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affiche lapin

Prévention des IST et VIH/SIDA : les lapins sont de retour ! 

Le 28 Juin 24

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« Trop cool les galipettes. Dépisté.e.s, on s’prend pas la tête ». La campagne « Lapin » prend ses quartiers d’été sur les radios, les télés, TikTok et même sur les emballages de préservatifs. Son objectif : parler de manière fun et légère des comportements protecteurs vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles et du VIH/SIDA. Ce projet a été largement concerté, revu et augmenté. 

lapin qui dit sexe, dit latex

Les lapins sont de retour ! Couleurs flashy, messages percutants :  « Ça te dit une banane ? Oui mais avec la peau »… Ces petits mammifères, connus pour leur connotation sexuelle, n’ont pas de tabou. Ils parlent du préservatif interne et externe, du carré de latex… 

La campagne Lapin est une campagne grand public, initialement créée en 2008. Relancée à l’été 2023, et amendée pour cet été 2024, cette nouvelle édition reste fidèle à l’esprit d’origine : alerter sans dramatiser. Pourquoi alerter ? Parce qu’en Belgique, les comportements protecteurs s’arrêtent trop tôt, ce qui conduit depuis plusieurs années à une augmentation des infections sexuellement transmissibles (IST) (lire notre encadré). 

Enclencher la discussion 

L’idée est de responsabiliser les partenaires sur leur santé sexuelle et de lever les tabous autour du préservatif, du dépistage et des traitements comme moyen de prévention. Pour beaucoup de personnes, ces gestes protecteurs sont encore trop souvent perçus comme des « tue-l’amour », ou à tout le moins comme une contrainte ou un frein au plaisir. Les messages adoptent un ton ludique et positif qui aide à surmonter les tabous et les perceptions négatives autour des comportements protecteurs.  

« Sucette enrobée, plaisir protégé ». Dans chaque vignette, deux lapins miment une discussion entre partenaires sexuels. Le premier propose un rapport sexuel, le second pose une condition sine qua non : se protéger avec un préservatif ou faire un test de dépistage préalable des IST. 

«  Le préservatif, parlez-en comme vous voulez, mais parlez-en ! » Menée sous ce slogan entre 2008 et 2010, la toute première campagne lapin était devenue culte. En partie parce que son concept permet d’enclencher la discussion sur un ton léger et drôle bien que le sujet ne le soit pas ! 

Depuis plusieurs années, de nombreux partenaires de la Plateforme Prévention Sida et le public faisaient part de leur envie de retrouver les lapins. Les équipes de la Plateforme Prévention Sida ont donc remis la campagne au goût du jour pour favoriser une approche plus large de la santé sexuelle. 

Consentement et responsabilisation au cœur de la campagne  

Qui dit PrEP

L’édition a été revue et augmentée de manière participative et en mettant au centre du travail de conception les trois stratégies de la prévention combinée contre le VIH/SIDA et les infections sexuellement transmissibles :  

  • l’utilisation des préservatifs ;  
  • le recours au dépistage ; 
  • l’avancée des traitements. 

Pour cette édition, les duos, trios, voire la troupe de lapins informent aussi de manière didactique sur la charge virale indétectable et sur les traitements innovants. Le slogan : « j’ai eu un accident hier soir, dépannage dans les 72h » informe sur le traitement d’urgence après une exposition au VIH (TPE). « A vos marques, PrEP, partez ! » présente le traitement préventif pour les personnes séronégatives. 

La campagne prête une attention particulière à la qualité des dialogues entre partenaires. « Soit c’est capote, soit c’est papote ». Ainsi, elle cherche à faire rimer information avec consentement et responsabilisation. Ancrée dans l’actualité, elle s’inscrit aussi dans le contexte post #MeToo. 

Tous concernés, tous consultés 

Plus de 60 associations ont participé à la refonte de la campagne. Elles travaillent dans le secteur de la promotion de la santé, de la prévention du VIH/sida et/ou de l’EVRAS, et beaucoup d’entre elles ont des services actifs auprès des populations plus vulnérables par rapport à l’infection par le VIH et les IST. Ces services ont été consultés lors de réunion ou par mail afin de définir ensemble le fond et la forme des outils de la campagne.  

La Plateforme Prévention Sida a également fait participer le public-cible en organisant 11 focus groups pour s’assurer que la campagne soit proche tant des publics finaux que des professionnel.les qui l’utiliseront. 

Septante étudiant.es en communication/publicité de l’IHECS et de l’Ecole supérieure des arts de Saint-Luc Bruxelles ont ainsi brainstormé sur des slogans et outils. Le brief leur demandait de créer des textes et des visuels qui parlent à leur génération et d’autres qui puissent être compréhensibles pour des non-francophones.  

Hot combien qu’on se protège ? 

Certaines propositions faisaient référence à des séries teenage et young adult tandis que d’autres faisaient allusion à des références musicales intergénérationnelles ou très spécifiques. Quelques-uns se sont amusés à utiliser un langage propre. « Hot combien qu’on se protège ?  Hot 1 ! » : dans cette expression de défi ou de pari, répondre « Hot 1 » signifie un accord maximal.  

D’autres partenaires ont collaboré avec la Plateforme Prévention Sida pour organiser et animer ces focus groups (AMO, Centre de référence VIH, Maison des Jeunes,  Haute École, …)  

Ces rencontres ont permis de récolter une information plus ciblée et de développer des messages qui répondent au mieux aux attentes et besoins spécifiques des publics cibles. Au total, 135 personnes aux profils divers ont été sondées : hommes, femmes, parents, jeunes, hétérosexuel·les, homosexuel·les, séropositif·ves, séronégatif·ves, belges, migrant·es, de Bruxelles et de la Wallonie.  

La Plateforme s’est aussi appuyée sur des experts.  

  • Des spécialistes du VIH : plusieurs médecins des Centres de Référence VIH ont été consulté·es à diverses reprises afin de garantir la diffusion d’informations scientifiques et médicales de qualité. 
  • Trois agences de communications : 
  • Havas. L’Agence de communication avait développé le concept et réfléchi aux outils de la campagne de 2008 tant au niveau du design que des messages.  
  • Globule Bleu. Une agence de communication en charge des sites de la PPS qui a réalisé le générateur d’affiches personnalisées.  
  • Stellar. Une agence de communication digitale qui a aidé à travailler avec des influenceur·euses pour cette campagne. 
  • L’asbl Promotion Santé & Médecine Générale asbl (PSMG), qui soutient et accompagne la démarche de Promotion de la Santé et de Prévention dans la pratique des médecins généralistes, en partenariat avec les acteurs.actrices de la santé. Cette collaboration a permis de mettre au point une affiche spéciale pour les médecins généralistes. A leur demande, elle est plus classique. 

Une évaluation à mi-parcours  

En 2023, la Plateforme a réalisé une évaluation de la nouvelle campagne auprès de 51 personnes de tout âge représentant les publics cibles de la campagne ainsi qu’avec 42 services actifs dans la promotion de la santé sexuelle. Leur avis a permis de souligner certains points qui ont été améliorés pour l’été 2024. 

  • Les slogans sur la PrEP, le TPE et la charge virale indétectable servaient bien d’accroche pour renvoyer vers le site, mais il fallait entrer davantage dans le détail sur l’affiche initiale. 
  • Le premier spot TV conçu sans dialogue, n’était pas assez accrocheur pour un public adepte du multi-écran et du multi-tasking. Le message a été renforcé pour l’édition 2024 ; 
  • La campagne 2024 développe des activités pour mettre en pratique des conseils et des astuces pour instaurer le dialogue : événements, animations, renforcement de l’affichage en salles d’attente des plannings familiaux et des maisons médicales. 

L’évaluation a souligné des points forts :   

  • la grande diversité des codes/affiches permet de toucher un grand nombre de personnes aux profils variés, et notamment des personnes qui ne parlent pas le français grâce aux codes visuels ; 
  • la pertinence du sujet : la campagne aborde l’ensemble des outils de la prévention combinée, ce qui la rend très complète et ce d’autant plus que l’on y aborde le VIH et toutes les autres IST dans les slogans ; 
  • le ton de la campagne : approche ludique et positive d’un sujet qui peut rester difficile et tabou. Cela permet de dédramatiser la prévention des IST/du VIH et le fait d’en parler ;  
  • des slogans très positifs et non moralisateur : ils responsabilisent les partenaires sexuels à propos de leur santé sexuelle en les invitant à dialoguer, échanger ; il n’y a pas d’injonction de la part du promoteur ; 
  • le graphisme : campagne jolie, colorée et attractive avec un graphisme simple mais impactant qui permet de l’identifier très facilement (leitmotiv visuel des lapins). 

La campagne battra son plein cet été avec des moments dédiés : des interviews quiz avec les influenceurs, des live tik-tok, des face-cams. 

Retrouvez toute la campagne sur le site preventionIST.org 

Enrayer l’augmentation des Infections Sexuellement Transmissibles 

Cette campagne vise à renforcer la connaissance sur les IST et contrer un phénomène de banalisation. Elle intervient dans un contexte d’augmentation des contaminations. En effet, selon Sciensano, les contaminations ont augmenté pour trois IST en 2023 :  

+ 21% pour la chlamydia – l’IST la plus fréquente qui touche majoritairement les femmes  

+ 99% pour la gonorrhée 

+ 13% pour la syphilis 

schéma évolution ist belgique epiupdate mars 2024
source : rapport EpiUpDate mars 2024

Cette augmentation des IST est attribuable à un délaissement des comportements protecteurs, et à une méconnaissance sur le sujet. Elle témoigne de l’importance de continuer à se mobiliser pour sensibiliser la population. Une concertation des acteurs concernés au niveau fédéral serait également un point fort afin de dégager un plan d’action commun et cohérent face à cette situation.   

Une IST ne provoque pas nécessairement de symptômes immédiatement – c’est pour cela qu’il est important de se dépister pour éviter de contaminer son/sa partenaire et prévenir d’éventuelles complications. La gonorrhée et la chlamydia peuvent entraîner une inflammation pelvienne et causer des douleurs chroniques à long terme et la stérilité. Non traitée, la gonorrhée peut se propager et provoquer des inflammations aux articulations. Quant à la syphilis, elle peut avoir de graves conséquences neurologiques et cardiologiques. Une infection à la syphilis pendant la grossesse ou l’accouchement peut aussi avoir de graves conséquences pour l’enfant. 

Le VIH/ SIDA, un cas particulier 

Depuis 2017-2018 l’épidémie recule en Belgique. Le nombre d’infections est passé de trois à deux par jour. La PrEP montre des résultats efficaces chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes). Il est donc pertinent de renforcer l’information sur ce mode de prévention de sorte que les autres publics particulièrement vulnérables par rapport au VIH puissent en bénéficier, notamment les personnes issues de la migration. Rendre le PrEP accessible via la médecine générale est également une piste pour renforcer son accès.  

petite fille qui s'appuie sur la jambe de sa maman

Parents solo : le travail social communautaire en étendard 

Le 28 Juin 24

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En Wallonie, 19 travailleurs sociaux s’appuient sur un réseau de partenaires pour coconstruire des actions avec et pour des parents solo. Ce dispositif expérimental baptisé « Relais Familles Mono » fait le choix du travail social communautaire. Bilan d’étape.

petite fille qui s'appuie sur la jambe de sa mère

En septembre 2022, la Région Wallonne lançait le projet-pilote : « Relais Familles Mono » pour améliorer le quotidien des parents solo, très fragilisé par l’épidémie de Covid 19. En Wallonie, près de 196 000 familles sont en situation de monoparentalité et 83% de leurs chef.fe.s de famille sont des femmes. Un quart de ces mamans solo n’ont pas les ressources suffisantes pour offrir un niveau de vie digne à leurs enfants. 

Le cumul des difficultés en fait un public particulièrement vulnérable. Cette vulnérabilité est souvent liée au manque de ressources matérielles : pensions alimentaires non versées, difficulté de recours au SECAL, difficultés d’accès aux activités extra scolaires, exposition au stress, isolement. 

A l’origine, Christie Morreale, vice-présidente de la Région et ministre de l’action sociale, proposait de créer un guichet unique pour les familles monoparentales en impliquant les services sociaux. Le projet évolue rapidement au fil des discussions avec les parties prenantes : les services sociaux de plusieurs mutualités (Mutualité chrétienne – MC, Mutualités Libres, Partenamut et Solidaris), et d’autres issus d’associations (CLSS, CSSN et Aide aux Personnes Déplacées).  

En effet, ces acteurs font déjà office de guichets – accessible sans condition d’affiliation. Ils proposent donc de déployer un travail social collectif et communautaire pour renforcer les ressources des parents solo. La région s’engage sur la totale gratuité pour les familles. Elle détermine un financement annuel conséquent de 2 millions d’euros dans le cadre du plan de relance de la Région wallonne. 

Depuis mars 2023, 19 travailleurs et travailleuses point-relais, dénommés TPR, interviennent sur l’ensemble du territoire wallon. Pour faciliter la visibilité du dispositif, chaque province dispose d’une page Facebook, d’une cartographie des implantations, et affiche les numéros de téléphone des travailleur.euses point-relais. 

Mobiliser les ressources des familles monoparentales 

« Le dispositif s’est construit au fil des rencontres avec les partenaires déjà présents sur les territoires et en regard des besoins exprimés par les parents solos. L’idée est de faire réseau autour de ces questions de monoparentalité et d’accès aux droits », explique Stéphanie Gribomont, coordinatrice du Centre d’Appui Familles Monoparentales. Le Centre accompagne les TPR dans l’exercice de leurs missions. Il est hébergé au sein de la Fédération des Services Sociaux. 

« On est parti d’une page blanche. On s’est mis d’accord sur le fait que le travail social communautaire allait apporter une plus-value. Il implique de travailler de manière plus collective pour que les publics se sentent reconnus, entendus, et puissent mobiliser leurs ressources ». 

Lidvine Sacré, coordinatrice des cinq TPR de la MC

En effet, le principe du travail communautaire consiste à aller vers les personnes, à déployer des activités dans les lieux de vie, d’émancipation et d’implication des mamans. En outre, lorsqu’une question individuelle émerge, la personne peut aisément être orientée vers le bon interlocuteur au sein du service social ou du réseau de partenaires. 

En début de projet, chaque TPR est devenu référent du projet pour un territoire. La cartographie a été dessinée en fonction des acteurs en présence et d’une volonté de couvrir en priorité les zones les plus fragilisées. Les TPR ont développé leur réseau en rencontrant tous les acteurs publics et privés de leur territoire, ainsi que les initiatives citoyennes. « Ce travail a permis de nouer des partenariats pour resserrer les mailles de l’accompagnement et recréer un tissu social soutenant, explique Stéphanie Gribomont. Puis nous ajustons les actions aux besoins qui émergent au fil des rencontres ». 

Enfiler des lunettes monoparentalité 

Les familles monoparentales expriment notamment un fort besoin de reconnaissance dans leur rôle et leur situation de parent solo. Ce besoin inclut la prise en compte de leur double casquette identitaire : à la fois en tant que mère, mais aussi en tant que femme. 

« Très souvent, les mamans rapportent un manque de considération de la part de leurs interlocuteurs face aux difficultés inhérentes à leur situation. Elles observent que les travailleurs·euses sociaux·ales sont parfois peu sensibilisé·e·s à la problématique et manquent donc de point d’attention lors des contacts individuels et de capacité à enfiler les « lunettes monoparentalité » », décrit le Centre d’Appui dans son rapport annuel 2023, qu’Education Santé a pu consulter. 

Ces femmes souhaitent aussi « sensibiliser le grand public à la réalité d’être parent solo. Leur souhait n’est pas d’être considéré comme des super héroïnes mais bien que leur message soit entendu afin de pouvoir continuer à exercer leur rôle de parent de manière digne et respectueuse du bien-être de leur enfant », précise le document. 

Un cumul de vulnérabilités 

Le besoin de répit et d’étayage figure en tête de liste. « Un nombre important de mamans rencontrées lors des groupes de parole et des permanences juridiques ont connu à un moment dans leur vie un épisode de violences : soit physiques, psychologiques, économiques, institutionnelles » précise Stéphanie Gribomont. Les violences institutionnelles peuvent aller de l’injustice, au déni de droits ou au manque d’accompagnement. 

Dans une interview publiée par Education Santé en février dernier1, la chercheuse Sophie Thunus insistait elle aussi sur le cumul de vulnérabilités qui rime avec monoparentalité. « Il existe très peu d’espace de répit en raison de l’organisation des dispositifs d’accueil de la petite enfance, qui sont largement insuffisants, surtout si une maman solo souhaite exercer une activité professionnelle à temps plein » souligne Stéphanie Gribomont. 

Une des missions du dispositif Relais Familles Mono est d’assurer une mission d’observatoire social de la problématique de la monoparentalité. Deux sociologues (qui font partie de l’équipe du centre d’appui) travaillent sur ces questions, à partir des récits d’une quarantaine de parents solos, et projettent de publier un rapport de recherche à l’automne. Ce travail est alimenté des retours des TPR, du juriste via ses permanences juridiques, d’analyses et de recherches…  

Un goûter pour briser la glace 

Au printemps 2023, les 19 TPR ont démarré les actions à destination des familles monoparentales. La première activité collective organisée a joué une fonction d’accroche vers le public cible : promotionner l’organisation d’un goûter devant les écoles en donnant rendez-vous dans un local du service social, ou chez des partenaires. De là, quelques familles ont fait connaissance et exprimé des besoins et des envies. 

A Waremme, le groupe de mamans solo a ainsi créé un groupe de parole et un atelier bien-être. Dix à quinze familles se regroupent désormais régulièrement. « On fait quelque chose de nouveau, on ne catalogue pas les familles, nos interventions permettent de mobiliser les ressources des personnes, et cela décuple leurs énergies. Elles mettent en musique des projets elles-mêmes, organisent des sorties. Elles se sont vraiment approprié le projet et elles vont de l’avant », constate Lidvine Sacré. 

Les TPR se coordonnent de manière transversale au niveau provincial, et se réunissent une fois par mois au niveau de la Wallonie avec le Centre d’Appui. L’année 2023 a permis de réaliser 328 actions avec des parents solo dans toute la Wallonie. Une majeure partie d’entre elles a eu lieu dans les provinces de Liège et du Hainaut, qui sont les zones le plus densément couvertes par les Relais Familles Mono. 

« C’est au regard des nombreux besoins que se construisent petit à petit les activités et espaces pour les familles. L’idée n’étant pas que chaque action réponde à l’ensemble des besoins mais que ce soit l’articulation et l’équilibre des propositions qui permettent aux parents solo d’améliorer l’accès à leurs droits et à une vie plus digne »

Stéphanie Gribomont, la coordinatrice du Centre d’Appui. 

Du collectif à l’individuel, un travail de fond 

Les agendas sont bien fournis avec trois à quatre événements par semaine. Ils sont très diversifiés : du petit déjeuner, à la randonnée, en passant par les ateliers de plomberie ou d’électricité pour gérer les petits travaux chez soi. Les TPR organisent aussi des informations sur les soins de santé moins chers ou sur les droits liés au statut BIM. Ils rebondissent sur les sujets d’actualité pour décrypter le résultat des élections. Des après-midis peuvent aussi être consacrés à des ateliers thématiques. Le dernier sensibilisait aux usages du numérique par les ados et mettait en garde contre le phénomène du grooming – la manipulation sexuelle d’un mineur par un adulte, qui peut se faire en ligne ou en réalité. 

Pour les activités en soirée et le week-end, des gardes d’enfants sont organisées quand cela est possible parallèlement aux activités, ce qui offre un vrai moment de répit aux parents. 

Le Centre d’appui dépêche son juriste pour assurer des permanences juridiques, parfois dans les locaux d’asbl partenaires. « Mon ex-partenaire ne me verse pas la pension alimentaire ! », « Qui a le droit de visite ? » Vous avez des questions sur votre situation familiale (garde d’enfants, hébergement, autorité parentale, contribution alimentaire, séparation,…) ? « Notre juriste peut vous aider à y voir plus clair ! Dans un langage clair et familier, il prend le temps de vous orienter sur vos droits et recours possibles. Une travailleuse point-relais est également présente pour vous accueillir, l’occasion d’en savoir plus sur le projet Relais Familles Mono », indique l’annonce. 

Progressivement le projet percole. Les perspectives ne manquent pas. Le Centre d’Appui envisage de poursuivre les démarches d’accompagnement de groupes formés et faire émerger de nouveaux collectifs de parents solo sur les territoires, notamment de groupes de papas solo, dans les provinces du Brabant-Wallon et du Luxembourg. D’ici la fin de l’année, le Centre d’Appui organisera une journée dédiée aux familles monoparentales pour aller au-delà du social-santé. Encore à l’état d’ébauche, cette journée réunirait les acteurs de manière plus large : santé, justice, police, action sociale, petite enfance, éducation. 

Si les besoins sont bien réels, l’incertitude plane tout de même pour la suite. Le projet, d’une durée de trois ans, s’achève en mai 2025 – et il n’est pas certain que la future majorité choisisse de le rééditer. 

Le site web FamilleMono.be informe les familles monoparentales sur leurs droits et les aides disponibles.

Liste des 19 « Relais Familles Mono » en Wallonie.  

Province de Liège (6)  

  • Centre Liégeois de Service Social (Rue Cheveaufosse, 72 à 4000 Liège)  
  • Aide aux Personnes Déplacées asbl (Rue Jean d’Outremeuse, 93, 4020 Liège)  
  • CSS de Partenamut Liège (Rue de Natalis, 47, 4020 Liège)  
  • CSS de la Mutualité Chrétienne de Waremme (Rue Joseph Wauters, 21 4300 Waremme)  
  • CSS Solidaris Province de Liège (Rue Douffet, 36 4000 Liège)  
  • CSS de la MC Verviers (Rue Lucien Defays, 77 4800 Verviers)  

Province du Hainaut (6)  

  • CSS de Partenamut Mons (Boulevard Saintclette, 73-75 7000 Mons)  
  • CSS des Mutualités Libres Hainaut-Namur (Boulevard Mairaux 3, 7100 La Louvière)  
  • CSS Partenamut Tournai (Quai Andreï Sakharov 2, 7500 Tournai)  
  • CSS MC Mouscron (Rue Saint-Joseph 8, 7700 Mouscron
  • les CSS Solidaris Charleroi-Centre-Soignies (Avenue des Alliés, 2, 6000 Charleroi) et CSS Solidaris Mons-Wallonie picarde (Rue du Fort 48, 7800 Ath)  

Province de Namur (3)  

  • Centre de Service Social de Namur (Rue Rupplémont, 20, 5000 Namur)   
  • CSS Solidaris Province de Namur (Chaussée de Waterloo, 182, 5002 Saint Servais)  
  • CSS MC Philippeville (Rue de l’Arsenal 7 5600 Philippeville)  

Province du Brabant wallon (2)  

  • CSS Solidaris Brabant Wallon (Chaussée de Mons, 228, 1480 Tubize)  
  • CSS ML Brabant Wallon (Avenue des Déportés, 31 – 1300 Wavre)  

Province du Luxembourg (2)  

  • CSS Solidaris Luxembourg (Place de la mutualité, 1, 6870 Saint Hubert)  
  • CSS MC Arlon (Rue de la Moselle, 7-9, 6700 Arlon) 
group of people discussing with constructive chat bubbles

Les Expert.es du Vécu en pauvreté : 20 ans de regard critique et constructif

Le 27 Juin 24

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S’ils sont parfois sollicités pour recueillir leurs avis dans le cadre de la campagne contre les perturbateurs endocriniens (lire notre article), les expert.es du vécu en matière de pauvreté et d’exclusion sociale exercent au sein des institutions.

groupe discutant

« Un Expert du Vécu est une personne ayant connu la pauvreté ou l’exclusion sociale, qui est capable d’intégrer ces expériences de manière experte pour apporter un regard critique et constructif au sein d’une institution », explique Annick Delépine, coordinatrice pour le service EdV au sein du SPP-Intégration Sociale. Ce service créé grâce à des co-financements européens en 2004, se déploie progressivement depuis 20 ans.    

Chaque expert est recruté et formé puis détaché au sein d’une organisation (au service social de mutuelles, d’hôpitaux) ou d’une administration (service des pensions par exemple). Ils sont actuellement 34 sur le territoire fédéral – 17 travaillent pour des services publics fédéraux et 17 pour l’accessibilité santé (financés par l’INAMI). 

« Comme toutes les problématiques social-santé sont interconnectées, les EdV nous permettent d’avoir une approche holistique et de mettre de la santé dans toute la prise en charge des vulnérabilités », ajoute la coordinatrice. 

Tout commence en 2004, peu après la fondation du SPP IS deux premiers experts du vécu sont engagés pour intégrer le point de vue des personnes concernées dans la gestion des politiques de lutte contre la pauvreté et l’intégration sociale. Le projet s’élargit grâce à un co-financement entre l’état fédéral et le fonds social européen. Progressivement le projet s’agrandit et mature pour atteindre 24 experts du vécu et trois coordinateurs. Tous travaillent pour une meilleure accessibilité des droits dans les services publics fédéraux. Le réseau se structure.

Lutter contre le non-recours

En 2015, le projet devient un service fédéral. La même année, l’INAMI décide de dupliquer la méthode, en finançant un projet qui permet d’engager 17 EdV et trois coordinateurs en vue d’améliorer l’accès aux soins pour les personnes précarisées. Au total, la Belgique compte désormais 34 experts appuyés par neuf coordinateurs.  

Leur mission : lutter contre le non-recours (individuel) et le non-accès au soin (institutionnel), améliorer la littératie, les comportements de santé.

En première ligne, les EdV aident directement les personnes vivant en situation de pauvreté, en endossant deux rôles principaux : informer/être un intermédiaire entre le public cible et les services qui les accueillent ; orienter/accompagner, lorsqu’il s’agit d’accompagner le public cible pour les démarches administratives, tant au sein des services qu’en externe afin de garantir l’accrochage médical et la continuité des soins.

En deuxième ligne, sur base des difficultés ou obstacles d’accès aux soins observés dans le cadre de leurs interventions de première ligne, les EdV signalent les problèmes récurrents rencontrés par le public cible afin d’améliorer l’accessibilité de l’institution partenaire. « Au bout de quatre à six semaines d’observation, l’EdV fait un rapport d’étonnement sur les difficultés rencontrées par le public précarisé lorsqu’il entre en contact avec l’institution. Il est ensuite associé à la recherche de solutions d’accessibilité », précise Annick Delépine. Cela peut passer par des simplifications administratives, par l’amélioration d’outils de communication. Dans le cadre de cette mission, les EdV ont l’occasion de réfléchir de manière critique aux règles, procédures, routines, etc. au sein de l’organisation dans laquelle ils sont détachés. 

Enfin, au niveau transversal, lorsque les freins observés par les EdV se situent en dehors du champ d’action de l’institution partenaire, ceux-ci sont transmis à l’équipe de coordination qui pourra proposer le développement d’actions, groupes de travail ou faire remonter la difficulté jusqu’aux décideurs politiques. 

Ces implications ont une stabilité dans le temps et elles permettent de nouer des liens avec le terrain : CHW, facilitateurs en santé, acteurs de la promotion de la santé, témoins-experts de la pauvreté en Wallonie. 

Au-delà, les EdV peuvent aussi être sollicités dans le cadre de projets ponctuels (par exemple auprès de l’Equity Health Lab dont nous vous avions parlé dans le numéro 405 d’Education Santé) via l’équipe de coordination du service, par exemple sous forme de groupe de travail comme dans le cadre de la campagne de sensibilisation contre les perturbateurs endocriniens. 

Naissance de liens intersectoriels autour de la périnatalité 

Le 30 Avr 24

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A Bruxelles, les secteurs de l’apprentissage du français et de la promotion de la santé font cause commune autour de la périnatalité. Grâce à ce travail intersectoriel, une trentaine d’acteurs ont découvert une pratique prometteuse : les ateliers sociolinguistiques.

« Parler santé quand on ne parle pas français ». C’est sous ce titre que Proforal, un pôle d’expertise du Français Langue Étrangère de Bruxelles, organisait un événement au Pianofabriek de Saint-Gilles le 23 novembre dernier. Cette journée visait à faire connaître aux secteurs du Français Langue Étrangère et de la Promotion de la santé une démarche prometteuse : les ateliers sociolinguistiques (ASL).

Un atelier sociolinguistique se base sur une méthodologie innovante de l’enseignement du français. Celle-ci permet aux adultes allophones de s’approprier un espace social de leur quotidien, comme l’école ou l’hôpital. Contrairement à des cours de français classiques, ils ne comportent ni leçons, ni livres, ni méthodes de français et les groupes sont mixtes en termes de niveau de maîtrise de la langue. Les ASL s’inscrivent dans une approche globale de l’apprentissage du français, selon une démarche communicative et contextualisée, c’est à dire : que faut-il savoir dire, comprendre, lire, écrire dans cet espace en particulier pour y être autonome ? 

Dans les ASL, trois acteurs triangulent : les apprenant·es, les formateurs et formatrices, les acteurs et actrices de l’espace social.

Les ASL périnatalité 

Depuis 2021, l’asbl Proforal a mis en place ce type d’ateliers sociolinguistiques sur le thème de la « Périnatalité » en partenariat avec l’asbl Aquarelle – une association de sage-femmes liée au CHU Saint-Pierre, qui propose un accompagnement médico-social à des femmes enceintes ou en post-partum, n’ayant pas de sécurité sociale et vivant dans une grande précarité. Depuis 2023, le CHU Saint-Pierre a rejoint le projet. 

Ces ateliers sont destinés à des femmes allophones, ayant vécu l’exil, et peu autonomes en français qui ne connaissent pas ou peu le fonctionnement des espaces liés à la maternité (hôpital, services sociaux liés au suivi de grossesse et à la maternité, crèches, etc.), ni les codes sociaux attendus. Ces dernières rencontrent généralement des difficultés face aux situations de communication courantes (orales ou écrites) dans ces espaces. Depuis 2021, 57 femmes ont participé à ces ateliers. 

Les ateliers visent à leur permettre d’acquérir une meilleure autonomie pour naviguer dans le système de santé et bénéficier des droits liés à la maternité. Les objectifs pédagogiques des ateliers répondent à des besoins concrets et identifiés : contextualisation des situations travaillées, travail à partir de documents authentiques (formulaires, brochures), mises en situation, visites de lieux, rencontres de professionnel·les… 

Aquarelle représente l’espace social avec lequel les apprenantes doivent se familiariser. Elles recueillent leurs constats afin d’orienter les ateliers, fournissent les documents administratifs et accueillent les ateliers au sein de leur service. 

Le partenariat : une interaction cruciale pour la réussite des ateliers   

Par essence, le projet est intersectoriel.  

Proforal est un centre de formation en insertion socio-professionnelle (avec notamment des cours de FLE) et un pôle d’expertise méthodologique et didactique du Français Langue Étrangère.    

Aquarelle est une asbl liée au CHU Saint-Pierre, proposant un accompagnement médico-social à des femmes enceintes ou ayant accouché, issues de l’immigration,  

Le CHU Saint-Pierre est un hôpital public universitaire situé au cœur du quartier des Marolles.  

Cultures&Santé est une asbl active en promotion de la santé, en éducation permanente et en cohésion sociale. Elle est notamment reconnue comme service de support en matière de littératie en santé. 

Cultures&Santé accompagne le projet de manière plus éloignée en portant un regard « promotion de la santé » sur le projet. L’asbl s’est efforcée, dans ce projet, de tisser une toile entre les ASL et les principes et approches de promotion de la santé (déterminants sociaux de santé, littératie en santé, compétences psychosociales…). 

ASL et promotion de la santé : des liens intrinsèques 

Les points de rencontre entre la démarche ASL et les principes de promotion de la santé sont multiples et vont au-delà de la simple attention portée à un groupe de personnes en situation de vulnérabilité, liée notamment à la non-maîtrise de la langue, et de la volonté de réduire des inégalités de santé. 

Agir sur les déterminants sociaux de la santé 

En promotion de la santé, la santé est considérée dans sa vision globale et complexe. Pour la favoriser, il est indispensable d’agir sur ce qui l’influence : principalement les déterminants sociaux de la santé. Le secteur de la santé ne peut, à lui seul, agir de manière favorable sur cette multitude de facteurs. L’action à divers niveaux et secteurs, et le travail partenarial s’avèrent donc indispensables.  

Parmi les déterminants sociaux, le niveau d’éducation a un poids considérable sur la santé. Il est d’ailleurs très souvent utilisé comme indicateur pour illustrer les inégalités sociales de santé. Les ASL offrent la possibilité de poursuivre un apprentissage pour les personnes pas ou peu scolarisées et ne maîtrisant pas la langue officielle locale. Ces ateliers, même s’ils sont spécifiquement linguistiques, n’en restent pas moins un levier d’éducation. Ils relèvent de la formation continue et pourront, à terme, améliorer les conditions de santé des personnes qui y participent. Au sein des ASL, le lien de causalité entre l’apprentissage de la langue et la santé est d’autant plus étroit que la question de la santé et de l’accès aux soins y sont travaillés directement de manière immersive. 

Consolider un projet qui renforce la littératie en santé 

La prise en compte de la littératie en santé est considérée, notamment depuis la Déclaration de Shangaï (OMS, 2016), comme un levier de promotion de la santé. La littératie en santé est un ensemble de connaissances, motivations et compétences permettant d’accéder à de l’information dans le domaine de la santé, de la comprendre, de l’évaluer et de l’appliquer. L’exercice de ces compétences dépendent de capacités individuelles et de la complexité des systèmes où elles s’exercent. Plus le système est complexe, plus les compétences des individus doivent être élevées pour traiter l’information et pour naviguer dans le système. 

La spécificité des ASL est de prendre en compte ces systèmes lors du développement des compétences individuelles. D’une part, ces ateliers permettent de travailler la maîtrise de la langue (à travers notamment l’apprentissage de vocabulaire) et de travailler les ressources psychosociales (comme le fait de pouvoir exprimer une difficulté). D’autre part, les ateliers permettent aux apprenant·es de s’approprier un système en l’expliquant et en s’y confrontant. Ils peuvent même constituer un moyen pour mettre en évidence les failles et les inadaptations de ce dernier. 

Soutenir un projet de renforcement des compétences psychosociales 

Le renforcement des compétences psychosociales (CPS) représente un des fondamentaux de la promotion de la santé. Selon la définition de l’OMS, les CPS permettent de « répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne »1. Les activités collectives sont des vecteurs de renforcement de ces compétences, car ils permettent de travailler les ressources sociales (création de liens sociaux), cognitives (échange de savoirs et réflexions) et affectives (prise de recul et cadre sécurisant). 

Ainsi, les ASL par leur caractère collectif et par leur dynamique participative renforcent les CPS. En effet, les ateliers réservent une place importante au partage, à l’échange de ressources et de connaissances, à l’entraide.    

Encourager un secteur qui s’intéresse à la santé 

La réorientation des services de santé représente un autre axe d’actions en promotion de la santé. Il s’agit ici de favoriser l’intérêt et la responsabilisation de secteurs variés (social, éducatif, juridique…) pour contribuer à la santé de leur public et de la population en général.   

Dans le cadre des ateliers « périnatalité », Proforal prend clairement la responsabilité d’être acteur de santé au sens large, en favorisant le recours aux services de santé.   

Essaimer la pratique des ateliers sociolinguistiques 

Dès la première année de son développement, les partenaires du projet ont eu comme perspective de proposer un événement de diffusion de la méthode ASL et de rencontre entre les secteurs de l’apprentissage du français et de la promotion de la santé et ce, en vue d’essaimer cette pratique prometteuse. 

Pour échanger autour des liens entre promotion de la santé et ASL, une trentaine de personnes se sont ainsi retrouvées à l’automne 2023. Le programme de la journée mêlait interconnaissance, présentation de projets et partage de constats et de ressources. Une vingtaine de structures étaient présentes, tant issues du secteur de la promotion de la santé que de l’apprentissage du français.  

L’événement était scindé en trois parties. Dans un premier temps, Proforal a présenté le projet ASL « périnatalité », son historique, son fonctionnement et les résultats qu’il a produits. Lors de cette première partie, Cultures&Santé en partenariat avec Le Caria asbl a présenté un autre projet mêlant apprentissage du français et démarche de promotion de la santé : la cocréation de l’outil « Animer sur les mutualités : Le fonctionnement des mutualités en Belgique » (lire l’article Anatomie des Mutualités paru dans Education Santé n°404). A l’instar de la démarche ASL, cet outil propose des pistes d’animation permettant de se familiariser avec les mutualités. 

Dans un deuxième temps, les participant·es étaient invité.es à circuler dans un « marché des expériences ». Outre les stands de Cultures&Santé et BruxellesFLE (initiative de Proforal), trois associations y présentaient des projets de promotion de la santé menés avec des publics ne maîtrisant pas le français.  

  • Le GAMS, une association qui contribue à l’abandon des mutilations sexuelles féminines en offrant un accompagnement psychosocial, des actions communautaires et de la sensibilisation auprès des professionnels et politiques. Le GAMS a présenté plusieurs outils de prévention, comme le détectomètre, ainsi que leur démarche de sensibilisation basée sur des relais communautaires. 
  • La Plateforme Prévention Sida (PPS), une association travaillant sur la prévention du VIH-Sida et des autres Infections Sexuellement Transmissibles (IST) avec une attention particulière envers les publics migrants. La PPS présentait plusieurs outils pédagogiques pour comprendre, par exemple, comment fonctionne le traitement préventif pour les personnes très exposées au VIH (PrEP) ainsi que des brochures de prévention traduites dans de nombreuses langues. 
  • La Sister’s house, un refuge pour femmes migrantes initié et géré par l’asbl Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, proposant du logement et des activités, notamment d’apprentissage de la langue. La Sister’s house présentait son podcast « welcome sister »

Enfin, la dernière partie de l’événement consistait en un temps d’échange plus informel, autour d’un verre. Ce moment a permis de créer du lien entre des acteurs et actrices qui ne se connaissent pas ou peu, de mettre des visages sur des noms, d’échanger sur d’autres projets et de partager des ressources.   

L’événement a été une opportunité d’interconnaissance, de partage de constats et de difficultés, d’identification de ressources mais aussi de valorisation de ce qui se fait déjà sur le terrain parfois sans y mettre forcément les mots « apprentissage du français » ou « promotion de la santé ».  

En mettant un coup de projecteur sur divers projets partant des réalités et besoins des personnes, cet événement a pu mettre en évidence la pertinence de tisser ou de consolider des liens entre secteurs pour améliorer la santé. Il nous paraît dès lors essentiel de pouvoir mutualiser des atouts (compétences, méthodologies, réseaux) et d’unir des forces créatrices pour modifier profondément les conditions de vie des personnes, renforcer leur pouvoir d’agir et réduire ainsi les inégalités sociales de santé. 

Les ASL périnatalité se poursuivent encore aujourd’hui. Proforal développe également des ASL parentalité scolaire, visant à favoriser l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant. 

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Douze échevins bruxellois s’investissent en promotion de la santé

Le 30 Avr 24

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En Région bruxelloise, des échevins cherchent à agir sur le bien-être et la santé globale de leurs administré.es en devenant un relais local pour la promotion de la santé. Une volonté qui se heurte souvent à des réalités de terrain.

Le Covid a été une opportunité pour illustrer à quel point la santé doit faire partie de toutes les politiques, y compris au niveau communal”, explique Vanessa Makola, chargée de projet du Centre de Recherche et d’Action pour des Projets en ‘Social-Santé’ (CeRAPSS) (anciennement Sacopar (cf notre encadré). Depuis 2019, son équipe accompagne douze échevins de la Région bruxelloise sur le plan méthodologique et opérationnel. Le 5 avril dernier, une matinée présentait le bilan de cette action intitulée ‘Santé dans Toutes Les Politiques’, qui bénéficie d’un financement de la Cocom. 

Sur le principe, ce projet est surprenant, car une commune n’a a priori pas de compétence santé à proprement parler, sauf pour la salubrité publique et les catastrophes naturelles. Et pourtant… Pendant le Covid, les communes se sont retrouvées en première ligne aussi bien pour sensibiliser aux gestes barrières, organiser le dépistage et la vaccination que pour apporter un soutien social aux plus démunis. 

Les communes sont un maillon crucial pour développer le bien-être et la santé globale de leurs habitants », explique Bruno Vankelegom, directeur du CeRAPSS et président de la Fédération Bruxelloise de Promotion de la Santé (FBPSanté). Il rappelle qu’elles peuvent “jouer un rôle considérable pour travailler sur les déterminants sociaux et environnementaux de la santé”, via leurs nombreuses compétences en particulier sur le logement, le scolaire, la petite enfance et la cohésion sociale. Les responsables communaux sont aussi “les mieux placés pour identifier les priorités locales, articuler les ressources et les compétences mobilisables, développer des actions visibles pour les habitants” ajoute Vanessa Makola. 

Circonspects puis enthousiastes

Le projet commence en juin 2019. Le CeRAPPS contacte les 19 échevins de la Région Bruxelles-capitale. L’accueil est tiède, voire circonspect. Quand la porte de l’hôtel communal semble fermée, il faut “entrer par la fenêtre”, rit Vanessa Makola, en se remémorant cette période. “Au départ, vous me disiez que vous étiez dans l’action, que vous aviez très peu de temps à accorder à la réflexion, puis vous avez pris le temps – j’ai senti un engouement, en particulier pour les rencontres inter-échevins qui se déroulent dans les communes participantes, et permettent d’échanger sur vos pratiques respectives”, raconte-t-elle devant les échevins qui sont venus témoigner ce matin-là. 

Plusieurs élus se mobilisent, bientôt rejoints par des nouveaux après les élections de mi-mandat. Douze communes sont représentées : Anderlecht, Auderghem, Etterbeek, Evere, Forest, Ganshoren, Jette, Koekelberg, Molenbeek, Saint-Josse-ten-Node, Uccle, Watermael-Boitsfort. 

Echevins Santé
Neuf des douze échevins à la santé étaient présents à la matinée du CeRAPSS « Santé dans toutes les politiques » (DR)

Les échevins, qui n’ont pas toujours la santé dans leur portefeuille, suivent une formation accélérée aux concepts de la promotion de la santé. Le fait de découvrir que la part non biologique des déterminants de santé pèse à hauteur de 80% sur la santé de la population, ouvre le champ des possibles. La surcharge du système de soins au moment du Covid et post-épidémie exacerbe aussi la nécessité d’inscrire la santé dans tous les choix politiques pour réduire les inégalités sociales de santé. 

Le Covid a eu un impact terrible, la promotion de la santé est devenue un enjeu communal” confirme Daniel Hublet (les Engagés), médecin et échevin à la santé de la commune d’Uccle. “Je dois dire que ma vision de la santé a beaucoup évolué, ajoute Alitia Angeli, échevine à l’action sociale de Forest (Ecolo) depuis juin 2022. Je considérais la santé comme l’absence de maladie ou de douleur, et j’ai découvert avec beaucoup d’intérêt la définition de l’OMS, qui nous permet de réaliser que nous disposons de leviers pour l’action publique à l’échelon communal”. 

Une charte comme feuille de route

Ensemble, les échevins rédigent une charte “en faveur de l’intégration de la santé dans toutes les politiques”. Elle se compose de deux volets. Le premier détaille pourquoi l’échelon communal est légitime et incite les différents services politiques et communaux à travailler en synergie. Il promeut aussi la participation citoyenne pour répondre aux besoins du terrain. Enfin, en signant cette charte, les communes s’engagent à identifier l’impact de leurs décisions politiques sur la santé de la population. Le second volet, opérationnel, liste quatre registres d’actions qui mettront du concret derrière les concepts de promotion de la santé et peuvent contribuer à réduire les inégalités sociales de santé. Libre à chaque commune de définir ses priorités. 

Ainsi, Etterbeek réfléchit à monter des actions autour de la précarité menstruelle, de la santé mentale, ou encore de l’ambition “Génération sans tabac”. A Ganshoren aussi, la commune met au point un plan communal anti-tabac. “Ça se passe bien tant que ça n’implique pas de coût, car finalement on a davantage de budget pour le bien-être animal que pour la santé humaine” regrette Didier Egerickx, responsable du portefeuille éclectique “Economie locale-Animations urbaines-Emploi-Santé-Bien-être animal”. 

La plupart des communes disposent en effet de faibles marges de manœuvre faute de  financements dédiés. Certains élus regrettent aussi le contexte général de restrictions budgétaires imposées par la tutelle, qui pèse sur les ressources humaines, la formation, ou la possibilité de réaliser des Etudes d’Impacts en santé (EIS). 

Par rapport à Ganshoren, ou même de Forest, qui ne dispose ni d’un échevinat à la santé ni d’un budget dédié, la commune d’Uccle a pris une longueur d’avance. “Dès 2018, nous avons introduit deux pages sur la santé dans notre déclaration de politique générale et attribué une ligne budgétaire ce qui nous a permis de multiplier les actions” explique Daniel Hublet. Il organise entre autres des conférences sur l’impact des pollutions sur la santé, ou encore sur la santé mentale au centre culturel d’Uccle, et comme d’autres communes, mène des actions de sensibilisation à la santé dans tous les événements culturels (fêtes de quartier, brocantes, marchés, etc) avec un bus santé ou encore un point infodrogue. 

Créer de la transversalité et de la cohérence 

Aux contraintes budgétaires s’ajoutent celles liées à la différence de temporalités entre le politique et l’administration. Neuf communes sur douze ont pu faire voter la charte par leurs instances. Certaines initiatives sont aussi parvenues à faire fi des couleurs politiques et du fonctionnement en silo. A Etterbeek, l’échevin Pieterjan Vanden Boer (Groen) a mis en place des groupes de travail transversaux pour assurer des actions de promotion de la santé à destination de la petite enfance et du troisième âge notamment. 

Le CeRAPPS aide aussi les communes à identifier les ressources existant sur leur territoire et les encourage à mobiliser, en intersectoriel, les acteurs locaux de la promotion de la santé : le service d’accompagnement ou les Centres locaux de service social (CLSS). Au quotidien, les échevins sont encouragés à resserrer leurs liens avec les maisons médicales, les plannings familiaux, les associations actives en matière de santé, les crèches, les écoles de devoirs, les centres sportifs, les écoles, les centres PMS et PSE. A Saint-Josse-ten-Node, la commune a choisi comme priorité de renforcer la coordination sociale avec son CPAS.  

De son côté, la commune d’Uccle a lancé un appel à participation par le biais de son journal communal pour mettre en place une plateforme santé. Elle permet de faciliter les échanges de pratiques entre les acteurs locaux de la santé, impliqués dans la lutte contre les déterminants sociaux de la santé, les élus et les citoyens. Une de ses priorités est d’intégrer la santé mentale dans toutes les politiques. 

Aux travailleurs sociaux qui s’interrogent sur l’avenir de telles actions à l’échelon communal, et sur la mobilisation des échevins, le CeRAPPS enjoint : “il faut que vous les travailleurs de terrain, vous osiez aller vers les politiques. Venez avec vos propositions, vous êtes les experts, ils vous écouteront !” 

D’autant que l’accompagnement du CeRAPPS fait des émules – certains élus se demandent pourquoi la commune n’a pas été choisie pour mener les actions social-santé dans le cadre du Plan Social Santé Intégré. Lors de la prochaine réunion inter-échevins qui aura lieu à Koekelberg fin mai, Brusano présentera la teneur du plan aux douze échevins.  

En période covid, vers qui s’est tourné le gouvernement pour aller au front ? Vers les communes… Aller sur la santé, on en a la légitimité, mais on ne nous en donne pas les moyens” se désole Didier Egerickx.  

Pour les élections communales de l’automne, certains élus vont se battre pour que la santé soit présente dans les programmes de leurs partis politiques, et espérer ensuite les intégrer dans les déclarations de politique générale de leur commune. 

Le CeRAPSS : une fusion pour assurer l’avenir 

Le centre de recherche et d’action pour des projets en social-santé (le CeRAPSS) est le résultat de la fusion en décembre 2023 de trois structures bruxelloises : Santé, Communauté, Participation (Sacopar), Forest Quartiers santé et le CAIRN (une maison de quartier de Forest). 

Nous nous connaissions bien et nous avions l’habitude de travailler ensemble. Nous avons fait le choix de nous fédérer à la fois pour mutualiser nos moyens, mais surtout pour préserver notre projet associatif et nos savoir-faire à plus long terme« , explique Bruno Vankelegom, directeur de la nouvelle structure. 

L’Asbl met en commun ses projets et les revoit au prisme des réalités et des pratiques de chacun, ce qui selon Bruno Vankelegom est “très inspirant”. Elle compte désormais une petite vingtaine de salariés et s’appuie aussi sur un tissu de bénévoles. 

Suivez l’actualité du CeRAPPS sur le réseau social LinkedIn et sur le site cerapss.be

©milleetunefilms andilly photo1

« Docteur, vous êtes plus malade que moi ! »

Le 28 Mar 24

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En février dernier, les Rencontres Images Mentales tenaient leur 16e édition. Cette année, un film de portrait parlait de la souffrance des soignants. 

Alain se repose avant de retourner voir ses patients - Photogramme du film "La Tristesse un peu, la passion toujours" ©milleetunefilms

Point de départ de son film La tristesse un peu, la passion toujours (78’, France, 2022), le documentariste Olivier Hems s’intéresse à la souffrance au travail, un thème mis en avant dès les années 1980-90, notamment par le psychologue Christophe Dejours. Le réalisateur se demande : « comment soigner les soignants ? ».

Son projet initial capote quand surgit l’épidémie de Covid, mais les contacts qu’il a pris le dirigent vers un médecin généraliste, Alain, victime d’un burn out alors que va sonner l’âge de la retraite. Il se rend compte qu’Alain a envie et même besoin de parler. C’est l’origine du portrait émouvant et nuancé d’un homme dont on serait heureux de serrer la main, un soignant profondément humaniste (versus techniciste).  

Lors de la dernière consultation d’une longue journée, une patiente, voyant la mine et l’attitude de son médecin, s’exclame : « Docteur, vous êtes plus malade que moi ! » De fait, il va à la fenêtre, l’ouvre, vomit. Il va alors faire l’expérience de l’étrangeté : « J’entendais les gens autour de moi, et j’étais en dehors de la vie de tous les jours, complètement à côté de la plaque, perdu… J’ai vu un psychiatre, il a compris ». Après une hospitalisation, il retrouve ses patients. Olivier Hems le filme à leurs côtés, mais aussi auprès de sa mère (qu’il soigne) et de sa compagne, sa psy, et enfin seul face caméra.  

De multiples questions sont ainsi évoquées, et souvent dans un effet miroir : le soignant souffre lui aussi, le patient se fait un peu médecin (comme cette femme qui dresse la liste des médicaments à lui prescrire, ou cet homme plus âgé qui prodigue des conseils sur la retraite). Les effets du confinement : « Je trouve les patients tristes. Il est temps que la période se termine. » (Lui aussi a l’air triste, ou du moins préoccupé – ce qui ne l’empêche pas de manier l’humour en consultation). Il y a l’imbrication des problèmes physiologiques, psychologiques, familiaux, professionnels chez les patients. Les heures de paperasse, les revenus modestes : « Ce sont les gardes qui me faisaient vivre ». Le vieillissement. La retraite : que faire ensuite, quand on a tout donné pour son métier ? Et tout ce que l’on a sacrifié pour cette passion : « Je voulais faire ce qu’il faut pour mon métier, et le reste du temps serait pour ma famille, mes proches. Mais du temps, il n’en restait plus ». S’ensuit un divorce, l’éloignement des enfants, puis des petits-enfants… Question : « Vous regrettez ce choix ? » Réponse, après réflexion : « Non… »  

Le travail à cœur  

Le débat qui a suivi la projection, animé par Christel Depierreux de l’Asbl Psymages, réunissait Olivier Hems, Thomas Périlleux (sociologue, auteur de Le Travail à vif, Érès, 2023) et Marco Schetgen (médecin généraliste, doyen de la Faculté de Médecine de l’ULB). Il a porté sur le burn out mais s’est élargi à ce qu’il faut bien appeler le marasme des soins médicaux de première ligne. En voici quelques échos notés à la volée.  

Marco Schetgen raconte. « Personnellement, je n’ai pas été victime d’épuisement professionnel, mais j’ai vu beaucoup de cas autour de moi. On estime d’ailleurs que 30% des généralistes font un burn out. En Grande-Bretagne, il existe des médecins formés pour soigner les généralistes mais, en Belgique, il n’y a pas de prise en charge spécifique : le plus souvent, on sollicite un confrère qui vous rend service, en quelque sorte, entre deux portes… » 

Quels sont les signes qui annoncent la souffrance professionnelle ? Quand faut-il s’inquiéter ? « Quand on n’a plus de temps de recul pour souffler, pour élaborer ce que l’on va faire dans son travail. Quand il n’y a plus de réunions d’équipe. Et quand une désensibilisation s’installe : le problème, c’est que c’est très progressif… En fait, c’est quand on n’a plus de plaisir à faire ce métier », ajoute le généraliste. 

Les jeunes généralistes se protègent 

Le facteur déclencheur est souvent un événement tel qu’un divorce, la mort d’un proche. Ou alors l’échec : un gros échec ou une accumulation de petits. Un facteur aggravant est certainement l’informatique envahissante (avec sa cohorte d’heures volées à la pratique médicale). Le film montre bien que le médecin pianote souvent sur le clavier. Cependant, souligne le réalisateur, « Alain est dans le temps présent, il oublie tout le reste et se branche sur le patient. Il a aussi des temps de silence, qui déclenchent la parole ». Et il ne fait pas l’impasse sur son propre burn out, ce qui signifie implicitement au patient : moi aussi j’ai été malade. 

Les facteurs protecteurs sont connus : le travail en équipe, et un équilibre avec la vie familiale et affective. Les jeunes médecins y sont attentifs : ils limitent souvent a priori leur temps de travail. L’ennui, c’est qu’une médecine holistique – telle que la pratique le médecin du film – cela prend du temps ! Il faudrait donc davantage de médecins de première ligne, alors qu’on en manque… ce qui était prévisible depuis longtemps avec le numerus clausus.  

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« Les jeunes généralistes se protègent, eux ne seront pas en difficulté, c’est le système de soins qui sera impacté, redoute Marco Schetgen. Et les patients vont payer le prix. Les services d’urgence seront engorgés ». Cela fait plusieurs années que l’on parle en France de la débâcle de l’hôpital public. Olivier Hems ajoute : « En France, on n’arrive plus à soigner les gens correctement. » Anecdote personnelle : accueilli récemment dans un hôpital bruxellois pour un examen, j’entends un médecin, venu pour la même raison, parler avec un confrère du service. Il fait de temps en temps des remplacements en France et il est encore plus dur : « Dans tel hôpital public, on délaisse tellement les patients que ça finit par les tuer ». Sic

Qu’est-ce que la situation française présage pour la Belgique ?… D’autant que les infirmières, elles aussi – elles que l’on applaudissait naguère dans le vide – disent « ça suffit » de la manière la plus claire, c’est-à-dire en quittant le métier. Et voyons plus loin que les soins de santé : ce n’est pas d’hier que nombre d’enseignants remettent leur tablier dans les cinq ans qui suivent leur arrivée sur le « marché du travail ». Je m’arrête là, mais on pourrait probablement aller voir du côté d’autres métiers fondamentaux (au sens propre) de la vie sociale.

La tristesse un peu, la passion toujours (78’, France, 2022), un film d’Olivier Hemshttps://www.mille-et-une-films.fr/la-tristesse-un-peu-la-passion-toujours

Les Rencontres Images Mentales, organisées chaque année par l’Asbl Psymages, promeuvent la réflexion sur l’audiovisuel en santé mentale et l’accès à l’information et à la documentation audiovisuelle dans le secteur de la santé mentale. Retrouvez le programme de la 16ème édition des RIM 2024 : https://www.psymages.be 

Soutien psychologique aux médecins généralistes : un numéro d’appel

Si vous traversez une période de stress intense, faites face à une situation de toxicomanie ou si vous êtes aux prises à des pensées suicidaires, vous pouvez contacter Médecins en difficulté via le numéro gratuit 0800 23 460 (entre 9h00 et 17h00 les jours ouvrables), ou remplir le formulaire de contact sur le site médecins en difficultés.be.

Médecins en difficulté est une organisation du Conseil National de l’Ordre des Médecins qui travaille de manière autonome et complètement séparée de la partie disciplinaire de l’Ordre des Médecins. La discrétion et la confidentialité sont garanties. En plus de son fonctionnement en tant que plateforme d’aide, Médecins en difficulté se concentre également sur la sensibilisation et la prévention des problèmes psychologiques auprès des médecins.  C’est également un centre de connaissance et un point de contact central pour toutes les personnes intéressées.

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Harcèlement scolaire : les professeurs renforcent leur pouvoir d’agir 

Le 28 Mar 24

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Dans le cadre de la lutte contre le harcèlement scolaire, la sanction entraîne souvent des représailles contre la victime et aggrave la situation. Une nouvelle méthode d’intervention propose de privilégier le dialogue dans le but de soutenir la cible et de mettre les intimidateurs présumés en situation de réparation. Des intervenants éducatifs s’y forment. Reportage

Véronique Livet donne des instructions  pendant le jeu de rôle
Véronique Livet donne des instructions pendant le jeu de rôle (Février 2023 – Clotilde de Gastines)

Au collège Saint-André d’Auvelais, lové dans un méandre de la Sambre, des applaudissements et des éclats de rire s’échappent d’une salle de réunion. Treize enseignants, trois psychologues du centre psycho-médico-social (PMS) et une éducatrice découvrent la méthode de la préoccupation partagée (MPPfr). Elle vise à renforcer leur pouvoir d’agir pour intervenir en cas de harcèlement scolaire.  

Cette méthode permet aux adultes d’agir en systémie pour démanteler le système d’intimidation. Basée sur les travaux d’Anatol Pika, un psychologue estonien qui a œuvré dans les années 70, elle a été adaptée en version francophone par le Centre de Ressources et d’Etudes Systémiques contre les Intimidations Scolaires (RéSIS France), qui a ouvert une antenne en Belgique en 2020. L’intervention consiste à agir sur deux plans : offrir un soutien sans faille de la cible du harcèlement, et mobiliser une partie de la classe, y compris les élèves qui prennent part à l’intimidation- et c’est là que se niche l’originalité – pour qu’ils changent de comportement. La méthode permet d’améliorer l’accompagnement des élèves, notamment ceux qui souffrent d’intimidations, de générer de l’empathie et de redonner du pouvoir d’agir au corps enseignant.  

Soutenir la victime 

L’heure est aux jeux de rôles entre les participants pour acquérir ces nouveaux réflexes d’intervention. Les deux formatrices Véronique Livet et Isabelle Willot rappellent le scénario : Jules a demandé à voir un membre de la cellule bien-être de l’établissement, car il dit qu’il se sent mal. Ses anciens amis se sont retournés contre lui. Depuis plusieurs semaines, il est devenu la cible de moqueries et des brimades quotidiennes.  L’échange avec Jules a été aussi long que nécessaire. “Je te crois, je suis là” sont les mots à prononcer. Ne surtout pas minimiser ou sous-entendre qu’il a une part de responsabilité dans ce qui lui arrive. Après ce moment d’écoute, l’intervenant lui explique comment les choses vont se passer si l’élève accepte sa proposition. L’équipe de la cellule va évaluer la situation, rencontrer ses parents, si nécessaire, et faire en sorte que les intimidateurs cessent les brimades grâce à la méthode de la préoccupation partagée. « Nous t’invitons à observer les changements d’attitude de tes camarades. Je te propose que l’on se revoie dans une semaine, tu es très courageux et je reste joignable”. 

En fonction de la situation, les parents de Jules sont reçus. S’ils exigent une sanction disciplinaire, ce qui est souvent un premier réflexe compréhensible, il faut leur expliquer avec tact que, loin de mettre fin à l’intimidation, les sanctions ont tendance à fédérer le groupe d’intimidateurs et à mettre en danger l’élève-cible qui pourrait être victime de représailles. S’il devait y avoir une sanction, celle-ci est mise en suspens le temps de l’intervention de la cellule qui prend 3 à 4 semaines. 

Placer les intimidateurs en situation de réparation 

Après ce rappel des faits, trois participants se portent volontaire pour jouer la seconde étape : un enseignant va recevoir des élèves – certains ont pris part à l’intimidation, d’autres peuvent devenir des aidants. Pour cette impro, Vanessa, professeure de sciences endosse le rôle de l’enseignante impliquée dans la cellule bien-être. Elle doit accorder trois minutes maximum par élève. Guillaume, psychologue au centre PMS campe “Thomas”, un garçon un peu craintif. Sa professeure de chimie accueille “Thomas” à la porte et lui propose de s’assoir en face d’elle. 

“Bonjour Thomas, merci d’avoir répondu à mon invitation, je voulais parler avec toi, parce que je me préoccupe de Jules, il n’a pas l’air très bien pour le moment à l’école, et je voulais savoir si tu l’avais remarqué toi aussi”. Thomas confirme “ben avec ce qu’il se prend tous les jours, moi non plus j’irais pas bien”. La préoccupation étant partagée, vient la proposition d’engagement : “ j’aimerais mettre des choses en place pour l’aider. J’ai vu plusieurs personnes de ta classe déjà. Est-ce que tu crois que toi aussi tu pourrais faire quelque chose pour m’aider à ce que la situation s’améliore ?”  

Thomas rechigne, mais semble soulagé par le fait qu’il ne soit pas question de sanction et qu’il ne soit accusé de rien. “Ben, j’veux pas trop me mouiller, ils ont dit quoi les autres ?” L’interlocutrice explique que leur échange est confidentiel, ce qui semble réduire à néant les réticences du jeune homme. Thomas propose de “dire bonjour à Jules”. Cela semble tout à coup si simple : “mais discrètement pour pas que Kylian me voie”. L’interlocutrice le remercie : “Ok, super, je compte sur toi alors. Je te remercie, ça m’aide beaucoup. Je te propose qu’on se revoie dans une semaine, même lieu, même heure pour faire le point. D’ici là, tu es attentif à l’état de Jules, et tu fais ce que tu as dit. Tu peux aller me chercher Kylian s’il te plait ?”. 

Natacha, professeure de français en filière professionnelle se porte volontaire pour jouer le rôle de “Kylian”, l’intimidateur en chef. Cet écorché vif doit donner du fil à retordre à Vanessa. “Bonjour Kylian, merci d’avoir…”, Kylian l’interrompt aussi sec : “Eh madame, pourquoi Thomas, il dit que j’ai déconné ?”. Elle le recadre. “On n’est pas là pour parler de toi, on est là pour parler de Jules, aujourd’hui je suis préoccupée parce qu’il me semble qu’il ne va pas bien.” Kylian joue la provocation : “mais non, Jules y va très bien, il y en a que pour lui, il fait sa star, mais moi, je le connais depuis le primaire, c’est une fouine ce gars-là…” La prof garde son sang-froid : “ok, c’est ton avis, mais ce n’est pas le sujet”. Son rôle est d’amener l’intimidateur à apaiser la situation même s’il le fait avec des pieds de plomb, et donc d’insister : “je t’ai demandé de venir parce que Jules ne va pas bien, comme tu l’as constaté, j’ai vu plusieurs personnes de ta classe, pour leur demander de m’aider car je suis vraiment préoccupée par sa situation et certains se sont engagés à me donner un coup de main.” Kylian la coupe et lève le ton : “j’m’en fous moi de Jules, j’le calcule pas, je vais le ghoster, il verra ce que ça fait. Moi tout le monde s’en fout de moi !” 

Sang froid et coup de chaud 

Malgré la tension, l’intervenante garde son calme, tandis que l’assemblée retient son souffle. Au cours de l’échange Véronique Livet brandit une ardoise avec des suggestions de jeu. Vanessa formule une hypothèse : “Au contraire, je crois que les autres t’écoutent beaucoup et que tu peux m’aider, je te propose d’y réfléchir, tu peux retourner en classe”. Kylian s’insurge : “eh, mais moi j’ai pas fini, j’ai encore envie de parler là”. Elle met fin à l’entretien, car elle n’a pas obtenu le “point de rupture” de l’intimidateur, c’est-à-dire la préoccupation, qui pourrait indiquer qu’il est prêt à basculer dans un rôle de réparation. Kylian semble tout de même s’engager à ignorer Jules, ce qui pourrait signifier que les brimades vont s’arrêter – la première urgence. Elle prend aussi note que Kylian a peut-être besoin de confier des choses aussi, elle lui proposera plus tard de l’orienter vers le centre PMS. 

Chaque jeu de rôle fait l’objet d’un debriefing. Le dernier échange a fait forte impression. Vanessa qui jouait la professeure confie qu’elle a eu beaucoup de mal à garder son calme face à “Kylian”. Contenir sa colère l’a rendue fébrile et elle retourne toute tremblante à sa place. Les formatrices la rassurent. Même si l’intimidateur ne veut pas bouger, le groupe bouge, ce qui redéfinit la place de chacun, y compris celle de l’intimidateur en chef, selon le principe de la systémie. 

Natacha qui jouait le rôle de Kylian explique que le calme olympien de Vanessa l’a vraiment décontenancée. “C’est déstabilisant d’avoir en face de toi quelqu’un qui t’écoute vraiment et d’avoir l’impression que tu comptes. C’est difficile de rester en mode “taureau”! » s’exclame-t-elle enthousiaste, alors qu’elle était arrivée très sceptique sur la méthode. “Si nous en tant qu’adulte, on se fait happer dans cette spirale de bienveillance en cinq minutes, pour un gamin de 12 ans, qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, ça en prendra deux”. 

“Je te fais confiance pour que cela change” 

Véronique Livet, l’une des deux formatrices, rompue à l’exercice, confirme : “les élèves, quand on leur tend une perche, en général, ils la saisissent”. Avec sa collègue, elles travaillaient auparavant en prévention dans un service de la Province de Liège, et utilisaient déjà la MPP sur des interventions de crise. “Dire à un enfant :je te fais confiance pour que cela change”, ça marque, ce sont parfois des mots qu’il entend pour la première fois” précise-t-elle.  

Comme le groupe construit et déconstruit la dynamique de harcèlement, la méthode consiste à mener ce type d’entretiens stratégiques très codifiés à J+1, J+7 et J+14, voire J+21. “Le fait de voir 6 ou 7 élèves, un tiers d’une classe ou du groupe de vie permet d’avoir une “masse critique” pour inverser la vapeur. Ce qui compte c’est l’addition des engagements, tout acte, même celui qui paraît minime” précise Isabelle Willot. 

Etonnamment ces conversations ne reviennent pas sur les faits ou sur les responsabilités de l’un ou de l’autre, mais elles permettent d’agir dans l’urgence pour mettre fin aux brimades, tout en offrant une porte de sortie honorable aux intimidateurs présumés qui en viennent à partager la préoccupation de l’adulte pour celui qui va mal. “Avec la MPP, l’élève-cible n’est plus tout seul, on répare, ça aura un impact majeur sur sa santé mentale et physique et sur toute la dynamique de groupe au passage” ajoute Véronique Livet. 

Des Kylian j’en ai rencontré. Et puis il y a tellement d’élèves qui vivent des choses terribles à la maison, qui n’ont pas de sas, ni de répit, alors ça s’exprime dans l’agression contre eux-mêmes, ou contre les autres”, constate Audrey, une des participantes qui enseigne le français. 

Clairement, cette méthode fonctionnerait avec nos élèves”, ajoute Céline. Cette professeure de néerlandais en filière professionnelle concède qu’elle a souvent eu tendance à être frontale avec les élèves intimidateurs. “J’usais de mon pouvoir de sanction, jamais il ne me serait venu à l’esprit de leur dire : “vas-y, je t’écoute, j’ai besoin de toi pour améliorer la situation””. 

Une mise en place progressive et éprouvée 

Les concepteurs de la méthode (voir ci-dessous) insistent sur un point : les conditions de réussite de la méthode reposent sur la constitution d’une équipe stable dans le temps, le soutien du chef d’établissement et la politique de vie scolaire. Ici, c’est un choix de l’établissement. Chaque participant pourra se porter volontaire pour animer la future cellule bien-être qui se créera sur son implantation – l’établissement en compte trois. 

En 2020, le service AMO avait demandé à la direction de créer une première cellule sur l’implantation de Fosses-la-ville, qui accueille 170 élèves de la 1ère à la 7ème. Baptisée “la Bulle d’air”, celle-ci a fait ses preuves. “Elle a été mobilisée deux fois pour des cas de harcèlement et plus souvent pour améliorer l’ambiance de classe, quand on percevait des signaux faibles de dégradation, explique Angélique Thérère, éducatrice. On n’attend pas qu’il y ait une hécatombe avant de soigner. Les élèves savent que la cellule existe, parfois les grands viennent nous voir car ils remarquent qu’un plus jeune ne va pas très bien. L’empathie émerge doucement”. 

En septembre dernier, la direction a donc proposé une deuxième vague de formation pour les volontaires. “C’est comme si la direction avait affrété un train et qu’on n’avait qu’à monter et s’assoir dans le wagon”, dit Audrey Gilson, professeure de sciences.  

Le dernier jeu de rôle, met en scène Thomas, qui faisait partie des élèves intimidateurs à J+14. Thomas n’a pas réussi à dire bonjour à Jules, de peur de provoquer la colère de Kylian. Il raconte que Kylian ignore Jules. La situation semble plus sereine, mais les adultes devront s’assurer qu’elle se stabilise dans le temps. Jules semble moins seul, “d’ailleurs hier, je crois bien qu’il a souri”. Une petite victoire pour l’équipe. Empowerment 1 : Harcèlement 0. 

Le harcèlement scolaire en Belgique : une obligation légale pour les établissements

Depuis septembre 2023, un décret définit le cadre de l’amélioration du climat scolaire et de la prévention du harcèlement et du cyberharcèlement scolaires. Il incombe en particulier à la direction de l’établissement et à l’équipe éducative d’établir “une procédure de signalement interne à l’école et de prise en charge des situations de harcèlement et de cyberharcèlement scolaires”. Celle-ci vise à détecter les situations, de harcèlement et de cyberharcèlement scolaires, à orienter les élèves concernés et à traiter les situations détectées, en fonction des compétences disponibles et/ou de la gravité de la situation, au sein de l’école ou avec des intervenants externes. 

La MPPfr : une méthode systémique et non-blâmante 

En France, plus de 80 000 fonctionnaires de l’Education Nationale ont été formés à la méthode de la préoccupation partagée. Mise au point en 2012 par Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier, la méthode a été intégrée dans le plan français de lutte contre le harcèlement scolaire (pHARe) lancé en 2019 par le Ministère de l’Education Nationale. Selon une évaluation menée cette année-là auprès de 487 fonctionnaires formés dans l’Académie de Versailles, elle a permis de résoudre 82% des situations d’intimidation.

Découvrir la méthode sur le site du Centre de ressources et d’études systémiques contre les intimidations scolaires (RéSIS)

Contacter le centre RéSIS Belgique : centreresis.belgique@gmail.com 

Découvrez les formations en Belgique

Journée de formation au CPS

Compétences psychosociales : 400 professionnels mobilisés 

Le 27 Fév 24

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Priorité à la santé mentale des jeunes ! En 2023, le service Prévention et Promotion de la santé de la Mutualité Chrétienne a sensibilisé plus de 400 intervenants éducatifs à l’approche des compétences psychosociales et met un nouvel outil à leur disposition.

Journée de formation au CPS

Éducateurs, infirmières, enseignants, animateurs, pédopsychiatres, psychologues, assistants sociaux : ils étaient nombreux à participer aux journées de formation sur les compétences psychosociales (CPS) organisées par la MC. L’objectif : semer les graines de cette approche, encore méconnue en Belgique.

La notion de “compétences psychosociales” correspond à “la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne” (Organisation Mondiale de la Santé 1993). Comment ? En mobilisant de façon pertinente un ensemble de ressources des domaines social, cognitif et émotionnel. Ces compétences permettent à une personne de maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement.

Ces compétences permettent d’adopter des comportements favorables à la santé et de s’ajuster à son milieu de vie (école, famille, lieux de loisirs). Soutenir le développement des CPS agit comme un “déterminant des déterminants” de l’état de santé global (physique, psychique et sociale) dès le plus jeune âge. 

Chez les enfants et les jeunes, les CPS ont un impact positif sur le développement global, le bien-être, la résilience, la réussite scolaire. Ils permettent de réduire les troubles anxieux ou suicidaires et les conduites à risque en matière de comportements sexuels, de violences et d’addictions. Chez les adultes, le renforcement de ces compétences améliore entre autres le sentiment personnel d’efficacité, les relations adultes-enfants et la qualité de vie. 

Faire front commun 

La crise du Covid est à l’origine du projet mené par la Mutualité Chrétienne. Au sortir de la crise sanitaire, le service Prévention et Promotion de la santé (PPS) de la MC a souhaité passer à l’action pour promouvoir la santé mentale. Un groupe de travail a conduit une analyse des besoins à travers la littérature scientifique et des questionnaires transmis aux professionnels. Rapidement, les jeunes sont apparus comme un public prioritaire, et le développement des compétences psychosociales comme un levier incontournable de promotion de leur santé mentale. 

Le service PPS s’est donc associé à plusieurs partenaires pour faire connaître et promouvoir l’approche des CPS. Le mouvement de jeunesse Ocarina a participé au projet de manière très active pour faire valoir son expertise de terrain avec les jeunes. L’Asbl Cultures&Santé a apporté des éléments théoriques autour de la promotion de la santé par les CPS et a donné des clés d’animation pour transmettre ce concept d’une manière participative et active pendant les journées de formation (voir notre onglet partenaires). 

Le service PPS s’est aussi inspiré de l’approche développée en France par les instances régionales d’éducation et de promotion de la santé (IREPS), et a pu bénéficier de l’expertise des IREPS Auvergne-Rhône-Alpes et Normandie.

La problématique a soulevé un fort intérêt auprès des acteurs belges de la Promotion à la santé à l’école, des centres PMS, de l’enseignement, de l’éducation spécialisée, des organisations de jeunesse et de l’aide à la jeunesse. Elle a également amené aux ateliers des professionnels qui ne venaient pas du champ de l’éducation, signe de sa pertinence pour tous publics. Ceux-ci étaient issus des secteurs de la santé mentale, des services de prévention communaux, des CPAS et des maisons médicales. 

Les acteurs locaux s’engagent 

Chacune des huit régions francophones et germanophone a pu aménager le programme des journées de sensibilisation pour faire valoir l’apport des acteurs locaux au niveau des territoires. Le service PPS a notamment pu compter sur l’appui des CLPS, de l’Observatoire de la santé du Hainaut, d’Infor jeunes, du Fares, des réseaux de psychologues de première ligne. Certains ont animé des ateliers CPS, d’autres l’espace ressources, ce qui a permis aux participants d’identifier les acteurs locaux. 

Chaque journée s’inspirait étroitement de la trame d’un atelier CPS, afin d’ancrer concrètement les étapes-clés de cette approche : 

  • Ocarina assurait un moment de brise-glace, puis de co-construction d’un cadre bientraitant ; 
  • Cultures&Santé présentait le concept des compétences psychosociales selon une définition expérimentale ; 
  • les chargées de projet de la MC présentaient ensuite l’approche des CPS, ses liens avec la promotion de la santé et la santé mentale du jeune, les bénéfices de cette approche sur le jeune, la méthodologie d’action et des vidéos d’expériences françaises ; 
  • l’espace ressources mettait à disposition des outils, de la documentation et des références ; 
  • l’après-midi offrait la possibilité de participer à des ateliers CPS, portés par des duos d’animateurs. Cela permettait de réfléchir à la posture professionnelle qui favorise le renforcement des CPS et d’échanger sur ses pratiques respectives. 

Oser formaliser et inscrire dans le temps 

L’approche CPS permet de formaliser le travail qu’effectuent déjà nombre de professionnels et bénévoles au travers d’ateliers dédiés spécifiquement à ces thématiques. Au cours de la journée, des témoignages de chercheurs et de professionnels ont expliqué comment la mise en place des CPS dans les projets pédagogiques, permettent d’améliorer le bien-être et la santé des jeunes. 

Un des pré-requis est de prendre du recul, de réfléchir à sa posture professionnelle. Pour favoriser l’exercice de leurs CPS, les jeunes ont besoin qu’un cadre bientraitant soit mis en place. Les échanges vont rendre les relations entre jeunes et adultes moins formelles. 

Il est possible de travailler de manière globale ou par thème : par exemple, prévenir le harcèlement scolaire ou encore travailler sur le renforcement des ressources : l’estime de soi ou le vocabulaire des émotions. 

L’approche CPS s’inscrit dans le temps. Elle passe par la mise en place d’ateliers structurés et une méthodologie précise qui permet aux jeunes d’entamer un parcours sur la connaissance de soi et de questionner leur environnement. 

Dans le cadre scolaire, des enseignants témoignent du fait qu’il est parfois difficile de s’engager dans un projet de renforcement des CPS, à cause notamment des contraintes liées aux programmes ou aux habitudes de travail. L’approche des compétences psychosociales bouscule en effet les relations institutionnelles, sauter le pas demande de l’énergie, du soutien, ce sont quelques-unes des conditions de la réussite. L’école a tout à y gagner : une meilleure dynamique de classe, une cohésion de groupe renforcée, une relation de qualité aux élèves, et une revalorisation de l’exercice du métier. 

Suite au fort intérêt suscité par les journées et pour répondre aux nombreuses demandes, le travail de sensibilisation se poursuit en 2024 avec la création d’une page web sur le sujet. Le service PPS a aussi élaboré un outil pédagogique gratuit et téléchargeable : le carnet « Soutenir le bien-être des jeunes par l’approche des compétences psychosociales ». De nouveaux ateliers-découvertes auront lieux pour les professionnels qui n’ont pas pu participer aux journées en 2023.

Retrouvez les prochains ateliers-découvertes :

Les partenaires 

Ocarina: organisation de jeunesse, partenaire de la MC, anime et forme des milliers de jeunes chaque année en Wallonie et à Bruxelles, avec une attention continue portée au bien-être et à l’épanouissement de tous.

Cultures&santé : asbl de promotion de la santé, d’éducation permanente et de cohésion sociale, située à Bruxelles et active sur la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a pour objet social l’amélioration de la qualité de vie des populations dans une perspective d’émancipation individuelle et collective. 

En France, chaque IREPS propose sur son territoire des services et des ressources pour accompagner les projets de promotion de la santé et contribuer à améliorer la santé des populations : documentation et outils pédagogiques, formations, conseils méthodologiques, ressources en ligne, interventions. L’approche CPS fait l’objet d’une stratégie nationale (2022-2037), mais chaque IREPS peut développer ses outils propres. Ainsi, l’IREPS Pays de la Loire a créé “le cartable des compétences psychosociales”. Il contient une mine d’informations et d’activités sur les compétences psychosociales avec des témoignages d’intervenants éducatifs. 

Pour aller plus loin :

. La page internet dédiée au projet

. le carnet « Soutenir le bien-être des jeunes par l’approche des compétences psychosociales ».

. Le référentiel français et le graphique qui facilite la lecture rapide du référentiel

. Le Focus n°4 de Cultures&Santé sur les compétences psychosociales des adultes et promotion de la santé paru en 2016

. Le site de Scholavie qui propose des modules d’E-learning

filtered vintage picture of barbed wire prison fence detail

Détenu.e Contact Santé : l’effet papillon en détention

Le 29 Jan 24

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En prison, des personnes détenues agissent pour la santé en détention dans le cadre d’un projet de prévention des pairs par les pairs mis en place par l’asbl Service Education pour la Santé (SES) 

mur de prison surmonté de barbelés
DR

Depuis 2006, l’asbl Service Education pour la Santé (SES) met en place un dispositif de promotion de la santé dans six prisons de Wallonie. Des chargé.e.s de projets forment des personnes détenues volontaires, au rôle de « Détenu.e Contact Santé » (DCS) pour qu’elles deviennent des émissaires de bonnes pratiques en santé et déploient des actions communautaires pour leurs pairs.

Les besoins en santé sont énormes tant l’environnement carcéral est un milieu de vie spécifique. L’enfermement, la promiscuité et la surpopulation favorisent les tensions, le mal-être, les consommations de psychotropes, les troubles psychiques et alimentaires, les comportements à risque, … 

Dans ce contexte pathogène, l’objectif du SES est de renforcer le pouvoir d’agir des personnes détenues grâce à des interventions en lien avec la santé : notamment la prévention des maladies infectieuses avec une approche de réduction des risques, la promotion du bien-être et l’amélioration des conditions de détention. 

Actuellement, un groupe DCS est actif depuis 2006 au sein de la maison de peine d’Andenne, un autre à Marche-en-Famenne depuis 2015. Le fait que les personnes détenues y soient incarcérées pour de plus longues durées permet d’assurer une certaine continuité dans la participation. Néanmoins, cela est plus compliqué à mettre en œuvre dans des maisons d’arrêt, au sein desquelles il existe davantage de turn over.  

En général, les groupes DCS formés sont actifs pendant environ un an avant de devoir être renforcés. En effet, certains groupes connaissent des ruptures qui peuvent être liées à l’essoufflement des participants, à l’abandon de certains membres, à des libérations anticipées, ou aux contraintes inhérentes au fonctionnement de l’établissement. L’effort de formation reste toutefois constant pour renforcer ces groupes et les maintenir au fil des années. 

DCS, un rôle multifacette 

Pour lancer le dispositif au sein d’un établissement, le SES invite les personnes détenues à une séance d’information en diffusant des flyers, en plaçant des affiches ou en s’appuyant sur le bouche-à-oreille. Lors de cette séance, les animateur.rice.s de l’asbl y présentent notamment les rôles multifacettes du DCS qui sont de:  

  • répondre à des questions relatives à la santé ; 
  • adapter les informations à leurs co-détenu.e.s et à l’établissement pénitentiaire ; 
  • favoriser l’acquisition d’aptitudes individuelles ; 
  • réorienter leurs co-détenu.e.s vers les personnes compétentes. 

Au-delà de ces rôles, le DCS est également un développeur de projets pour mettre en place des actions de promotion de la santé, mobiliser et/ou créer des supports méthodologiques, en collaboration avec d’autres personnes et/ou professionnels. 

Parmi les personnes détenues volontaires, une dizaine d’entre elles sont sélectionnées par la direction en fonction de différentes contraintes.  

Le groupe se retrouve d’abord durant plusieurs semaines pour bénéficier d’une formation, donnée par le SES, de huit séances de 2h – 2h30. Au programme : les concepts de base de la promotion de la santé, avec un focus sur les déterminants de santé. Ensuite, des informations sur des maladies particulièrement présentes en prison (les hépatites virales et la tuberculose entre autres), sur les assuétudes, l’alimentation, l’hygiène, le stress ou encore les troubles du sommeil. Des outils d’animations variés sont utilisés tels que des photolangages, des quizz, des vidéos et des supports powerpoint

Trouver une légitimité intra-muros 

La formation se termine par une évaluation (qui comprend un questionnaire individuel et un focus group) et l’obtention d’une attestation de participation qui permet aux participants de décrocher le titre de « Détenu.e Contact Santé ». Grâce à cette formation, le SES les a outillés pour leur permettre de répondre aux attentes et aux questions que ne manqueront pas de leur poser leurs co-détenu.e.s tout en respectant les besoins de confidentialité et en étant conscient des limites de leur rôle.  

Dans un second temps, les animateur.rice.s du SES organisent des réunions de suivi bimensuelles pour assurer la mise en projets et le suivi des demandes. Ils en assurent le soutien méthodologique, technique et scientifique. Par ailleurs, ils confient aux DCS des brochures d’information, des préservatifs… qu’ils pourront ensuite distribuer à d’autres personnes détenues. Le fait que le SES vienne de l’extérieur et en toute indépendance permet de créer un lien de confiance et, pour les DCS, de légitimer leur action auprès de leurs pairs. 

Lors de ces réunions de suivi, les DCS réalisent un diagnostic de terrain pour identifier les problématiques de santé présentes au sein de l’établissement. Ils gardent à l’esprit que les plus gros besoins concernent les soins spécialisés : cardio-vasculaires, psychiatriques, dentaires, sur lesquels ils n’ont que peu ou pas de prises.  

Quand la direction le leur permet, les DCS ont droit à une phase de circulation une ou plusieurs fois par mois pour aller à la rencontre de leurs co-détenu.e.s. A Andenne, lors de l’une de ces circulations, une personne détenue a confié à un DCS ses pensées suicidaires. Après l’avoir écouté attentivement, le DCS lui a conseillé de prendre rendez-vous avec le psychologue de la prison. Grâce à cette impulsion, la personne détenue concernée a vu le psychologue et, selon les dires du DCS, paraissait plus apaisée.  

La santé mentale en ligne de mire 

Les DCS ont aussi fait part de la nécessité d’organiser une meilleure prévention du suicide, car ils observent beaucoup de tentatives au sein de l’établissement.  

A Andenne, les DCS ont également proposé de pouvoir accompagner les personnes détenues allophones lors de leurs consultations chez le médecin pour faciliter la communication et améliorer la compréhension mutuelle. 

Par le passé, à Ittre, les DCS ont développé un projet d’embellissement des préaux à l’aide de fresques, à défaut de pouvoir végétaliser les espaces, ceci en collaboration avec d’autres intervenants actifs en prison. A Marche-en-Famenne, les DCS ont aussi été sollicités au moment de la réalisation de l’affiche de sensibilisation sur l’hépatite C développée par l’asbl I.Care (voir l’article dans ce même numéro) afin d’avoir un retour de personnes détenues sur l’accessibilité de cette affiche au plus grand nombre. 

Au fil des années, la mobilisation des DCS a permis, entre autres, d’améliorer l’hygiène dans les douches pour éviter la propagation de la gale et des mycoses. Dans plusieurs prisons, les servants, des personnes détenues qui assurent une partie de l’entretien de la prison, ont pu suivre une formation sur la bonne utilisation des produits d’hygiène et sur l’entretien des locaux.  

Des blocages parfois difficiles à lever 

En revanche, d’autres demandes n’ont pas pu aboutir. L’une d’entre elles visait par exemple à améliorer la gestion des poubelles. Les personnes détenues disposent de poubelles sans sac dans leurs cellules. Pour éviter les odeurs, certains se débarrassent de leurs déchets dans les préaux, d’autres dans leurs toilettes. Pour y remédier, les DCS ont proposé que la prison fournisse des sacs poubelles, qu’ils pourraient jeter régulièrement dans les gros bacs poubelles disponibles sur section. La direction a refusé pour des raisons financières. A défaut, les DCS ont envisagé de renforcer le nettoyage des préaux grâce à des servants supplémentaires. La direction a soutenu cette proposition et quatre servants supplémentaires ont été engagés.  

Dans le cadre de la réforme des soins en prison, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) demandait en octobre 2017 la mise en place d’une approche holistique des soins, qui ne dépende pas que du personnel soignant. “Elle implique également que les détenus eux-mêmes participent à l’amélioration de leur santé. Ainsi, plusieurs études ont démontré que les interventions peer to peer sont efficaces, par exemple pour réduire des comportements à risque et les risques de transmission de maladies infectieuses. De plus, cela responsabilise les détenus face à leur santé et les prépare à la réinsertion après leur libération. Il est donc souhaitable d’aider les détenus à devenir davantage acteurs de leur santé, en particulier dans le domaine de la prévention et de la promotion de la santé”.  

Bien qu’essentielle et mise en place par l’équipe du SES depuis de nombreuses années, cette recommandation fait face à de nombreux freins. L’équipe du SES et les DCS tentent toutefois de les dépasser, avec créativité et adaptabilité, afin que des actions concrètes puissent être déployées et qu’elles ne restent pas enfermées dans leur cocon, bloquées au stade d’idées. 

A lire :  

Rapport Soins de santé dans les prisons belges : situation actuelle et scénarios pour le futur

La santé en prison : une disjonction symptomatique ? Rachelle Rousseaux, La vision d’acteurs du milieu carcéral en Région bruxelloise – rapport de recherche RESO publié en juillet 2023

Le site web du SES : L’asbl Service Education pour la Santé dont le siège social est basé à Huy, mène des actions de promotion de la santé depuis 1985. Elle intervient dans les 16 établissements pénitentiaires de Wallonie. Au début des années 2000, elle oriente une partie de ses moyens et de ses actions vers le milieu carcéral et forme les premiers Détenus contact Santé à la prison d’Andenne – Education Santé y avait consacré un article paru en 2006. 

  

parle avec elle couv

“Parle avec elles” : faire entendre la voix des femmes détenues 

Le 29 Jan 24

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Problème de communication, faible niveau de littératie, manque d’accès aux soins de base et défiance envers le corps médical. Les femmes détenues pâtissent de multiples insuffisances. Un rapport leur donne voix au chapitre. 

parle avec elle couverture du rapport

Si l’incarcération est évidemment difficile pour toute personne, les femmes incarcérées peuvent rencontrer des difficultés supplémentaires comparées à celle des quartiers pour hommes. I.Care a choisi de rendre publique la parole de 17 femmes incarcérées ou qui ont connu la prison. Elles relatent le choc de l’entrée en prison, l’impossible intimité, la faible qualité des soins, notamment gynécologiques ou obstétriques, les difficultés à maintenir des relations familiales, et surtout le manque d’activités qui sont plus nombreuses dans les quartiers pour hommes. 

Intitulé Parle avec elles, ce document paru en juillet 2023 permet de cerner les réalités et les défis auxquels sont confrontées les femmes placées derrière les barreaux et confortent les constats que I.Care fait quotidiennement dans son travail en prison. Non-prise en compte de la douleur, report des soins, ou actes de mauvaise qualité. L’insuffisance de soins de santé en prison a des conséquences graves sur la santé physique et mentale des femmes. Les problèmes de santé non traités ou mal gérés peuvent s’aggraver, entraînant des complications et une détérioration de l’état de santé général. De plus, le manque de confiance dans le système de santé en prison peut avoir un impact négatif sur la motivation des femmes à faire les démarches nécessaires afin de recevoir les soins dont elles ont besoin. Au point que certaines attendent leur libération pour faire un bilan médical. 

“Ici, à ma sortie, j’ai fait un check-up médical. Dès que j’ai des nouvelles de la mutuelle, et ça fait trois semaines que je suis sortie et ça prend du temps, mais on me fait une prise de sang et tout ça, et on met tout en route. Je rattrape le retard de prise en charge de la prison quoi. J’ai un problème à la thyroïde qui n’a jamais été suivi en prison, donc je suis occupée maintenant à refaire tous les examens pour voir quand est ce qu’on va m’opérer. Ce qui aurait pu être fin 2019 quand ils ont eu le rapport du médecin, mais… Non, ils ont juste répondu que j’étais qu’un cas de prison donc...” (Juliette*) 

Le psychotrauma en héritage 

Le rapport souligne aussi une réalité souvent méconnue : les femmes incarcérées sont non seulement des auteures d’infractions, mais aussi souvent des victimes de divers traumas. Comme le dit Mia*, une des participantes : “Ma mère, j’étais son punchingball. On m’a pas appris à parler aux enfants, parce que moi on m’a jamais parlé. On me frappait, ou on m’insultait, on me parlait pas”. Leur parcours est souvent marqué par des violences et expériences traumatisantes qui ont pu influencer les actes menant à une incarcération. Le passage en prison peut représenter un nouveau départ et/ou un moment de répit dans une vie de violences pour de nombreuses femmes, même s’il apporte également son lot de défis et de difficultés. Les témoignages récoltés laissent à penser que l’incarcération devrait être une opportunité de soin pour des personnes vulnérables, elle devrait être également une opportunité d’aide à la (re)construction et à la capacité d’agir pour ces femmes. 

En effet, les échanges ont permis de constater, que les personnes détenues disposent d’une très faible littératie en santé, ce qui impacte fortement leurs accès aux soins et alimente la défiance envers le personnel soignant. De nombreuses femmes peuvent présenter des difficultés d’accès à l’information médicale et de compréhension de celle-ci. Cela peut être difficile pour elles de comprendre les instructions médicales, les traitements prescrits ou les informations sur leur état de santé. Cette limitation peut entraver la communication avec les professionnel·les de santé et compromettre les résultats des soins. 

Que demande I.Care ? 

I.Care demande de financer et renforcer les actions de promotion de santé en prison pour permettre un accompagnement individuel, collectif et communautaire agissant sur les déterminants sociaux de la santé. Une mission spécifique EVRAS devrait être confiée à des centres de planning familial. 

Il est essentiel d’adopter une approche holistique respectueuse des dimensions de genres dans les politiques et pratiques pénitentiaires, en prenant notamment en compte leurs besoins en santé sexo-spécifiques mais également les expériences de violences et de traumatismes qu’elles ont pu vivre avant leur incarcération.  

Cela implique la sensibilisation et la formation continue des professionnel·les du système pénal sur les problématiques spécifiques aux femmes en prison. Il est également crucial de permettre aux femmes détenues victimes de violences d’accéder à des services spécialisés dotés de moyens suffisants, notamment des thérapies individuelles et de groupe axées sur la guérison des traumatismes et le renforcement de l’estime de soi. 

A ce titre, vous pouvez consulter la note : « Faire entrer en prison des structures d’accompagnement pour les femmes victimes de violences basées sur le genre »

Enfin, il est essentiel d’inclure le milieu carcéral dans la politique de prévention des violences. Cela doit passer par la mise en place de programmes pour les hommes et les femmes détenu∙es mais aussi par la mise en œuvre de mesures de protection spécifiques pour les femmes qui craignent des représailles ou des violences, afin de garantir la continuité des prises en charge après leur sortie de prison. 

Retrouvez le rapport complet en pdf  

Chiffres-clés :  

La Belgique vient de passer le cap des 12 000 personnes détenues.  

Parmi elles, 4% sont des femmes et 96% sont des femmes. 

La durée moyenne d’incarcération est de 9,9 mois 

(source : https://www.prison-insider.com/fichepays/belgique-2023)

rampenlicht

A la vie comme à la scène : le théâtre comme outil de santé

Le 3 Jan 24

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De plus en plus de personnes osent monter sur scène pour parler de leur vécu. La maladie, le burn out, les traumas et l’addiction sortent des coulisses grâce au stand up, à la poésie slamée, à l’écriture pure et au jeu.

Un homme sur scène slame un texte qu'il tient dans les mains

“Être debout devant vous sur cette scène, au fond c’est peut-être ça qu’on appelle réussir son burn out”, lance la slameuse Ptit-Jules (de son vrai nom Julie Dubois) avant de scander quelques vers. “La pensée du travail me donne la nausée, relent acide dans ma trachée, l’angoisse à vide me cloue au plancher. Deux ans déjà, deux ans ont passé. Visite au médecin-conseil. “Mais vous devriez aller mieux”. Bah oui, c’est vrai, en 24 mois, je suis passée de l’état de brocoli surgelé à celui de mochi fondu. Au fond d’un congélateur pas dégivré, je suis comme un grand brocoli tout spongieux coincé entre un pack de glaçons et un sac de frites qui se laissent aller. Racine sectionnée, branchies atrophiées, céphalées incessantes qui se prolongent en acouphènes. En comparaison, un mochi fondu ça fait rêver”. Ces quelques mots lancent la soirée organisée avec la Ligue bruxelloise de la santé mentale, le 12 octobre dernier au PianoFabriek de Saint Gilles. Un rendez-vous devenu annuel dans le cadre de la Semaine de la santé mentale. 

Au micro, les prises de parole se succèdent. Elles racontent les traumas, les désillusions, les deuils, les tâtonnements et l’errance parfois. L’un des récits relate un souvenir brûlant, celui d’une enfant encore apeurée bien des années après. Elle tente de se concentrer sur un mince filet de musique classique, sa radio allumée dans la nuit, en dépit de l’interdit, pour couvrir des sons terrifiants, ceux de la violence brute de son père qui bat sa mère. 

A travers toute la Belgique, les scènes ouvertes font la part belle à ces prises de paroles cathartiques – au sens premier de la catharsis : l’expression symbolique des passions sur scène. En lieux publics, de repos ou de soins, les initiatives foisonnent.  

Ce sont parfois des pièces de théâtre qui ouvrent le débat sur des sujets encore méconnus, comme “Dys sur Dys” sur les troubles du neuro-développement, ou tabous comme “Starlight et tartes aux Pommes” sur la solitude des personnes âgées (retrouvez nos articles dans le numéro d’Education Santé d’octobre 2023). Mi-décembre, la pièce “Speculum” de Delphine Biard, Flore Grimaud et Caroline Sahuquet abordait quant à elle, le sujet des violences gynécologiques et obstétricales avec – à la suite de la représentation – un débat de bord de scène animé par l’Asbl Femmes et Santé. 

Bien plus qu’un outil de littératie 

Mais pour les patients, les malades, les usagers de services de soins ou sociaux, l’engagement artistique en lui-même a un impact sur la santé et sur ses déterminants : en étant tout à la fois outil de littératie en santé, d’empowerment et d’acquisition de compétences psychosociales. En 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS Europe) faisait même la promotion des interventions artistiques, disant qu’elles sont “souvent sans risque, avec un degré d’efficacité très élevé en regard de leur coût, et offrent des options de traitement et d’accompagnement intégrées et holistiques pour des enjeux de santé complexes pour lesquels il n’existe pas de solution à l’heure actuelle”.  

Dans certains pays, la relation entre la promotion de la santé et les arts est d’ailleurs particulièrement intégrée, comme en Suède, en Norvège, en Ecosse ou encore en Australie, qui fait figure de pionnière en la matière. En 2016, l’adoption d’un plan-cadre national des arts et de la santé (National Arts & Health Framework) a permis de structurer l’action à l’échelle du pays-continent. Le NAHF recommande la participation artistique et l’art communautaire comme outil de promotion de la santé en citant ses effets bénéfiques : diminution de la morbidité et de la mortalité, développement personnel et des compétences (apprentissage, travail d’équipe, flexibilité, communication) qui conduisent à l’employabilité, la santé physique, l’engagement et la cohésion sociale. Six ans plus tard, un rapport conséquent présente une série de recommandations et un mode de gouvernance inspirant.  

La santé mentale monte sur scène 

En Belgique, les initiatives arts et santé sont encore peu coordonnées, malgré une mobilisation importante du secteur de la promotion de la santé dans les années 2000 qu’Education Santé avait alors documenté. En région Bruxelles-Capitale toutefois, les activités théâtrales font la part belle à la santé mentale. Au cœur des Marolles, la compagnie L’appétit des indigestes, qui a ses quartiers au Pianocktail, vient de voir son agrément d’opérateur renouvelé par le Plan bruxellois de Promotion de la santé 2023-2028. 

A l’origine, nous voulions créer un atelier de théâtre qui soit à la frontière entre le thérapeutique et l’artistique pour déstigmatiser la psychiatrie” explique Sophie Muselle, qui a travaillé comme psychologue en hôpital psychiatrique pendant trois ans avant de devenir metteuse en scène. “Les personnes psychiatrisées sont souvent déresponsabilisées ou infantilisées quant à leur santé. Les compétences psychosociales et la littératie ont été abîmées par des passages en psychiatrie et des parcours de vie traumatiques. Nombreuses sont celles qui manquent de confiance en leurs ressources, les prises de décisions et la pensée critiques diminuent, la communication et les liens avec l’autre sont difficiles ainsi que l’estime de soi, la gestion des émotions et du stress,” explique la metteuse en scène. 

Avec son comparse Pierrot Renaut, comédien, Sophie Muselle a choisi d’animer des ateliers d’écriture et de jeu théâtral tous les mercredis et vendredis après-midi. Ouverts à tou.tes, “la seule condition d’accès est de participer”. Le principe de cette permanence s’appuie sur les préceptes du psychiatre Charles Burquel, qui défendait une psychiatrie ambulatoire et sociale insérée au plus près des besoins des populations précarisées, se traduisant notamment par des pratiques de santé mentale communautaire. 

Durant deux heures, l’atelier d’écriture ou de jeu théâtral permet de travailler un thème choisi avec les participant.e.s (corps, féminité, enfermement, solitude, maladie, vieillesse, famille, médication, travail, amour). Le thème est décliné en sous-thèmes et une consigne d’écriture est proposée. Par groupes de deux, les participant.e.s échangent sur leur vécu. Chacun écrit ensuite un texte partant du vécu de son ou sa « partenaire ». Les textes sont lus au groupe et sert de base pour bâtir le spectacle. Lors des ateliers de jeu théâtral : chaque scène est déployée et répétée avec un travail sur les émotions, le regard, le niveau sonore, le corps, la présence en scène, etc. Le spectacle est présenté au public environ six mois plus tard – quand le groupe est prêt. 

“On va tous crever !” 

L’an dernier, nous avons parlé de la vie, de la mort et du suicide. J’ai mis en forme les écrits et nous en avons tiré une pièce intitulée : “On va tous crever”” explique Sophie Muselle. Tout comme l’écriture préserve l’aspect documentaire des récits et leur donne une fluidité, la mise en scène et le jeu très sobre jettent une lumière crue sur la réalité. “Je m’inspire de l’art brut pour ces créations de théâtre documentaire : très peu de lumière, pas de décor, quasiment jamais de costume, sauf exception”. Chaque participant.e peut monter sur scène, sans obligation.  

Pour “On va tous crever”, nous étions 25 !” précise-t-elle dans un souffle enthousiaste – signe que le fait d’aborder ce sujet était primordial et, d’une certaine manière, libérateur. “Nous sommes tout le temps en train d’écrire, de répéter et de jouer. Nous donnons systématiquement trois représentations de chaque spectacle au Pianocktail, qu’on rejoue ensuite à la demande dans des structures associatives ou de soins, sur des festivals”. Autour des pièces, la compagnie organise des activités communautaires : des ateliers de cuisine, des soupers et des sorties au théâtre.  

Plusieurs fois par an, la compagnie invite aussi des professionnels de santé, anime des formations sur la pair-aidance et sur la posture de soins. “Cela permet de montrer une manière de faire de la promotion de la santé et du soin qui soit totalement horizontale”, explique Sophie Muselle. 

Plusieurs acteurs du social-santé montent ponctuellement des projets théâtraux avec la participation de leurs bénéficiaires. En octobre dernier, la LSBM organisait ainsi des ateliers de théâtre-impro autour de l’accompagnement des aînés. 

L’activité théâtrale permet à une personne très désinsérée de découvrir une autre part d’elle-même, de pouvoir exister autrement qu’en simple usager de service et ainsi de retrouver l’estime de soi,” décrit Eric Husson, coordinateur du projet Lama, qui accompagne les usagers de drogue notamment au sein du Centre social-santé intégré de Ribaucare. Alors que le nouveau Plan social-santé intégré doit justement remédier au fonctionnement en silo, il se plaît à imaginer “qu’à terme dans un lieu de soins, on trouvera du social, du logement, Actiris et même de la culture”. Une utopie qui paraît soudain très réaliste.

Pour aller plus loin : 

mature man with apron offers bag of groceries in community setting. food donation and charity.

Alimentation, social et santé : la mayonnaise prend

Le 3 Jan 24

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Social, santé et alimentation cherchent la bonne recette pour transformer leurs frustrations en synergies. Fin novembre, les acteurs et actrices de Bruxelles-Capitale ont fait table commune.

Le rendez-vous promet d’être annuel. Le 30 novembre dernier, une cinquantaine d’acteurs du social, de la santé et de l’alimentation de Bruxelles-Capitale se sont réunis à l’espace CBO de Jette. Au programme : trouver des recettes pour réaliser une mission commune : améliorer l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous.  

Un homme aide à distribuer des colis dans une épicerie solidaire

Une urgence, car en Belgique, plus d’un décès sur dix est dû à la malbouffe – « l’estimation était de 11% en 2021 » rappelle Brigitte Grisar chargée de projet de la Fédération des services sociaux (FDSS), co-organisatrice de l’événement. Autres indicateurs éloquents : la moitié de la population a un tour de taille présentant un risque de maladie cardio-vasculaire, un Belge sur trois est en surpoids, 16% est obèse. 

Les trois secteurs ont longtemps fonctionné de manière cloisonnée. « Depuis cinq ans, on a noué des liens entre le social et l’alimentation. Avec la santé et la promotion de la santé, les contacts sont plus récents » explique Jonathan Peuch de FIAN Belgium, une ONG, qui défend le droit à l’alimentation et à la santé (lire sa contribution dans notre dossier de décembre 2022). 

Créer du liant 

En juin 2022, un premier événement avait permis de « briser la glace » explique Eléonore Barrelet, coordinatrice de Agroecology In Action, une des organisatrices, qui a choisi de remettre le couvert pour que les acteurs de terrain fassent plus amplement connaissance. Cette journée complète les rendez-vous de concertation plus formels qui se tiennent dans le cadre du conseil participatif Good Food – et les événements organisés par le SIPES-ULB en tant que Service support en matière d’alimentation et d’activité physique. 

« Il y a du boulot pour décloisonner car on est fort enfermé dans nos maisons médicales, témoigne une médecin généraliste de Laeken. Ce n’est pas dans notre culture de faire de la prévention. On rame à longueur de journée pour faire du curatif, car c’est la seule chose qu’on puisse facturer. Ce serait pourtant un changement de paradigme intéressant” ajoute-t-elle, d’autant que la formation Good Food, animé par Rencontre des Continents a été pour elle « une super impulsion pour envisager son activité autrement ». 

« L’objectif de la journée est de poser des balises communes, explique en préambule de cette journée Eléonore Barrelet. De former progressivement tous les acteurs de la santé et de la précarité à s’emparer des enjeux liés à l’alimentation et réciproquement ». 

Pour imaginer des solutions, infirmière en santé communautaire et maraîcher, boulangère ou assistante sociale, médecin généraliste et agent de CPAS ont échangé sur leurs pratiques et leurs actions tout au long de la journée. Etaient aussi présents, les quatre nouveaux acteurs subsidiés par le Plan bruxellois de promotion de la santé 2023-2028 : Cuisines de Quartier, FIAN Belgium, Nos Oignons et Vrac Bruxelles. Une bonne occasion de rappeler l’importance des fondamentaux du secteur. 

Hacher menu les stéréotypes 

« En promotion de la santé, on se bat contre un stéréotype qui a la peau dure, qui est de dire que les pauvres se nourrissent mal », explique Zoé Boland de la Fédération bruxelloise de promotion de la santé (FBPS), qui a pris l’initiative de publier une carte blanche dans Le Soir le 2 octobre dernier pour critiquer le report sine die du Plan Nutrition

L’insécurité alimentaire est certes liée à la capacité limitée ou incertaine pour acheter des produits de qualité – elle est d’ailleurs plus élevée dans les foyers monoparentaux – pour autant les habitudes alimentaires ne sont pas liées qu’au pouvoir d’achat. 

Les mauvaises habitudes sont largement partagées car 30% de l’alimentation des Belges provient d’aliments ultra-transformés, peu nutritifs, et souvent trop salés ou trop sucrés, qui augmentent les facteurs de risques pour la santé. « Le sentiment de solitude, qui touche deux Belges sur trois est probablement à la source de ces comportements », souligne une assistante sociale, qui constate que « quand on est seul, on a moins tendance à cuisiner ». 

Il est possible de distinguer des déterminants socio-culturels individuels. Par exemple, « au sein de la population de Bruxelles-Capitale, les adolescents sont ceux qui consomment le moins de fruits et légumes, y compris par rapport aux jeunes wallons et flamands » précise Lucille Desbouys, ancienne infirmière devenue épidémiologiste à l’Ecole de Santé Publique de l’ULB. Tandis que les personnes nées hors de l’Union Européenne ont tendance à consommer plus de fruits et légumes frais que celles qui sont nées en Belgique. 

Faciliter l’accès 

« C’est important de voir que l’inaccessibilité touche aussi les personnes qui paraissent plus favorisées » explique Mahdiya El-Ouiali, assistante sociale et chargée de promotion de la santé communautaire en maison médicale. L’analyse des déterminants permet de dénombrer de nombreuses inaccessibilités : économique, géographique, logistique -quand un logement n’est tout simplement pas équipé pour cuisiner ou maintenir des aliments au frais. 

Pour mettre en place la stratégie Good Food, le Plan Social Santé Intégré qui doit restructurer toutes les interventions à l’échelle de Bruxelles-Capitale prévoit de désigner 20 quartiers prioritaires (sur les 47) en matière d’alimentation-social-santé. Les contours sont en passe d’être définis par décret et ordonnance conjoints5.   

Des initiatives bien implantées 

Une partie de la matinée a permis de faire connaître six projets actifs sur Bruxelles qui tentent de concilier les trois pans. Parmi eux, figuraient l’épicerie solidaire Episol de Schaerbeek qui travaille beaucoup avec le CPAS et les maisons médicales, car nombreux sont les bénéficiaires qui ont des problèmes de santé. L’ADN du projet est de rompre l’isolement social de personnes très âgées ou très seules, en leur proposant des produits abordables et des colis alimentaires. L’Asbl propose aussi séances d’informations pour remédier au surendettement, ou encore des ateliers de couture ou de cuisine pour créer de la convivialité et du lien social. Depuis un an, certains bénéficiaires arrivant en fin de droit, ont la possibilité de dépenser un chèque alimentaire mensuel de 150 euros à la BEES Coop, un supermarché coopératif de la commune, qui propose des produits majoritairement bio ou locaux. 

Non, loin de là, rue Josaphat, la boulangerie associative auto-gérée “Le pain levé” propose des pains à prix variant en fonction du portefeuille.  « Nous produisons des pains nutritifs, sans additif, pauvres en sucre et en gluten et nous sensibilisons nos clients à ces qualités qui sont importantes pour la santé, quand on a du diabète notamment » explique Charlotte, une de ses boulangères.  Avec ses quatre comparses, ils et elles réfléchissent à monter un projet pérenne avec les maisons médicales qui les sollicitent déjà ponctuellement pour certains de leurs patients. La boulangerie a aussi tissé des liens avec la Maison des femmes et organise des petits-déjeuners et des matinées de “four-ouvert” pour les habitants du quartier. 

A Neder-Over-Hembeek, la ferme urbaine du Début des haricots fait quant à elle de l’insertion sociale et professionnelle, en prenant soin des aspects bien-être et santé mentale. « La plupart des apprentis sont en reconversion professionnelle, certains après un burn out, d’autres après des moments d’errance, des parcours migratoires, ou des addictions », explique Roxane Septier, chargée de projet et d’éducation permanente. 

Faire monter la sauce 

« Nous avons des chevaux de bataille communs. Nous sommes des alliés et nous avons le devoir de constituer un attelage bien solide, précise Zoé Boland. Notre rôle est de conscientiser la population pour qu’elle sache que toutes les questions liées à la santé, à l’alimentation et à la précarité sont transversales et qu’on en tient compte ». 

Cela implique de parvenir à « concilier les impératifs de chacun », précise Eléonore Barrelet. En effet, un maraîcher aura à cœur de produire des produits de qualité, et de les vendre à prix décent pour pouvoir en vivre. Une épicerie solidaire s’inquiètera que l’acheteur paie ces légumes à un prix raisonnable. Un médecin généraliste pourra plus facilement orienter un patient qui souffre de diabète vers une boulangerie qui propose des pains spéciaux. 

Cette journée avait aussi l’ambition de chercher une recette collective pour “transformer les frustrations et les colères en alliance et en synergies”.  Acteurs et actrices de terrain, malgré leur diversité, ont réalisé qu’ils et elles partagent des colères communes : le manque de moyens structurel pour mener les projets à bien, et en concevoir des nouveaux, lié au financement par projet, et aussi l’impression de devoir suppléer de façon croissante aux missions de l’Etat. La mayonnaise semble avoir pris.

Pour aller plus loin :

  • En 2024, plusieurs cycles de formation : 4 demi-journées gratuites pour les professionnels du social-santé sont coordonnées par Rencontre des Continents à l’initiative de Bruxelles Environnement 
two senior friends knitting at home

Santé communautaire : l’heure est à l’échange de pratiques 

Le 3 Jan 24

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La Chaire interdisciplinaire de recherche Be.Hive présente ses travaux sur deux communautés de pratiques (CoPs) – des groupes d’individus qui partagent un domaine d’intérêt et qui cherchent à apprendre les uns des autres par des interactions régulières et l’expérience de leur pratique. Des dispositifs sont particulièrement prometteurs en ce qui concerne l’approche en santé communautaire.

L’approche en santé communautaire se définit comme : un processus ayant une vision plurifactorielle de la santé, qui entreprend le développement d’actions de prévention et de promotion de la santé à travers la participation de groupes de personnes affiliées sur un territoire, dans une perspective de justice sociale, par la réalisation de changements structurels (environnementaux et comportementaux), en vue d’améliorer la santé de la communauté et de ses membres (2). Cette approche connait actuellement un regain d’intérêt tant du côté wallon que bruxellois (3).  

Deux hommes âgés tricotent

Dans le cadre des CoPs, nous avons choisi de mettre l’accent non pas uniquement sur les actions qui la constituent, mais plutôt sur les caractéristiques partagées par les dispositifs de santé communautaire (4) (5). De facto, cette vision vise à épouser à la fois les attentes et le rythme du public afin qu’il ne soit plus uniquement bénéficiaire du service, mais également contributeur, en s’enrôlant plus « activement » dans la relation de soins et d’aide. 

En 2020, une étude a été menée dans le cadre des travaux de Be.hive sur les pratiques de santé communautaire auprès des professionnels de la première ligne de soins et d’aide. Celle-ci a notamment mis en évidence un déséquilibre dans les principes d’action sensés guider la santé communautaire et des écarts entre les pratiques annoncées et les pratiques effectives sur le terrain, laissant supposer des difficultés dans la mise en œuvre (6). Cette étude avait également permis aux professionnels d’exprimer le besoin de pouvoir échanger sur leurs pratiques. C’est dans ce contexte que Be-Hive, en collaboration avec les Centres locaux de promotion de la santé (CLPS), a développé en 2021 deux CoPs autour de la santé communautaire : l’une sur l’arrondissement de Liège et l’autre sur celui de Namur.  

À partir d’une analyse thématique de contenu des premières séances de ces CoPs, voici quelques réflexions portant sur les paradoxes ou défis exprimés par les professionnels dans la mise en œuvre des pratiques de santé communautaire, mais aussi les leviers ou stratégies qu’ils ont développés pour y faire face (7) (8).  

La santé communautaire, comme réponse stratégique aux enjeux de santé publique 

Cette vision de la santé communautaire est soutenue par les professionnels qui participent aux CoPs et qui sont convaincus des avantages de l’approche pour répondre aux attentes d’un public sur un territoire délimité, tout en étant un levier important pour dépasser les limites d’un système actuel encore fortement imprégné du modèle biomédical : « très vite, dans les consultations individuelles, les médecins se sont rendus compte qu’il y avait des problématiques sur lesquelles ils n’arrivaient pas à avancer, parce que les causes n’étaient pas individuelles et qu’il fallait agir sur les conditions de vie (Infirmière, Service d’aide aux personnes en situation de mal logement, CoP de Namur). » 

Paradoxe et défis liés à la mise en œuvre des pratiques de santé communautaire  

Les CoPs confirment le décalage qui subsiste entre cette vision idéale et la réalité effective où cette pratique de santé communautaire reste difficile à concrétiser de manière systématique et diffuse, compte tenu à la fois du paysage peu structuré de la santé communautaire et de la difficulté de trouver sa place en tant qu’approche à l’intérieur d’une organisation.  

Dès lors, un certain paradoxe peut s’observer avec d’une part l’approche curative qui peut se montrer restrictive dans sa réponse aux défis de santé, et d’autre part la reconnaissance déficitaire de la santé communautaire comme une option valable et faisable. Les participants des CoPs ont pu déployer des stratégies variées pour faire face à ces différents défis.  

En quête de légitimité  

Les différentes actions constitutives de la santé communautaire sont réalisées pour répondre aux besoins spécifiques et pluriels du public et dépasser un système qui priorise encore le biomédical. « Une des difficultés concrètes, c’est d’impliquer l’équipe dans la démarche en santé communautaire, d’être convaincu que le collectif est important. Mais concrètement, l’implication est parfois délicate, car certains professionnels sont noyés par les besoins curatifs (…) » (Infirmière, centre de santé intégré, CoP de Liège). La vision classique de type biomédical restant dominante tant pour les structures liées aux soins que pour leurs partenaires « hors soins » ; la santé communautaire semble demeurer encore méconnue ou incomprise pour la plupart des professionnels de santé, notamment en ce qui concerne l’approche  globale de la santé qui fait appel à de l’intersectorialité : « Nous on travaille beaucoup avec le secteur culturel (…) et c’est vrai qu’il y a encore des réactions du style « ouh la santé, ça nous regarde pas » » (animatrice en santé communautaire, CoP de Namur).  

Les professionnels « convaincus » doivent ainsi faire face à des réactions dubitatives qui remettent cette approche en question. La question de la reconnaissance et d’une certaine manière de la légitimité de la santé communautaire revient souvent dans les échanges lors des CoPs : « C’est vrai que moi je suis convaincue de l’intérêt de la santé communautaire. Mais voilà, on est dans une équipe pluridisciplinaire où le contact individuel est quand-même majoritaire. Et il faut pouvoir vendre la santé communautaire.  Donc participer aux CoPs c’est permettre d’amener des preuves (…) face à des professionnels qui sont un peu scientifiques, et montrer que la santé communautaire a vraiment sa place en maison médicale » (Infirmière en maison médicale, CoP de Liège).  

Ces professionnels en arrivent à devoir ainsi combiner l’approche en santé communautaire avec cette réalité de terrain, en utilisant des procédures classiques telle qu’une prescription médicale afin d’apporter une certaine légitimité à leurs actions, non seulement de la part des professionnels, mais également de la part des patients : « C’est l’idée de prescrire de la santé communautaire (…) Il y a la possibilité pour le médecin de prescrire d’aller marcher, d’aller à l’atelier tricot. Et du coup, le patient se dit : « Ah mon médecin me prescrit ça, c’est que donc… » (Infirmière, Maison médicale, CoP de Liège). » 

Une autre stratégie développée par certains professionnels pour gagner en légitimité a consisté en la réalisation d’un diagnostic communautaire. Celui-ci permet d’identifier les besoins bio-psycho-sociaux de la population sur un territoire donné. L’ensemble des parties prenantes contribue à la démarche, la légitimant pour elle-même, mais aussi vis-à-vis de l’extérieur : « Un premier diagnostic communautaire a été mené dans les années 2005-2006 (…) c’est ce qui a permis à la maison médicale de gagner en légitimité auprès des autres partenaires puisqu’elle a vraiment appelé tous les acteurs à participer à ce diagnostic et auprès des habitants.» (Animatrice en santé communautaire, maison médicale, CoP de Namur). Réalisé avec les personnes concernées par la problématique, le diagnostic communautaire apporte aussi, comme autres bénéfices, un potentiel certain d’autodétermination à ce public et rejaillit sur la mise en œuvre des pratiques de santé communautaire.  

En complément des stratégies émanant directement des professionnels, la participation aux CoPs peut également être perçue comme un moyen indirect d’amener une certaine reconnaissance de la santé communautaire : « Je trouve que ce genre de comité pourrait peut-être nous aider à être encore plus convaincant vis-à-vis des collègues et amener des arguments pour dire que ça vaut la peine d’en faire » (Responsable réseau multidisciplinaire local, CoP de Namur).   

Multiplicité des rôles dans la mise en œuvre de la santé communautaire 

Afin de développer des pratiques de santé communautaire, deux approches différentes peuvent s’observer au sein des organisations : soit elles attribuent ce rôle à une personne en particulier, soit elles le font à travers l’implication de tous les professionnels de leur organisation. Ce type de fonctionnement est parfois perçu comme un avantage, selon certains participants, de pouvoir plus facilement concerner et impliquer l’ensemble de l’équipe : « Le fait qu’il n’y ait pas quelqu’un qui soit vraiment habilité à faire la santé com’, permet que tout le monde en fasse dans l’équipe, ça motive et tout le monde a envie de développer des projets » (Infirmière, centre de santé intégré, CoP de Liège). 

Cependant, afin de concrétiser ces actions, les professionnels doivent bien souvent déployer un surplus de temps, de travail et d’énergie : « Je trouve qu’il y a un manque de moyens pour assurer cette fonction de santé communautaire. On fait un peu du bricolage pour ce concept qui est de fait un peu nébuleux. (…) Moi, j’ai quatre heures pour coordonner. » (Infirmière en maison médicale, CoP de Liège).  « Ce qui manque souvent, c’est qu’on n’est pas des cracs en communication (…). Parce qu’on n’a pas toujours le temps non plus de faire ça, ni les compétences. » (Infirmière dans un centre de soins intégrés, CoP de Liège).  

Ce surplus semble inhérent à l’addition, voire à la multiplication de rôles (9). De fait, créer un diagnostic communautaire, co-gérer une activité participative, co-construire des partenariats avec des acteurs du réseau, créer des outils de communication ou d’autres types d’actions sont autant d‘activités sociales spécifiques ayant leurs propres cadres, et donc leurs propres rôles. Or ces activités peuvent être effectuées par le même professionnel au sein de la même organisation. En plus du statut qui lui est assigné contractuellement, il est amené à occuper plusieurs rôles qui s’emboîtent les uns dans les autres au gré des activités qui s’enchâssent (9), à l’image de cette psychologue qui, en plus de son travail thérapeutique, se retrouve à organiser une donnerie et à bricoler du bois : « Les adultes du club thérapeutique ont souhaité créer une donnerie.  Et là, on a mis en place un espace de dressing mobile avec la récupération des bois de palettes qu’on fait depuis des années, et donc on l’a construit avec eux. » (Psychologue, service de santé mentale, COP Namur).   

Cette multiplication des rôles reflète aussi, in fine, le flou conceptuel constitutif de ce que signifie « santé communautaire ». Dans le cadre de notre recherche, nous sommes partis d’une définition multidimensionnelle et dynamique qui présentait une certaine ouverture à une série de pratiques correspondantes. Mais les participants eux-mêmes expriment cette notion comme étant fort abstraite et nébuleuse : « En fait, je comprends l’envie, le besoin d’avoir une définition. Parce c’est vrai que quand des collègues qui ne sont pas initiés à la santé communautaire me demandent comment je la définirais, c’est vrai que c’est compliqué. » (infirmière en maison médicale, CoP de Liège). « Quand on parle de la santé communautaire, on ne parle pas toujours de la même chose. C’est frustrant, on est un peu perdu. » (Infirmière en maison médicale, CoP de Namur).  

Ce flou conceptuel entraîne de ce fait une difficulté pour partager et communiquer ce type d’approche auprès d’autres professionnels, ce qui peut à terme freiner une certaine diffusion des pratiques.  

Même du côté de la littérature scientifique, il parait difficile de se fixer sur une définition univoque de la santé communautaire. D’ailleurs, Didier Jourdan l’un des référents en la matière, souligne que ce concept renvoie plutôt à « une large diversité de réalités ». (10). Cela a comme conséquence de rendre instable le processus d’identification en tant que praticien de la santé communautaire.  

Conclusion  

Ces retours d’expérience de CoPs mettent clairement en évidence certains paradoxes et défis exprimés par les professionnels de terrain. Certaines stratégies ont déjà pu être mises en évidence.  

La poursuite de cette recherche sur les séances suivantes permettra de continuer cette identification et de renforcer les échanges de pratiques dans les CoPs. Une des perspectives est de voir comment les CoPs peuvent aider à améliorer les pratiques en intégrant l’approche en santé communautaire au sein du système de santé et de gagner en reconnaissance, ce qui semble notamment possible par l’intermédiaire de l’effet de duplication de connaissances que produisent les CoPs auprès des membres. 

Références  

1. Wenger E, Trayner B, de Laat M. Promoting and assessing value creation in communities and networks : A conceptual framework. Heerlen (NL); 2011.  

2. Committee C and TSA (CTSA) CCEKF. Principles of Community Engagement. NIH Publication No. 11-7782. 2011.

3. Negrel F, Michel N, Boland Z, Déjou F,Démarches communautaires : l’introspection dégage de nouvelles perspectives, Education Santé 2023 n°403  

4. Chartier IS, Blanchet V, Provencher MD. Activation comportementale et dépression : une approche de traitement contextuelle. Sante Ment Que. 2020;38 (2):175–94.  

5. Transnational Forum on Integrated Community Care. Input paper on Integrated Community Care. 2019.

6. Kirkove D, Voz B, Pétré B. Renforcer la première ligne de soins. Santé Conjuguée. 2021;96:7–9.

7. Prost M, Fernagu-Oudet S. L’apprenance au prisme de l’approche par les capabilités. Éducation Perm. 2016;(207i(2)).  

8. Paillé P, Mucchielli A. L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. 4ème éditi. Colin A, editor. 2016.

9. Cefai D, Gardella E. Comment analyser une situation selon le dernier Goffman ? De Frame Analysis à Forms of Talk. Erving Goffman et l’ordre de l’interaction. 2012;233–65.  

10. Jourdan D. Quarante ans après , où en est la santé communautaire ? Community health : where do we stand after forty years ? Sante Publique (Paris). 2012;24(2):165–78.

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Des étudiant.es, vent debout contre les inégalités sociales de santé

Le 29 Nov 23

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Une poignée étudiant.es du campus Erasme ont décidé d’armer leurs camarades pour mieux accompagner et soigner les plus vulnérables. L’idée : politiser le campus et faire bouger les lignes et les pratiques grâce à l’interdisciplinarité.

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Des groupes cogitent lors de la Semaine des Exilés – DR

Au centre du campus Erasme (ULB), la faculté de médecine a longtemps dédaigné ses satellites, l’école de santé publique, de kiné et la haute école d’infirmières et d’assistantes sociales. « Comme si l’implantation centrale laissait déjà transparaître les rapports de domination qui risquent de grever notre pratique par la suite » analyse Marie Pissoort, étudiante en cinquième année de médecine. 

Mais une initiative contribue à créer du liant sur le campus depuis l’an dernier : “l’Equity Health Lab”. Ce laboratoire de l’équité en santé est un cours facultatif ouvert à dix étudiant.es de chaque discipline : médecins, kiné, ostéo, assistant.es sociales, juristes, et pour la deuxième édition aux élèves infirmier.ères, en pharmacie et en psychologie. 

 « On constatait que nos étudiants étaient bien formés sur la théorie, mais qu’ils avaient une appréhension à travailler avec les personnes les plus vulnérables », explique Céline Mahieu, professeure en santé publique de l’ULB à l’initiative du lab. L’idée initiale est de rapprocher les acteurs de la première ligne de soin des organisations œuvrant sur le terrain pour réduire le non-recours aux soins et éviter la dégradation de l’état de santé des plus démunis. 

Comment ? En favorisant les collaborations entre les disciplines dès la formation initiale et en développant les compétences pour identifier au mieux les besoins et les ressources des personnes suivies. La première promotion a ainsi choisi de travailler sur les populations exilées « qui du fait de leur parcours de migration cumulent le plus grand nombre de vulnérabilités » précise leur professeure. 

Au cours de l’année universitaire, les étudiant.es se sont retrouvé.es une fois par mois au sein du lab pour y affûter leurs connaissances sur le contexte politique migratoire belge et européen, et réfléchir aux effets de la “crise de l’accueil” et à son coût humain. 

Leurs réflexions se nourrissent de permanences ou des stages d’observation obligatoires réalisées en milieu hospitalier et associatif. Les participant.es du lab peuvent alors mettre leur expérience de prise en charge médicale, légale ou sociale des personnes exilées en perspective. 

« Dans nos études, tout tourne autour du biomédical, on nous parle trop peu de social, de psychologie ou de santé publique, si bien qu’on est très peu connectés à la réalité sociale, or ces préoccupations nous aideraient à construire notre identité de professionnel ! s’exclame Marie Pissoort. Grâce à l’EHL, certains d’entre nous étaient déjà sensibilisés, d’autres ont constaté l’étendue des inégalités sociales de santé ». 

Obstacles aux soins 

Dans les services d’urgence et d’infectiologie de l’hôpital Saint-Pierre, notamment, ces jeunes médecins découvrent des incohérences majeures. Ils se heurtent d’abord à la difficulté de soigner des maladies qu’ils pensaient disparues, comme la gale, la diphtérie, la tuberculose. « Ce sont des pathologies que l’on sait soigner, qui sont liées au parcours migratoire ou à la précarité, à la vie à la rue, en squat, en tente, analyse Santiago Kadeyan issu de la même promotion que sa camarade. Mais pour la gale par exemple, le traitement médical sera efficace seulement si la personne a un logement décent, peut se laver et dormir dans des draps propres, on doit donc l’hospitaliser, mais comme on manque de lits… le service social se débat pour trouver des solutions d’attente ».  

Sur le terrain, les étudiant.es perçoivent concrètement les obstacles administratifs ou bureaucratiques qui pèsent sur l’accès au soin et leur effet exponentiel. Selon le service de santé mentale de Médecins sans frontières (MSF) la proportion de demandeur·euses d’asile dont le droit à l’accueil n’est pas respecté, est passé de 5% à 84% entre mars 2022 et mars 2023. A cause de leur statut de demandeurs d’asile, de nombreuses personnes tardent à bénéficier de l’Aide Médicale d’Urgence. « Pour des personnes souffrant de diabète ou porteuses du VIH, tout retard d’AMU est alarmant, et quand les politiques font le choix de refuser l’asile pour les hommes seuls1, on les récupère aux urgences, et c’est toute la première ligne de la santé et du social qui écope les effets de ces décisions politiques », regrette le jeune homme. 

Très vite apparaît la nécessité de créer de nouveaux principes de collaboration pour resserrer les mailles du filet autour de ces patients qui ont tendance à être invisibilisés. Ensemble, des élèves juristes ont étudié des dossiers de demande de protection internationale, nourri par les observations des élèves soignants qui se sont formés à l’examen médical et psychologique approfondi et au protocole de rédaction des constats, de torture notamment. « On ne se rend pas toujours compte de tout ce que certains patients ont traversé, qu’ils soient exilés ou non », décrit Sarah Caron, elle-aussi étudiante en 5ème année de médecine qui a participé à l’Equity Health Lab et est par ailleurs engagée dans une association de lutte contre le sans-abrisme depuis plusieurs années. 

Ces collaborations permettent aussi de remédier aux difficultés que pose encore trop souvent « le statut dominant du médecin dans la hiérarchie des soignants » estime Marie Pissoort, qui a pu noter que certains praticiens méconnaissent le rôle crucial des services sociaux, qui sont submergés de demandes et empêchés par les délais de traitement de l’administration. 

La mobilisation, remède au sentiment d’impuissance 

Cette réalité percute de plein fouet la responsabilité des futurs professionnel.les. « On se sent abandonnés par les pouvoirs publics » dit Santiago Kadayan. Pour conjurer le sentiment d’impuissance, il a proposé de ruer dans les brancards en organisant une semaine consacrée aux personnes exilées. L’objectif : politiser le campus Erasme. 

Malgré les examens de fin d’année et les congés d’été, Marie, Sarah et Santiago ont retroussé leurs manches pour que leur expérience au sein de l’EHL profite au plus grand nombre. La bourse Hessel, financée par l’ULB Engagée, leur a permis d’organiser une série d’événements. « La semaine des exilé.es », qui s’est déroulée fin septembre sur le campus Erasme, a réuni une centaine de participant.es et de nombreux professionnels de terrain. 

« Je me suis fait hameçonner à l’entrée de l’amphi le jour du lancement, c’est bien la première fois que les inégalités sociales de santé sont mentionnées au cours de mon cursus ! » raconte Ijahl Bazin, étudiant en master 2 d’ostéopathie, qui a depuis rejoint la deuxième édition de l’EHL, lancée fin octobre. 

« En ostéo, on nous parle beaucoup interdisciplinarité car on est confronté à des somatisations. Mais l’interdisciplinaire c’est théorique, il faut le mettre en pratique et créer une communauté de culture dès les études. Avec l’EHL, on sait qu’on pourra compter les uns sur les autres dès qu’on commencera à travailler », explique l’étudiant.  

Un atelier “live Lab” organisé par la Croix Rouge l’a particulièrement marqué. Scindés en petit groupe de six, des étudiants d’horizon et de disciplines différents ont planché sur le parcours de vie et les besoins d’une personne migrante. « Nous sommes allés très loin, car la somme des points de vue permet une approche tellement plus juste, globale et efficace ! » s’enthousiasme-t-il, au point qu’il a proposé l’idée de mettre en place des Travaux de Fin d’Etudes interdisciplinaires entre les différentes écoles en s’inspirant des projets Tri-axe de Polytechnique et de la Cambre. 

Les présentations ont attiré un grand nombre d’étudiant.es en médecine, mais aussi des future infirmier.ères, assistant.es sociaux, juristes. Le dernier débat était consacré aux aspects politiques de la “crise” de l’accueil avec deux députés : Nabil Boukili, du Parti des Travailleurs de Belgique (PTB) et Marie Lecocq, députée & co-présidente Régionale Ecolo, très critiques sur la situation de blocage actuelle.  

« Cette semaine a été primordiale, les étudiants se sont vraiment approprié la problématique. On avait un noyau dur de quelques étudiants, et ils ont réussi à catalyser autour d’eux une vingtaine de convaincus. Le premier lab fait des petits ! » se réjouit Céline Mahieu. Si la semaine des exilés est le premier spin-off à se concrétiser, une myriade de projets étudiants est en germe. Le plus pressé vise à créer un lieu de rencontres informel et pluridisciplinaire sur le campus pour organiser des projections, des débats ou des expositions. Une association des “alumni” du lab, ouvert à toutes les personnes qui souhaitent s’impliquer sur la problématique, devrait aussi voir le jour. Les étudiant.es discutent de la possibilité académique de faire des stages dans des ASBL ou dans l’aide humanitaire qui seraient reconnus dans leur cursus. Enfin, un groupe de travail va rédiger des grandes fiches d’information sur l’AMU et les placarder dans tous leurs lieux de stage. 

« On a tous un même objectif, conclue Marie Pissoort. On travaille ensemble pour casser les codes. On est boostés à bloc ». 

Aller plus loin 

  • Pour contacter les alumni de l’Equity Health Lab ou s’impliquer dans la formation, les cours, stages et travaux de recherche – écrire à semaine.exil@ulb.be 
  • Page LinkedIn de l’Equity Health Lab 
  • Page Facebook de la semaine des Exilé.es 
  • Campagne du Samu Social : Sans papiers, sans droits, sans abri 
  • Pour les intervenants sociaux : un guide pour l’accompagnement psychosocial des personnes exilées, développé par l’association The Ink Link pour les ministères français de l’Intérieur et des Outre-Mer, et en partenariat avec la mission Reloref de France terre d’asile 

Quand les « dys-férences » font des interférences 

Le 2 Oct 23

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Distrait, déconcentré, en difficulté à l’école. Avez-vous déjà entendu ces termes au sujet de votre enfant ? Avec le dispositif « Découvrons nos dys-férences », la Mutualité Chrétienne veut sensibiliser les professionnels de santé et de l’éducation aux impacts des troubles de l’apprentissage sur la santé mentale des enfants et de leurs parents.

Regard caméra, voix posée. Le jeune homme se présente simplement « Bonjour, je m’appelle Romain, j’ai 17 ans, j’ai été diagnostiqué avec un trouble de l’attention avec hyperactivité en troisième maternelle et j’ai commencé à être aidé en quatrième primaire. Le TDAH, ça fait partie de ma personnalité, je n’ai pas honte de ce que je suis ». Au fil de cinq capsules vidéo, Romain, sa mère, une neuropsychologue et une professeure racontent les obstacles qui jalonnent le parcours des enfants comme lui, avant d’obtenir un accompagnement adéquat.  

confident handsome teenage caucasian boy, school child with textbooks confidently looking at the camera. back to school

En Fédération Wallonie-Bruxelles, deux élèves par classe en moyenne présentent un ou plusieurs troubles d’apprentissage, qui seraient responsables de la moitié des échecs scolaires selon l’APEDA (l’Association belge pour les Enfants en Difficulté d’Apprentissage). Pour ces enfants, les difficultés scolaires ne sont pas passagères, elles sont permanentes, à cause d’un problème neurologique dans une ou plusieurs zones du cerveau. Ils ont donc besoin d’un accompagnement spécifique car ils souffrent d’un ou de plusieurs trouble(s) de l’apprentissage. Il en existe huit : dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie, dyslexie, dysgraphie, dysphasie, haut potentiel (HP) et trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA ou TDAH). Ces troubles impactent à des degrés divers l’écriture, la lecture, le calcul, le comportement… et le bien-être de l’enfant et de sa famille.  

Un trouble de l’apprentissage ? Vous êtes certain ? 

Entre l’apparition des symptômes, la détection des signes et le diagnostic, le temps est souvent long et ce parcours du combattant a un impact psychologique important sur les enfants et leurs familles. Au quotidien, l’enfant doute de ses capacités et l’école peut même devenir un lieu d’humiliation : « je pensais que j’étais bon à rien, que j’étais bête, explique Romain, sauf parfois quand je me rendais compte que j’allais plus vite que mes camarades ».  Il arrive que les observations des enseignants soient maladroites : « il est dans la lune, intenable, il manque de limites », ou judicieuses : « peut-être qu’il faudrait consulter votre généraliste ou un logopède ». Les parents aussi s’interrogent, au point qu’ils et elles en viennent à douter de leurs capacités parentales, une source de souffrance, tant ils compensent les besoins de leur enfant au quotidien. Quant à la scolarité, elle file à toute vitesse avant qu’un accompagnement et un traitement adaptés soient mis en place. 

La mère de Romain relate de grands moments d’énervement, de stress, avant et même après le diagnostic. Comme la plupart des familles, celle-ci est passée par des moments d’errance. Comme les autres enfants, il était soumis à des apprentissages dont il ne possédait pas les clefs pour répondre aux exigences du système éducatif. Tout ceci dans une société où la réussite scolaire est un baromètre social souvent évoqué pour les enfants : « ça va à l’école ? », « tu as réussi ton bulletin ? », « tu sais bien lire et compter maintenant ? ». Cette errance, couplée à la méconnaissance des troubles de l’apprentissage et à une stigmatisation fréquente, pèse sur les épaules des familles, parents et enfant mais aussi de la fratrie, dont la santé mentale est mise à rude épreuve. 

Une dys-férence pas comme les autres 

« Découvrons nos dys-férences » est un projet de promotion de la santé qui a donc pour mission de soutenir les familles dont un ou plusieurs enfants ont des difficultés ou des troubles dans la sphère des apprentissages. Le jeu de mot fait bien sûr référence aux troubles (dyslexie, dysphasie…) ainsi qu’au fonctionnement cognitif différent de ces enfants et à leurs besoins spécifiques parfois incompris et vite jugés. D’où la volonté à travers ce projet de faire découvrir au plus grand nombre ce que recouvre le terme « trouble dys ». 

En effet, les « dys » ne s’arrêtent pas aux grilles des écoles. Ces enfants sont souvent affublés à tort de qualificatifs tels que « paresseux », « distraits », « turbulents ». Les parents, de leur côté, se voient parfois reprochés d’être trop laxistes, peu investis dans l’éducation de leur progéniture ou trop permissifs. Ceci n’est que jugement car la population générale et certains professionnels de la santé et de l’éducation ignorent que les troubles de l’apprentissage sont liés à une cause neurodéveloppementale et non à la bonne volonté des uns et des autres. C’est pourquoi le projet « Découvrons nos dys-férences » veut sensibiliser tout un chacun à l’existence de ces troubles pour les démystifier et lutter contre leur image négative mais aussi encourager les parents qui ont un doute sur l’existence d’un trouble à consulter pour trouver des réponses et des solutions. 

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L’origine du projet 

Tout commence en 2019, quand l’ASBL Promusport, partenaire de la MC, organise des stages sportifs et créatifs pour les enfants durant l’été. A la fin de ces stages, des chargés de projets de la MC vont à la rencontre des parents pour discuter de leurs besoins et attentes en termes de santé et de bien-être pour leurs enfants et plus largement pour leur famille. Plusieurs parents confient avoir un enfant avec des difficultés d’apprentissage, leur sentiment de tout faire pour les accompagner (logopédie, psychomotricité…) et leur épuisement face aux échecs scolaires, malgré le temps et l’énergie déployés. « Ils se sentaient démunis et s’inquiétaient des retombées sur les frères et sœurs », explique Anne-Catherine Loriaux, une des chargées de projets de la MC, psychologue de formation et sensible aux problématiques des apprentissages. Elle fait rapidement un lien avec la santé mentale des familles (parents et enfants) et s’empare du projet avec l’idée de mettre sur pied une conférence où le grand public pourrait découvrir les troubles dys. Le Covid-19 entre alors en scène et avec lui l’impossibilité de réunir les foules. Elle met ce temps à profit pour enrichir ses connaissances sur le sujet, récolter des témoignages, organiser des rencontres virtuelles avec des professionnels de santé, des enseignants.

Deux constats importants en ressortent. Le premier : les familles sont en souffrance pour toutes les raisons évoquées plus haut mais aussi parce que lorsqu’elles se mettent en recherche d’aide, elles ne savent pas quel professionnel sera le plus à même d’aider leur enfant, quelles démarches entamer… Elles se retrouvent face à un système complexe au sein duquel elles doivent souvent assurer elles-mêmes la coordination entre les professionnels consultés et les démarches administratives qui y sont liées. Le second : nombreux sont les parents pour lesquels il est difficile d’accepter que leur enfant ait potentiellement un trouble, ce qui rend complexe l’aide et la mise en place de solutions.  

Depuis 2022, il est possible de consulter son médecin généraliste pour qu’il ou elle prescrive un bilan logopédique ; pour certains troubles comme la dyspraxie, le ou la praticien.ne orientera vers un neuropédiatre.

« Découvrons nos dys-férences », c’est quoi alors ? 

C’est une page web qui met en mots et en images plusieurs éléments importants des difficultés d’apprentissage : une explication de ce qu’est un trouble décrit, le soutien financier de la MC mais surtout l’importance de poser un diagnostic et d’accompagner son enfant. Le point le plus apprécié de cette page sont les vidéos de témoignages d’enseignants et d’enfants sur leur propre vécu car elles donnent la parole aux personnes réellement concernées par les difficultés d’apprentissage. Toute la réflexion autour du support vidéo a été menée en groupe avec des institutrices, neuropsychologue et professionnel de l’orthopédagogie afin de proposer un support simple à utiliser, disponible rapidement et partout. C’est aussi un outil facile à diffuser dans les milieux scolaires où les établissements utilisent de plus en plus les réseaux sociaux pour communiquer vers les parents de manière large. 

Les dys  en scène

« Dys sur Dys » est une pièce de théâtre créée par la compagnie FACT et François Gillerot, un metteur en scène de Tournai qui veut faire bouger sur la thématique. « Dys sur dys c’est l’histoire de Pirlouit. Sur scène, Pirlouit raconte son enfance, sa jeunesse, en traversant ses souvenirs liés à la différence, aux échecs et aux joies. Il est accompagné par l’Homme-Orchestre, acteur de tous les autres personnages du réel et musicien de la Bande-Originale de sa vie, et par Fantômette, une fantôme hors du commun qui, une fois là, ne le quittera plus. Ensemble, avec humour et poésie, iels vont créer l’univers de Pirlouit à vue, un univers adapté à la dyspraxie. »

La pièce et le projet de la MC embrassent des buts communs, François Gillerot est désireux de proposer une main tendue vers les spectateurs qui chercheraient une aide sur ce thème, en associant à sa pièce des partenaires locaux. C’est la naissance d’une collaboration où la MC assure, à différents endroits en Fédération Wallonie Bruxelles, une présence informative à la fin de représentations théâtrales pour parler de sa page web et de ses aides aux familles.  

Quelle suite pour le projet ? 

Le travail sur la thématique offre de multiples axes. Les chargés de projets de la MC réalisent actuellement un nouveau flyer pour les familles dont le but est d’offrir une meilleure vue sur les circuits d’accompagnement administratif et médical des troubles dys par les professionnels. Qui solliciter ? Quand ? Pour quel trouble ? Loin d’être le seul fil rouge, il permettra de mettre en évidence des professionnels parfois peu connus et surtout aider à faire le tri dans les démarches. 

Comme souvent en promotion de la santé le changement demande du temps. C’est encore plus vrai lorsqu’on espère faire évoluer le regard que pose la société sur la différence. « Découvrons nos dys-férences » cultive l’espoir de contribuer à ce changement, pas à pas. 

Une date à retenir : 

Conférence « Quand apprendre est difficile… » 12 octobre, 19h – 20h30   

Administration communale, Place Albert 1er 21 à 6150 Anderlues 

Gratuit. Sandwiches et boissons offerts 

Inscription obligatoire au 071/54.89.56 de 8h30 à 16h ou via anna.paci@anderlues.be

Plus d’infos sur : https://mc.be/dys-ferences

Promusport.be – ASBL PROMUSPORT

Personnes âgées : obliger la solitude à faire profil bas 

Le 26 Sep 23

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Dans l’Eurégio Meuse-Rhin, le projet européen PROFILE, a catalysé une multitude d’initiatives inspirantes pour prévenir et lutter contre un sujet souvent tabou : la solitude des personnes âgées. Les outils sont à disposition des professionnels. 

« Vous vous sentez seul.e ? Rejoignez-nous ». C’est sous ce slogan que des professionnels, des universitaires, des bénévoles, des milliers de personnes de tous les âges se sont mobilisées autour de la question de la solitude des aînés en situation de vulnérabilité. En home, au théâtre, à l’école et dans la rue, le projet baptisé euPrevent PROFILE, pour « Prévention de la solitude des personnes âgées dans l’Eurégio Meuse-Rhin » a donné la cadence dans ces territoires frontaliers belges, allemand et néerlandais pendant deux ans. 

Leur mission : inventer des solutions pour répondre à cette préoccupation, particulièrement prégnante suite à la pandémie de Covid19, autour de la santé mentale des personnes âgées qui disent éprouver un sentiment de solitude. Dans les provinces belges, une majorité des plus de 60 ans sont touchés : 53% éprouvent un sentiment de solitude modéré (dont 12% une solitude sévère) contre 41% chez les voisins (avec une proportion de 6,9% côté néerlandais et 5,6% côté allemand pour les plus touchés) selon les données statistiques de l’atlas eurégional. 

Territoire, collectif et inspiration

Face à ce constat, la dynamique territoriale et partenariale s’est appuyée sur trois piliers : la sensibilisation des professionnels et des citoyens, la promotion des échanges intergénérationnels et l’élaboration de lignes directrices et de bonnes pratiques. 

Au terme de deux ans et demi d’échanges foisonnants, ce projet protéiforme dont la MC était partenaire, a permis de créer de nombreux outils à destination des professionnels. En premier lieu un guide d’inspiration publié en août dernier intitulé « Prévenir et combattre la solitude des personnes âgées ? » qui retrace cette mobilisation de longue haleine pour lutter contre la solitude des seniors. Qu’elle soit réelle ou subjective, choisie ou imposée, la solitude subie engendre une réelle souffrance psychologique, pouvant mener à la dépression voire un risque accru de mortalité. 

« Il n’existe pas de solution toute faite pour lutter contre la solitude, et nous sommes conscients qu’avec notre approche, nous n’avons qu’une petite partie de la solution à cet immense problème », explique la chercheuse Marja Veenstra de l’Université de Maastricht, coordinatrice du projet euPrevent PROFILE en préambule de ce guide, qui compile une somme d’activités scientifiques et sociales, de contributions théoriques et pratiques. « Tout cela dans l’espoir de vous inspirer pour lutter contre la solitude des personnes âgées. Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir et d’inspiration » ajoute-t-elle. 

Plusieurs rencontres ont émaillé cette mobilisation : parmi lesquelles cinq sommets citoyens intergénérationnels dans chacun des territoires pour que les jeunes de moins de 25 ans puissent échanger avec des personnes de 50 ans et plus hors de leur cercle familial. Ils ont discuté du concept de la solitude au sein des différentes générations en laissant les participants interagir les uns avec les autres.  

Starlight et tartes aux pommes

Autre catalyseur de réflexion et de débats, la reprise, l’adaptation et la diffusion de la pièce de théâtre « Starlight et tarte aux pommes », créée par le metteur en scène flamand Luc Stevens. L’histoire se passe dans une maison de repos : une infirmière, un résident, un visiteur régulier et un bénévole. « Chacun a son caractère, son histoire et ses problèmes, décrit l’auteur. Nous voyons également des personnes du voisinage qui se sentent seules. Chacun à sa manière derrière les quatre murs ! Une tournure imprévue des événements met le foyer de soins à l’envers, mais le rêve de l’un des protagonistes crée une force de connexion qui pousse les gens à ne pas abandonner, à se rencontrer et à se renforcer les uns les autres ». 

Ce spectacle originellement écrit en néerlandais a été traduit en français et en allemand, puis monté par des troupes locales. « Nous avons trouvé dans chaque région des troupes de théâtre, amateurs ou professionnels, pour l’interpréter, se la réapproprier tout en faisant passer le même message. Notre souhait est qu’elle puisse encore vivre et se jouer dans les différentes régions. Elle est d’ailleurs disponible à ceux qui le demandent, et a été imaginée pour être facilement transposable et jouée tant dans des théâtres que dans des homes ou des écoles… », explique Laura Nothelier, chargée de projets à la MC qui a participé au projet. En cette fin d’été, la pièce continue sa tournée en province de Limbourg. 

Parmi les autres éléments mis à disposition du public figurent un atlas, des outils de mesure, des outils pédagogiques mais aussi des questionnements réflexifs sur la pratique (tant des professionnels que des volontaires). Enfin, deux revues de littérature permettent de cerner la problématique et son ampleur, et recenser les interventions qui ont porté leurs fruits. Un recueil de bonnes pratiques, disponible en ligne ; ainsi qu’une formation à destination des professionnels et des non-professionnels (volontaires, etc.). Cette formation, disponible sous forme de manuel sur le site du projet, entend répondre aux besoins identifiés par les acteurs de terrain sollicités. Les auteurs y abordent d’abord la notion de solitude, sa définition et ses corrélas (le sommeil, la santé mentale, la santé artérielle, etc.), ainsi que « la question de l’âgisme, des représentations stéréotypées qu’on peut avoir sur les personnes âgées (ou sur une autre génération que la sienne) ! », complète Laura Nothelier.  

Enfin, un recensement des applications e-health est disponible via le site du projet. 

Le projet s’est officiellement clôturé en août dernier autour d’une matinée d’échange sur la problématique, suivie d’un marché des associations, qui a réuni 180 participants issus des trois pays. 

La suite ? « Que chacune des actions continue son petit bonhomme de chemin, soit réappropriée, fasse des émules… » conclut Laura Nothelier. A bon entendeur… 

Une dynamique partenariale transfrontalière solidement ancrée

L’Eurégio Meuse-Rhin est une région de coopérations transfrontalières – l’une des plus anciennes d’Europe – qui recouvre des territoires belges (la province de Liège, la communauté germanophone et la province du Limbourg), néerlandais (la province du Limbourg), et allemand (Aix-la-Chapelle). Créée pour favoriser la coopération administrative, économique, dans les systèmes de santé, les acteurs de cette eurorégion peuvent bénéficier de fonds européens Interreg pour favoriser leurs projets de coopérations, au bénéfice de leurs habitants.

Le groupe de partenaires transfrontaliers du projet s’est constituée autour d’un premier projet Interreg (EuPrevent Senior friendly Communities), sous le label « Communes Amies des Seniors », dont le public final étaient les personnes âgées atteintes de démence. La collaboration entre les partenaires ayant été porteuse, ils ont souhaité continuer et s’attaquer cette fois à la problématique de la solitude des aînés dans leur région. C’est ainsi qu’en avril 2021, le projet euPrevent PROFILE (pour « Prévention de la solitude des personnes âgées dans l’Eurégio ») a pu démarrer, pour s’achever en août 2023. 

Parmi les partenaires, on retrouve des profils institutionnels différents : les universités de Maastricht (pilote du projet) et de Liège, la Mutualité chrétienne (MC), Bagso (Fédération des organisations des personnes âgées en Allemagne), LOGO (les consultations locales de santé en Flandre), GGD Zuid Limburg (regroupement local des services de santé en Flandre), ainsi que l’Aviq pour la Wallonie et son pendant régional allemand. « Chaque partenaire avait un atout intéressant. Certains, comme Bagso, bénéficient d’un réseau étendu d’acteurs de terrain ; les universités quant à elles ont des pôles de recherche liés à la thématique. Se sont ainsi mêlées des institutions qui travaillaient spécifiquement sur la question du vieillissement et d’autres avec une casquette plus large de promotion de la santé », explique Laura Nothelier, chargée de projets à la MC.  

A ceux-ci s’ajoutent toute une série de partenaires associés, ayant déjà collaboré lors du précédent projet ou rencontrés lors du lancement du projet, tous sondés sur la problématique, afin d’en comprendre tous les contours et s’assurer de répondre aux besoins du public final. Puis d’autres encore sont venus agrandir les rangs, rencontrés au fur et à mesure lors des actions déployées.  

Solitude ou isolement ?

La solitude est un sentiment subjectif qui peut résulter d’un manque subjectif de contacts et de relations sociales, causé, par exemple, par l’isolement social. Avec une nuance toutefois : l’isolement social et la solitude ne recouvrent pas la même notion, mais peuvent être corrélés. Une personne isolée socialement peut souffrir ou ne pas souffrir de solitude par exemple. Il faut aussi différencier la solitude d’une personne solitaire, qui apprécie sa propre solitude.  
Et il y a d’autre part la solitude ressentie par une personne qui a un réseau social étendu mais qui ressent le manque de ne pas avoir une personne à ses côtés avec laquelle vivre et échanger.  

La solitude n’est pas l’apanage des personnes âgées (une idée trop souvent répandue…), mais c’est toutefois un public à risque. Or, un habitant sur cinq dans l’Eurégio Meuse-Rhin a 65 ans ou plus. Et cette proportion va croître dans les prochaines années. 

Les facteurs de risque de la solitude  

Facteurs démographiques 

Age : la solitude suit une distribution en forme de U : elle est la plus répandue entre 18 et 25 ans et atteint un pic à 65 ans chez les adultes plus âgés. 

Genre : la solitude est plus répandue chez les femmes que chez les hommes. 

Statut marital : les personnes non mariées se disent généralement plus seuls que les personnes mariées. 

Situation de vie : le fait de vivre seul est associé à des niveaux plus élevés de solitude. Toutefois, les personnes vivant dans des environnements de vie assistés (par exemple, des maisons de retraite) se sentent plus seules que les personnes âgées vivant en communauté. 

Statut socio-économique : un revenu plus faible, un niveau d’éducation plus bas, la fréquence des problèmes économiques et le fait de vivre dans des quartiers pauvres sont associés à des niveaux plus élevés de solitude. 

Statut migratoire : les migrants ont déclaré se sentir plus seuls que les non-migrants. 

Facteurs liés à la santé 

Santé physique : les indicateurs de santé physique tels qu’une mortalité et une morbidité plus élevées, un mauvais sommeil et une réactivité cardiovasculaire accrue (taux de cholestérol et pression artérielle plus élevés) sont corrélés à des niveaux de solitude plus élevés. 

Santé mentale : une plus grande solitude est associée à des symptômes de santé mentale plus graves, notamment l’anxiété sociale, la dépression et la paranoïa, ainsi qu’à une moins bonne régulation émotionnelle. 

Santé cognitive : des niveaux plus élevés de solitude sont associés à un déclin cognitif accéléré et à un risque accru de maladie d’Alzheimer et de démence chez les personnes âgées. 

Cerveau, biologie et génétique : la solitude active les régions neuronales impliquées dans la détection des menaces, l’attention et le traitement des émotions. De plus, des niveaux plus élevés de solitude sont associés à des modifications structurelles de la matière grise et blanche, à une altération de la connectivité fonctionnelle et structurelle du cerveau et à une augmentation du cortisol circulant. 

Facteurs environnementaux et sociaux 

Communication numérique : peut augmenter ou diminuer le sentiment de solitude, en fonction de la manière dont elle est utilisée et des raisons pour lesquelles elle l’est. 

Lieu de travail : la solitude sur le lieu de travail est associée à de moins bons résultats sur le lieu de travail (c’est-à-dire une baisse de la productivité, de la satisfaction au travail et de la créativité). 

Extrait tiré de la Newsletter « Lonely ? Let’s unite ! Avril 2022 », envoyée par les responsables du projet PROFILE et consultable ici : https://euprevent.eu/fr/lonely-lets-unite-news-avril-2022/#section1 

et d’après les données tirées de l’étude : Lim, M.H., Eres, R., Vasan, S., 2020. Understanding loneliness in the twenty-first century: an update on correlates, risk factors, and potential solutions. Soc. Psychiatry Psychiatr. Epidemiol. 55, 793–810. https://doi.org/10.1007/s00127-020-01889-7

Lis’apéro : de la littératie en santé à l’apéro 

Le 2 Oct 23

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Cultures&Santé lance un concept d’afterwork pour que les acteurs des secteurs sociaux et de santé tissent des liens et fassent réseau : les Lis’apéros. Le tout premier a eu lieu le 4 juillet dernier. Récit d’une belle soirée autour d’une expérience innovante sur les données de santé.

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Quand le Lis’apéro bat son plein (DR Cultures&Santé)

Le 4 juillet dernier, une vingtaine d’acteurs bruxellois de la santé et du social a participé au tout premier Lis’apéro organisé par l’association de promotion de la santé et d’éducation permanente Cultures&Santé. Cet événement voué à devenir un rendez-vous bisannuel est né d’un constat : le secteur de la prévention et de la promotion de la santé (PPS) manque d’événements festifs et amicaux, durant lesquels les acteurs peuvent se rencontrer et échanger. Trop souvent, le cadre est formel et usuel.

Cultures&Santé a donc eu l’idée de créer un rendez-vous régulier sous le format des afterwork pour que les acteurs du secteur puissent enrichir leurs pratiques et leurs réflexions. Baptisé avec le néologisme « Lis’apéro » une contraction de « Lisa » l’acronyme de littératie en santé, et « apéro ».

L’idée est de favoriser les échanges et l’interactivité tout au long de l’évènement, tant au moment des interventions qu’au moment de l’accueil du public : un drink d’accueil et de clôture, des jeux ou des quiz qui permettent d’engager plus facilement la discussion entre les participants qui ne se connaissent pas.  Lors du brainstorming de l’équipe pour construire le dispositif, « il y avait l’importance que l’alcool ne soit pas au centre des apéros » rappelle Alexia Brumagne, chargée de projets en promotion de la santé de l’asbl. Des eaux aromatisées, « qui ont beaucoup intrigué », des plats préparés par l’équipe ont permis de sortir du classique duo alcool-chips.

Décloisonner et se reconnaître entre acteurs 

L’autre fil conducteur des Lis’apéros est de choisir une intervention un peu décalée ou innovante par rapport à la promotion de la santé. L’idée est de surprendre et de décloisonner le secteur en amenant des participants de la PPS vers des sujets où ils n’iraient pas nécessairement et, à l’inverse, de toucher des personnes qui gravitent autour de la PPS sans s’y reconnaître, et ainsi de connecter ces mondes entre eux.

Pour le premier Lis’apéro, l’asbl a choisi d’inviter Sciensano avec lequel elle avait collaboré sur la rédaction d’une fiche Lisa, qui propose des balises et des ressources pour mener avec un groupe un atelier une question précise, dans une démarche de renforcement de la littératie en santé. L’équipe fait ainsi le lien avec la littératie en santé même si les promoteurs des projets ne l’identifient pas formellement dans leur projet. Elle peut également apporter la méthodologie d’animation participative si les intervenants ne l’ont pas. L’idée est de faire participer le public en sortant du schéma « top-down » questions/réponses, et de permettre au public de réagir et de partager son expérience. Avec l’équipe « éthique et engagement citoyen » de Sciensano, la collaboration a été facilitée car des méthodologies communes de partage des connaissances et de débat sont utilisées par les deux organismes.

Cultures&Santé vous donne rendez-vous début 2024 pour son prochain Lis’apéro.

A vos données de santé, citoyens !  

Pour cette première édition des Lis’apéros, Sciensano a présenté de manière interactive les ateliers qu’ils ont mené avec les citoyens autour des données de santé et de leur utilisation secondaire (en dehors des parcours de soin).

Pour mener ce projet européen issu du programme TEHDAS (Towards european health data space), les chercheurs ont articulé leur travail autour de deux grandes questions : comment engager des citoyens sur des sujets complexes, comme l’utilisation des données de santé ? Comment faire émerger les opinions et les valeurs de ces citoyens sur les données de santé, afin de formuler ensemble des recommandations ? 

Sciensano a justement créé l’équipe « Ethique et engagement citoyen » pour conduire des initiatives d’engagements citoyens autour de l’utilisation et de la connaissance des données de santé (données génomiques, données Covid etc.). L’organisme partait du constat que ces sujets sont habituellement débattus entre les experts et les politiques sans que les citoyens ne soient consultés. Or les décisions politiques ont un impact majeur dans la vie des citoyens. Pour les faire entrer dans ces débats, les amener à être en capacité de se positionner et de formuler des recommandations, l’équipe a mis en place des dispositifs dans lesquels la littératie en santé est centrale.

« Ne pas compter que sur soi-même » 

Dans son travail, l’équipe de chercheurs s’appuie sur sa cellule communication, mais aussi sur un réseau de partenaires créé pour le projet. « Lorsqu’il faut créer ce type d’outil, le seul conseil à donner est de ne pas compter que sur soi-même, on ne peut pas créer du matériel seul, disséminer seul car on n’est pas expert pour tout », rappelle Louise Mathieu, collaboratrice scientifique chez Sciensano.

Les partenaires ont apporté des outils en PPS et fait le relais pour créer les débats. L’équipe a aussi pu s’appuyer sur le matériel en accès libre créé par la Understanding Patient Data (UPD) au Royaume-Uni, qu’ils ont traduit et adapté aux publics belge et français. Ils ont également bénéficié de l’expertise de France Assos Santé (équivalent de la LUSS en Belgique). Pour la dissémination des contenus, des contacts ont été pris avec les milieux associatifs et enseignants. Ce qui permettait aussi d’évaluer dans quelle mesure ce sujet européen était pris en main ou non par les acteurs de terrain.

Créer des espaces d’appropriation et de débat  

La majeure partie des supports étaient digitaux en raison des contraintes du projet, mais six ateliers ont pu avoir lieu auprès d’élèves belges en fin de secondaire. A côté du format de consultation classique en ligne (création d’un compte, ouvrir des questions etc.), Sciensano a imaginé un format plus accessible, anonyme et divertissant à l’aide d’un quizz interactif avec trois études de cas. Un personnage fictif sert de fil conducteur et permet aux participants de se mettre en réflexion autour de l’utilisation secondaire des données de santé (c’est-à-dire en dehors du parcours de soin). Il représente le fil conducteur pour aider à comprendre la thématique (ce que sont les données secondaires) et ses enjeux (qui peut les utiliser ?). A la fin, le test donnait le « type de société des données » que l’on aurait si tout le monde répondait comme le participant. Le quizz servait d’accroche pour amener le participant sur des questions ouvertes où il pouvait s’exprimer. Ce format a été apprécié par 90% des participants.

Lors du Lis’apéro, Sciensano a repris le quizz et l’a agrémenté de techniques d’animation favorisant l’interaction et la réflexion. Le but était de sortir du débat classique où le public est passif, assis sur sa chaise. La mise en mouvement des participants, l’occupation de l’espace différencié en fonction des réponses apportées au quizz par des réponses simples (oui/non), permettent d’interpeller sur l’importance du sujet et d’enclencher la réflexion et l’engagement de chacun dans un espace de débat. 

Le projet TEHDAS vise à créer un espace européen des données de santé (EHDS). Un groupe de travail piloté par le Health Data Hub, et associant la NHS Confederation et Sciensano, a été mis en place pour connaître les perceptions des citoyens sur l’utilisation secondaire de leurs données de santé, et la manière dont ils souhaitent être impliqués dans l’EHDS. A l’issue de ces travaux, le groupe de travail a produit douze recommandations qui ont été présentées à la Commission Européenne. Une plus grande sensibilisation des citoyens aux données de santé et à leur utilisation secondaire sont particulièrement attendues.

Pour en savoir plus :

close up of man sharing addiction problems with aa meeting people and specialist

Une recherche-action pour soutenir des citoyens précarisés et impactés par la crise Covid

Le 31 Août 23

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Cet article a pour objectif de présenter succinctement les étapes de mise en œuvre d’un cycle d’ateliers collectifs et les principaux résultats de cette expérimentation dans le cadre de la recherche-action « Comment soutenir sur le plan psychosocial les citoyens précarisés cumulant différents impacts négatifs de la crise sanitaire Covid-19 ? », soutenue par la Région Wallonne dans le cadre des Stratégies concertées COVID-19 en Wallonie [1] [2].

NB: Les autrices s’expriment pour l’ensemble de l’équipe de recherche

close up of man sharing addiction problems with aa meeting people and specialist
crédit: Adobe

Les pandémies ont bien souvent cette capacité d’amplifier les inégalités déjà existantes au sein des communautés en atteignant de manière disproportionnée les groupes les plus vulnérables.  La crise sanitaire Covid-19 n’a pas fait exception en exacerbant les difficultés pré-existantes, qu’elles soient liées à l’accès au logement, aux soins de santé et aux services sociaux, à l’emploi mais également en matière de solidarité, de liens sociaux (Champagne et al., 2023 ; Rapport Final des Stratégies Concertées COVID-19 en Wallonie, 2022); elle a aussi créé de nouvelles formes de détresses psychologiques (Rens et al., 2021).

Les troubles anxieux et dépressifs ont notamment considérablement augmenté, et ce, surtout auprès des personnes déjà fragilisées (Renard et al., 2021 ; Santomauro et al., 2021). Les personnes et les groupes cumulant différents impacts négatifs de la crise (perte d’emploi, isolement, logement et environnement précaires, comorbidités, etc.), associés à des facteurs de vulnérabilité préexistants auraient ainsi le plus souffert. Enfin, le manque de liens sociaux est apparu comme un stresseur psychologique majeur, impactant le bien-être et la santé de manière générale (Renard et al., 2021 ; Gisle et al., 2021). Par ailleurs, lors de la crise sanitaire, le Réseau Santé Wallon de Lutte contre la pauvreté (RWLP) a également souligné l’accentuation de l’isolement social des personnes en situation de pauvreté (Rapport Final des Stratégies Concertées COVID-19 en Wallonie, 2022).

Face à ces constats, la nécessité de favoriser la cohésion sociale, la solidarité, l’empowerment individuel et collectif en renforçant le soutien social et émotionnel, les compétences psychosociales et les liens communautaires a été soulignée, en Belgique comme dans d’autres pays (Observatoire de la santé du Hainaut, 2020 ; Buetti et al., 2021).

Contexte, objectifs et dispositif de la recherche-action

Face à ces difficultés constatées et en réponse à un appel à projet lancé par la Région Wallonne dans le cadre des Stratégies concertées COVID-19 en Wallonie, le RESO-UCLouvain et le Service de Santé Mentale de Gosselies (SSM) du Centre Public d’Aide Sociale (CPAS) de Charleroi se sont associés dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet de recherche-action visant à renforcer les compétences psychosociales des participants [3] et à diminuer le sentiment d’isolement de ceux-ci.

Au départ de la recherche-action, l’équipe de recherche du projet a fait l’hypothèse que « la réalisation d’un cycle d’ateliers collectifs s’inscrivant dans une démarche communautaire de renforcement de compétences (psychosociales) et plus largement de promotion de la santé permettrait d’apporter un soutien psychosocial à des personnes en situation de précarité ». (Champagne et al., 2023, p. 15). Le renforcement de compétences psychosociales, tant individuelles que collectives, a en effet été identifié comme susceptible de contribuer à l’augmentation du pouvoir d’agir et à la promotion de la santé de publics vulnérables impactés par la crise sanitaire (Observatoire de la santé du Hainaut, 2020 ; Buetti et al., 2021).

La démarche de recherche-action s’est ainsi concrétisée par la mise en œuvre concomitante d’un cycle de 5 ateliers collectifs (septembre 2022 – décembre 2022) dans 4 espaces citoyens liés au CPAS, sur le territoire de la ville de Charleroi et d’une recherche autour de ce dispositif d’animation collective. Le public cible visé par la recherche-action était un public précarisé, bénéficiant de services du CPAS et fréquentant habituellement les Espaces Citoyens. Ce sont au total 25 personnes (mixité hommes/femmes, d’âge variant entre 40 et 86 ans) réparties en 3 groupes de respectivement 6, 7 et 12 personnes qui ont ainsi régulièrement participé au cycle d’ateliers.

Les objectifs généraux de la recherche-action visaient d’une part la planification et l’expérimentation d’ateliers collectifs portant sur la réduction des impacts psychosociaux liés à la crise sanitaire auprès de populations précarisées (dans une perspective d’approche communautaire et participative) et, d’autre part, l’analyse du processus d’expérimentation des ateliers collaboratifs/collectifs et la formulation de recommandations quant au développement de pratiques liées aux ateliers collectifs de type communautaire. Il s’agissait donc de documenter les conditions de réussite et les effets des ateliers collectifs, dans le cadre d’une démarche contextualisée, participative et itérative.

Dès lors, il s’agissait d’accompagner les participants dans l’expression de leurs vécus en lien avec des « traces laissées par la crise », et dans l’identification des besoins liés aux sentiments exprimés.  La mise en œuvre des ateliers visait également l’acquisition de compétences psychosociales – individuelles et collectives – susceptibles de soutenir la capacité des individus à mobiliser des ressources intérieures et extérieures devant leur permettre de faire face aux impacts durables que la crise sanitaire a pu occasionner pour eux.

Le cycle de réalisation de la recherche-action s’est décliné en différentes étapes, la première passant par un diagnostic de situation (identification de la problématique de recherche, détermination des objectifs généraux et spécifiques, besoins, etc.).  S’en est suivi la planification du cycle des ateliers collectifs (calendrier des ateliers collectifs, élaboration de canevas d’animation, mobilisation et constitution des groupes, etc.). La troisième étape concernait la mise en œuvre à proprement parler des trois cycles d’ateliers et les méthodes de collecte de données (transcription d’intervalles des ateliers collectifs, prise de notes d’observation, collecte de données sociodémographiques, feedback auprès des participants, évaluation collective des participants en fin d’atelier, débriefing comme outil principal de documentation du dispositif d’ateliers collectifs, évènement de clôture). La dernière étape du cycle s’intéressait à l’analyse des données issues des différents ateliers.  La méthode d’analyse des différentes données recueillies était de type qualitatif, sur base essentiellement de matériaux écrits.

Notons que dans le dispositif d’animation des ateliers, l’animatrice, présente à l’ensemble des ateliers et qui bénéficiait d’une très bonne connaissance du territoire et du public-cible, était accompagnée par un chercheur/observateur (différent) pour chaque cycle d’ateliers.

Le déroulement des ateliers

  • Des activités spécifiques au premier atelier de chaque groupe ont été menées comme par exemple la co-construction d’une charte de groupe qui a permis de poser des règles et ainsi soutenir tout au long du processus l’émergence de conditions favorables à la dynamique de groupe.  Un outil ‘brise-glace’ a également été mobilisé dans le but de créer du lien entre tous les participants : une pelote de laine était lancée vers une personne tout en tenant un bout de fil et en se présentant. Cette technique simple d’utilisation a contribué dès le démarrage du premier atelier à créer un climat de confiance et à tisser un lien symbolique entre les participants.
  • D’autres activités introductives ont été reproduites lors des ateliers suivants, à savoir : un outil météo qui permettait d’identifier l’humeur du groupe et de prendre la ‘température émotionnelle’ de chacun des participants, le rappel de la ‘charte de groupe’,  une phase de restitution des ‘essentiels’ de l’atelier précédent de manière à faire le lien entre les ateliers, le suivi de la ligne du temps qui a facilité la mise en perspective du cycle d’ateliers et la perception d’un fil conducteur entre les différents ateliers.

  • Des activités conclusives étaient mises en avant à la fin de chaque atelier et constituaient en une restitution à chaud faite par le chercheur/observateur (les moments forts, les coups de cœur ou inversement les coups de massue) un feed-back collectif réalisé par les participants et une conclusion qui était assurée par l’animatrice des ateliers. Au terme de chaque atelier un débriefing à huis clos entre l’animatrice et le chercheur avait pour fonction de démarrer le travail d’analyse et d’ajuster les ateliers à venir.

  • Outre les activités décrites ci-dessus, d’autres activités spécifiques propres à chaque atelier ont été réalisées.
    • Atelier 1 : présentation des compétences psychosociales, mobilisation de l’outil Photolangage ‘Covid-19 & nous’ [4]. lors du premier atelier dont l’objectif était de faire émerger les vécus en lien avec la crise sanitaire et les traces laissées par celle-ci.
    • Atelier 2 :  utilisation de trois outils ‘Mes sentiments, mes besoins’, ‘Emotika’et l’affiche ‘Opéraction’ dont la complémentarité a permis de faire émerger l’expression des sentiments et des besoins.
    • Atelier 3 : co-construction d’un outil personnalisé avec les participants (dessin d’un plateau de balance venant représenter un déséquilibre provoqué par un débordement de sentiments démontrant des besoins non rencontrés) lors du troisième atelier qui avait pour objectif de permettre aux participants d’identifier et mobiliser des ressources internes leur permettant de faire face aux difficultés vécues.
    • Atelier 4 : exploitation d’un Mind Map avec les participants dont l’objectif était d’identifier collectivement les ressources externes mobilisables.
    • Atelier 5 : exploration avec les participants de l’outil ‘Enjeu Santé : les déterminants de la santé sous la loupe’ afin d’identifier les freins et leviers à la mobilisation des ressources et mises en situation.
    • Outre les activités décrites ci-dessus, d’autres activités spécifiques propres à chaque atelier ont été réalisées.
  • Enfin, un événement de clôture du projet a été organisé à des fins d’évaluation et de co-construction des recommandations finales, le 12 décembre 2022 autour de trois tables de discussion (de type World Café) avec trois thématiques différentes (‘les récoltes pour soi : ce qui reste’ ; ‘des éléments pour la poursuite et la transférabilité du dispositif d’ateliers collectifs’ et enfin ‘ce que les participants aimeraient adresser aux politiques’. Cette activité de clôture a permis des ‘retours collaboratifs’ de la part des participants des cycles des 5 ateliers qui avaient en effet l’opportunité de pouvoir tous se retrouver ‘ensemble’ et ainsi pouvoir ‘s’exprimer une dernière fois’ sur leur vécu et sur les apports identifiés lors de leur participation aux ateliers.

Les principaux effets du dispositif sur le renforcement des compétences psychosociales et sur la diminution du sentiment d’isolement

Le dispositif d’ateliers mis en place a permis de confirmer ou renforcer l’isolement social comme une conséquence importante de la crise sanitaire. Au moment de la réalisation des ateliers collectifs, certains des participants étaient déjà sortis en partie de leur isolement par la participation à certaines activités hebdomadaires organisées au sein des Espaces Citoyens.  Nos résultats soulignent cependant que les ateliers ont contribué à impulser une motivation supplémentaire pour que les participants ‘sortent de chez eux’. Le très bon taux de participation, dans la durée, à un cycle complet de 5 ateliers en témoigne. Ainsi, il est probable que la mise en place des ateliers ait pu répondre à un besoin chez les participants de pouvoir se rencontrer, de partager et de s’exprimer. Les participants ont particulièrement apprécié ‘le fait d’avoir pu vivre une expérience riche en rencontres et découvertes où la confiance et le partage ont pris le dessus sur la méfiance’. (Champagne et al., 2023, p.99).

Pour mémoire, les activités menées dans le cadre des ateliers collectifs portaient principalement sur le développement de compétences psychosociales (sociales, émotionnelles ou cognitives) qui ont été abordées avec les participants comme étant des ressources internes à mobiliser lors de situations complexes de vie. Les ateliers ont ainsi favorisé la prise de conscience que chacun dispose de ressources internes qui peuvent être mobilisées et exploitées à tout moment ; la (re)découverte de nombreuses ressources extérieures parfois nouvelles et ‘insoupçonnées’ ; une reprise de confiance en soi et en l’autre ; une prise de conscience de la manière de gérer ses émotions.  Les ateliers ont également permis de faciliter la capacité de s’exprimer avec confiance, y compris sur des sujets délicats et personnels ; de prendre conscience qu’il y a plusieurs vécus de la même crise sanitaire ; de partager ses expériences ; d’augmenter la tolérance et l’ouverture individuelles ; de co-engendrer un lieu de reconstruction d’un lien abîmé.

Cela a pu être confirmé lors de l’événement de clôture, au cours duquel‘ … les participants ont pu exprimer que l’espace-temps de parole reconstitué lors de ces ateliers avait été vécu comme restaurateur du lien social et d’une certaine façon, comme un facteur d’humanisation.  Le souci du lien, de la relation, le sentiment d’appartenance à une même communauté, quelles que soient les références de chacun, a commencé à se reconstruire au travers de ces différents ateliers.  Le groupe a donc pu (co)engendrer un lieu de reconstruction d’un lien qui avait été mis à mal pour certains par la crise sanitaire’.(Champagne et al., 2023, p. 104). Ce constat rejoint par ailleurs les observations de l’équipe de recherche, qui est restée très attentive durant tout le processus à l’évolution de la dynamique de groupe et à la notion de ‘faire groupe’.  Ainsi, elle a pu observer l’instauration rapide d’un sentiment de confiance et de sécurité auprès des participants, la répétition d’interactions de soutien entre les participants, une dynamique positive, enthousiaste et engagée de la plupart des participants, le partage de vécus et la reconnaissance mutuelle des vécus respectifs des différents membres du groupe.

En guise de conclusion…

Nous pensons pouvoir dire que lors du cycle d’ateliers co-construit et expérimenté dans le cadre de ce partenariat entre le RESO-UCLouvain et le CPAS de Charleroi, certains besoins importants contribuant à la restauration de la confiance en soi et en autrui ont pu être entendus et rencontrés. En effet, le dispositif d’ateliers collectifs semble avoir été vécu comme restaurateur d’un lien social et de certaines compétences psychosociales, individuelles ou collectives, qui avaient été mises à mal par la crise sanitaire.  

Nous ne pouvons clôturer ce partage de résultats à propos de la mise en œuvre d’un dispositif d’ateliers collectifs s’inscrivant dans une démarche communautaire de promotion de la santé sans citer quelques éléments de transférabilité du dispositif: la co-construction d’une charte dès le démarrage des ateliers, l’importance du choix des outils mobilisés (et pré-testés), la capacité d’ajustement des ateliers en fonction des besoins, la mise en place d’un cadre bienveillant et sécurisant, la clarté des explications communiquées aux participants, l’importance de la fonction de l’animatrice, les échanges réguliers au sein de l’équipe de recherche, en particulier les binômes animatrice/chercheur pour soutenir la cohérence (« fil-rouge ») et la flexibilité (ajustements) du dispositif.

[1] Dans le cadre des Stratégies concertées Covid-19 (round 2- automne 2021), le RESO-UCLouvain et le Service de Santé Mentale de Gosselies (SSM) du Centre Public d’Aide Sociale (CPAS) de la ville de Charleroi ont répondu conjointement à l’appel à projet : « Quelles stratégies préconiser pour (re)tisser le lien social et favoriser le bien-être psychosocial des populations défavorisées cumulant divers impacts négatifs de la crise du Covid-19 en Wallonie ? ». Une recherche-action participative.

[2] Champagne L., Thibaut C., Santorone N., Doumont D., Dallemagne G., Aujoulat I. « Comment soutenir sur le plan psychosocial les citoyens précarisés cumulant différents impacts négatifs de la crise sanitaires liée à la Covid-19 ? ». Rapport d’une recherche-action dans le cadre des Stratégies Concertées Covid-19 en Wallonie 2022. UCLouvain/CPAS de Charleroi, février 2023, 116 pages.

Ce rapport/publication est disponible dans la section « Recherche » du site web du RESO : https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/irss/reso/tisser-le-lien-social-et-promouvoir-le-bien-etre-psychosocial.html

[3] L’écriture inclusive n’a pas été privilégiée dans le cadre de la rédaction de cette publication.  Par conséquent, les mots tels que « participant » ou « chercheur » doivent être compris comme pouvant désigner tant un homme qu’une femme.

[4] Il est à noter que le projet a pu bénéficier d’une collaboration avec le CLPS de Charleroi-Thuin pour le choix des outils pédagogiques et d’animation mobilisés dans le cadre des ateliers.

Pour nous contacter

UCLouvain-IRSS/RESO
Clos Chapelle aux champs 30 bte B1.30.14
B – 1200 Woluwe-St-Lambert
https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/irss/reso
reso@uclouvain.be

32 2.764.32.82

Bibliographie

Buetti, D., Taylor, S., & Lapierre, S. (2019). Interventions fondées sur les déterminants sociaux de la santé : quelles implications pour le travail social structurel ? Service social65 (1), 40–53. https://doi.org/10.7202/1064589ar

Champagne L., Thibaut C., Santorone N., Doumont D., Dallemagne G., Aujoulat I. « Comment soutenir sur le plan psychosocial les citoyens précarisés cumulant différents impacts négatifs de la crise sanitaires liée à la Covid-19 ? » Rapport d’une recherche-action dans le cadre des Stratégies Concertées Covid-19 en Wallonie 2022. UCLouvain/CPAS de Charleroi, février 2023, 116 pages. https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-reso/publications/recherches/RESO-CPAS_RapportSCCovid19_RW_28022023.pdf

Gisle, L., Berete, F., Braekman, E., Bruggeman, E., Charafeddine, R., Demarest, S., Drieskens, S., & Van der Heyden, J. (2021). Septième enquête de santé COVID-19 : résultats préliminaires. Sciensano. https://www.sciensano.be/en/biblio/septieme-enquete-de-sante-COVID-19-resultats-preliminaires

Renard F., Scohy A., De Pauw R., Jurčević J., Devleesschauwer B., Health status report 2021 – L’état de santé en Belgique. Bruxelles, Belgique: Sciensano. Numéro de dépôt: D/2022/14.440/07. https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/etat-de-sante

Observatoire de la Santé du Hainaut. (2020). Quand le masque tombe… La crise de la pandémie COVID-19 dans l’aggravation des inégalités sociales de santé. Courtage en connaissances scientifiques, https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/2020/05/2020_05_13_COVID-19_et_ISS.pdf

Rens, E., Smith, P., Nicaise, P., Lorant, V., & Van den Broeck, K. (2021). Mental Distress and Its Contributing Factors Among Young People During the First Wave of COVID-19 : A Belgian Survey Study. Frontiers in Psychiatry12, 35. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2021.575553 

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