être un argument contemporain aux détracteurs de l’éducation à la santé: à quoi sert d’éduquer les gens à la santé alors qu’il s’agit d’une affaire fataliste, qu’il y en aura toujours qui s’en sortiront mieux que d’autres, car ils sont plus malins et qu’ils utilisent les meilleurs moyens?
Une remarque encore serait pour souligner le préjugé fallacieux (?) du caractère naturel de la santé : celui qui considère que, de toute façon, la santé est une affaire innée, naturelle, qui s’autorégule d’elle-même sans avoir besoin d’assistances extérieures, sinon très peu, car tout ou presque est désigné d’avance. Que rétorquer à ce genre d’argument? Que faire sinon savoir qu’on ne jouera pas le jeu de la promotion de la santé avec ceux qui tiennent ce type de discours?
Cette digression à caractère déterministe peut en amener une autre, plus fondée peut-être: comment s’inscrire dans la promotion de la santé qui représente, pourrait-on dire, une démarche «de gauche», dans des sociétés ouvertement plus libérales qu’auparavant, où l’individu tend à primer sur la collectivité, où l’individu entend de plus en plus se considérer comme un électron libre dans une société qu’il envisage plus comme un canevas où déambuler que comme un filet de soutien à lui-même et aux autres? Est-il encore réaliste de promotionner cette vision solidaire de la santé?

Les limites de la démarche holistique

Ceci nous amène à examiner une dimension primordiale de la promotion de la santé, sa démarche holistique . «Holisme: expliquer les phénomènes de manière globalisante à partir d’une prédominance du Tout sur les parties» (4). On est clairement dans une «prise de vue» (5) qui démarre de l’horizon pour aboutir à un élément de cet horizon, élément qui devrait se trouver par là éclairci et clarifié. J’insiste une fois encore sur le fait que cette «prédominance du Tout» n’est plus tout à fait à la mode aujourd’hui… mais continuons.
Il est incontournable d’étudier la santé à l’aide de ce présupposé, à savoir qu’elle est un élément en rapport avec tant d’autres qui ne sont pas toujours de même nature, mais qu’on ne peut ignorer pour ne pas fournir une approche biaisée du phénomène.
Cette prise en compte globale et systémique, très à la mode dans les domaines scientifiques (que ce soit en sciences économiques avec la systémique de gestion, en sciences sociales depuis longtemps…) et non scientifiques (en psychologie avec Bateson et toute l’école de Palo Alto, en philosophie depuis le vieux rêve de Descartes en passant par Nietzsche et sa généalogie, Foucault, Deleuze et sa philosophie du rhizome ou réseau, à Bruno Latour et sa construction d’un collectif) est aujourd’hui inévitable si on veut présenter une étude digne de ce nom. Mais elle est porteuse de nombreuses difficultés.
Premièrement, la tâche s’avère gigantesque, presque infinie, si on ne décide pas d’arrêter son regard à un moment donné. En effet, si le chercheur ne veut pas se limiter à poser des questions sans y apporter de réponses, il faut bien qu’à un moment donné, il arrête son investigation, son «champ d’immanence» pour s’atteler à le travailler de manière fertile. Pas simple.
En outre, cette prise en compte de divers facteurs en relation avec la santé, mais non reliés directement les uns aux autres, ne risque-t-elle pas de paraître artificielle, simulée? Ne tombe-t-on pas, comme pour la santé, dans une définition si large (6) , aux infinies ramifications, que l’on se dit qu’il faut vite arrêter ce concept aux cas concrets envisagés? Et dès lors, le concept de santé varierait-il au gré des cas étudiés, ce qui en deviendrait à nouveau paradoxal?
Il est un fait certain: le novice, voire le profane, trouvera ces concepts trop abstraits «dans l’absolu». Si on prend les notions introduites dans la charte d’Ottawa par exemple, elles ne deviennent prenantes et signifiantes qu’en les appliquant à des cas tangibles, à des projets matériels, des problématiques et des mesures concrètes.
Nous entrons alors dans la problématique (encore une) des démarches propres à tout collectif se rapportant à la santé.

Légitimité des acteurs et méthodes de la promotion de la santé

En promotion de la santé, il est question de promotion ou d’éducation pour autrui (autrui étant soit un individu, soit un public, soit encore une masse). Le problème qui se pose est celui de la décision pour autrui : les promoteurs de santé ou éducateurs à la santé doivent en effet prendre la décision d’informer, d’éduquer ou de présenter une problématique de santé privée ou publique, alors que la ou les personnes concernées ou pouvant être concernées… ne le sont justement pas, ne se sentent pas concernés. C’est donc d’une part la question de la responsabilité de ces «hauts parleurs» de santé qui est soulevée, celle aussi de leur bien-fondé, de leur altruisme, de leur finalité. Ces éducateurs ou promoteurs de la santé seraient-ils des «révélateurs» de faits cachés, «pénombrés»?
Toutes les questions éthiques de la différence entre ce que l’on ne (nous) dit pas, ce que l’on ne sait pas et ce que l’on ne veut pas savoir se posent ici avec acuité (7).
Et en ce qui concerne les méthodes , la promotion de la santé procède parfois par des campagnes de communication. Si les méthodes utilisées s’avèrent dotées des mêmes attributs de conviction que la publicité commerciale, comment l’individu, la société ou la masse doivent-ils réagir face à une communication paradoxale de deux messages contradictoires sur un même sujet traité? Peut-être serait-il judicieux, pour bien faire la différence, d’effacer justement celle qui existe entre promotion de la santé et publicité en revenant au sens premier de publicité, celui donné par Kant: rendre public, au plus grand nombre afin d’éveiller les consciences et rendre l’homme maître de lui-même…
Les êtres humains sont-ils dès lors condamnés à la santé, voués à s’arracher de la Caverne afin de vivre bien? Nous retombons dans la problématique du libre arbitre qui se trouve doublée de la difficulté de la démarche globalisante à adopter: l’individu (société, masse) devrait-il se rendre compte de l’étendue de la démarche holistique ainsi que de la totalité de l’impact de la santé afin de «choisir une bonne direction de santé générale et holistique»?
Nous entrons ici dans une autre problématique inhérente à la promotion de la santé, celle de la participation . Nous y reviendrons dans un second texte.
Samantha Crunelle
(1) Cf. p.8-9 d’ Agir en promotion de la santé : un peu de méthode … , 1997, ainsi que la p. 91 de Education pour la santé , «Education pour la santé et promotion de la santé ».
(2) Cf. p.9 d’ Agir en promotion de la santé : un peu de méthode … , 1997.
(3) Ibid.
(4) Dictionnaire Le Robert, c’est moi qui résume et qui souligne.
(5) Je reprends la définition de ce qu’est « être de gauche » selon Gilles Deleuze dans son abécédaire.
(6) Cf. la définition de la communication de l’école de Palo Alto: «la communication est la matrice dans laquelle sont enchâssées toutes nos activités» ; ou encore «un individu ne communique pas, il prend part à la communication dès sa naissance»( !)
(7) Cf. le «droit de ne pas savoir» en bioéthique, sur les maladies familiales par exemple.

Vu à la télévision…

Le 30 Déc 20

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Le recours à un outil audiovisuel comme un spot télévisé , est relativement coûteux . La production d’un spot revient en effet à plusieurs centaines de milliers de francs , pour des montants allant de 600 . 000 F ( 14 . 874 €) à 1 . 500 . 000 F ( 37 . 184 €) selon les formules choisies . Il est dès lors légitime d’interroger la rentabilité d’un tel investissement , surtout dans le cadre des budgets limités qui sont souvent le lot des programmes de promotion de la santé .
Deux questions plus spécifiques se posent aux promoteurs de programmes de communication:
– les bilans d’audience (comme ceux utilisés classiquement dans le monde de la publicité) ont-ils une signification quelconque dans le domaine de la communication en promotion de la santé?
– peut-on établir une corrélation entre la visibilité d’un programme de communication et l’adoption d’un comportement précis proposé par le message véhiculé?(1)
Dans cet article, nous vous proposons des éléments permettant d’éclairer ces questions.

Contexte

Depuis de nombreuses années maintenant, nous coordonnons durant l’automne un programme de promotion de la vaccination pour les personnes âgées de 60 ans et plus.
Ce programme comporte une conférence et un communiqué de presse, une campagne de communication audiovisuelle (spots télévisés et radiophoniques), la diffusion d’affiches et de brochures via des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, etc.), des services de soins à domicile, des communes et CPAS, etc.
Chaque année également, un programme d’intensité identique, à l’exception du volet de communication audiovisuelle, est mené en Communauté flamande par la vzw Omtrent Gezondheid. Pour rappel, la Communauté flamande ne bénéficie pas du dispositif mis en place en Communauté française (2), qui permet de diffuser gratuitement des messages de promotion de la santé sur les ondes des chaînes télévisées et radiophoniques (principalement RTBF et RTLTVI).
Nous évaluons a posteriori le programme par une double approche:
– bilan de la campagne de communication audiovisuelle, par les techniques habituelles de la publicité (audience, OTS/OTH, GRP) (3);
– enquête de type CATI auprès d’un échantillon représentatif de la population nationale des personnes âgées de plus de 65 ans. Dans le cadre de cette enquête, les questions posées visent à estimer la visibilité de la campagne, les connaissances du public vis-à-vis des vaccinations recommandées (grippe, pneumocoque, tétanos) et le passage à l’acte (vaccinations réalisées).

Evalulation de la visibilité du programme de l’automne 2000

L’enquête menée en décembre 2000 montre qu’en Communauté française, la visibilité de la thématique ‘vaccination’
est nettement inférieure à celle qui avait été relevée au cours des années précédentes (voir tableau 1).
Bien que plusieurs éléments puissent influencer cette perception, nous sommes frappés par la corrélation avec l’évolution des bilans d’audience des campagnes. En effet, ces études d’audience montrent une attribution en 2000 d’espaces exceptionnellement médiocres par les régies gérant les espaces publicitaires des chaînes de radio- et télédiffusion, ceci principalement sur RTLTVI (régie IP) (voir tableau 2).
En additionnant les GRP obtenus sur chacune des chaînes, on obtient un GRP’historiquement’ bas en 2000, puisqu’il atteint environ 300, contre plus de 500 les années précédentes (voir tableau 3).
Par contre, en Communauté flamande, on constate qu’en 2000, la visibilité est meilleure que celle des années précédentes (tableau 1). Par ailleurs, la visibilité de la campagne de communication est comparable au nord et au sud du pays (Bruxelles +Wallonie).
Il est difficile d’expliquer ces chiffres avec certitude. On pourrait y voir l’influence d’un événement survenu au mois de novembre 2000 (annonce non fondée d’une rupture de stock de vaccins contre la grippe). En effet, près de 6 personnes interrogées sur 10 ont entendu parler de ‘pénurie’ de vaccin contre la grippe (61 % au Nord, 54% au Sud du pays). Cette rumeur, très largement répercutée dans l’ensemble du pays par la presse écrite et audiovisuelle, a probablement contribué à homogénéiser la visibilité pour l’ensemble du pays. Par ailleurs, en Communauté flamande, on constate également un accroissement en 2000 du pourcentage de personnes de 60 ans et plus signalant adopter le comportement de vaccination contre la grippe (tableau 4). Les causes de cet accroissement sont certainement multiples; cependant, on constate une évolution parallèle aux chiffres de visibilité de la campagne.

Autres réflexions

L’examen des résultats des enquêtes menées de 1996 à 2000 suscite encore quelques réflexions.
En Communauté française, on constate une hausse très significative (plus de 30%) du recrutement de personnes de 60 ans et plus signalant adopter le comportement de vaccination contre la grippe (de +/- 44% en 1996 à :+/- 58 % en 2000); après une baisse en 1998,ce recrutement semble stabilisé (voir tableau 4). Une des questions qui se posent est de savoir si nous arrivons à un nouveau seuil de couverture vaccinale , qu’il sera plus difficile de faire évoluer.
Cette constatation sur base des enquêtes est confortée par des chiffres croissants des ventes de vaccins; bien sûr, une part de cette augmentation de vente s’explique aussi par le recrutement de personnes plus jeunes (démarche de vaccination en entreprises, accroissement de la notoriété générale du vaccin,…).
Le vaccin contre le pneumocoque ne nécessite pas de rappel avant un délai d’au moins 5 ans. l’année 1996 a vu les premières vaccinations. Le pourcentage cumulatif (de 1997 à 2000) de personnes de 65 ans et plus déclarant avoir été vaccinées contre le pneumocoque est de 62% au sud du pays (Bruxelles + Wallonie) et de 26% seulement au nord du pays (voir tableau 5). Ces chiffres sont peut-être surestimés (surdéclaration dans l’enquête). Quoi qu’il en soit, la différence est impressionnante.
Parmi les facteurs pouvant expliquer cette différence, deux apparaissent a priori plus évidents:
– la WWH (Wetenschappelijk Vereniging van de Vlaamse Huisartsen) ne soutient pas activement la recommandation officielle du Conseil supérieur d’hygiène (Ministère fédéral de la Santé publique),au contraire de son homologue francophone la SSMG (Société scientifique de médecine générale);
– il n’y a pas eu de campagnes audiovisuelles de promotion de la vaccination au nord du pays.

Conclusions

L’amélioration progressive des couvertures vaccinales pour la grippe et le pneumocoque en Communauté française est certainement la résultante de plusieurs facteurs, parmi lesquels une intervention plus active des professionnels de santé.
La contribution de la communication sur le passage à l’acte de vaccination semble incontestable. Elle est favorisée, dans le cas particulier de l’immunisation des personnes de plus de 60-65 ans, par le caractère saisonnier de l’acte préventif: Cette particularité permet de Concentrer les efforts sur une période courte (quelques semaines) chaque année.
Dans le domaine spécifique de la vaccination des personnes de plus de 60-65 ans, on constate une corrélation entre la visibilité d’un programme de communication et l’adoption d’un comportement de vaccination.
Philippe Mouchet . Patrick Trefois , Question Santé
Adresse des auteurs : Question Santé, rue du viaduc 72, 1050 Bruxelles .
(1) La campagne de promotion du don d’organe avait déjà permis de répondre affirmativement à cette question (voir Education Santé n°156, février 200I, pp.15 à 17).
(2) Arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif à la diffusion de campagnes d’éducation pour la santé par les organismes de radiodiffusion paru au Moniteur du 19/4/95.
(3) L’audience est le pourcentage estimé de la population cible qui a vu (télévision) ou entendu (radio) le message.
OTS, opportunity to see, et OTH,opportunity to hear: nombre moyen d’exposition au message (vue ou ouie) de chaque personne touchée par la campagne. On considère généralement qu’une personne doit avoir vu ou entendu le message au moins 3 fois pour le mémoriser.
GRP, gross rating point: indice obtenu en multipliant l’audience par l’OTS ou l’OTH. Il reflète la force d’impact, l’intensité de la campagne audiovisuelle. Si on prend un échantillon de 100 personnes du public visé, le GRP représente le nombre de fois que ces 100 personnes ont été touchées par le message. On considère généralement qu’un GRP de 300 est bon.

‘Chaque automne , il est nécessaire d’encourager les personnes de 60 ans et plus à voir leur médecin pour faire un bilan de leurs vaccinations’ .
Fondamentalement, le message ne change guère d’une année à l’autre, et la campagne radiodiffusée et d’affichage reprend d’ailleurs les éléments de la campagne précédente.
Parmi les innovations, signalons un effort particulier des pharmacies affiliées à l’Association pharmaceutique belge pour attirer l’attention de leurs clients visés par la campagne (autocollant sur le ticket de caisse!).
De son côté, le Dr Snacken , Chef de travaux à l’Institut scientifique de santé publique, un spécialiste de l’influenza, estime que les recommandations en matière de vaccination contre la grippe devraient être sérieusement étendues. Selon lui, les personnes âgées de 50 ans et plus, même si elles ne présentent pas d’affection à risque, devraient se faire vacciner, ainsi que les femmes enceintes qui seront au-delà du premier trimestre de grossesse durant la saison hivernale. Voilà une proposition qui n’est pas faite pour déplaire aux producteurs du vaccin, qui ont déjà prévu de fabriquer plus de doses que l’an dernier!
En ce qui concerne le pneumocoque, le Dr Van Laethem , du Service des maladies infectieuses du CHU St-Pierre à Bruxelles, insiste sur trois points: d’abord, la mortalité précoce (dans les 2 ou 3 jours) de l’infection est peu modifiée par le traitement antibiotique; ensuite, nous assistons à une résistance croissante des pneumocoques vis-à-vis des antibiotiques habituels (pénicilline et macrolides); enfin, des études récentes tendent à confirmer l’efficacité du vaccin utilisé en Belgique, qui contient 23 séro-types de pneumocoques représentant 95% des pneumocoques circulant dans notre pays.

Tableau 1 – Réponses à la question :’Depuis le mois de septembre, avez-vous entendu parler de conseils pour la vaccination des personnes de 60 ans et plus?’

Région/Année

1996 1997 1998 1999 2000
Nord 47% 38% 20% 38% 51%
Bxl+Wal. 84% 76% 64% 71% 54%

Tableau 2 -Récapitulatif du bilan d’audience des campagnes de promotion de la vaccination contre la grippe de 1997 à 2000

RTBF

1997 1998 1999 2000
Nombre de passages 42 60 64 58
Equivalent budget(*) 1.918.200 3.746.125 4.812.500 1.700.000
Coût moyen d’1 passage TV 45.671 62.435 75.195 29.310
Cible retenue > 55 ans > 55 ans > 60 ans > 65 ans
GRP 212 270 418.8 250.8
OTS 2.9 3.7 5.2 4.1
Couverture 73,30% 73,40% 80,80% 61,20%
RTL-TVI 1997 1998 1999 2000
Nombre de passages 45 42 60 39
Equivalent budget (*) 3.023.523 2.549.550 3.389.500 n.c.
Coût moyen d’ 1 passage TV 67.189 60.703 56.492 n.c.
Cible retenue > 65 ans > 65 ans > 55 ans > 55 ans
GRP 323 277 254.4 53.1
OTS 4.7 3.9 3.7 2.4
Couverture 68,70% 70,80% 66,40% 22,20%

(*) : coût des espaces pour un acheteur commercial

Tableau 3 -GRP cumulé

Années

GRP CUMULE
1997 535
1998 547
1999 673,2
2000 303,9

Tableau 4 – Cet automne, vous êtes-vous fait vacciner contre la grippe?

96 97 98 99 2000
Nord 44% 56% 46% 44% 55 %
Bruxelles et Wallonie 44 % 59 % 49 % 57 % 58 %

Tableau 5 – Cet automne, vous êtes-vous fait vacciner contre le pneumocoque?

96 97 98 99 2000 Cumulatif
Flandre 10% 6% 6% 4% 26%
Bruxelles et Wallonie 18% 14% 17% 13% 62%

Vache folle et tabagisme. Décisions publiques et décisions privées

Le 30 Déc 20

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Dans un récent article (1) , le Professeur Jean-Paul Sculier , chef de la clinique de cancérologie pulmonaire à l’Institut Bordet écrivait: ‘Quiconque se donne un peu de recul pour examiner le comportement de notre société ne peut qu’être surpris par l’inégalité des mesures qu’elle prend contre les fléaux qui la frappent.’

Principe de précaution

Cancer des poumons, infarctus ou insuffisance respiratoire, le tabac tue chaque année environ 18.000 personnes en Belgique et est responsable de 10 % des années de vie perdues chez l’homme dans notre pays.
La crise de la vache folle, épidémie qui touche le bétail à la base d’une partie de notre alimentation, a touché plusieurs pays européens.
Evaluant le risque d’épidémie pour les populations humaines, les autorités ont décidé à différents niveaux de pouvoir:
– de pratiquer des milliers de tests de dépistage;
– d’abattre tout animal suspect;
– d’interdire la consommation des parties de bœuf à haut risque d’être contaminé;
– de prohiber l’utilisation des farines animales à des fins d’élevage.
Ces mesures ont été prises à titre essentiellement préventif au nom du principe de précaution, quelques personnes étant décédées en Europe de l’encéphalopathie spongiforme bovine.
L’Etat est donc intervenu de façon majeure et très rapide pour l’E.S.B.
Le contraste est frappant avec le tabagisme, les actions entreprises dans ce domaine pour protéger consommateurs et non-consommateurs étant nettement plus discrètes.

Une bonne loi est celle qui est applicable

Certes des lois ont été adoptées, qui vont pour la plupart dans le bon sens, le premier devoir d’un législateur responsable étant de chercher à augmenter la protection de la population.
Evidemment, les mesures répressives sont toujours les premières envisagées, étant les plus faciles à prendre sinon à appliquer et propices aussi à satisfaire les instincts moralisateurs des majorités silencieuses.
Le premier critère auquel on reconnaît une bonne mesure, après qu’elle ait été décidée, est qu’elle est appliquée, donc applicable!
Par exemple, il est logique d’interdire de fumer dans un ascenseur.
Mais qui fera appliquer la loi? Quelle sera la sanction réelle en cas de non-respect?
A défaut d’agents verbalisateurs, les redresseurs de torts s’opposeront aux provocateurs dans des micro-conflits sans intérêt. Sans doute eût-il été préférable de ne pas légiférer ainsi, et de se borner à un message éducatif intelligent à apposer dans les ascenseurs, qui sont des lieux mal ventilés, où certains peuvent se trouver très incommodés alors que la brièveté du trajet n’impose pas aux fumeurs une contrainte excessive.
La majorité des fumeurs(ses) supportent sans trop en souffrir un film d’une heure et demie dans une salle de cinéma. Trente secondes sans tabac dans un ascenseur ne devraient pas être insurmontables…
Il est bon lorsqu’on prend des mesures radicales de tenir compte des limites qu’impose au fumeur sa dépendance, qui sont peut-être liées à la courte demi-vie plasmatique (2 heures) de la nicotine. Si elles tiennent compte de ces contraintes, les interdictions (lieux publics, salles de spectacles, vols de courte durée, etc.) ont du bon.
Elles véhiculent le message que fumer n’est pas la norme et que les pouvoirs publics s’en occupent. Comme la grande majorité des fumeurs ont commencé à fumer pour se conformer à une norme, cela peut être important pour la prévention de valoriser une norme inverse.
Le second critère est qu’une bonne mesure doit atteindre son but sans effets pervers qui puissent en diminuer les bénéfices. Nul n’ignore l’effet incitatif de l’interdiction de la vente de tabac aux mineurs par exemple. A un âge où fumer est vu comme une première transgression initiatique, ajouter une interdiction supplémentaire ne peut que donner plus de prix et d’attrait à cette transgression. Ceci sans imaginer les petits bénéfices que les plus âgés pourraient tirer d’un commerce illicite à la porte des écoles!

L’intervention de l’Etat est-elle légitime?

En réalité la vraie question porte sur la légitimité des politiques préventives mises en œuvre par les pouvoirs publics.
Qu’en est-il de la légitimité des politiques qui fondent un nouveau droit du citoyen à ne pas subir les agressions d’autrui lorsqu’elles sont nocives pour la santé, que ce soit avec certitude ou probabilité? Qu’en est-il de la légitimité des politiques qui viseraient à protéger les citoyens contre eux-mêmes?
D’après Serge Karsenty (2), les trois sources de légitimité de l’Etat intervenant en matière de santé publique sont les suivantes:
– l’existence d’une externalité;
– l’invisibilité du risque;
– l’impossibilité technique d’une protection individuelle contre le risque.
Il y a externalité d’un comportement lorsqu’il y a création d’un avantage ou d’un inconvénient pour un tiers sans échange sur le marché, c’est-à-dire sans pénalisation financière pour celui qui crée une nuisance, ni récompense s’il s’agit d’un bienfait. L’archétype de l’externalité négative est la pollution. Le principe pollueur – payeur représente une internalisation de cet effet.
Le premier effet externe négatif tient au caractère transmissible de certaines maladies.
De même l’échange d’un bien toxique sur un marché ne comporte généralement que le prix du plaisir que le consommateur reconnaît tirer de son bien. La réparation du sinistre est à sa charge ou à celle de la société. Le producteur a créé un effet externe négatif.
L’ impossibilité pour l’immense majorité d’une population de repérer et d’estimer les risques dans l’environnement pour sa santé est contemporain d’un univers technique dans lequel s’accroissent les opacités à l’égard du profane. Prenons le cas des faibles radiations ou celui du tabagisme passif. Il faudra des expertises pointues et coûteuses pour mesurer l’exposition au risque qui, avec la radio-activité faible comme avec le monoxyde de carbone inhalé par les non-fumeurs, ne se sent ni ne se voit.
Il faudra des experts, pour pronostiquer leurs conséquences sur la santé. Leurs prédictions ne seront vérifiées pour un individu particulier , qu’avec un temps de latence mesuré en années ou dizaines d’années entre l’exposition au risque toxique et la détérioration qui lui est imputable.
La plus ancienne norme de légitimité du rôle de l’Etat en matière de santé concerne les conséquences en termes d’organisation sociale des caractéristiques physiques du risque. Il est des situations où seule l’organisation collective protège , indépendamment de la visibilité du risque et même de l’existence d’externalités. En cas d’épidémie, non seulement la réglementation sur les quarantaines ou la façon d’enterrer les morts ne peut venir que de la puissance publique, mais les moyens à mettre en œuvre dépassent techniquement les possibilités individuelles.

En conclusion, au delà de la réaffirmation du devoir de l’Etat d’assurer le droit à la santé de ceux qui sont menacés, soit par les risques invisibles à leurs yeux, soit par les comportements des autres, il semble qu’il soit toujours possible et facile de gagner en liberté ce que l’on perd en solidarité.
L’indifférence au sort d’autrui n’est-elle pas de plus en plus la toile de fond des formes simplistes de la morale de la responsabilité?
«A toi de voir, c’est ton problème» est devenu le leitmotiv des courants éducatifs postmodernes. Ici, le respect formel de la liberté du partenaire se confond souvent confortablement avec le dégagement de toute responsabilité quant aux conséquences de ses actes.
Bref, le débat est ouvert entre les décisions publiques et privées. A chacun d’apporter sa contribution ou son point de vue. Michel Pettiaux , FARES Adresse de l’auteur: rue de la Concorde 56, 1050 Bruxelles.

(1) Carte blanche du journal Le Soir du 12 février 2001
(2) Serge Karsenty, Centre de Recherche en Economie de la Santé , CNRS, 1993

Un autre regard sur le dopage

Le 30 Déc 20

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Depuis une vingtaine d’années, les experts en toxicomanies sont assez d’accord pour se rallier au modèle explicatif développé par Helen Nowlis (1) aux Etats-Unis concernant les phénomènes d’usage de drogues.
Selon ce modèle, l’usage de drogues voire la toxicomanie reposent sur une triade «produit-personne-environnement». Ainsi, la toxicomanie est la résultante de la rencontre entre un individu (avec son histoire et sa manière d’être au monde, son identité, son statut, etc.) et un produit (avec ses caractéristiques propres, son cadre légal, etc.) dans un environnement/contexte donné (la société, la ville, le quartier, la famille,… mais aussi la culture relative aux produits en question). Ces trois pôles sont en interaction constante; si l’on néglige un des trois pôles, on aboutit à une lecture faussée d’un phénomène particulièrement complexe.
L’évolution du traitement de la thématique drogue au cours des 30 dernières années peut apporter un éclairage intéressant à l’approche du dopage, qui est devenu un enjeu majeur de la pratique sportive.

Un (trop) rapide tableau

D’abord, les spécialistes et le public se sont focalisés sur les produits, ces poisons d’où vient le Mal. Conséquence: apparition du mythe de l’éradication des drogues, de la guerre à la drogue, avec un idéal d’abstinence et des croisades de redressement moral dignes de la grande époque de la prohibition.
Ensuite, on a ajouté l’individu dans l’analyse. Le drogué est devenu le bouc émissaire par excellence, un individu suscitant à la fois répulsion et fascination (voir la figure emblématique du «junkie», Christiane F., etc.). Le drogué, c’est l’autre, et certains veulent à n’importe quel prix le soigner, lui faire suivre des cures, le rééduquer (communautés thérapeutiques hard, par exemple ou encore lobotomies), d’autres veulent le punir, l’enfermer, l’exécuter. Le drogué, criminel et/ou malade! Les plus respectueux se sont centrés sur les rapports entre le toxicomane et la drogue (la psychanalyse par exemple), sur l’usage de drogues comme rite d’initiation à l’adolescence ou encore comme conduite ordalique, etc.
Enfin, on a introduit la dimension du contexte.
Contexte socioculturel d’abord: cultures, représentations, inconscient collectif par rapport aux drogues, notion de plaisir, attrait du fruit défendu,… mais aussi pressions de la société (mythes de l’homme moderne: performance, beauté, jeunesse,…), avoir et paraître, etc.
Contexte géopolitique aussi: rapports nord-sud, économies parallèles et narcotrafic, etc.
J’arrête là la présentation de cette grille de lecture de l’évolution des regards sur le phénomène des drogues pour en arriver au dopage.
Que peut-on tirer de nos démêlés avec les drogues qui soit utile pour une approche nouvelle du dopage?
Ne sommes-nous pas en train de suivre la même évolution?

La focalisation exclusive sur le produit

On s’interroge finalement peu sur le contexte et les individus. En caricaturant, on pourrait dire que l’on est aujourd’hui en train de se préparer (par respect des conventions internationales?) à une nouvelle guerre contre d’autres produits (les produits dopants). Guerre qui va mobiliser des légions de policiers ou assimilés pour détecter, inspecter, saisir les produits interdits sur fond d’hygiénisme (le sportif consomme des produits sains pour maintenir un corps sain – obligation morale). Les commissions d’évaluation et de contrôle vont se multiplier et les laboratoires d’analyse toucher le jackpot. On va créer des infrastructures et de l’emploi. Le monde scientifique et surtout médical apportera la caution scientifique à l’entreprise: une nouvelle guerre menée au nom de la santé.

Les individus

Pour le moment, dans les affaires de dopage, on ne parle quasi exclusivement que des sportifs professionnels: monde qui est assez éloigné de la plupart d’entre nous. Ces problèmes de dopage concernent donc une catégorie de public très limitée, nous y reviendrons.
Pour le reste de la population pratiquant le sport on sait peu de choses. Le sport amateur est aussi touché (cyclisme, pratique de la musculation, etc.) de façon très variable (sport pratiqué seul, sport pratiqué en club).
Quel sort réservera-t-on, dans le cadre non professionnel, aux sportifs amateurs qui recourent aux produits dopants? Rouvrira-t-on une nouvelle guerre aux drogués avec ses prisons, ses exclusions, ses stigmatisations? Il semble que non, mais tout cela n’amplifiera-t-il pas l’attrait pour la consommation et sa résultante le trafic des produits prohibés? N’oublions pas que la prohibition garantit la rentabilité des trafics!

Le contexte

On nous parle des sportifs sans faire de distinction entre les amateurs et les professionnels. Or, il n’est que de voir le coût des transferts dans certains sports, les gains faramineux de certains professionnels et de certains clubs, les droits de télévision exorbitants, etc. pour se convaincre du gouffre qui sépare les professionnels des citoyens qui comme vous et moi pratiquent occasionnellement ou régulièrement un sport. Il me semble donc fondamental dans l’analyse de prendre en compte ces différences.
Concernant les amateurs, il y a certainement un travail éducatif à faire mais qui doit s’inscrire dans des approches connues:
-parler avec clarté de tous les produits (tant les substances légales comme l’alcool qu’illégales comme le cannabis, les produits dopants, etc.);
-développer les compétences personnelles (esprit critique, capacité de construire des relations satisfaisantes avec les autres, valorisation de l’image de soi, confiance…);
-faire le lien dans les approches entre les drogues illégales, les drogues légales, les produits dopants, les produits amaigrissants, les autres formes de dépendance; etc.
-élargir la question. Ainsi par exemple, soutenir les éducateurs dans la gestion de la ‘3e mi-temps’ (avec conduite de véhicule à la clé) serait peut-être plus utile que la nouvelle guerre que l’on est peut-être en train de construire en voulant bien faire.
Donc, concernant les sportifs amateurs, oui pour une politique de promotion de la santé à l’égard du recours aux produits dopants mais dans une approche globale, intersectorielle et nuancée. Relancer un véritable mouvement d’éducation prenant en compte et préservant la dimension de reliance de la pratique sportive (2) .

Et les sportifs professionnels?

Il me semble important de différencier les choses et d’analyser le contexte.
Bien sûr, l’idéal olympique prend un sacré coup de déprime lorsqu’on découvre que les héros du stade, porteurs de valeurs dont nous rêvons tous (l’athlète doué, le gagnant, le corps superbe et maîtrisé, etc.) doivent par moment leur gloire à des tricheries sous forme d’ingestion de pilules et d’injections de potions magiques.
Le premier réflexe est bien sûr de vouloir supprimer ce qui trouble notre idéal, nos représentations: éradiquons les produits, punissons les sportifs indignes. Retrouvons le paradis perdu du noble affrontement, de l’éthique de loyauté, de la cordialité et de l’amitié virile entre les champions. C’est hélas, me semble-t-il, comme pour les drogues illicites, une guerre perdue d’avance.
L’ingéniosité et la créativité des intéressés auront toujours une longueur d’avance sur les textes légaux prohibant les substances dopantes. Foin de nos idéaux.
Par contre, l’analyse du contexte fait apparaître d’autres éléments que l’on connaît mais sur lesquels on ne s’attarde pas assez.
Dans le sport professionnel, ce ne sont pas, in fine, les produits qui sont la cause du problème mais bien deux autres drogues redoutables: l’argent et la gloire.
Or, les sportifs professionnels sont des individus responsables tout comme n’importe quels autres citoyens. Ils ont fait choix d’un métier et de ses conditions. Ces conditions sont extrêmement dures car aux exigences sportives qui leur sont réclamées, s’ajoutent la pression financière et la compétition à outrance, le devoir de victoire.
Le problème du dopage est connu de tous et relève dès lors du libre arbitre de chacun. Certains se doperont sans limites, d’autres seront plus prudents, d’autres encore s’abstiendront. Il en va des sportifs professionnels comme de chacun d’entre nous finalement. Il leur faut choisir.
Comme le disait Jean-Francois Lauwens : « Le monde du sport charrie des idéaux de pureté , d’équité et de gratuité qu’il est le premier à transgresser , que ce soit par la corruption , le dopage et l’instauration d’un capitalisme sauvage où les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres . Certains ont proposé qu’à l’instar de ce qui se passe dans les sports américains , on laisse tomber l’hypocrisie sur toutes ces matières et que le sport ne soit plus qu’un spectacle (3).»
Faut-il dès lors consacrer des sommes faramineuses pour tenter d’assainir en vain le monde du sport professionnel qu’on appelle aussi le sport spectacle, qui est un créneau économique et financier comme un autre et qui se soucie bien peu des lois?
Ma réponse est non. S’il fallait proposer un choix politique en matière de promotion de la santé et au vu des moyens limités de la Communauté française, ce serait celui de se centrer sur les citoyens, sportifs amateurs, jeunes et adultes. Il serait assez révoltant de voir que les budgets sont avalés, en pure perte, pour mener une guerre contre des gens parfaitement lucides quant à leur choix de vie au détriment des actions à mener à l’égard des citoyens dits normaux qu’il est possible d’aider à se réaliser à travers une pratique ‘intelligente’ du sport.
Pour terminer, je ne résiste pas au plaisir de reprendre cette réflexion de Claude Javeau publiée dans le Journal des procès (4): « Comment empêcher la violence et les injures racistes sur les stades de football ? C’est bien simple , il faut interdire le football . Le football est dangereux pour la santé physique , il cause des cirrhoses du foie . Il est dangereux aussi pour la santé mentale , il rend les amateurs hargneux , agressifs , imperméables à toute critique , et les pousse à se déguiser comme au cirque . Toutes choses qu’on ne risque guère en fumant du cannabis . Quand se rendra t on à l’évidence que , sous nos cieux , les deux drogues les plus dangereuses sont la bagnole et le ‘foute’ et que si l’on veut protéger la santé de nos concitoyens , c’est de ce côté là qu’il faudrait sévir ? Et lourdement
Philippe Bastin
(1) Dr Helen Nowlis, «La drogue démythifiée», UNESCO, Paris, 1975, 95 pages. Le Dr Olievenstein a largement contribué à propager cette approche adoptée par la majorité des experts et instances officielles.
(2) Le concept de reliance a été élaboré par Marcel Bolle de Bal, professeur de sociologie à l’ULB, comme réponse au phénomène de «déliance sociale». Cette déliance peut se décliner sous différentes formes: socio-économique, socioculturelle, socio-psychologique, etc. Concept notamment exposé dans «Ecouter la vie – Ecoute la mort» Actes d’un colloque organisé par Télé-Accueil en 1984.
(3) Lauwens, J.-F., Un nouveau départ pour le monde du sport, in Le Soir, 6 mars 2001.
(4) Le Journal des Procès, n° 409, 23 février 2001

Une générosité rentable

Le 30 Déc 20

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Le géant du tabac Philip Morris fait preuve depuis quelques années d’une grande générosité en matière de dons.
En public, Philip Morris argumente ainsi (extrait des Directives de l’entreprise relatives aux contributions de Philip Morris):
Pourquoi nous donnons : la plus claire démonstration de ce en quoi nous croyons se trouve dans nos donations . Donner à manger à ceux qui ont faim et les aider à devenir auto suffisants , donner de l’espoir à une victime de violences familiales , réconforter quelqu’un vivant avec le sida , nourrir l’esprit créatif et sensibiliser les étudiants de tous âges , préserver l’eau et les ressources alimentaires naturelles . Nous cherchons à comprendre les besoins de notre société et à utiliser nos ressources pour contribuer à son bien être .
Nous nous préoccupons des gens les moins fortunés et nous nous efforçons d’améliorer leur qualité de vie . Par conséquent , notre mission consiste à répondre efficacement et avec compassion aux demandes d’assistance , notamment dans les domaines clés faim , violence familiale et culture sur lesquels nous concentrons nos dons . Dans leur ensemble , nos dons reflètent nos valeurs , encouragent les aspirations humaines et abordent les préoccupations humaines fondamentales .’
En privé, le son de cloche est quelque peu différent.
Lors d’un séminaire tenu à l’occasion d’une conférence mondiale de Philip Morris sur les affaires de l’entreprise, cette dernière explique pourquoi il est si important pour l’industrie du tabac d’aider d’autres organisations à travers des dons.
Donc toute la question d’avoir l’aide de tierces parties et de s’assurer de tout ce concept de tiers dans notre structure de défense a pour but de nous donner du poids , de nous donner du pouvoir , de nous donner de la crédibilité , de nous donner de l’influence , de nous donner accès aux endroits auxquels nous n’avons pas ordinairement accès .
On doit essayer de trouver qui l’on doit neutraliser à l’avance , qui constitue une menace potentielle , et ensuite comment on peut faire cause commune avec cette catégorie d’individus , de sociétés ou de groupes , de sorte telle à pouvoir les neutraliser .
Exemple : la cigarette auto extinguible . Qui est normalement concerné par la cigarette auto extinguible , de l’autre côté de la barrière ? Probablement la communauté des pompiers . Comme vous le savez , aux États Unis , nous avons mis très longtemps à aider tous les groupes organisés de pompiers professionnels et volontaires . Ils ont une aide monumentale de notre part . Et lorsque nous avons besoin qu’ils déclarent que ce ne sont pas les cigarettes qui provoquent les incendies dans 99 , 9 % des cas , nous obtenons leur coopération . Mais c’est parce que nous les avons cultivés et aidés à réaliser certains de leurs objectifs , et c’est parce que nous avons vu qu’ils représentaient un ennemi potentiel disposant d’une réelle crédibilité .
Votre ennemi potentiel , c’est la plus grande crédibilité . Nous leur avons fait changer d’avis et nous nous en sommes faits des alliés , des défenseurs tiers pour nous mêmes . La clé du succès est de trouver une cause commune , trouver ses amis naturels , trouver ses ennemis naturels et , si possible , les façons dont on peut les neutraliser .’
Inutile d’ajouter grand’chose à ce magnifique modèle de cynisme industriel. En 2000, Philip Morris a dépensé 142 millions de dollars aux USA pour financer les «bonnes actions», une paille à côté des fortunes que l’entreprise dépense en marketing et promotion des ventes.
Michel Pettiaux , FARES
Sources: Global Partnership for Tobacco Control. Essential Action. Washington DC 20036

Six années de campagnes audiovisuelles d’éducation pour la santé

Le 30 Déc 20

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Vous avez certainement vu ou entendu au cours de ces dernières années des messages d’éducation pour la santé diffusés par nos télévisions et/ou radios francophones.
Du lever au coucher, en passant par le petit déjeuner, l’embarras de circulation, la détente de la soirée, ces spots visant un meilleur bien-être et une meilleure santé sont diffusés dans le cadre des espaces publicitaires.
La signature générique bien connue « Ma santé, c’est notre intérêt. Avec le soutien de la Communauté française» soutenue en version télévisée par quatre mousquetaires, a été remplacée récemment par une version plus sobre reprenant le sigle du coq gouvernemental accompagné d’une mention « Avec le soutien de la Communauté française ».

Comment des campagnes d’éducation pour la santé aboutissent-elles sur les chaînes audiovisuelles?

La base légale de diffusion de ces campagnes est constituée par l’Arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 18 janvier 1995 relatif à la diffusion de campagnes d’éducation pour la santé par les organismes de radiodiffusion (modifié par l’arrêté du 17 juillet 1997).
Cette opportunité est exceptionnelle: le Gouvernement de la Communauté française de Belgique est, à notre connaissance, le seul en Europe à avoir mis en place une telle possibilité d’octroi d’espaces gratuits aux campagnes de promotion de la santé.
Les moyens ainsi dégagés pour la santé publique sont considérables. On peut estimer la valeur annuelle des espaces octroyés aux campagnes de promotion de la santé entre 1 et 2 millions d’euros.
Notons toutefois que la gratuité ne s’étend pas à la réalisation du message à diffuser.
Une procédure précise a été mise au point, afin de garantir le sérieux et l’équité de l’octroi des espaces gratuits de diffusion.
La Commission d’avis «Campagnes radiodiffusées» du Conseil supérieur de promotion de la santé, installée en vertu du Décret du 14-07-97 art.4, remet généralement avis sur le projet avant réalisation, puis sur le matériel audiovisuel réalisé.
L’examen du projet est basé sur les trois critères suivants: la rigueur scientifique, l’éthique et la cohérence avec le Programme quinquennal de promotion de la santé de la Communauté française. En outre, deux autres critères sont pris en considération: l’intelligibilité du message et la pertinence du plan de diffusion.

Quels thèmes sont concernés par l’octroi d’espaces gratuits de diffusion?

L’arrêté cite à titre d’exemple une série de thèmes de campagnes d’éducation pour la santé.
Cette liste doit évidemment être éclairée par l’esprit du Décret du 14-07-97 et par les priorités énoncées dans le Programme quinquennal de promotion de la santé de la Communauté française.
Outre un accent sur des stratégies et des populations prioritaires (populations fragilisées, naissance et enfance, population scolaire), le programme quinquennal énonce quelques problèmes de santé prioritaires. Ce sont les maladies infectieuses (prévention du sida, vaccination et lutte contre la tuberculose), les maladies cardio-vasculaires, les cancers, les assuétudes, les problèmes de santé mentale, les accidents.

Quels sont les supports concernés?

Tous les organismes de radiodiffusion de la Communauté française sont concernés.
Cela représente donc aussi bien les chaînes de télévision de service public que les chaînes privées commerciales telles que RTL-TVI, Club RTL, ou Canal + (lors de ses émissions en clair).
En plus de ces télévisions, il ne faut pas oublier les douze télévisions locales, pour autant, bien entendu, qu’elles aient diffusé des spots publicitaires sur des boissons alcoolisées, des médicaments ou des soins médicaux (comme le prévoit l’Arrêté à l’article 1er, voir page 2).
Les radios sont également concernées: les cinq chaînes de la RTBF (La Première, Fréquence Wallonie, Musique 3, 21 et Bruxelles Capitale), ainsi que les réseaux privés tels que Bel RTL, Radio Contact, NRJ, Fun radio, Nostalgie, Contact 2, etc.

Quelles campagnes ont pu bénéficier de ces espaces depuis 1995?

De 1995 à 2001, près d’une cinquantaine de campagnes ont bénéficié des espaces de diffusion gratuits.
Les thèmes des campagnes sont variés.
Citons notamment
– la prévention: du sida, de l’ostéoporose, du tabagisme, de la mort subite du nourrisson, de l’endoctrinement dans les sectes, de la maltraitance de l’enfant ;
– la promotion: de la vaccination, du don d’organes, de la conduite responsable, de l’emploi des personnes handicapées, de la sécurité des enfants dans la ville, du carnet de l’enfant et de la mère;
– le dépistage du cancer du sein.

Comment peut-on évaluer les campagnes audiovisuelles?

La Commission d’avis «Campagnes radiodiffusées» est attentive, lors d’une demande de rediffusion d’une campagne, aux éléments d’évaluation remis par le promoteur.
Les promoteurs peuvent recourir à différentes évaluations.
Les chaînes peuvent fournir des indices techniques similaires à ceux utilisés pour mesurer l’impact d’une campagne publicitaire. La limite de ces indices est la suivante: on estime le nombre de personnes touchées par un message, mais on ne sait rien de la manière dont elles ont «assimilé» le message. Ont-elles acquis de nouvelles connaissances? Le message les a-t-il amenées à modifier leur attitude face au problème traité? Ont-elles adopté un nouveau comportement?
Le promoteur peut recourir à des enquêtes (de préférence permettant une comparaison entre la situation avant et après campagne). Ces enquêtes peuvent fournir des informations sur le niveau de connaissances, les attitudes et les comportements du public visé. La limite de ces enquêtes vis-à-vis de l’évaluation d’une campagne est notamment qu’on ne peut attribuer à la seule communication d’éventuels changements constatés. Le coût de telles enquêtes ne permet pas aux promoteurs d’y recourir systématiquement.

Ces campagnes sont-elles efficaces?

Nous reprenons ci-après une synthèse de quelques bilans de campagne permettant de confirmer l’impact des campagnes de promotion de la santé en radio et en télévision sur les changements d’attitude, voire de comportement du public visé.
Trois campagnes ont été sélectionnées entre 1996 et 2000:
– campagne de promotion du don d’organes lancée en 1999-2000 par l’Association nationale des greffés cardiaques et pulmonaires (ANGCP);
– campagnes annuelles de promotion de la vaccination contre la grippe et le pneumocoque de Question Santé (de 1996 à 2000);
– campagne de sensibilisation au bon usage des antibiotiques lancée en 2000 par le Ministère fédéral des Affaires sociales, de la Santé publique et de l’Environnement.
Pourquoi ces choix? Parce que ces campagnes ont pu bénéficier soit d’enquêtes réalisées par des instituts de sondage, soit de données précises fournies par l’Institut National de Statistiques, ce qui a permis de mesurer beaucoup plus précisément leur impact auprès du public visé.

Don d’organes

Un exemple très frappant fut la campagne de promotion du don d’organes. Au regard des chiffres fournis par l’INS, on constate un rapport très net entre les passages de la campagne sur antenne et l’accroissement du nombre d’inscriptions au Registre National des personnes spécifiant un choix personnel en faveur ou non du don de leurs organes.
On découvre ainsi que d’octobre 98 à octobre 99 (période durant laquelle s’est déroulée la campagne), le nombre d’inscriptions en Communauté française en faveur du don d’organes a augmenté de près de 300% par rapport à la même période, l’année d’avant. Cette augmentation n’a pas été observée en Flandre, qui n’a pas bénéficié de la campagne.
Pour une information plus complète, voir Education Santé n° 156, p. 15.

Vaccination des personnes âgées de plus de 65 ans

Les campagnes de promotion de la vaccination pour les personnes âgées de plus de 65 ans sont menées annuellement, chaque automne, depuis 1995. Les vaccins concernés sont ceux contre la grippe, le pneumocoque et le tétanos. La vaccination contre le pneumocoque a été introduite récemment dans les recommandations du programme de vaccination.
Dans le nord du pays, des programmes de promotion de la vaccination sont menés de manière identique à ceux organisés en Communauté française, à l’exclusion des campagnes audiovisuelles, jugées trop coûteuses.
La comparaison des évaluations entre le nord et le sud du pays révèle une sensible différence dans les connaissances et les comportements de vaccination, principalement vis-à-vis du pneumocoque.
Le comportement de vaccination contre le pneumocoque a évolué beaucoup plus favorablement en Communauté française : en cumulant les résultats des enquêtes menées suite aux campagnes de 1997, 1998, 1999 et 2000, on constate qu’environ 62% des personnes de plus de 65 ans déclarent avoir été vaccinées en Communauté française contre 26% seulement en Communauté flamande.
Pour une information plus complète, voir Education Santé n° 164, p. 16.

Sensibilisation à la résistance aux antibiotiques (2000 – 2001)

L’intérêt de cet exemple réside également dans le fait que l’on a pu mesurer le niveau de connaissances du public avant et après la campagne.
Cette campagne visait à faire prendre conscience d’un recours trop fréquent aux antibiotiques dans notre pays, induisant un accroissement des souches résistantes à l’action de certains antibiotiques.
On a pu vérifier que la campagne avait effectivement provoqué des changements d’opinion et d’attitude de la part du public visé, concernant la consommation d’antibiotiques.
Quelques chiffres:
– augmentation de près de 50% des personnes en accord avec l’affirmation que l’effet des antibiotiques diminue;
– augmentation de plus de 30% des personnes en accord avec l’affirmation qu’en Belgique, on a tendance à consommer trop d’antibiotiques;
– diminution de près de 60% des personnes enclines à demander spontanément des antibiotiques à leur médecin;
– diminution (temporaire) du volume des prescriptions d’antibiotiques.
Pour une information plus complète, voir Education Santé n° 166 , p. 15.Il est incontestable que la possibilité d’octroi d’espaces gratuits en radio et télévision est un outil très puissant au profit de la promotion de la santé. De plus en plus d’organismes connaissent aujourd’hui cette opportunité et trouvent les moyens de produire des spots de qualité professionnelle. Comme le coût de production est nettement inférieur au coût de diffusion quand elle est payante, ils auraient tort de s’en priver!
Patrick Trefois et Philippe Mouchet , Service communautaire Question Santé asbl, avec la collaboration de Christian De Bock
Pour en savoir plus, vous pouvez prendre contact avec Philippe Mouchet, Question Santé, rue du Viaduc 72, 1050 Bruxelles, ou consulter le site https://www.questionsante.org .

Les objectifs de santé en ligne de mire

Le 30 Déc 20

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Si on avait demandé voici vingt ans à un ministre de la santé publique quels étaient ses plans, sa réponse aurait probablement concerné les ‘inputs’. Il aurait parlé de la création de nouveaux lits d’hôpitaux, d’importants investissements dans les soins de santé. Aujourd’hui, l’accent est davantage placé sur les ‘outputs’, à savoir atteindre de meilleurs objectifs de santé avec des moyens limités; tels sont les objectifs prioritaires des actuels décideurs politiques, des managers et chercheurs de toute l’Europe. Le fait de définir des objectifs de santé est fondamental dans ce renversement de situation.
L’Organisation mondiale de la Santé a joué un rôle de pionnier dans ce processus. En 1984, le Bureau Régional OMS de l’Europe fixait 38 objectifs dans le cadre de la stratégie ‘La santé pour tous en l’an 2000’. Ce programme fit l’objet d’une révision en 1991, au terme des réaménagements politiques dans la zone européenne. En 1999, ce document fut à nouveau adapté pour devenir ‘Health 21’, à savoir les 21 objectifs de santé pour le 21ème siècle.

Au cours des années nonante, plus de la moitié des pays européens membres de l’OMS ont adopté leurs propres objectifs de santé. Dans de nombreux cas, cela s’est fait au niveau des régions, des communautés et de grandes villes. L’OMS voit cette évolution d’un bon œil: elle a en effet posé les fondations et les pays membres doivent maintenant veiller à procéder à la concrétisation, en prenant en considération les différents accents qu’ils veulent placer dans leur politique de santé.
Pour Anna Ritsatakis du Centre européen de la politique de santé de l’OMS, ces objectifs de santé sont un ‘mélange de rêves et de réalités scientifiques et politiques’. Les politiques envisagent l’avenir, réfléchissent à ce qu’ils peuvent réaliser tout en paraissant crédibles. Les scientifiques ont quant à eux de hautes aspirations.
Si les objectifs de santé doivent représenter un défi, ils doivent aussi rester réalistes. Ils peuvent représenter pour la population une source d’inspiration, surtout s’ils sont concrets et pertinents.

La santé a de nombreux visages

Il existe de nombreux types d’objectifs de santé. Parfois, le résultat visé porte sur le long terme: l’allongement de l’espérance de vie ou la réduction de la mortalité. Lorsque ces objectifs portent sur des facteurs de risque, ils visent davantage des résultats à moyen terme: améliorer l’état de santé de la population ou traiter des symptômes (par exemple l’hypertension), limiter l’exposition aux risques (par exemple la pollution de l’air), favoriser un comportement plus sain (diminuer le tabagisme, encourager l’activité physique). Les objectifs de santé peuvent porter sur l’input (par exemple la mise à disposition de moyens et de personnel) ou sur l’output (par exemple les services offerts). Les objectifs de processus ou d’action visent la réalisation de la législation ou le lancement d’initiatives dans certains milieux. Enfin, les objectifs de santé peuvent également viser à influencer les causes sociales de problèmes de santé: la réduction de la misère ou du chômage.
Quelques exemples à titre d’illustration:
‘Réduire la mortalité due au cancer chez les personnes de moins de 75 ans d’au minimum un cinquième d’ici 2010 et sauver ainsi 100.000 vies’
Saving Lives: Our healthier nation, Angleterre, 1999.
‘Ramener la partie de la population vivant sous le seuil de pauvreté sous les 7 % (actuellement 8,9 %).
Equity in Health, Suède, 1999.
‘D’ici au plus tard l’an 2000, tous les futurs retraités doivent avoir la possibilité de participer aux programmes qui préparent à la retraite’
Better Health for all in Östergötland, Danemark, 1990.
‘Réduire le nombre de femmes enceintes consommant du tabac de 29% à 23 % entre 1995 et 2005 pour atteindre 20 % en 2010’.
Towards a healthier Scotland, Ecosse, 1999.
D’ici l’an 2002, la consommation d’aliments riches en graisse doit, tant chez les hommes que chez les femmes, être diminuée au profit d’une alimentation moins grasse et plus riche en fibres’ .
Flandre, 1998.
Les critères utilisés dans la plupart des pays pour sélectionner les objectifs de santé sont évidents mais peuvent toutefois fortement varier:
– la gravité d’un problème: un facteur de risque important ou déterminant pour la santé, ou une cause importante de mort prématurée;
– la défense de certaines valeurs, comme le fait de supprimer certaines discriminations (par exemple en Suède);
– les possibilités d’action: le caractère réaliste, l’efficience et le caractère acceptable de l’intervention;
– les considérations sociales: opinions publiques et professionnelles, prix de l’intervention;
– le caractère mesurable: la possibilité de mesurer et de contrôler les progrès.
Un bon objectif de santé doit tout d’abord être SMART: S pécifique, M esurable, A cceptable, R éaliste et T emporel.

Une plus-value?

Il existe de nombreuses raisons qui font que l’on choisit de travailler avec des objectifs de santé:
– ceci suppose que l’on procède à une analyse de la tendance passée et à venir, et ce en se basant sur ‘l’évidence’ scientifique disponible;
– il s’agit d’un apprentissage qui permet de clarifier les objectifs et priorités de la politique de santé;
– les partenaires impliqués dans la formulation des objectifs acquièrent les spécificités du processus, ce qui représente une première étape dans la mise en place;
– les objectifs de santé constituent un puissant instrument de communication pour faire de la santé publique un point d’intérêt général;
– les raisons pour lesquelles certaines actions sont entreprises sont mieux comprises;
– le fait de contrôler les progrès sur la base d’indicateurs adaptés renforce la crédibilité;
– cela permet de disposer d’un point de référence vis-à-vis duquel les activités quotidiennes peuvent être pondérées;
– cela engendre un effet boule de neige; les objectifs de santé sont un moyen pour exercer des pressions.

Quinze ans plus tard

Plus de 15 ans plus tard, il est temps de procéder à une évaluation. De nombreuses publications, des congrès et des journées d’étude se penchent sur le phénomène des ‘Health Targets’, tout comme le Health Forum Gastein. Quelles leçons pouvons-nous tirer? Qu’est-ce qui détermine le succès des objectifs de santé? Constituent-ils un élément utile de la politique de santé?
Un point principal consiste à se demander si les objectifs de santé ont été introduits au niveau politique requis. Certains pays comme la Finlande parviennent à développer des objectifs de santé nationaux, alors que l’on rencontre d’autres exemples ayant autant de succès et développés dans des régions et communautés comme en Rhénanie du Nord, en Flandre ou en Catalogne. Dans chaque cas, il importe de clairement définir qui porte la responsabilité politique.
Toutefois, même s’il existe un accord politique quant à la nécessité d’actions et quant à la voie à suivre, le succès des objectifs de santé dépend dans une importante mesure d’un plan d’implémentation correct.
Il importe tout d’abord d’atteindre un consensus aussi large que possible entre un maximum de parties concernées. Tous les partenaires acquièrent de la sorte un droit de propriété par rapport au processus. En Rhénanie du Nord, un Conseil de la santé intégrant tous les ‘actionnaires’ a ainsi été créé. Celui-ci trouve son écho dans tous les conseils de santé locaux des villes et communes.
Pour pouvoir être traduits dans la pratique, les objectifs de santé doivent de préférence être en nombre limité. Dans ce cadre, l’OMS ne constitue pas un exemple idéal avec ses 38 objectifs de départ, aujourd’hui ramenés à 21. La plupart des programmes régionaux et nationaux se limitent à 5 ou 10 objectifs de santé (également en Flandre).
Par ailleurs, l’implantation doit être basée sur des ‘évidences d’efficience’. Les interventions dans le domaine de la promotion de la santé sont probablement plus efficaces que ce que l’on admet généralement, mais leur évaluation est plus complexe étant donné que les résultats dépendent fortement de facteurs contextuels ou dus au hasard.
Enfin, il convient également de libérer les moyens utiles à la réalisation de ces objectifs ambitieux. Cette leçon ressort clairement de l’évaluation du programme anglais ‘Health for the Nation’.
Outre les éléments stratégiques indiqués ci-dessus, de nombreux défis techniques demandant une connaissance approfondie dans le domaine de la politique de la santé publique doivent également être relevés. Ainsi, le contrôle du progrès demeure-t-il un point controversé. La question centrale consiste à savoir combien de temps il faut laisser s’écouler avant qu’une nouvelle politique atteigne les résultats visés. Pour certains facteurs de risque, les changements que l’on doit apporter aujourd’hui n’auront des effets sur une pathologie que des années plus tard; il suffit de penser au rapport entre le tabagisme et le cancer bronchique. Dans ce cas, des objectifs de santé relatifs aux changements de comportement sont davantage recommandés.
Il ressort d’une étude menée par l’Université de Hanovre que les principaux manquements des objectifs de santé sont dus à une formulation trop générale (ils sont alors trop difficiles à réaliser et à évaluer) et à une stratégie d’implantation incomplète (on compte trop sur la participation volontaire des parties concernées). La plupart du temps, la réflexion ne va pas assez loin: il n’y a ni incitant, ni sanction par rapport à la réalisation des objectifs de santé.
Après avoir étudié les aspects du travail sur la base d’objectifs de santé, Anna Ritsatakis conclut sagement: ‘ce n’est pas une chose que l’on peut régler à la pause café’.

La deuxième génération

Travailler sur la base d’objectifs de santé semble être un processus bien intégré en Europe. A tel point que certains pays ont rectifié leur stratégie et adapté leurs objectifs après avoir tiré les leçons des premières expériences. La principale adaptation dans ces pays concerne le processus démocratique à la base de l’acceptation et donc de l’application du programme.
Il n’y a pas que le ministre de la santé publique qui doit assumer ses responsabilités. Ainsi le programme anglais ‘Our Healthier Nation’ de 1999 a-t-il été co-signé par 12 ministres et implanté dans toutes les régions du pays; les interventions sont dorénavant plus locales que lors du programme précédent.
Dans les pays où on travaille pour la première fois sur la base d’objectifs de santé, les expériences du passé et des autres pays sont également largement prises en considération. En Suède, un véritable processus politique a été mis en place et une commission parlementaire spéciale a été créée pour la préparation de ce programme. Aux Pays-Bas, le public est directement contacté par les médias de masse, comme le programme télévisé ‘Nederland in beweging’.
Le message du secteur de la santé est donc clair: ne travaillez pas seul ! Les autres secteurs comme l’agriculture et l’industrie peuvent également apporter leur pierre à l’édifice et le soutien de la population est indispensable. Car enfin, ne sommes-nous pas tous là pour ça: promouvoir la santé de l’être humain?
Annemie Peeters , VIG, Département Communication
Article paru dans VIGoureus, 8/4, décembre 2000, et reproduit avec l’aimable autorisation du Vlaams Instituut voor Gezondheidspromotie

Plaidoyer pour l’accès au traitement contre le sida dans les pays en développement

Le 30 Déc 20

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Au cours d’une visite récente au Rwanda, où 25% des habitants de Kigali sont atteints par l’infection VIH, j’ai pu recueillir les sentiments de frustration des médecins. Lorsqu’ils réclament à corps et à cris de la trithérapie pour leurs malades, on leur objecte que les protocoles sont si complexes qu’ils ne pourront être correctement appliqués par les personnes en situation de pauvreté, voire d’analphabétisme.
Ces médecins protestent et disent qu’ils sont là, avec le personnel de santé, pour expliquer. Ils témoignent combien la motivation est particulièrement grande ici, si l’on a la chance de disposer de ces médicaments, un peu mythiques encore.
Ils s’offusquent aussi de ce que, pour diminuer les coûts, on leur propose des traitements minimums, ceux dont les pays riches se contentèrent il y a plusieurs années. Mais un pays en développement doit-il passer par les étapes que les mieux nantis ont dû connaître? S’il y a bien un cadeau que ces derniers puissent faire, c’est celui de leur acquis intellectuel. En cela, les brevets sur médicaments avec monopole d’exclusivité sont nuisibles à la santé, tant intellectuelle que physique. L’échange de savoirs est peut-être le facteur d’entraide dominant. Il s’agit bien d’échanges dans les deux sens, car les riches ont besoin que les pauvres étudient et communiquent leurs besoins spécifiques.

Prévention et traitement sont complémentaires

Le plaidoyer mentionné dans le titre a été mûri au cours d’une année de consultations entre experts de 27 pays et 57 organisations nationales et internationales. Il propose des objectifs réalisables à moyen terme, dans les 18 à 36 mois, dans le cadre d’un plan d’action permanent.
Neuf personnes contaminées sur dix, en Afrique subsaharienne, ignorent si elles sont séropositives. La perspective d’un traitement incitera au dépistage volontaire , lequel peut engendrer lui-même de la prudence dans le mode de vie. En outre, les traitements représentent une forme de prévention, dans la mesure où, même si le sujet n’est pas totalement guéri, il subira moins d’infections opportunistes, dont la tuberculose, fléau en soi de par sa contagiosité. En outre, la diminution très importante de la charge virale ( la quantité de VIH dans l’organisme) freine la dissémination du virus d’un malade vers les partenaires.
Mais les discours de prévention devront mettre en garde contre une certaine ‘frivolité’ à l’égard du problème: Bah! Amusons-nous sans contrainte; après, si nous tombons malades, il y aura les pilules ! Il faudra du doigté: faire pression pour assurer l’accès aux traitements mais sans dorer la pilule, ne pas faire miroiter un éden thérapeutique miraculeux, alors que les médicaments les plus efficaces sont parfois les plus toxiques, et engendrent chez certains des allergies graves. Ceci peut contraindre d’arrêter inopinément le traitement, avec le risque de disséminer des souches virales résistantes. Nous ne pouvons distribuer des médicaments sans mises en garde.

Les besoins

Ceux des séropositifs qui présentent déjà des symptômes cliniques, soit entre 7,5 et 9 millions de personnes vivant dans les pays en développement, nécessitent un traitement. Or seulement 200.000 d’entre elles (3%) bénéficient actuellement de traitements, dont 100.000 pour le seul Brésil, qui a pris son sort en main en tentant d’acquérir l’autonomie en produisant des médicaments génériques . Le coût total du processus de traitement (médicaments et autres frais) par patient et par an est de l’ordre de 1.200 dollars US. Avec le financement additionnel disponible pour 2002, on pourrait seulement doubler le nombre de personnes traitées dans les pays en développement. D’où l’appel, presque pathétique, du document analysé ici pour organiser l’afflux de ressources vers le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme , pour que la communauté internationale, le secteur privé, les assurances et les budgets nationaux se coalisent pour la bonne cause de la santé publique.

Rentabilité

Nous n’entrerons pas ici dans des calculs complexes de coût/bénéfice. Ces calculs ont déjà été effectués par des entreprises privées, en Afrique, en Asie et en Amérique, qui trouvent un avantage à subventionner le traitement de leurs employés. Dans certains pays d’Afrique, la diminution de main d’œuvre est déjà criante, à cause des décès de jeunes adultes sidéens. Comment quantifier, par ailleurs, ce que représentent l’espoir retrouvé, la réintégration partielle dans la société, pour les grabataires sidéens?

La science et le pragmatisme

Les molécules médicamenteuses n’opéreront pas leur miracle sans la mise en place de personnels de santé et de moyens logistiques, comprenant un soutien psychosocial. Pour ce faire, les mentalités et cultures des divers pays devront être prises en compte. Un suivi médical de l’apparition de VIH résistant aux médicaments est mis en place. Tout effort de mettre au point des médicaments et des tests de diagnostic moins coûteux devrait être soutenu en tant que tel par les subsides à la recherche médicale. Mais faut-il nécessairement disposer de tout l’arsenal de suivi de la charge virale pour être autorisé à mener une thérapie anti-VIH?
J’ai rencontré ce dilemme au Rwanda, où un clinicien m’a dit préférer avoir de l’argent pour traiter deux malades, plutôt que d’en suivre un seul avec une batterie de tests de laboratoire. En effet, selon lui, ses confrères, déjà confrontés à de nombreux malades, ont acquis une grande connaissance des aggravations progressives de la maladie naturelle. Aussi peuvent-ils reconnaître si le médicament a produit une amélioration clinique, ou au contraire si le malade ne répond pas à la thérapie choisie.
Le plaidoyer recommande des partenariats entre le Nord et le Sud, avec l’organisation de réseaux d’hôpitaux, sans déposséder de son rôle la médecine locale. Un souci de perfectionnisme ne devrait pas freiner l’effort. Les programmes de traitements et de soins ne devraient jamais être retardés par l’attente des résultats de projets de recherche.
En guise de conclusion, citons une phrase clef de ce plaidoyer: les générations futures nous jugeront sévèrement si nous ne parvenons pas à mobiliser rapidement le minimum de 7 à 10 milliards de dollars US de dotations annuelles préconisées .
Lise Thiry , Présidente du Conseil scientifique et éthique de prévention du sida
La ‘Déclaration pour la mise en œuvre d’un plan d’action en vue d’améliorer l’accès aux traitements contre le sida dans les pays en développement’ peut être consultée sur le site https://www.remed.org/declaration .

Vrai et faux progrès thérapeutique

Le 30 Déc 20

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L’industrie pharmaceutique brouille délibérément la distinction entre les quelques médicaments qui représentent vraiment un progrès thérapeutique et les nombreuses nouveautés techniques ou commerciales qui n’apportent rien de plus pour les patients.
La Société internationale des revues indépendantes sur le médicament (International Society of Drug Bulletins, ISDB) rassemble dans le monde entier plus de 80 revues de thérapeutique destinées aux médecins, aux pharmaciens et/ou aux patients, toutes indépendantes de l’industrie pharmaceutique.
Les revues de l’ISDB jouent un rôle important, en aidant les professionnels de santé à comparer les médicaments nouvellement commercialisés avec ceux déjà présents sur le marché.
Les revues de l’ISDB directement impliquées dans l’évaluation des nouveaux médicaments se sont réunies dans les locaux de l’une d’entre elles, la revue Prescrire , avec des experts internationaux et ont élaboré une déclaration commune sur les éléments précis qui permettent de considérer un nouveau médicament comme un véritable progrès thérapeutique.
La Déclaration de l’ISDB sur le Progrès thérapeutique énonce qu’une nouvelle substance, ou une nouvelle indication pour une substance ancienne, ne représente un réel progrès thérapeutique que si les malades en tirent un bénéfice supplémentaire par rapport aux traitements qui existent déjà.
Trois éléments peuvent être à l’origine d’un progrès thérapeutique: une meilleure efficacité, de moindres effets indésirables, ou une amélioration notable des modalités de traitement.
Le marché est actuellement saturé par des ‘nouveautés’, des ‘innovations’ qui n’apportent aucune amélioration supplémentaire aux malades, tandis qu’on manque de nouveaux médicaments pour répondre à des besoins de santé non résolus. Ces deux phénomènes sont dus aux mêmes causes.
Les décideurs de santé publique et les agences d’enregistrement des médicaments sont trop complaisants avec l’industrie pharmaceutique. Ils ne lui imposent pas de comparer les nouveaux médicaments aux traitements déjà existants et autorisent de ‘nouveaux’ médicaments qui n’apportent rien de mieux par rapport aux anciens.
Le financement public de la recherche biomédicale est insuffisant pour permettre le développement des médicaments pour des maladies sans traitement efficace. L’ISDB critique le manque de transparence des décisions des agences du médicament. Les professionnels de santé sont privés d’informations comparatives sur l’efficacité et la sécurité d’emploi des médicaments, ce qui les empêche de prescrire ou dispenser en connaissance de cause.
L’édition originale en anglais de la Déclaration et sa traduction en français sont disponibles auprès du président de l’ISDB, le Dr Christophe Kopp (christophe.kopp@wanadoo.fr)
(d’après un communiqué de l’ISDB)

Les mots ne sont pas innocents

Les publications médicales utilisent de plus en plus le terme de consommateur à la place de ceux de ‘malade’ ou de ‘patient’. En réalité, un consommateur est ‘une personne qui achète des biens ou des services pour la satisfaction de ses besoins personnels’ (Dict. Collins). Le terme consommateur est donc bien plus qu’un euphémisme ou une atténuation du mot ‘malade’. En effet, son utilisation tend à nier le rôle des médecins, des pharmaciens et de la relation entre les patients et les professionnels de santé. Le terme consommateur suppose que le malade est informé de manière indépendante et fiable, et qu’il peut faire un choix parmi les médicaments en vente pour traiter n’importe lequel de ses problèmes de santé: c’est rarement le cas.
La connotation commerciale du mot consommateur est évidente. Il insiste implicitement, et parfois à tort, sur le rôle des traitements médicamenteux, et tend à faire oublier les options de traitement non médicamenteuses (chirurgie, surveillance attentive, psychothérapie, etc.). Ceux qui y ont intérêt préfèrent le terme consommateur parce qu’il est en phase avec les concepts de publicité directe au grand public, de commerce électronique de médicaments et de stratégie industrielle de contournement des professionnels de santé, ces derniers étant perçus comme des freins à l’expansion du marché du médicament.
Informer les malades et le public, et en faire des partenaires engagés dans les soins de santé est un objectif louable. Mais le terme consommateur devrait être évité dans la description de la relation entre les patients et les médicaments. Selon les cas, il devrait être remplacé par ‘le public’, ‘les malades’ ou ‘les patients’ (notamment pour ceux qui prennent un traitement prophylactique, par exemple pendant la grossesse ou pour prévenir le paludisme, et qui ne sont pas ‘malades’).
(extrait de la Déclaration , annexe I)

L’école en santé, mythe ou reality (show) ?

Le 30 Déc 20

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Rien n’échappe à Big Teacher! 79 caméras lui transmettent en permanence ce que font, disent, boivent, mangent et respirent les 987 élèves de l’Athénée Sainte-Geneviève. Tiens, là, justement, écran n°12, on distingue clairement la fumée d’une cigarette, WC pour hommes, porte 4. Un petit coup de zoom. C’est bien Mario qui transgresse la Saine Loi. Cela lui vaudra sans doute d’être renvoyé en fin de semaine. A moins que ce ne soit le tour de Kevin qui refuse systématiquement de porter un casque à l’atelier macramé. Ou de Johanna et son élevage de poux. Rien n’échappe à Big Teacher! Mais Big Teacher n’existe pas. Tout le monde le sait. C’est une légende, un mythe, juste pour faire peur aux enfants, les convaincre de boire du lait et de se brosser les dents après chaque cours de langue.
Et pourtant! Un tel espace où santé bien ordonnée rime avec école aseptisée frémit au cœur même de nos attitudes et de nos pratiques les plus généreuses. L’école en santé, et avec elle, la promotion de la santé (à moins que cela ne soit plutôt l’inverse), génère en effet, dans le quotidien de ses actions sur le terrain, un ensemble de paradoxes, de tensions, certains parleront de contradictions, qui, à terme, pourrait la transformer en une école «surensantée» ou au contraire complètement «désensantée». «Surensantée» si, sous le couvert de critères idéaux (1), d’une Charte de bonne conduite ou d’un règlement labellisé, l’école en venait à décliner la santé comme on le fait de l’accord des participes passés. A moins que ces mêmes contresens n’éloignent au contraire les enseignants et leurs élèves de tout intérêt pour la qualité de la vie dans leur école.
Après dix années consacrées à la dissémination du concept «école en santé», nous avons voulu partager certains doutes, certains malaises, certaines interrogations. Non pour remettre en cause les valeurs et les méthodes que porte l’école en santé, ni pour persifler sur un secteur auquel nous sommes fiers et heureux d’appartenir, encore moins pour nous auto-flageller sur la place publique.
Notre dessein est bien entendu ailleurs. Il s’agit simplement d’attirer l’attention du lecteur sur certaines difficultés que nous avons rencontrées, parfois générées, au cours de nos activités. Si nous espérons améliorer ainsi notre propre bien-être en exorcisant par l’expression et l’écriture, nos angoisses sinon existentielles du moins professionnelles (merci à Education Santé de nous servir ainsi de divan), nous souhaitons surtout rompre avec une tendance relativement agaçante à nos yeux qui consiste à présenter nos projets, nos actions, nos programmes, comme d’éternelles et merveilleuses réussites qui ne connaissent ni l’échec, ni l’erreur. Certes, nous nous remettons en question dans le secret de nos alcôves, mais nous partageons rarement ce genre de réflexion avec un large public. Pourquoi ne pas transgresser ce plaisant, mais un tantinet hypocrite façadisme et encourager, le temps d’un article, la recherche de réponses communautaires à des questionnements dont nous sommes loin de détenir le monopole et qui dépassent largement le cadre de l’école en santé.

Universelle marginalité

A nous entendre, éducateurs ou promoteurs à, pour, et de la santé, jeunes ou anciens, locaux ou communautaires, nos idées, nos méthodes, nos théories, c’est du béton. Il n’y a rien de mieux. C’est attesté, certifié, labellisé. «Hors de l’Health Promotion made in Charte d’Ottawa, point de salut!» Les 12 Critères de l’école en santé? Incontournables! L’approche globalo-transversalo-participativo-positivo-spiralo-communautaire? C’est la seule, la vraie, la bonne. Et de regarder avec un sourire aussi condescendant qu’ironique, quoique toujours tolérant, les “autres” façons de faire (cognitive, hygiéniste, biomédicale,…). «Vraiment cher ami, comment est-il possible qu’à notre époque…?»
Mais alors dites-moi pourquoi ces mêmes promoteurs de santé doivent-ils sans cesse expliquer, convaincre, argumenter? Pourquoi sont-ils toujours pris pour des novateurs? Pourquoi leurs concepts sont-ils encore si marginaux, si peu connus, si éloignés des préoccupations des médias, de nombreux décideurs et du grand public? Etrange.
Pour un modèle incontournable, qui a fait ses preuves, soutenu par le gratin de la santé, il semble bien timide, bien isolé, en quête constante de reconnaissance, de soutien, d’oxygène. L’Ecole en santé n’y échappe pas, elle qui, quelle que soit la façon dont elle est présentée, apparaît toujours comme l’éternelle petite nouvelle de l’école, certes bien sympathique et dotée de merveilleux atours, mais que l’on risque toujours d’oublier au fond de la classe.
Que le lecteur ne se méprenne pas! Nous sommes parfaitement conscients (et nous nous en félicitons) de l’évolution positive des mentalités et des pratiques. Nous ne nions pas que des initiatives (décrets, programmes, actions communautaires,…) ont été prises, qui sortent la promotion de la santé de l’ombre et rendent l’école en santé « incontournable ». Toutefois, malgré ces changements notoires, les concepts et fondements de la promotion de la santé et de l’école en santé, restent relativement discrets et ignorés tant par les médecins, les enseignants ou les parents que par l’homme, la femme ou l’adolescent de la rue. Nous n’en citerons que trois illustrations:
– la promotion de la santé est très souvent absente des émissions et débats consacrés par les médias à la santé, à la prévention, ou au bien-être, l’approche cognitive et biomédicale restant largement prépondérante;
– les demandes adressées par les enseignants, directeurs d’école, centres IMS / PMS,… ont peu évolué ces dernières années; elles portent toujours sur des thématiques, des savoirs scientifiques, des «recettes» à appliquer en classe, et ne traduisent en rien (ou si peu) l’évolution et les progrès évoqués plus haut;
– l’école en santé reste avant tout une préoccupation du secteur… santé, le monde de l’éducation, même si quelques ouvertures appréciables ont été réalisées, y reste relativement indifférent.
Ne voyons pas dans ces constats une source de découragement. Mais restons lucides et tirons-en au moins trois conclusions (provisoires et non exhaustives):
-même si nous sommes convaincus de l’intérêt et de la valeur de l’école en santé et avec elle de la promotion de la santé, admettons que nous restons une minorité à en être persuadés; peut-être éviterons-nous ainsi certaines attitudes condescendantes, hautaines, décalées par rapport à la réalité;
-un effort important doit encore être accompli pour diffuser la promotion de la santé auprès d’un large public; des stratégies spécifiques doivent sans doute être envisagées; une politique concertée entre tous les acteurs doit être mise en place;
-plus que jamais une démarche inspirée de celles des groupes de pression, doublée d’un plaidoyer de tous les instants, doit être menée auprès des décideurs.

L’école en santé, c’est comme du foie gras: délicieux, mais relativement coûteux et difficile à digérer

«C’est très intéressant ce que vous dites, mais concrètement, cela signifie quoi?»
Voilà sans doute la remarque la plus souvent entendue au terme d’exposés sur l’école en santé. Dans certains cas, cette douce affirmation peut facilement se transformer en quelque chose comme «Tout cela, c’est trop compliqué, trop lourd, trop psy; on n’y comprend rien; ce n’est pas pour nous.»
Vexant, ce genre de remarque, non? C’est vrai, nous faisons tout ce qu’il faut pour «partir d’où les gens sont», les écouter, les comprendre. Nous leur parlons «santé globale», «approche positive», « empowerment », «absence de jugement», «estime de soi»,… Bref, tout ce qu’il faut pour mettre quelqu’un à l’aise.
Et ils nous remballent comme si on offrait une tranche de gigot à un lapin qui a égaré son appareil dentaire. Vraiment curieux que la promotion de la santé qui désire tant se mettre à la hauteur des individus soit si souvent peu ou mal comprise. Il faut dire aussi que la concurrence est forte.
Les «classeurs» de bons et mauvais aliments, les «répresseurs» avec képis ou les «montreurs» de poumons encrassés, sont légion, qui, «passent» souvent mieux que nos démonstrations certes bien rigoureuses et scientifiques, mais parfois perçues comme un long fleuve trop tranquille.
Problème de communication? Difficultés de traduire des concepts complexes en termes simples? Souci d’en dire «le plus possible» au détriment du «mieux possible»? Nous en doutons. Les auditeurs sont-ils bornés, limités, pas assez malins pour comprendre nos discours? Nous en doutons bien entendu encore plus.
Sans doute le problème est-il ailleurs? Risquons une explication. Et si la santé n’était pas une préoccupation essentielle de nos concitoyens? Certes, ils aspirent à être en bonne santé, sont prêts à appliquer certains conseils et à consentir quelques sacrifices pour diminuer leur taux de cholestérol ou augmenter leur capacité respiratoire. Certes, ils sont conscients de leurs responsabilités en tant que parents, éducateurs ou de simples citoyens. D’accord pour parler santé donc, mais de façon simple, efficace et concrète. Entre le passage à Forest National de Jennifer et de ses clones, la probable victoire des Belges à la prochaine Coupe du monde de football (2) et le retard quotidien du direct Wavre-Ottignies de 08 h 17, il y a peu de place pour la santé. Même si Star Academy , les Diables rouges et la SNCB sont des facteurs incroyablement déterminants de notre bien-être.

Une question de sciences et vie

Veillons donc à ce que notre discours scientifique, notre souci constant (certes bien légitime) d’argumenter, démontrer, justifier, chacun de nos propos, ne produisent des effets contre-productifs. Nous avons évoqué les risques d’incompréhension, les difficultés pour les auditeurs de s’approprier ces concepts. On le sait, la méthodologie de la promotion de la santé est aussi riche que complexe, et il est souvent plus aisé de l’expliquer que de l’appliquer. Alors que l’école en santé s’appuie sur le souci permanent de coller à la réalité et au vécu des enseignants et de leurs élèves, le discours qui la porte (formations, outils pédagogiques,…), trahit parfois cette généreuse intention et génère des réactions de rejet («C’est trop compliqué pour nous»), de frustrations («Ce n’est pas cela que nous attendions») ou d’indifférence polie («Et à part cela, la Croix-Rouge a-t-elle encore des mannequins pour enseigner le secourisme?»).
Peut-être la marginalité de la promotion de la santé évoquée plus haut constitue-t-elle un effet de ce phénomène. A trop vouloir expliquer, on en vient à élargir la distance entre éducateurs et éduqués. Et puis, comme nous le disait une enseignante: «à force, ces explications, démonstrations, argumentations, cela devient suspect; on a l’impression que vous essayez sans cesse de vous justifier, de vous légitimer, voire même de vous excuser à l’avance.»
Un exemple de cette distance entre professionnels de la santé et les membres de la communauté scolaire: la gestion du temps. Echéancier, agenda, calendrier,… L’Ecole en santé n’y a jamais échappé. C’est tellement rassurant. Et pourtant, on le sait parfaitement, le temps est une notion éminemment lunatique, personnelle et plurielle. Il y a le temps des élèves de plus en plus stressés (ah, ces biorythmes que l’on ignore sans vergogne), celui des professeurs surchargés (mais qui se pavanent de vacances en congés, c’est bien connu!), le temps des parents trop peu impliqués, des infirmières scolaires à quart, mi ou plein temps, sans oublier le temps des élections, des subventions annuelles et des programmes quinquennaux. Vertige spatio-temporel qui ne nous empêche pourtant pas d’élaborer, sans le moindre scrupule, des calendriers morts-nés, que l’on sait inapplicables. Avec les effets négatifs que l’on imagine.

Allez-y, les gars, on vous couvre…

Planifier? Pas de problème. Analyser la situation? Quand vous voulez! Mener une enquête pour recueillir les opinions des uns, les besoins des autres? C’est comme si c’était fait (c’est d’ailleurs souvent déjà fait)! Mais affronter des élèves souvent sursaturés de messages de prévention, négocier avec une direction revêche, mettre sur pied une équipe de projet, affronter les résistances des uns, l’apathie des autres, hum, heu, ben, ce n’est pas notre boulot, pas notre fonction, pas notre mandat,… Très souvent, avouons-le, nous nous en allons au moment même où commencent les réelles difficultés, et nous laissons le soin aux acteurs de terrain (enseignants, IMS, PMS,…) de faire tourner les moulins pendant que nous nous réchauffons au coin du four de nos réunions en chambre, de nos commissions en tous genre et de nos groupes de travail. Certes, ces braves tirailleurs de l’école en santé le sont sur base volontaire. Certes, nous les aidons, formons, outillons de mieux que nous pouvons. Certes, nous restons à leur disposition pour toute l’aide qu’ils solliciteraient. Certes, il nous arrive parfois d’essuyer les plâtres d’une école en voie de démolition. Mais n’avons-nous pas tendance à parfois investir excessivement l’amont (analyse de la situation, définition des objectifs, planification,…) et l’aval (évaluation, communication) des projets pour une part relativement faible consacrée à l’action proprement dite, à l’immersion dans le vécu des gens, à la compréhension avec nos neurones, mais aussi nos cinq sens, de ce qui se passe sur le terrain?
Cela dit, tant qu’à évoquer le vécu des enseignants, n’hésitons pas à dévoiler également celui des éducateurs à la santé que nous sommes.

Aujourd’hui et dorénavant, on ne décroche plus le téléphone

«Allô, suis-je bien au Service Éducation pour la santé de la Croix-Rouge?
– Oui, Madame, je vous écoute.
– Voilà, je suis institutrice et je voudrais parler du sommeil à mes élèves. C’est fou ce que les enfants sont fatigués aujourd’hui; ils baillent sans cesse à mes cours. C’est sûrement la faute de la TV. Et des parents qui sont trop permissifs. Donc, j’ai décidé de leur parler du sommeil. La Croix-Rouge avait édité une excellente petite brochure sur le sommeil. J’en ai conservé une. Pourriez-vous m’en envoyer une trentaine?»
Avant de faire part de la réponse que nous avons adressée à cette dame, qu’il nous soit permis de faire quelques commentaires. Destinée aux enseignants (et non aux enfants), cette brochure éditée en 1978 constitue l’exemple type de l’approche cognitive et bio-médicale de la santé. La Croix-Rouge ne réalise plus ce genre de brochures depuis plus de dix ans. Si on remplace le terme «sommeil» par «alimentation», «drogues», ou «sécurité», nous avons, avec ce type d’appel, l’exemple même de la demande la plus souvent adressée à notre service.
Mais que répondons-nous? Une minutieuse enquête menée au sein de notre équipe donne ceci. Si nous en avons le temps, la (bonne) volonté, la disponibilité, nous donnons une réponse en trois étapes:
1. «ce type de document n’existe plus; et voici pourquoi …»;
2. si la personne n’a pas raccroché, nous proposons une approche plus globale et des repères méthodologiques;
3. si la personne a survécu au point 2, nous lui proposons des outils, des adresses, des ressources. Sachant que nous recevons entre cinq et dix appels quotidiens, nous laissons au lecteur le soin d’imaginer ce que nous répondons quand les conditions évoquées ci-dessus ne sont pas rencontrées,…
Au-delà de l’anecdote, cet appel téléphonique nous amène à nous poser la question suivante: est-ce la demande qui doit précéder et définir l’offre? Dans ce cas, dès demain, nous entamons la réédition de ce type de brochure. Ou au contraire, faut-il que l’offre, à savoir nos activités de formation, nos outils méthodologiques,…, satisfasse de gré ou de force la demande et donc cette dame et ses nombreux collègues?
Comment remédier à cette situation apparemment cornélienne? Le processus de résolution est heureusement déjà en route. Sous trois formes:
– il s’agit de présenter la promotion de la santé, et avec elle, l’école en santé, non comme une rupture avec un passé qui doit être révolu, comme un nouveau (sous-entendu «meilleur») modèle à appliquer sans plus attendre, mais bien comme une nouvelle étape, cohérente et complémentaire avec celles qui l’ont précédée;
– l’approche thématique régulièrement décriée reste essentielle, ne fût-ce que dans les demandes exprimées par les acteurs de terrain; une part importante de notre travail consistera donc à (dé)montrer avec l’aide des enseignants et des partenaires IMS/PMS qu’une approche thématique est parfaitement conciliable avec une approche promotrice de santé;
– enfin, cette remédiation passera également par la capacité des éducateurs pour la santé à utiliser ces «portes d’entrée» thématiques pour mobiliser les acteurs de l’école, amorcer une approche plus proche des réels besoins des élèves et créer petit à petit une culture d’école soucieuse du bien-être de ceux qui la fréquentent.

Puisqu’il faut bien conclure

Si les appels téléphoniques des enseignants ne peuvent que nous interpeller, estimons-nous toutefois heureux de ne pas devoir faire face à ceux de leurs élèves. De sacrés empêcheurs de «santer» en rond, ces garnements. Quand ils ne nous montrent pas, l’œil ironique et le sourire condescendant, qu’ils en savent bien plus que nous en matière de drogues, c’est pour nous exprimer leur ennui voire leur saturation à l’égard de nos mises en garde (à propos du tabac, des frites, des «relations non protégées»,…) tellement répétées qu’elles en deviennent parfois des mises en appétit. Sales gosses qui n’hésitent pas à se montrer, sans gêne, ni scrupules, aussi réactionnaires que répressifs. «Ceux qui crachent par terre? Faut les renvoyer.» «Les fumeurs? Des pauvres types sans volonté.» «Les sales, les malpropres? Pas question de jouer avec eux, ils sont bien trop dégueulasses.»
Bonjour le respect, la tolérance, l’estime de soi. Alors, prudence, ne leur demandons surtout pas trop souvent leur avis. Protégeons-nous de leurs réflexions assassines et de leurs outrancières certitudes. Pensez donc. C’est qu’ils pourraient remettre en question nos belles théories.
Tenez, comme cette réponse de Ben, 10 ans, à qui on demandait ce que représentait l’hygiène:
– Pour moi, l’hygiène, c’est bien tirer la chasse à chaque fois qu’on va au WC, bien essuyer le bord et ne pas faire ses besoins à côté.
– Mais enfin, Ben, ce n’est pas la bonne réponse, enfin pas celle que j’attendais. Regarde, tous tes camarades rigolent maintenant. Où vas-tu chercher des idées pareilles? Comment? Que j’aille constater moi-même l’état des toilettes! Mais tu rêves? Ce n’est pas mon boulot. Et puis, ce n’est pas ce que j’entends vraiment par «analyse des besoins». Enfin, si tu insistes…
Désormais, rien n’échappera à Big (Ben) Watcher. Ni les parents qui n’embrassent pas leurs gosses le matin, ni les directeurs qui se cachent derrière le règlement, ni les profs qui ne tirent pas la chasse.
André Lufin
Adresse de l’auteur: Croix-Rouge de Belgique, Service Education Santé, Place Brugmann 29, 1050 Bruxelles. Courriel: andre.lufin@redcross-fr.be.

(1) Pour (re)découvrir les Douze critères d’une école en santé, et, avec eux, le concept d’école en santé, se reporter à Education Santé n° 158, du mois d’avril 2001.
(2) Pour nos lecteurs français: rassurez-vous, c’est de l’auto-dérision!

Pourquoi ? Parce que Philip Morris…

Le 30 Déc 20

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Le financement de la prévention du tabagisme par l’industrie: ce n’est pas du tout sérieux

Pourquoi l’Organisation mondiale de la santé, le Comité anglais d’éducation pour la santé, maintenant l’Agence de développement de la santé, l’Union internationale pour la promotion et l’éducation pour la santé ou encore la Fédération des organisations de promotion de la santé de Nouvelle-Zélande ont-ils inscrit dans leurs statuts ou règlements d’ordre intérieur l’interdiction de recevoir un financement de l’industrie du tabac (1 à 4)?
Pourquoi le professeur Richard Smith , éditeur du British Medical Journal , a-t-il démissionné de son poste académique lorsque son université, l’Université de Nottingham, a accepté 3.8 millions £ de l’industrie du tabac (5)?
Pourquoi l’Ecole de santé publique de Harvard a-t-elle décidé de ne jamais accepter de financement de l’industrie du tabac, ou de n’importe quelle entreprise liée d’une manière ou d’une autre au tabac (6)?
Pourquoi certaines revues débattent-elles sur l’acceptation ou non d’articles scientifiques relatant des recherches financées par l’industrie du tabac (7)? Et pourquoi ceux qui sont en faveur d’une telle publication reconnaissent-ils qu’il est indispensable que cette relation entre recherche et industrie soit clairement connue des lecteurs?
Parce que des revues de la littérature ont montré que les recherches concernant le tabac ont plus de chance d’être favorables au tabac si elles sont financées par l’industrie des cigarettiers (8,9).
Parce que ces derniers se construisent un réseau de chercheurs et d’institutions sensibles à leur cause (10) et leur proposent des stratégies susceptibles d’influencer les politiques en leur faveur ou de développer des campagnes de prévention inefficaces, voire contre-productives (11 à 15).
Parce que l’industrie peut, au travers d’institutions écrans entrer dans les écoles et avoir accès à des données qui lui sont généralement soigneusement cachées (information personnelle reçue d’un scientifique ayant travaillé pour Philip Morris).
Parce que l’industrie ne s’entoure pas toujours des meilleurs experts (9, 16, 17).
Parce que l’industrie détourne en sa faveur les résultats d’études d’une manière perverse, qu’il s’agisse par exemple du tabagisme passif (9) ou des jeunes (expérience de l’étude de l’OMS «Santé des jeunes» à la fin des années 80: l’enquête montrant qu’il y avait plus de jeunes fumeurs en Finlande, pays ayant interdit la publicité contre le tabac, l’industrie en a déduit que la publicité peut être admise puisqu’elle est inutile… alors que la Finlande a été un des premiers pays à légiférer parce que les Finlandais étaient les plus nombreux à fumer et à mourir de maladie cardio-vasculaire….).
Alors pourquoi certains de nos ministres négocient-ils, contre les recommandations du Dr Gro Bruntland , directeur de l’OMS, le financement de campagnes par l’industrie du tabac et pensent même les cofinancer avec les deniers publics? Pourquoi certains de nos scientifiques acceptent-ils les offres de l’industrie du tabac?
Je dis non aux campagnes subtilement télécommandées par l’industrie du tabac. Je dis non à toute recherche apportant à l’industrie des informations qui lui seront utiles. Tout ce que j’ai lu et entendu me fait croire que jamais l’industrie du tabac n’est philanthrope.
Si cette dernière veut vraiment soutenir la prévention et la recherche, qu’elle alimente le Fonds National de la Recherche Scientifique Médicale et les ministres qui ont la promotion de la santé dans leurs attributions. Qu’elle finance ces fonds et budgets ministériels sans droit de regards, sans qu’on puisse différencier cet argent des autres sources de financement. Ainsi, les institutions et équipes qui ont accumulé des compétences depuis de nombreuses années dans le domaine de la prévention auront peut-être de quoi répondre aux demandes de plus en plus nombreuses que leur apportent leur efficacité et leur crédibilité sur le terrain.
Si la Fondation Rodin a besoin de nous, comme l’explique la lettre de Luk Joossens (voir l’encadré), avons-nous besoin d’elle?
Danielle Piette , Ecole de santé publique ULB

Références

1. World Health Organization. Guidelines on working with the private sector to achieve health outcomes. 30 novembre 2000 (Executive Board 107th Session, EB107/20).
2. Health Education Authority. Guidance for industry: partnership with the private sector.
3. International Union for Health Promotion and Education. IUHPE Guidelines for collaboration, partnership and sponsorship. Bye-Laws, annex D, 1999.
4. Communication personnelle de Cheryl Hamilton,Aotearoa, New-Zeeland.
5. Cohen JE Univeristies and tobacco money. Editorial. British Medical Journal 2001;323:1-2.
6. Charatan F. Harvard School of Public Health refuses tobacco funds. British Medical Journal 2002; 324:444 (round up).
7. King F; (for) and Yamey G & Smith R (against). Why journals should not publish articles funded by the tobacco industry? British Medical Journal 2000; 321-1074-1076
8. Turner C & Spilich GJ. Research into smoking or nicotine and human cognitive performance: does the source of funding make a difference? Addiction 1997;92(11):1423-1426.
9. Wise J. Links to tobacco industry influences review conclusions. British Medical Journal 1998;316:1553.
10. Dyer C. Tobacco company set up network of sympathetic scientists. British Medical Journal 1998;316:1553.
11. MacDonald R. WHO says tobacco industry « used » institute to undermine its policies. British Medical Journal 2001;322:576.
12. Neuman M & al. Tobacco industry strategies for influencing European Community tobacco advertising legislation. The Lancet 2002;359:1323-1330.
13. The Ontario Medical Association. More smoke and mirrors: tobacco industry-sponsored youth prevention programs in the context of comprehensive tobacco control programs in Canada. A position statement (26 pages) (site internet https://www.oma.org ).
14. The Ontario Medical Association. Doctors demand termination of ineffective tobacco industry youth programs. (2 pages) ) (site internet https://www.oma.org ).
15. De Bock C. Cigarettes: les jeunes peuvent dire oui. Education santé 1999;144:4.
16 Nemery B & Piette D. Experts who evaluated studies seem not to have had relevant experience. BMJ; 1998;1august:348-349 (letter).
17 Chapman S. Relevant research track records of tobacco industry consultants Electronic letter (4 August 1998)

Lettre de Luk Joossens , porte-parole de la Coalition belge contre le tabac , en date du 4/4/2002 (lettre traduite de l’anglais avec les encouragements de l’auteur).

La Fondation Rodin et Philip Morris

Il semble y avoir une nouvelle tendance: demander des informations sur les activités de prévention du tabac et ne pas dire qu’on est financé par l’industrie du tabac. Il y a quatre jours, Simon Chapman et Andrew Hayes ont attiré notre attention sur le fait que la Fondation CASIN (Centre d’Etudes Appliquées en Négociations Internationales) demandait aux organisations impliquées dans la législation contre le tabac des informations quant à leur position par rapport à l’action de l’Organisation Mondiale de la Santé FCTC (Framework Convention on Tobacco Control), mais sans mentionner la relation entre la Fondation CASIN et l’industrie du tabac.
En Belgique, la Fondation Rodin fait la même chose. Dans une lettre envoyée à plusieurs organisations européennes, il est écrit: «nous sommes une très jeune organisation commençant nos activités. Nous sommes basés à Bruxelles et nous sommes financés par des fonds publics et privés.» En fait, la Fondation Rodin a conclu un contrat avec Philip Morris et va recevoir de cette firme 1,85 millions € chaque année pendant 5 ans. Ceci n’est pas mentionné dans la lettre.
Et comme par hasard, la Fondation Rodin est en faveur de l’approche de prévention la plus «douce» possible: «les réponses actuelles sont celles de la prohibition, de la stigmatisation des fumeurs et de ceux qui les entourent, des mesures législatives, des amendes, de l’exclusion sociale, etc. alors que des mesures d’assistance, de support, de reconnaissance de la responsabilité , de traitement et de réhabilitation, dans la mesure où elles existent, reçoivent beaucoup moins et de moins en moins d’attention et de ressources.»
Mon Dieu, c’est fou comme cela ressemble à «l’approche responsable» de Philip Morris.
Et la lettre de poursuivre: «pour le moment, nous créons une banque de données de projets de prévention nationaux et internationaux concernant plus spécifiquement la prévention primaire et spécialement la prévention du tabagisme chez les jeunes. Le but de cette recherche scientifique est d’offrir un support scientifique à d’autres organisations et à des initiatives concertées qui rencontrent ces objectifs et favorisent une prise de conscience parmi les politiciens.»
La science doit être basée sur les données convenant à Philip Morris, et l’activité principale doit être bien sûr d’organiser des campagnes de prévention destinées aux jeunes et réputées inefficaces.

(3) Responsabilité individuelle, note la traductrice

De la question des drogues à celle du bien-être. Enquête auprès de 1716 jeunes scolarisés à Namur

Le 30 Déc 20

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Introduction

Le présent article décrit l’origine, les résultats ainsi que les pistes d’actions émanant d’une enquête menée auprès des élèves du secondaire supérieur de sept établissements scolaires de sections technique et professionnelle de la ville de Namur sur le thème: «Les jeunes, le bien-être et les drogues».
Cette enquête, commanditée par la Coordination Sida & Assuétudes à l’unité RESO de l’Université catholique de Louvain, s’est inscrite dans le cadre des contrats de sécurité (circulaire Vande Lanotte/Onkelinx), et dans un processus plus vaste d’une recherche-action initiée par la Coordination Sida & Assuétudes de la province de Namur dès 1998, visant à favoriser la formation d’intervenants-relais au sein des écoles et le développement d’actions de promotion de la santé et de réduction des risques à l’attention des jeunes.
Les réunions inter-écoles de formation et d’échange d’expériences, ainsi que l’analyse des initiatives de prévention initiées ou développées dans ces écoles ont mis en évidence plusieurs caractéristiques liées à la problématique des « drogues » parmi les jeunes:
– difficulté de se représenter l’importance réelle de la consommation de différents produits parmi les élèves;
– difficulté de concevoir une prévention des drogues indépendante de la promotion de la santé dans ses aspects plus globaux (bien-être, confiance dans l’avenir, facilités de dialogue avec les adultes, volonté de changements à différents niveaux);
-sentiment que le contexte scolaire et culturel est très incitant à une normalité de la consommation de produits de toutes sortes.
En 1998, on observait par ailleurs une hausse apparente de la prévalence de consommation de cannabis parmi les jeunes 1. Le projet intervenait en outre dans un contexte de dépénalisation potentielle du cannabis, d’où n’émergeait pas suffisamment le maintien de l’interdiction de toute consommation pour les mineurs d’âge.
Au terme d’une première année de formation, et dans ces contextes, les directions et relais des écoles participantes ont dès lors décidé d’organiser une enquête par questionnaire consacrée aux perceptions du phénomène des drogues et des facteurs liés au bien-être parmi leurs élèves du secondaire supérieur. Le choix du questionnaire procédait du souci de s’adresser à l’ensemble des élèves. Le but de l’enquête était d’aider les établissements, sur la base des résultats, à mieux saisir la réalité perçue par les élèves, afin de développer avec eux des actions mieux ciblées, spécifiques à chaque établissement et/ou plus générales, sur base de résultats identiques pour tous. Le processus de restitution des résultats aux écoles a été prévu sous la forme d’un rapport spécifique à chaque établissement associé à un rapport global.
Le questionnaire a été construit progressivement, par les intervenants-relais, les agents PMS et, pour quatre écoles, avec les élèves et/ou leurs délégués. L’enquête s’est déroulée au cours des mois de janvier et février de l’année 2001. La participation des élèves était libre.

Principaux résultats

Sur l’ensemble des questionnaires remis, 1716 ont été retournés remplis. Les résultats concernent 75.6% de garçons et 24.4% de filles. La moyenne d’âge de l’ensemble est de 17.9 ans. Cette moyenne est très légèrement inférieure chez les filles.

Un intérêt pour la question des drogues?

Sur le plan de l’intérêt des élèves pour la question des drogues, 72.5% des élèves se déclarent un peu ou très intéressés. La proportion des élèves qui se disent non-intéressés par cette question varie de 16.6% à 30.8% selon les écoles.
L’enquête interrogeait aussi le sentiment des jeunes quant à la nécessité de « faire quelque chose » contre l’usage des drogues parmi les jeunes. Parmi les filles, 66.7% répondent par l’affirmative, pour 50.2% des garçons (p<0.01).

Une forte perception de l’incitation à consommer

Sur le plan de la perception par les jeunes d’une éventuelle incitation à consommer un produit, les résultats vont dans le sens d’une perception très importante, touchant aussi bien les filles que les garçons, les élèves de tous âges et de toutes les écoles.
Seuls 9.9% des élèves répondent que cette incitation à consommer ne se produit jamais.
Les principaux incitants perçus par les élèves interrogés sont les jeunes eux-mêmes, bien plus que toutes les autres catégories d’incitants potentiels proposés dans l’enquête (magazines, chanteurs, adultes en général). L’incitation par les jeunes eux-mêmes est perçue comme « très fréquente » pour 70.1% des filles et 57.9% des garçons (p<0.01).

Une perception très élevée de la consommation parmi les jeunes

A la question «Selon toi, combien de jeunes de ton âge (sur 10) consomment un ou plusieurs de ces produits?», les réponses (moyennes) sont les suivantes:

Produit

Filles Garçon Total
Tabac 8 7,3 7,5
Bière/Vin 7,9 7,8 7,8
Haschich 5,9 5,3 5,4
Tranquillisants 4,1 2,8 3,1
Somnifères 3,1 2,1 2,4
Autres 4,8 3,8 4,1

Sur le plan de l’importance perçue de la consommation de différents produits, l’enquête décrit une sur-représentation, parmi les élèves, de cette consommation dans ce public.
Pour l’ensemble des produits (excepté la bière et le vin), le nombre de consommateurs perçus est plus élevé parmi les filles.

Un bien-être menacé par la peur de l’avenir et par un dialogue difficile avec les adultes

Diverses questions interrogeaient les niveaux perçus du bien-être parmi les jeunes, ainsi que le niveau perçu des connaissances en matière de drogues.
Le niveau d’accord avec la proposition « en général , les jeunes de mon âge se sentent bien dans leur peau » est de 54.1% chez les garçons et 38.2% seulement chez les filles (p<0.01).
Les résultats pour la proposition « les jeunes de mon âge ont confiance dans l’avenir » sont plus négatifs encore (seulement 23.8% des filles sont d’accord avec cette proposition, pour 37.3% des garçons, p<0.01).
Pour la proposition « les jeunes de mon âge parlent facilement avec les adultes », moins d’un(e) élève sur deux se dit d’accord avec cette proposition, le désaccord étant cette fois plus marqué parmi les plus jeunes (63.5% de désaccords chez les 15-16 ans, 45.3% de désaccords chez les 21 ans et plus).
Sur le plan du bien-être dans l’école, la moitié des élèves, tant les filles que les garçons, sont d’accord avec la proposition « les jeunes de mon âge se sentent bien dans l’école ». Le niveau d’accord augmente significativement avec l’âge (40% d’accords à 15 ans, 55.8% à 21 ans, p=0.03).
Sur un plan davantage lié à la question des drogues, on notera que deux tiers des élèves (filles et garçons, et de tous âges) estiment que les jeunes sont correctement informés en la matière.

La nécessité de changer des choses

]
L’enquête proposait enfin diverses entités (société en général, école, famille, quartiers, jeunes entre eux) pour lesquelles un changement était plus ou moins souhaité par les élèves.
Les changements à apporter selon les jeunes concernent surtout les quartiers et la société en général. Les changements souhaités sont moins nettement formulés pour l’école, les familles et les jeunes entre eux. Le cas de l’école suggère qu’elle peut être parfois perçue comme un garde-fou face à l’entrée dans la vie adulte.

Les développements de l’enquête

Les résultats ont été communiqués aux établissements participants sous les deux formes prévues (rapport spécifique, présentation de ces résultats dans une école, et présentation générale des résultats globaux).
A partir des conclusions de l’enquête communes à tous les établissements (expressions d’un mal-être parfois profond parmi les jeunes, perception élevée des consommations de produits chez les pairs, perception très marquée d’une incitation de la part des pairs, volonté de changement orientées vers les quartiers, l’école étant parfois considérée dans un rôle protecteur), des réflexions et questions complémentaires ont été recueillies lors de réunions rassemblant l’ensemble des acteurs, à l’exception des élèves.
Ces réflexions et questions ont été les suivantes:
– la perception excessive par les jeunes de la consommation de produits dans ce public serait également présente parmi les enseignants et éducateurs de l’école;
– les résultats plus négatifs parmi les filles confirmeraient un phénomène observé par d’autres études, à savoir une perception de vie plus difficile que parmi les garçons;
– il est étonnant de découvrir que les incitants potentiels identifiés sont les jeunes et non les adultes;
– les jeunes qui ont un projet personnel (y compris professionnel par leurs études) exprimeraient des perceptions moins pessimistes et/ou moins dramatiques du bien-être, mais aussi de la consommation et de l’incitation à consommer parmi leurs pairs;
– la question de la consommation problématique parmi des jeunes ne se limite pas au simple apprentissage des produits et de leurs effets;
– il ne faut pas non plus simplifier le lien causal « mal-être = consommation »;
– l’enquête ne présente que des tendances de perceptions, et non des mesures précises de comportements, ce qui rendrait difficile l’exploitation concrète des résultats, notamment pour la question des quartiers;
– la difficulté de dialogue avec les adultes, exprimée par les jeunes de l’enquête, correspondrait à une difficulté perçue de la part des enseignants face à certains parents.

Pistes et conclusions

Les pistes potentielles proposées à la suite de ces réunions ont été les suivantes:
– utiliser ces résultats comme tableau de bord pour objectiver des problématiques internes dans l’école;
– diffuser les résultats de l’enquête au-delà du système scolaire (Communauté française, Province, Ville de Namur);
– faire connaître l’ensemble de la démarche réunissant des établissements scolaires et des centres PMS des deux réseaux (libre et officiel);
– susciter le développement d’actions préventives axées sur le bien-être dans l’école. La préoccupation première de la prévention primaire doit être le bien-être avant la question spécifique des drogues;
– encourager les activités que les jeunes organisent spontanément dans l’école;
– favoriser la confiance en soi des jeunes par une volonté de (re)valoriser leurs compétences.
Concrètement, les participants à ces réunions ont décidé d’organiser une conférence de presse axée sur les résultats de l’enquête et ses développements. Cette conférence de presse, à laquelle participeraient des jeunes, devra permettre de faire connaître les résultats de l’enquête en étant attentifs à ne pas stigmatiser certains résultats relatifs, notamment, au type d’enseignement (technique et professionnel), ou encore à l’origine culturelle.
Meremans P. et Deccache A ., Unité RESO de l’UCL, Geronnez P. et Vassart M ., Coordination Sida & Assuétudes de la Province de Namur.
Adresses des auteurs:
RESO UCL, Av. Mounier 50, 1200 Bruxelles
Coordination Sida & Assuétudes, rue Château des Balances 3/13, 5000 Namur

(1) PIETTE, D., PREVOST, M., BOUTSEN, M., de SMET, P., LEVEQUE, A., BARETTE, M., Vers la santé des jeunes en l’an 2000 ? Une étude des comportements et modes de vie des adolescents de la Communauté française de Belgique de 1986 à 1994, PROMES, 1997, p. 25.

La promotion de la santé : d’abord un enjeu de communication sociale ?

Le 30 Déc 20

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En tant que processus visant à augmenter le pouvoir des personnes et des populations à agir sur les déterminants de leur santé, la promotion de la santé s’appuie d’abord sur la communication interpersonnelle et sociale.

Dans ce cadre, la communication occupe plusieurs niveaux: politique (information sur les processus d’élaboration des politiques de santé), technique (communication des données issues de l’observation épidémiologique et information sur les risques), citoyenne (information sur les droits et devoirs en matière de santé), économique (définition des enjeux du système de solidarité et de protection sociale), individuel (relations soignant-soigné), éducatif (éducation pour la santé, éducation du patient).

Places de la communication éducative…

Au cours des cinquante dernières années, en Belgique comme dans tous les pays riches, la technologie médicale a accompli des progrès considérables dans le domaine des diagnostics et des traitements. Toutefois, l’amélioration de la santé de la population passe nécessairement par une amélioration, au plan individuel et collectif, de la communication entre les responsables politiques et institutionnels, les professionnels et les usagers du système de santé.

…dans le domaine de la prévention des risques et du maintien de la santé

Il s’agit d’améliorer l’information des personnes, leur « culture sanitaire », afin de promouvoir un plus grand intérêt pour les questions relatives à la prévention et des comportements plus favorables à la santé. En Belgique comme en France, le niveau de dépistage volontaire de certaines maladies (cancers du sein, du col de l’utérus, de la prostate) reste faible, comparativement à celui observé dans les pays d’Europe du Nord. Il en va de même pour certains taux de vaccination. La protection de l’environnement, au plan individuel et collectif, est balbutiante: la prévention des maladies liées à sa dégradation (asthme, maladies respiratoires chroniques…) est peu prise en compte. L’information du public sur l’évolution de la pollution atmosphérique se limite à des recommandations inefficaces, alarmantes même lorsqu’elles invitent à s’enfermer chez soi… L’information sur les abus de substances toxiques est également tronquée, témoignant des conflits d’intérêts entre la santé et l’économie: si la lutte contre le tabagisme, actif ou passif, est indiscutablement justifiée, et si l’on fait grand cas des drogues illicites, la prévention des consommations excessives d’alcool et de médicaments est beaucoup moins développée. La communauté scientifique reconnaît pourtant leur influence au moins aussi néfaste sur la santé publique.

…et dans le domaine des soins

Mieux communiquer pour mieux diagnostiquer :

des soins de qualité supposent un diagnostic de qualité (rapide, correct, discriminant et efficient) qui lui-même repose sur une bonne communication entre le médecin et le patient puis sur un examen clinique. Les examens complémentaires (radiologiques, biologiques…), comme leur nom l’indique, n’interviennent que dans un second temps pour affiner, confirmer ou infirmer l’impression clinique. Ils ne sont pas toujours nécessaires. Pourtant, dans les dernières décennies, ils ont bénéficié de tels progrès technologiques et sont devenus si performants (et si coûteux !), qu’ils exercent une certaine fascination parmi les professionnels et les patients, reléguant au second plan la dimension humaine du diagnostic. Les médecins ont peu à peu sous-estimé l’importance de l’anamnèse et de l’examen clinique, ils n’ont pas amélioré leurs compétences de communication (1). Quant aux patients, ils apprennent rarement à préparer une consultation, à noter les événements ou les informations qui pourraient être utiles au diagnostic.

Mieux communiquer pour mieux traiter :

depuis cinquante ans, le nombre et la durée d’évolution des maladies chroniques et invalidantes augmente: ce phénomène est lié à l’allongement de l’espérance de vie et à la réduction des maladies infectieuses mortelles. Selon l’Organisation mondiale de la santé, dans les pays industrialisés, 80% des maladies traitées en médecine générale sont chroniques: diabète, maladies coronariennes, respiratoires, insuffisance veineuse…(2) Elles ne se guérissent pas mais se soignent durant toute la vie, ce qui suppose une participation active des patients. Entre les traitements de fond et d’autres pour les périodes de crise ou d’aggravation, les protocoles sont souvent complexes et les patients doivent les gérer au long cours, librement mais de manière responsable et éclairée. La question de l’observance de tels traitements est loin d’être résolue: en trente ans, plus de 4000 publications scientifiques ont démontré l’étendue du phénomène (en moyenne 50% des prescriptions ne sont pas respectées) et ses conséquences en termes d’inefficacité des soins (résultats attendus non atteints, morbidité augmentée, apparition de phénomènes de résistance aux traitements…) (3). De multiples travaux prouvent que le problème et sa solution se trouvent dans la qualité de la relation soignant-soigné, la communication interpersonnelle et l’éducation dite thérapeutique du patient. Pourtant, en médecine, seuls les actes techniques sont valorisés, au détriment des actes dits intellectuels, tels l’information et l’éducation. Plusieurs pays européens (les Pays-Bas depuis longtemps, la France depuis peu, et à titre expérimental) ont modifié leurs systèmes de remboursement des soins afin d’y intégrer l’aspect éducatif.

Communication soignants/patients: crise de confiance?

Droits des patients et craintes des professionnels :

le droit à la santé est pluriel: droit d’accès aux soins, droit à une couverture sociale, libre choix du médecin par le patient mais aussi droit du patient à l’information sur sa santé, au respect de son intimité et de la confidentialité, au consentement éclairé… Depuis quelques années, ces droits ont tendance à s’élargir: droit à des soins de qualité, respect de l’autonomie du patient (accès au dossier médical, protection des données informatisées…) et même droit à l’éducation pour la santé.

Toutefois, il existe manifestement une difficulté à assurer la publicité et l’exercice de ces droits. Depuis 1994, l’Union européenne et l’Organisation mondiale de la santé établissent des recommandations visant à garantir leur application dans l’ensemble des pays européens. Cette démarche avait initialement pour but d’aider les anciens «Pays de l’Est» à intégrer la démocratie dans tous les secteurs de la vie sociale mais elle a mis en évidence que plusieurs Etats de l’Union européenne ne respectaient pas davantage les droits des citoyens dans le domaine de la santé (4).

En Belgique, plusieurs ministres de la santé ont tenté de concrétiser et de faire appliquer les droits des patients avec, il faut le reconnaître, peu de succès. Les propositions de lois n’ont pas abouti. L’application du principe de consentement éclairé se réduit fréquemment à la signature par le patient d’une décharge de responsabilité de l’institution de soins. De même, la reconnaissance des erreurs médicales et des infections contractées à l’hôpital reste rare, l’information étant rarement donnée spontanément à la victime. En France, une loi relative aux droits des malades et la qualité du système de santé vient d’être adoptée.

Santé et responsabilité :

la profession médicale présente une particularité qui peut expliquer certains abus que l’on observe encore: c’est la responsabilité légale du praticien à l’égard du patient qui se confie à lui. Par exemple, ceci explique sans doute l’interdiction faite au patient de quitter l’hôpital sans y avoir été autorisé par son médecin! Toutefois dans certains Etats, ce principe est aujourd’hui remis en question par l’exigence faite au patient d’adopter un comportement responsable vis-à-vis de sa santé et de celle des autres, les soins pouvant lui être refusés s’il ne respecte pas « sa » part du contrat médical. Ces dispositions soulèvent une contradiction: comment le professionnel, mandaté par la société, peut-il se déclarer responsable d’une personne et lui réclamer en même temps qu’elle assume ses responsabilités? Par ailleurs, le patient ne peut exercer cette responsabilité que s’il dispose d’une réelle liberté de choix et de l’information nécessaire. La communication est à nouveau au cœur de la question.

Communication et santé publique: la fin des illusions

L’accessibilité de l’information :

l’accès généralisé aux mass médias laisse penser que toute la population est informée. Paradoxalement, il n’en est rien. Il ne suffit pas de mettre l’information à la disposition de tous pour que chacun y accède. D’une part il existe des barrières liées aux différences de langage, de représentations, de références culturelles. D’autre part, le pouvoir de choisir permet aux personnes intéressées d’obtenir ce qu’elles souhaitent et aux autres d’éviter l’information. Même si l’on s’adresse, via la télévision par exemple, aux groupes sociaux que l’on estime les plus vulnérables, les évaluations d’écoute, de compréhension ou de mémorisation de certains messages de santé révèlent que le public touché n’est pas toujours le public visé.

La question est donc: comment améliorer la diffusion des savoirs utiles à la population en s’assurant que l’on n’exclut pas d’office certains publics ? Le risque de creuser davantage le fossé des inégalités sociales subsiste plus que jamais. Le danger d’une éducation pour la santé normative, véhiculant les valeurs de quelques groupes sociaux a déjà été mis en avant (5). Pour que chaque catégorie de la population puisse s’approprier les savoirs qui lui sont utiles, il est nécessaire de replacer ceux-ci dans des cadres culturels différents et de réfléchir à leur applicabilité dans chaque contexte de vie.

Le contrôle de l’information :

un autre défi est posé par l’élargissement des sources d’information sur la santé. Le problème de la qualité de l’information que pose l’internet de nos jours n’est pas nouveau. Avant la « toile », il y avait déjà les livres, les périodiques, la communication interpersonnelle, sans parler des contradictions entre les conseils délivrés par différents professionnels de santé. Ces derniers insistent aujourd’hui sur la nécessité de contrôler l’information: assurer la circulation de savoirs scientifiquement validés tout en gardant la main haute sur les sources de la connaissance.

Pourtant, assurer la cohérence des informations diffusées semble aussi irréaliste qu’inacceptable éthiquement. Peut-on raisonnablement concevoir, en matière d’information scientifique, une neutralité de l’émetteur et une vérité universelle? Dans le domaine de la santé, l’éducation doit plutôt entraîner la population à exercer son esprit critique, comme tentent déjà de le faire certaines associations dans le domaine de la consommation. Il s’agit d’offrir aux citoyens des méthodes et des outils qui leur permettront d’opérer des choix libres et éclairés, avec l’aide des professionnels: aucun fonctionnement technocratique ou oligarchique ne peut remplacer cet objectif.

La convergence d’intérêts :

dans le champ de la santé cohabitent trois groupes d’acteurs: les professionnels, les pouvoirs publics et la population. Jusqu’ici les deux premiers se partageaient la parole et le pouvoir sur la politique de santé, se présentant à tour de rôle comme les défenseurs du troisième. Chaque groupe a des intérêts communs et divergents avec les deux autres. Pourtant les conflits d’intérêts sont rarement reconnus.

Très près de nous, en Suisse, l’étude Domenighetti (6) a mis en évidence de manière indubitable les conflits d’intérêt en constatant que l’offre et les pratiques de chirurgie étaient plus souvent proposées et réalisées chez les patients de certaines catégories sociales que d’autres (figure 1). Les justifications sanitaires ou médicales n’ont pas permis d’expliquer la différence du nombre d’actes chirurgicaux. Pourquoi une telle information n’a-t-elle pas mieux circulé au niveau du public ? Quel rôle les institutions d’information de masse, les médias, jouent-elles dans de telles situations ? Qu’en est-il dans les autres pays européens ? En France la publication d’un classement de qualité et de fiabilité des hôpitaux et de leurs services a provoqué un scandale, non sur l’existence d’institutions de santé et de soins apparemment dangereuses, mais sur la divulgation de telles informations. En Communauté française Wallonie-Bruxelles, depuis 3 ou 4 ans, de graves questions de santé publique, et des scandales, apparaissent puis disparaissent sans que de comptes clairs soient rendus aux citoyens. Il y a, dans le champ de la santé, une curieuse absence de contre-pouvoir.

La promotion de la santé: une piste qui reste à explorer

Prévention, diagnostic et traitement des maladies ou des facteurs de risques: les sujets évoqués jusqu’à présent se réfèrent implicitement à une approche de la santé par défaut. La médecine, qu’elle soit préventive ou curative, s’attache à éviter ou à résoudre des problèmes plutôt qu’à cultiver la santé ou le bien-être. Pourtant, depuis 1946, l’Organisation mondiale de la santé affirme que la santé n’est pas seulement l’absence de maladie ou de handicap. Communiquer sur la santé ne devrait donc pas se limiter à des échanges sur les maladies et les risques.

En ce sens la promotion de la santé, telle que définie en 1986 dans la « Charte d’Ottawa », constitue un cadre de référence toujours intéressant (7). Elle permet notamment l’émergence du principe de subsidiarité et de responsabilité (accountability): l’obligation morale et sociale pour les professionnels et les politiques de rendre compte des moyens utilisés pour maintenir ou améliorer la santé de la population, des effets produits et des résultats obtenus. Elle insiste sur la participation des citoyens aux décisions relatives à leur santé individuelle et collective. Elle met l’accent sur la lutte contre les inégalités sociales de santé et d’accès à l’information. Cette approche de la santé publique offre ainsi des éléments de réponse aux principaux problèmes évoqués ci-dessus. Et pourtant, en près de vingt ans, on peut s’interroger sur les réelles avancées opérées en la matière.
Les problèmes que la communication pose dans le champ de la santé ne sont finalement pas différents de ceux qu’elle soulève dans les autres domaines de la vie sociale. Les sujets sont spécifiques, mais les questions de fond sont transversales, le défi est le même: notre société est-elle capable de permettre à chaque citoyen d’accéder à l’information et à l’éducation dans le domaine politique, environnemental, social et sanitaire ? Cette question peut sembler paradoxale au moment où les sources d’information sont décuplées mais gare à l’illusion de « l’accès pour tous ». Pour bien des personnes, les modes de communication utilisés dans le domaine de la santé ne garantissent pas l’accès à l’information et deviennent au contraire un facteur supplémentaire d’exclusion sociale.

Alain Deccache et Brigitte Sandrin-Berthon , Unité d’Education pour la santé UCL-RESO, Ecole de Santé publique, UCL

Cet article est une adaptation de l’article paru dans la revue Louvain (n°123, novembre 2001), avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

(1) Cassel EJ, Coulehan JL, Putman SM, Procéder à l’anamnèse: l’art et la manière. Patient Care, septembre 1990.
(2) D’Ivernois JF, Education thérapeutique du patient et maladies chroniques, Ive Congrès de pneumologie de langue française, Nice 26-29 janvier 2000.
(3) Haynes RB, Taylor DW, Sackett DL, Compliance in Health Care, John Hopkins University Press, Baltimore, 1981.
(4) Leenen et al., The Rights of Patients in Europe, Deventer, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1993.
(5) Illich i., Nemesis médicale: l’expropriation de la santé, Seuil, Coll. Points, Paris, 1975.
(6) Domenighetti G., Marché sanitaire: pour une stratégie informative du consommateur, in Bastien R et al., Promouvoir la santé, Coll. Partage, RéFIPS,113-146.
(7) Ottawa Charter for Health Promotion, First international Cnference of Health Promotion, Health Promotion, 1, 4, nov. 1986, 405-464