Articles de la catégorie : Réflexions

Thérapie informative et politique sanitaire

Le 30 Déc 20

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Mon intervention vise à aborder l’information et la communication, non pas au niveau de l’individu mais au niveau de la société, car l’information adressée à la société civile va ensuite influencer la relation unique, médecin/patient mais aussi la relation entre professionnels de la santé.

Politique sanitaire

La politique sanitaire a pour but de réorganiser, financer, apprécier le management du secteur sanitaire, en d’autres termes de se focaliser sur les services de prévention, de diagnostic, de soins et de réhabilitation. Son but vise à garantir un accès équitable aux informations et aux prestations adéquates et se fonde, dans la mesure du possible, sur des épreuves d’efficacité afin de répondre aux besoins sanitaires individuels et collectifs compte tenu des ressources disponibles.
Un autre volet de la politique sanitaire, presque totalement négligé, est le volet culturel. Qu’entend-on par volet culturel? Informer la société que la santé ne dépend pas seulement de la consommation de biens et de services médicaux ou mieux dire que les services de santé ont essentiellement un rôle réparateur mais informer que la santé dépend davantage de déterminants socio-économiques et écologiques. L’information doit aussi faire part de l’incertitude de la science et de la pratique sanitaire. La pensée unique d’aujourd’hui sous-tend que tout ce qui est consommé est utile, nécessaire, efficace et adéquat. Chacun pensera alors que, en consommant toujours plus de biens et de services sanitaires, tout problème peut être résolu, ou bien que chaque demande pourra être satisfaite, comme le disent les économistes. Mais nous savons que ce n’est pas le cas. Nous nous trouvons là aux fondements de la vision mythique de l’efficacité tous azimuts de la médecine qui nécessite d’être corrigée.

Comment promouvoir la santé avec des technologies dites faibles, comme se nourrir ou se comporter d’une certaine façon, opter pour d’autres styles de vie, face à la croyance qu’une pilule va résoudre le problème? Je crois qu’il faut arriver à promouvoir un accès plus éclairé aux services. Mais si l’on croit que tout est nécessaire, efficace et adéquat, on ne se pose évidemment même pas la question d’un accès plus éclairé aux prestations médicales.
Quel est le but d’une telle action culturelle? Ramener les attentes mythiques de la société à la réalité des épreuves. La pression consumériste va dans un futur proche poser des problèmes à la durabilité de financement de nos services de santé. Que se passera-t-il si le niveau de la consommation actuelle se maintient ou croît encore dans les années à venir? N’oublions pas que derrière ce processus, quelqu’un tire les ficelles et en profite plein les mains. Et qui tire réellement les ficelles?
L’industrie conditionne tout le monde par un marketing agressif qui vise à influencer directement la consommation et la prescription, la recherche ainsi que la politique. Mais quels sont les fondements de la vision ‘mythique’ de l’efficacité de ‘l’entreprise’ médico-sanitaire?
La société civile pense que la santé dépend exclusivement de la disponibilité de services et de la consommation de prestations médico-sanitaires, seul déterminant de la longévité.
Elle croit aussi que la médecine est une science exacte.
Cette dernière croyance implique qu’il y a une omission totale des notions de risque, d’événement indésiré, d’incertitude, de controverse, de variabilité et de conflit d’intérêts.
Un autre facteur à la base de cette vision mythique de l’efficacité de l’entreprise médico-sanitaire, est la croyance qu’il vaut toujours mieux diagnostiquer une maladie avant qu’elle ne se manifeste.

Les déterminants de la santé et leur contribution à la longévité

On reconnaît 4 déterminants majeurs de la santé. La biologie et la génétique contribuent pour 20% à la longévité. Le statut socio-économique de l’individu, le déterminant le plus important, influence la longévité de 45 à 50 %. Vient ensuite l’écosystème, qui contribue pour 20 à 25 %. La contribution à la longévité du secteur de soins, la plus faible, se situe en effet entre 10 et 15%.

Le statut socio-économique

Bien que dans le Canton suisse de Genève tout le monde a un accès absolument équitable aux soins (la Suisse étant probablement le plus grand shopping center sanitaire du monde), 5 années d’espérance de vie séparent ceux qui se trouvent dans la classe sociale la plus favorisée de ceux qui se trouvent dans la classe moins favorisée. Ce schéma se retrouve dans tous les pays car il n’est pas une spécificité suisse. Cet exemple démontre que ce n’est pas la consommation qui va réduire les inégalités de santé entre les individus mais d’autres facteurs exogènes au système.
Quel est le déterminant principal du statut socio-économique? Essentiellement le travail.
En effet, le rôle et le statut professionnels vont déterminer le statut social de l’individu. Or, c’est justement sur le travail qu’il faut agir car nous assistons aujourd’hui à ce qu’on appelle les nouveaux risques liés au travail. De quoi s’agit-il? De l’augmentation de la pression psychologique, de l’angoisse, en bref du stress lié aux changements des conditions et des rythmes de travail, à la diminution du soutien à l’intérieur des entreprises, à la précarisation de l’emploi, au harcèlement psychologique. Tout ceci aura des conséquences directes sur la santé.
Une étude récente publiée dans le British Medical Journal montre que les personnes qui ont survécu à des réductions d’emploi mais qui ont gardé leur poste contrairement à ceux qui ont été renvoyés, ont eu, dans les quatre années suivantes, un taux d’infarctus trois fois plus élevé que les travailleurs des entreprises qui n’ont pas vécu le stress lié à des réductions du personnel. Les résultats de plusieurs recherches montrent que le statut socio-économique est le déterminant le plus important à la longévité, et sa contribution a été chiffrée à 45-50% alors que les services de santé n’y contribuent que pour 10 à 15%. Mais un sondage effectué auprès de la population (Suisse) montre au contraire qu’elle estime que les services de santé vont contribuer pour 60 à 65 % à sa longévité. La réalité perçue par l’opinion est donc tout à faite autre.
Première conclusion: équité sanitaire signifie créer un environnement socio-économique susceptible d’offrir aux individus des opportunités aussi égales que possible face à la santé.
Deuxième conclusion: aujourd’hui, les décisions du ministre des finances ont généralement un impact plus important sur la santé de la population que celles du ministre de la santé!

La médecine est-elle une science exacte?

La médecine est plus incertaine que certaine et de nombreuses évaluations ont été faites à ce sujet. A l’incertitude de la science s’ajoute l’incertitude propre au professionnel qui l’exerce. Organisé dans cinq pays, un sondage portant sur un échantillon de 1.000 personnes a posé la question suivante: est-ce que, pour vous, la médecine est une science exacte ou ‘plutôt exacte’? 70 à 80% des personnes sondées ont donné une réponse affirmative. La même question a ensuite été posée aux médecins suisses. Parmi les internistes, 30 % ont répondu ‘oui’ mais parmi les spécialistes en épidémiologie, qui ont l’habitude de lire tous les articles et de les évaluer, seulement 7 % étaient d’accord avec une telle affirmation.

Diagnostic précoce

Aujourd’hui le diagnostic précoce est devenu synonyme de guérison. Les médias, mais aussi les services de santé, incitent avec un enthousiasme incroyable à aller diagnostiquer toute maladie avant qu’elle ne se manifeste. Un sondage récent montre que 80% des Italiens, 60% des Anglais et 52% de la population suisse estiment qu’il est toujours utile de dépister une maladie avant qu’elle ne se manifeste.
Aux Etats-Unis, 50% des femmes ayant subi une hystérectomie radicale et n’ayant donc plus d’utérus, continuent à faire le pap test (1). Toujours aux Etats-Unis, on a proposé aux américains de choisir entre le cadeau d’un examen par body scanner (un type de résonance magnétique) ou bien un cadeau de 1.000 dollars s’ils renonçaient à cet examen: 73% ont préféré le body scanner plutôt que le cadeau de 1.000 dollars; 66% des citoyens des Etats-Unis seraient disposés à se soumettre à un test de diagnostic précoce, même pour un cancer pour lequel il n’y a aucune possibilité d’être soigné ou guéri (2).
Environ 70-80% de femmes (3) pensent que si on se soumet régulièrement à une mammographie, on évitera de tomber un jour malade d’un cancer du sein. L’information donnée aux femmes par les médias et les brochures produites par les services de santé n’est donc évidemment pas une information evidence based. En conclusion, les attentes vis-à-vis de l’efficacité de l’entreprise médico-sanitaire dans la promotion du bien-être individuel ou social dépassent toute raisonnable évidence.

Consommateur versus patient

D’où vient cette vision, cette pensée unique? L’individu joue toujours deux rôles. Le rôle de citoyen lorsqu’il est bien portant et le rôle de patient lorsqu’il rencontre un problème de santé. Dans son statut de citoyen bien portant, par quoi est-il influencé? Par les médias, la presse, les brochures et les supports qui sont produits par les services de soins et par son réseau social.
Lorsque le citoyen tombe malade, la seule information qu’il reçoit provient des professionnels de la santé. L’empowerment dans ce dernier moment particulier de la relation avec un professionnel est presque impossible. C’est donc avant qu’il faut donner quelques outils car en disposant d’un surplus d’information et de culture avant de se retrouver dans la relation à deux, on aura plus de probabilités d’avoir un élan d’autonomie et de prendre une décision éclairée et partagée.
L’information adressée à la société civile doit être fondée sur des preuves d’efficacité. Elle ne doit pas être biaisée par des conflits d’intérêt. Revenons aux médias et aux supports. Les informations sur la santé produites et diffusées par les médias ont fait l’objet d’analyses. Seuls les bénéfices d’une prestation de type sanitaire sont habituellement mis en évidence, même si les bénéfices ne sont que potentiels, même s’il n’est pas prouvé qu’ils sont réalisables dans la pratique courante. Effets désirés, risques et incertitudes sont systématiquement omis par les médias et les brochures.

Une pensée unique passe donc dans la société civile

Elle veut que tout ce qui est proposé et prescrit soit utile, nécessaire et efficace. On devient dès lors très puissant et séduisant. Aujourd’hui, je crois que la séduction est un moyen de domination et je crois aussi qu’il n’y a pas de meilleure séduction que de dire qu’on est terriblement efficace, que l’on va résoudre tout. ‘ Venez , consommez avec confiance !’. Que cache ce type d’information tout public? Quasi toujours un intérêt commercial ou l’intérêt d’un producteur de quelque chose. Et pourtant l’information correcte peut modifier la disponibilité à consommer des gens. En voici un exemple concret.
On a sondé 900 Suisses sur leur disponibilité à accepter un dépistage, totalement inutile, le screening du cancer du pancréas. L’échantillonnage de ces 900 Suisses, hommes et femmes, a été divisé en deux groupes. Le premier groupe a reçu une information standard: ‘ Lors d’une visite médicale de routine , le médecin vous demande si vous êtes disposé à vous soumettre à un test diagnostic , un simple examen de sang , qui permet de diagnostiquer , avant que les symptômes de la maladie ne se manifestent , l’existence d’un cancer du pancréas . Quelle serait votre décision ?’ Le deuxième groupe a reçu les mêmes informations et un surplus sur les effets indésirés et l’efficacité de la prestation. ‘ Le test n’est pas précis ( 70 % de faux positifs ), il conviendra en outre d’effectuer un examen complémentaire à l’hôpital , de type résonance magnétique , pour confirmer ou non le résultat du test précédent . Chaque année en Suisse , 11 personnes sur 100 . 000 sont atteintes d’un cancer du pancréas . Sur 100 personnes atteintes d’un cancer du pancréas seulement 2 sont encore en vie après 5 années . Quelle serait votre décision ?’.
Dans le cas de l’information standard, 60% étaient disposés à se soumettre au test, dans le cas de l’information exhaustive, 13,5 % acceptent le test et 65% le refusent.

Quelle conclusion en tirer?

L’information est aussi importante pour la santé du patient que les médicaments, les examens biomédicaux et les interventions chirurgicales. La santé relève essentiellement de l’information. Bien informé, le patient peut faire des choix ou agir sur le système, bien mieux que s’il n’avait pas été informé. La priorité absolue aujourd’hui est de déprogrammer la société civile et ramener ses attentes à la réalité. Dans l’intérêt de chacun et de la durabilité des systèmes. L’éditeur du British Medical Journal ( 4 ) a fait une proposition pour ramener les attentes à la réalité. Il conseille de faire comprendre que le décès est inévitable, que la plupart des maladies sérieuses ne peuvent être guéries, que les antibiotiques sont inutiles en cas de grippe, que parfois les prothèses se cassent, que les hôpitaux sont des lieux dangereux etc.
Gianfranco Domenighetti , Professeur d’économie sanitaire, Université de Lausanne et Genève, chef de Service de la Santé publique, Canton du Tessin
Ce texte est extrait des actes du colloque ‘Information des patients’ organisé le 11 mars 2005 par le service de promotion santé Espace Santé et par la Fondation Solidaris (Mutualité FMSS/FPS). Nous le reproduisons avec l’aimable autorisation d’Espace Santé.
Espace Santé, rue de l’Université 1, 4000 Liège. Tél.: 04 223 01 50. Courriel: espace.sante@espacesante.be.

(1) Sirovich, Welch. JAMA 2004
(2) Source: Schwartz et al. JAMA 2004
(3) Source: Domenighetti et al. Int.J. Epidem.2004
(4) Source: R.Smith, Editor British Medical Journal (1999)

Ne dites pas à ma mère que j’ai commis une campagne TV de promotion de la santé. Elle me croit acteur de santé publique!

Le 30 Déc 20

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Le dernier spot de la campagne TV «Sourire pour tous» vient d’être diffusé. Une pression sur la télécommande a fait surgir de l’écran un dernier rayon hypnotique… Le moment est maintenant venu de dresser le bilan de cette campagne TV de promotion de la santé.
En tant que promoteur de cette campagne, je me devais de suivre la bonne diffusion de nos spots sur les écrans TV, dans les espaces médias gratuits, obtenus après avoir été tant espérés. De ma vie, je n’aurai jamais eu une telle indigestion de publicités télévisuelles. Ainsi donc pour voir quelques malheureuses secondes d’un spot consacré à la promotion de la santé, il faut être bombardé de spots divers faisant l’apologie d’un bain-douche aphrodisiaque, de 4×4 m’assurant puissance et sérénité au volant, de produits yaourtés anticholestérol, source de L. Casei Immmmmmunitas aux vertus miraculeuses et particulièrement enrichis d’allégations de santé dont s’affublent de plus en plus de produits issus de l’industrie alimentaire.
Mais que faisaient donc nos spots de promotion de la santé au milieu de tous ces produits inutiles, futiles voire malsains qui ne vivent que parce qu’ils sont soutenus par la publicité? Mais que faisaient donc nos spots de promotion de la santé au milieu de messages visant à créer frustrations et désirs d’achat, visant à augmenter la notoriété des marques, visant à faire croître notre sacro-sainte con-som-ma-tion?

Une compensation réaliste ou cynique?

Et pourtant c’est la place désignée de la promotion de la santé à la télévision, de par la volonté de la Communauté française (1).
Oui il fut un temps –pas si lointain- où il n’y avait pas de publicité à la télévision. L’introduction de la publicité sur les chaînes télévisuelles a donné lieu à des mesures régulatrices curieuses: chaque seconde de spot diffusé pour de l’alcool ou des médicaments en vente libre allait donner droit en compensation à une seconde de spot en promotion de la santé. Est-ce bien moral tout cela? Car plus il y aura de pubs pour ces apéros, ces alcools et ces bières que-seuls-les-hommes-savent-pourquoi, ces antidouleurs qui chassent le mal de tête en faisant psschit ou ces remèdes contre le brûlant qui nous dispensent de la moindre discipline alimentaire, plus les associations comme la nôtre pourront recevoir de l’espace dans les tunnels de publicité qui occupent toujours plus de temps d’antenne.
Moral, tout ça? C’est l’arrêté. Il faut faire avec. Mais ce lien entre promotion de la santé et alcool n’est-il pas un lien contre nature qu’il faudrait réformer? En France un débat éthique similaire s’est fait jour lors de la discussion d’une proposition de taxe «santé» sur les produits CCC (2) et leur pub, pour financer l’éducation pour la santé.
Il y a lieu de peser avantages et désavantages d’intégrer les spots de promotion de la santé au milieu des spots commerciaux. Et voir si d’autres canaux ou créneaux ne seraient pas plus pertinents.

A contre-courant

Nous, nous n’avions rien à vendre. Nous n’avions pas de désir d’achat à susciter. Que du contraire. Nous voulions faire passer des messages de limitation de consommation, voire de non-consommation. Remplacer en milieu scolaire la consommation des sodas par de l’eau. Proposer des alternatives «santé» pour les collations scolaires, question de lutter contre l’envahissement des collations CCC. Promouvoir des collations «fruits», voire l’abstention de consommation de produits superflus qui débordent de partout, comme nos bourrelets débordent de nos pantalons. Rappeler l’utilité d’une visite chez le dentiste, ce qui n’est pas vraiment un produit alléchant ni un achat d’impulsion!
La réponse qu’apporte l’industrie, qu’elle soit alimentaire ou pharmaceutique, à un problème de santé est toujours la même: acheter et consommer un produit . Et bien sûr, achat et consommation sont des actes boostés par la publicité.
Ce que nous avons «à vendre» est différent: ne pas acheter ces produits . S’abstenir. Prendre plutôt des produits simples, bruts. Raisonner plutôt que consommer par pulsion, par habitude ou par jalousie. Créer une dynamique de réflexion et d’action collective au sein de la classe. Remobiliser et aider le milieu scolaire dans sa mission d’éducation… pour la santé.
Et faire mentir cette terrible phrase d’un directeur d’école à qui je reprochais le distributeur de sodas implanté dans son établissement: «Faites-vous une raison, l’école est à l’image de la société dans laquelle nous vivons».

Le vif du sujet

Non, notre idéalisme est intact après trois ans de campagne «Sourire pour tous».
Pour rappel, celle-ci trouve son origine dans le constat d’une très mauvaise santé dentaire chez les jeunes et d’un très faible recours aux soins chez le dentiste, particulièrement au sein des familles les plus démunies.
Depuis 3 ans, le Comité de l’Assurance de l’INAMI charge la Fondation pour la santé dentaire d’une expérience visant à remédier à cette situation. Et c’est explicitement que le contrat qui nous lie prévoit une campagne média auprès de la population visée mais aussi vis-à-vis de l’ensemble de la population.
Ce n’est que durant la troisième année de l’expérience que nous avons accédé au média TV. Nos ressources sont très limitées – comme trop souvent en promotion de la santé – et il nous a semblé jusqu’ici bien plus prioritaire et préalable de sensibiliser et former les personnes relais qui encadrent les enfants, tels les enseignants, les infirmières scolaires, les puéricultrices, le monde associatif.
Un spot TV de promotion de la santé n’est la plupart du temps pertinent que s’il offre un soutien à une démarche préexistante de promotion de la santé. Une démarche construite, globale, souvent bien plus discrète qu’un spot TV, mais autrement plus profonde.
Le spot TV n’est donc qu’un soutien à une campagne menée sur le terrain. Le spot va susciter la curiosité? Peut-être. Le spot va faire connaître l’action menée? Quelque peu.
Mais aujourd’hui tout ne serait légitime que si cela a été «vu à la télévision»?
Avions-nous les moyens de réaliser un spot TV performant? Car il ne suffit pas de recevoir l’espace de diffusion gratuit de la Communauté française. Il faut encore avoir les moyens financiers pour tourner le spot.
Quoi? Une agence de communication, des cinéastes professionnels, des acteurs, de la musique (et donc la gourmande SABAM), du montage, des cassettes au format PRO en X exemplaires?
Et pour raconter quoi?
Non, nous n’allions quand même pas rentrer dans le même schéma de pensée que les publicitaires en vantant les vertus de l’eau en bouteille qui rajeunit les corps fatigués. En vantant les vertus miracles d’un dentifrice mis en scène dans une ambiance érotique comme la pub d’une eau de parfum.

Carte de visite

Qui sommes-nous?

La Fondation pour la santé dentaire est le Département Prévention de la Société de médecine dentaire asbl, association dentaire belge francophone groupant les dentistes.
La gestion quotidienne de la Fondation est assurée par trois dentistes et un enseignant de formation. Ils sont rejoints au gré des projets et actions par une soixantaine de dentistes bénévoles.

Nos objectifs

La Fondation a pour objectif d’aider la population à adopter une démarche préventive en vue de conserver ou de retrouver une bonne santé bucco-dentaire. Son objet social est la promotion de la santé dentaire intégrée dans un concept global de santé publique.

Un peu d’histoire

Née en 1971, la Fondation a connu plus d’une vie.
Qui se souvient encore de Jo Caramel, personnage emblématique des débuts de la Fondation?
Plus près de nous, le ‘Dentibus’ – opération montée en collaboration avec l’ONE et une firme – a visité des centaines d’écoles en Wallonie et à Bruxelles de 1993 à 2000, à raison de 6.000 enfants dépistés chaque année.
Depuis 2004, le Ministre de la Santé et l’INAMI ont conclu un accord avec la Fondation pour mener une expérience afin de réduire les inégalités sociales dans l’accès aux soins dentaires et à la bonne santé dentaire. Il s’agit de l’expérience-pilote ‘DentiPass’, et de la campagne de communication qui l’accompagne, ‘Sourire pour tous’.
Elle a abouti à la gratuité des soins dentaires pour l’ensemble des enfants de moins de 12 ans, et ce depuis le 1er septembre 2005.

Les actions

-Conférences de formation à la santé dentaire de travailleurs médico-sociaux.
-Publication de recommandations, telles les ‘recommandations fluor’.
-Présence dans les médias ‘grand public’ de messages de santé bucco-dentaire.
-Mise sur pied et participation à des enquêtes scientifiques.
-Sensibilisation des dentistes à toujours plus de prévention et de prise en charge prophylactique.
-Sensibilisation des instances INAMI à la prise en charge financière des soins prophylactiques: examens buccaux semestriels et annuels, forfait de prophylaxie, coloration de plaque, scellement.
-Nombreuses collaborations avec des associations ou organismes de prévention ou promotion de la santé, afin de promouvoir la santé bucco-dentaire.
-Actions dans les écoles – uniquement dans le cadre d’actions ponctuelles et ciblées.
-Organisme ressource pour les enseignants et infirmières scolaires désirant agir dans le domaine de la santé dentaire.
-Edition ponctuelle de matériel pédagogique.

Une démarche de santé globale

La santé des dents et des gencives ne se conçoit que dans une démarche de santé globale. Au-delà d’un usage efficace de la brosse à dents, il faut adopter des habitudes alimentaires saines en ne faisant pas des sodas et des friandises le quotidien de son alimentation. Préserver la santé des dents et des gencives ne se fait pas non plus sans évoquer l’usage du tabac lequel a des répercussions néfastes sur ces structures.

Le financement

La Fondation pour la santé dentaire est attentive à préserver son indépendance, pour rester uniquement au service de la Santé publique.
Elle peut travailler essentiellement grâce aux cotisations des dentistes membres de la Société de médecine dentaire asbl, association dentaire francophone belge, et grâce au bénévolat de dentistes.
La Fondation ne bénéficie pas de subvention structurelle de la part des autorités. Elle n’accepte de réaliser des actions en partenariat avec l’industrie que dans de rares cas, et dans le respect d’une éthique stricte.
L’action ‘Sourire pour tous’ est financée par le Ministre fédéral de la Santé et le Comité de l’assurance de l’INAMI, en dehors de tout sponsoring.
La Communauté française a apporté son soutien pour une enquête épidémiologique et a accordé à la Fondation de l’espace média gratuit.

Un site Internet

https://www.sourirepourtous.be
Les enseignants et infirmières scolaires y trouveront ‘en ligne’, un dossier pédagogique et des fiches adaptées à chaque âge.
Parents et enfants trouveront des rubriques répondant à leurs centres d’intérêt.

Adresse

Fondation pour la santé dentaire, Avenue De Fré 191, 1180 Bruxelles. Courriel: fondation@dentiste.be.

Ici l’ombre, les enfants parlent aux enfants

Nous devions partir de la base de la base. Des messages élémentaires de l’éducation à la santé dentaire. Des fondements de notre action. De notre modus operandi habituel qui se résume en une phrase : «Il est moins ardu de changer ses comportements en groupe que de les changer tout seul».
C’est ce que propose «Sourire pour tous» aux écoles: des expériences-pilotes dans des classes. Expérience, car il s’agit de tester des défis pendant 1 mois. Car c’est un véritable défi que d’adopter des bons comportements de santé. En classe, parce que la dynamique est de groupe, et que cela facilite les choses. Pilotes, car l’idée est que ces classes peuvent servir d’exemple et essaimer dans les autres classes, voire dans d’autres écoles.
Ainsi donc nous voulions persévérer dans notre façon d’agir. Mais cette fois-ci, des écoles impliquées dans ces projets allaient utiliser la vidéo comme moyen pour faire connaitre ce qu’elles avaient réalisé dans leurs classes.
Mais on ne s’improvise pas cinéaste ou publicitaire. Une rencontre avec l’asbl CTV Media (3) nous donna l’idée de confier la mission de réaliser les spots TV… aux enfants eux-mêmes. Après tout, c’est ce que nous voulions, que les enfants parlent aux enfants. Qu’ils fassent savoir à d’autres gosses de leur âge (et aux adultes aussi) ce qu’ils avaient adopté comme bons comportements de santé dans leur école.
CTV Media organisa à leur attention une formation aux médias, un décodage du langage publicitaire, pour ensuite les aider dans le travail d’imagination et d’écriture des scénarii des spots.

En route vers les Césars, ou plutôt les espaces gratuits

Mais bien vite un premier écueil surgit. Trente secondes, c’est le temps habituel, formaté par les régies publicitaires, d’un spot TV. Trente secondes, c’est un temps qui fut jugé trop court par les enfants pour qu’ils puissent s’exprimer. Non, ce n’était pas un reportage journalistique que nous leur demandions. Il fallait donc se contenter de susciter, choquer, simplifier à l’extrême. Bref, d’utiliser un langage publicitaire.
Allions-nous au clash? Les enfants n’ont ni les arrière-pensées ni l’art manipulatoire des professionnels de la pub. De toute façon, nous n’avions pas les moyens pour engager des pros. Nous faisions confiance aux enfants. Leur doux amateurisme permettrait peut-être de se démarquer du discours dominant?
Plus certaines publicités sont bêtes, caricaturales, voire avilissantes, mieux elles marchent. Et ce ne sont pas les vendeurs de poudre à lessiver ou de gel détachant qui vont me contredire!
Nous ne voulions pas superviser le travail des enfants. Nous les avons donc laissé se débrouiller avec leur animateur vidéo.
Vint le jour de la présentation du résultat. Le pré-montage était fait. On pouvait juste encore corriger un enchaînement, une virgule, un slogan. Mais il fallait accepter le travail tel quel.
Et waouh, le résultat du travail des enfants dépassait toutes nos espérances! Avec cela, on pouvait tenter l’accès à la diffusion télévisuelle en introduisant une demande d’espaces gratuits à la Communauté française.

Politiquement correct

Oui, les spots dépassaient toutes nos espérances, mais, restons les pieds sur terre, nous y découvrions par ailleurs toutes les limites du média et du langage publicitaire. Nous y découvrions aussi les schémas de pensée tôt gravés chez les enfants.
Ces spots allaient-ils convaincre? N’était-ce pas un sérieux raccourci que de présenter la brosse à dents comme le moyen de défense contre «l’invasion de sucre dans nos écoles»?
N’était-ce pas renforcer le message d’une certaine industrie? Industrie qui par exemple n’hésite pas à proposer des produits light comme réponse à des problèmes de santé générés par une surconsommation de produits un peu moins light vendus par cette même industrie?
Les messages allaient être soumis aux censeurs, nous les premiers. Puis nos partenaires. Puis l’instance d’avis de la Communauté. Enfin, les Ministres de tutelle, qui ont le pouvoir de décider quelle campagne a droit au jackpot et quelle autre pas.
Il fallait être politiquement correct. Pas de cannettes de sodas trop rouges évoquant le leader du marché des soft drinks. Pas d’allusions trop transparentes à des marques.
Et puis il y avait aussi dans un des spots cette gamine au sourire éclatant qui renforce l’attirance des petites filles pour la Star Academy.
Et ce dentiste préhistorique confortant l’image d’Epinal catastrophique de la profession de dentiste?
Et ces attaques en règle contre une certaine société de consommation! Risquions-nous des retours de flammes? Des actions en justice? Quoi, «ils» oseraient nous attaquer? Mais que dirait le très peu indépendant Jury d’Ethique Publicitaire? Des messages d’éducation pour la santé doivent-ils être soumis à l’organisme régulateur (autoproclamé)… du secteur de la pub (4)?

Mission accomplie, mais…

Ne boudons pas notre plaisir. Nous avons obtenu l’espace. Nous l’avons fait. Nous le referons encore. Ces spots TV soutiennent notre action. Mais tout cela suscite quand même bien des questions.
Est-ce vraiment une voie que doit suivre la promotion de la santé? Peut-on délivrer des messages d’éducation pour la santé entre une pub pour des biscuits de petit-déjeuner et une autre pub pour des surprises chocolatées, tout en utilisant le langage publicitaire?
L’éducation se fait-elle aussi par la pub?
Une très sérieuse chercheuse universitaire en marketing, après avoir tenu des discours ambigus sur la pub entourant les émissions pour enfants, tend à démontrer maintenant que les messages d’éducation à la santé insérés entre les pubs commerciales sont très efficaces pour autant que ces supports soient bien réalisés. Mouais! Justement les organismes œuvrant en promotion de la santé n’ont pas les moyens financiers des géants de l’industrie agro-alimentaire. Ils recevront un peu d’espace média, mais pas autant que ces firmes qui monopolisent les écrans à coup de dizaines de milliers d’euros. Et qui nous colonisent véritablement le cerveau, qu’on le veuille ou non. Qu’on en soit conscient ou non.
L’ampleur du monopole de ces firmes se renforce. D’ailleurs elles se lancent elles aussi dans l’éducation à la santé, avec des moyens bien plus considérables que le secteur associatif. Et d’aucuns trouvent cela bien. Une industrie distribue des jeux éducatifs pour une «bonne» alimentation dès la troisième maternelle, et les instits en redemandent…
Qui reste-t-il pour protéger notre école des dérives de notre société marchande?
Ne soyons pas naïfs. L’industrie ne va pas dans les écoles pour éduquer. Elle y va pour former les consommateurs de demain. Ou d’aujourd’hui, car les poids lourds du secteur privé sont pressés. Sommés d’augmenter leur chiffre d’affaire et de générer une croissance «à deux chiffres» de leurs bénéfices (de minimum 10% tous les ans, donc, et plus encore si opportunité!).
Oui, on a reçu de l’espace gratuit. Mais comme vous le voyez, rien n’est simple dans cette entreprise. Beaucoup de questions restent posées. Bien des faiblesses apparaissent à l’utilisation de ce média. Bien trop de limitations aussi: est-il imaginable qu’on nous autoriserait à diffuser un spot qui dénonce les excès de la pub?
Des dangers guettent la promotion de la santé: celui d’accepter comme outil principal le langage publicitaire. Celui de laisser se répandre l’idée que des campagnes médiatiques suffisent. Celui de laisser les pubeux et leurs commanditaires devenir des acteurs importants de la promotion de la santé, voire des acteurs prédominants.
Est-ce vraiment ce que nous voulons?
Michel Devriese , Dentiste coordonnateur, Fondation pour la santé dentaire

(1) Dispositif régi par un arrêté du 18 janvier 1995. Pour une explication complète, voir C. De Bock, ‘Les campagnes radiodiffusées d’éducation pour la santé, Cahiers de Prospective Jeunesse n° 34, mars 2005.
(2) CCC: Chocolat, Chips, Cola
(3) CTV Médias, centre d’éducation aux médias, est une asbl reconnue en éducation permanente qui a pour objectif le développement de l’autonomie et du sens critique des citoyens face aux médias et aux nouvelles technologies de communication. Elle met ses moyens, ses compétences et les technologies de communication au service de projets éducatifs, sociaux ou culturels. Adresse: rue du Saphir 15, 1030 Bruxelles. Tél.: 02 735 22 77. Courriel: info@ctv.be. Internet: https://www.ctv.be .
(4) Le JEP (Jury d’Ethique Publicitaire) n’hésite dorénavant plus à mettre des bâtons dans les roues d’organismes publics tels le CRIOC, le Secrétariat d’Etat à la Consommation et dernièrement le Ministre de la Santé Publique himself en contrant sa campagne média de soutien au «Stop au tabac dans l’HORECA».

Les excès chez les ados, autodestruction programmée?

Le 30 Déc 20

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Lors d’une conférence organisée par le CEPULB (1), le Dr Jean-Pierre Jacques , médecin, psychanalyste et psychothérapeute qui fut membre fondateur de l’association Modus Vivendi ou encore médecin-directeur du projet LAMA, a fait le point sur ces ados qui se défoncent, à l’alcool et aux drogues notamment. De son allocution, on retiendra une analyse bien sombre de la prévention de ces comportements destructeurs…
Intitulée «Ados bitus, défoncés, déchirés», la conférence du Dr Jacques met le doigt sur une problématique qui inquiète l’opinion publique, incitant aussi les pouvoirs publics à agir, mais sans parvenir à être efficaces. « Ces adolescents ont une démarche auto agressive par l’abus d’alcool et de drogues . On retrouve chez eux le double mouvement ’adolescentaire’ : à la fois le refus du Système , de l’ordre établi et de ses règles , et l’agressivité , la tendance auto destructrice au mépris de la pulsion d’auto conservation . Contrairement aux mouvements contestataires , comme les hippies , les rappeurs , les punks , etc ., on voit qu’aujourd’hui , des jeunes se révoltent de manière indistincte contre le système : ils n’ont aucun combat précis , aucune revendication claire . Les lacaniens affirment qu’ils manifestent un appel au Père . Mais comment penser une prévention intelligente dans l’usage des drogues , dans ce contexte ? Comment transmettre des valeurs et des règles d’une génération à l’autre , alors que celle ci les récuse précisément ?», questionnait-il en guise d’introduction.
De par son expérience dans les associations qui s’occupent des jeunes drogués, le Dr Jacques constate la discordance qui existe entre les « maigres moyens réellement consacrés à la prévention par rapport aux incantations politiques et aux attentes des familles et des citoyens qui considèrent pourtant la prévention comme essentielle . Mais pourquoi une telle discordance ? Par hasard ? Par incompétence ? Ou plutôt par perte de l’illusion de pouvoir mener une prévention des abus des drogues dans des régimes libéraux et consuméristes ? En effet , il peut sembler dérisoire d’investir dans une prévention aux effets incertains , tout comme on peut le voir dans la prévention du suicide : il n’y a pas d’investissement pour prévenir le licenciement ou les chagrins d’amour , deux causes primordiales du suicide Idem pour la médecine préventive , l’échec scolaire , les violences familiales Alors à défaut de pouvoir prévenir , on décrit , on observe …»

Crise de la prévention?

En 2003, Rita De Boeck concluait une recherche en constatant que malgré les campagnes de prévention, la consommation de drogue, tabac et alcool augmentait chez les jeunes. En 2005, le rapport national belge sur les drogues constatait une augmentation de la consommation de cannabis en Communauté française ainsi qu’une stagnation – mais à un niveau élevé – de l’héroïne. Seul l’ecstasy semblait diminuer un peu. Des tendances confirmées dans le rapport de 2006.
Le Dr Jacques ne peut s’empêcher de s’interroger sur la période où l’on vit et sur la société dans laquelle les jeunes évoluent. La démocratie si prometteuse favorise à la fois les libertés, mais aussi les déceptions. Ce qui se constate tout particulièrement dans les sociétés qui passent d’un régime de type totalitaire vers un régime proche du nôtre, qui promet le bonheur pour tous… Mais tous ne s’y retrouvent pas, avec les déceptions que cela engendre.
Et puis, corollaire à la démocratie, il y a l’économie de marché: «On veut diminuer la consommation de drogue, dans un siècle où on promeut la surconsommation de tout le reste En effet , le développement économique dépend de la croissance qui elle même dépend de la consommation ! Avec le capitalisme total , la mondialisation , tout incite à la jouissance immédiate . Avant , il y a moins de deux générations , la jouissance était taboue : on ne pouvait se l’accorder que dans l’intimité , la culpabilité et furtivement , dans un contexte où la société était dominée par la sobriété , l’épargne , l’ordre , le refoulement . Aujourd’hui , le mot d’ordre est précisément la jouissance : elle est le moteur du développement personnel et de l’économie . Et comme on le sait , il ne faut plus d’entraves à l’économie : ses freins doivent tomber , comme sont tombées les frontières et toutes les limites dont les valeurs morales qui pourraient rendre l’accès aux biens plus difficile
Et de comparer cette rage de consommer et de profiter de tout à cette quête enfantine: « A peine possède t on quelque chose qu’on désire autre chose ! C’est un mode d’assujetissement au bénéfice du profit . L’être humain est réduit à un consommateur sans réflexion , ce qui peut générer le désarroi . Certains peuvent dès lors chercher un réconfort dans la drogue

Drogué: prototype du consommateur-type?

Si cette recherche de consommation pour le plaisir immédiat peut se retrouver dans la consommation de drogue, le Dr Jacques souligne que cette dernière est une marchandise particulière: « Le drogué incarne à tort ! – un mode de jouissance totale , sans limite , sans morale , sans connaissance des conséquences de ses actes : c’est le sujet consommateur sans sens critique que l’on retrouve dans notre société actuelle . Il correspond au sujet pulsionnel typique , qu’attend le marché , à savoir celui qui ne réfléchit pas avant d’acheter le nouveau GSM , le dernier home cinema , un GPS sans en avoir de réelle utilité De l’autre côté , il est une figure honteuse , scandaleuse , puisque les produits qu’il convoite sont prohibés par la loi Il est honteux aussi parce qu’il néglige les biens de consommation habituellement convoités par le reste de la société , comme la voiture , la maison , la cuisine , etc . Par ce côté , ils sont réfractaires au capitalisme , préférant la bouteille , le cachet ou la piqûre …»
Et il observe également le phénomène de deal: « Comme l’a observé Pascale Jamoulle , les dealers font du deal une espèce d’ascension sociale , pour échapper au destin minimex CPAS’ qui attend 40 % des sujets des cités . Ils sont tout aussi adeptes des idéaux de marché !» Avoir de l’argent pour exhiber sa réussite matérielle…
Dans ce contexte où la marchandisation de la société semble donc forger les mentalités consuméristes, comment prévenir les abus nocifs? « Il y a eu différentes tentatives , plus ou moins bonnes : information , dissuasion , dépistage précoce des situations d’abus ou encore politique de limitation des risques , pour réduire la mortalité et la morbidité des usagers . Dans le domaine des drogues , c’est un champ dans lequel on peut dire qu’on a eu un certain succès sur le terrain . Malheureusement , cela ne fait pas diminuer le nombre de consommateurs …»

Pas un hasard

Petit retour en arrière, bien utile pour comprendre la méprise, selon le Dr Jacques, qui plombe les politiques de prévention. En 1921, une loi a été votée afin de prévenir la consommation de drogue. L’idée sous-jacente étant que la «rencontre» avec la drogue est le fruit du hasard. Parce qu’elle procurait un plaisir immédiat, celui qui en consommait avait d’office envie de continuer: il fallait donc éviter le contact. « Aujourd’hui , on sait que les drogues ne sont pas sur notre chemin par hasard . Il faut qu’il y ait une demande et l’obtention de cette drogue sera liée aux rencontres qui seront faites dans cette quête . Voilà pour les cas aigus de recherche active de drogue . Dans les cas moins aigus non plus , cette recherche n’est pas le fruit du hasard . Ces cas , ce sont par exemple les gens qui ont subi des traumatismes , des maltraitances durant leur enfance , etc . La drogue va alors être susceptible de répondre à un mal être . On peut donc dire que cette loi de 1921 pour contrarier l’entrée en drogue est inefficace
Selon le Dr Jacques, cette volonté des jeunes de «se défoncer» peut être pour certains d’entre eux une volonté délibérée de s’auto-détruire, consciente ou non. « Certains jeunes manifestent ainsi leur résistance à la volonté des adultes de vouloir leur bonheur . Ces jeunes ne veulent pas être en santé , ils sont réfractaires au bien que les autres leur veulent , non pas par perversion , mais parce qu’ils ont une douleur au plus profond d’eux , qu’ils en soient conscients ou non

Une prévention plus efficace: comment?

Ces constatations peuvent-elles dès lors aider à la prévention de la consommation de drogue, à établir des programmes plus adaptés, donc plus efficaces? « Le partage des expériences n’est pas nécessairement une bonne chose . Pour prendre un exemple flagrant , le film Moi , Christiane F ., 13 ans , droguée , prostituée’ ( 2 ) a servi de mode d’emploi à un grand nombre de jeunes qui ont débuté leur consommation de drogue ; à l’instar d’une campagne publicitaire dans les années 90 , qui montrait les corps décharnés des drogués . La prévention de la toxicomanie est très individuelle , selon le vécu de chaque toxico , et de chaque usager de drogue potentiel . Il n’y a pas de vérité pour tous . Or , les campagnes de prévention sont stéréotypées , trop homogènes , ne tenant pas compte de cette multiplicité de cas
Le mode de communication aussi est essentiel: « On a fait l’expérience de la prévention à l’école selon trois modèles : dans un premier groupe , rien n’était fait : pas d’information pas de sensibilisation ; dans un deuxième groupe , on a donné une information sur les effets néfastes de la drogue sur la santé physique et mentale ; et dans un troisième groupe , on a organisé un débat , une discussion avec les jeunes , librement , en les laissant s’exprimer . Après 6 mois , les résultats ont été évalués : dans le premier groupe , l’effet était neutre : ni plus ni moins de drogués ; dans le deuxième groupe , c’est là qu’on a vu le plus grand engouement pour les drogues , comme si l’information négative sur l’effet des drogues agissait comme une publicité . Mais dans le troisième groupe , on a assisté à une légère diminution de l’intérêt pour les drogues . Malgré des débats parfois très houleux , parfois même des disputes , on peut parler d’effet protecteur’ dans les classes de 3e et 4e secondaires …»
Autre aspect important de la prévention: la légitimité de celui qui donne le message. « Pour avoir des chances d’atteindre son but , le message dispensé doit l’être par une personne sur laquelle le jeune peut effectuer un transfert . Il est donc essentiel de se demander si le sujet peut attribuer à son interlocuteur un certain savoir et une certaine capacité à changer quelque chose . La parole de prévention n’aura d’effet que si celui qui la prononce a une légitimité par rapport à celui qui l’écoute . Et c’est pour cela que les éducateurs et les parents ne sont pas nécessairement accrédités’ : cela sera au mieux inefficace , au pire contre productif ! On a vu que la prévention du sida chez les drogués par d’autres usagers de drogues était efficace . Chez les ados , d’autres ados ont une légitimité . Je constate donc qu’un moyen efficace , à savoir la prévention par les pairs , est sous employé , au détriment des campagnes grand public , tout à fait inutiles », conclut le Dr Jacques.
Au vu de cette expérience et de ce point de vue de terrain, reste à voir si les autorités oseront aborder une réflexion de fond sur ce sujet brûlant, qui, il faut aussi bien l’avouer, rebute à la fois les parents et les éducateurs, par peur de provoquer des comportements nocifs. Mais si la prévention est bien pensée, elle devrait au contraire enfin parvenir à ses fins…
Carine Maillard

(1) Conseil de l’éducation permanente de l’ULB, qui organise une ‘université du temps disponible’.
(2) Christiane F – Wir Kinder vom Banhof Zoo, film d’Uli Edel de 1981

Bruxelles, ville-région en santé. Quand l’aménagement de la ville est centré sur ses habitants

Le 30 Déc 20

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La Région de Bruxelles-Capitale et ses trois assemblées communautaires sont inscrites dans le projet de l’Organisation mondiale de la santé des villes-santé. Grâce aux initiatives des habitants, l’objectif est d’améliorer la qualité de vie dans la ville. Le tout, avec un coup de pouce de «Bruxelles ville-région en santé», association née directement de ce projet international.
Le projet des villes-santé, qui s’étend à travers le monde, existe depuis quelque 18 ans. Les villes candidates doivent dès lors mener des projets qui présentent six caractéristiques, définies par l’OMS.
Tout d’abord, ces projets s’engagent dans le domaine de la santé globale, ce qui implique qu’ils incluent ses aspects physique, mental, social ou encore spirituel. Leur priorité doit être donnée à la prévention et à la promotion de la santé.
Deuxième caractéristique: l’impact sur les décisions politiques. Tous les projets menés dans la ville peuvent avoir un impact sur la santé au sens large, tels que la mobilité, l’environnement, le logement, l’éducation ou les services sociaux… C’est pourquoi les projets des villes-santé doivent influencer les décisions politiques en y intégrant la vision de l’impact sur la santé des habitants que ces projets peuvent avoir.
Un troisième axe important est la transversalité entre les secteurs déjà actifs, mais dans des domaines qui peuvent être très différents. Ainsi, le réaménagement d’un territoire peut intégrer des espaces de sport, par exemple.
La participation des habitants est une quatrième caractéristique essentielle: il s’agit de faire en sorte que les habitants soient acteurs dans les projets qui les concernent, mais surtout de stimuler ces acteurs à jouer ce rôle.
L’innovation est également essentielle dans ce type de démarche: il s’agit d’adapter des actions et des méthodes de travail à des situations très spécifiques, avec des publics très différents. Aussi, les projets de villes-santé doivent-ils faire preuve d’imagination…
Et, pour terminer, le sixième point essentiel des projets est d’instiller une dimension de santé publique dans les administrations, afin que les politiques menées à tout niveau intègrent cet aspect important pour la population.
Cette définition posée, il restait à lancer les projets qui intégreraient ces 6 composantes. Parmi les 1200 villes participantes, à travers plus de 30 pays dans le monde, la Région de Bruxelles participe à la quatrième phase de ce projet de l’OMS, qui a débuté en 2003 et aura cours jusqu’à fin 2008.

Une œuvre de longue haleine

La première étape a été de créer en 2001 une association par le Gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale et les trois Commissions communautaires, l’asbl «Bruxelles Ville-Région en santé», coordonnée par Nicole Purnôde . « Le concept de l’OMS est la qualité de vie avant tout ; il ne s’agit pas de faire du curatif , mais bien d’impliquer un maximum d’acteurs pour créer cette qualité de vie dans la ville , ce qui aura des répercussions positives sur la santé . Car qu’est ce qui fait qu’on se sent bien dans sa peau ? Ce bien être dépend de plusieurs facteurs : la situation professionnelle , financière , l’accès aux activités culturelles , à l’éducation , aux systèmes de soins de santé , la sécurité , la qualité de l’air , un tissu social riche Et la ville est le lieu où tous ces aspects se mêlent », explique-t-elle.
La question que l’on pourrait se poser, sans connaître encore précisément les actions de cette association est: que peut-elle apporter de plus que ce qui existe déjà? Et là, Nicole Purnôde est claire: « A la fois un lien entre toutes les ressources existantes et la participation des habitants . L’un des axes que nous considérons comme prioritaire est d’augmenter la démocratie locale , en incitant les habitants à être non seulement responsables de leur cadre de vie , mais aussi acteurs dans les changements qui doivent s’y produire . Quant aux actions existantes , nous savons qu’elles sont nombreuses , et souvent efficaces . Mais il faut laisser la place à ces habitants dans les choix des politiques et dans les actions à mener
Ce qui ne signifie pas que ces institutions et associations qui mènent un travail considérable dans la ville sont écartées. Au contraire, elles sont appelées pour apporter des éclaircissements, des informations, des formations aux habitants, selon les cas. « Notre but est de contacter tous ces acteurs , d’abord pour leur dire que nous existons , mais aussi pour voir comment nous pourrions collaborer . Il y a un nombre extraordinaire d’organismes et d’associations qui disposent de compétences , de données qui pourraient être utilisées par les habitants dans le cadre de projets qu’ils voudraient mener pour leur quartier , mais ils ne se connaissent pas . Chacun œuvre dans son coin , avec ses propres moyens , comme un puzzle non assemblé . Nous voulons être une charnière où tous ces acteurs pourraient se rencontrer , pour permettre des politiques transversales . « Bruxelles Ville Région en santé » a mis sur pied un comité technique composé entre autres de la Société de développement régional ( SDRB ), l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement , Question Santé , la STIB , des acteurs actifs dans tous les domaines de la vie en ville . Et face à une problématique rencontrée par des habitants et à laquelle ils cherchent une solution , notre but est de mettre les différents acteurs en contact , pour que les expériences et les ressources soient partagées , pour instaurer une synergie et créer une communication entre tous , menés par les habitants . Bref , nous ne sommes pas une association qui mène à bien des projets précis , mais qui active , informe , met en lien , assiste les initiatives des habitants
Il restait donc à mettre tous ces beaux principes en pratique, et des appels à projets ont été lancés. « Nous souhaitions des projets liés à l’espace public comme élément de cohésion sociale , qui émanaient des habitants , et qui impliquaient une participation locale . Nous voulions des projets qui n’étaient pas ficelés , afin de jouer pleinement notre rôle de liaison avec d’autres intervenants . Ce sont des projets qui devaient être utiles aux habitants du quartier en question .» De cette sélection, quatre projets sont sortis et ont été menés quasiment à bien à ce jour.

Neptunium (Schaerbeek)

Pour ce premier projet, il s’agissait de répondre à un appel des usagers de la piscine «Neptunium» installée à Schaerbeek, dont le sort était plus qu’incertain. En fait, seule la façade du bâtiment devait bénéficier d’une rénovation. Quant au bassin, il ne devait plus servir. Mais cette condamnation n’a pas plu à ses usagers qui se sont regroupés pour étudier comment le sauver. « Ce groupe de personnes a voulu établir un programme de développement durable pour cet équipement menacé . Elles ont donc fait appel à nous et nous avons mis en branle tous les acteurs susceptibles d’apporter une aide . C’est ainsi que les personnes impliquées dans ce programme ont reçu du Centre local de promotion de la santé et de la Mission locale de Schaerbeek une formation sur la nécessité de garder une activité dans le bassin , des experts sont venus expliquer les effets de la chloramine qui posait problème , l’IBGE a mené un audit énergétique , le Patrimoine a été contacté pour classer l’ensemble de la piscine , nous avons établi un schéma complet reprenant les compétences de chaque organisme et des aides apportées afin de mieux comprendre où il fallait s’adresser Grâce à cette mobilisation active des habitants , la piscine n’est pas fermée , mais ce n’est qu’un début : l’activité du bâtiment reste encore trop limitée , parce qu’il n’y a pas de maîtres nageurs en suffisance . Aussi , les habitants veulent aujourd’hui former des jeunes du quartier pour créer de l’emploi dans cet espace qu’ils se sont appropriés ».

Outre-Ponts (Laeken)

Dans ce quartier populaire, se côtoient des personnes de tous âges, de toutes origines, mais qui ont un point commun: une situation socio-économiquement faible dans un quartier laissé à l’abandon. A proximité, un terrain vague bordant une voie ferrée n’est pas pour améliorer le décor. Autrement dit, un cadre qui n’incite pas à la convivialité ni à l’épanouissement… Mais un groupe d’habitants a décidé de remédier à cette situation qui ne leur plaît guère. « Ils nous ont soumis un projet de potager commun , qui serait par la même occasion un lieu interculturel et intergénérationnel de rencontre des habitants . Dans le cadre d’un contrat de quartier il fallait analyser le terrain pressenti avant toute culture . La Ville de Bruxelles ( dont Laeken fait partie , ndlr ) a effectué des carottages et constaté la présence de plomb dans le sol . Pour informer sur cette présence , nous avons organisé un grand pique nique , invitant tous les habitants du quartier , pour leur expliquer les risques du plomb sur la santé , puisque ce métal lourd devait évidemment être présent également dans les terrains des habitations limitrophes Le groupe d’habitants a donc dû modifier son projet et plusieurs d’entre eux ont accepté notre invitation à se rendre à Londres , afin de s’inspirer d’une expérience qui y est menée . Ce terrain à Laeken est donc devenu un jardin pédagogique , sauvage , grâce à des acteurs qui ont été bien utiles : des stagiaires paysagistes à qui nous avons fourni des photos aériennes de la zone , et qui nous ont proposé un plan du jardin . Les habitants ont nettoyé tout le jardin et entretiennent régulièrement les plantes dont ils ont fait un relevé . Un habitant a même mené des recherches sur la raison de la présence de plomb , découvrant qu’anciennement , une usine d’encre était installée à cet endroit . Ils ont contacté des écoles où des ateliers de travail du bois étaient organisés afin de confectionner les panneaux du parc , etc . Ils ont également obtenu les subventions nécessaires à la réalisation du projet dans le contrat de quartier . Résultat : un petit coin de paradis qui est montré en exemple dans la presse ».

Esseghem (Jette)

Insécurité et insalubrité: voilà ce qui caractérisait les tours d’un quartier de cette commune bruxelloise. Ici aussi, ce sont donc les habitants qui ont décidé d’agir. Ils ont consulté la maison médicale du quartier pour lancer un projet, une association de quartier. Car la qualité de vie n’y était pas, et ils voulaient y remédier.
«La première étape a été d’organiser une réunion avec des associations participant à d’autres programmes. Lors de cette réunion, nous avons tenté de relever les problèmes qui se posaient et la perception subjective qu’en avaient les habitants, d’élaborer des indicateurs cette fois plus objectifs des problèmes rencontrés, notamment par des chiffres sur les méfaits commis dans ces quartiers, le travail réalisé par des organisations existantes dans ce périmètre… Nous avons rassemblé et confronté toutes ces informations et surtout les problèmes, séparé ce qui relevait du comportement et du matériel ou des structures, afin de déterminer sur quoi il était possible d’agir. Nous les avons aidés à réaliser une «vraie-fausse» enquête publique qui a été à la base d’un cahier des charges. Nous avons informé des personnes-ressources notamment sur la toxicomanie, supposée présente dans ce quartier: un médecin toxicologue, un policier sont venus informer des personnes relais, destinées à devenir des «courroies de transmission» vers les autres habitants, nous avons donné des informations sur la mobilité ou la propreté. Par ailleurs, une demande de financement dans le cadre de l’accord de coopération entre la Région et le Foyer jettois est en préparation et permettrait de renforcer les projets des habitants. Parmi ceux-ci, une semaine de la mobilité, une fête des voisins pour mieux se connaître, la création de cultures en boxes, sortes de mini-jardins suspendus pour les personnes âgées, les handicapés ou encore les enfants. Un dossier a été introduit à la Fondation Roi Baudouin, dont l’accessibilité a pu être expérimentée: tous n’auraient jamais envisagé de prendre contact avec une fondation qui leur semblait tellement prestigieuse…»

Quartier maritime (Molenbeek)

Ici, il s’agit du projet le moins abouti, car probablement trop récent encore, mais aussi parce que l’isolement des habitants y est particulièrement lourd. Les logements sociaux de ce quartier s’insèrent dans un tissu urbain à caractère économique, où les espaces publics existants sont laissés à l’abandon. Des habitants ont proposé un programme de revitalisation, de gestion et d’occupation. Un contrat de quartier a été adopté l’année dernière mais la démarche est plus longue. Ici aussi, une «vraie-fausse» enquête publique va être menée (elle est en gestation). Il s’agira d’abord de tisser des liens entre les habitants et les inciter à sortir de leur isolement, en leur démontrant l’intérêt de pareilles initiatives pour leur bien-être…

Comme on le voit dans ces quatre exemples, l’idée de base est de permettre aux habitants de s’approprier des projets. « Notre but est de leur donner des outils pour mener à bien leurs projets , de les diriger vers les structures qui pourront leur apporter un soutien soit logistique , soit financier , soit pratique . Mais ces habitants gardent toujours la mainmise sur les projets : ce sont eux qui les font vivre sur le terrain , nous les aidons simplement à les lancer . Lorsqu’ils auront toutes les connaissances nécessaires , ils continueront par eux mêmes , tout en sachant où s’adresser en cas de problème », conclut Nicole Purnôde.
L’association vient de lancer un nouvel appel à des projets sur la mobilité, que ce soit dans la ville, dans son corps, vers les autres. Gageons que le succès sera au rendez-vous, afin que Bruxelles soit vraiment une capitale en santé!
Carine Maillard
Pour toute information complémentaire: Bruxelles Ville-Région en Santé, Nicole Purnôde, Quai du Commerce 7, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 219 84 44. Courriel: ville.sante@oms.irisnet.be

Promotion de la santé et éducation pour la santé: état des connaissances et besoins de recherche

Le 30 Déc 20

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Ces 8 et 9 février se tenait, au Grand-Duché du Luxembourg, un colloque francophone international intitulé «Promotion de la santé et éducation pour la santé: état des connaissances et besoins de recherche». Une centaine d’experts belges, français, canadiens, luxembourgeois et africains s’y sont retrouvés pour écouter leurs pairs et participer à divers ateliers thématiques.

Une belle diversité culturelle

Ce colloque avait pour double objectif de présenter des études et projets et d’aider au repérage des champs de recherche à développer.
Ainsi, on a pu constater que dans des pays comme la Belgique ou le Canada, la prévention et l’éducation pour la santé, même si elles disposent de moyens financiers modestes en regard du secteur curatif, ont leur place au cœur des politiques de santé. En outre, en Belgique francophone, elles sont structurées selon des dispositifs légaux précis qui favorisent une certaine forme de continuité des actions.
D’une manière générale, les pays du Nord ont développé leur expertise en réalisant des recherches en lien avec les programmes de prévention, en développant des actions conduites par les acteurs de santé, en établissant des partenariats ou en promouvant la formation en éducation à la santé.
Dans cette perspective, le Dr Y . Wagener , de la Direction santé du Luxembourg, le Dr R . Massé , Président directeur général de l’Institut national de santé publique du Québec, Annick Fayard de l’INPES (1) en France et Martine Bantuelle , Présidente du Conseil supérieur de promotion de la santé en Communauté française de Belgique sont venus expliquer le cadre dans lequel s’inscrit la promotion de la santé dans leur pays.
On a pu constater par contre que dans d’autres pays plus au Sud comme le Bénin ou le Congo, les acteurs de santé essayaient seulement d’adapter les textes internationaux aux réalités de leur continent. Par ailleurs, ils ont montré une réelle volonté de développer leurs capacités propres d’évaluation et de développement, et leurs propres programmes de recherches. On peut néanmoins dire que la promotion de la santé est encore ‘en gestation’ dans cette partie du monde. C’est ce que sont venus nous expliquer notamment le Prof . Elisabeth Fourn , enseignante et chercheuse à l’Université de Cotonou au Bénin, le Prof . A . Soulimane , Directeur du laboratoire de santé publique de l’Université Sidi Bel Abbès en Algérie, ainsi que le Dr Anta Tal Dia , Directrice de l’Institut de Santé et Développement de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Diverses interventions ont permis aux participants de découvrir des initiatives intéressantes. Pointons par exemple, la présentation par Valérie Levy -Jurin du Réseau français des villes-santé de l’OMS, au cours de laquelle elle a expliqué en quoi les politiques pouvaient soutenir les projets de promotion de la santé au niveau local, malgré les problèmes de temporalité liés à la durée de leur mandat.
Un autre volet d’interventions a permis de découvrir différents réseaux et structures, comme la Fédération nationale d’éducation pour la santé (par le Prof . Jean Pierre Deschamps ), le Réseau francophone international pour la promotion de la santé (par le Dr David Houeto , RESO-UCL) ou encore l’Union internationale de promotion et d’éducation pour la santé (par Marie Claude Lamarre ).

Des ateliers

Trois ateliers thématiques en parallèle ont permis aux participants de s’enrichir d’expériences de terrain illustrant les questions de l’évaluation et de la recherche.
Un premier atelier traitait de l’éducation thérapeutique du patient, notamment dans le domaine du diabète, de la santé cardio-vasculaire, de l’obésité chez l’enfant ou encore de la psychologie de la santé des patients.
Un deuxième atelier intitulé ‘Méthodes, évaluations, outils’ s’est plus particulièrement attaché à l’évaluation de projets, par exemple en matière de prévention des assuétudes, de santé des migrants, ou d’actions menées en milieu scolaire visant à développer les compétences psychosociales des jeunes.
Enfin, un troisième atelier s’est attaché à montrer des actions menées auprès de trois types de publics: jeunes, adultes en milieu de travail et personnes âgées. Et là aussi, la question de l’évaluation et du manque de recherches dans certains domaines a été la constante.
Beaucoup d’interventions donc, presque trop puisque vu la quantité des actions présentées, le temps de débat était fortement limité, l’ensemble restant alors paradoxalement très théorique.

Une ambiance

Vous aurez compris, au vu de ce qui précède, que ces deux journées furent très studieuses. Elles furent aussi un temps de rencontres et d’échanges informels, grâce aux quelques pauses et à la soirée touristique organisée le premier jour. Soulignons également la bonne organisation et la convivialité des membres du CRP-Santé.
Toutefois, nous gardons l’impression d’avoir assisté là à une réunion d’experts, essentiellement destinée aux chercheurs et aux décideurs politiques, mais avec une trop faible participation d’intervenants de terrain.
Gageons que d’autres réunions de ce type auront encore lieu à l’avenir, et que les contacts noués à Luxembourg susciteront de nouvelles initiatives en matière de recherche et de formation, ainsi que de nouveaux partenariats entre les chercheurs de différents pays du Nord et du Sud.
Les textes des interventions seront prochainement disponibles sur le site du CRP Santé , Ministère de la santé du Grand Duché du Luxembourg : http://www.pses.crpsante.lu .

Merci aux organisateurs de nous avoir permis de présenter Education Santé aux participants du colloque! (1) Institut national de promotion et d’éducation pour la santé

Promotion de la santé: et si vos objectifs étaient inavouables?

Le 30 Déc 20

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Pourquoi ce titre quelque peu provocateur? Parce que, à la lecture des objectifs des villes santé, il m’est venu un doute que je pourrais exprimer de deux façons: par exemple que les objectifs de villes santé se situent entre prévention médicalisée et développement durable, sans lien visible avec la santé; ou pour le dire autrement: comment garder ou trouver une identité professionnelle dans l’intersectoriel?

Villes santé: quatre défis (au moins)

Quels sont en effet vos objectifs dans l’engagement face à la promotion de la santé?
Premièrement «intervenir dans le domaine des politiques publiques en faveur d’un engagement politique clair… pour la justice sociale».
Deuxièmement «dénoncer les pratiques… qui engendrent les inégalités».
Troisièmement «contrer les pressions en faveur des produits dangereux, des conditions de vie malsaines, d’une nutrition inadéquate».
Quatrièmement «oeuvrer pour la réorientation des services de santé».
Ces objectifs, qui se situent dans la droite ligne de la charte d’Ottawa, soulèvent quelques inquiétudes, en particulier par rapport au modèle de développement économique, qui semble, malgré les résistances altermondialistes, dominé par des modèles ultra- ou néo-libéraux; il me semble y avoir dans ce climat un risque que vos objectifs vous fassent fortement associés d’emblée à un côté de la vie politique des Etats, des régions ou des villes. Ainsi Edmond Hervé constatait-il que «la loi du marché étale la ville, augmente les inégalités» et doit donc être contrebalancée sinon contrée «par une politique sociale».
L’approche générale de promotion de la santé tend à privilégier la participation et par là une forme de démocratie directe plutôt que la démocratie représentative; en ce sens cela se situe donc en dehors sinon contre les partis politiques organisés et également en dehors sinon contre les organisations syndicales. Ainsi Réal Lacombe parlait-il d’un nouveau partage des pouvoirs et des ressources entre gouvernements et citoyens, entre professionnels et clients.
La plupart des partis politiques se réclament de la démocratie et au cours des campagnes électorales on pourrait presque dire que la revendication qu’il y ait davantage de démocratie est une revendication permanente de ceux qui cherchent à être élus. Mais ce caractère permanent de la revendication n’est-il pas l’aveu même qu’ils n’y arrivent donc jamais?
Or il faut garder à l’esprit à quel point, dans ce domaine, des tentatives d’augmentation de la participation directe des citoyens et de leur empowerment qui échouent, et dont les échecs sont mal gérés, se paient de démobilisation, de découragement et surtout d’une augmentation du sentiment d’impuissance, ce que Little appelle le «dysempowerment» (qu’il conviendrait me semble-t-il d’écrire «disempowerment»).
Sur le troisième objectif, celui de changer les pratiques industrielles et commerciales, les risques sont aussi grands, ainsi que le montre l’action des lobbies industriels, autant auprès d’organisations internationales comme l’Organisation mondiale du commerce mais aussi l’Organisation mondiale de la santé, que du monde politique, des médias, des scientifiques, de la population elle-même. Ceci a été amplement démontré dans le cadre du tabac, mais s’observe autant en ce qui concerne l’agroalimentaire, le secteur automobile et du transport en général, les médias, etc.
La réorientation des services de santé est restée probablement l’objectif le moins actif depuis Ottawa, il y aura bientôt 20 ans. S’agit-il de changer les médecins, de changer l’hospitalocentrisme et surtout la hiérarchie du monde médical dominé par la médecine spécialisée avec au sommet de la pyramide les CHU?
Ceci n’est d’ailleurs pas sans rapport direct avec le monde politique, toujours prêt à s’afficher avec l’un ou l’autre professeur. Il faut se rappeler par exemple que l’on trouve toujours un ministre pour inaugurer un hôpital et qu’il est singulièrement moins facile d’en avoir un pour célébrer une fermeture!
On connaît aussi dans la plupart des pays les valses budgétaires entre coupures de budget des hôpitaux suivies dès le changement de gouvernement par la restauration sinon l’augmentation de ces mêmes budgets.
La grande question qui résulte pour moi de toutes ces inquiétudes est la suivante: où diable allez-vous trouver des alliés puissants?
Sans doute pouvez-vous penser à la population, au nom de l’intérêt de laquelle vos actions sont entreprises. Mais peut-on ne pas garder en mémoire que la population est peut-être en fait souvent «inconstante»?
Non pas au sens familier mais un peu méprisant que le terme a souvent, mais avant tout parce que le genre de combats qui viennent d’être évoqués implique notamment une constance sur de longues années, ce qui suppose d’avoir les moyens de cette constance (Bury 2004 (1)). Et donc peut-être au moins faut-il s’appuyer sur des associations, qu’elles soient associations de patients, d’usagers des services de santé, de consommateurs en général ou de citoyens.

La promotion de la santé: six questions (au moins)

Je voudrais aussi évoquer une série de questions qui me semblent comporter certains risques.
Tout d’abord, la tendance à associer politique de prévention avec politique de promotion de la santé . La question pour moi est de savoir si l’on peut faire à la fois une politique de prévention et une politique de promotion de la santé, et si c’est oui, à quelles conditions.
En effet la prévention porte bien sur la prévention des maladies et la promotion de la santé porte bien sur la santé. On se trouve ainsi à vouloir considérer autant le négatif que le positif, avec un postulat sous-jacent qui est que santé et maladie se situeraient sur un continuum, c’est-à-dire sur une dimension unique bipolaire.
Or je suis de ceux qui pensent que la santé est globale et multifactorielle et que de ce fait il n’y a pas de continuum pour les sujets. Cette vision du continuum implique aussi que la maladie est vue comme une perte, et uniquement comme une perte, et nie jusqu’à un certain point le fait que la maladie peut être l’occasion d’un nouveau départ vécu positivement. Ce que tant de patients années après années ne cessent pourtant de répéter aux soignants. Cette approche de la prévention comporte aussi la tendance à concevoir les risques de santé comme des choses à éviter, de rechercher alors l’éradication des risques plutôt que l’éducation à la gestion des risques.
La prévention des maladies reste sous-tendue par le modèle épidémiologique et biomédical dominant, les facteurs individuels de risques des maladies, une approche verticale par programmes, visant les fonctions, les organes, une population objet; alors que la promotion de la santé repose sur un modèle global et humaniste, une approche horizontale intersectorielle par milieux, avec une population sujet.
En prévention, on recherche d’abord l’efficacité technique à court terme spécifique sur indicateurs épidémiologiques tels l’espérance de vie plutôt que l’efficacité globale à long terme sur qualité de la vie (liée à la santé). De même, en prévention, on privilégie des modèles de planification sanitaire comme le changement planifié et la planification directive, et non le changement émergent et la planification participative et incitative. (top down ou bottom up) (2).
La deuxième question que je souhaite aborder est celle de la continuité que je crois profonde entre patients , usagers , consommateurs et citoyens , et de la même façon entre associations de patients, associations d’usagers et associations de citoyens. Les fondements en effet me semblent être les mêmes: il s’agit d’un déplacement sur l’axe dépendance – autonomie vers la participation mutuelle, la responsabilisation et aussi un modèle global de santé. C’est la raison pour laquelle la promotion de la santé comprend aussi bien la promotion des droits des patients que celle des droits des citoyens et par là, la citoyenneté de la santé. Il s’agit bien d’une problématique constante qui est la participation éclairée des individus et des groupes qu’ils forment à la prise et la gestion des décisions qui les concernent.
Quand je parle ici de participation, il s’agit d’une participation réelle des patients, par exemple dans une négociation entre patients et professionnels pour aboutir à ce que les économistes appellent un service co-produit.
Il s’agit en politique de santé de faire entendre la parole des patients, de défendre les droits des patients, de leur donner accès à l’information et au pouvoir de décision dans le système de soins (3).
Troisième question, celle du débat récurrent entre l’individuel et le collectif .
Il y a dans ce vieux débat trop souvent une polarisation des approches entre le développement des attitudes individuelles («la promotion de la santé vise à favoriser chez les individus l’apprentissage de modes de vie sains») et la responsabilité des environnements («permettre aux communautés d’aménager leur environnement et de promouvoir l’inscription de la santé dans les politiques sociales et les décisions collectives»).
Or je défends que cette opposition est idéologique et non scientifique, qu’elle n’est démontrée ou soutenue par aucune évidence. Au contraire le pragmatisme qui découle de l’approche systémique et les données d’observation qui résultent des évaluations de programmes indiquent que l’efficacité la plus grande est d’agir à la fois sur l’individuel et le collectif d’une façon congruente. On ne peut manquer à ce propos de se référer par exemple aux études sur l’investissement dans le capital social.
Quatrième question, celle de la participation qui implique donc que la personne soit au centre du système comme sujet et acteur du système social. Mais une difficulté vient de ce que les systèmes publics européens, même s’ils sont davantage marqués d’un souci social que les systèmes américains, sont quand même des systèmes verticaux avec des modes de gestion de type direction et contrôle. Cela tient sans doute à ce qu’ils sont en grande partie étatiques et donc bureaucratiques. Or il est de plus en plus démontré que les problèmes requièrent des approches horizontales fondées en priorité sur le travail en réseau et la confiance; cela implique donc de rediriger le travail des structures institutionnelles et des politiques formelles vers des modes d’organisations sociales interinstitutionnelles.
Les risques d’échec sont évidemment très grands compte tenu des résistances bien connues au changement, surtout dans la fonction publique, et particulièrement quand il s’agit de perte de contrôle pour ne pas dire de pouvoir. Mais cela comporte des implications éthiques pour les intervenants en promotion de la santé, liées au risque de soulever des attentes et de provoquer des déceptions. Pour le monde politique, l’aspect inquiétant est d’assister à une transformation des attentes de la population en demandes articulées qui peuvent être ressenties comme menaçantes.
Cinquième question, celle de l’intersectoriel : comment gérer au mieux l’intersectoriel et notamment dans la durée? Faut-il institutionnaliser des formules comme la double appartenance ou du moins un grand degré d’indépendance des chefs de projet, la gestion par des organes interdépartementaux mais avec un chef de projet responsable, clairement identifié et possédant un degré d’autonomie qui porte au moins sur l’autonomie budgétaire?
Mais il faut le faire sans ignorer l’inévitable compétition entre les personnes, entre les associations ou entre les institutions; en sachant aussi la difficulté pour les institutions, particulièrement pour les administrations, de reconnaître le rôle fondamental des personnes. La question est souvent d’identifier les «bonnes» personnes dans les institutions plutôt que de laisser les «bonnes» institutions identifier les personnes.
Les liens entre les approches intersectorielles menées avec des visées de changement de politiques publiques et les leaders politiques comportent en eux toute une série de risques liés notamment aux changements politiques périodiques. Mais ce champ de questions sur la continuité se retrouve souvent aussi avec des chefs de projet qui poursuivent également une carrière personnelle; or étant donné que la durée de vie d’un chef de projet est souvent inférieure à la durée du projet lui-même, se pose alors la question du passage de relais pour assurer la continuité du projet.
La prédominance de l’intérêt du projet sur les intérêts personnels ne me semble pas assez affirmée d’une façon très volontariste et contraignante. Il faut à tout le moins par exemple maintenir le nom du projet, notamment pour sa lisibilité pour la population, ce qui est souvent en contradiction avec le désir des politiques d’afficher leur nom associé à celui d’un projet; du côté du projet lui-même il faut s’inquiéter de la précarité fréquente des subsides, laquelle implique souvent la précarité des personnes ressources.
Enfin, et ce n’est peut-être pas le moindre risque de l’intersectoriel, c’est celui de l’extension du champ qui me semble entraîner le risque d’une dilution de la spécificité, de la compétence, de la légitimité, et de la crédibilité.
La sixième et dernière question que je souhaite aborder est celle des liens entre la promotion de la santé , la recherche et les évaluations . Il y a un besoin essentiel et je crois indiscutable de recherche, mais encore faut-il que la recherche soit pertinente et notamment porte sur ce qui est le plus nécessaire et le moins connu, je veux dire l’efficacité et l’efficience des programmes et des interventions; il s’agit donc en premier de ce qui est souvent appelé les recherches stratégiques et aussi ce qui concerne la recherche participative plutôt que des recherches académiques habituelles.
Ici il faudra convaincre le monde académique (chercheurs et organismes de subsidiation de la recherche) que la publication dans la revue disciplinaire n’est pas le but suprême de l’existence. Il faut, comme le disait R. Lacombe, que la recherche des évaluations de programmes participe au développement des connaissances et contribue à ce qui est souvent maintenant regroupé sous le vocable de gestion de la connaissance.
De la même façon, il est essentiel me semble-t-il d’investir largement dans l’affirmation de modèles nouveaux d’évaluation qui soient pleinement pertinents à la promotion de la santé. Le développement de ce secteur depuis 10 ans est rassurant, même s’il n’a pas encore abouti à une reconnaissance pleine. Il est essentiel aussi qu’il inclue des évaluations économiques. Celles-ci seront indispensables comme le disait encore R. Lacombe pour convaincre les décideurs d’investir et, comme le soulignait Roderick Lawrence , notamment dans les infrastructures publiques.
Bien sûr, il faut des évaluations qualitatives, qui sont probablement le seul garant pour trouver le sens, mais ceci ne peut exclure le quantitatif. Encore une fois, on se trouve en face d’un débat dépassé. Même si la littérature des dernières années abonde d’arguments en faveur de cette complémentarité et propose des modèles d’intégration entre les deux approches, la réalité n’en montre pas encore l’évidence. Ceci à mon avis essentiellement parce que les formations des chercheurs sont presque exclusivement dans l’un ou l’autre domaine et non dans les deux à la fois. Le rôle, dans les années qui viennent, de la prise en compte des données probantes me semble incontournable. Le débat ne doit pas être à ce niveau de la nécessité des preuves, mais au niveau de la nature des preuves: celle-ci doit se situer précisément comme un champ d’intégration de modèles complexes prenant en compte aussi bien le qualitatif que le quantitatif. Parce que les situations sont complexes et contextualisées et que les interventions se font en milieu naturel et s’inscrivent dans la durée. Il me semble qu’une des voies les plus prometteuses est celle de la synthèse cumulative d’évaluations de différents types, incluant les rapports des équipes de terrain. (voir notamment Bury 2003 (4)).
Pour terminer plutôt que pour conclure, je resterai sur une question: une politique de santé peut-elle ne pas être politique?
La nouvelle santé publique est peut-être en train d’accompagner l’émergence de la citoyenneté de la santé et de la démocratie sanitaire. Villes santé me semble être au coeur de ce mouvement. Il faudra bien finir par reconnaître que c’est sans doute là le moyen essentiel pour atteindre de façon significative l’amélioration de la santé de la population.
Jacques A. Bury , Consultant auprès de la Direction générale de la Santé du canton de Genève
Texte d’une intervention prononcée à Bruxelles le 24 mars 2004 à l’occasion du 7e Colloque francophone des Villes Santé de l’OMS et des Villes et villages en santé. Il a déjà été publié dans le numéro 36 de Santé conjuguée, en avril 2006.
Adresse de l’auteur: ProPos, Association pour la Promotion des Politiques de Santé, 20 rue des Caroubiers, 1227 Carouge, Suisse. Courriel: jacques.bury@proposante.ch. Internet: https://www.proposante.ch

(1) Voir notamment la conférence «Voies et moyens pour promouvoir efficacement la santé», prononcée à la journée nationale suisse de promotion de la santé, Lugano, janvier 2004, dont les dias sont accessibles sur https://www.promotionsante.ch/fr/activities/conference/2004/default.asp .
(2) Ce débat a fait l’objet d’une présentation ici résumée à un séminaire avec Promotion Santé Suisse et le Projet de politique nationale de santé en Suisse (octobre 2002)
(3) Voir notamment Bury J.A.: Education thérapeutique et démocratie sanitaire: du quotidien au politique. Revue francophone de psycho-oncologie (4):113-119, 2003.
(4) Bury J.A. Evidence base in health promotion: why bother? Soz .- Präventivmed . 48 (5):277-278, 2003.

L’éducation relative à la santé environnementale: un nouveau champ en émergence?

Le 30 Déc 20

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«Air, eau, lieux» , Hippocrate envisageait déjà la relation entre l’environnement et la santé humaine. Aujourd’hui, l’amélioration de la santé en lien avec l’environnement est devenue une réalité et se retrouve pleinement dans la définition de la promotion de la santé telle qu’elle est énoncée dans la Charte d’Ottawa. Cette Charte fait d’ailleurs référence au souci de créer des « milieux favorables à la santé » tant au sens écologique du terme, mais aussi sur le plan de l’urbanisme, du logement, du travail, des loisirs, etc.
Les problèmes de santé liés à l’environnement ne sont pas de nature ponctuelle, mais s’inscrivent souvent dans un cadre social, culturel, économique et historique plus vaste. Une approche impliquant la participation des communautés en santé permet dès lors de reconnaître le caractère unique de chaque collectivité dont la santé repose entre autres sur son milieu de vie. Cette approche communautaire en santé environnementale est aussi une manière d’amener les membres de la communauté à identifier des problèmes d’importance qui les touchent et de mettre au point une stratégie pour atteindre leurs objectifs de changements dans leurs habitudes individuelles et collectives. Cette façon de procéder peut donc susciter un sentiment de prise en charge commune des responsabilités et des décisions. Lorsqu’une telle dynamique communautaire est en place, les occasions d’apprentissage se multiplient et renforcent le sentiment d’appartenance, de solidarité dans l’ensemble de la communauté.
Un des objectifs centraux de l’éducation relative à la santé environnementale vise à augmenter la capacité des individus à s’approprier les savoirs et à autogérer leur environnement dans une perspective de santé. C’est dans ce sens que, pour répondre aux dangers de santé en lien avec l’environnement, plusieurs auteurs (Freudenbergh, 2004 ; Crosier Kegler et coll., 2004 ; Sauvé et Godmaire, 2004 ; Labonte, 1995) estiment justement qu’il faut mettre l’accent sur cette dimension communautaire.
Les quelques cas de promotion de la santé environnementale – et les démarches éducatives qui y sont associées – analysés dans ce dossier s’inscrivent pleinement dans ces axes. Cependant, une des difficultés majeures est que ces projets s’étalent dans le long terme et requièrent plusieurs années pour observer un impact et/ou un changement au sein des communautés. Or, trop souvent nous nous trouvons dans des situations d’urgence.
La démarche proposée est de faire participer davantage la communauté aux choix et aux prises de décisions. Elle privilégie la prévention, la promotion de la santé et la qualité de vie dans un environnement sain. Nous partons de l’idée que des questions aussi complexes que celles qui concernent la santé en lien avec l’environnement doivent être envisagées par tous les membres de la communauté si l’on veut susciter une dynamique de changement. Selon nous, aucune personne, aucune organisation ni même aucun secteur ne peut contribuer à améliorer la santé en lien avec l’environnement sans obtenir d’abord la collaboration et l’engagement de l’ensemble des personnes concernées par les problèmes.
VAN STEENBERGHE E., DOUMONT D., L’éducation relative à la santé environnementale: un nouveau champ en émergence? UCL, Faculté de Médecine, RESO – Unité d’éducation pour la santé, décembre 2005, (Série des dossiers techniques; réf. 05-37).
Les dossiers techniques sont consultables sur le site https://www.md.ucl.ac.be/entites/esp/reso . Ils peuvent aussi être commandés à l’adresse suivante: UCL, Faculté de médecine – Ecole de santé publique, Unité d’éducation pour la santé RESO, avenue Mounier 50, 1200 Bruxelles.
Contact: Mme Dominique Doumont, tél. 02 764 50 76, courriel dominique.doumont@reso.ucl.ac.be
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Exit les enfants…

Le 30 Déc 20

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Entourés d’une nuée de spécialistes divers, bardés de droits et de lois, les enfants paradoxalement sont très peu protégés dans notre société. En réalité, les positions codées et bien repérables de «parents» et d’«enfants» («On ne parle pas comme ça à son père!») ont tendance à s’estomper au profit de rapports entre «grands» et «petits».
Plus personne n’étant plus vraiment protégé par son statut, les relations entre les générations (tout comme celles entre les professeurs et les élèves) se transforment plus que jamais en rapports de force et de séduction. Il est difficile de rester à sa place ou de s’en échapper quand aucune place n’est plus clairement assignée. Plus radicalement, il n’est pas rassurant pour les enfants d’avoir pour modèles des adultes fragilisés dont beaucoup s’identifient eux-mêmes à des enfants abusés.
Par ailleurs, la génération «Zapping, PlayStation & Co» a été accoutumée au monde irréel du tout et tout de suite, et au remplissage médiatique immédiat de tout espace laissé libre par les autres activités. Cela n’aide pas à différer ses satisfactions, ni à supporter la frustration. La toute-puissance imaginaire a du mal à se confronter aux limites réelles du monde environnant. La montée du nombre de parents battus est un des indices les plus préoccupants d’une société où le suicide reste la seconde cause de mortalité chez les adolescents.
À cela s’ajoute la tyrannie des marques, conséquence logique de la conquête du marché de l’enfance. L’«enfant-sandwich», comme ses parents, se fait malgré lui le porteur de marques – en général coûteuses – sans lesquelles il se sent un paria («Jamais sans mes Nike!»).
Il s’agit certes d’un coup de génie de la publicité, mais pas vraiment d’une bonne nouvelle pour l’humanité. En réalité, l’enfant est pris en otage par le monde pseudo-convivial et faussement ludique de la publicité qui lui rappelle chaque jour ce dont il ne peut se passer. Ce harcèlement, qui le poursuit jusque dans les murs de l’école, le rend lui-même harceleur à l’égard de parents qui craignent souvent de ne plus être aimés s’ils osent refuser l’objet convoité. La Fête des mères est devenue une opération particulièrement astucieuse et rentable. Ici, au nom des bons sentiments, une pression maximale est faite pour que l’enfant soutire à ses parents le maximum d’argent de poche pour pouvoir offrir à sa mère le magnifique objet électroménager dont elle n’a pas besoin… L’opération «rentrée des classes», de son côté, excelle pour la bonne cause à transformer l’inutile en indispensable.
La totale liberté du marché, la confusion entre «égalité» et «uniformité», entre citoyens et consommateurs, génèrent des rapports de grande violence et pervertissent les valeurs de la démocratie. Le «petit costume de marin» n’incarne plus le rêve de virilité conquérante rêvé par les adultes, et proposé par eux aux petits garçons. Ce sont plutôt aujourd’hui les adultes désorientés qui traînent dans les jeans (de marque) des enfants.
La publicité commerciale, jusque dans l’enceinte des écoles, inonde les enfants. Contrairement à la «publicité des débats, des procédures, des décisions», chère à la démocratie, elle obscurcit le jugement. Son message est biaisé, son matraquage inesquivable. Face à elle, plus on est petit, plus on est démuni. Or, la publicité n’a cure des enfants: elle ne les «cible» qu’en tant que levier du pouvoir d’achat des parents. De parents eux-mêmes démunis et qui craignent, en marquant la limite, de ne plus être aimés. La publicité apparaît ludique mais n’est pas un jeu.
La publicité crée de toutes pièces des besoins ressentis comme vitaux. Les habits «de marque» façonnent une identité par ailleurs défaillante. Leur absence fait perdre la face. Derrière le sourire engageant du «spot», règne en réalité la férocité. Les projections épidémiologiques annoncent une montée spectaculaire de l’obésité des enfants: les sucreries indispensables inondent sans état d’âme le petit écran.
La publicité ne dit pas la vérité. Même quand elle s’avère informative et «exacte», son message est toujours ailleurs. Tissée d’artifices, elle ne dit jamais qu’achetez- moi . Elle ne parle pas à la raison. Bon ou mauvais, le produit ne «marche» qu’à la séduction. La publicité cherche ainsi la faille pour marquer des points. Il n’y a pas à s’en indigner, elle ne fait là que son métier. En connaître les ficelles ne protège en rien de ses effets. Inlassable, son ressort s’apparente à l’hypnose.
Distillée entre fictions, documents, informations, la publicité abrase l’impact des messages. Abstraitement, les téléspectateurs font la différence, mais émotionnellement tout est nivelé. Ainsi, le jugement s’anesthésie-t-il peu à peu? Auschwitz, sans transition, voisine avec l’onctuosité d’un yaourt. Solidarité rime désormais avec variétés. L’émotion se plie à sa mise en scène. L’irréalité règne. L’information s’émousse sur le martèlement des slogans qui font vendre.
Arguer du fait que les enfants apprendraient vite à distinguer les messages publicitaires des autres images est hors de propos. Cela n’enlève rien à l’impact de ces messages. Le sens critique ne déjoue pas l’incantation.
Vouloir supprimer la règle qui interdit la publicité moins de cinq minutes avant et moins de cinq minutes après les émissions pour enfants est proprement irresponsable . Il est indécent de vouloir démanteler un peu plus le service public en déclarant cette mesure improductive, et en proposant que l’argent des publicitaires serve à financer des programmes scolaires d’exorcisme de la publicité (sic). Si la «règle des cinq minutes» était vaine et sa suppression sans effet, on se demande pourquoi les annonceurs payeraient si cher pour ces plages de temps…
En outre, céder plus encore à la manne publicitaire c’est accepter la tyrannie de l’audimat. C’est consentir au nivellement par le bas — apologie de la violence y compris. Côté racolage, combien de journaux télévisés de la RTBF ne s’ouvrent-ils déjà sur une page digne du Sun ou du Daily Mirror ? Sans compter la pollution naissante du 3e programme radio.
Monnayer les jeunes téléspectateurs les aide peu à devenir citoyens. Asservir le service public sous prétexte de le sauver financièrement, c’est non seulement manquer d’imagination, c’est se moquer de la démocratie.
Francis Martens (1)
Ce texte est issu du colloque « Les enfants : cibles et instruments de consommation ? », que l’Institut Emile Vandervelde a organisé au Parlement de la Communauté française le 13 mai 2005. L’Institut Emile Vandervelde est le centre d’études du Parti socialiste, bd de l’Empereur 13, 1000 Bruxelles.
(1) Psychologue, anthropologue. Formateur 3e cycle en psychothérapie avec les enfants. Président de l’Association des Psychologues Praticiens d’Orientation Psychanalytique (APPPsy) et du Conseil d’Éthique de l’Association des Services de Psychiatrie et de Santé Mentale de l’UCL (APSY-UCL).

Pour une éthique et une santé des réseaux

Le 30 Déc 20

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«Les hommes qui tracèrent les premiers un chemin entre deux endroits ont accompli l’une des plus grandes performances humaines.» Georges Simmel

Ethique

Dès qu’une question est controversée, dès qu’elle est controversable, elle génère un espace éthique, celui d’un discernement entre diverses visions ou divers scénarios de solution.
A quoi sert un réseau (1), quelles en sont les limites , les risques et les bénéfices? Voilà des questions qui ne manquent pas d’interroger ceux qui dans le réseau scolaire, le réseau hospitalier, le réseau de soins à domicile, le réseau social, voire le réseau de distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité, les télécommunications sont confrontés à des choix sur l’évolution de ceux-ci: il y a longtemps que les autoroutes et les autoroutes de l’information ne sont plus le seul modèle de réseau reliant les gens.

Ethique de responsabilité

Depuis Max Weber, nous savons que l’éthique de responsabilité est l’alternative à l’éthique de conviction: elle renvoie au pratique, aux conséquences envisagées et à celles qu’on ne pouvait envisager. L’homme s’y reconnaît, depuis St Exupéry en tout cas, pourvu que la responsabilisation ne soit pas le nouveau visage de la culpabilisation.
On peut distinguer différents niveaux ou modes de responsabilité.
La première est la responsabilité particulière , personnelle , celle où un homme en relation avec un autre répond de ses actes à cet autre.
La responsabilité singulière devient responsabilité plurielle quand notre individu rend compte de ses actes devant plusieurs. Il s’agit en l’occurrence de la société ou de ceux qui la représentent (hommes de loi, hommes d’église, hommes politiques) ou plus largement de tous ceux que la société entend représenter (citoyens, voisins, prochains, humanité, générations futures), voire Dieu même comme garant méta-social ou instance fondatrice (le « coram Deo », le face à face de Luther).
Dans les années 50, le procès de Nuremberg a posé la question d’une possible responsabilité collective , irréductible à la somme des responsabilités individuelles: plusieurs ont-ils à répondre ensemble de l’effet de leurs actions communes ou de leur inaction, en particulier face à la Shoah, indépendamment de leur propre responsabilité personnelle? La question s’est répétée sur des enjeux écologiques, humanitaires ou militaires qui émaillent le vingtième siècle: Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl, Rwanda et autres Sarajevo. Il y a en effet une responsabilité collective, construite ou non, des groupes de décideurs et des groupes constitués impuissants à se déterminer et à réagir.
D’autres noteront que la responsabilité conjointe , identifiée parfois dans les schémas favorisant le racisme, se retrouve dans la malbouffe, le non-soin ou le surendettement: les victimes peuvent contribuer à leur victimisation même si certains ont créé ou amplifié les circonstances qui y conduisent.

Tout au réseau?

La mondialisation, la création d’internet comme la modification de modes de vie éclatés entre plusieurs lieux de vie ont fait de nous des navetteurs et des branchés, des zappeurs et des opportunistes. La pluralité des initiatives sociales, sanitaires, culturelles, éducatives et la multidisciplinarité ont conduit au développement de réseaux, spécialisés ou non, juxtaposés ou entremêlés, qui conduisent à étudier ce phénomène dont A. Bravais avait développé le concept en cristallographie, en conjuguant motif et réseau pour décrire la formation des cristaux.(2) Le sociologue Guy Bajoit observe à ce propos: «Les acteurs collectifs forment des groupes plus ouverts, que l’on désigne justement comme des réseaux, dans lesquels on entre et on sort plus librement, qui tolèrent mieux les tendances et les critiques internes et invitent davantage leurs membres à participer à l’élaboration de leurs normes.»(3)
S’il faut caractériser un réseau matériel (par exemple de voies ferrées), on soulignera l’architecture topologique de nœuds / sites et de liaisons entre eux qui assurent un maillage chaque fois qu’un ensemble formant maille se répète.
On parlera de réseau dynamique (par exemple pour les populations) quand on peut analyser les distances, les détours, les chemins possibles et les parcours privilégiés ou répétitifs: c’est ainsi qu’un usager nous indique son réseau ou qu’un prestataire s’installe dans le sien, qu’il soit formalisé ou non: les réseaux informels ont autant d’importance que les formels pour la sociologie, à défaut d’avoir statut légal, mais même le droit reconnaît l’usage dans le fait des servitudes.
On évoquera enfin les réseaux de communication ou relationnels , surtout à l’heure des télécommunications et des réseaux virtuels: on est ainsi passé d’un mode binaire comme chez Shannon à un modèle systémique, complexe, comme le révèle le réseau culturel «où beaucoup transmettent à beaucoup, sans qu’on sache toujours qui à qui, ni exactement quoi à qui», a fortiori dans les bases de données relationnelles où le stock préservé sous contrôle devient flux cumulable et exploitable, exportable et copiable à l’excès.(4) Le réseau n’est plus seulement local (LAN), contrôlable par ses usagers et ses acteurs-auteurs, mais global (WAN): l’ouverture formidable permet tous les courants d’air!
Le philosophe Parrochia nous invite à approfondir pour tout réseau les caractéristiques qui font qu’il y a réseau, selon P. Dujardin (5).
Artificialité : un réseau est une relation voulue et construite;
Formalisation , même élémentaire: comme l’entraide, la répétition, la remise d’un document; qui peut décider de quoi? qui peut parler au nom du réseau et sur quoi?
Limites : où s’arrête le réseau, où va-t-il céder, passer le relais à d’autres?
Procédure d’établissement : elles sont diverses et révélatrices.

Ainsi, nous sommes amenés à observer:
L’institution de réseaux : une institution mère en suscite d’autres comme filiales ou succursales réparties dans l’espace concentrique géographique ou dans l’espace hiérarchisé des compétences (par exemple une université s’entourant d’écoles, hôpitaux ou de PME complémentaires; les « piliers » en Belgique sont du même type). On élargit ainsi le bassin de recrutement ou de distribution.
La fédération ou réseau fédérateur : un ensemble d’institutions existantes ou de prestataires visent leur représentation politique commune, leur synergie ou la création d’économies d’échelle, voire leur fusion et un pilotage commun (par exemple des fédérations patronales, fédérations de pouvoirs organisateurs…). Dans certains cas, l’élément identitaire l’emporte sur les aspects pratiques: qui se ressemble s’assemble.
La complémentarité ou réseau interdisciplinaire : un ensemble d’institutions ou de prestataires complémentaires associent leurs savoirs et savoir-faire pour élargir leur palette de compétences et de performances (constitution d’académies réunissant universités et grandes écoles, transversalités santé-social). On élargit le bassin d’équipements.
Le réseau interne : un espace multi-portes permet d’articuler des spécialités dans un espace unique et facilite les transitivités d’une spécialité à une autre: c’est le concept des polycliniques, qui offrent à l’usager la possibilité d’accéder par la spécialité, le généraliste, l’accueil ou le dispensaire lui offrant le moins d’effet de seuil économique ou psychologique (je ne suis pas un cas social, je n’aime pas les psy, je ne suis pas malade mais…, ce n’est pas pour moi mais pour ma sœur,…).
Les individus : leur bricolage les conduit à éclater des points de contacts institutionnels ou personnels susceptibles de répondre à leurs besoins, soit pour préserver leur liberté, soit par irrationalité, soit par opportunisme au nom d’une proximité physique ou d’une relation de confiance particulière (dialogue singulier). C’est le réseau à la carte car «il est de l’essence des liens d’être multiples, empiétants, parfois instables» selon l’observation de Parrochia.
Les communautés : l’institution culturelle ou idéologique, le bricolage des individus dans une émigration conduisent à des réseaux populationnels, communautaires ou thématiques. Dans le secteur de la santé, on distinguera souvent: les réseaux de soins proprement dits (qui visent à mobiliser plusieurs intervenants autour de la patientèle avec possibilité d’un dossier médical commun), les réseaux de connaissance qui « regroupent des spécialistes qui tentent de trouver des solutions à un problème commun par leur renforcement de leur base de connaissance », les réseaux de communauté de pratique informels au départ en vue du développement d’une compétence spécifique, mais pouvant être conduits à être plus normatifs en affirmant une cohérence méthodologique ou éthique et enfin les réseaux virtuels qui se présentent comme des « systèmes de référence où les membres s’inscrivent eux-mêmes dans un répertoire électronique en indiquant les domaines dans lesquels ils sont désireux de servir de ressource au sein du réseau » à l’heure où la toile du net permet de tels réseaux à l’échelle planétaire. (6)

Questions au réseau: facteur de quoi?

On voit donc pourquoi se pose une première batterie de questions.
Est-il pertinent d’occuper l’espace sanitaire, social et culturel par un réseau monopolistique? N’est-ce pas totalitaire? Que reste-t-il du libre choix de l’usager ou du patient?
Peut-on faire la même chose avec un réseau complémentaire? Sans entrer dans le même objectif de conquête ou d’hégémonie territoriale, d’influence sectorielle ou de chalandise (les parts de marché)?
Le fait de créer un réseau induit-il une dépendance vis-à-vis de l’institution, de sa maison mère, de sa fédération?
Quel statut fait-on à la liberté de l’individu, à son libre choix du prestataire, initial et successif? Les prestations sont-elles conditionnelles et la conditionnalité est-elle justifiée (continuité d’un traitement, d’une guidance…)?
Quel traitement sera donné aux informations récoltées pour une prestation? L’anamnèse appartient-elle au prestataire, à l’usager, aux deux, au réseau pour éviter un doublet et fournir l’information utile au prestataire suivant?
La synergie ne crée-t-elle pas une nouvelle forme de monopole: le passage de l’occurrence à la concurrence?
Le pouvoir public contemporain préfère souvent, à l’inverse de l’adage ‘diviser pour régner’, limiter ses interlocuteurs et négocier avec une instance représentative plutôt qu’à des individus ou des institutions atomisées (facilité de négociation, information cohérente, discours construit, limitation des coûts). Faut-il s’y soumettre par décret ou par opportunité?
La détotalisation des appartenances et prestations dans l’éclatement urbain et sociétal contemporain est-elle une forme de détricotage des liens sociaux ou une forme de retricotage des liens sur mesure, satisfaisant parce que personnel, expérimenté et validé par ses effets positifs?

Le lecteur aura compris que les problèmes éthiques ne manquent pas dans ce champ.
Notre réflexion va croiser ici celles des Docteurs Pierre Hahnel et Etienne Duschu, membres du Conseil national de l’Ordre des médecins en France.(7) Nous pouvons reprendre leur argumentation en élargissant leur propos.
L’appel à prestataire/intervenant/opérateur (de soins, d’action sociale) , quand il n’est pas fondé sur la rareté des intervenants, est basé sur la «rencontre d’une confiance et d’une compétence», même si celle-ci n’est que supposée ou faite sous réserve de vérification. Cet appel à prestataire ou cette confiance à prestataire entre dans une logique nouvelle quand cet appel s’élargit à d’autres intervenants mobilisés au titre de l’équipe comme adjuvants, agissant simultanément, en relais, en alternance pour des raisons de disponibilité spatiale ou temporelle ou de compétences différentes et complémentaires. Ce qui rend cette transitivité acceptable c’est que le premier prestataire se porte garant des autres et que les éléments de concertation ou de cohérence méthodologique ou procédurale valident cette prétention. On s’y retrouve, on n’y perd pas ses repères, on est dans de bonnes mains et on vous explique comment et pourquoi: dans ces conditions on peut passer de main en main. Nos auteurs appellent cela délégation de confiance et obligation d’explication . Si la confiance se mérite, la délégation de confiance se légitime. Il y a cependant une évolution en contenu et en nature, parfois en lieu: le réseau n’est pas une somme de compétences techniques ni un rassemblement d’intérêts croisés de clients/usagers/patients/élèves et de prestataires / intervenants / soignants / éducateurs / enseignants mais une communauté morale . Même si cela prend parfois la forme hiérarchique où le plus fort valide le plus faible, on entre néanmoins dans un système réticulé où la force de l’ensemble est à la mesure du maillon le plus faible. On peut certes distinguer première et seconde ligne, premiers soins d’urgence et traitements spécialisés, niveaux primaire, secondaire et supérieur, la qualité de l’ensemble d’un réseau n’est pas seulement dans le pôle d’excellence à «la source» mais jusqu’à l’estuaire dans le delta large et distant, la frontière de la qualité totale. C’est là que l’enjeu devient la réalisation et la validation d’une performance de groupe et le renforcement des maillons faibles , par le jeu de l’équipe, des procédures, des formations, de l’accompagnement. La coordination des compétences, la fluidité relationnelle et la transparence, la circulation pertinente des infos, l’évaluation entre pairs en sont les garants. Une charte de qualité commune en est le signe externe, expression de l’engagement de la communauté des prestataires. Quelques facteurs déontologiques émergent dès lors:
-l’accessibilité de l’information pertinente (rien que celle-là et toute celle-là) pour éviter de soumettre l’usager à la question à répétition;
-le dossier médical partagé ou le dossier social partagé ou le dossier pédagogique commun;
-la vigilance à l’égard de pratiques à risques susceptibles de faire de la casse par manque de proportionnalité ou perte de contrôle, ce qui suppose transmission adéquate des données et sédimentation suffisante;
-le maintien de l’autonomie du praticien par rapport à son réseau mais avec obligation de communiquer ce qu’il a fait et pourquoi à celui qui doit assurer la suite de son action. On évitera ainsi de tomber dans le complexe d’Hippocrate des médecins, le complexe de Socrate des enseignants, le complexe de Lacan des psys et le complexe soixante-huitard libertaire des travailleurs sociaux, qui peuvent être autant de sur-développements de l’ego au détriment du service au client;
-le maintien du libre choix de l’usager dans et hors réseau;
-l’enregistrement officialisant les partenariats en réseau et les conditions d’exercice tarifaire ou horaire par exemple;
-la vigilance à la qualité pour éviter qu’un incident localisé ne discrédite l’ensemble;
-un code déontologique commun définissant les «bonnes pratiques» usuelles et le travail éthique d’analyse des terrains nouveaux;
-une délimitation des pratiques d’urgence et de remplacement;
-une détermination des limites d’intervention;
-un bilan des compétences en vue d’une formation permanente adaptée des intervenants.

Il y a plus d’un réseau

Dans l’univers de la rareté, on serait très content de trouver un réseau: l’absence de réseau est au porteur de portable ce que la solitude est à l’homme en quête de lien social introuvable. Pourtant en milieu urbain, dans les mégapoles, dans un espace concentré comme la mégapole européenne, comme celles du Japon, des bandes côtières américaines,… il n’y a pas seulement présence de plusieurs réseaux concurrents sur le même thème, ce qui laisse des possibilités de choix, mais enchevêtrement, juxtaposition, superposition. A l’heure de la fin des affiliations totales et définitives et de l’éclatement ou du zapping des affiliations provisoires, la cohérence manque quelquefois aux usagers et le pur effet d’aubaine engendre déconnections et reconnections: une synapse peut en cacher une autre.
Par ailleurs nous sommes tous de plusieurs réseaux: réseau de service, de communication, de télécommunication, chatteurs du net, réseau d’amis, réseau des tenants d’une même conviction, réseau scolaire de nos enfants, réseau militant de nos mouvements, réseau commercial de notre carte de client, réseaux de savoir, d’échanges de pratiques, de financement… (8) On peut donc être simultanément membre de plusieurs maillages, en interaction ou non.
Nous voilà avec une nouvelle batterie de questions éthiques:
Comment garantir à la fois liberté et continuité?
La transmission de droit en cas de rupture?
Faut-il jouer la conditionnalité contribution-rétribution? Investissement préalable ou fidélité?
Comment résoudre la question de la concurrence ou de la superposition des réseaux?
Peut-on envisager un métissage des interventions?

Communication en réseau

Certains craignent le flou, le manque de visibilité du réseau; une campagne de communication aide à résoudre cette question s’il y a clarté du concept: ce qui se conçoit bien, s’énonce et se montre clairement. Si on ne peut voir le tout, ce n’est pas pour autant objet d’opacité, à condition de prévoir la disponibilité effective de la communication sur le reste du réseau.
Mais communiquer: quoi et comment?
La communication d’un réseau et en réseau a pris une importance nouvelle à l’heure des nouvelles technologies: quel médium privilégier et quels médias, quel rythme, quelle distribution? Quels moyens pour communiquer, quel support, quelle régulation? Est-elle purement transitive, réversive, alternée, permanente, publique ou semi-publique? Qui régule ces questions? Où sont-elles négociées et protocolées? Quel rythme et quelles modalités de communication?
On pourrait considérer ces questions comme anecdotiques mais elles vont plus loin qu’une éthique de la communication. En effet, comme le remarquait Marshall Mc Luhan à la suite de Shannon: « Toute forme de transport non seulement transporte mais traduit et transforme l’expéditeur , le message et le destinataire .»(9) Les utilisateurs des traitements de texte et outils de mise en page savent comment cela les aide à rendre leur pensée infiniment plus percutante, plus communicable au détriment parfois d’une rigueur de pensée et d’argumentation.
C’est l’interdépendance des acteurs qui s’en trouve modifiée: passer de la réunion mensuelle ou hebdomadaire aux courriels quotidiens, voire successifs dans la journée, passer du contact physique et visuel au ‘chat’ avec caméra ou télé-conférence offre des possibilités de raccourci et de dialogue intercontinental mais empêche des consultations que favorisaient la distance et le temps à prendre pour rejoindre le lieu de débat.
La mise au clair de protocoles de communication est donc une exigence fondamentale pour:
-garantir la validation démocratique et sortir du privilège du plus proche et du plus disponible (par servilité ou par hasard);
-éviter la dictature de l’urgence supposée ou fabriquée pour mettre sous pression ou valoriser l’exigeant qualificateur d’urgence (hiérarchie par disponibilité: le pouvoir du temps);
-éviter les discrédits ultérieurs des non-intervenus pour cause d’indisponibilité ou de délai de réflexion requis (l’urgence est mauvaise conseillère même si elle nous requiert);
-éviter l’application du principe économique de Gresham «la mauvaise monnaie chasse la bonne»: l’inflation des messages crée l’encombrement, la banalisation, l’indigestion, la non-priorisation ou des réponses aléatoires, impertinentes et dilatoires.
Il faut assumer fluidité du trafic de l’info, mise à disposition des informations pertinentes, des clés d’accès de la confidentialité à la fois pour préserver les droits à la confidentialité des données privées, qu’elles soient médicales, sociales, confessionnelles ou autres, tel que le prévoit la loi mais aussi d’éviter la fabrication de rumeurs indues parce qu’une hypothèse est prise pour une réalité avec l’effet domino des craintes et des frilosités.
Il faut donc allier paradoxalement devoir de réserve , devoir d’information et devoir d’hiérarchisation de l’info .
Parrochia conclut à ce propos: «Pour qu’une société fonctionne, il faut encore que chacun ait envie d’y vivre.»(10) Je dirais même plus «puisse encore y vivre sa vie sans se sentir menacé».

Gouvernance, leadership et évaluation

La communication n’est pas seulement postulée en terme de liberté et de diffusion mais de pertinence et d’organisation: l’information est source de capacité d’action et donc de pouvoir. C’est pourquoi lorsqu’un réseau s’installe, se pose la question de l’émergence d’un leadership qui le régule ou le pilote, ou de règles de gouvernance qui structurent ou organisent les prises de décision, prises de parole, sources et affectations des ressources financières et humaines.(11)
L’évaluation des réseaux, qu’elle soit à l’initiative du pouvoir subsidiant ou souhaitée par les participants en vue d’un pilotage adéquat de l’activité sur base des objectifs déterminés en commun et repris dans une démarche réflexive, pose la question «quel fonctionnement pour quel résultat?» mais encore «quel questionnement pour quel résultat?»(12) en s’interrogeant par exemple d’une part sur le regard pertinent des professionnels qui manifeste l’utilité et mesure son impact sur l’usager, sur les métiers, sur l’organisation, voire sur la santé publique et d’autre part sur le niveau de compréhension et de satisfaction des usagers ou bénéficiaires.
Ces deux démarches permettent d’analyser l’impact réel du processus même s’il demeure une interrogation sur le coût de production de la démarche, sur les économies d’échelle suscitées ou non, sur la capacité éventuelle de ce processus de faire l’économie d’autres, ou sur la valeur ajoutée qui mérite un investissement complémentaire ou des incitants spécifiques pour y conduire des secteurs d’activité trop émiettés aujourd’hui.
A chaque réseau de préciser ses objectifs initiaux et de les repréciser régulièrement dans un arbre hiérarchisé d’objectifs.
A lui de voir s’il peut se donner un tableau de bord mesurant l’évolution des partenariats, de la patientèle ou du territoire couvert. A lui encore d’ajuster un organigramme et une carte des maillages qui permette à chaque partenaire de se reconnaître en propre et au sein de l’ensemble, de pouvoir dire clairement à des tiers qui l’on est et comment on fonctionne.
A lui aussi de mesurer si l’implication différenciée des acteurs résulte d’une crainte sur la méthode, sur le changement requis, sur l’absence de formalisation du projet ou sur une perception différente des enjeux: le réseau est-il central ou périphérique à l’institution ? On ne débouche souvent sur une vision commune que parce qu’on en a trouvé l’avantage, une source d’idées nouvelles, d’enrichissement des pratiques et d’augmentation de l’efficacité.
Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et seule une communication simplifiée, ramenée à l’essentiel, permet de garantir la transitivité du projet sans perte d’intensité, de qualité ou de projet.
A propos de l’impact, on sera attentif à enregistrer tous les changements opérés, pas seulement les attendus mais aussi les inattendus positifs ou négatifs, en termes de modification de comportement, de pratique, de structure qui sont induits par ce nouveau type de fonctionnement. On veillera aussi à tenir compte des rythmes différents des individus, usagers et intervenants, des sous-ensembles et de l’ensemble qui induisent des développements à géométrie variable et ne peuvent induire une lecture univoque de l’impact ou de la réussite du processus.

Réseau sans frontières et sans horaire?

L’existence de Médecins sans Frontières et autres Reporters sans Frontières manifeste la possibilité d’une relative ubiquité du réseau. Il n’empêche que la question se pose de l’au-delà et de l’en deçà du réseau: peut-il être sans limites géographiques, peut-il tout soutenir et durer, peut-il fonctionner 24 h sur 24, pour toute réquisition?
Tout étant théoriquement possible, tout n’est pas possible, tout n’est pas payable, tout n’est pas convenable, tout n’est pas acceptable. La question des frontières, de la limite territoriale comme celle de la limite morale ou pratique est donc inéluctable si on ne veut ni l’épuisement des acteurs ni l’incompétence et l’impuissance. La cohérence idéologique et le consensus sur les pratiques inclut donc celui des limites dans le temps, l’espace, la nature, l’ampleur, la quantité de la prestation.
Michel Kesteman (13)
Adresse de l’auteur: Canal Santé, Bd de l’Abattoir 28, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 548 98 00. Fax: 02 502 49 39. Courriel: canal-sante@tele-service.be

(1) Voir: Daniel PARROCHIA, Philosophie des réseaux, Paris, PUF,1993; Réseau, Bruxelles, FIAS, 1986-1999; Réseaux (revue interdisciplinaire de philosophie morale et politique, Mons); Vlaams netwerk voor Zakenethiek; Chaire Hoover (Philippe van Parijs, https://www.etes.ucl.ac.be ); https://www.cocof.irisnet.be/site/fr/reseauxsante propose une large bibliographie actualisée
(2) Etudes cristallographiques, Paris, 1885. On ne parlait pas encore de fractales ni des boucles de rétroaction de la complexité chères à Edgar Morin.
(3) Le changement social. Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Paris, Armand Collin, 2003, 144.
(4) D’où l’attention requise par ceux qui mettent en place le Customers relationship management (CRM) ou Coordination des relations avec les membres/consommateurs/usagers/clients.
(5) Du groupe au réseau, Paris, CNRS,1988,12-13.
(6) Voir Notions sur les réseaux sur https://www.fcrss.ca
(7) Problèmes éthiques et réseau. Actualité et dossier en santé publique, 1998 (24), 45-46.
(8) J’arrête l’inventaire mais d’autres auraient ajouté: réseaux de prostitution et de traite des blanches, réseaux pédophiles, réseaux maffieux, réseaux d’initiés… ce qui indique que tout n’est pas éthique dans la forme et le contenu! A l’heure de la directive Bolkestein et de la mondialisation, la tentative de transformation des services publics en marchandises au nom de la libéralisation des marchés fait des réseaux d’eau, de gaz et d’électricité comme des cartes d’accès au réseau téléphonique et bancaire devenus des nécessités dans notre univers contemporain des marchandises soumises au pur jeu de la concurrence. Le déploiement du libéralisme total sans régulation, sans acteurs collectifs fédérant les sans voix et garantissant collectivement des solidarités protectrices des minorités constitue un risque majeur.
(9) Pour comprendre les médias, Paris-Tours, Mame-Seuil, 1968,110.
(10) O.c.,147.
(11) La Première conférence sur le leadership au sein des réseaux des 24-25 octobre 2005 à Halifax, Canada est très éclairante sur ces question. Voir https://www.fcrss.ca/reseaux .
(12) Luc Hincelin y a consacré trois fiches concrètes dans Contact Santé, juin 2005, 205, 12-19.
(13) Cet article produit dans le cadre du réseau de santé Canal-santé est une version augmentée d’un texte paru initialement dans LAHAYE Thierry (alii), Les réseaux santé, Bruxelles, Cocof, 2005, 112-118.

Promotion de la santé: de la théorie à la pratique… ou à quoi servent les déclarations solennelles de l’OMS?

Le 30 Déc 20

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1936, un anniversaire aussi important que discret

Savez-vous ce que l’on commémore, plutôt discrètement, en France depuis quelques semaines? Une période particulièrement féconde et particulièrement brève de notre histoire politique et sociale… Il y a 70 ans exactement, le Front populaire remportait les élections législatives. Le 4 juin 1936, Léon Blum formait son gouvernement. Il démissionnera un an plus tard pour de multiples raisons que je n’évoquerai pas ici.
J’ai choisi d’introduire mon exposé par ce rappel historique parce qu’à mon avis ces quelques mois ont permis à la France de faire un pas de géant dans le domaine de la promotion de la santé, 10 ans avant la création de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un demi-siècle avant la rédaction de la Charte d’Ottawa.
Les congés payés, la semaine de travail de 40 heures, l’augmentation des salaires (plus importante pour les bas salaires), les délégués du personnel, les conventions collectives, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans, la réforme de la Banque de France, la création de l’Office du blé avec rétablissement du pouvoir d’achat des agriculteurs, les grands travaux, la création de la SNCF, les billets à tarif réduit pour partir en vacances, les auberges de jeunesse…: les mesures se succédaient à un rythme effréné, portées par le gouvernement mais aussi par un mouvement social sans précédent. On a évalué à 2,5 millions le nombre de grévistes dès le début du mois de juin, à 9900 le nombre d’usines ou d’établissements occupés… Des grèves spontanées, festives, sortant souvent du cadre strictement syndical: on chante, on danse, on se déguise, on fait de la gymnastique…(1)
On ne peut pas douter que ces réformes aient eu un impact positif sur la santé de la population. Tous les ingrédients de la promotion de la santé y étaient: la volonté politique, la mobilisation populaire, la réduction des inégalités sociales, l’intersectorialité, l’éducation populaire et même… la participation des femmes aux prises de décisions puisque trois d’entre elles avaient été nommées ministres alors qu’elles n’étaient encore ni électrices ni éligibles! Cette parenthèse pacifique, de courte durée, aura incontestablement apporté à beaucoup un mieux-être physique, mental et social, une meilleure qualité de vie. D’ailleurs les jeunes ne s’y trompaient pas, qui chantaient:
«Hardi les gars! Voilà les 40 heures
Nous y gagnerons la force et la gaîté
Hardi les gars! Que la vie est meilleure
Au bon vent de la liberté»
.(2)

Les déclarations officielles, une saine lecture

A quoi servent les déclarations solennelles de l’OMS? Mon exposé comportera quatre parties. La première est finie: elle était consacrée au Front populaire. La seconde rendra compte d’une lecture naïve des déclarations solennelles de l’OMS relatives à la promotion de la santé. Lecture naïve parce que la conférencière que je suis ce soir n’est pas un grand nom de la santé publique, juste une petite personne, tombée dans la marmite de l’éducation pour la santé il y a 20 ans et qui essaye de surnager, désespérément optimiste. La troisième partie, qui aborde le sort que nos gouvernements font à la promotion de la santé, sera quelque peu déprimante. Pour finir je vous donnerai deux exemples de mes tentatives, très modestes, d’intégrer les principes de la promotion de la santé à ma pratique professionnelle.
Pour préparer cet exposé, j’ai donc lu et relu plusieurs fois: le Préambule à la constitution de l’OMS (New York, 1946), la Déclaration d’Alma-Ata (au Kazakhstan) sur les soins de santé primaire (1978), la Charte d’Ottawa (au Canada) pour la promotion de la santé (1986), les Recommandations d’Adélaïde (en Australie) sur les politiques pour la santé (1988), la Déclaration de Sundsvall (en Suède) sur les milieux favorables à la santé (1991), la Déclaration de Jakarta (en Indonésie) sur la promotion de la santé au 21e siècle (1997) et la Charte de Bangkok (en Thaïlande) pour la promotion de la santé à l’heure de la mondialisation (2005).
Premier constat, avant même d’avoir commencé à lire les textes: si vous aimez voyager, devenez expert aux conférences internationales de l’OMS. Deuxième constat, la première lecture est franchement ennuyeuse: c’est à la fois répétitif et plein de générosité, de bons sentiments, d’engagements pour la vie. On croirait parfois ces textes rédigés par des adolescents qui viennent de découvrir la faim dans le monde et les émois procurés par l’engagement collectif en faveur d’une grande cause.
Ces déclarations successives portent toutes sur la meilleure façon d’assurer à la population mondiale des conditions de vie favorables à la santé. Elles ont beaucoup de choses en commun, tant sur la forme que sur le fond, mais une lecture plus attentive montre que chacune adopte un éclairage différent, un peu comme les 18 versions de la cathédrale de Rouen peintes par Claude Monet, aux différentes heures du jour. La cathédrale est toujours la même, on en reconnaît les contours et pourtant, les ombres et les couleurs sont différentes sur chaque tableau. Il en est de même pour les déclarations solennelles de l’OMS, dont les tonalités évoluent au fil des ans.
Ce qui est commun sur la forme:
-on ne renie jamais les déclarations précédentes, on les rappelle en préambule et on affirme qu’on s’inscrit dans leur prolongement;
-on conclut toujours par un engagement solennel et un appel à l’action.
Ce qui est commun sur le fond:
-la santé est à la fois un droit fondamental de l’être humain et un bon investissement économique et social;
-les inégalités de santé entre les pays et à l’intérieur des pays sont inacceptables, les gouvernements doivent s’attacher à les réduire;
-l’amélioration et la protection de la santé d’une population passent nécessairement par la mobilisation de tous les secteurs de la vie politique, sociale et économique et par l’implication des citoyens.
Pour ce qui concerne les spécificités que j’ai relevées dans chaque déclaration, je ne vais pas vous les exposer en détail: ce serait fastidieux et sans grand intérêt. Je me contenterai d’évoquer la tonalité de chacune, telle que je l’ai perçue et d’en citer un ou deux extraits significatifs.
J’accorderai un traitement particulier à la Charte d’Ottawa pour trois raisons: c’est elle qui définit la promotion de la santé, c’est son vingtième anniversaire et, en plus, c’est ce que m’ont demandé les organisateurs de cette soirée.
Le préambule à la constitution de l’OMS est célèbre, ne serait-ce que par la définition qu’il donne de la santé, définition de 1946 que l’on trouve dans tous les dictionnaires, dans tous les mémoires d’étudiants et dont on critique le caractère utopique, statique et peu opérationnel dans la plupart des livres de santé publique: «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie et d’infirmité.»
Définition en phase avec son époque, à la sortie de la 2e guerre mondiale, à une période où les peuples avaient bien besoin de recommencer à rêver, à espérer des lendemains qui chantent…
En 1978, la déclaration d’Alma-Ata est entièrement consacrée aux soins de santé primaires. Ces soins sont alors présentés comme le moyen qui «donnera à tous les peuples du monde, d’ici l’an 2000, un niveau de santé leur permettant de mener une vie socialement et économiquement productive.» […] Ils comprennent au minimum:
-une éducation sur les méthodes de prévention et de lutte contre les principaux problèmes de santé;
-la promotion de bonnes conditions alimentaires et nutritionnelles;
-un approvisionnement suffisant en eau saine et des mesures d’assainissement de base;
-la protection maternelle et infantile y compris la planification familiale;
-la vaccination contre les grandes maladies infectieuses;
-la prévention et le contrôle des endémies locales;
-le traitement des maladies et lésions courantes;
-la fourniture de médicaments essentiels.
Ces soins doivent être «scientifiquement valables et socialement acceptables, universellement accessibles aux individus et aux familles, […] à un coût que la communauté et le pays puissent assumer.»
Bon, on a dépassé l’an 2000, je ne suis pas sûre que l’objectif ait été atteint… une autre utopie sans doute.

Bref arrêt sur Ottawa

Nous en arrivons à la Charte d’Ottawa et à son sous-titre: « Vers une nouvelle santé publique ». D’emblée elle s’inscrit dans un mouvement, une dynamique. D’ailleurs elle définit la promotion de la santé comme le processus qui donne aux gens les moyens d’avoir plus de pouvoir sur leur santé et de l’améliorer. Et elle s’autorise à redéfinir la santé.
Plus exactement, elle apporte des précisions ou un mode d’emploi à la définition de 1946. Il est toujours question de «parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social» mais on nous dit comment faire. «L’individu ou le groupe doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et transformer son environnement ou s’y adapter.» On nous dit aussi qu’il n’y a pas que la santé dans la vie, que c’est juste une ressource bien commode au quotidien.
La Charte affirme d’abord que la santé exige un certain nombre de conditions et de ressources préalables: la paix, un logement, une éducation, de la nourriture, des revenus, un écosystème stable, des ressources durables, la justice sociale et l’équité. A première vue, on peut penser que la santé est plutôt mal partie si l’on ne s’occupe d’elle qu’après avoir réuni toutes ces conditions. A mon avis, cela veut dire au contraire que faire de la santé publique c’est s’occuper de cela, avant tout autre chose. Je parlerais donc plutôt de conditions premières que de conditions préalables.
Trois principes sont ensuite énoncés:
-la santé est un bon investissement car elle permet le développement social, économique et individuel. Et il faut arriver à en convaincre tout le monde.
-la promotion de la santé vise l’équité en matière de santé. J’y reviendrai.
-enfin, les conditions préalables (ou premières) et les objectifs de santé ne peuvent être atteints par le seul secteur sanitaire. La promotion de la santé exige l’action coordonnée de tous les intéressés: les gouvernements, les autorités locales, les différents secteurs de la société (sanitaires, sociaux, économiques), les associations, l’industrie, les médias…
Quant aux actions à mettre en œuvre pour promouvoir la santé, elles sont regroupées en cinq axes que j’ai l’habitude de résumer en cinq mots clés:
Politique : la promotion de la santé doit amener chaque responsable politique, à quelque niveau et dans quelque secteur qu’il intervienne, à prendre conscience des conséquences de ses décisions sur la santé de la population.
Environnement : il s’agit d’inciter chaque personne, chaque communauté, chaque région, chaque pays à préserver collectivement les ressources naturelles et à créer des relations et des conditions de vie et de travail favorables à la santé.
Démocratie : les communautés sont considérées comme capables de prendre en main leur destinée et d’assumer la responsabilité de leurs actions. Ce sont donc elles qui doivent choisir les priorités et prendre les décisions qui concernent leur santé.
Education pour la santé : il s’agit de permettre aux gens, à tous les âges, d’acquérir et de renforcer les aptitudes indispensables à la vie, notamment celles qui leur permettront de participer à une démarche de promotion de la santé.
Services de santé : il s’agit en fait de réorienter les services, de créer un système de soins qui serve au mieux les intérêts de la santé, qui s’inscrive dans une logique de promotion de la santé, qui respecte notamment la dimension culturelle et sociale des personnes, qui encourage et prenne en compte l’expression des individus et des groupes sur leurs attentes en matière de santé. Cela suppose d’orienter dans ce sens la formation des professionnels et la recherche.
Donc je résume: la Charte d’Ottawa, ce sont 2 définitions (la promotion de la santé et la santé) + 9 conditions premières + 3 principes (la santé comme agent de développement, l’équité et l’intersectorialité) + 5 axes de travail (politique, environnement, démocratie, éducation pour la santé et services de santé).
Après Ottawa, il y a eu les recommandations d’Adélaïde et la déclaration de Sundsvall, respectivement consacrées aux politiques pour la santé et aux milieux favorables à la santé, autrement dit aux deux premiers axes de la Charte d’Ottawa.
Les déclarations de Jakarta en 1997 puis de Bangkok en 2005 témoignent, quant à elles, des préoccupations grandissantes des experts de santé publique quant au processus de mondialisation de l’économie et à ses effets dévastateurs sur la santé des populations.
On y parle d’abord de la nécessité de s’adapter au 21e siècle et de trouver de nouvelles formes d’action. Puis le ton devient plus alarmiste: on évoque les «bouleversements sociaux, économiques et démographiques», on «exige la fermeté de l’action politique», on parle de «défendre la cause de la santé», «de réglementer et de légiférer», de «s’attaquer d’urgence aux problèmes de santé et aux inégalités».
Parallèlement le vocabulaire économique infiltre les déclarations: le secteur privé est associé aux débats, on parle d’investissement, de développement économique, de marchés financiers, de stratégies de commercialisation, de production, de marketing… L’idée d’une alliance mondiale pour la santé, déjà évoquée dans la Charte d’Ottawa, est reprise avec force.
L’impression générale qui se dégage de ces derniers textes est que la mondialisation de l’économie est une menace grave pour la santé mais que les hommes de bonne volonté, tous unis dans un même élan de fraternité, vont vaincre les forces du mal.
J’ai des doutes… «Si tous les gars du monde voulaient s’donner la main, alors on pourrait faire une ronde autour du monde… », écrivait le poète Paul Fort . Ne soyons pas naïfs: il y a bien là deux modèles de société qui s’opposent. Les principes de solidarité, de lutte contre les inégalités, de respect de la diversité des cultures, de protection de l’environnement, de participation des individus et des communautés aux prises de décisions, qui fondent une politique de promotion de la santé, ne sont pas favorables aux intérêts des grandes puissances économiques.

Où sont les femmes

?
Je vais terminer ma lecture des textes en m’intéressant à l’évolution du discours sur un point particulier: les femmes.
OMS 1946 , Alma Ata : On n’en parle pas.
Ottawa : la promotion de la santé «doit s’appliquer également aux hommes et aux femmes. […] Tous les partenaires, hommes ou femmes, doivent être considérés comme égaux.»
Adélaïde : un domaine d’action à part entière: «Les femmes sont en première ligne pour promouvoir la santé dans le monde et elles travaillent, la plupart du temps, sans rémunération ou pour un salaire minimal. Les réseaux et organisations de femmes sont des modèles pour l’organisation, la planification et la mise en œuvre des actions de promotion de la santé. Les décideurs et les institutions officielles devraient apprécier à leur juste valeur les réseaux de femmes et leur fournir un appui.»
Sundsvall : la Conférence évoque «la nécessité de reconnaître et d’utiliser les compétences et les connaissances des femmes dans tous les domaines, y compris ceux de la politique et de l’économie, pour mettre en place des infrastructures plus propices à des environnements favorables à la santé. Il faudrait reconnaître que les femmes ont de lourdes tâches et veiller à ce que les hommes assument leur part de ce fardeau. Il faudrait que les associations féminines communautaires aient les moyens d’intervenir plus énergiquement dans l’élaboration de politiques et de structures propres à promouvoir la santé.»
Jakarta : la «responsabilisation des femmes» est citée comme l’une des «conditions préalables à l’instauration de la santé».

Pauvre France

J’en arrive à la troisième partie de mon exposé dont je vous ai prévenus qu’elle ne serait pas gaie. En fait je voudrais revenir sur l’un des principes affichés par la Charte d’Ottawa, celui de l’équité: la promotion de la santé vise l’équité en matière de santé, son action a pour but de réduire les inégalités et de permettre à chacun de réaliser pleinement son potentiel de santé.
Qu’en est-il en France? La France est le pays d’Europe où les écarts de mortalité entre les différentes catégories professionnelles sont les plus élevés: les ouvriers peu ou pas qualifiés, âgés de 45 à 59 ans ont deux fois et demi plus de risques de mourir que les patrons, les cadres ou les professionnels libéraux du même âge (3).
Dans l’Atlas de la santé en France, publié récemment, on peut lire: « Quelle que soit la mesure du statut social ( niveau de revenu , profession , niveau d’éducation ), le niveau de santé se dégrade au fur et à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale . […] Ces inégalités sont profondément ancrées dans la société française , caractérisée par des disparités plus fortes que dans le reste de l’Union européenne .» ( 4 )
En France, l’état de santé de la population est excellent… en moyenne, et il s’améliore chaque année. En France, les écarts de santé entre les riches et les pauvres sont les plus élevés d’Europe et ils se creusent un peu plus chaque année.
On sait que les causes de ces inégalités sont multiples et qu’elles trouvent principalement leur origine dans les conditions générales de vie et dans l’organisation de la société. On sait aussi que l’amélioration de l’état de santé d’une population n’est que minoritairement liée aux services de soins.
Or les politiques de santé menées en France se caractérisent de longue date par une polarisation sur les comportements individuels d’une part et sur l’accès au système de soins d’autre part (5).
Didier Fassin écrivait en mars 2004: « Depuis près de 50 ans , les écarts de mortalité entre les catégories extrêmes se maintiennent en France à un niveau particulièrement élevé . Malgré une progression considérable de la richesse nationale , malgré une amélioration importante de l’état de santé moyen et malgré une extension inédite de la couverture de l’assurance maladie , les différences d’espérance de vie ne se sont pas réduites .» ( 6 )
D’un côté, on améliore le système de soins et on s’applique à le rendre plus accessible, et cela coûte cher. De l’autre, on continue à produire des inégalités en ne prenant pas en compte les effets sur la santé de la population des politiques menées dans les autres domaines. Et pourtant on a signé la Charte d’Ottawa!
Un seul des 100 objectifs mentionnés dans la Loi de santé publique de 2004 est de «réduire les inégalités devant la maladie et la mort par une augmentation de l’espérance de vie des groupes confrontés aux situations précaires» mais il n’y a aucun indicateur chiffré en face de cet objectif car «sa quantification a pour préalable la production d’autres connaissances scientifiques». Si l’on voulait vraiment s’attaquer aux inégalités sociales de santé, il faudrait commencer par en faire un objectif général et le décliner, chiffres à l’appui, dans tous les domaines. D’autres pays l’ont fait.
Et pour atteindre un tel objectif, Jonathan Mann nous a clairement indiqué le chemin à suivre il y a près de dix ans. Il nous invitait à ne pas dissocier la promotion et la protection de la santé de la promotion et de la protection des droits de la personne.
Il attirait notre attention sur le fait que toute atteinte aux droits de la personne est préjudiciable à la santé et aussi que bon nombre d’actions de santé publique sont discriminatoires et portent donc atteinte aux droits de la personne. Pour se faire comprendre il citait plusieurs exemples. « La pratique de la santé publique , écrivait il , est lourdement touchée par le problème de la discrimination fortuite : comme dans les activités de communication qui postulent que toutes les populations sont atteintes de façon égale par un message unique exprimé dans le langage dominant et diffusé par la télévision ; […] ou comme lorsque les messages d’information sur le saturnisme infantile sont diffusés sans se préoccuper de l’existence de moyens financiers permettant d’écarter le danger . En fait , la discrimination fortuite est si répandue que toutes les politiques et tous les programmes de santé publique devraient être considérés comme discriminatoires jusqu’à preuve du contraire .» ( 7 )

‘Ma’ promotion de la santé au quotidien

Et voici la quatrième et dernière partie de mon exposé: en quoi les principes de la promotion de la santé me sont utiles dans mon travail quotidien. Moi, mon secteur d’activité c’est l’éducation pour la santé, l’éducation thérapeutique, l’éducation du patient.
D’une façon générale, dire qu’on pratique l’éducation pour la santé dans une logique de promotion de la santé, c’est affirmer que l’on est attaché à certaines valeurs. En revanche, une simple référence à la prévention ne dit rien des valeurs que l’on entend défendre.
Se référer à la Charte d’Ottawa, c’est dire aussi que l’éducation pour la santé n’est pas dissociable des quatre autres axes de travail qu’elle préconise. Concrètement, quand il s’agit d’éducation du patient, c’est:
-au plan politique: concevoir des programmes qui prennent en compte et au besoin interpellent les politiques institutionnelles;
-au plan de l’environnement: aménager notre cadre d’exercice pour qu’il contribue non seulement à la qualité des soins mais aussi à l’autonomie des personnes qui viennent consulter ou qui sont hospitalisées;
-au plan de la démocratie: associer les patients à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation des programmes;
-en ce qui concerne les services de santé: ne pas déléguer l’activité éducative à une catégorie de soignants mais au contraire favoriser l’implication de chacun dans une démarche éducative conçue collectivement.
En respectant ces principes, il me semble que l’on évite de tomber dans les pièges d’une éducation thérapeutique focalisée:
-sur l’observance: le but de l’éducation du patient n’est pas de rendre le patient plus obéissant!
-sur les apprentissages: «Le danger pour l’éducateur en santé, c’est de croire ou d’espérer que tout peut être objet d’un apprentissage alors que la mort, la souffrance ou l’échec sont simplement le lieu de l’accompagnement et de l’écoute.»(8) C’est aussi une façon de lutter contre notre désir ou notre illusion de toute puissance.
-sur la responsabilité individuelle: quel que soit leur comportement vis-à-vis des soins, quelles que soient leurs habitudes de vie, les personnes malades ne peuvent être tenues pour responsables de leur état de santé. Arrêtons de vouloir «responsabiliser» les patients: soyez responsable, faites ce que je vous dis! C’est contraire aux principes affichés dans la Charte d’Ottawa.(9)

Expérience afghane

Autre exemple tiré de ma pratique professionnelle: il y un an, j’ai été amenée à séjourner trois semaines en Afghanistan pour évaluer des centres d’éducation pour la santé implantés dans trois écoles et lycées de filles par l’association Afghanistan libre . Ce sont de très gros établissements qui accueillent les jeunes filles du cours préparatoire à la terminale. Dans chaque école, une éducatrice pour la santé afghane a été formée et recrutée: elle assure des cours à toutes les élèves et aussi aux mamans qui viennent plusieurs fois par semaine à l’école pour cela.
Je trouvais cette mission difficile, je n’étais pas sûre d’être à la hauteur. Alors je me suis accrochée très fort aux principes de la promotion de la santé en me disant que c’étaient eux qui devaient guider mon travail. Je ne vais pas tout vous raconter dans le détail seulement vous lire quelques extraits du rapport d’évaluation que j’ai rédigé, pour illustrer en quoi la Charte d’Ottawa m’a aidée à réfléchir.(10)
L’une des questions auxquelles j’essayais de répondre était: les centres d’éducation pour la santé mis en place dans les écoles répondent-ils à un besoin?
« La lecture des rapports sur la santé de la population afghane , les orientations politiques du Ministère de la santé , les propos des éducatrices pour la santé et du personnel des centres de santé et des hôpitaux , les attentes exprimées par les jeunes filles et les mères nous confortent dans l’idée que l’éducation pour la santé en milieu scolaire correspond bien à un besoin .
La question qui reste en suspens est celle de savoir s’il s’agit d’une priorité . Quelles sont actuellement les actions qui permettraient d’améliorer le plus rapidement , le plus significativement et le plus durablement la santé de la population ? La construction de routes ? L’adduction d’eau dans les habitations ? L’alphabétisation de la population ? Où se situe l’éducation pour la santé dans l’ordre des priorités ?
On peut sans doute admettre que l’éducation pour la santé n’est pas une priorité en soi mais plutôt une mesure d’accompagnement des autres modalités d’intervention , une condition de leur mise en œuvre et de leur efficacité . A ce titre seulement elle devient une priorité .
[…]
On peut aussi concevoir l’éducation pour la santé des femmes comme un support de leur émancipation , comme un premier pas vers un engagement citoyen . Il est socialement acceptable que les femmes se réunissent pour parler de la santé : si elles découvrent à cette occasion qu’elles peuvent influer sur le cours de leur vie et de celle des autres , cette expérience leur donnera confiance en elles mêmes et peut être l’envie de s’impliquer dans d’autres domaines pour améliorer leurs conditions d’existence .
Dans l’une des écoles , après avoir pendant plusieurs mois participé aux séances d’éducation pour la santé , les femmes réclament maintenant d’apprendre à lire dans l’espoir de mieux se faire entendre et de sortir de la pauvreté . Dans ce cas , la justification de l’éducation pour la santé ne repose pas directement sur tel ou tel objectif de santé publique mais sur un objectif préalable d’évolution du statut de la femme . Cela suppose alors des méthodes d’éducation pour la santé adaptées à cet objectif reformulé . Et l’évolution du statut de la femme s’accompagnera d’une amélioration de la santé de la population »
Une autre question de l’évaluation concernait les effets potentiellement négatifs du programme:
« Le programme d’éducation pour la santé est figé : le contenu , les méthodes et les outils pédagogiques paraissent immuables , quasiment identiques dans toutes les classes . Basé sur la répétition de messages pré établis , il n’a pas la capacité intrinsèque d’évoluer . La routine risque fort d’engendrer l’ennui . Les éducatrices pour la santé disent elles mêmes qu’elles ont du mal à intéresser les élèves des grandes classes .
L’expression des élèves et des femmes est individuelle . Le déroulement des séances permet des échanges mais ceux ci se déroulent presque toujours entre l’éducatrice pour la santé et l’une des personnes du groupe , sous la forme de questions / réponses . L’éducatrice pour la santé est considérée comme la seule détentrice d’un savoir . On lui a appris à dire aux élèves et aux femmes ce qu’elles doivent faire . On ne lui a pas appris à aider celles ci à analyser leurs conditions d’existence puis à chercher collectivement les moyens de les améliorer .
La conception de la santé véhiculée par le programme est très médicale . Il s’agit essentiellement de prévenir les maladies en se conformant aux conseils des médecins , et de recourir suffisamment tôt aux soins . Cela risque de renforcer la déférence et la dépendance des femmes vis à vis des professionnels de santé plutôt que de promouvoir leur autonomie .
Le programme ne prend pas suffisamment en compte l’environnement dans lequel il s’inscrit :
on observe au sein de l’école des conditions et des habitudes d’hygiène qui ne correspondent pas aux messages véhiculés dans les séances d’éducation pour la santé ;
la contribution de ce programme à la politique de développement , son rôle spécifique dans les systèmes de soins et d’éducation n’ont pas été précisés : cela explique notamment la difficulté qu’ont les Centres d’éducation pour la santé à installer une véritable collaboration avec les structures de soins alentour
Dans les recommandations, j’ai notamment écrit:
« Pour l’instant , le programme d’éducation pour la santé est construit autour des habitudes qu’on veut faire acquérir à la population . Il est centré sur les messages :
des messages de prévention ont été choisis , par exemple : il faut se laver les mains après être allé aux toilettes , il faut éviter que les mouches se déposent sur la nourriture ou il faut réhydrater un bébé qui a la diarrhée ;
des supports pédagogiques ont été créés pour faire comprendre ces messages aux femmes et aux jeunes filles ;
l’éducatrice pour la santé répète et fait répéter inlassablement les messages dans le but que la population apprenne puis adopte les habitudes conseillées .
La mise en place de ce dispositif a permis de créer une dynamique et une motivation forte au sein de la communauté : les femmes et les jeunes filles que nous avons rencontrées ont soif d’apprendre et veulent aller plus loin . Elles suggèrent de diversifier et d’approfondir leurs connaissances relatives à la santé , aux maladies et à la contraception . Elles veulent devenir encore plus savantes .
Si l’on se contente d’ajouter de nouveaux messages à la liste et de les transmettre de la même manière , on n’évitera pas les effets négatifs décrits précédemment .
Il faut maintenant adopter une démarche participative , c’est à dire construire le programme autour des préoccupations des femmes et des jeunes filles . Il s’agit de les aider à prendre collectivement des initiatives susceptibles d’améliorer leurs conditions d’existence et par là même de promouvoir leur santé :
-analyser, avec elles, les facteurs qui concourent et ceux qui font obstacle à la santé et au bien-être de leur communauté;
identifier , avec elles , ceux sur lesquels on peut agir ;
fixer , avec elles , des objectifs concrets de changement ;
convenir , avec elles , des méthodes qui permettront d’atteindre ces objectifs ;
mobiliser , avec elles , les moyens nécessaires ;
faire ce qu’on a décidé ;
vérifier l’atteinte des objectifs , réajuster , recommencer
Les actions qui résulteront de cette démarche pourront être de nature extrêmement variable : recherche d’informations , aménagement de l’environnement , démarche auprès de responsables institutionnels ou politiques , etc . »

Je conclurai comme j’ai commencé, en citant Léon Blum, la dernière phrase de son dernier éditorial: « Je le crois parce que je l’espère
La promotion de la santé, j’y crois parce que je l’espère.
Brigitte Sandrin Berthon , Médecin de santé publique, Comité régional d’éducation pour la santé du Languedoc-Roussillon
Cet article reproduit le texte de la conférence inaugurale de la 3e Université d’été francophone de santé publique, donnée à Besançon le 2 juillet 2006. (1) Soudais M. Front populaire: un moment d’exception . Politis, 27 avril 2006, n° 899.
(2) Le front populaire . Historia mensuel, mai 2006, n° 713.
(3) Kunst AE., Groenhof F., Mackenbach JP. Inégalités sociales de mortalité prématurée: la France comparée aux autres pays européens . In Les inégalités sociales de santé. Paris Editions La Découverte/Inserm, 2000, pp. 53-68.
(4) Rican S., Salem G., Kürzinger ML. Déterminants de santé. Conditions de vie . In Atlas de la santé en France, Volume 2, Comportements et maladies. Paris, John Libbey Eurotext, 2006, pp 25-27.
(5) Ridde V. Une analyse comparative entre le Canada, le Québec et le France: l’importance des rapports sociaux et politiques eu égard aux déterminants et aux inégalités de la santé . Recherches sociographiques, 2004, XLV, 2, pp. 343-364.
(6) Fassin D. Santé: les lois de l’inégalité . Mouvements, 2004, n° 32.
(7) Mann J. Santé publique: éthique et droits de la personne . Santé publique, 1998, volume 10, n° 3, pp. 239-250.
(8) Longneaux JM. Bien gérer sa santé? Education santé, 1994, n° 90, pp. 4-6.
(9) Sandrin-Berthon B. Le regard d’une éducatrice pour la santé . In Comité régional d’éducation pour la santé du Languedoc-Roussillon. Développer les offres régionales de formation en éducation du patient. Actes du séminaire. 2004, pp. 41-46.
(10) Sandrin-Berthon B. Rapport sur l’évaluation des centres des centres d’éducation pour la santé. Hannaba, Paghman mai-juin 2005. Afghanistan libre, rapport non publié.

Promotion de la santé ou promotion des ventes?

Le 30 Déc 20

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Qui ne glorifierait la promotion de la santé? Mais cela fait parfois penser à une satire publicitaire des Monty Python, «Ayez de l’argent». On y voyait un homme au volant d’un bolide, habillé comme un dandy, couvert de femmes, distribuant des billets à tire-larigot. Ayez de l’argent et vous serez comme lui!
La promotion de la santé a parfois ce tort d’enfoncer des portes ouvertes, ce qu’on pourrait caricaturer également sous le slogan «Soyez en bonne santé»!

L’objectivité

Nous sommes envahis par les conseils: évitez ceci, prenez cela. Ces conseils sont souvent des… publicités, dont les seuls bénéfices iront à des promoteurs qui n’ont rien à voir avec la promotion de la santé. Comment séparer le bon grain de l’ivraie? Comment s’y retrouver dans les messages que l’on peut lire dans les magazines féminins, dans les «magazines de santé», dans les revues de pharmacies, dans le «Journal du médecin» (qui en fait est écrit de A à Z par les firmes pharmaceutiques), les revues de mutuelles, les messages de votre supermarché (ah le light, le sans sucre, les ferments lactiques…)?
Il apparaît indispensable de toujours prendre du recul et d’au moins se dire: d’où vient ce message? L’information est-elle libre ou dirigée? À qui profite-t-elle? Quelle objectivité puis-je accorder à ces informations?

Les conseilleurs ne sont pas les payeurs

On promeut l’accès aux soins pour tous, mais pour certains, la santé est un luxe qu’ils ne se permettent pas. Des besoins primaires tels se chauffer, se loger, manger prennent parfois déjà 80% de leur budget…
De plus, et cela est vrai pour tout le monde, on ne change pas de style de vie comme on change de chemise. Le poids des manques sociaux, culturels, matériels est là et il ne suffit pas de simplement informer sur les comportements à risque comme l’alcool, le tabac ou l’alimentation peu adaptée. Il en est de même du cadre de vie, de l’environnement.

Les changements

L’individu seul ne peut tout changer. Les initiatives, les solutions doivent être plus globales. Et si l’on pense à la promotion de la santé dans d’autres pays que le nôtre, que dire alors de la latitude de l’individu dans la prise en charge de sa santé quand il vit par exemple en Afrique?
Dans un monde basé sur la logique du profit, la mondialisation vise plus les échanges commerciaux que les politiques sanitaires. Quelle place est laissée aux changements favorables à la santé de tout un chacun? Puisse-t-on associer à la mondialisation des progrès sanitaires dans les pays moins favorisés, des progrès qui ne soient pas seulement des progrès d’extension de marché. Peut-être la mondialisation nous donnera-t-elle ainsi à l’avenir une meilleure image d’elle…

Hier à la télévision

Revenons chez nous. Hier, j’ai vu à la télévision les messages publicitaires suivants:
«Nouveau: Silan aromathérapie», ou comment se soigner en lessivant…
Dans une autre pub, on ridiculise une personne en train de pousser péniblement une charrue pour cultiver des légumes. Puis on glorifie une maman qui prend si bien en charge sa marmaille: non seulement elle a du temps à lui consacrer, mais elle lui fournit un potage en boîte «plein de santé».
Et enfin ce papy qui fait découvrir le goût des bonnes choses à ses petits-enfants en «préparant» en deux coups de cuiller à pot un gâteau tout fait, une poudre chocolatée, du lait et hop… la saveur d’antan… Merci papy!

La santé est notre préoccupation à tous, mais attention, elle est devenue un marché. Soyons vigilants. En même temps, ne jetons pas l’enfant avec l’eau du bain. Il ne s’agit pas de se boucher les oreilles. Nous avons tous beaucoup à apprendre pour mieux prendre en charge notre santé. Et en tant qu’association de patients, nous avons aussi beaucoup à dire!
Claude Sterckx , Président de la Ligue des usagers des services de santé, LUSS asbl
Cet article est une version légèrement modifiée d’un texte paru dans Le Chaînon, le bulletin de liaison de la Ligue des usagers des services de santé, n° 3, 1er trimestre 2006

Ottawa-Bangkok: un aller simple?

Le 30 Déc 20

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En août 2005, s’est passé un évènement très important pour nous, usagers des services de santé. Lequel me demanderez-vous (1)? La sixième conférence mondiale sur le promotion de la santé a eu lieu, qui a donné naissance à la Charte de Bangkok , baptisée du nom de la ville où elle a été signée le 11 août 2005, en Thaïlande.
Le lieu n’est pas anodin. De nombreuses voix s’étaient élevées contre la Charte d’Ottawa, première charte mondiale officielle en promotion de la santé, celle-ci étant considérée comme la Charte des pays riches. Le nom de cette nouvelle charte est donc hautement symbolique. Mais ne nous emballons pas, avant d’aborder les chartes elles-mêmes et leur processus de création, il est intéressant de se pencher sur ce qu’est la promotion de la santé. Nicole Maréchal , alors Ministre de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé de la Communauté française, nous avait rappelé la belle définition du décret de 1997 lors de notre colloque de 2003:
«Le processus qui vise à permettre à l’individu et à la collectivité d’agir sur les facteurs déterminants de la santé et, ce faisant, d’améliorer celle-ci, en privilégiant l’engagement de la population dans une prise en charge collective et solidaire de la vie quotidienne, alliant choix personnel et responsabilité sociale. La promotion de la santé vise à améliorer le bien-être de la population en mobilisant de façon concertée l’ensemble des politiques publiques.»
La promotion de la santé tente de nous permettre d’agir a priori sur notre état de santé et ce qui le détermine en nous donnant, par exemple, des conseils sur la façon de manger sainement, des comportements risqués à éviter… Elle essaie de nous faire réfléchir sur les actes de notre vie quotidienne et d’en retirer les conséquences positives ou négatives sur notre santé. La promotion de la santé vise à ce que tout un chacun ait accès à une santé de qualité et que celle-ci soit au centre de toutes les préoccupations politiques ou autres.

Le Canada: un précurseur

La promotion de la santé n’a pas toujours été à l’ordre du jour. Ce n’est qu’en 1974 qu’un pays commence vraiment à se pencher activement sur le sujet. Le Canada publie, cette année-là, un texte intitulé Nouvelle perspective de la santé des Canadiens . Ce document est une première et ouvre des perspectives très importantes pour la suite. Les Canadiens pointent en effet du doigt l’importance des facteurs hors système de soins sur la santé. Quatre domaines particuliers sont mis en avant: la biologie humaine, le style de vie, l’environnement et les services de santé.
Au moment de la publication du document, c’est le style de vie qui est particulièrement étudié et cela à cause du lien entre l’état de santé et les comportements à risque. Au Canada, commencent donc à fleurir de nombreux programmes et campagnes de sensibilisation et d’éducation relatifs à la façon de vivre (nourriture, tabac, boisson…). Des lois et réglementations sont également mises en place. C’est dire l’importance que ce document a sur le peuple canadien.
Les chercheurs canadiens se penchent ensuite sur l’environnement et l’importance des conditions structurelles de vie (pauvreté, précarité, discriminations,…) et de l’environnement géographique sur la santé. Les Villes-Santé voient alors le jour (nous en avons également en Belgique, Liège en est un exemple).
L’Organisation mondiale de la santé lance alors sa Stratégie de la santé pour tous , prélude à la première conférence internationale pour la promotion de la santé, qui se déroule comme de juste à Ottawa, au Canada. On est en 1986, année de naissance de la Charte d’Ottawa .

D’Ottawa à Bangkok

La Charte d’Ottawa énumère les conditions fondamentales de santé telles que paix, hébergement, revenu… et reconnaît la nécessité d’une action coordonnée entre de nombreux secteurs. Elle est traduite en plus de 40 langues et sert de référence mondiale en matière de promotion de la santé. Elle définit cinq domaines d’action primordiaux:
-élaboration de politiques de santé;
-création d’environnements favorables;
-renforcement de l’action communautaire;
-acquisition d’aptitudes individuelles;
-réorientation des services de santé.
Cette approche permet un travail en réseau plus efficace et la mise en place de projets « visant à créer des environnements favorables à la santé » notamment en renforçant les projets Villes-Santé et en mettant en place des Lieux de travail-Santé, Hôpitaux-Santé… Fini donc le concept qui consistait à seulement s’intéresser à la santé globale d’une population (nous parlons bien d’état de santé avéré), la Charte d’Ottawa permet de se pencher sur les facteurs qui déterminent l’état de santé et « de consolider le potentiel de bonne santé » plutôt que de se focaliser sur des problèmes déjà existants. C’était une petite révolution.
Après la conférence d’Ottawa, bien d’autres ont suivi:
Adélaïde (1988): les participants y ont essentiellement réaffirmé les fondements de la Charte d’Ottawa et l’importance d’une pratique en réseau en appelant les gouvernements à « promouvoir la santé en liant entre elles les politiques économiques sociales et sanitaires ».
Sundsvall (1991): cette conférence s’est surtout penchée sur les liens entre santé et environnement (instruction, alimentation et nutrition, logement et habitat, travail, transport et protection sociale).
Jakarta (1997): cette conférence a confirmé les déclarations faites auparavant et a réaffirmé l’importance de « placer la promotion de la santé au cœur du développement sanitaire ».
Mexico (2000): ici, les participants se sont en particulier penchés sur les déterminants de la santé « relatifs aux populations économiquement et socialement défavorisées ».
Ces quatre conférences n’ont pas produit de charte, uniquement des déclarations et des recommandations. Cependant en 2000, on peut déjà noter les tendances qui vont nous amener à Bangkok. L’attention aux pays défavorisés que soulignait déjà la conférence de Mexico est particulièrement mise en avant à Bangkok d’une part par le choix du lieu et d’autre part par le désir de publier une nouvelle charte qui, elle, représenterait l’ensemble des pays du monde et pas seulement les pays «riches».

La Charte de Bangkok

19 ans après Ottawa, voici donc Bangkok. La charte définit selon l’OMS « les principaux enjeux à traiter et les actions et engagements qui seront nécessaires pour s’occuper des déterminants de la santé dans un monde globalisé , en faisant appel aux nombreux acteurs et parties intéressés qui ont un rôle critique à jouer pour parvenir à la santé pour tous ».
Elle s’attarde entre autres sur les défis à relever en matière de maladies transmissibles et de maladies chroniques mais aussi sur le poids de la mondialisation et ses effets sur la santé.
Elle introduit surtout une idée complètement nouvelle: la collaboration entre gouvernements, organisations internationales, société civile et secteur privé selon trois principes:
-veiller à ce que la promotion de la santé ait une place centrale dans le développement mondial;
-veiller à ce qu’elle fasse partie des responsabilités essentielles des gouvernements et des bonnes pratiques des entreprises;
-veiller à ce qu’elle soit l’un des centres d’intérêt des initiatives des communautés et de la société civile.
La charte d’Ottawa avait déjà permis de construire des politiques sanitaires au niveau mondial, national et local notamment en ce qui concerne la lutte anti-tabac. Cependant, d’importantes disparités entre les pays développés et ceux en voie de développement, spécialement en ce qui concerne l’espérance de vie, sont apparues aux yeux des chercheurs. Entre certains pays, il existe une différence de 48 années d’espérance de vie! Un des objectifs de la Charte de Bangkok est de lutter et de faire évoluer les stratégies de promotion de la santé pour diminuer les inégalités, tout cela en favorisant le partenariat entre les différents acteurs.
On le constate la Charte de Bangkok se base essentiellement sur un partenariat efficace entre différents acteurs, la nouveauté étant l’introduction du partenaire privé (par exemple les firmes agroalimentaires et pharmaceutiques).

Les loups dans la bergerie?

Ce dernier point pose évidemment de nombreuses questions. Nous avons tous ou presque un avis sur les intérêts de telles firmes en promotion de la santé. Une firme agroalimentaire ou pharmaceutique reste avant tout une entreprise avec des intérêts commerciaux. Les personnes dirigeant ces sociétés ne sont pas des philanthropes mais bien des chefs d’entreprises avec tout ce que cela engendre comme objectifs financiers.
N’y a t-il pas là comme une dissonance? Ne risque-t-on pas de voir surgir des politiques sanitaires plus basées sur l’argent qu’elles vont rapporter que sur leur réel intérêt pour le public? Un exemple: certaines sociétés commercialisent des produits laitiers dits «bons pour la santé». En s’associant à des campagnes de promotion pour une bonne alimentation, elles ont la possibilité de mettre leurs produits en avant et ainsi de récolter une publicité positive qui aura certainement un effet dopant sur les ventes.
D’ailleurs lors des discussions préalables à l’écriture de la Charte, on pouvait déjà sentir le poids des multinationales, certaines recommandations étant passées sous silence comme l’effacement de la dette du Tiers-Monde ou le réajustement du prix des matières premières, les deux étant étroitement liés. Déjà donc, le secteur privé joue un rôle de muselière et empêche le vote de mesures essentielles pour le bon respect des objectifs de la charte. Il y a là comme un non-sens. Aurions-nous tellement besoin de leurs apports financiers?
D’un autre côté, ces industries ont les moyens financiers de mettre sur pied des campagnes à grande échelle. Peut-on se permettre de se priver d’un partenaire ayant les moyens de développer ces actions? La promotion de la santé peut-elle passer par n’importe quels canaux du moment qu’on mesure une incidence positive sur l’état de santé des populations visées? Et comment mesurer ces incidences positives? Voilà plusieurs questions qu’il est intéressant de se poser.
Mais la Charte de Bangkok n’a pas soulevé que ces questions-là. Tous les acteurs mondiaux actifs en promotion de la santé ne la jugeaient pas indispensable, les principes de la Charte d’Ottawa n’étant toujours pas solidement implantés dans tous les pays. La réponse à cet argument, je vous la donnais au début de cet article: Ottawa était considéré comme la charte des pays industrialisés! Il en fallait donc d’urgence une deuxième plus ouverte au climat actuel de développement durable et de marché équitable. Tout un symbole!
Toutes ces données aboutissent à un document estimé non-abouti que certains qualifieraient de document intermédiaire à retravailler par chaque région.

Du travail, encore

On s’en rend compte, la promotion de la santé est un domaine essentiel, vaste et dangereusement délicat. La Charte de Bangkok ne répond pas aux attentes de tous les participants de cette sixième conférence et en effraie beaucoup d’autres par les nouveaux partenariats qu’elle implique. Saura-t-elle grandir et s’affirmer comme telle? Deviendra-t-elle une référence à la manière d’Ottawa? Se perdra-t-elle dans le tourbillon des multinationales et des enjeux financiers?
Le trajet d’Ottawa à Bangkok n’est donc pas si simple que cela. Reste à espérer qu’en route, on n’y perde pas l’essentiel, notre santé!
Carine Serano , Ligue des usagers des services de santé, LUSS asbl
Adresse de la LUSS: avenue Sergent Vrithoff 123, 5000 Namur. Tél.: 081 74 44 28. Fax: 081 74 47 25. Courriel: luss@luss.be. Internet: https://www.luss.be .
Cet article est une version légèrement modifiée d’un texte paru dans Le Chaînon, le bulletin de liaison de la Ligue des usagers des services de santé, n° 3, 1er trimestre 2006

Nous renvoyons nos lecteurs à la présentation de la charte dans le n° 208 d’Education Santé, janvier 2006 (ndlr)

L’hépatite C en Belgique. Comment améliorer le dépistage et la prévention?

Le 30 Déc 20

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Comment améliorer le dépistage et la prévention?

L’hépatite C est un problème majeur de santé publique à travers le monde. Il y aurait environ 170 millions de personnes infectées par le virus de l’hépatite C (VHC), soit environ 3 % de la population.
En Belgique, la prévalence de l’hépatite C est d’environ 1%.
La transmission du virus se fait essentiellement par voie sanguine. L’injection de drogue par voie intraveineuse est actuellement le mode de contamination le plus fréquent et environ 80% des personnes toxicomanes par voie intraveineuse sont contaminées.
Le dépistage de l’ensemble de la population est coûteux et peu rentable. Il n’existe pas de vaccin contre l’hépatite C. Mais on peut actuellement guérir de la maladie. Un traitement efficace est disponible en Belgique depuis 2002. Il est basé sur la thérapie combinée interféron pégylé et ribavirine.
En Belgique, l’hépatite C relève des compétences des Ministres fédéral, communautaire et régional. Mais les mesures nécessaires à la prévention, au dépistage et à la prise en charge de cette maladie ne sont pas très structurées. Depuis quelques années, on a pu se rendre compte à travers la presse d’un certain nombre de revendications de patients et d’interpellations adressées aux décideurs politiques.
Concernant l’information des Belges, une enquête avait été menée en janvier 2004 auprès d’un groupe représentatif de 1000 Belges de plus de 15 ans (1). Cette enquête visait à évaluer la connaissance et les perceptions des Belges à l’égard de cette infection. Les résultats suivants ont été mis en évidence:
– plus d’un Belge sur deux ne connaît pas l’hépatite C;
– la grande majorité des Belges ignore ou sous-estime sa prévalence: seuls 12% l’estiment à 1/100;
– 45% des Belges pensent qu’il existe un vaccin permettant de prévenir l’hépatite C;
– 1 Belge sur 6 ignore que l’on peut guérir de l’hépatite C;
– 72% des Belges perçoivent l’hépatite C comme une maladie très et moyennement grave;
– 6 Belges sur 10 ignorent le mode de transmission de VHC;
– informés de la gravité et de la fréquence de l’hépatite C, 89% des Belges pensent que le gouvernement devrait lancer des campagnes de dépistage et d’information, comme c’est le cas dans de nombreux autres pays occidentaux.
En mai 2005, le Cabinet de la Ministre de l’enfance, de l’aide à la jeunesse et de la santé en Communauté française de Belgique a mandaté l’Unité RESO de l’UCL pour réaliser un état des lieux des données épidémiologiques et des recommandations récentes en termes de prise en charge des patients infectés par le virus de l’hépatite C. Outre la documentation de ces aspects, le présent dossier vise également à faire le point sur les stratégies de dépistage et de prévention préconisées par les experts belges et étrangers.
RENARD F., AUTIER M., DOUMONT D., L’hépatite C en Belgique. Comment améliorer le dépistage et la prévention?, UCL RESO, Bruxelles, juin 2005, (Série de dossiers techniques; réf.: 05-34), 27 pages.

Les dossiers techniques sont consultables sur le site https://www.md.ucl.ac.be/entites/esp/reso . Ils peuvent aussi être commandés à l’adresse suivante: UCL, Faculté de médecine – Ecole de santé publique, Unité d’éducation pour la santé RESO, avenue Mounier 50, 1200 Bruxelles.
Contact: Mme Dominique Doumont, tél. 02 764 50 76, courriel: dominique.doumont@reso.ucl.ac.be.
(1) Enquête menée par l’INRA à la demande de Schering-Plough.

La santé comme alibi au prix de l’intolérance?

Le 30 Déc 20

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Il est bien tentant de répondre à la question du bilan des activités menées en prévention par la Communauté française en faisant part, au travers de chiffres, de la mise en œuvre de tel ou tel programme de santé. Il existe en effet des activités préventives comme le programme de vaccination, le programme de dépistage du cancer du sein, le contrôle anti-dopage, etc., activités qui ne peuvent en principe que recueillir une approbation et mettre en valeur les services concernés et de façon générale le Ministère de la Communauté française.
On peut aussi aller plus loin dans la réflexion sur le sens de ce qui se fait . Quand on parle de prévention en santé, on pense directement à différentes approches; on peut citer notamment:
-l’information (connaître un risque est un droit et un préalable à la prise de décisions), que celle-ci soit transmise sous forme de campagnes, documents écrits, étiquetage…
-les mesures de protection: examens médicaux préventifs (à l’école par exemple), vaccinations, mesures sanitaires visant la surveillance et le contrôle des produits de consommation (le plus évident étant l’alimentation);
-les mesures coercitives vis-à-vis des producteurs (par exemple multinationales du tabac, de l’alimentation);
-l’accessibilité des services de santé.
Malgré la connaissance des risques par la population, le tabagisme diminue peu, l’alimentation adéquate ne semble pas nous subjuguer, l’activité physique fait un pourcentage d’émules somme toute assez restreint, bref la TV, le PC, la PlayStation, les chips et sodas semblent plus nous captiver que le contenu des informations santé. A cela s’ajoutent pour une part de plus en plus importante de la population – et c’est bien loin d’être secondaire – des conditions socio-économiques et environnementales peu propices à la prise de choix favorables.

Un travail de longue haleine

C’est donc bien à un autre niveau qu’il convient de travailler et de se positionner. Depuis de nombreuses années, la réflexion s’est orientée vers les déterminants de la santé, tous facteurs qui font que nous mangeons mal, que nous fumons… Il ne suffit en effet pas d’entendre la bonne parole, même convaincante, pour prendre de bonnes résolutions. Il se fait que chaque individu a en lui un potentiel incroyable d’écarts, une propension naturelle à certains plaisirs «interdits», une façon de réagir aux circonstances de la vie, à l’environnement, en adoptant des comportements qui semblent insensés. Outre cette tendance «déviante» – sans doute assez naturelle et spontanée – par rapport aux normes de santé, les conditions d’emploi, de logement, d’exclusion,… mettent les personnes «vulnérables»(1) dans des conditions de possibilité de choix parfois réduites à néant.
Il faut donc plus que jamais donner la parole aux personnes et aux groupes dont ils font partie, favoriser la participation, l’expression des besoins, des désirs, des revendications, replacer la santé dans un contexte plus large que des risques évidents pour comprendre les possibilités de changement, reconnaître l’absence de choix possibles…
Cette prise de position, résumée ici, ambitionne de donner aux individus et aux groupes (écoles, familles, quartier…) une capacité d’agir vis-à-vis de soi-même, de son environnement de vie immédiat et de l’environnement plus large. Elle est en lien avec l’éducation permanente et dans une certaine mesure avec l’éducation pour ce qui concerne le renforcement des capacités à décider et à réagir, la nécessité d’entreprendre un dialogue au sein de ce milieu où se côtoient de multiples représentants de la société.
Dans ce contexte, la promotion de la santé vise peu l’immédiateté dans les modifications de comportements inadéquats. Consciente des multiples facteurs de vie intervenant dans ces comportements, voulant renforcer la décision et le choix, voulant agir ou faire réagir sur les conditions souvent inacceptables de vie, il semble peu crédible de proposer pour chaque problème de santé des solutions sous forme d’un livre de recettes.
Considérer que l’on peut résoudre par exemple le problème de l’obésité chez l’enfant en augmentant le nombre d’heures de gymnastique ou en interdisant à l’individu de consommer relève à mon sens d’une grande naïveté. Tout au plus s’agit-il là de mesures d’appoint.
Ceci n’exclut toutefois pas que les conditions d’environnement exigent que des mesures strictes soient prises par les pouvoirs publics.
Toutes les stratégies (information, dépistage, protection, participation, renforcement de l’accessibilité) ne peuvent se décliner sans que ne se posent des questions essentielles.
Car, derrière ces notions assez positives, d’autres plus sérieuses et plus graves se font jour, se montrant a priori attractives et recevant trop rapidement sans doute une approbation généralisée: il s’agit de surveillance, contrôle, sécurité, interdiction, sanction… et trop souvent sans que cela ne paraisse inquiétant à personne.
C’est ce type de réflexions que je voudrais aborder maintenant, non pas en terme de solutions, mais de questionnement.
Des exemples permettront de mieux situer le niveau d’interrogation. Ils sont choisis en raison de leur actualité et des compétences de la Communauté française en matière de santé. J’aborderai la lutte contre le tabagisme sous l’aspect du pouvoir de la majorité, la lutte contre le canabis sous l’alibi de la santé, la prévention du dopage comme contrôle de la société, et enfin l’alimentation comme facteur de stigmatisation.

La lutte contre le tabagisme sous l’aspect du pouvoir de la majorité

La lutte contre le tabagisme est un des combats très actuels. Les non-fumeurs représentent une majorité incontestable. Une partie de ceux-ci a entrepris un combat (une croisade?) pour avoir le droit de respirer un air sain, sans effet dangereux pour la santé des non-fumeurs (tabagisme passif) et sans cette désagréable odeur pour un non-fumeur.
Ne pouvant obtenir l’adhésion de tous les fumeurs à leur demande, si une offre d’aide à l’arrêt du tabagisme a été proposée et déclinée, les exigences des non-fumeurs se sont renforcées et le discours d’interdiction totale se légitimise. La moindre bouffée de cigarette prend des allures de danger public.
Les limitations au tabagisme ne paraissent jamais assez sévères, chacun apportant sa pierre à l’édifice antitabac: interdiction de vente aux mineurs, taxation supplémentaire, interdiction de consommation dans les lieux publics, dans les entreprises, bientôt dans les cafés et restaurants,… toutes mesures prises pour le bon motif, mais qui ont pour effet de contraindre de plus en plus l’individu. Le fumeur connaissant le danger est sensé s’abstenir, et dans le cas contraire, il devient asocial, voire délinquant.
Que penser de majorités qui se créeraient tout à coup pour interdire et surtaxer tout ce qui semble nuisible à la santé et à la sécurité sociale ? Ce ‘meilleur des mondes possibles’ ne vous fait-il pas peur? La santé n’est-elle pas un levier pour renforcer des majorités peu respectueuses des minorités?

La consommation de cannabis: l’alibi de la santé

Il est en Belgique assez difficile de comprendre si la consommation de cannabis est permise ou non. On peut en tous cas dire que la consommation personnelle des adultes, sans présence de mineurs et sans provoquer de troubles publics n’est pas punissable. On peut être pour ou contre cette loi.
De façon un peu schématique, on dira que le ministère de l’Intérieur et tout ce qui s’y rapporte (la police) sont largement pour l’interdiction/sanction tandis que les acteurs en prévention des toxicomanies sont très réservés sur les mesures d’interdiction et sur l’opportunité de déclarer la guerre à ce produit.
La consommation chez les jeunes effraie beaucoup d’adultes qui ne font guère la distinction entre les différents produits. En terme de prévention santé et de promotion de la santé chez les jeunes, la connaissance des risques, la discussion autour de cette consommation, la prise de décision quant à sa consommation personnelle, la possibilité de gérer cette consommation, la prise en considération de l’environnement social et familial du jeune… sont des éléments autrement plus importants que des mesures abruptes d’interdiction, qui ont largement fait la preuve de leur inefficacité, et dont la réussite est toujours aussi peu probable de nos jours.
Plus que l’aspect santé, ce qui intervient ici est l’idée d’une société par rapport aux risques et aux plaisirs que prennent les jeunes, dans le domaine des consommations notamment. Et l’entrée de la police avec des chiens anti-drogues dans certaines écoles exprime clairement la pression d’une partie de la société pour imposer une interdiction. Cette lutte sous forme d’interdiction, de sanctions contre les consommateurs se fait selon un modèle clairement répressif mais au nom de la santé.
La santé servirait donc de soutien aux interdits.

La lutte contre le dopage comme contrôle de la société

La prévention du dopage poursuit deux objectifs déclarés, l’un relatif à l’éthique du sport, l’autre de protection de la santé.
La problématique santé du dopage n’est guère prioritaire. Quant à l’éthique du sport chez les professionnels, la question du dopage peut également paraître secondaire; les sommes mises en jeu et les références de société données aux jeunes par les sportifs de haut niveau d’une part, d’autre part l’esprit individualiste du gagnant promu par de nombreux clubs sportifs sont le plus souvent très loin de l’éthique.
Si la question du dopage semble mériter des stratégies répressives plus qu’éducatives, le secteur de la santé doit-il – en dehors d’un appui technique dans l’examen – apporter son soutien à une politique répressive? Il suffit de savoir que les traces de cannabis (encore ce produit!) détectées chez un sportif sont punissables (détection égale sanction et dénonciation au parquet). Le consommateur d’un produit pourtant non dopant (le moins qu’on puisse dire est que le cannabis n’améliore pas les prestations sportives…), se trouve ainsi rattrapé par le système répressif. N’est-ce pas une façon détournée des partisans des interdictions vis-à-vis de certains comportements sociaux d’imposer via des mesures de santé un contrôle de la société?

La norme de poids comme facteur de stigmatisation

Nos habitudes alimentaires sont intimement liées à notre mode de vie familial et s’acquièrent dès le plus jeune âge. Qu’une prévention en ce domaine soit justifiée ne paraît pas déraisonnable, vu l’impact de l’alimentation sur la santé. Ce constat de la nécessité d’une prévention ne devrait pourtant pas entraîner automatiquement la prise de mesures qui ne prennent pas en compte les facteurs de l’environnement familial et culturel liés à l’alimentation.
La prévention de la surcharge pondérale et tout ce que cela entraîne comme discours vis-à-vis des gros est un facteur de stigmatisation et d’exclusion des individus concernés; pour ce qui est des jeunes à l’école, il risque, en outre, d’être vécu comme un reproche vis-à-vis des parents, incapables de nourrir convenablement leurs enfants. Tout cela sans grand profit pour la santé publique…

L’injustice est intolérable

La santé est un reflet de la société. Comme la culture, l’éducation, etc. Mais elle n’est pas chargée de maintenir à tout prix la société telle quelle… Elle peut aussi être un facteur d’évolution, de mobilisation, de changement, insistant sur les situations inacceptables de la société, les injustices sociales, et ne pas mettre un pansement occlusif sur une plaie purulente, pour la cacher le plus longtemps possible.
Il semble plus aisé pour une société, dans n’importe quel contexte, économique, social, éducatif, d’emploi et de santé, de faire abstraction de certaines réalités qui remettraient en question ses propres modes de fonctionnement.
Dans notre société où la référence est une assurance tous risques, où la sécurité se confond avec le sécuritaire, il est de plus en plus courant que des mesures d’interdiction prennent le pas sur les démarches participatives, de responsabilisation et d’autonomie.
Les modes d’alimentation, les consommations (tabac, alcool, drogues, médicaments, jeux), etc. relèvent en partie de choix (goût du risque, plaisir) mais sont aussi des dérivatifs, des modes d’expression et de cristallisation d’un malaise profond. Comment ne pas comprendre que les conditions socio-économiques, que l’exclusion des plus défavorisés, que le rejet des groupes culturellement autres sont des éléments primordiaux dans certains comportements que d’aucuns considèrent de plus en plus comme intolérables (on parle si souvent de tolérance zéro!)?
Il convient d’être, à mon avis, des plus réservés et méfiants vis-à-vis de toute mesure d’autorité. La société – ou ses représentants – se sentent rapidement chargés d’une mission plus dirigiste, interventionniste, au nom du bien public, pour le bien de l’individu, pour venir au secours de la sécurité sociale…

Le marché doit être régulé

Là où un rôle d’autorité s’impose, c’est certainement dans la prise de mesures adéquates dans la mise sur le marché de biens de consommation; il est en effet impossible pour chaque individu de connaître et de suivre lui-même ce marché. Les étiquetages par exemple peuvent nous aider mais ils creusent également l’écart entre riches et pauvres. Il convient de lutter contre la vaste tromperie ambiante, depuis les vendeurs de saloperies (tabac) jusqu’au marketing cynique de la ‘vie saine’, promulguant sans honte de nouvelles vérités sur la santé, engrangeant des profits démesurés pour un secteur aux mains de quelques multinationales, agro-alimentaires, avec maintenant en plus la complicité des compagnies d’assurance.
La reconnaissance de ce pouvoir et de cette tromperie est importante pour permettre de resituer la place de l’individu et des communautés dans le rôle qu’ils détiennent pour manifester leur avis et leur opposition à ce système; ce que d’aucuns nomment notre pouvoir d’agir. S’inscrire dans des démarches de citoyenneté, de co-responsabilité et de co-décision.
Si le comportement de l’autre peut nous paraître inacceptable, bien plus inadmissible devrait être notre approbation tacite de l’injustice socioculturelle, de la différence dans les acquis et les conditions de vie… qui apparaissent bien plus essentielles comme facteurs prédictifs de qualité et de durée de vie que bon nombre de facteurs de risque et qui expliquent très facilement ces comportements inadéquats.
L’évidence de santé publique et le principe de précaution dans une société encline à se pelotonner dans la sécurité maximale ne sont pas nécessairement des éléments de réponse à l’injustice sociale. La santé devrait toujours se positionner clairement, évitant d’une part de servir d’alibi à certaines prises de décision contraires à son objectif, et d’autre part de renforcer la prise de mesures sécuritaires ou d’être un élément favorisant l’intolérance.
Roger Lonfils , Directeur de la Promotion de la santé au Ministère de la Communauté française (2).
Adresse de l’auteur: DG Santé Communauté française, Bd Léopold II 44, 1080 Bruxelles. Courriel: roger.lonfils@cfwb.be
Ce texte est une version légèrement remaniée d’un article préalablement publié dans La plume du coq , publication trimestrielle du Ministère de la Communauté française (n° 62, décembre 2005), reproduit avec son aimable autorisation.

(1) Cette notion de vulnérabilité est ici préférée à d’autres comme défavorisé, précarisé. Chacun choisira…
(2) Ce texte n’est pas l’expression d’une position de la Direction générale de la santé; il traduit l’opinion personnelle de son auteur.

Participation et pratiques communautaires en santé: quelles questions se posent les acteurs de terrain?

Le 30 Déc 20

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Participation et pratiques communautaires en santé: où en sommes-nous? L’Institut Renaudot (1) se penche sur la question et souhaite mettre en discussion sa conception de la participation avec celle des acteurs impliqués dans les démarches communautaires en santé pour déconstruire et reconstruire collectivement ce concept.
Les 9 et 10 juin 2006, l’Institut Théophraste Renaudot (ITR), organisera ses 4èmes Rencontres sur le thème de la «participation». Son souhait est de construire ces Rencontres au départ des questions que se posent les acteurs de terrains. Les objectifs fixés au travers de cet événement sont:
-d’observer les réalités et comprendre les enjeux que recouvre le concept de participation en santé;
-de discuter des attentes qu’ont, en matière de participation, les acteurs intéressés ou impliqués par la santé communautaire;
-de repérer les leviers et les freins à la participation;
-de débattre des évolutions attendues en matière de participation dans les actions communautaires;
-de dégager des propositions pour aider à conforter la participation en santé.
Pour la construction de ces Rencontres, l’ITR a souhaité mettre en application le concept de participation en impliquant des acteurs de terrain (Ile de France, Lyon, Mulhouse, Nord-Pas-de-Calais et Belgique), lors des différentes étapes de préparation.
Sur le territoire de la Communauté française de Belgique, l’asbl SACOPAR (Santé, Communauté, Participation), qui collabore depuis plusieurs années aux travaux de l’ITR, a proposé de participer à la préparation de ces Rencontres. Elle a ainsi rencontré des acteurs de terrain, synthétisé et transmis leurs réflexions, et participe maintenant activement au comité scientifique, chargé de l’organisation de l’événement.
Cet article a pour objectif de présenter une synthèse des rencontres organisées en Communauté française (quelles sont les questions que se posent les acteurs de terrain sur le concept de «participation»?) et la manière dont les acteurs continuent d’être impliqués dans l’organisation de ces Rencontres.

Méthode de consultation

Les éléments qui suivent ont été recueillis sur base de deux groupes focalisés qui ont réuni 7 et 3 personnes et sur base de questionnaires remplis par 10 personnes. Le guide d’entretien (pour les groupes focalisés) et un questionnaire type, élaborés par l’ITR, ont été utilisés sur l’ensemble des territoires couverts, afin de garantir une certaine cohérence et de faciliter le travail de synthèse des données recueillies.
Les acteurs interrogés (2) étaient issus de différents secteurs: la santé communautaire mais également l’éducation à l’environnement, l’intégration des personnes d’origine étrangère, les organisations de jeunesse, l’éducation permanente… Ce choix a ainsi permis de croiser les questions que pose une même démarche (la participation) auprès d’intervenants de secteurs différents, impliqués dans des processus participatifs.

Résultats

L’ensemble des informations recueillies a permis de regrouper les interrogations des acteurs en trois catégories: l’implantation d’une démarche participative, le sens de celle-ci et ses aspects éthiques.

Questions en lien avec l’implantation d’une démarche participative

En ce qui concerne l’implantation d’une démarche participative, beaucoup de questions se rapportent à la mobilisation , qui doit être comprise comme une implication personnelle s’inscrivant dans la durée:
-comment faire pour mobiliser?
-à partir de quand peut-on réellement parler de participation: définition, concepts…?
-y a-t-il des méthodes différentes en fonction des publics: jeunes, adultes, personnes d’origine étrangère… et en fonction de l’âge de ces publics?
-comment assurer la participation des usagers à la définition des programmes?
-comment évaluer l’impact d’une action participative sur un public donné qui a participé à sa mise en œuvre? Qu’est-ce qui peut permettre d’observer ces effets-là?
-comment maintenir une dynamique participative citoyenne sur une durée moyenne de 3 ans?
D’autres questions concernent la forme que peut prendre la participation:
-la participation doit-elle être formelle ou informelle?
quelle doit être la place de l’aspect ludique dans la démarche?
Beaucoup de questions en lien avec la communication sont également formulées:
-comment restituer à une population la synthèse des données recueillies auprès d’elle?
-comment bien faire circuler l’information? Faut-il des outils adaptés aux publics?
Enfin, d’autres questions, d’ordre méthodologique, concernent la gestion du groupe participatif et de ses demandes:
-comment faire émerger les attentes et besoins d’une population qui n’a pas l’habitude de s’exprimer comme les professionnels l’entendent (habitudes intellectuelles, niveaux de discours différents)?
-que faire ensuite avec les attentes et besoins exprimés?
-comment articuler un diagnostic participatif avec une programmation stratégique (mise en place d’actions permettant de répondre aux attentes exprimées, avec une implication permanente des usagers)?

Questions en lien avec le sens de la démarche

Les acteurs de terrain, au-delà des questions pratiques de mise en place de processus participatif, s’interrogent sur le sens de cette démarche:
-dans le contexte actuel prônant davantage les attitudes individualistes, comment l’action communautaire peut-elle favoriser l’émergence d’actions collectives ayant une certaine continuité?
-comment et pourquoi faire le passage de la participation dans un groupe à une participation plus «politique» visant le changement social?
-si je suis un opérateur privé, quelle place est-ce que je peux occuper, surtout par rapport aux pouvoirs publics? Que dois-je faire pour mobiliser également le monde politique (cogestion de la démarche participative)?
-qu’est-ce qui motive la participation des gens: des questions d’intérêt collectif ou personnel?
-quels sont les enjeux de la participation en fonction du niveau où je me situe: population, élus ou professionnels?

Questions en lien avec les aspects éthiques

La participation pose également des questions éthiques aux acteurs de terrain:
-les gens souhaitent-ils vraiment participer ou est-ce une lubie des professionnels en santé communautaire?
-les professionnels ne peuvent-ils exprimer eux-mêmes les besoins des habitants puisqu’ils entendent ce que ceux-ci disent?
-les démarches participatives ne risquent-elles pas parfois de faire en sorte que les habitants soient «instrumentalisés» par les politiques ou par les chargés de projets? N’existe t-il pas une forme de participation citoyenne spontanée qu’il serait alors utile de renforcer et d’outiller?
-comment gérer le paradoxe de la participation (idéalement spontanée) lorsque celle-ci est suggérée par les pouvoirs subsidiants (à la limite de l’imposition)?

Les Rencontres de l’Institut Renaudot: quels souhaits…

Les acteurs de terrain expriment tout d’abord un besoin d’échanger sur différents sujets:
-découvrir des projets où la participation des personnes est perçue dès le départ (penser le projet et le co-construire);
-découvrir des expériences en termes de projets aboutis, de diagnostics, de restitution d’évaluation… Entendre l’analyse d’expériences réussies et ratées;
-découvrir des outils, des réflexions sur les nouvelles formes de participation;
-échanger sur des méthodologies ou expériences conduisant à l’autonomisation des groupes (notamment dans le cadre d’activités conviviales et festives qui permettent de développer et de maintenir la cohésion du groupe mais qui sont également dévoreuses de temps);
-découvrir des projets qui développent l’estime de soi des individus par des actions collectives;
-découvrir comment créer des espaces de discussion dans lesquels la participation permet de trouver un équilibre entre d’une part la délégation de pouvoir (qui peut donner aux habitants le sentiment de pouvoir se décharger) et d’autre part le poids du discours des experts (qui remplace la parole des gens);
-découvrir quelle est la valeur ajoutée de la participation.

…et quelles attentes pour ces Rencontres?

Repartir avec des recommandations du type «pour avoir une participation effective, il faut….».
Avoir pu identifier les besoins minimum à mettre en place (ex.: quelles personnes mobiliser, quel encadrement mettre en place, quel moment choisir?…).
Trouver un espace de réflexion où les questionnements et problèmes rencontrés par les uns pourront déboucher sur des pistes de solutions voire des solutions au travers de l’expérience, des outils et de la méthodologie des autres, et où il sera possible de confronter les concepts et perceptions de chacun afin de faire évoluer les projets.
Repartir avec des contacts , des possibilités de collaboration, des pistes d’actions futures.

Co-construction des Rencontres

Analyse globale

Après ce travail de recueil de données, une synthèse a été transmise à l’ITR pour être intégrée dans une analyse globale, incluant les attentes et besoins exprimés par les acteurs de terrain des autres territoires couverts. Il est frappant de constater une grande similitude dans les préoccupations de chacun, quel que soit le territoire et le secteur d’activité. Les questions fondamentales que pose le concept de «participation», s’avèrent transversales à l’ensemble des secteurs interrogés.

Comité scientifique

Ensuite, pour continuer le travail de préparation des Rencontres au travers d’un processus participatif, l’ITR a constitué un Comité scientifique qui regroupe des experts des démarches de santé communautaire et des représentants des différents territoires ayant participé au recueil des attentes et besoins des acteurs de terrain.
Ses missions sont:
-aider à élaborer un contenu cohérent avec les attentes des acteurs et la volonté de l’ITR;
-être ressource pour intervenir, rechercher des intervenants et mobiliser les réseaux associatifs et institutionnels;
-aider à élaborer une démarche pédagogique pertinente.
Les membres de ce comité sont également chargés, par des allers-retours, d’alimenter la préparation des Rencontres avec les réactions et suggestions formulées par les acteurs locaux. Sur la Communauté française, un groupe d’une quinzaine d’associations se rencontre ainsi entre chaque réunion du Comité scientifique pour faire des propositions qui sont ensuite présentées lors de la réunion suivante.
Dans un prochain article, nous présenterons la suite de l’organisation des 4èmes Rencontres de l’Institut Renaudot.
Martine Bantuelle (SACOPAR), Bruno Vankelegom (SACOPAR), Philippe Mouyart (CLPS de Charleroi-Thuin)
Pour plus d’information sur cet événement, vous pouvez contacter l’asbl Santé, Communauté, Participation, Boulevard du Midi 25/5, 1000Bruxelles. Tel: 02 514 40 14 ou 071 30 14 48. Fax: 02 514 40 04 ou 071 31 82.11. Courriel: info@sacopar.be
(1) Fondé en 1982, l’Institut Théophraste Renaudot a pour objectif principal de contribuer à la promotion de la santé, notamment au travers des pratiques communautaires. Adresse: 40 rue de Malte, 75011, Paris. Tél/fax: 00 33 (0)1 48 06 67 32. Site internet: https://renaudot.free.fr
(2) Maison Pour Associations (Charleroi), Centre Régional d’Intégration (Charleroi), Boutique Ener’J (Charleroi), Carolo Prévention Santé (Charleroi), Centre Local de Promotion de la Santé (Charleroi), Service de cohésion sociale et accueil extra scolaire de l’administration communale de Forest, Espace environnement (Charleroi), Infor Santé/Mutualité Chrétienne (Anderlues), ULB-IGEAT/Unité de Développement Territorial et Local, Femmes Prévoyantes Socialistes (Charleroi), Mouvement des Jeunes Travailleurs (Charleroi), Espace citoyen du CPAS de Charleroi (Dampremy), Les Pissenlits (Bruxelles), Intergroupe Liégeois des Maisons Médicales, Le Méridien (Bruxelles), Entr’Aide des Marolles (Bruxelles).

L’accès à la contraception

Le 30 Déc 20

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Faut-il le rappeler? L’accès à la contraception est une question de santé publique. C’est aussi évidemment une question de démocratie et un chemin nécessaire vers l’égalité hommes-femmes. Pouvoir mener une vie sexuelle libre et responsable, pouvoir choisir d’avoir ou non un enfant. Il s’agit d’un droit gagné par les femmes il n’y a pas si longtemps.
Et même si on pourrait croire que tout est acquis en matière de contraception, c’est loin d’être le cas et les enjeux en la matière restent pleinement d’actualité. Non tout n’est pas gagné!
Trois facteurs apparaissent déterminants.
L’information : diffuser de manière large et au grand public une information simple et concrète sur la contraception: c’est l’objet des deux brochures que la Fédération laïque de centres de planning familial (FLCPF) vient de sortir (voir plus bas).
La sensibilisation : la contraception n’est pas uniquement une question de méthode, elle prend place au sein d’une (ou de) relation(s) sexuelle(s) et affective(s). Dès lors, pouvoir informer, sensibiliser et accompagner les questionnements de chacun et chacune, sur l’ensemble des aspects qui relèvent de la vie sexuelle et affective, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, paraît essentiel (question du respect, de l’identité sexuelle, du genre…).
Les centres de planning familial sont certes spécialistes de ces questions, mais il est indispensable d’élargir l’éducation à la vie affective et sexuelle (EVAS) à l’ensemble de la société, y compris au milieu scolaire, en collaboration avec les centres PMS et PSE. Il y a là des responsabilités politiques importantes: quelle place les pouvoirs publics sont-il prêts à donner à l’EVAS à l’école? Sur quel types d’acteurs veulent-ils s’appuyer? Comment reconnaître davantage l’expertise et les compétences spécifiques des centres de planning familial? Quel projet de société voulons-nous ou veulent-ils défendre?
D’autres acteurs incontournables sont, bien entendu, les médecins généralistes. Ce sont les plus grands prescripteurs de contraceptifs, et ils sont par ailleurs des relais potentiels importants en matière d’éducation à la vie sexuelle et affective.
L’accessibilité financière : on ne peut parler d’accès à la contraception sans parler du coût qu’elle représente pour ses utilisateurs. Dans une société où une frange grandissante de la population se paupérise d’année en année, il s’agit là d’un réel frein. La mesure ’Demotte’ qui permet une forte réduction sur le prix des pilules pour les jeunes de moins de 21 ans est intéressante et évidemment à soutenir. Mais dans la réalité c’est encore vraiment insuffisant.
Nous en appelons à ce que les responsables politiques se penchent rapidement sur la situation particulièrement difficile en la matière des plus démuni(e)s de notre société. Si la contraception contribue à l’égalité entre les hommes et les femmes, à l’inverse, la pauvreté qui met en difficulté l’accès financier à la contraception pénalise bien plus fortement les femmes.

Quelle information?

Rappelons d’emblée que la publicité sur la contraception n’est autorisée en Belgique que depuis une trentaine d’années. En 1973, l’affaire Peers (du nom du médecin emprisonné pour pratique de l’avortement) suscite l’émoi de l’opinion publique et provoque l’abrogation de la loi de 1923 interdisant la publicité sur la contraception.
Des années auparavant déjà, des militants – médecins, enseignants, travailleurs sociaux, juristes, d’autres encore – se sont réunis pour confronter leurs idées et agir en créant des centres de planning familial. Le but initial était d’informer les femmes et les couples sur les méthodes disponibles pour limiter et espacer les naissances. Les progrès scientifiques et techniques combinés à l’évolution des mœurs et à la libéralisation sexuelle ont influencé le développement des centres de planning familial qui sont devenus de réels espaces interdisciplinaires offrant écoute, information et accès réel à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.
La contraception semble aujourd’hui être totalement entrée dans les mœurs et dans les habitudes des femmes et des couples. On peut penser également qu’à l’heure des médias omniprésents et du développement d’Internet, une information grand public traditionnelle n’est plus nécessaire. Le travail sur le terrain et les recommandations de différentes commissions d’experts nous prouvent le contraire.
Ainsi les professionnels des centres rencontrent encore fréquemment des personnes ignorantes du fonctionnement de leur corps et qui, même si elles ont connaissance de l’existence de moyens permettant d’éviter une grossesse non désirée, n’ont pas intégré leur accès et leur utilisation.
Le rapport d’un Groupe de travail interministériel « Contraception chez les jeunes » (1) en 2001 recommandait l’édition de brochures d’information sur la contraception et la fécondité. Il suggérait également une large diffusion de ces documents auprès des centres de planning familial, des pharmacies, des médecins généralistes, des médecins scolaires, des écoles et des organisations de jeunesse.
Tous les deux ans, le rapport de la Commission d’évaluation de la loi sur l’interruption de grossesse (2) insiste également sur une meilleure information continue du public quant aux moyens de contraception performants.
La FLCPF met à la disposition du public depuis plus de 20 ans un centre de documentation et d’information sur la vie affective et sexuelle: le CEDIF. Dans le cadre de sa mission d’éducation permanente, le CEDIF propose aux professionnels des outils pour leur travail de prévention, et aux citoyens une information pertinente et fiable.
Les deux publications présentées ici sont toutes deux destinées au grand public dans le but de permettre aux femmes et aux couples un choix informé et responsable.
Les méthodes contraceptives offre un aperçu des différentes méthodes disponibles et La pilule contraceptive répond aux questions le plus fréquemment posées sur cette méthode. Elles ont été réalisées avec le soutien du Ministère de la Santé de la Région wallonne et du Service Education permanente de la Communauté française et elles sont disponibles gratuitement au CEDIF (3).
Le soutien des pouvoirs publics à ce type de publications est essentiel au moment où ne sont plus disponibles dans ce domaine que des informations émanant de firmes pharmaceutiques!

Quelle accessibilité financière?

Depuis le 1er janvier 2003, l’application d’une convention INAMI a permis de rendre l’IVG et son accompagnement pratiquement gratuit pour les personnes bénéficiant d’une couverture sociale. Cela permet à une majorité de femmes de choisir à l’abri de toute contrainte financière.
Par contre, ces dernières années, l’accessibilité à la contraception, à l’exception de la mesure concernant les jeunes filles de moins de 21 ans, a peu progressé. Même si l’offre de méthodes contraceptives s’est élargie, paradoxalement, l’accessibilité financière, elle, s’est dégradée.
En effet, les contraceptifs les plus récents sont chers et ne sont pas remboursés. La contraception reste du domaine du médicament de confort alors que, pour une partie grandissante de la population, le prix est et restera un frein.
Fin de l’année dernière, les firmes pharmaceutiques, au mépris des impératifs de santé publique, avaient demandé unilatéralement la sortie du système de remboursement de la plupart des pilules contraceptives encore soumises à celui-ci. Sous la pression de l’opinion publique et de différents acteurs de terrain, elles ont finalement réintroduit une demande de remboursement.
Cette affaire démontre la fragilité du système qui devrait permettre à chacun d’avoir accès à des solutions contraceptives à un prix abordable.
Ayant pour seul objectif de maximiser leur profit, ces firmes font peu de cas des priorités des femmes pour lesquelles la contraception et la planification des naissances est un gage d’épanouissement, personnel, social, professionnel, sans parler des bénéfices en terme de santé, physique et mentale.
La FLCPF réaffirme son soutien à toutes décisions politiques qui viseraient à limiter l’ingérence de firmes privées dans ce qui doit rester un choix de société, et à toute initiative qui favorisera l’accès à des méthodes contraceptives financièrement acceptables.

Généralistes et contraception

Oui, la médecine générale est intéressée par ce qui peut soutenir son action quotidienne d’information des patients dans tous les domaines qui font la qualité de la vie, et donc en particulier, le domaine affectif, relationnel et sexuel. Tous nos contacts thérapeutiques sont irrémédiablement traversés par cette composante relationnelle, malheureusement encore trop peu reconnue et gérée avec compétence parce que trop peu enseignée. Ce qui se passe pour les médecins est d’ailleurs à l’image de ce qui se passe dans la société en général… J’en veux pour preuve la pauvreté de l’enseignement dans les écoles secondaires dans ce domaine, tant sur le plan médical, physique que sur le plan de l’éthique relationnelle… Phénomène déjà dénoncé il y a 20 ans ou plus!
Comme si aucun problème n’existait…ou lorsque le problème est reconnu, il n’est pas identifié comme un réel problème de société devant être géré collectivement.
La porte du cabinet de médecine générale est la première que l’on pousse, la plus accessible, la plus proche de chez soi. Le médecin généraliste est celui qu’on a connu au moment des premières otites, des premiers vaccins, des soucis d’adolescence. Ce rapport privilégié est un atout pour aborder avec l’adolescent les sujets sensibles que sont le rapport au corps, à la sexualité, le rapport à l’autre qui pourra devenir partenaire dans une relation sexuée et sexuelle.
Mais ce rapport privilégié peut aussi devenir un obstacle, suscitant la peur du jugement, la peur d’une éventuelle rupture de la confidentialité par rapport aux parents parce que le médecin généraliste est aussi le médecin de toute la famille.
Les jeunes choisissent de consulter en centre de planning familial, espérant y trouver une approche plus libre que celle pressentie chez le médecin de famille, une confidentialité absolue et parfois plus de compétences dans ce domaine particulier.
Ils n’ont pas tort. En effet, les généralistes en médecine de première ligne souffrent d’un manque récurrent de temps (les honoraires rétribuent singulièrement mal le temps consacré aux questions sensibles et délicates, à la prévention). De plus, leur formation universitaire et continuée s’est relativement peu penchée sur la question de l’éducation sexuelle et affective et sur les difficultés que rencontrent les jeunes à vivre la liberté que la contraception leur permet mais que les maladies sexuellement transmissibles leur confisquent. Cette éducation sexuelle qui devrait pouvoir interpeller les jeunes et leur permettre de vivre mieux leur sexualité, en restaurant les deux corollaires indissociables à la liberté: la responsabilité et la solidarité.
En tant que médecins de terrain, nous assistons, inquiets, aux conséquences parfois dramatiques de comportements qui font fi d’une de ces trois valeurs: ces conséquences sont, entre autres, les grossesses non désirées et les difficultés à les assumer, les MST avec leurs conséquences à long terme, parfois dramatiques.
Une violence latente, larvée ou exprimée s’installe dans les relations interpersonnelles, avec des conséquences personnelles et collectives. Violence qui nous interpelle aussi parce qu’elle émane parfois de la marchandisation de la liberté que les jeunes vivent: l’envahissement de leur environnement par la pornographie en est l’expression la plus spectaculaire.
En tant que médecins généralistes, nous sommes consultés par les jeunes filles et les femmes pour les contrôles gynécologiques, à l’occasion de prescriptions de contraceptifs ou à l’occasion de plaintes (problèmes infectieux par exemple).
Par contre, nous sommes très peu consultés, proportionnellement, par les jeunes hommes. Leurs préoccupations sont peu préventives, ils consultent quand un problème se pose: infections, troubles d’érection… La prévention, et même le curatif quand les symptômes ne sont pas visibles, sont difficiles à faire passer chez de nombreux hommes.
Une attention particulière devrait aussi être accordée aux jeunes hommes immigrés, confrontés à une société d’accueil qui vit la liberté sexuelle sans trop bien la gérer et parfois très éloignée de leurs repères culturels.
Quelle collaboration envisager entre la médecine générale et la FLCPF? Pourquoi s’adresser aux représentants syndicaux de la médecine générale? En tant que syndicat, nous avons inlassablement tenté de situer le rôle du généraliste au centre de l’organisation des soins de santé. Ce thème-ci n’y échappe pas. Il nous semble indispensable que la Fédération puisse jeter des ponts vers les centres universitaires de médecine générale (CUMG) et vers la société scientifique de médecine générale (SSMG) pour collaborer à l’élaboration de la formation des soignants dans ce domaine: comment expliquer pourquoi la prévention des maladies cardio-vasculaires a acquis ses lettres de noblesse en médecine générale et si peu la prévention des difficultés liées aux rencontres interpersonnelles, particulièrement à travers la sexualité?
Il nous semble intéressant de favoriser le rôle plus collectif de la Fédération: publications, supports éducatifs, supports informatifs… Par exemple, il serait intéressant de réaliser des brochures destinées spécifiquement aux garçons et aux hommes, sur les méthodes contraceptives, les MST, les problèmes d’impuissance… pour ne pas confiner l’information aux femmes.
Je ne peux qu’encourager la FLCPF à frapper inlassablement aux portes de nos représentants démocratiques pour qu’ils implantent d’urgence, en milieu scolaire, des cours d’éducation sexuelle et affective au travers des différentes disciplines enseignées. Sujet majeur dans le développement des jeunes, qui ne doit pas rester entre les seules mains des médecins et des psychologues.
Anne Gillet-Verhaegen , vice-présidente du Groupement Belge des Omnipraticiens (GBO)

FLCPF, rue de la Tulipe 34, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 502 82 03. Fax: 02 502 68 00. Courriel: flcpf@planningfamilial.net. Internet: https://www.planningfamilial.net .
D’après un dossier de presse de la FLCPF
Ministère fédéral des Affaires sociales, de la Santé publique et de l’Environnement. Conférence interministérielle Santé publique – Groupe de travail interministériel « Contraception chez les jeunes ». Bruxelles, 11 décembre 2001, (16p.).
Commission nationale d’évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption de grossesse. Rapport à l’attention du Parlement 1 janvier 2002-31 décembre 2003. Bruxelles, août 2004, 64p.
Les frais d’envoi éventuels sont à charge du destinataire.

La promotion de la santé et les acteurs loco-régionaux: enseignements d’un colloque

Le 30 Déc 20

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Le hiatus entre les acquis scientifiques et leur traduction concrète en amélioration de la qualité de vie des gens est bien connu. Il suffit de rappeler les problématiques du tabac, de l’alimentation déséquilibrée, de la sédentarité, du cancer du sein, voire dans certaines parties du monde de l’accès à la vaccination ou même à l’eau potable pour mesurer l’ampleur du déficit d’appropriation sociale des acquis en promotion de la santé. Et l’on sait que le degré et la vitesse d’appropriation sont très largement dépendants du statut social et économique des bénéficiaires potentiels et de leur degré d’insertion dans des réseaux sociaux.
La question est d’importance: comment faire bénéficier le plus grand nombre des progrès de nos connaissances et de nos pratiques en matière de prévention et de promotion de la santé? L’enjeu de la diffusion et de l’implantation des acquis préventifs peut faire l’objet de recherche et de discussion suivant différentes perspectives: thématique, sociologique, économique, politique, éthique et bien sûr aussi dans le cadre plus classique d’une évaluation globale des interventions de santé publique et de promotion de la santé.
L’angle d’attaque choisi pour les colloques d’Amiens et de Québec est spécifique. Il s’agit d’examiner les atouts dont disposent les acteurs locaux et régionaux pour faire progresser dans le vécu des populations, les apports potentiels de la prévention et de la promotion de la santé, dans une perspective de développement du bien-être individuel et collectif.
Plus fondamentalement, il s’agit de définir au mieux les responsabilités et les pratiques des acteurs intermédiaires entre la population, dont ils sont proches, et le niveau central, porteur désigné de savoirs, de recommandations, d’orientations politiques et dans une large mesure, du porte-monnaie commun.
La richesse des échanges qui a marqué le colloque montre que, pour particulière qu’elle est, l’approche loco-régionale n’en suscite pas moins un intérêt croissant, parmi les opérateurs professionnels de terrain, les administrateurs de santé publique, le monde académique et dans une certaine mesure les représentants de la société civile. Notons que l’on retrouve cet intérêt pour le loco-régional dans d’autres secteurs comme celui de la culture, du développement économique, des médias et de l’organisation de la démocratie représentative ou de la participation. L’objectif de cet article est de faire le point sur les enjeux liés à l’intégration de la promotion de la santé et de la prévention dans les programmes locaux et régionaux de santé, à la lumière de l’ensemble des discussions qui se sont tenues dans le cadre du Colloque de Québec.
Cette synthèse repose principalement sur le travail des rapporteurs et présidents d’ateliers actifs au cours de toutes les séances de présentation orale. Ainsi chaque séance a fait l’objet d’un bref rapport qui, selon le format proposé par le comité scientifique, soulignait les acquis, les défis à relever et les questions qui demeurent encore en quête de réponse et interpellent la recherche. De plus, les participants à la discussion plénière de synthèse ont débattu un certain nombre d’idées maîtresses et transversales à l’ensemble des thèmes, idées que nous avons reprises comme architecture de ce bilan.

Le réseau, un outil qui a la cote

Dans presque tous les ateliers et séances de présentations on a abordé, d’une façon ou d’une autre, le travail en réseau. Interdisciplinaire, entre professionnels de santé ou entre professionnels tout court, multisectoriel touchant plusieurs secteurs de la société, passerelle entre le monde associatif et l’univers professionnel et institutionnel, entre le préventif, le curatif et la réhabilitation, local, très local même (par exemple, dans le centre de grandes villes), régional, interrégional, dans un même pays ou entre régions de différents pays, le réseau est devenu outil de référence pour l’action de santé loco-régionale.
Outil, pas panacée. L’accumulation d’expériences et d’avancées, de déceptions et d’échecs aussi, permet de dégager, avec pragmatisme, les facteurs favorisant une bonne production des réseaux. Clarté des objectifs communs et des engagements de chaque partenaire, relation de confiance (et multisectorialité faisant, on avance parfois en terrain inconnu), convivialité, respect des mandats de base des institutions ou groupes participants semblent être les maîtres-mots d’une recette de bon fonctionnement d’un réseau. Recette qui n’existe pas d’ailleurs. Chaque réseau est tissé dans un contexte institutionnel et social particulier et s’active pour une finalité définie dans ce contexte. Cette flexibilité de l’outil explique peut-être son succès auprès d’opérateurs soucieux de coller aux réalités de leur terrain local et obligés, dans bien des cas, d’être très imaginatifs sur le plan de la mobilisation des ressources. A ce niveau, on reconnaît au réseau la capacité de générer des plus-values mais au prix d’un investissement pour la gestion même des partenariats et la coordination des actions. Et se pose donc la question de la pérennisation de ce pot commun gestionnaire/animateur et par delà, celle du réseau lui-même.
Quelle durée de vie pour un réseau, quelles transitions imaginer vers d’autres formes d’organisations, faut-il institutionnaliser la gestion des réseaux? Ces interrogations, parmi d’autres, apparaissent en filigrane des présentations de cas et les débats n’ont pas apporté de réponses définitives. Il a été souligné que les professionnels de terrain n’ont que très rarement la formation nécessaire pour susciter et maintenir de tels réseaux.
L’outil est prometteur certes; restent cependant des espaces de façonnage que beaucoup de participants au colloque semblent prêts à investir malgré le peu d’attention qu’apportent en général les systèmes de santé à la gestion au quotidien des réseaux.

Planification participative et démocratie sanitaire, des concepts émergents

Fin des années soixante-dix, l’acteur de santé local un peu débrouillard pouvait s’appuyer dans son travail balbutiant de programmation sur des guides de planification qui avaient le mérite de la simplicité à défaut de coller vraiment à la réalité. Allez de la situation A à la situation désirée B en prenant l’autoroute stratégique (pas de temps à perdre, il fallait arriver avant l’an 2000), décrite en deux, trois pages. Souvent, le porteur de projet ne se retrouvait pas vraiment dans la situation A et l’autoroute n’existait que sur la carte. Restait à rêver du point B.
La Charte d’Ottawa apprend alors à construire les chemins. L’acteur de terrain s’applique. Ses mains grattent péniblement le granit des problèmes de santé solidement ancrés dans la société. Les changements s’esquissent, lentement. On hésite à fixer des délais et des objectifs trop volontaristes. Où en est-on d’après les congressistes?
C’est le développement des formes de participation à l’exercice de planification qui a été placé au cœur des débats. Participation pour stimuler l’implication dans les programmes des bénéficiaires, ou à défaut et c’est fréquent, les organisations sensées les représenter. Participation aussi pour confronter les représentations des professionnels et celles de la population dans la définition des problèmes et les solutions à mettre en œuvre.
Manifestement, l’échelle locale et régionale se prête bien à l’exercice de participation par le biais de diverses techniques; conférences locales, focus group, ateliers d’écriture. En fait les expériences présentées au colloque couvrent un éventail assez impressionnant d’efforts locaux déployés pour susciter et encadrer la participation d’une diversité d’acteurs, et ce pour une très grande diversité de questions socio-sanitaires.
Les systèmes de santé s’ouvrent donc à cette délégation à la périphérie de responsabilités en planification participative, textes légaux à la clef. On observe aussi des marches arrières, en particulier en période de disette budgétaire, mais la résultante de ces mouvements oscillatoires va plutôt dans le sens de la décentralisation.
Plusieurs expériences confirment l’intérêt de disposer de données locales de santé pour conduire une planification participative. Le terrain souhaite acquérir les compétences pour interpréter et utiliser correctement les données dont il a besoin et qu’il contribue d’ailleurs à générer. La large diffusion de l’information (en dehors de circuits professionnels habituels) et les comparaisons avec d’autres régions, par rapport à la situation nationale sont perçues comme d’importants leviers de sensibilisation et de pré-mobilisation du public. L’outil cartographique s’avère précieux comme moyen de diffusion de l’information.
Ce mouvement de planification participative est cependant trop récent pour faire l’objet de présentations marquantes sur les résultats en termes de bénéfices santé. Les réflexions portent surtout sur les processus. L’approche participative conduit, selon certains témoignages, à accentuer le caractère global et sociétal des interventions. Toutefois, on relève avec réalisme les difficultés d’aboutir aux consensus opérationnels lorsqu’on travaille avec des partenaires aux références variées. Plusieurs citent l’existence des divergences parfois inconciliables quant à la finalité même des actions préventives, divergences en rapport avec les traditions, les cultures, les contextes socio-économiques de groupes de population.
Le rôle du professionnel de santé publique dans ce processus est donc questionné: animateur éclairant par ses savoirs spécifiques, mais ouvert aux autres savoirs? Garant méthodologique? Porteur de démocratie sanitaire (le concept tient à cœur, semble-t-il)? Organisateur de complémentarités?
Ici aussi les expériences de terrrain conduisent certains à mettre en garde les professionnels contre le danger potentiel de manipulation dans l’approche participative. Etre proche des gens pour mieux les contrôler; les transferts de petites parcelles de pouvoir ne remettent pas en cause les vrais rapports de force. Tels sont les arguments le plus souvent avancés. Dans les débats, il en est, dès lors, qui adoptent une position radicalement non interventionniste de peur d’être complice d’une entreprise de contrôle social. Attitude qui procure un certain confort moral mais qui escamote peut-être un peu trop les responsabilités d’une profession face au développement social et à l’équité par rapport à la santé. Le débat est à suivre.
D’aucuns appellent aussi à renforcer le concours d’autres disciplines dans la mise en place de la démocratie sanitaire locale. Les disciplines du social telle la sociologie, l’anthropologie, l’ethnologie et les sciences politiques ont développé des outils conceptuels et pratiques qui supportent la mise en œuvre et la gestion des partenariats qui fondent l’action loco-régionale. La traduction de ces outils pour en promouvoir l’utilisation pour soutenir l’établissement de démocraties sanitaires demeure encore un défi à relever.
De ce foisonnement, il ressort avec force qu’au niveau local et régional on sort résolument d’une vision statique et mécanique de la planification pour mettre en place des dialectiques participatives, complexes par définition mais probablement porteuses de changements à haute valeur sociale ajoutée en terme de démocratie et de qualité de la gestion publique. Logiquement, dans ce contexte d’expérience collective novatrice, l’évaluation, elle aussi participative, est nécessaire et des méthodes adaptées à ces nouvelles pratiques sont à mettre au point.

Les ressources

Sans surprise, la question des ressources se pose pour de nombreux intervenants. Il est vrai que d’une manière générale, les différents systèmes de santé représentés au colloque ne sont guère généreux ni pour l’action de promotion de la santé ni pour le financement en périphérie.
La demande du loco-régional est d’être pourvu de moyens à la hauteur de ses responsabilités, en particulier celles de l’action communautaire et de l’implantation concrète des programmes, grandes consommatrices d’énergie et de temps. La demande porte sur un niveau de ressources approprié, mais aussi et surtout, sur une stabilité de ces ressources. Des réformes de gestion trop fréquentes lorsqu’elles modifient de manière abrupte des financements minent les efforts de pérennisation de l’action locale.
La multisectorialité impose parfois une recherche de financement auprès de plusieurs bailleurs de fonds, ce qui multiplie la lourdeur administrative. Plusieurs avancent l’idée d’un guichet unique pour le financement de projets multisectoriels au niveau loco-régional. Le système d’appel d’offres à projets est quant à lui bien opérationnel. C’est le complément privilégié de la planification participative. Il donne le coup de pouce matériel aux groupes locaux pour mener à bien leurs interventions dans des axes prioritaires définis ensemble. C’est le niveau régional qui le plus souvent organise ce type de financement mais on le retrouve aussi à un niveau plus local. Des services d’aide à l’écriture de projets sont parfois proposés, ce qui permet aux opérateurs locaux de se familiariser dans la pratique aux principes de la planification de la santé avec un soutien matériel à la clé.

Un niveau central fort… mais différent

Assez paradoxalement, la périphérie plaide pour un niveau central bien organisé, compétent et outillé. Le paradoxe est vite levé parce que dans le même temps, on lui demande de changer, en partie du moins, de raison d’être dans le système. Il faut inverser les logiques. Ce n’est pas le local qui est une ‘ressource’ pour l’exécution de programmes d’origine centrale (refrain bien connu) mais au contraire le central qui doit devenir ressource pour aider le local dans son action communautaire. Cette aide passe, comme on l’a écrit plus haut, par une stabilisation de la donne budgétaire, mais aussi par un soutien qualitatif. Des référentiels de méthodes et documentaires, de la coordination, éventuellement du matériel de diffusion, de l’accompagnement, et aussi, des formes d’évaluation centrées sur l’amélioration des pratiques plutôt que sur les besoins d’imputabilité du niveau central sont autant de fonctions centrales souhaitées par le local. Dans les systèmes fortement décentralisés, ces responsabilités sont d’ailleurs assurées aussi par le niveau régional qui présente l’avantage d’une interface directe avec les intervenants de terrain.
Autre constat du colloque: un plan de santé conçu dans une perspective multisectorielle au niveau national favorise le travail multisectoriel local et inversement.

La recherche et la formation

Bien que des résultats de recherche aient alimenté nos discussions tout au long du colloque, c’est vraiment au cours de la séance de discussion plénière que ces deux questions ont été examinées. Le développement et la gestion des programmes sur une base loco-régionale requiert des compétences multidisciplinaires et des habiletés professionnelles de liaison qui ne font pas partie des cursus traditionnels des professions de la santé. Au problème déjà criant de l’adéquation des effectifs des personnels de santé publique aux niveaux local et régional, s’ajoute celui de leur formation. Il semble que l’ajout dans la formation de base des personnels de santé de modules ad hoc concernant le développement et la gestion de base de programmes locaux ne soit pas une solution.
L’intégration de la promotion et de la prévention dans les programmes locaux et régionaux de santé commande un ensemble de compétences qui prennent tout leur sens lorsqu’elles sont intégrées dans un cursus professionnel spécifique. Le besoin d’écoles de santé publique et de programmes de formation spécifiques a été souligné à cet égard.
Les immenses besoins de formation continue pour une main-d’œuvre à qui l’on demande continuellement de réinventer sa pratique ont aussi été soulignés, de même que le rôle clé des associations professionnelles de santé publique et des fédérations internationales pour combler ces besoins. En effet ces organisations professionnelles, qui sont souvent en position de créer des passerelles entre les différents niveaux de planification, sont très bien placées pour traduire les nouvelles réalités des programmes loco-régionaux en besoin de formation.
On l’a constaté tout au long du colloque, les besoins de recherche sont immenses et très variés. Les problèmes soulevés par la programmation loco-régionale en matière de prévention et promotion de la santé sont nouveaux en plus d’être nombreux. Le travail en partenariat pour la planification et la mise en œuvre des programmes commande des formes d’évaluations qui respectent ces partenariats. Le développement d’outils qui promeuvent une autonomie locale en matière d’évaluation semble un passage obligé pour réaliser un couplage efficace de la mise en œuvre et de l’évaluation des programmes. L’évaluation des programmes constitue une fonction critique pour renforcer l’intégration de la promotion et de la prévention.
Enfin, la nécessité d’établir des liens entre l’action locale et les préoccupations globales de développement durable a été soulevée. Sur une planète que les technologies d’information et de communication rend de plus en plus petite, il devient impératif de tisser des liens entre les différents «mondes locaux». Encore ici, la notion de réseau revient en force, mais à l’échelle planétaire cette fois. Les tensions, les mouvements et les forces de changement qui opèrent au niveau global ont des répercussions locales. La création de solidarités et de liens entre la multitude d’expériences locales semble être une avenue à explorer pour assurer davantage la survie des programmes à base loco-régionale. En ce sens la forte représentation de pays du Sud au colloque de Québec a ouvert la voie au développement de réseaux qui tissent des liens dans une diversité de réalités locales.

En guise de conclusion: les perspectives

Le colloque a croisé avec succès les débats sur l’implantation des programmes de prévention et de promotion de la santé et sur la définition du rôle des acteurs locaux et régionaux dans les systèmes de santé. Les expériences de terrain discutées lors de la rencontre ouvrent des perspectives d’échanges et d’approfondissements dans les champs de l’organisation des systèmes, de la recherche, de la formation et de l’éthique professionnelle. Les thèmes ouverts à la réflexion par les participants à partir de leur vécu professionnel gravitent autour de l’utilisation de données à l’échelle locale, des formes de participation de la population dans la mise en œuvre de programmes, des techniques d’évaluation, de la spécificité du travail en réseau et des attentes des opérateurs régionaux et locaux par rapport au niveau central et plus globalement par rapport à une nouvelle architecture des systèmes de santé.
Cette réflexion va certainement s’intensifier au travers des multiples réseaux interrégionaux et internationaux générés par la dynamique d’Amiens et de Québec. Rendez-vous donc au 3ème Colloque sur les programmes locaux et régionaux de santé pour faire le point.
Luc Berghmans , Observatoire de la Santé du Hainaut, et Louise Potvin , Médecine sociale et préventive, Université de Montréal
Adresse pour correspondance: Luc Berghmans, observatoire.sante@hainaut.be. Observatoire de la santé du Hainaut, rue St-Antoine 1, 7021 Havré.
Cet article a déjà été publié dans la Revue Promotion et Education, n° hors série 3, 2005, pp 68 – 71 de l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé (internet: https://www.iuhpe.org ). Il est reproduit avec son aimable autorisation.

Les programmes locaux et régionaux: impressions québécoises

Le 30 Déc 20

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Il y a un an, le 2e Colloque international sur les programmes locaux et régionaux de santé rassemblait, dans la très jolie ville de Québec, quelque 700 personnes venues de 46 pays. Tout ce petit monde s’est rassemblé autour d’environ 300 conférences et présentations. C’est dire la richesse des propos tenus… et la difficulté d’en faire une synthèse. Education Santé était sur place et a épinglé pour vous quelques éléments dignes d’intérêt.

Donner la parole au terrain

Un des grands objectifs du colloque était bien de donner la parole aux acteurs, qu’ils interviennent sur le plan local, le plan régional ou le plan national, qu’ils soient praticiens, chercheurs ou décideurs politiques.
Sur le terrain, les acteurs sont tous les jours confrontés à l’application des concepts théoriques et validés de la prévention et de la promotion de la santé. Or, force est de constater qu’un écart existe bien entre ce qui est connu et validé, et ce qui peut être mis en application, faute notamment de financements, mais pour d’autres raisons aussi.
Par ailleurs, des écarts peuvent également exister entre les différents niveaux d’action, du micro au macro, notamment parce que la perception du temps n’est pas la même: pour certains, la visibilité rapide est nécessaire; pour d’autres, l’action demande tout un temps de maturation.
En matière de santé, nous savons que les choix individuels sont déterminés par une foule de choses: à nous, acteurs de la prévention et de la promotion de la santé, à quelque niveau que ce soit, de rendre les choix des comportements de santé naturels, durables et conviviaux pour les gens.
Ce défi, que ce soit au Canada, en France, en Tunisie ou en Belgique, c’est-à-dire dans des contextes différents, tous, nous y sommes confrontés d’une manière ou d’une autre.
Faire le lien entre les différents niveaux d’action, mais aussi entre la recherche et les programmes concrets était bien l’un des enjeux du colloque. De même que créer un lieu où des personnes peuvent échanger et essayer d’avancer ensemble.

«Penser globalement, agir localement»

Le thème du colloque était «Renforcer l’intégration de la promotion et la prévention dans les systèmes de santé». Pour ce faire, Jacques Bury , membre du comité scientifique, nous a rappelé l’importance d’agir sur le local, c’est-à-dire là où ça marche, là où il y a le pouvoir et la volonté d’agir. De multiples exposés nous ont donné l’occasion de prendre connaissance d’expériences locales originales. Mais, cette action locale est à mener en pensant globalement, c’est-à-dire dans une perspective articulée, et sur base de données probantes qui nécessitent des méthodes d’évaluation pertinentes.
Le colloque a mis en évidence l’intérêt d’organiser les relations entre les niveaux local, régional, national et international. Il s’agit d’organiser des échanges dans les deux sens, à tous les niveaux, de formaliser des partenariats et d’apprendre à définir les rôles respectifs de chacun.
Pour avoir une meilleure décentralisation, il faut renforcer les compétences centrales. Le changement qui reste local tend à être éphémère. Et au niveau central, il ne faut pas vouloir organiser et contraindre le local mais proposer des engagements crédibles et des plates-formes d’échanges de méthodes, d’outils et de concertation. L’intersectorialité au palier central oblige au partenariat local et produit des innovations structurantes.
Pour une meilleure intégration de la prévention et de la promotion de la santé dans nos systèmes de santé publique, il s’agit donc bien de renforcer les réseaux horizontaux et verticaux.

«Ca réseaute»

Sans pouvoir assister à l’ensemble des exposés, l’intérêt d’un colloque tel que celui-là était sans aucun doute la possibilité qu’il offrait de rencontrer des personnes et associations très diverses ayant toutes des expériences de travail fort intéressantes. Dans les dialogues entamés à chaque table, on a pu assister à des échanges interrégionaux ou internationaux. Quand dans deux systèmes, on se met à travailler sur les mêmes objectifs, il est intéressant de pouvoir confronter ses méthodes de travail, ses modes d’évaluation, ses résultats et la manière dont se structurent les acteurs.
Et les participants ne se sont donc pas privés de «réseauter» selon le vocabulaire québécois. Ainsi en témoigne une chercheuse canadienne intéressée à la base par les actions auprès de personnes avec une déficience intellectuelle. Au fur et à mesure du colloque, elle s’est intéressée à d’autres pistes qu’elle a pu finalement mettre en relation avec ses centres d’intérêt: « J’ai beaucoup entendu parler de préoccupations qui touchaient à l’environnement , qui touchaient les dynamiques politiques . J’ai senti qu’il y avait des initiatives de mises en réseau et il me semble que c’est gagnant
Au cours de la table ronde finale, il a été mis en avant qu’apprendre à travailler en réseau était une nécessité pour travailler efficacement en promotion de la santé.
Mais nous sommes là face à un beau défi: développer ses capacités de gestion de réseau ne fait actuellement pas partie des formations existantes. Et il est difficile de l’enseigner car il s’agirait plus d’un art que d’une science. Le milieu des affaires, construit souvent sur du «réseautage», aurait-il quelque chose à nous apprendre? Le réseau est bien cette mise en relation des gens pour faire émerger des ressources. Creuser ce concept est une des pistes soulevées par le colloque, avec notamment l’articulation de deux visions du réseautage: le réseau orienté vers un but spécifique, ou le réseau entretenu pour mieux gérer nos relations.

Une présence très vivante de la Communauté française

Autant dans le nombre de participants que dans le nombre de présentations retenues, la Communauté française était bien représentée. Une quarantaine de Belges se sont retrouvés à Québec et une bonne vingtaine de présentations ont pu être faites. Luc Berghmans , directeur de l’Observatoire de la Santé du Hainaut et vice-président du comité scientifique du colloque, est heureux de le souligner: « J’ai participé à la sélection des communications qui s’est faite de manière assez rigoureuse . Un certain nombre de propositions ont malheureusement dû être refusées . Le fait d’avoir été accepté pour des présentations , c’est la preuve qu’il y a une certaine qualité d’expression de ce qui se fait sur les terrains locaux en Communauté française
L’apport de la Communauté française était donc assez impressionnant. Pour ceux qui ont eu l’occasion de présenter leur projet, comme Elise Malevé , du CLPS de Liège, « c’était surtout intéressant de se remettre les idées en place , de réfléchir par exemple à ce que le partenariat va apporter au projet , question que je n’avais pas pris le temps de me poser .» Chacun a ainsi pu se confronter aux questions et réactions de personnes évoluant dans toutes sortes de contextes.

Une chaleureuse ambiance québécoise

Le contact humain et la découverte conviviale étaient au centre de l’organisation: d’une disposition en tables rondes pour les conférences aux pauses santé, d’une soirée animée sous forme de souper-spectacle à un salon d’exposants très convivial, d’un cocktail de bienvenue par les organisateurs canadiens à un walking dinner «entre Belges» sur invitation de Pierre Ansay , Délégué Wallonie-Bruxelles à Québec, d’une visite du vieux Québec ô combien charmant à une excursion aux chutes de Montmorency ou à l’île d’Orléans, tout était mis en place pour vivre ces quelques jours dans une ambiance particulièrement agréable et propice aux échanges.
Il est un peu étonnant de devoir aller si loin pour finalement rencontrer beaucoup de compatriotes et nourrir avec eux des échanges très constructifs!

En route vers un prochain colloque

La Déclaration de Québec est claire: l’objectif est bien de tenir un 3e colloque international sur les programmes locaux et régionaux de santé, sur base des modèles développés à Amiens et à Québec. Gageons que celui-ci permettra autant de «réseautage», de participation active de la Communauté française de Belgique et de richesses entre des expériences de terrain et des réflexions théoriques. D’autres idées sont aussi à l’étude comme des circuits de conférences.
Ce qui est certain, selon Luc Berghmans, c’est que non seulement la notion de réseau d’acteurs locaux est intéressante, mais celle de réseaux internationaux est très riche aussi. « On pourrait créer des réseaux et il faut le faire au niveau de la Communauté française , mais finalement , le fait de pouvoir se comparer , travailler avec des situations et des contextes différents , c’est fort enrichissant . On espère , par exemple au niveau du Réfips ( Réseau francophone international en promotion de la santé ) continuer à enrichir non seulement les aspects d’échanges très pratiques mais aussi réellement des aspects de recherche
En route donc vers de meilleures pratiques: comme le rappelle Alain Poirier , Directeur de la santé publique du Québec, l’action de prévention restera un défi! Dans ce cadre, la question du sens et de l’organisation des partenariats est cruciale.
Anne Avaux , Mutualité chrétienne – Education Santé
Pour en savoir plus, le site https://www.colloquequebec2004.com propose diverses informations ainsi que l’ensemble des résumés des présentations et certains exposés dans leur intégralité. Un moteur de recherche permet d’introduire des mots-clés, un thème ou un auteur.