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La prévention des maladies est sous-développée en Belgique

Le 30 Déc 20

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Introduction

La prévention en matière de santé regroupe l’ensemble des activités qui permettent de réduire les risques futurs de maladie. La distinction entre la prévention primaire, secondaire et tertiaire est généralement effectuée, même si les actions de prévention n’appartiennent pas nécessairement de façon exclusive à l’une de ces trois catégories.
La prévention primaire fait référence aux activités qui réduisent la probabilité d’apparition d’une maladie, par exemple arrêter de fumer pour réduire la probabilité de cancer.
La prévention secondaire est associée aux actions qui atténuent la gravité de la maladie lorsqu’elle se déclare, c’est notamment le cas d’une mammographie qui permet de détecter et de traiter plus rapidement et donc plus efficacement un cancer du sein.
La prévention tertiaire regroupe les activités qui visent à réduire les risques de rechutes, par exemple cesser certaines activités à risque ou soigner son alimentation après un infarctus pour éviter qu’il ne se reproduise.
Dans tous les cas, la décision de prévention, qui est prise par les individus ou par la société en dehors d’une maladie effective, se distingue de la médecine curative qui est mobilisée après l’apparition des symptômes. L’activité de prévention revêt à la fois un caractère individuel (pratique du sport, arrêt du tabagisme, attention portée à l’alimentation…) et collectif (organisation de dépistages, de vaccinations, éducation à la santé…).
Mais, même lorsque les décisions qui affectent l’état de santé sont individuelles, un engagement des pouvoirs publics peut aider les individus à infléchir leurs comportements dans un sens favorable à leur santé. À titre d’exemple, l’arrêt du tabagisme est une décision individuelle mais les autorités publiques peuvent aider les individus à arrêter de fumer via différents dispositifs qui peuvent être légaux (interdiction de fumer dans les lieux publics, interdiction de vente aux mineurs…), financiers (taxes sur le tabac) ou autres (aide au sevrage tabagique, information…).

La prévention n’est pas une priorité politique

En Belgique, les compétences en matière de prévention des maladies et de promotion de la santé sont morcelées. Parmi les actions qui affectent la santé publique, certaines relèvent exclusivement du gouvernement fédéral (taxes sur le tabac et l’alcool) alors que d’autres (vaccination contre la polio et contre l’hépatite B, dépistage du cancer du sein…) font l’objet d’une coopération entre le gouvernement fédéral qui finance entièrement ou en partie les programmes et les Communautés qui les organisent. La santé étant une matière personnalisable, ces compétences ont toutefois été en grande partie attribuées aux Communautés. Sans être exhaustifs et sans se focaliser sur les priorités établies par chacune des deux Communautés (1), les actions mises en place, aussi bien en Communauté française que flamande, concernent les programmes de vaccination, les dépistages, les actions anti-tabagisme, la prévention des cancers, la prévention des maladies cardiovasculaires, la prévention du sida et des maladies sexuellement transmissibles, la santé mentale, etc. Il semble néanmoins que, par rapport au budget octroyé à la médecine curative, les efforts entrepris par les autorités publiques belges en matière de prévention des maladies et de promotion de la santé soient minimaux.
Allouer 0,1% de son PIB à de telles activités paraît en effet insignifiant lorsque, dans le même temps, 10% de ce même PIB est consacré à financer le traitement de ces maladies (2). Si le système de santé belge est apprécié pour sa réactivité et sa capacité à rendre disponible des traitements à un coût raisonnable pour les utilisateurs, la politique en matière de prévention – qui exige une vision et la mise en place de stratégies à plus long terme – ne semble pas constituer une priorité politique.
L’attention modeste accordée aux politiques de prévention des maladies et de promotion de la santé n’est cependant pas propre à la Belgique. Le tableau ci-dessous permet de comparer notre dépense publique de prévention par habitant à celle d’autres pays de l’OCDE (3).

Pays

Dépense publique de prévention par habitant (€ PPA) – 2003
Danemark 7,97
République slovaque 9,42
Italie 10,14
Mexique 13,04
Espagne 14,49
Corée 14,49
République tchèque 15,94
Pologne 6,66
Portugal 18,83
Luxembourg 18,83
Japon 21,73
Finlande 26,8
Autriche 27,52
Belgique 28,97
Islande 31,15
Suisse 40,56
Irlande 42,74
Norvège 44,91
France 51,43
Pays-Bas 57,22
Allemagne 68,09
Canada 131,83
Etats-Unis 144,87

Source: OCDE Éco-santé 2006

Selon les statistiques de l’OCDE pour l’année 2003, la dépense publique consacrée à la prévention des maladies en Belgique était de 28€ par habitant. À titre comparatif, la France y consacrait la même année 51€, les Pays-Bas 58€, l’Allemagne 67€, le Canada l’équivalent de 131€ et les États-Unis l’équivalent de 144€.
La Belgique n’est toutefois pas la lanterne rouge de ce classement puisque l’Espagne, l’Italie et le Danemark notamment font encore moins bien en consacrant respectivement 14€, 10€ et 8€ par habitant à des dépenses publiques de prévention.
À titre indicatif, la Belgique devrait augmenter sa dépense publique totale de prévention approximativement de 88 millions d’euros pour s’ajuster sur la dépense moyenne des autres pays mentionnés dans le tableau.
Il serait toutefois erroné de limiter la prévention à une politique budgétaire. La prévention passe aussi par la définition de nouvelles politiques qui ne sont pas uniquement de nature budgétaire. Citons à titre d’exemple la politique des sports, la législation relative au tabac ou les actions menées par les mutualités pour favoriser une meilleure alimentation ou des comportements de vie plus sains.

Les avantages de la prévention

Les activités de prévention présentent de nombreux avantages. Le premier effet de la prévention est d’assurer à l’ensemble de la population une meilleure qualité de vie en réduisant l’occurrence ou la gravité des maladies. Au-delà de ces bénéfices intangibles, la prévention a aussi des effets financiers importants. Une amélioration de l’état de santé général représente d’abord une capacité additionnelle de croissance économique et donc une source supplémentaire de revenus.
En guise d’illustration, 440.000 décès prématurés dus au tabagisme ont été enregistrés chaque année aux États-Unis entre 1995 et 1999 et le coût consécutif à la perte annuelle de productivité a été estimé à 81,9 milliards de dollars US par an (4). Du même coup la prévention permet aussi de réaliser des économies pour la sécurité sociale en réduisant la durée d’indisponibilité des travailleurs.

Qui est Itinera ?

Mission – Identifier, défendre et construire les chemins de réformes qui garantissent une croissance économique et une protection sociale durables en Belgique et dans ses régions.

Le contexte

La Belgique et ses régions réalisent des performances insuffisantes. Malgré des améliorations conjoncturelles, la croissance économique est structurellement limitée et le chômage est structurellement élevé. Notre compétitivité internationale décline régulièrement. Le niveau de taxation approche des records et pourtant notre État-Providence souffre de difficultés budgétaires persistantes. Le niveau de protection sociale s’érode graduellement sur tous les fronts. Les plus faibles de notre société – les personnes âgées, les jeunes, les personnes faiblement qualifiées, les immigrants, les handicapés, les pauvres – sont fortement marginalisés dans notre économie et sur le marché du travail. Alors que notre démographie change rapidement, nous ne réussissons pas à intégrer notre société et nous manquons d’une citoyenneté cohésive commune.
La Belgique est maintenant confrontée aux défis d’une société vieillissante et d’une concurrence internationale dans une économie mondiale dynamique et volatile. Nous devons choisir entre un déclin graduel et relatif ou des réformes structurelles qui rétablissent l’attractivité de notre économie et de notre société au bénéfice de tous. Sans réforme globale, nous risquons d’atteindre un point où le cercle vertueux de la création et de la redistribution de richesses deviendrait un cercle vicieux. Sans réforme globale, les prochaines générations perdront la combinaison entre opportunité économique et protection sociale dont les générations précédentes ont bénéficié après la deuxième guerre mondiale.

L’ambition de l’Itinera Institute

La réforme des politiques n’est pas uniquement de la responsabilité des partis politiques, des groupes d’intérêt ou des centres de recherche financés par le secteur public. Les ‘think-tanks’ indépendants ont toujours joué un rôle dans beaucoup de pays à travers le monde pour alimenter le programme des réformes au-delà des partis et des horizons politiques. Cette longue et prospère tradition d’instituts indépendants a largement dépassé la Belgique.
L’Itinera Institute a été fondé officiellement le 13 mars 2006 comme le premier think-tank et ‘do-tank’ réellement indépendant et professionnel qui se préoccupe spécifiquement de la Belgique et de ses régions. Là où les partis politiques, les organisations professionnelles, les universités et les médias s’arrêtent, l’Itinera Institute commence à défendre les réformes fondamentales pour arriver à une meilleure croissance économique et une protection sociale durable pour tous , particulièrement pour les générations futures .
L’Itinera Institute reste à ce jour la seule organisation de ce type en Belgique. Alors que la dénomination ‘think tank’ est de plus en plus utilisée par toute sortes d’associations et d’activités, aucune autre organisation en faveur de réformes en Belgique ne combine les caractéristiques de l’Itinera Institute: structure professionnelle, couverture nationale et indépendance complète – structurelle et financière – des partis politiques, des organisations professionnelles et des autorités publiques.
La structure et la position de l’Itinera Institute reflètent la tradition vaste et diverse des think-tanks professionnels d’autres pays à travers le monde. Les dimensions ajoutées d’Itinera sont ses divers axes de recherche, sa perspective internationale, son ouverture à tous les points de vue et arguments sans a priori politique ou idéologique et son ambition de promouvoir ses propres propositions politiques en tant que do-tank actif.
L’Itinera Institute est l’idée d’une jeune génération d’entrepreneurs, de professionnels et d’académiques. Avec le soutien d’une génération plus expérimentée dans ses organes et à travers un réseau multinational d’auteurs et d’orateurs, l’Itinera Institute agit par-delà les partis politiques et indépendamment de tout groupe d’intérêt ou organisation professionnelle. L’Institut est indépendant de tout agenda sur la structure de l’état et vise tous les niveaux politiques qu’ils soient internationaux, européens, nationaux ou régionaux.
https://www.itinerainstitute.org
Informations disponibles sur le site d’Itinera Institute – consultation le 22 juin 2009.

Ensuite, une politique de prévention ciblée peut également permettre de réaliser des économies pour l’assurance maladie en tant que telle en évitant ou en réduisant le coût des traitements futurs. Le tabagisme aurait ainsi engendré 75,5 milliards de dollars US de dépenses médicales annuelles supplémentaires durant la période 1995-1999 (4). Ce dernier effet n’est cependant pas toujours présent et dépend du type d’intervention. Dans tous les cas, c’est l’évaluation précise des coûts et des bénéfices (tangibles et intangibles) associés à chaque programme de prévention qui va déterminer la pertinence de sa mise en oeuvre. Car il ne convient évidemment pas d’adopter tous les programmes ou de nécessairement les appliquer à l’ensemble de la population. Allouer d’importants moyens financiers à des programmes de prévention dont l’efficacité est limitée est manifestement inopportun. Et si les analyses économiques ne montrent pas qu’il faille systématiquement allouer les moyens publics disponibles aux activités préventives plutôt que curatives, le déséquilibre actuel dans l’organisation des soins de santé en Belgique est certainement inapproprié.
Il existe en effet un grand nombre de programmes qui présentent un ratio coût-efficacité tel que leur mise en oeuvre soit justifiée. Les pneumonies à pneumocoque sont par exemple responsables de 2.000 décès annuels en Belgique. Une vaccination efficace existe pour prévenir ce type de maladies respiratoires mais ce vaccin est en Belgique uniquement remboursé pour les enfants de moins de 2 ans. Or, de nombreuses études ont montré que cette vaccination mise en oeuvre chez les personnes âgées était coût-efficace (5). Ces travaux invitent donc les autorités publiques à encourager ce type de vaccins pour toutes les personnes âgées de plus de 65 ans (voir par exemple De Graeve et al. 2000 (6)). Il existe de nombreux autres exemples du même type.
Alors que les pressions budgétaires déterminent de plus en plus l’organisation de notre système de santé, une intensification de la politique de prévention pourrait constituer une mesure intéressante en vue de dégager des marges. Il suffit d’examiner les données épidémiologiques pour s’en convaincre.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, sept facteurs de risque expliquent près de 60% de la charge de la morbidité en Europe: l’hypertension (12,8%), le tabagisme (12,3%), l’abus d’alcool (10,1%), l’hypercholestérolémie (8,7%), le surpoids (7,8%), la faible consommation de fruits et de légumes (4,4%) et le manque d’activité physique (3,5%). Ces facteurs constituent en effet les causes majeures des principales maladies en Europe (maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires, problèmes de santé mentale, cancers, diabète…). La lecture de ces facteurs de risque nous indique à quel point la prévention et la promotion de la santé constituent le moyen le plus efficace de lutter contre ces maladies. Car, toujours selon l’OMS, l’élimination des principaux facteurs de risque permettrait d’éviter 80% des maladies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et du diabète de type II, ainsi que 40% des cancers.

Le découpage des compétences n’incite pas à la prévention

Quels sont les éléments qui permettent d’expliquer un tel déséquilibre entre les moyens financiers alloués à la prévention et ceux attribués au traitement des maladies?
Les dépenses effectuées à des fins de prévention présentent un double inconvénient pour les autorités compétentes en matière de santé en Belgique. Le premier problème n’est pas propre à la Belgique et résulte du fait que les effets des efforts de prévention ne se voient souvent qu’à long terme. Les autorités qui se lancent dans un vaste programme de prévention s’exposent donc à ne jamais entrevoir les bienfaits de leur politique (dont les bénéfices vont revenir à leurs successeurs).
L’architecture institutionnelle de notre pays – outre le fait qu’elle favorise les actions dispersées et peu coordonnées – constitue un deuxième frein à l’investissement dans de coûteux programmes de prévention des maladies. Ce domaine est en effet du ressort des Communautés. L’assurance maladie – qui prend en charge la majeure partie des coûts engendrés par les traitements – est quant à elle gérée au niveau fédéral. Ce qui signifie que l’effort de prévention entrepris par les Communautés profite surtout aux autorités fédérales. Bien évidemment, le bénéfice des politiques de prévention ne peut uniquement se réduire à un gain financier prenant ici la forme de coûts évités.
Les Communautés sont chargées des politiques liées aux personnes (et donc à leur bien-être) et sont donc à ce titre tenues de leur éviter des maladies. Elles sont par conséquent aussi jugées sur l’état de santé de la population. Mais le fait qu’elles ne soient pas affectées par toutes les conséquences de leurs politiques crée un sérieux problème d’incitation économique. Étant données les contraintes budgétaires, les autorités ne sont donc pas incitées à investir dans une politique qui ne leur rapporte pas. Comment sortir de cette impasse? Deux solutions – politiquement compliquées compte tenu du contexte institutionnel de notre pays – semblent évidentes. Elles sont basées sur le principe du paquet homogène de compétences que les autorités publiques devraient gérer. Autrement dit, il conviendrait de renvoyer toutes les compétences en matière de santé – y compris la politique de la prévention – soit au niveau fédéral, soit au niveau communautaire.
Une autre solution peut être mise en oeuvre tout en évitant ce débat politiquement sensible dans notre pays. Le gouvernement fédéral, dans la mesure où il bénéficie aussi des politiques menées au niveau des Communautés, devrait inciter ces dernières à effectuer plus d’efforts de prévention.
Par le biais de quels mécanismes peut-il atteindre cet objectif?
Une compensation financière proportionnelle à l’effort de prévention des Communautés peut contribuer à la mise en place d’une politique plus active.
Un des dispositifs suggéré par la théorie économique est celui dit des «matching grants». Suivant ce principe, l’État fédéral devrait octroyer aux Communautés une compensation conditionnelle à leur effort de prévention. La compensation peut par exemple prendre la forme d’un montant de x € accordés par le fédéral aux Communautés pour chaque euro dépensé par ces dernières. Ceci nécessite un effort de coordination entre la politique de la santé et la politique des soins de santé, par le biais de programmes déterminés en commun accord entre les différents niveaux de compétence.
Partant du même principe, on pourrait envisager une compensation conditionnelle non pas à une dépense des Communautés mais aux résultats obtenus par ces dernières en matière de santé publique. La compensation pourrait ainsi être basée sur l’évolution d’indicateurs tels que la proportion de fumeurs dans la population, le taux de survie à 5 ans après le diagnostic d’un cancer, la prévalence de certaines maladies évitables, etc.
Cette politique, plus ambitieuse, aurait le mérite d’inciter les Communautés à utiliser plus efficacement les moyens publics. Une telle mesure – qui ne constitue pour le moment qu’une piste de recherche – devrait néanmoins être appliquée avec précaution pour plusieurs raisons. La première provient de la mesure, parfois contestable, des indicateurs sur lesquels pourrait être basée la compensation. Par ailleurs, les autorités publiques en place ne sont pas les seules responsables de l’état de santé général de la population. Ce dernier résulte en effet aussi, d’une part, des décisions prises auparavant éventuellement par d’autres autorités (les objectifs de santé publics résultent de politiques à long terme) et, d’autre part, du mode de vie des individus sur lequel les gouvernements n’ont pas complètement prise.
Les deux mesures suggérées partent d’un principe commun qui consiste à conditionner le financement du gouvernement fédéral à des actions – si possible efficaces – entreprises par les Communautés. Notons ici qu’il est essentiel que la compensation accordée prenne – fût-ce partiellement – la forme d’une compensation conditionnelle à une action et non d’un montant forfaitaire qui n’aurait aucun effet incitatif pour les Communautés.

Une focalisation quasi exclusive sur la dimension curative

Le contexte budgétaire qui caractérise la Belgique engendre une politique de santé qui se développe presqu’exclusivement autour du traitement des maladies. Dans un environnement où les dépenses sont strictement limitées et où les possibilités d’allocation du budget sont multiples, il n’est en effet pas payant pour les Communautés d’investir massivement dans des activités de prévention dont les bénéfices ne se réalisent qu’à long terme et qui ne leur profitent pas politiquement compte tenu du découpage des compétences en matière de santé dans notre pays. Pourtant, la prévention comporte des avantages. Outre le fait qu’elle permettrait d’améliorer la productivité de travailleurs en meilleure santé et d’éviter le coût de certains traitements, une politique de prévention volontariste engendrerait des gains considérables en termes de qualité de vie pour la population.
François Daue , Senior Fellow à l’Itinera Institute, David Crainich , chargé de recherches au CNRS et professeur associé à l’IESEG School of Management (Université catholique de Lille)
Ce texte est extrait du rapport ‘L’avenir des soins de santé: oser le diagnostic et les thérapies’, publié fin 2008 par l’Itinera Institute. Ce document de près de 300 pages propose une ‘anatomie du système de santé en Belgique’; un ‘diagnostic des forces et faiblesses’ du système, dont est tiré ce chapitre sur la prévention; huit ‘solutions pour le XXIe siècle’.
Adresse des auteurs: Itinera Institute asbl, Bd Léopold II 184d, 1080 Bruxelles. Tél.: 02 412 02 62. Fax: 02 412 02 69. Courriel: info@itinerainstitute.org. Site: https://www.itinerainstitute.org .

(1) Pour plus de détails, voir Corens D. Health System review: Belgium. Health Systems in Transition, 2007; 9 (2): 1-172.
(2) OCDE, Éco-santé 2006
(3) L’OCDE renseigne en fait une dépense publique de prévention de 35 € par habitant en Belgique pour l’année 2003. Mais pour permettre une comparaison entre pays, nous avons utilisé le taux de change PPA (parité de pouvoir d’achat) qui intègre à la fois le taux de change d’une devise à l’autre et le niveau général des prix afin de mieux évaluer les actions qui peuvent être entreprises avec un montant donné dans chaque pays. Ainsi corrigée la dépense publique de prévention par habitant en Belgique est de 28 €.
(4) Morbidity and Mortality Weekly Report Highlights, April 12, 2002, Vol. 51, No. 14.
(5) Ce qui signifie qu’un programme de vaccination des personnes âgées engendrerait, comparativement aux autres programmes de santé entrepris, des bénéfices liés à une meilleure qualité de vie qui justifient son application.
(6) De Graeve, Verhaegen et al., Kosteffectiviteit van vaccinatie tegen pneumokokkenbacteriëmie bij bejaarden: resultaten voor België, Acta Clinica Belgica, 2000, 55,5, pp 257-265.

Comment sont définies les priorités de santé publique?

Le 30 Déc 20

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Il nous paraît intéressant de faire écho à un article de Jeremy Shiffman (Maxwell School, Université de Syracuse, État de New York) publié dans le Bulletin de l’OMS d’août dernier (1). Cet article questionne en effet le paradigme objectiviste qui prévaut dans le champ de la santé et met en avant un paradigme constructiviste pour expliquer les disparités entre les divers problèmes de santé publique selon l’intérêt que leur portent décideurs et donateurs.
Le débat entre ces deux paradigmes – on peut même parler de débat épistémologique – n’est pas neuf dans les sciences humaines mais il pourra paraître audacieux dans le monde médical, toujours soucieux d’objectivité scientifique.
L’article part d’un simple constat: certains problèmes de santé publique drainent l’attention des dirigeants politiques et des financeurs tandis que d’autres restent à l’arrière-plan, sans que ces différences s’expliquent forcément par des facteurs objectifs tels que la morbidité et la mortalité ou par l’existence de moyens d’action efficients (c’est-à-dire «rentables» en termes de coût/efficacité). C’est ainsi, écrit Shiffman , que les programmes portant sur le VIH/SIDA, qui représente environ 5% de la mortalité dans les pays à bas et moyen revenu, recevaient au début des années 2000 plus du tiers de toutes les grandes donations en matière de santé.
De même, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a drainé des ressources importantes alors qu’il n’était responsable que de quelques centaines de décès (2). Inversement, des maladies transmissibles comme la pneumonie ou la diarrhée, qui tuent chaque année des millions de personnes et contre lesquelles on dispose de moyens d’intervention efficients, n’attirent que des financements modestes.
L’idéal objectiviste, selon lequel c’est l’importance rigoureusement mesurable d’un problème (gravité, fréquence, etc.) ainsi qu’une neutralité gestionnaire (calcul coût/bénéfice) qui prévalent dans les décisions en matière de santé publique, est ainsi mis à mal.
Pour expliquer ces disparités, il faut recourir au paradigme constructiviste ( social constructionism ): ce que nous appelons «réalité» n’est pas quelque chose qui serait là, devant et hors de nous, indépendamment de l’observation humaine. La réalité n’est pas un donné objectif mais un construit social; nous la construisons à travers des catégories mentales et des interactions sociales.
Il en va ainsi, par exemple, du «risque» au sens courant du terme (le fait de percevoir tel phénomène, tel comportement comme risqué ou non est sujet à de multiples variations en fonction de facteurs socioculturels) mais aussi au sens médical: un «facteur de risque» est le résultat de la réduction explicite d’une question à certaines variables et du calcul d’associations statistiques entre celles-ci.
L’implication pour la question qui nous occupe ici est la suivante: un problème de santé se voit accorder de l’attention moins en raison de son «importance» objectivable que de la manière dont il est mis en exergue par ceux qui sont convaincus de son importance (et/ou qui y ont intérêt, ajouterons-nous). Cela ne signifie pas, souligne Shiffman, qu’il n’existe aucun lien entre la matérialité des faits et l’attention accordée à un problème, mais que ce lien est distendu et qu’il est toujours influencé par des représentations sociales.
Pour aller plus loin, l’auteur se réfère à une publication précédente (3), qui montrait à quel point il avait été difficile d’attirer l’attention des politiques sur le problème de la mortalité maternelle et, à partir de là, proposait 11 facteurs explicatifs regroupés en quatre catégories: le poids des acteurs motivés par un problème de santé publique; la force de leurs arguments; le contexte politique; les caractéristiques propres du problème de santé. Il se propose ici de centrer son hypothèse explicative sur trois de ces facteurs (mais sans expliciter les raisons de ce choix): les policy communities mobilisées par un problème de santé; les types d’arguments et de représentations du problème qu’elles développent; les institutions qui promeuvent cette argumentation et ces représentations.

Intérêt partagé

La notion de policy community pose un problème de traduction qui n’est pas seulement linguistique mais conceptuel. Shiffman définit en effet ces ensembles comme «des réseaux d’individus (chercheurs, militants, décideurs politiques, fonctionnaires…) et d’organisations (gouvernements, ONG, agences des Nations Unies, fondations…) qui partagent un intérêt pour un problème particulier». L’expression «intérêt partagé» est évidemment assez vague (4) et la polysémie du terme «réseau» n’arrange rien. En tout cas, il ne s’agit pas simplement des lobbies installés auprès des grandes institutions politiques comme l’Union européenne. Alors, faut-il dire simplement «communauté d’intérêts» ou «alliance objective»? Ces formulations sont très générales et n’impliquent pas forcément d’action concertée… Le manque de précision de ce concept nous semble constituer une faiblesse de la démonstration proposée ici.

Représentations sociales

Quoi qu’il en soit, le cœur de l’activité d’une policy community serait de l’ordre des représentations sociales: fixer l’attention de l’opinion (l’opinion publique mais surtout celle des cercles de décision) sur un problème de santé qui doit apparaître comme une problématique sociale crédible, convaincante en soi, mais aussi marquante, importante dans la vie des gens ( salient ).
Par exemple, l’éradication de la poliomyélite a été présentée comme une croisade humanitaire contre un fléau qui a affecté les enfants pendant des milliers d’années. Plus d’un occidental d’âge mûr aura été séduit par la possibilité de débarrasser le monde d’une maladie qui faisait naguère encore des ravages dans son propre pays.
L’enjeu est donc de déceler quelles images, quelles représentations d’un problème de santé sont susceptibles de «faire tilt», particulièrement auprès des relais d’opinion, des élites et des décideurs. Lesquels sont multiples et variés: pensons à un militant des droits de l’homme, à un épidémiologiste, à un ministre des finances… Aussi les problèmes de santé qui ont été le plus mobilisateurs sont-ils ceux qui ont mis en œuvre de multiples représentations: « par exemple , écrit Shiffman, le VIH / SIDA a été dépeint comme un problème de santé publique , une question de développement [ socio économique ], une crise humanitaire , une affaire de droits humains et une menace pour la sécurité ».
Exemples à l’appui, il montre aussi que les discours destinés à promouvoir tel ou tel problème de santé développent presque tous une rhétorique qui se situe sur deux versants. Le premier porte sur le problème, présenté comme grave et sous-estimé: « le problème X reçoit beaucoup moins de ressources financières qu’il le mérite , eu égard aux dommages sérieux qu’il cause ou peut causer à l’avenir ». Le second porte sur la solution, présentée comme réaliste et avantageuse: « le problème X est surmontable ( ou , s’il ne l’est pas encore , le besoin est urgent de trouver le moyen d’y arriver ) et , une fois qu’il sera surmonté , les gains et / ou les dommages évités seront remarquables ».

Institutions porteuses

Mais la qualité de l’argumentation ne suffit pas: encore faut-il que celle-ci soit portée, valorisée et pérennisée par des «institutions». Par ce dernier mot, il faut entendre non seulement des entités organisationnelles bien précises (par exemple l’OMS, l’UNICEF, ONUSIDA ou de nombreuses ONG et associations centrées sur telle ou telle question de santé publique) mais aussi «les règles, les normes et les stratégies adoptées par les individus qui interviennent à l’intérieur des organisations ou de manière transversale ( accross organizations )» (5), ce qui correspond plus ou moins à la notion de «culture institutionnelle». Pour Shiffman, l’existence de telles institutions est cruciale pour que la problématique qu’elles portent parvienne puis reste à l’agenda de la santé dans les cercles de décision politique.

La communication, indispensable

Si l’on suit cette thèse, la communication, loin d’être une activité secondaire en santé publique, apparaît comme une stratégie de premier plan. Les «communautés d’intérêts en matière de politiques sanitaires» devraient dès lors apprendre à communiquer en mettant systématiquement en avant la gravité et la sous-estimation du problème qu’elles veulent promouvoir ainsi que l’efficacité et les avantages des réponses qui peuvent y être apportées.
Il leur faudrait aussi apprendre à présenter leur dossier en fonction des préoccupations des décideurs et en choisissant les représentations du problème le plus susceptibles de retenir leur attention. Elles auraient enfin avantage à fonder des institutions dévolues à plaider en faveur de «leur» problème plutôt que d’espérer voir les institutions existantes s’y intéresser; à défaut, elles devraient tout faire pour que celles-ci créent un département affecté à cette problématique. Reste que tous les problèmes de santé publique ne se prêtent vraisemblablement pas à un tel traitement: ce n’est pas un hasard si Shiffman donne souvent en exemple le VIH/SIDA.
« Mon intention initiale , conclut-il avec candeur ou cynisme, n’était pas de suggérer aux policy communities ce qu’elles devraient faire ni de dire en quoi consiste le comportement le plus approprié en matière de plaidoyer». Précaution oratoire, comme il en est d’autres dans le texte? Mais la suite est plus surprenante car elle semble jetée comme un pavé éthique dans une mare jusque là pragmatique. Nous traduisons quasi intégralement ce passage (6): «Puisque de multiples policy communities luttent pour attirer l’attention en développant des arguments et en créant des institutions pour promouvoir leur propre problématique, les pauvres reçoivent ils leur dû ? Certains observateurs ont exprimé des doutes quant à l’intérêt d’une telle compétition . Ils plaident pour une architecture plus rationnelle , qui soit focalisée sur le bien public dans son ensemble , prenne en compte , pour l’allocation des ressources , des facteurs matériels comme le coût réel de la maladie , et soit attentive aux priorités des citoyens du pays . On trouve ces préoccupations derrière plusieurs initiatives nouvelles visant à promouvoir l’harmonisation de l’aide sanitaire (…) et l’appel à rejeter les initiatives axées sur un problème spécifique , au profit d’une approche intégrée mettant l’accent sur le renforcement des systèmes de santé . D’autres observateurs , par ailleurs , font remarquer que la compétition peut aider à faire surgir des idées et des énergies nouvelles pour affronter les besoins de santé des pauvres , et que les initiatives ciblées sont plus susceptibles d’engendrer résultats , responsabilisation et soutien politique . Ils signalent aussi que l’harmonisation peut conduire à une architecture non pas rationnelle mais autoritaire : une petite élite d’organisations coalisées pour dicter ce qui est le mieux pour la santé des pauvres
Outre que, d’une manière ou d’une autre, c’est toujours une «petite élite», coalisée ou non, qui décide de ce qui est assez bon pour les pauvres, le débat apparaît alors comme un nouvel avatar de l’opposition classique entre planification et libre concurrence. Un débat tranché d’avance dans le monde contemporain, surtout aux USA. Du coup, on se dit que le «pavé éthique» a peut-être surtout une fonction rhétorique. Qu’il a peut-être été jeté essentiellement pour conforter l’option selon laquelle la compétition est bonne en soi parce que c’est le meilleur qui l’emportera pour le bien de tous. Encore une «représentation sociale»?
Alain Cherbonnier , licencié en éducation pour la santé, chargé de projet à Question Santé asbl

(1) A social explanation for the rise and fall of global health issues, Bull. World Health Organ. , vol. 87, 8, 608-13.
(2) Et la même chose a bien l’air de se produire avec l’épidémie de grippe A (H1-N1)…
(3) Shiffman J., Smith S., Generation of political priority for global health initiatives: a framework and case study of maternal mortality, Lancet 2007, 370, 1370-9.
(4) Pas un mot sur les divers intérêts (institutionnels, idéologiques, corporatistes, financiers, carriéristes, politiques stricto sensu ) qui mobilisent toute cette énergie…
(5) Ostrom E., Institutional rational choice: an assessment of the institutional analysis and development framework, in Sabatier P. A. (ed.), Theories of the policy process , Boulder (Colorado), Westview Press 2007, 21-65. Cité par l’auteur.
(6) Traduction dont ni l’auteur ni son éditeur ne peuvent être tenus pour responsables.

APES – ULg

Le 30 Déc 20

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Appui en Promotion et Éducation pour la Santé en Communauté française de Belgique

L’APES-ULg est une équipe pluridisciplinaire intégrée dans l’École de Santé Publique de l’Université de Liège. Elle collabore aux activités du Service de Santé au Travail et d’Éducation pour la santé.
Dans le champ de la promotion de la santé, l’APES-ULg se positionne résolument à l’interface entre les acteurs de terrain, les acteurs politiques ou administratifs et les acteurs de la recherche. Dans cette optique, le soutien, l’accompagnement ou le conseil méthodologique restent au centre des préoccupations de l’équipe. L’expertise se veut une incitation à l’échange de compétences et à la construction collective des connaissances .
Ainsi, les services offerts par l’APES-ULg sont nourris grâce à la synergie entre les différents acteurs : d’un côté, par les références documentaires, les recherches et les contacts scientifiques; de l’autre, par la description des demandes et des pratiques des intervenants et des décideurs, ainsi que par la construction d’outils et de démarches en collaboration avec eux.

Un Service Communautaire de Promotion de la Santé

(SCPS)

L’APES-ULg est un Service Communautaire de Promotion de la Santé agréé par le Ministère de la santé de la Communauté française de Belgique pour vous conseiller et vous aider dans la conception et l’évaluation de vos projets en promotion, prévention et éducation pour la santé. Il apporte ce soutien à la demande.
Depuis 2006, l’APES-ULg accorde une attention particulière à la Promotion de la santé à l’école en développant des outils et des démarches pour faciliter l’application et l’évaluation des projets de services des Services PSE et Centres PMS, mais aussi en soutenant les initiatives visant à promouvoir la santé dans les établissements scolaires.

Une équipe pour la recherche et l’expertise en Promotion et Éducation pour la Santé

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Les expertises en cours concernent, entre autres, le soutien à la parentalité avant et après la naissance (en collaboration avec l’ONE et avec ETAPE), l’évaluation des pratiques en promotion de la santé mentale (dans le cadre d’un programme Interreg- Grande Région), la formation en matière d’évaluation d’actions et de programmes (en partenariat avec l’EHESP en France), la formation aux approches qualitatives et aux méthodes mixtes en matière d’évaluation, etc. Les études des années précédentes, les communications et articles divers peuvent être téléchargés sur le site https://www.apes.be à la rubrique «expertise-évaluation/articles scientifiques et rapports» ou directement sur le site de l’université https://orbi.ulg.ac.be en recherchant APES-ULg, le nom d’un membre de l’équipe, promotion de la santé ou un thème particulier.

APES-ULg École de Santé Publique de l’Université de Liège, Sart Tilman B 23, 4000 Liège (Belgique). Tél. 32 (0)4 366 28 97. Fax. 32 (0)4 366 28 89. Courriel: stes.apes@ulg.ac.be. Site web: https://www.apes.be

Futur. Actualiser la promotion de la santé à partir des agendas sociaux et politiques

Le 30 Déc 20

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Regard sur les déclarations de politiques régionales et communautaire

En mars dernier, lors de la rencontre proposée par l’APES-ULg, le débat a porté, brièvement, sur la place réelle de la promotion de la santé au sein des politiques menées par la Communauté française… Une grenouille qui voudrait se faire aussi grosse qu’un bœuf?
S’il est possible d’identifier un dispositif administratif et professionnel (législation, budget, instances, services, projets…), il semble bien plus difficile d’analyser la contribution de ce dispositif d’une part aux politiques mises en place et, d’autre part, à la ‘capacité des populations à prendre en charge leur santé’. Néanmoins, on peut avancer, sans grand risque de se tromper, que le débat public et les enjeux politiques négligent la promotion de la santé, comme dispositif.
Pourquoi cette absence d’influence? On peut évoquer plusieurs raisons qui mériteraient développements et analyses nuancées en d’autres lieux:
-la dispersion des compétences en matière de santé entre le fédéral et les entités fédérées;
-la place relative (modeste, voire très modeste) de la prévention dans le système de soins (dit de santé), mais aussi cette même place relative au regard des principaux dispositifs de la Communauté, l’enseignement et la culture;
-la représentation sociale de la santé parmi la majeure partie de la population et donc de ses représentants, qui reste pour l’essentiel l’absence de maladie;
-une difficulté réelle pour la promotion de la santé, au vu de la complexité de son objet, de clarifier ses modalités d’action et ses effets dans le temps et dans l’espace pour faire valoir son efficacité et rendre des comptes sur son action;
-la dispersion des acteurs spécialisés et leur manque d’identité professionnelle (corpus de connaissances et de pratiques entre autres). Pour différentes raisons à approfondir, il n’y a pas de regroupement professionnel, mais une offre de formation initiale dispersée, des origines professionnelles multiples, une offre de formation continuée faible, pas ou peu de recherche scientifique… Certains acteurs, dans le dispositif lui-même, revendiquent d’ailleurs ce manque d’identité au nom d’une approche globale et transversale de la santé;
-la ‘prétention’ de la promotion de la santé (de son dispositif?) à l’universalisme (tout serait matière à santé) au regard de ses moyens et de ses méthodes. La promotion de la santé érige en principes incontournables des finalités sociétales louables telles que la lutte contre les inégalités de santé ou le renforcement du pouvoir de dire et d’agir des citoyens sur leur santé. Cependant le caractère universel et global de ces principes pousserait certains à considérer qu’ il ne serait pas possible, voire contre nature, de se professionnaliser. A force de courir après un modèle holistique de la santé et la multiplicité des déterminants de la santé, le risque est grand de se diluer totalement et de devenir transparent. A force d’être soluble dans la société, la promotion de la santé est devenue indiscernable.

Le manque de participation au débat public

C’est ce dernier point que nous voudrions traiter en proposant de remettre au goût du jour une des pistes déjà bien présente dans la charte d’Ottawa en 1986: le plaidoyer.
Que faire?
Lors de notre rencontre en mars, les représentants politiques nous ont encouragés à interpeller le parlement et sa commission santé et pas seulement le gouvernement. Six mois et une élection plus tard, examinons les déclarations de politique générale de la Communauté et des Régions pour identifier quelques points à leur soumettre sur une contribution du référentiel et du dispositif de la promotion de la santé, mais aussi quelques enjeux de société susceptibles d’interpeller les assemblées.

Premier enjeu: la régionalisation de la promotion de la santé

Poser la question de la place de la promotion de la santé dans le futur paysage institutionnel belge a au moins le mérite d’oser un débat d’actualité. Mais c’est plus que cela!
Nous y voyons de nombreux avantages et, en particulier, une approche cohérente de la lutte contre les inégalités sociales de santé. Les politiques sociales sont régionales. La meilleure manière d’y contribuer, c’est d’en faire partie. Les plans de cohésion sociale des communes initiés, financés et pilotés par la Région ont un volet sur l’accès à la santé. De plus, la régionalisation permettrait d’envisager un renforcement global du dispositif ‘santé publique’ en y associant la santé mentale, le secteur de prise en charge des assuétudes, des centres collectifs de santé, des soins à domicile, des hôpitaux… Un échelon de moins dans la dispersion des compétences. Plus de cohérence, des économies d’échelle, plus de leviers, plus de visibilité, plus d’intérêt de la population, des médias… du politique.
Sur le modèle d’une proposition faite à propos de l’enseignement, la Communauté pourrait garder des prérogatives normatives, mais le pouvoir organisateur serait la Région.
La Région bruxelloise a déjà défini une politique de promotion de la santé et s’est inscrite dans le réseau OMS des ‘villes santé’. Nous attendons, au minimum, que le parlement de la Région wallonne organise un débat au cours de la législature sur son rôle en matière de santé, en particulier dans le cadre de sa politique sociale. La promotion de la santé pourrait y montrer sa contribution en tant que référentiel et que dispositif (en particulier le rôle des centres locaux de promotion de la santé).
Que trouve-t-on sur cette question dans les déclarations de politique?
Au niveau wallon:
Une Fédération Wallonie Bruxelles consacrant la solidarité francophone dans un Etat fédéral belge moderne basé sur trois Régions fortes et égales . […] Un réel pilotage commun qui reposera sur deux Régions fortes composant ensemble une Fédération Wallonie Bruxelles tout aussi forte .’
La Région wallonne propose un chapitre santé (partie II). Son introduction ouvre la voie à un réel débat au parlement sur une région promotrice de santé :
« Prévenir , soigner , guérir les maladies et promouvoir la santé , telles doivent être les missions essentielles de notre système de santé […]. Le Gouvernement s’attellera dans ce cadre à travailler en synergies étroites avec la Fédération Wallonie Bruxelles . […] Il contribuera à la réduction des inégalités devant la santé en développant une réelle politique intersectorielle destinée à embrasser l’ensemble des facteurs déterminants de la santé : ceux d’ordre sanitaire ( le système de soins ) mais aussi ceux qui contribuent à l’amélioration du bien être et de la qualité de vie ( revenu et statut social , environnement social et physique , éducation et formation , habitudes de vie et de santé , emploi , réseaux de soutien social …). […] Le Gouvernement veillera également à promouvoir des lieux de vie favorables à la santé ( villes , villages et communes , hôpitaux , entreprises etc .) en veillant à la participation des populations dans la mise en oeuvre des projets . […]»
La déclaration de la Région bruxelloise (Cocof) propose un chapitre qui joint ‘les politiques sociales et de santé’.

Deuxième enjeu: le réchauffement climatique et plus largement l’environnement voire le développement durable

Si le premier enjeu est surtout institutionnel et belgo-belge, voici un enjeu planétaire, brûlant d’actualité et qui sert de toile de fond à l’actuelle coalition politique. Y a-t-il ici une place pour la promotion de la santé?
Pour faire court, il est évident que les modifications climatiques ont déjà et auront encore plus dans l’avenir un impact important sur la santé des populations. Il est aussi évident que les stratégies de modification des cadres et des modes de vie pour prévenir le réchauffement climatique et préserver notre environnement vont de pair avec celles qui visent à promouvoir la santé.
Les propositions de développement durable abondent dans les déclarations de politique régionale et communautaire, mais la contribution de la santé y est peu apparente. Or, dès la déclaration de Rio, la santé figure comme un enjeu du développement durable dans les textes onusiens.
Une piste parmi d’autres. Dans la troisième partie de la déclaration régionale (point 4), le gouvernement souhaite ‘ une administration qui intègre le développement durable ‘ et propose de ‘ mettre en place une cellule administrative spécifique chargée de formuler des avis sur base d’un examen « développement durable ».’ Voilà une voie possible pour une démarche EIS (évaluation de l’impact santé) telle qu’appliquée au Québec. Il suffirait (!) que le critère ‘santé’ soit reconnu comme faisant partie d’un examen ‘développement durable’.
D’autres pistes régionales: le PCDR (plan communal de développement rural) qui serait plus transversal pourrait intégrer l’approche de la promotion de la santé et de la qualité de vie. La même intégration pourrait être tentée en regard du plan stratégique communal qui doit inclure un volet ‘promotion des lieux de vie favorables à la santé’: aménagement du territoire, environnement, logement, mobilité, accueil des enfants, des jeunes et des seniors, etc.
Au niveau de l’enseignement, pourquoi ne pas croiser le module d’initiation à la citoyenneté, l’éducation à l’environnement et au développement durable, l’éducation à l’interculturalité, l’éducation aux médias, l’éducation à la vie affective et sexuelle, l’éducation à la prévention des assuétudes avec la demande à chaque école d’intégrer dans son projet la notion de promotion du bien-être de l’enfant dans toutes ses dimensions (organiser des cellules ‘bien-être’) avec, en plus, la demande de développer des projets participatifs. Une vision et une approche plus globale des attentes sociétales vis-à-vis de l’école et de l’enseignement, par exemple dans le cadre d’un agenda 21 scolaire alliant développement durable et promotion de la santé, apporterait de la cohérence.
L’action plus transversale dans une dynamique de développement territorial global des centres culturels en introduisant une approche de la qualité de vie et de la santé.

Troisième enjeu: le vieillissement de la population

Cet enjeu occupe peut-être moins la scène médiatique pour l’instant, mais est tout aussi inéluctable, surtout en période d’austérité budgétaire.
Ici aussi la promotion de la santé devrait jouer un rôle essentiel dans la prévention de la dépendance, dans l’ajout de la qualité de vie aux années de vie. Remarquons aussi que les politiques en la matière sont fédérales et régionales et interagissent avec les enjeux de la régionalisation et du développement durable. La Communauté, historiquement orientée vers l’enfance et la jeunesse, a négligé cette population.
Quels leviers trouver dans les déclarations de politique?
Dans le volet régional, au chapitre ‘Assurer une vraie place pour les aînés’, le point 3 porte sur ‘ une politique de prévention des risques de santé liés à l’âge . Favoriser , chez les aînés , toutes les activités leur permettant de conserver une bonne santé physique , […] pratique régulière et adaptée d’un sport […] alimentation équilibrée , sensibilisation au danger de l’automédication et à l’importance de la participation à la vie sociale et culturelle .’ Et pour la première fois, un paragraphe sur la santé des aînés apparaît dans le chapitre ‘santé’ (point 8) de la déclaration de la Communauté (un copié-collé de la déclaration régionale).
Le vieillissement de la population apparaît aussi comme un thème majeur pour la recherche wallonne: ‘ Le vieillissement de la population constitue une thématique de recherche transversale par excellence . Il s’agit d’étudier les nouveaux rôles des personnes âgées dans la société , d’établir les besoins en matière de support aux personnes âgées ( notamment en matière d’autonomie et de soutien aux familles ) et de soutenir la recherche sur le traitement des maladies liées au vieillissement .’ Mais pas de place pour l’instant (et c’est là un enjeu fort) pour une approche large du vieillissement intégrant la prévention et la promotion de la santé. La Région n’envisage la recherche que dans le cadre de ses compétences sociales et économiques (volet pharmaceutique!).

Actualiser la promotion de la santé passe par la confrontation des concepts et des méthodes avec les enjeux sociaux vécus par la population, amplifiés par les médias et saisis par les représentants politiques. Le secteur de la promotion de la santé et les professionnels qui y travaillent doivent amplifier leur plaidoyer. Ce n’est pas une question d’opportunité, la mobilisation sociale fait partie intégrante du concept et des méthodes: renforcer notre pouvoir de dire et d’agir comme acteur, diversifier et approfondir les réseaux, trouver des alliés.
Michel Demarteau , Docteur en santé publique

Synthèse. La promotion de la santé en Communauté française de Belgique: entre enfermements et ouvertures?

Le 30 Déc 20

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Ce compte rendu des échanges menés le 28 mars se propose de restituer les analyses ou les propositions des participants. Il ne mentionne pas les auteurs des propos, il se veut simplement le reflet d’un moment de construction collective. Le débat n’est pas clos, la mise par écrit ne doit pas tuer l’esprit, et il serait heureux que ces idées s’envolent, et ne restent pas lettres mortes…
Suite aux présentations, les participants au séminaire ont engagé une discussion autour d’une même problématique: la promotion de la santé est-elle enfermée dans son décret?
Il y a plusieurs manières d’être enfermés ou de s’enfermer. D’une manière générale, le dispositif mis en place par le décret peine à rencontrer les exigences liées à la multiplicité des déterminants de la santé. Le récent mariage (forcé?) avec la médecine préventive pourrait tout aussi bien être une chance d’augmenter la diffusion de la promotion de la santé, tout comme une malédiction qui la clouerait à jamais dans le préventif et le curatif.
Comme le décrit le texte de Chantal Vandoorne ‘Promotion de la santé, prévention, éducation pour la santé: parle-t-on de la même chose?’, l’écologie des concepts de promotion de la santé et de prévention est fragile. Leur organisation conceptuelle et structurelle relève d’une dialectique dont les conditions de possibilité ne sont pas posées.
Les professionnels de la promotion de la santé se confrontent à un double impératif. D’un côté, la littérature, l’expérience québécoise, les réussites démontrent que les stratégies d’Ottawa sont souvent payantes. La promotion de la santé devrait donc avoir une légitimité et une reconnaissance qui faciliterait le travail des professionnels. D’un autre côté, la promotion de la santé demeure un objet «farfelu» dont les acteurs politiques ne savent que faire. La promotion de la santé ne rentre pas facilement dans les cases et les habitudes de l’action publique. Les balises du débat étant posées, voyons quelles en sont les fermetures et les ouvertures.

Des enfermements

Dans l’exécutif

Dans le processus démocratique, les débats au Parlement sont incontournables. Or, il semblerait que les acteurs de la promotion de la santé ne s’appuient pas suffisamment sur les parlementaires, ne pratiquent pas assez l’interpellation politique. En effet, les actions de promotion de la santé, liées à des subventions publiques, seraient trop enfermées dans leurs liens avec le pouvoir exécutif.
Des contacts plus fréquents devraient être développés avec les hommes et les femmes qui nous représentent au Parlement. Les décisions en matière de santé publique devraient être fondées sur des données fiables et contextualisées, parmi lesquelles les données fournies par les observatoires de la santé. Alors que la bonne gouvernance devient un leitmotiv de l’action publique, une certaine vigilance démocratique consisterait à évaluer la justesse des prises de décision à l’aune de ces données.

Dans les marges de l’action publique

Si la promotion de la santé paraît farfelue, c’est principalement en regard de la logique qui organise l’Etat. Dans un pays organisé selon le principe de la répartition des compétences, la promotion de la santé a peu de chance d’exister en tant que telle. Alors qu’elle propose des stratégies intersectorielles, qu’elle vise un éventail très large de déterminants de la santé et du bien-être, elle se heurte à une culture du «pré carré». L’environnement, ce n’est pas la santé; le sport, ce n’est pas l’activité physique, etc.
L’enfermement se réalise par un rejet de la promotion de la santé dans les marges de l’action publique, alors qu’elle pourrait en être un des axes intégrateurs. Pourtant, ce sont bien les projets qui rassemblent différentes compétences, qui prennent le temps d’organiser le travail et l’action, qui sont porteurs de changements.
En regard de l’expérience québécoise, la promotion de la santé en Communauté française de Belgique devrait «se rénover», c’est-à-dire qu’il est peut-être temps de passer à un véritable secteur d’activité dont les budgets sont exclusivement dédiés à des missions propres et non en partie détournés à d’autres fins, parfois éloignées des stratégies d’Ottawa (d’où l’importance d’un débat sur la dialectique entre promotion et prévention). Comment travailler à réduire les inégalités sociales de santé par une prise en compte des déterminants collectifs? Comment, en l’état actuel, lutter contre les inégalités sociales de santé alors que les déterminants débordent largement l’action médicale?

Par la vision du monde des jeunes médecins

Les rapports entre la prévention et la promotion de la santé se rejoueront indéfiniment tant que la formation des médecins n’intégrera pas les principes de la promotion de la santé. Les programmes des cours demeurent réducteurs et n’osent pas entrer de plein pied dans l’innovation en intégrant réellement d’autres approches de la santé comme par exemple la sociologie de la santé. Sans la pénétration de la promotion de la santé dans les formations initiales, le travail d’argumentation, de conviction que déploient les professionnels sera toujours à recommencer.

Des échappées

Sortir de l’enfermement par la participation

Même si la question de la participation soulève de nombreux enjeux éthiques et politiques, elle demeure un incontournable de la promotion de la santé. Ainsi, la mise en place de réseaux intersectoriels n’est pas suffisante. Les usagers, les habitants… doivent être associés à ces réseaux. Sans cette précaution, les réseaux mis en place risquent de reproduire l’exclusion et de travailler «au-dessus de la tête de la population».

Sortir de l’enfermement par l’inscription du référentiel de la promotion de la santé dans les agendas politiques

En matière d’action publique, les compétences liées aux déterminants de la santé sont dispersées. La promotion de la santé pourrait constituer un référentiel commun qui tisserait des liens entre les compétences. La promotion de la santé gagnerait à s’inscrire dans les agendas politiques des entités fédérées, des Provinces et des Communes. Un effort d’accompagnement devrait être mis en place afin de faciliter la traduction des compétences de chaque institution à partir du référentiel de la promotion de la santé.
La promotion de la santé devrait à l’avenir pénétrer la culture politique, au même titre que le développement durable.

Sortir de l’enfermement en brisant le lien entre le référentiel de promotion de la santé et la compétence institutionnelle en ce domaine

Si la promotion de la santé ne peut remplir son rôle, c’est aussi parce que le concept se confond avec le décret pour de nombreux acteurs. Tant que cette confusion existe, la mise en œuvre de la promotion de la santé rencontrera des difficultés, non pas directement sur le terrain, mais bien au niveau des institutions et des décideurs sans lesquels une action intersectorielle durable ne peut exister.
Un effort de communication devrait être entrepris à propos de la promotion de la santé, tant auprès des décideurs que des professionnels et du grand public. Ce dernier est souvent le récepteur de messages dont il n’identifie pas les liens avec la promotion de la santé.

En guise de conclusion


La promotion de la santé se décrète-t-elle? Il semblerait que la réponse suive deux pistes. D’un côté, la promotion de la santé devrait continuer à faire l’objet d’un décret spécifique qui définit ses contours, institue ses missions et protège son budget – qui par ailleurs gagnerait à être revalorisé. Mais il devient urgent de mettre en place des stratégies légales et institutionnelles pour promouvoir le référentiel de la promotion de la santé dans les politiques et les compétences des autres secteurs. Des mécanismes contraignants, des outillages, des procédures et supports adéquats devraient permettre de développer des cadres professionnels et institutionnels dans les termes d’une promotion de la santé fondée sur les niveaux de preuve et les bonnes pratiques.
Gaëtan Absil , APES-ULg, sur la base de l’enregistrement du débat du 28 mars 2009

Illustrations. Prévention, réseaux et parentalité: l’accompagnement global en consultation prénatale

Le 30 Déc 20

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En France, les sages femmes devraient réaliser un entretien prénatal au 4e mois de grossesse avec les futurs parents. Afin d’envisager la transposition de cet entretien dans les consultations prénatales, le Comité scientifique de l’ONE a financé une recherche action, menée conjointement par les chercheurs de l’APES-ULg et de l’APALEM et les professionnels de trois consultations (deux hospitalières et une de quartier).
Dans le cours de cette recherche action, les professionnels et les chercheurs ont co-rédigé une proposition de référentiel dont voici quelques grandes lignes. L’offre de services aux futurs parents devrait prendre en compte les composantes psychologiques, psychosociales et sociales dans le parcours prénatal. Pour ce faire, l’offre s’articulerait autour de trois finalités (plus une): le soutien à la parentalité, le travail en réseau, la prévention des ‘risques psychosociaux’ (et la prévention des risques professionnels). Les démarches d’intervention seraient différenciées selon les caractéristiques des situations parentales. Enfin le maintien de plusieurs entretiens en contextes variés serait préféré à l’entretien unique inspiré du plan périnatalité français.
Un plan de formation émerge du référentiel; sa logique serait de favoriser la réflexion sur les modes d’apprentissages collectifs dans le cadre du travail d’équipe ou du travail en réseau. Concrètement, les professionnels ont identifié les pistes de formation suivantes: soutenir les pratiques d’entretiens, favoriser l’actualisation et l’harmonisation des référentiels professionnels, choisir des mots pour identifier et exprimer la vulnérabilité, etc.
Comment les stratégies de la promotion de la santé se sont-elles invitées dans cette recherche action? Tout d’abord, le processus de recherche action inscrit la participation des professionnels de terrain comme condition de la réalisation du projet.
Il s’agit bien d’inciter les professionnels à la définition de leur cadre de travail et non de leur imposer un outil. Les connaissances et les compétences mobilisées par les professionnels pour réaliser le référentiel initient un phénomène d’empowerment. Dans ce cas, l’empowerment des professionnels apparaît comme une condition d’un service de qualité ou comme condition de l’empowerment des futurs parents. La prise en compte des inégalités sociales dans le cadre de la parentalité relève à la fois d’une approche globale de la santé et d’un accompagnement sur le long terme par l’action sur les déterminants de la santé des enfants. Enfin, les professionnels ont formalisé le référentiel en tension éthique entre «une nouvelle police des familles» et la prévention de la négligence et de la maltraitance.

Que nous apprend cette recherche action sur le dialogue entre disciplines/professions ?

L’organisation du dialogue entre les différentes professions est cruciale pour optimiser les services offerts aux futurs parents. Ce dialogue s’organise dans un contexte où toutes les professions n’ont pas la même valeur sociale. Cette valeur sociale reproduit la hiérarchie des savoirs et des diplômes, et ne parvient que trop rarement à valoriser l’expertise et le savoir de chacun. Ceci est particulièrement vrai lorsque le dialogue devrait s’instaurer entre professions médicales (ce qui inclut les psychologues cliniciens) et sociales. Pourtant, la parentalité – que l’on ne peut limiter à la question de l’attachement – recouvre un large champ d’événements, dont aucun professionnel ne peut connaître l’étendue sans entrer en dialogue avec les parents et d’autres professionnels. Ce dialogue, qui ne doit pas être confondu avec le recoupement des enquêtes, devrait permettre la rencontre des points de vue de différentes disciplines autour de la parentalité. De part et d’autre, le franchissement ou l’estompement des frontières tracées par un imaginaire attaché aux valeurs sociales, relève de l’empowerment des professionnels.

Les différentes facettes des liens entre la recherche et l’action

La réalisation d’une telle recherche mène à la réalisation d’un projet, lui-même devant mener à certains changements. Or, le projet n’est pas en lui-même le changement. Pour que le changement se produise, le projet doit être reconnu et soutenu à tous les niveaux des institutions. La reconnaissance du projet consiste en la validation sociale de ce dernier. La difficulté consiste alors à jongler entre le temps nécessaire à la validation sociale – source réelle du changement – et l’urgence du changement. En particulier, le temps nécessaire aux changements de culture ou d’organisation insufflés par les stratégies de la promotion de la santé et aux changements liés aux processus de validation sociale du projet se heurte à l’urgence due aux pressions des médias et de l’opinion publique (abandons «sauvages», maltraitance d’enfant… ) relayées par les interpellations politiques.
Cette recherche s’appuie sur un processus de recherche-action ( Barbier ) issu du courant de l’analyse institutionnelle. Si cette recherche permet d’identifier des leviers pour l’action, elle permet aussi l’explicitation de procédures de travail développées sur le terrain par les professionnels. Parmi ces procédures, certaines relèvent de l’innovation face aux changements sociaux principalement liés à la pauvreté et à la précarité des populations.
Le processus de recherche-action devrait continuer, et les professionnels eux-mêmes devraient participer à la diffusion des innovations au sein des services. Considérer les résultats de cette recherche comme un savoir finalisé parce que fondu dans l’écrit, consisterait à briser le processus de participation et d’empowerment en lui substituant un processus ‘descendant’. A la construction en dialogue se substituerait l’imposition d’un savoir formalisé, dont la légitimité reposerait sur l’instrumentalisation du processus de recherche action et du savoir construit sur le terrain, comme garants de l’image de ce savoir (l’innovation ne vient pas de l’institution, mais du terrain).

Le soutien à la parentalité comme support des dynamiques interprofessionnelles et institutionnelles

La notion de soutien à la parentalité représente une occasion de réorienter les services d’aide et d’appui. A condition d’en discuter les tenants et les aboutissants, elle pourrait orienter les actions de professionnels travaillant dans différents secteurs. En effet, d’une part la référence à la parentalité offre la possibilité de construire un sens partagé de l’action, parce qu’elle est en partie indéfinie. D’autre part, elle pourrait s’inscrire dans un dialogue avec les personnes précarisées à condition de ne pas se référer à un modèle unique de «bons parents».
Toutefois, les enjeux qui existent entre les logiques des soignants et les logiques d’intervention psycho-médico-sociales, l’INAMI et les hôpitaux ne sauraient être systématiquement réglés par les professionnels de terrain. Ces derniers pourraient travailler de manière plus sereine et efficace si une part de ces enjeux trouvait des solutions entre les différentes institutions.
Gaëtan Absil (APES-ULg) et Elisabeth Prato (APALEM)

Illustrations. La différenciation du curatif et du préventif au travaers du champ de la santé mentale

Le 30 Déc 20

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Arrivés à mi-chemin d’un projet de recherche européen consacré à la thématique des relations entre les savoirs scientifiques et l’action publique dans le champ de la santé mentale (1), deux constats centraux peuvent d’ores et déjà être dressés. Sans s’intéresser précisément à l’éducation à la santé, l’attention portée aux nouveaux standards internationaux montre la prégnance d’une nouvelle vision des soins de santé mentale dite holistique.
En voulant prendre en compte tous les déterminants de la santé – parmi lesquels, l’éducation à la santé occupe une place de première importance – dans un seul cadre les articulant autour de la notion de «bien-être», cette position innovante, malgré un relatif consensus quant à sa pertinence, constitue un véritable challenge pour notre système de soins de santé. En effet, si l’impératif de coordination qui se dégage de cette nouvelle vision peut déjà poser problème dans un champ où se côtoient de nombreux paradigmes concurrents, la coexistence, en Belgique, de plusieurs niveaux de pouvoirs, et d’une administration bureaucratique complique encore considérablement la donne.
De l’asile à l’hôpital, jusqu’aux nouveaux lieux d’accueil en réseau, le secteur de la santé mentale a connu d’importantes reconfigurations qui témoignent de l’évolution de nos institutions et, corrélativement, de la citoyenneté et ses modèles de subjectivation individuelle. Que ce soit l’impératif sécuritaire du système asilaire ou le développement de services hospitaliers de prise en charge curative des pathologies avec le développement de l’Etat Providence, ces différentes attentes adressées par la société aux professionnels de la santé mentale se retrouvent encore aujourd’hui mises en tension.
Le développement ces dernières années d’une injonction à la responsabilisation des individus et d’un Etat dit «social actif» va s’accompagner d’une redéfinition des objectifs des systèmes de soins de santé mentale. La notion de «bien-être» définissant un état optimal ne se limitant pas à la seule absence de maladie est promue par l’OMS depuis sa fondation. Loin d’être anodin, cet objectif que les différents organismes internationaux tentent de mettre tout en haut de l’agenda politique des différents pays illustre parfaitement les nouvelles attentes qui pèsent sur le champ de la santé mentale. A un individu éduqué et responsable de son bien-être doivent faire face des praticiens moins directifs et dont le rôle s’apparente à une consultance dans différents parcours de vie singuliers (2).
Cette nouvelle vision passe, en Belgique, par une redéfinition du rôle de l’hôpital et son intégration dans des réseaux le reliant à une multitude d’intervenants. Educateurs, assistants sociaux, praticiens de l’hospitalier et de l’ambulatoire doivent pouvoir se coordonner pour faire advenir un modèle où le «care» domine le «cure». Parfois en concurrence, ces différents intervenants relèvent de plusieurs administrations et niveaux de pouvoir gérant eux-mêmes différemment leurs priorités et le contenu de leur politique.
Face aux difficultés de coordination qu’ont pu éprouver des administrations gérant des matières aussi diverses que l’éducation et la promotion de la santé, les services ambulatoires, les institutions hospitalières ou encore les affaires sociales, sont nées des expériences pilotes appelées projets thérapeutiques.

Une explication de la position du chercheur dans cette étude

L’étude de l’action organisée d’une part et des sciences et innovations, d’autre part, nous situe d’emblée dans une posture a-normative. L’armada conceptuel que nous mobilisons ne nous permettant aucunement de juger de la véracité des propos tenus par les acteurs, qu’ils soient scientifiques ou non, cette méthode nous met dans une position particulière que ce soit par rapport aux autres disciplines ou vis-à-vis des liens entre la recherche et l’action. La description et l’explicitation des énoncés scientifiques et des «futurs possibles» qu’ils mettent en œuvre permettent de les rendre plus facilement discutables par les acteurs à qui il revient d’en évaluer la désirabilité. Ainsi, si l’étude de la science rend questionnable certaines innovations dont la nature et les conséquences pouvaient, en d’autres temps, passer inaperçus (par exemple: quels conceptions du monde sous-tend tel instrument de mesure psychiatrique?), l’étude des organisations permet, à contrario, de mettre en lumière les mécanismes inhibant les facultés d’apprentissage et d’innovation des organisations. La mise en œuvre de nouveaux savoirs peut rencontrer de nombreux obstacles et nécessiter un travail de mise à plat des contraintes humaines et cognitives que l’inertie d’une organisation peut faire peser sur ses membres.
Sans aucune prétention de dire le «vrai», la posture méthodologique que nous privilégions tente, par l’investigation des schémas prospectifs que proposent les différents savoirs et l’aide à la prise de conscience des limites organisationnelles, de rendre aux acteurs prise sur leur activité collective. Au-delà d’une intégration des résultats de recherche dans les logiques institutionnelles, c’est à une prise de conscience de ces dernières et à un développement des capacités d’innovation que nous aspirons.
GC et FS

Organisés en deux grandes parties, ces projets visent à la fois à tester et évaluer les possibilités de mise en réseau tout en répondant aux difficultés de coopération éprouvées au niveau central par la mise en œuvre d’une coordination locale des intervenants. La mise en place de ces politiques dites «procédurales» soulève cependant plusieurs questions. Cette forme d’action publique laisse, en effet, et malgré un cadrage partiel, les acteurs locaux définir, pour leur projet, les grands objectifs et les manières d’y parvenir. Souvent utilisées dans des contextes potentiellement conflictuels, ces politiques qui relèvent d’un «Etat réseau» ou post-bureaucratique tranchent avec les pratiques bureaucratiques où l’intérêt général est défini entièrement à un niveau central et dont la seule mise en œuvre laisse une marge de manœuvre aux acteurs locaux. La gestion des soins de santé restant principalement le fait d’une administration bureaucratique centralisée, la tentation de contrôle peut être grande. Pris dans ce contexte, la réussite des projets et de la mise en réseau n’est pas garantie. De fait, entre l’hôpital et les les administrations existent des logiques convergentes (3). Par ailleurs, l’étude de projets particuliers montre que le primat du thérapeutique sur d’autres formes d’actions sociales est régulièrement rappelé. In fine, c’est ainsi la possibilité d’intégration des acteurs relevant de l’éducation à la santé ou de l’action sociale qui pose question et nous rappelle, dans la foulée de divers travaux en sociologie, que la coopération n’est jamais donnée.
Gaëtan Cerfontaine et Frédéric Schoenaers , Centre de Recherche et d’Intervention Sociologique de l’Université de Liège (CRIS) (1) Know & Pol, pour KNOWledge and POLicy making, programme européen s’intéressant par une étude multinationale et multi-niveaux à la question suivante «Comment les différentes sources d’information et les divers modes de connaissance sont-ils mobilisés dans le processus de décision? Douze équipes de recherche spécialisées dans l’analyse de politiques publiques sectorielles posent ces questions à propos des secteurs de l’éducation et de la santé, tous deux soumis aux pressions des gouvernements et des citoyens, et tous deux confrontés à la question de la combinaison des représentations scientifiques, pratiques et gestionnaires.» (www.knowandpol.eu)
(2) Ce travail de mise en perspective historique a abouti à une publication dont nous nous inspirons beaucoup pour ces quelques lignes: DE MUNCK (J.), GENARD (J.-L.), KUTY (O.), VRANCKEN (D.), DELGOFFE (D.), DONNAY (J.-Y.), MOUCHERON (M.), MACQUET (C.), 2003, ‘Santé mentale et citoyenneté : les mutations d’un champ de l’action publique’, Gent, Academia Press, Série: Problèmes actuels concernant la cohésion sociale. p. 180.
(3) Nous rejoignons, sur ce point, le constat qu’avaient déjà pu faire les auteurs mentionnés dans la note précédente.

Petit tour d’horizon des projets retenus

Le 30 Déc 20

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Être en bonne santé cardiovasculaire: vaste programme! Cela implique de manger sainement, de faire de l’exercice physique, de ne pas fumer – le programme 0/5/30 comme on dit à l’Observatoire de la Santé du Hainaut (0 cigarettes, 5 fruits et légumes par jour, 30 minutes d’exercice physique).
Une manière de vivre qu’il n’est pas évident d’adopter sur le long terme, pour beaucoup d’entre nous: la vie moderne favorise plutôt la sédentarité, la malbouffe et la dépendance à divers produits. Encore plus chez les plus vulnérables, ceux qui ont moins de moyens socio-économiques: il est de plus en plus évident que les inégalités sociales face à la santé ne font qu’augmenter et qu’elles sont, notamment, liées à une plus grande difficulté pour ces personnes de vivre en protégeant leur santé.
Favoriser la santé de tous passe par des mesures structurelles relatives à divers domaines: le travail, l’emploi, le logement, la production alimentaire, sans compter le développement d’infrastructures sportives accessibles, d’espaces verts et de plaines de jeux, etc. Et, on ne le dira jamais assez, inciter à des changements individuels que les conditions objectives ne permettent pas ou rendent très difficiles, cela impose beaucoup de prudence et de réflexion éthique: il ne faudrait pas en arriver à «blâmer la victime» comme on a facilement tendance à le faire. L’appel à projets «Bien-être et santé du cœur auprès de la population défavorisée», lancé par la Fondation Roi Baudouin, représente donc un fameux défi.

Des publics diversifiés

Les projets qui ont été retenus ont chacun leurs spécificités, comme on peut le voir dans les présentations de ce numéro; notre propos sera ici de souligner les points communs, les lignes de force qui traversent l’ensemble de ces initiatives.
Ces projets s’adressent à différents publics. La plupart d’entre eux sont indubitablement «défavorisés» – dénomination commode pour classifier, mais qui ne doit pas faire oublier la grande diversité de ceux qui se retrouvent dans cette catégorie… Ils sont migrants (Le Monde des Possibles), détenues (Service Éducation Santé de Huy), habitants de cité sociale ou de quartiers pauvres (Bouillon de Cultures, Intercommunale de santé de Saint Ghislain), élèves d’une école professionnelle (Institut Sainte-Marie, Seraing), apprenants en alphabétisation (Lire et Écrire, Charleroi), stagiaires en formation (Régie des quartiers d’Amay), personnes sans domicile fixe (Comme chez Nous, Charleroi), allocataires du CPAS entrant dans les conditions de l’insertion sociale (CPAS de Namur). Dans ces cas, l’association promotrice s’adresse, en général depuis plusieurs années, à un public précis qu’elle connaît bien et avec lequel elle a déjà, parfois, construit des activités liées au bien-être et au développement de compétences.
D’autres associations s’adressent au départ à un public «général», qui comprend en théorie toutes les gradations possibles entre le «favorisé ++» et le «défavorisé ++». C’est le cas des maisons médicales (même si dans les faits leur patientèle s’avère en moyenne plus défavorisée que la population belge). Dès lors, elles peuvent choisir de cibler un sous-public plus défavorisé: Cité Santé organise ainsi des cours de gym sur la demande de femmes maghrébines socialement isolées. Ou bien, comme l’IGL, Aquarelle, et les maisons médicales qui travaillent avec le GRACQ, elles s’adressent à l’ensemble de leur patientèle, en veillant à l’accessibilité de ce qu’elles proposent. Il y a dès lors, bien sûr, le risque d’attirer au départ ceux qui en ont le moins besoin, mais cela permet parfois de constituer un groupe moteur qui attirera d’autres personnes dans un deuxième temps.
L’équipe de Barvaux représente une situation mixte, puisque, tout en proposant des activités à tous, elle collabore étroitement avec des associations locales visant les plus démunis.
La Maison de l’Éveil et de la Santé représente un autre cas de figure: cette association, qui offre des activités de loisir pour tout public – mais dans une région défavorisée – vise, dans le cadre du projet soutenu par la Fondation Roi Baudouin, à rendre ces activités accessibles au public du CPAS voisin. Enfin, le Plan de Cohésion Sociale de Chimay vise un public très hétérogène, précarisé, étudiants, personnes âgées isolées, sur une zone assez étendue, qu’il semble particulièrement difficile de fidéliser dans une activité soutenue.

Les relais

Plusieurs projets s’adressent à des relais, selon deux cas de figure. Dans le premier, le promoteur du projet appartient au même terrain que ces relais. C’est le cas pour Forest Quartiers Santé (FQS) qui propose aux éducateurs de rue appartenant à des associations locales, une formation relative au développement des compétences psycho-sociales chez les jeunes, dans le cadre du tabagisme. À l’origine, FQS souhaitait s’adresser à un plus grand nombre d’associations, y compris dans d’autres communes de Bruxelles. En fin de compte, la restriction à des associations locales fait que formateurs et formés agissent sur un même territoire, avec un public commun – auquel FQS propose par ailleurs un panel d’activités communautaires.
La formation se déroule plutôt comme une «formaction», les intervenants étant amenés à faire des bilans communs et à tirer de cette expérience des enseignements propres à dégager de nouvelles pistes.
L’IGL et la maison médicale de Barvaux visent aussi leur propre terrain, à la fois les patients et les soignants. Vis-à-vis des soignants, il s’agit de les outiller pour qu’ils développent une approche plus promotrice de santé: des temps de mobilisation, de formation et d’échanges sont organisés. On peut, ici aussi, parler de «formaction», ancrée dans une forte proximité avec le public et les relais. L’intérêt de ces stratégies est qu’elles permettent de construire des compétences qui transformeront la pratique à long terme – et qui, si elles sont particulièrement nécessaires pour toucher les personnes plus vulnérables, sont aussi très utiles dans le cadre d’un travail avec une population tout venant.
L’autre cas de figure, c’est celui des associations qui passent par des relais pour atteindre une population défavorisée qu’elles ne touchent pas habituellement. Ainsi, le GRACQ s’appuie sur les maisons médicales de Bruxelles, et les associe assez vite au projet; pour bien jouer leur rôle, les équipes concernées doivent être très actives, cela s’ajuste en cours de projet. La Maison de l’Éveil et de la Santé passe par les assistants sociaux des CPAS pour promouvoir la participation à ses activités – mais cela n’est pas évident. En effet, ces acteurs rencontrent leurs bénéficiaires dans un cadre professionnel précis : leur proposer des activités de loisir, cela change leur cadre de référence habituel, ils ne voient pas bien comment intégrer ce changement… Dès lors, le promoteur envisage la possibilité de faire appel à d’autres relais.

Travailler la complexité

Un point commun, très intéressant: les projets reposent sur une perception juste de la complexité des modes de vie liés à la santé cardiovasculaire – et à la santé tout court -, et du fait que ceux-ci sont liés à des conditions de vie, à des savoir-être transversaux. On est loin d’une simple transmission de connaissances: tous les promoteurs tentent de munir les gens de compétences nouvelles qui seront mobilisables, accessibles en dehors du projet, et utiles pour bien d’autres aspects de leur vie que la santé cardiovasculaire. Parmi ces compétences, on retrouve en gros celles qu’a définies l’OMS, et autour desquelles FQS a construit sa formation: l’esprit critique, l’estime de soi, le lien social, la capacité de faire des choix, le développement d’une identité collective et de compétences sociales… Il s’agit donc bien d’une approche de promotion de la santé.

Impliquer le public

Travailler de cette manière implique de créer une relation de confiance avec le public; cette relation ne peut s’installer que sur la durée. La plupart des projets sont d’emblée dans ce contexte car leur mission, leur approche générale impliquent une stabilité et parfois un contact soutenu avec un public partageant dès le départ un milieu de vie commun – l’école, la prison, le quartier – ou réuni dans une activité de formation, d’insertion sociale importantes pour leur trajet de vie: c’est le cas pour Lire et Écrire, la Régie des quartiers, Le Monde des Possibles, le Service d’insertion sociale du CPAS à Namur. Dans ces situations, les gens partagent d’emblée des moments collectifs et c’est un atout certain pour les mobiliser dans un projet.
Ce n’est pas toujours le cas: les patients d’une maison médicale, les bénéficiaires d’un CPAS ne sont pas forcément amenés à se rencontrer, ne se considèrent pas forcément comme appartenant à un groupe. La réussite des projets est alors liée à la possibilité de créer du collectif là où il n’existe pas à priori.
Autre point intéressant: la plupart des projets s’attachent particulièrement à développer une approche non normative et à articuler les connaissances médicales avec les représentations, les pratiques de leur public. Ils se basent sur une bonne connaissance des besoins objectifs de ce public, souvent étayée par des données existantes. Cependant, tous n’ont pas la même approche en ce qui concerne l’expression de ces besoins par les gens eux-mêmes: certains passent, plus que d’autres, un temps considérable à faire émerger les attentes, les ressources mobilisables dans leur public. La co-construction apparaît alors comme un élément clé du projet – et devient un gage de sa réussite. Cela peut sans doute ralentir la mise en œuvre de certaines activités, mais celles-ci gagnent souvent en pertinence. Et quand le public s’implique activement, c’est parfois lui qui souhaite que le projet se poursuive – ce qui est très dynamisant pour les promoteurs!
La plupart des promoteurs ont bien sûr le souhait d’impliquer leur public; toutefois, il faut bien dire que le contexte est plus ou moins favorable à une telle collaboration. Notons que certaines associations, qui ont déjà une grande expérience en la matière, ont développé un savoir-faire, des méthodes et des outils bien adaptés sur lesquels les acteurs peuvent s’appuyer.

Une pérennité envisageable, envisagée

La plupart des promoteurs se donnent donc des perspectives à plus ou moins long terme, au-delà du temps défini dans le cadre du subside de la Fondation Roi Baudouin. C’est d’autant plus envisageable lorsque la promotion de la santé faisait déjà partie, avant l’appel à projets, des missions ou des démarches mises en place par la structure. C’est le cas pour FQS et l’Intercommunale de Santé: la promotion de la santé est au cœur de leur mission. C’est aussi le cas pour l’Institut Sainte-Marie de Seraing, dont l’équipe organise depuis quelques années des activités en lien avec la santé des élèves, ainsi que pour les maisons médicales qui ont une mission de santé communautaire et de prévention, ou encore pour le Service d’éducation pour la santé de Huy et l’association Comme chez nous.
Dans certains cas, les promoteurs ont eu d’emblée l’idée de créer des conditions favorables à une pérennisation du projet, notamment en l’intégrant dans un cadre existant, voire dans des activités familières au public concerné. Pour d’autres, cet abord de la santé ne fait pas partie de leurs missions ou de leurs activités habituelles, mais ils ont pu, à travers ce projet, saisir la possibilité et l’intérêt de l’intégrer à plus long terme, éventuellement autour d’autres problématiques – parfois proposées par leur public lui-même. Lire et Écrire, Bouillon de Cultures et Le Monde des Possibles (qui avaient déjà auparavant été subsidiés par la Fondation Roi Baudouin dans le cadre d’un projet sur l’alimentation), en sont quelques exemples.
Les probabilités de pérenniser le projet nous semblent plus fortes lorsque les promoteurs ont d’emblée perçu que l’essentiel était de développer l’autonomisation, l’empowerment, plutôt que de se focaliser sur une modification des comportements liés à la santé cardiovasculaire; la plupart des associations conçoivent leur projet de cette manière, bien qu’elles ne soient pas toutes aussi bien outillées pour le faire.

Partenariats et collaborations

Une manière de donner une plus grande chance de pertinence et de longévité à un projet, c’est aussi de susciter l’intérêt, et d’impliquer d’autres acteurs locaux; on peut observer que la plupart des associations prennent soin d’établir des collaborations, des partenariats et/ou de s’appuyer sur des collaborations déjà actives. Dans un cas, celui de l’Intercommunale de santé, la construction de ce partenariat est l’objectif même du projet: l’équipe porteuse vise à mobiliser, dynamiser des ressources locales autour de l’exercice physique, et non pas à proposer elle-même des activités au public. C’est d’ailleurs dans ce cadre de partenariat qu’est définie sa mission, elle a donc construit son projet en cohérence avec celle-ci et a pu bénéficier d’un ancrage local déjà bien établi.
Globalement, la place effective des partenaires dans le projet est variable; elle est largement liée aux contacts, aux partenariats déjà construits auparavant. Les partenaires sont associés, soit à l’analyse de départ, soit à la construction du projet, soit à sa mise en œuvre, soit à sa diffusion – ou tout cela à la fois, mais c’est très rare.
L’intérêt de ces collaborations apparaît théoriquement clair pour tout le monde – mais tout n’est pas rose, et certaines réticences existent. L’IGL pointe à cet égard un problème sans doute assez général: le fait que la collaboration avec d’autres intervenants, surtout lorsqu’ils appartiennent à un autre secteur, implique l’ouverture à un cadre de référence différent. En l’occurrence, cette association a observé que l’ouverture à une démarche communautaire posait parfois problème, tant aux travailleurs de maisons médicales qu’aux usagers, les uns et les autres se situant habituellement dans une relation individuelle plutôt curative.
Les principales difficultés du partenariat semblent être un manque de définition claire des tâches respectives, ou encore une collaboration établie trop rapidement pour que les partenaires aient pu s’approprier la démarche; ou encore le départ de travailleurs en cours de projet. Ce dernier problème freine le déroulement du projet, surtout lorsque le travailleur qui s’était mobilisé dans un partenariat n’avait pas pu engager vraiment son institution; et, même si l’institution partenaire s’engage suffisamment pour confier le suivi à un autre travailleur, il arrive que la mémoire, le sens du projet se transforme ou se perde en cours de route. La mobilité des travailleurs fait malheureusement partie de la réalité du secteur non-marchand, et freine souvent la durée des projets.
Peu d’associations ont recours à un accompagnement méthodologique, à un regard extérieur – bien que cela semble fort nécessaire dans certains cas. Quelques-unes consultent les CLPS ou l’OSH, d’autres méconnaissent les ressources disponibles ou ne perçoivent pas bien l’utilité d’une aide méthodologique. Peut-être certains craignent-ils un regard extérieur qui pourrait les amener à questionner ce qu’ils ont déjà entrepris? On ne peut que souhaiter voir se développer une plus grande collaboration, dès le départ des projets, entre les intervenants de terrain et les services à même d’apporter un support méthodologique.
La plupart des projets ne sont à l’heure actuelle pas terminés. Une chose est certaine: on peut dès maintenant se réjouir de toutes ces initiatives, qui montrent qu’un travail sur les inégalités de santé est possible sur le terrain, et utile. Nous avons pu constater que ces projets amènent les intervenants à repenser leur démarche, à mieux s’ouvrir aux difficultés et au potentiel des publics concernés. Ils permettent aussi à ceux-ci de prendre une autre conscience de leur santé et des moyens simples qu’ils peuvent développer pour la conserver ou l’améliorer.
Marianne Prévost et Charlotte Lonfils , Fédération des maisons médicales
Adresse des auteures: FMMCSF, Bd du Midi 25/5, 1000 Bruxelles. Courriel: fmmcsf@fmm.be. Internet: https://www.maisonmedicale.org .

Bien-être et santé du coeur auprès de la population défavorisée

Le 30 Déc 20

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La santé et le bien-être sont conditionnés par des déterminants sociaux (en relation avec l’éducation, l’environnement, la situation économique des personnes et des groupes, leur emploi, leur logement…) et par des déterminants individuels (habitudes de vie et comportements favorables et défavorables à la santé). Il apparaît dès lors indispensable de modifier les déterminants qui mettent certains groupes dans des situations d’inégalité sociale face à la santé et de faciliter l’adoption et le maintien d’habitudes favorables à la santé de ces groupes.
La Fondation Roi Baudouin veut contribuer à diminuer les inégalités sociales en matière de santé en Belgique. Après avoir publié en 2007 des recommandations politiques générales, elle a décidé de soutenir des stratégies d’action concrètes sur deux axes: l’appui aux initiatives qui, dans le cadre de politiques visant un public large, s’adressent spécifiquement à des publics défavorisés; l’appui aux initiatives locales.
De son côté, la Communauté française a inscrit la promotion de la santé cardiovasculaire dans ses priorités. La Ministre Catherine Fonck a souhaité combiner cette problématique prioritaire avec une attention transversale aux programmes de promotion de la santé en Communauté française: lutter contre les inégalités sociales face à la santé.
C’est ainsi que l’appel à projets intitulé «Bien-être et santé du cœur auprès de la population défavorisée» a été lancé en 2008 conjointement par la Fondation Roi Baudouin et la Ministre Catherine Fonck. L’appel visait spécifiquement la population adulte – en priorité les femmes et les jeunes parents – de groupes touchés par le chômage, le surendettement, l’emploi précaire, un faible niveau de formation, l’isolement social, des difficultés liées à l’immigration, une perte de repères et d’identité sociale…

Pourquoi un appel à projets spécifique ?

On sait que les actions de promotion de la santé ne sont pas toujours adaptées aux publics défavorisés, avec le risque d’accentuer les inégalités sociales en santé en ayant un impact plus important auprès des groupes plus aisés. Les initiateurs de l’appel ont fait le choix de soutenir des projets mis en place explicitement pour des publics plus difficiles à atteindre.
Mais en plus des résultats concrets pour les bénéficiaires en matière de promotion de la santé, l’objectif principal était de stimuler différents intervenants locaux à développer une approche «santé» et «qualité de vie» dans une perspective intersectorielle. Plus particulièrement, il s’agissait de favoriser la mise en réseau et la collaboration entre plusieurs acteurs locaux actifs dans différents secteurs: social, bien-être, santé, éducatif, culturel, économique, environnemental, etc (1). Il pouvait s’agir d’acteurs qui n’avaient jamais collaboré ensemble ou de partenariats déjà en place mais qui innovaient par rapport à la thématique, à la méthodologie, au public visé…
La nécessité d’une réponse locale et intersectorielle aux questions d’inégalités sociales en santé n’est pas contestée. Mais il faut constater que la mise en œuvre concrète n’est pas aisée pour le terrain. Une des raisons est à chercher du côté des cadres de financement pas toujours appropriés pour mobiliser différents acteurs qui auront à travailler sur des thématiques en dehors de la mission principale pour laquelle ils sont reconnus et éventuellement subsidiés.
Bien entendu, la question du financement n’est pas la seule barrière à l’intersectorialité et il apparaissait primordial de donner une opportunité aux institutions et organisations désireuses de tester de nouvelles formules de collaboration pour mieux en comprendre les mécanismes, les atouts et les difficultés.
C’est dans cette perspective que la Fondation Roi Baudouin a confié à une experte en promotion de la santé un travail d’accompagnement des projets soutenus et d’évaluation des modalités de l’appel et des projets eux-mêmes pour tirer les leçons de l’initiative. Un résumé de ses premières réflexions vous est présenté plus loin.
Dans quelques mois, un an et demi après la sélection des projets, il sera intéressant d’examiner plus en détail qui a répondu à cet appel, avec quel type de partenariat et de projet d’une part et quels ont été les résultats obtenus, ce qui a facilité et freiné les promoteurs d’autre part.

La sélection des projets par un jury indépendant

En décembre 2008, un jury indépendant a sélectionné 17 projets (sur 43 candidats) pour un montant total de 125.000 euros (100.000 euros de la Communauté française, 25.000 euros de la Fondation Roi Baudouin). Il s’agissait de la seconde réunion du ‘comité d’analyse et de sélection’; ce dernier avait en effet déjà été associé en début de processus pour discuter des critères de sélection et valider les deux documents à diffuser (voir encadré).

Critères de sélection

Les projets devaient avoir les caractéristiques suivantes:
-contenir différentes dimensions de la promotion de la santé (pour permettre de renforcer les capacités des personnes à agir sur leur santé);
-reposer sur un partenariat de type intersectoriel;
-impliquer les populations bénéficiaires à différents stades du projet;
-se situer au niveau local (groupe ou communauté de vie spécifique; quartier, village, ville, commune(s));
-prévoir une stratégie d’évaluation dès la construction du projet.
Le jury indépendant a retenu les meilleurs dossiers sur base des critères suivants:
-originalité et caractère novateur du projet;
-plus-value sociale du projet;
-participation active de la population bénéficiaire;
-développement d’un partenariat comprenant au minimum un acteur ne relevant pas directement du secteur de la santé ou de la promotion de la santé;
-éléments montrant que le projet peut s’inscrire dans le temps;
-caractère transposable du projet au-delà de ses initiateurs;
-capacités des partenaires réunis à réaliser le projet;
-faisabilité opérationnelle du projet (plan de travail, calendrier, modalités de travail en commun, moyens humains et financiers).

Composition du jury

Madame Bettina Cerisier , Chef de projet, Question Santé
Monsieur Régis De Muylder , Secrétaire général, ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles
Monsieur Serge Ferdin , Chef de division, CPAS de Charleroi
Madame Valérie Hubens , Coordinatrice, asbl Promotion Santé et Médecine Générale
Madame Chantal Leva , Directrice, Centre liégeois de Promotion de la Santé
Monsieur Roger Lonfils , Directeur, Ministère de la Communauté française – Direction générale de la Santé, Direction de la Promotion Santé (Président)
Madame Annette Perdaens , Directrice administrative, Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale
Madame Caroline Rasson , Responsable du Service Prévention Tabac, Fonds des Affections Respiratoires-FARES

Quelques réflexions du comité d’analyse et de sélection (jury)

Il n’est pas si simple de proposer des appels à projets visant spécifiquement les publics concernés par les inégalités sociales: ces publics sont multiples et ranger dans le pot commun de «défavorisés» les personnes ou groupes de personnes qui font face à de grosses difficultés de façon temporaire ou pas, pour des raisons culturelles, sociétales, de travail, de logement, de rupture individuelle… est une arme à double tranchant.
D’abord, diminue-t-on la stigmatisation et le rejet par ce type d’action spécifique? Pourquoi certains types de publics doivent-ils faire l’objet d’une préoccupation particulière dont le contenu même du projet ne serait pas toujours acceptable par des publics aisés?
Il y a aussi la question de la finalité des activités sélectionnées. Pourquoi des projets? Diminuer l’incidence de pathologies dont sont bien évidemment plus à risque certains types de populations? Diminuer des comportements individuels jugés unanimement inadéquats? Améliorer les conditions de santé ou viser prioritairement les conditions sociales?
N’allait-on pas une fois de plus travailler pour une société qui souvent se dédouane de son rejet presqu’organisé vis-à-vis des publics visés?
Ces questions, les membres du comité se les sont d’emblée posées, même si ce n’était sans doute pas en ces termes exacts. Le fait que le jury était composé de personnes issues de secteurs d’activités différents, également et heureusement hors du champ santé, a permis de fixer d’emblée quelques idées prioritaires.
Les projets visaient bien évidemment les publics défavorisés (c’était le sens même de l’appel) mais ils devaient montrer comment ils mettaient en œuvre quelques axes importants de promotion de la santé, quels atouts ils avaient pour s’inscrire dans la continuité, quels partenariats locaux, comment le public lui-même était acteur dans le projet, quelle était la plus-value sociale du projet (et non le gain en terme de santé sur l’individu).
L’évaluation s’est posée directement comme un élément indispensable et la Fondation Roi Baudouin a rapidement suggéré une évaluation de l’appel à projets, ceci étant important tant pour les promoteurs du projet que pour l’apport plus général que l’on peut tirer de ces petits projets à première vue mais méthodologiquement précieux.
Des membres d’un comité, d’horizons multiples, ont évidemment sur certains projets une analyse ou appréciation différente: un projet écrit est toujours un pari sur l’avenir. Si certains projets ont pu paraître faibles à tous les ‘jurés’ (dans leur écriture ou dans leur réflexion), d’autres ont reçu des appréciations différentes des membres du comité, et c’est bien normal.
Heureusement quand même qu’un bon nombre recueillait un large consensus. Le budget étant limité, et le nombre de candidatures important, le choix devenait malheureusement aisé… Est-ce à dire qu’ils seront tous réussis? Que d’autres ne l’auraient pas été mieux? Bien malin qui pourrait l’affirmer!
Hervé Lisoir , Fondation Roi Baudouin, et Roger Lonfils , Direction générale de la Santé Communauté française, président du jury de l’appel ‘Bien-être et santé du cœur auprès de la population défavorisée’

(1) Il faut noter à ce sujet que l’implication du Centre local de promotion de la santé (CLPS) concerné était souhaitée dans un rôle d’appui, mais celui-ci ne pouvait pas être le promoteur principal du projet. Si ce n’était pas encore le cas, les promoteurs des projets sélectionnés ont été invités à contacter leur CLPS pour la mise en œuvre.

Illustrations. Une démarche d’autoévaluation d’un programme centré sur l’alimentation

Le 30 Déc 20

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Une démarche intitulée «Charte de qualité» a guidé l’autoévaluation de trois ans d’activités autour de l’alimentation dans les maisons médicales de la région liégeoise. Ces activités étaient menées par 15 équipes participant au programme APple, développé de 2005 à 2008, à l’initiative de l’Inter groupe liégeois des Maisons médicales (IGL).
Tant les objectifs poursuivis que les méthodologies travaillées s’appuient sur les lignes de force de la promotion de la santé, par exemple:
-tenir compte des représentations des soignants et des usagers;
-renforcer la conscience et le potentiel des usagers dans leur capacité à faire des choix en faveur de la santé, par l’organisation d’activités de type communautaire;
-proposer aux soignants un programme de type formation-action qui alterne des modules spécifiques (développement de compétences biomédicales, utilisation d’outils interactifs) et des modules en équipes (stimuler le travail intersectoriel en recueillant et intégrant les points de vue et rôles de chacun).

Pourquoi avoir choisi une démarche d’autoévaluation

Plusieurs raisons ont guidé ce choix:
-l’inadéquation d’une enquête pré-post sur les pratiques, vu la complexité des effets produits et l’émergence de bénéfices/effets non attendus;
-la volonté de faire participer les «relais» et de les légitimer dans leur rôle d’évaluation (empowerment);
-le souhait de permettre aux équipes de prendre conscience collectivement de ce qu’elles font «avec les lunettes promotion de la santé» c’est-à-dire en regard de critères de qualité de la promotion de la santé, de se sentir en mouvement par rapport à ce projet.
Ainsi donc l’adhésion à la promotion de la santé a marqué de son empreinte le choix de la démarche d’évaluation à plusieurs niveaux: celui du contenu de l’outil, celui de son mode d’élaboration participatif et concerté (qui se fonde sur et engendre un apprentissage collectif), celui des finalités. Sur ce dernier point, il s’agissait de permettre aux équipes d’orienter et de réguler leur action, en ce compris la réorientation des missions favorisée par l’implication des relais dans la concrétisation des critères et l’appropriation de la Charte.

Les acquis pour le dialogue entre les professionnels

Permettre une prise en compte plus égalitaire de l’apport des différents professionnels (légitimité des relais) grâce à l’aspect inductif de la démarche.
Contribuer à développer une culture d’équipe qui donne cohérence à l’action et maintient le sens partagé.

Les interactions entre recherche et action dans ce projet

La construction de l’outil est expérimentale, les équipes de terrain constituant de petits laboratoires de recherche.
Cette construction montre l’intérêt de développer des actions de qualité sans chercher à mesurer les effets de façon quantitative.
Le travail de recherche devrait être poursuivi pour valider l’outil et le rendre généralisable et utilisable dans d’autres contextes.

Les dynamiques institutionnelles interrogées par ce projet

Le projet sensibilise à l’intérêt d’introduire la démarche «assurance de qualité» dans les programmes des équipes de terrain.
Il pose la question d’un financement récurrent pour soutenir les équipes de soins dans l’amélioration de la structuration de leur travail en promotion de la santé.
Il met en évidence le rôle fécondant du soutien méthodologique, des échanges sur les pratiques de terrain en promotion de la santé.
Marie-Christine Miermans , consultante en évaluation pour l’IGL

Promotion de la santé et agenda politique

Le 30 Déc 20

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Voilà sans doute une tâche bien difficile que celle de conclure et de proposer des perspectives au terme d’une journée entière de réflexion et d’échanges aussi riches qu’intenses à propos de questions aussi passionnantes que fondamentales pour la vie concrète d’un nombre malheureusement croissant de nos concitoyens.
Cette tâche est d’autant plus difficile qu’il ne peut aucunement être question de clôturer, de fermer, enfin d’arrêter un processus qui a commencé il y a une dizaine d’années et dont la vocation est de se poursuivre avec le soutien des acteurs de terrain de la promotion de la santé, c’est-à-dire vous.
Aussi, lorsque les portes de la salle académique de l’Université de Liège se refermeront sur cette journée, elles ne se refermeront certainement pas sur la dynamique dont vous êtes porteurs. Dynamique qui vise à une plus grande cohérence dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques dans le domaine de la promotion de la santé. Le processus entamé par le Centre liégeois de promotion de la santé depuis sa création et auquel vous êtes étroitement associés en est une belle illustration.

Deux difficultés majeures

Cependant, et c’est sans doute la raison pour laquelle un politologue vous adresse ces quelques mots, votre mobilisation et vos projets ont nécessairement affaire au monde politique, que cela soit en termes de financement ou d’élaboration du cadre général dans lequel vos actions prennent place. Si dans vos activités professionnelles, vous avez déjà expérimenté directement ou indirectement le monde politique et ses modes de fonctionnement, il est important d’identifier les principales difficultés de l’action politique dans le domaine de la promotion de la santé, et ce afin de permettre un transfert cohérent de connaissances du terrain vers les décideurs publics.
Car, et c’est là le principal problème, les échanges avec le monde politique dans le domaine de la promotion de la santé se caractérisent par deux grandes difficultés que je vous propose d’explorer.
D’une part, et presque par définition, les questions relatives à la promotion de la santé sont aussi des questions qui débordent largement d’un cadre particulier en interpellant bien d’autres dimensions telles que le sport, la culture, l’environnement, la mobilité et la sécurité alimentaire pour ne prendre que les dimensions les plus significatives.
La promotion de la santé devrait donc être un domaine d’action des pouvoirs publics fondamentalement interdisciplinaire, au sens des disciplines scientifiques mobilisées, et transversal d’un point de vue politico-institutionnel.
Premier écueil, première difficulté irréductible… C’est l’ensemble de ces secteurs qui concourent à l’effectivité de politiques publiques cohérentes dans le secteur de la promotion de la santé. Or, ils font l’objet de partages de compétences complexes entre les niveaux fédéral, régional, communautaire, provincial et communal. Et pour chaque niveau de compétence, nous retrouvons encore une myriade d’intervenants potentiels. Vous l’aurez compris, l’intersectorialité, par ailleurs incontournable dans la promotion de la santé, est un principe extrêmement difficile, voire impossible à appliquer au niveau de l’élaboration des politiques publiques.
En outre, conséquence de cette complexité politico-institutionnelle, l’identification des «bons» interlocuteurs est un exercice délicat qui exige la mobilisation d’une véritable expertise institutionnelle. L’approche nécessairement systémique qui doit présider dans le domaine de la promotion de la santé cadre donc mal avec le découpage morcelé et cloisonné qui caractérise l’organisation institutionnelle de nos sociétés modernes.
D’autre part, la seconde difficulté réside dans l’atomisation des acteurs de terrain face au monde politique. En effet, si le secteur de la promotion de la santé se caractérise par de nombreux intervenants aux compétences diverses mais complémentaires qui s’articulent autour de ce que l’on appelle des «poches de précarité», il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’interagir avec les autorités politiques. Le secteur, loin de s’exprimer d’une seule voix, n’agit pas de manière concertée quand il s’adresse aux politiques. Il perd donc en cohérence et en capacité de persuasion, chaque intervenant étant ramené à ses propres réalités d’existence en termes de financement, de personnel, de public-cible ou encore d’infrastructure.

Un lieu de convergence ?

Ces deux caractéristiques, rapidement esquissées, sont en réalité les deux faces d’une même pièce. D’un côté, un monde politique complexe, cloisonné et confronté à de nombreuses demandes éparses et quelquefois contradictoires, et de l’autre, un secteur diversifié, intersectoriel mais atomisé dans l’expression de ses demandes. Il convient donc de penser l’organisation du dialogue entre ces deux entités.
Une solution pourrait consister à faire remonter les demandes du terrain vers un lieu de convergence qui pourrait alors jouer le rôle d’amplificateur auprès du monde politique. En rassemblant et en harmonisant les demandes particulières du secteur, ce lieu de convergence pourrait formuler des propositions cohérentes et plus claires dans le cadre de l’élaboration de véritables politiques publiques dans le domaine de la promotion de la santé.
Face à l’expression d’une telle demande d’intersectorialité et d’interdisciplinarité, le monde politique sera peut-être amené à être plus réflexif par rapport à ses propres modes de fonctionnement dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques de promotion de la santé.
Bien entendu, cette nouvelle approche ne sera possible que si les acteurs de terrain s’accordent sur cet intermédiaire entre eux et le politique et si surtout, ils acceptent de rentrer complètement dans cette dynamique en unissant leurs forces. Le chemin de la cohérence ressemble un peu à celui qu’emprunte Sancho dans son périple auprès de Don Quichotte…
Prof. Sébastien Brunet , SPIRAL ULg
Ce texte est extrait des Actes de la Deuxième journée liégeoise de promotion de la santé qui s’est tenue dans la (très belle) Salle académique de l’Université de Liège le 7 octobre 2008. Ces actes sont disponibles au CLPS, Bd de la Constitution 19, 4020 Liège. Tél.: 04 349 51 44. Fax: 04 349 51 30. Courriel: promotion.sante@clps.be. Internet: https://www.clps.be

Usages problématiques de l’alcool chez les jeunes

Le 30 Déc 20

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Il est de bon ton, lorsqu’on lance une campagne d’information et de sensibilisation concernant une question de santé publique comme la consommation d’alcool chez les jeunes, de simplifier à outrance, d’alarmer par des images et des idées chocs, et de faire la mise au point sur la partie la plus sombre et la plus inquiétante du problème.
La médecine et particulièrement celle qui “traite” de la santé mentale est une science complexe car humaine. Puisqu’il s’agit d’informer des dangers potentiels de la consommation abusive de l’alcool, il est de notre devoir de rappeler que la grande majorité des Belges, jeunes et moins jeunes, ont une consommation d’alcool raisonnable, qui tient compte de ses dangers et que l’usage d’alcool n’est pas toujours nocif ou problématique. Notons cependant l’important coût social et sanitaire des consommations inadaptées. C’est ce qui justifie bien entendu le thème de campagnes comme celle d’iDA (asbl information sur les Drogues et l’Alcool). C’est un exercice difficile car il s’agit en même temps de frapper les esprits, en un temps malheureusement limité, et de tenter de faire réfléchir longtemps!
De plus, l’alcool est une drogue qui a une place tout à fait particulière dans notre société. Pour la majorité des gens, consommer de l’alcool fait en partie des petits et des grands moments de la vie. Sur le plan des représentations, l’alcool, contrairement aux autres drogues, jouit d’une image très positive et culturellement bien ancrée, cette image étant particulièrement exaltée par les publicités et le marketing.
Pour les jeunes, certaines limitations légales existent mais il est évident que, malgré celles-ci, l’alcool est disponible sous toutes ses formes, quasiment partout et pour tous.

Éviter les usages “problématiques”

Pour une minorité, la consommation d’alcool peut poser certains problèmes au niveau de la santé et de la sécurité. Il existe un continuum entre une consommation «non-problématique», «normale», gérée et bien intégrée socialement, et qui concerne la majorité des gens, adultes et jeunes, et une consommation à risque pouvant mener à l’utilisation problématique de cette drogue.
L’expression “usage problématique” recouvre différents comportements de consommation:
-le plus souvent on entend par là une consommation de longue durée pouvant mener à la dépendance ou l’abus avec des conséquences parfois graves pour la santé du consommateur et pour son intégration sociale, professionnelle et familiale;
-on parle aussi de consommation problématique en cas d’usage dans des circonstances ou des lieux inappropriés (par exemple sur le lieu de travail ou en conduisant un véhicule);
-on pourra aussi parler d’usage problématique lorsque l’excès de la consommation est liée à une crise passagère d’un individu.
Les causes de la consommation problématique ne résident pas, bien entendu, dans les caractéristiques intrinsèque de l’alcool. Elle résulte plutôt de la combinaison de différents facteurs: quantité et durée de la consommation, facteurs familiaux, biologiques, culturels, en résumé, l’histoire personnelle de chaque consommateur.

Jeunes et alcool

Pourquoi la campagne iDA 2009 (1) s’adresse-t-elle aux jeunes de 12 à 35 ans alors que la grande majorité des problèmes les plus graves surviennent plus tard dans la vie adulte?
D’abord parce que ces tranches d’âge sont particulièrement visées par le marketing et la publicité, et ce sans considération des conséquences des usages inadaptés.
Certaines études rétrospectives (c’est-à-dire chez des alcooliques) semblent montrer que des problèmes d’abus et de dépendance sont plus fréquemment liés à des consommations précoces, comme c’est par ailleurs le cas avec toutes les drogues.
Cette campagne s’adresse aussi aux jeunes parce que le jeune est un adulte en voie de développement et que cette phase de la vie est une phase très sensible du développement psychologique et neuro-physiologique.
Mais encore et enfin parce que les intoxications aigües, pour lesquelles on a créé un nouveau concept, un nouvel emballage, le “binge drinking”, ont augmenté en fréquence ces dernières années parmi les jeunes consommateurs à l’étranger (Royaume-Uni et Hollande) et qu’il est important de tenter de prévenir cette dérive en Belgique.
Au sein de ce groupe des 12-35 ans, on parlera donc plus d’usage à risque et d’abus que de dépendance.

Des risques différenciés selon l’âge

Il est de tradition de diviser ce groupe en deux sous-groupes, les moins de 16 ans et les 16-35, même si cette division est arbitraire et estompe artificiellement la complexité du problème, ses nuances et le continuum.
Énumérons brièvement les risques “socio-sanitaires” auxquels ces deux sous-populations sont exposées en cas d’usage problématique (excessif et prolongé) d’alcool. Je précise cela pour éviter l’interprétation selon laquelle un verre d’alcool provoquerait à coup sûr la totalité de ces effets!
Pour le groupe des moins de 16 ans, différentes observations et études ont noté les possibles effets suivants:
-éventuels effets négatifs sur le développement du cerveau. Les enquêtes montrent un lien entre certaines altérations des fonctions supérieures et la consommation régulière et excessive; ces altérations ne sont pas automatiques car d’autres facteurs entrent également en ligne de compte: comportement, environnement, facteurs génétiques, autres consommations;
-effets immédiats sur les comportements en cas d’abus et d’ivresse que l’on dit pathologique dans le langage médical; comme les risques d’accidents, de blackout, de relations sexuelles non protégées car sous influence toxique avec grossesse non désirée et transmission de maladies infectieuses;
-effets sur la santé mentale. Il est nécessaire de rappeler que boire ne fait pas bon ménage avec les problèmes psychologiques car cela a plutôt tendance à les aggraver; certains troubles (dépression, psychoses) peuvent même être induits par les consommations régulières;
-effets à plus long terme. Une série d’études montrent qu’un début de consommation précoce est un facteur de risque pour le développement ultérieur d’une dépendance.
Pour ce groupe des moins de 16 ans, le conseil de bon sens semble simple: ne pas boire. Mais la réalité est plus complexe. Il faut donc travailler sur les représentations de la consommation d’alcool et le «trop boire» avec les jeunes eux-mêmes, de même que l’attention et la vigilance des adultes de référence (famille, enseignant et adulte de confiance) doivent être en alerte devant une consommation habituelle, régulière, d’un moins de 16 ans.
Pour le groupe 16-35 ans, s’ajoute cette tendance préoccupante dont on parle beaucoup depuis quelques années, que les anglo-saxons appellent le ‘binge drinking’ et que l’on traduit maintenant en français par «beuverie ou biture express».
Cette recherche d’une ivresse ultra-rapide et massive est un phénomène qui n’est pas neuf, qui existe épisodiquement chez nous mais qui devient de plus en plus fréquente à l’étranger. Il s’agit d’une consommation de très importantes quantités d’alcool (4 à 10 consommations) sur une période relativement courte (1 à 2 heures).
Les conséquences négatives de ces comportements peuvent être très nombreuses: maximalisation des comportements à risque, troubles cardiovasculaires, gastriques, intestinaux, et respiratoires pouvant aller jusqu’au coma, la gravité et la fréquence dépendant de la quantité et de la résistance individuelle à l’alcoolisation massive.
Le côté ludique ou la mise au défi sont le plus souvent présents (il s’agit d’une activité de groupe) mais les conséquences pour la santé et la sécurité sont importantes dont le risque de développer une dépendance.

La communication de masse ne suffit pas

Des campagnes ne vont pas changer à elles seules les comportement des jeunes; elles doivent être considérées comme un point de départ pour un travail de fond qui implique les jeunes eux-mêmes, en tout premier lieu, mais aussi les enseignants, les adultes ressources au contact permanent avec les jeunes ainsi que les premières lignes socio-sanitaires, en particulier les médecins généralistes; certains remarqueront quelques nuances entre francophones et Flamands dans la manière de décliner ces objectifs. Qu’ils soient cependant convaincus que les deux communautés partagent la conviction que la promotion de la santé est la base essentielle des changements visés.
Dr Serge Zombek , Président d’iDA
Intervention faite à l’occasion du lancement de la campagne ‘Ne vous racontez pas d’histoires’

(1) Voir notre article ‘Ne vous racontez pas d’histoires’ dans le numéro 246 de juin 2009 ( https://www.educationsante.be/es/article.php?id=1133 ).

Problématique. La promotion de la santé en Communauté française, une variabilité de pratiques en regard d’un même décret

Le 30 Déc 20

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Le décret de promotion de la santé a structuré un dispositif et une organisation en relation avec un budget et des compétences institutionnelles, mais est-il aussi parvenu à infléchir les pratiques? Les débats soulevés par l’utilisation des concepts relèvent-ils du registre de langage ou de prises de positions professionnelles? Pour documenter ces questions, nous insérons dans ce dossier une partie des résultats de la recherche menée par Sarah Caillet durant le premier semestre 2008, dans le cadre d’un stage et d’un mémoire professionnel en master «Promotion de la santé et développement social» à l’université de Bordeaux II. Nous donnons de cette recherche une lecture partielle en regard des enjeux soulevés lors des discussions du séminaire du 28 mars dernier.
Sarah Caillet a réalisé une enquête sur les représentations des concepts de «promotion de la santé», «éducation pour la santé» et «prévention» auprès des professionnels. Elle a travaillé en deux temps. Premièrement, elle a d’abord interviewé 6 acteurs ressources reconnus pour leur expérience et leur réflexion quant à la promotion de la santé.
Sur base de ces interviews, elle a élaboré un cadre problématique et des hypothèses. Ensuite elle a effectué une deuxième série d’interviews auprès de 17 acteurs du champ de la promotion de la santé et de la médecine préventive (voir l’encadré pour la description de l’échantillon) afin de documenter leurs représentations des concepts à travers leurs pratiques. La chercheure a débuté chaque entretien en demandant aux acteurs de donner un exemple issu de leur pratique qui, selon eux, se rapproche soit de la promotion de la santé soit de la prévention. La problématique de l’enquête interroge à la fois le poids des représentations sociales dans l’application des concepts et l’institutionnalisation de la promotion de la santé.

Caractéristiques des personnes interviewées

Sexe : Masculin (7) Féminin (10)
Age : 25-40 ans (7) 41-55 ans (7) >55 ans (3)
Formation longue : Assistant social (3) Infirmière (2) Médecin généraliste (6) Médecin spécialiste (3) Sciences humaines et sociales (6)
Formation courte : Spécialité médicale (1) Promotion de la santé (5) Sciences humaines et sociales (6) Santé publique (5) Autres (1)
Acquisition d’expérience : Promotion de la santé (9) Sciences humaines et sociales (3) Santé publique (3) Autres (1)
Arrivée dans le champ de la promotion de la santé : Avant décret (10) Après décret (7)
Niveau d’intervention : Administration, organisation des services (2) Expertise (3) Programmation, décision politique (1) Relais (6) Terrain (5)
Structure : Asbl (8) Hôpital (2) Institution territoriale (3) Maison médicale (1) Universitaire (2)
Approche : Multiple (3) Population (4) Thématique (10)
Structure et promotion de la santé : du plus au moins financé par des budgets ‘promotion de la santé’ et du plus au moins spécialisé en promotion de la santé – Niveau 1 (4) Niveau 2 (6) Niveau 3 (4) Niveau 4 (3)

Résultats

Au terme de ses rencontres, la chercheure constate que différents vocables désignent une même pratique ou que différentes pratiques référent à un même vocable. Il ne semble pas exister une classification claire des pratiques en référence aux concepts de la promotion de la santé. Chaque acteur interviewé semble avoir sa propre taxonomie (1). Pourtant, tous utilisent le même vocabulaire pour décrire leur pratique: la participation des publics, l’intersectorialité des actions et la vision d’une santé globale. Les mots ne semblent pas désigner les mêmes choses; la variabilité est étonnante. L’utilisation des concepts se cristallise plutôt autour de la prise de position professionnelle. Chaque acteur choisit un aspect qu’il valorise en fonction de son positionnement professionnel.
Les logiques professionnelles des acteurs sont particulièrement visibles concernant les choix de formation, le type de structure dans lequel ils travaillent et la mise en place du décret de 1997. Certains acteurs ont anticipé leur évolution vers le champ de la promotion de la santé et ont choisi une formation qui leur permet de mettre en œuvre ce type de démarche. D’autres ont découvert la promotion de la santé par opportunité professionnelle ou suite à des besoins de terrain. D’une manière générale, tous ont établi des ponts avec leur formation d’origine. Certaines structures influencent le positionnement professionnel et donc l’utilisation des concepts, comme, par exemple, le fait de travailler dans une maison médicale. Enfin, certains acteurs reconnaissent l’action du décret sur leur pratique via l’obtention de nouveaux financements. Cependant, le décret n’a pas changé les pratiques de ceux qui étaient déjà dans la mouvance de la promotion de la santé.
Le changement de pratiques ne va pas de soi en promotion de la santé. D’une part, les acteurs énoncent des résistances au changement telles que le refus d’une partie du secteur associatif d’être assimilé à un nouveau champ d’intervention ou à une autre culture. D’autre part, tous les acteurs, lorsqu’ils sont confrontés à des résistances, tendent à abandonner ou redéfinir une partie de leur cadre d’intervention. Ainsi, les difficultés que rencontrent les acteurs à appliquer les concepts de la promotion de la santé renforcent en conséquence l’hétérogénéité des pratiques. La question est alors de voir si, malgré les compromis, les acteurs trouvent une satisfaction suffisante dans la mise en place de leur démarche.
Les acteurs interviewés partagent des difficultés communes qui, peut-être, pourraient les rassembler. Ils considèrent les textes et cadres de référence, en particulier la Charte d’Ottawa, comme flous et inadaptés au terrain. D’après eux, ce flou empêche une rationalisation et une théorisation de la pratique qui déforce la capacité à justifier leurs actions. Le flou des textes est aussi un vide que les acteurs «remplissent» avec leurs propres ressources pour pouvoir les comprendre et se les approprier. La plupart affirment être en porte à faux avec une politique actuelle «trop épidémiologique» et trop centrée sur la «culture du résultat». Or, d’après eux, les actions de promotion de la santé comportent souvent une part de résultats difficilement mesurables.

Discussion

Malgré les nuances et distinctions énoncées entre les acteurs, ils constituent un groupe qui définit son identité par ce qu’il ne fait pas: une démarche normative, prescriptive et inadaptée au public concerné. Cette définition pose la question des limites de tolérance du groupe. Autrement dit, à partir de quel moment un acteur ne peut-il plus être considéré comme appartenant au champ de la promotion de la santé?
Les disparités entre les représentations des pratiques trouveraient leur origine dans le combat des acteurs pour conserver une marge de liberté au sein d’une organisation. Cette marge de liberté permet à chaque acteur de satisfaire ses propres intérêts en même temps que ceux de l’organisation. En Communauté française, les acteurs auraient une culture de l’exploitation de ces marges de liberté qui renforcerait la disparité des représentations des pratiques. Le décret n’a pas suffi à amener un changement cohérent. Les changements les plus remarquables sont constatés auprès des acteurs et institutions qui les recherchaient avant le décret.
Les résultats de cette enquête ne constituent qu’une porte d’entrée dans la réflexion. En terme de fiabilité, le nombre d’entretiens n’est pas suffisant pour atteindre la saturation, l’analyse thématique des représentations des pratiques mériterait d’être affinée (notamment en regard de la théorie structurale des représentations sociales et du schéma proposé dans l’article précédent). Cela n’était pas possible dans le cadre d’un stage. Comme le souligne Sarah Caillet, cette enquête aurait pu être approfondie par des groupes focalisés ou une observation participante de l’utilisation des concepts en situation.

Conclusions

En dépit de ses limites, cette enquête lève le voile sur l’uniformité des représentations et des pratiques en promotion de la santé en Communauté française de Belgique. Sous les mots, entre les cadres, la diversité et l’invention au quotidien sont une matrice d’hétérogénéité.
Synthèse réalisée par Gaëtan Absil (APES-ULg) sur la base du mémoire de Sarah Caillet , Étude qualitative sur les représentations des concepts « promotion de la santé », « prévention », « éducation pour la santé » auprès des professionnels du champ de la promotion de la santé en Communauté française de Belgique , Bordeaux , 2008

Pour aller plus loin… un autre éclairage

Au-delà des résultats et conclusions de cette enquête, il importe de s’interroger sur ce qui détermine ces constats. L’hétérogénéité des pratiques pourrait se rapporter à ce que Michel de Certeau ( L’invention du quotidien ), à la suite de Vernant et Detienne ( Les ruses de l’intelligence ), désigne par métis, c’est-à-dire la ruse de l’art de faire du quotidien.
Les acteurs de promotion de la santé sont rusés pour traduire et actualiser leur référentiel dans leurs actions. Ils sont aussi rusés pour naviguer et composer entre les cadres légaux, administratifs, territoriaux afin d’y glisser la promotion de la santé.
Pourtant, cette hétérogénéité pourrait tout aussi bien témoigner d’un malaise plus profond. La ruse, la tactique, se déploie souvent dans les opportunités, elle est efficace dans un rapport avec le temps de l’action qu’elle permet de mener à bien. Par contre, elle est peu rentable en matière de travail avec les institutions, domaine de la stratégie et de la planification sur le long terme. Selon de Certeau, nous pourrions ajouter que la ruse et la tactique, s’ils sont des preuves des trésors d’intelligence déployés par les acteurs pour assurer l’existence de la promotion de la santé, sont aussi le signe d’un statut de «dominé» dans le rapport de force aux institutions.
G.A.

(1) Taxonomie: étude théorique des bases, lois, règles et principes d’une classification; classification d’éléments, in Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, 1993, réimpression et mise à jour 1995.

Illustrations. Un programme de promotion de la santé cardio-vasculaire à la croisée entre concertation et planification

Le 30 Déc 20

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Présentation du projet

Suivant les stratégies prioritaires définies dans le Programme quinquennal de promotion de la santé et le Plan communautaire opérationnel (PCO), un processus de mobilisation d’acteurs issus de divers secteurs en lien avec la thématique cardiovasculaire (santé, promotion de la santé, activité physique, alimentation…) a été mis en place pour opérationnaliser le volet cardio-vasculaire du PCO. La gestion de ce PCO se fait au travers d’un Comité de pilotage composé d’acteurs de promotion de la santé et d’autres secteurs concernés, ainsi que d’une Cellule d’APpui (CAP Cœur).
Le Programme est constitué d’une programmation générale qui synthétise les stratégies transversales à l’ensemble des programmations issues d’unités de concertation (UC). Des recommandations transversales pour les publics fragilisés sont également intégrées. Ce cadre général est complété de programmations opérationnelles (objectifs à 5 et 2 ans, types d’activité) pour chaque milieu de vie.

Lignes de force de la promotion de la santé développées dans cette initiative

Neuf unités de concertation ont été constituées (regroupant plus de 150 personnes) en lien direct avec un milieu de vie ou un public cible: petite enfance; enseignement fondamental, secondaire et supérieur; monde du travail; seniors actifs; populations fragilisées; pouvoirs locaux et colloques singuliers.
Ces unités de concertation se sont réunies 4 à 5 fois une journée pour élaborer un plan d’action de promotion de la santé cardio-vasculaire pour leur milieu de vie / groupe d’âge.
Ces acteurs sont autant des professionnels de terrain que des responsables institutionnels et des scientifiques.

Adaptation méthodologique au cadre de la promotion de la santé dans chaque unité de concertation

Cette adaptation s’est faite selon quatre lignes de force:
-analyse des déterminants environnementaux, sociaux et personnels ainsi que les différents facteurs qui les influencent;
-utilisation de l’outil de catégorisation des résultats de la Fondation Promotion Santé Suisse;
-développement d’une démarche participative fondée sur les échanges et l’inclusion des expériences pour élaborer le programme;
-production d’une planification avec des objectifs à 5 ans et des pistes d’actions concrètes à mettre en œuvre dans un délai de deux ans.
Cette démarche permet de définir une stratégie globale et intégrée qui s’étend à tous les domaines de la santé cardio-vasculaire et qui concerne toute la durée de la vie (de la petite enfance aux seniors).

Leçons à tirer

Les principes fondamentaux de l’approche de la programmation ont été:
-le respect des étapes de la programmation;
-la définition des publics cibles, de leurs milieux de vie et des acteurs à mobiliser;
-la mise en place de groupes de travail sous forme d’unités de concertation;
-la mise en place d’analyses par milieu de vie ou groupes d’acteurs;
-le développement d’approches participatives et de cadres de planification.

Les atouts de la démarche

Nous en pointons quatre principaux:
-la confrontation et les échanges d’expériences entre différentes disciplines par rapport à un même public cible ou par rapport à une finalité commune;
-l’appropriation d’une démarche méthodologique au travers des productions des unités de concertation;
-l’élaboration d’une programmation qui servira avant tout aux acteurs des milieux de vie impliqués pour renforcer leurs actions, tout en étant destinée aussi aux responsables institutionnels et politiques;
-la place du programme dans le «futur» cadre politique et institutionnel en Communauté française.
C’est la combinaison des différentes stratégies du programme au sein des milieux de vie qui assurera une vraie démarche de promotion de la santé dans le cadre de sa mise en œuvre.
Yves Coppieters , Cécile Béduwé et Alain Levêque , ULB (Ecole de Santé Publique), Jean Luc Collignon , Centre d’Education du patient, Valérie Hubens , Promo santé & Médecine Générale

Problématique. Promotion de la santé, prévention, éducation pour la santé: parle-t-on de la même chose?

Le 30 Déc 20

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Pour commencer à confronter les pratiques qui se nomment promotion de la santé, éducation pour la santé, prévention; pour identifier leurs points de rencontre et leurs spécificités, il est intéressant non d’aligner des définitions, mais de prendre conscience de l’organisation des concepts associés qu’utilisent les praticiens eux-mêmes pour parler de leurs pratiques. (1)

De la multiplicité des référentiels

Promotion de la santé, éducation pour la santé, éducation thérapeutique, prévention, santé communautaire, réduction des risques… Loin de définir des entités disciplinaires à l’intérieur desquelles s’élabore un corpus de connaissances, ces termes définissent des catégories d’action, des champs d’intervention. Ils ont, selon les cas, une portée idéologique, politico-administrative, parfois scientifique.
Ces concepts fixent un référentiel à un moment donné dans un contexte donné. Comme ils sont intimement liés à l’action, l’appropriation se réalise différemment selon les contextes et les enjeux. Le point d’aboutissement de ces processus d’appropriation est l’émergence progressive, pour un même concept, de référentiels dérivés liés à l’identité professionnelle et à l’organisation politico-administrative.
Face à cette multiplication de référentiels dérivés, se dessinent de perpétuels efforts pour définir voir redéfinir ces champs d’intervention les uns par rapport aux autres (Fassin D., 2000). Ainsi on pouvait penser dans les années nonante que la promotion de la santé constituerait le concept de référence, fournirait un cadre intégrateur dans lequel et autour duquel s’organiseraient les autres concepts liés à l’action en santé publique.
Cependant, depuis quelques années, on assiste à un retour des termes prévention et éducation aussi bien dans les politiques que dans les discours des professionnels. Parallèlement, on assiste, en de nombreuses circonstances, à un rejet du terme «éducation pour la santé», jugé «paternaliste», «normatif», quitte à le remplacer par d’autres concepts proches mais partiels: communication, littératie (2) en santé, etc. Enfin, il semble que les liens aient encore été trop peu explorés avec des concepts voisins de la promotion de la santé tels que la démocratie sanitaire ou le développement durable.
Plutôt que de rentrer dans des accumulations et des comparaisons de définitions, voire dans des querelles d’école, il paraît essentiel de clarifier quel cadre de référence est le plus usité et le plus opérationnel dans différentes situations professionnelles où se déploie l’action en santé publique. Les questions de méthodes et d’outils, de paradigme d’évaluation, et d’utilisation des données probantes ne peuvent être résolues sans une clarification préalable des cadres de référence. En particulier, la nécessité de prouver l’impact des actions se posera différemment selon la manière dont les professionnels se sont approprié les référentiels de base; et ce faisant, privilégient l’une ou l’autre des dimensions de la promotion de la santé.
Ce questionnement ouvre des perspectives de recherche intéressantes sur les fondements des pratiques professionnelles. Le texte ci-dessous tente, sur une base empirique et à titre d’exemple, de montrer comment le même terme d’éducation pour la santé peut recouvrir des réalités et des pratiques différentes selon que l’on se définit comme professionnel de la promotion de la santé ou de la prévention. Comment, en quelles circonstances, en référence à quels enjeux, les professionnels, utilisent-ils ces concepts?

De la diversité des pratiques en promotion de la santé

Pour tenter cette analyse, nous proposons de repérer, dans les discours oraux ou écrits à propos des pratiques, la manière dont on positionne différentes composantes d’une intervention.
L’articulation de ces pratiques avec les concepts de prévention et de promotion de la santé tels qu’ils sont utilisés par certains professionnels de ces deux champs en Belgique francophone sera commentée au travers d’un tableau. Ce tableau a été conçu de manière à reprendre les principales composantes présentes dans les définitions des concepts ci-dessus: les finalités, les stratégies, la manière de cibler le public, les contenus des interventions et objets d’éducation, la conception de la santé qui sert de référence à l’action. Il ne représente qu’une version de travail, qui demanderait à être affinée au fil des utilisations.
Remarquons tout d’abord que les grands types de stratégies peuvent être revendiqués par les professionnels de la prévention tout comme par ceux de la promotion de la santé. Cependant ces stratégies peuvent prendre des modalités différentes, qui semblent caractériser les acteurs de l’un ou l’autre champ. Ainsi dans le domaine des stratégies éducatives visant le développement des aptitudes individuelles et sociales, on retrouve une grande diversité d’interventions, d’objets et d’objectifs:
du côté des interventions , on évoquera les actions éducatives de proximité (expression et accompagnement des personnes, pédagogie active et émancipatrice proche de l’éducation populaire); les campagnes de sensibilisation; l’édition de supports pour mise à disposition d’informations scientifiquement validées adaptées à chaque groupe de population; la création et l’utilisation de supports d’apprentissage interactifs;
du côté des objets , on parlera des capacités relevant de processus intellectuels plus ou moins complexes, appartenant à la sphère affective et sociale, impliquant des savoir-faire dans les dimensions physiques, psychiques, cognitives et sociales;
du côté des objectifs , on relèvera l’acquisition d’une information scientifiquement validée sur les facteurs de risque et de protection; l’adhésion aux traitements et mesures favorables à la santé; la compréhension de l’action des déterminants de la santé; le désir et la capacité de cultiver les ressources individuelles et collectives pour améliorer la santé et la qualité de vie et pour s’adapter à des situations qui évoluent; le développement de l’esprit critique face à la complexité des informations et situations problématiques…
Parmi cette variété, les actions éducatives de proximité, qui s’adressent à des communautés ou aux acteurs de l’un ou l’autre milieu de vie, qui visent le développement de compétences transversales, qui utilisent des approches participatives seront plus volontiers associées à la promotion de la santé.
Par contre les pratiques préventives classiques s’intéressent plutôt à des compétences spécifiques ciblées sur la réduction des risques ou des facteurs de risque. Si l’on prend en compte les références des interventions en termes d’analyse de situation ou d’évaluation de l’impact, le curseur sera plus proche de la «santé vécue» dans les interventions qualifiées de promotion de la santé et de la «santé objectivée» dans les programmes de prévention (Grignard et al., 2008).
Enfin la composante «finalité» exerce un poids particulier pour positionner les pratiques dans l’un ou l’autre champ. Citons à ce propos K. Tones et J. Green (2004) (3):« Il y a fréquemment des différences idéologiques entre une approche médicale’ de la promotion de la santé ( c’est à dire la prévention ) et une approche de type ’empowerment’ . Ces différences sont fondées sur une vision , profondément ancrée , du monde en général , de la nature de l’homme et en particulier , du libre arbitre du genre humain » (4). Elles dépendent essentiellement des croyances sur le «locus of power» (nda: la source du contrôle ou de la puissance).
Ainsi les composantes reprises dans le tableau ci-joint connaissent des combinaisons plus proches d’un concept que de l’autre, sans que l’on aboutisse vraiment à un agrégat monolithique de certaines déclinaisons, agrégat qui serait qualifié de promotion de la santé ou de prévention. Souvent la présence d’une des modalités de la colonne ‘promotion de la santé’ (au sein des composantes «finalités», «contenus» ou «publics») suffirait à un professionnel non spécialiste du champ pour définir l’appartenance au champ de la promotion de la santé, tandis que les professionnels spécialisés en promotion de la santé auraient tendance à exiger la présence simultanée de l’ensemble de ces composantes.
Ainsi les initiatives des associations de patients, regroupées au sein de la LUSS (voir l’article plus loin dans ce numéro) qui se définissent souvent autour d’une pathologie se revendiquent-elles de la promotion de la santé dans la mesure où elles ont pour finalité l’empowerment des patients et de leur famille; la qualité de vie des individus vus dans leur globalité et non seulement en référence à leur maladie; dans la mesure où elles travaillent sur le développement de compétences transversales telles que la communication avec les professionnels et/ou l’exercice de la participation.
Chantal Vandoorne , SCPS APES-ULg

Références

Grignard S, Goudet B, Vandoorne C. Pour envisager différemment les analyses de situation. Éducation Santé, 2008,(240):13-7.
Fassin D. Comment faire de la santé publique avec des mots – Une rhétorique à l’oeuvre. Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, 2000, 7(1):58-78.
Downie RS, Tannahill C, Tannahill A. Health promotion: Models and values. Second Edition ed. Oxford: Oxford University Press, 1996, 218 p.
Tones K, Green J. Health promotion: planning and strategies. London: Sage Publications, 2004, 376 p.

Bien-être, qualité de vie ; santé Action communautaire et participation des populations
Éducation pour la santé
Action politique, lobbying
Action intersectorielle
Modification de l’environnement (compétences psycho-sociales, analyse critique de l’information, etc.)

Promotion de la santé Prévention
Finalités Empowerment (plus grand contrôle sur sa santé et son milieu)
Diminuer l’incidence et la prévalence de problèmes de santé ou de facteurs de risque
Publics Population, communautés, milieux de vie Groupes à risque
Stratégies et modes d’action Organisation des services
Organisation des services de soins
Action communautaire et participation des populations
Éducation pour la santé
Action politique, lobbying
Action intersectorielle
Modification de l’environnement
Contenus éducatifs Transversaux, démultiplicateurs
Spécifiques
(informations, services, apprentissages sensori-moteurs, etc.)
Référence de l’action Santé vécue – Santé manifestée ou observée Santé manifestée ou observée – Santé objectivée

(1) Ce texte est une actualisation de l’intervention réalisée à Luxembourg le 9 février 2007 au Colloque international ‘Promotion de la santé et Education pour la santé: état des connaissances et besoins de recherche’
(2) La littératie en santé ou «l’alphabétisation fonctionnelle en santé» représente le degré auquel les individus ont la capacité d’obtenir, de traiter et de comprendre l’information et les services nécessaire à prendre des décisions de santé appropriées (in Report Healthy People 2010).
(3) Traduction libre de l’auteur
(4) Traduction de «human agency»: c’est une notion philosophique qui se réfère à l’humanité et à sa capacité à faire des choix et les imposer à son milieu. C’est donc une extension du concept de libre arbitre au genre humain en général, dans une vision opposée au déterminisme.

Problématique. La promotion de la santé se décrète-t-elle?

Le 30 Déc 20

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Un décret suffit-il à promouvoir la promotion de la santé? Le décret de promotion de la santé ouvre-t-il ou enferme-t-il les pratiques, facilite-t-il ou entrave-t-il les collaborations? Est-il intéressant de différencier le dispositif de promotion de la santé (instances, programmes, services prévus par ce décret) et le référentiel (base conceptuelle, recommandations de pratiques)?
Promulguée en 1986 dans la Charte d’Ottawa, la ‘promotion de la santé’ propose une approche globale – élargie au bien-être – et politique – associée à la participation – de la santé. En 1997, un décret officialise les idées d’Ottawa en Communauté française de Belgique et structure le secteur «promotion de la santé». L’APES-ULg participe au dispositif décrétal en tant que Service Communautaire de Promotion de la Santé, mais il utilise aussi plus largement le cadre conceptuel de promotion de la santé en tant que service universitaire sollicité pour des études en matière de santé publique et de prévention.
Depuis plus de 20 ans, les idées faîtières d’Ottawa tentent de renouveler les approches de la santé. Au cours des dernières années, les tentatives de rapprochement de la promotion de la santé et de la médecine préventive, l’ouverture à l’action intersectorielle notamment au travers des actions territoriales, l’accent mis sur les inégalités de santé et la variété des déterminants de santé, en ont rendu les enjeux plus sensibles.
En effet, 20 ans, c’est aussi une durée suffisante pour que des idées et des pratiques commencent à se sédimenter. L’ouverture multidisciplinaire découlant de l’approche globale de la santé et de la diversification des modes d’interventions se pose en tension avec une fermeture du champ professionnel de la promotion de la santé, provoquée d’un côté par un sentiment de justesse et d’autarcie quant aux principes d’Ottawa et de l’autre par la persistance du modèle bio-médical dans les esprits et les pratiques de nombreux acteurs.
Le découragement, le sentiment d’isolement et d’incompréhension guettent ces professionnels spécialisés en promotion de la santé face à la difficulté de positionner la promotion de la santé au sein des structures et des dispositifs.
Plusieurs débats menés au sein de l’équipe de l’APES-ULg, plusieurs discussions à l’occasion de l’accompagnement de projets ou de rencontres internationales, nous ont amenés à questionner les spécificités de la promotion de la santé. Par exemple, quelles sont les différences et les proximités de la promotion de la santé avec l’éducation permanente, le développement durable ou encore la médecine préventive?
Un sentiment – assez dérangeant – flottait au-dessus de nos discussions. Si la promotion de lasanté signifie approche globale de l’individu et prise en compte des déterminants sociaux de la santé, pourquoi ce secteur ne peut-il mieux exploiter les acquis récents des autres champs disciplinaires, alors même que la santé offre un terrain de développement aux recherches des autres disciplines? Comment ces apports pourraient-ils diversifier nos cadres de référence ou nos approches? Pourquoi est-il si difficile pour des secteurs voisins tels que l’environnement ou le social d’un côté, le soin et l’hospitalier de l’autre, d’intégrer cette approche?
En Communauté française de Belgique, le décret portant organisation de la promotion de la santé et de la médecine préventive a eu 12 ans. Sa révision pour y intégrer des éléments facilitant les programmes organisés de médecine préventive a maintenant 5 ans. Et pourtant ces nombreuses questions restent, parfois de manière implicite, en filigrane des dialogues entre professionnels tout comme des débats dans les instances officielles.
Le décret de 1997 a officialisé un référentiel et organisé (ou ré-organisé) un dispositif, mais ce dispositif ne peut suffire à saturer le référentiel sommairement présenté ci-dessus. Par ailleurs l’expérience montre que ce référentiel pénètre difficilement auprès des usagers eux-mêmes et des autres secteurs d’activité, voire même des décideurs politiques et acteurs institutionnels directement concernés par les politiques de santé et de prévention.
Les tentatives pour communiquer largement autour de la promotion de la santé semblent peu efficaces. L’intégration de la médecine préventive dans le décret de promotion de la santé ressemble à un mariage arrangé et les protagonistes peinent à lui donner un sens commun et harmonieux. Et pourtant, l’ouverture de la médecine préventive à la promotion de la santé pourrait servir de passerelle à une meilleure intégration des pratiques curatives et préventives. Des initiatives heureuses existent en ce sens ; quelques-unes sont présentées dans ce dossier. Toutefois elles paraissent encore trop isolées: recherches-actions, expériences pilotes, analyses de faisabilité, dont la diffusion rencontre de nombreux freins.
En misant sur la promotion de la santé, les acteurs et décideurs de la Communauté française de Belgique ont-ils choisi un référentiel inadéquat, auquel seule une marge d’individus peut adhérer car il représente une vision de l’homme et un projet sociétal trop typé? Au contraire avons-nous une vision trop exigeante, trop monolithique de ce référentiel qui, dans les faits, progresserait à bas bruit et de façon partielle dans de nombreuses pratiques? Sommes-nous tout simplement trop impatients de le voir reconnaître par tous? Nous sommes-nous trompés de dispositif ou tout simplement nous trompons-nous de chemin pour implanter ce référentiel? Enfin, y avons-nous consacré suffisamment de moyens?
Les deux contributions suivantes tentent d’ouvrir la réflexion autour de ces questions.
La première propose un cadre pour l’analyse des usages des termes «promotion de la santé», «éducation pour la santé», «prévention» tels que perçus par l’auteur au travers de ses contacts avec les professionnels du champ. La deuxième propose un regard extérieur sur les liens entre les pratiques et le décret, au départ d’interviews d’acteurs de la Communauté française œuvrant dans le champ de la promotion de la santé et de la médecine préventive.
Gaëtan Absil et Chantal Vandoorne , APES-ULg

Introduction. Actualiser la promotion de la santé à la croisée des pratiques

Le 30 Déc 20

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Une demi-journée de découvertes et de confrontations

Le 28 mars 2009, en la Salle des Professeurs de l’Université de Liège, l’APES-ULg organisait un séminaire intitulé: «Actualiser la promotion de la santé, à la croisée des disciplines et des pratiques». La revue Éducation Santé a publié un premier écho de cette rencontre dans son numéro 246.
Le présent numéro propose un dossier plus complet, afin de partager avec les lecteurs d’Éducation Santé les expériences présentées lors de ce séminaire et les réflexions qui ont émergé des débats. Commençons par découvrir les motivations à l’origine de cette initiative.
Au travers des accompagnements, animations de formations, concertations et études menées au cours des dernières années, l’équipe de l’APES-ULg est particulièrement sensible aux frottements que produisent, dans le domaine de la promotion de la santé, la confrontation des champs disciplinaires, des modèles théoriques et des expertises empiriques, des impératifs de gouvernance et des projets institutionnels ou associatifs.
Cette demi-journée s’inscrivait dans une série d’initiatives dont le but est de ré-ouvrir les portes de la promotion de la santé, d’en redynamiser les applications, de renouveler les partenariats dans le cadre de la Communauté française Wallonie-Bruxelles et enfin, de faire surgir des modes de questionnements alternatifs. Cette demi-journée voulait aussi fournir une occasion d’envisager, au travers du thème de la promotion de la santé, les synergies et opportunités de collaboration entre des catégories d’acteurs qui se rencontrent peu.
Vingt-cinq personnes ont participé à ce séminaire; une quinzaine d’autres se sont déclarées intéressées, mais n’ont pu se libérer.
Ce séminaire reposait sur un pari: celui de faire se rencontrer et débattre des interlocuteurs qui ont des postures différentes, travaillant dans des institutions et sur des problématiques différentes: professionnels, acteurs institutionnels, décideurs et scientifiques avec lesquels l’équipe de l’APES-ULg a eu l’occasion de partager des travaux.
Nous avons misé sur la variété des points de vue tout en balisant les contenus présentés: ce premier séminaire a été consacré à des approches socio-sanitaires, à l’intersection des soins ou de la médecine préventive et de la promotion de la santé. Il est envisagé d’organiser, dans quelques mois, un autre séminaire du même type, illustré par des approches socio-éducatives de la santé et de la promotion de la santé.
D’une manière globale, les débats furent précis et lucides, parfois critiques et cruels, sur le dynamisme et sur les opportunités futures de la promotion de la santé, qu’il s’agisse de son intégration dans les principes de gouvernance ou du manque de reconnaissance du secteur.
La première partie du dossier présente quelques-unes des réflexions à l’origine de ce séminaire: il s’agit d’introduire des éléments d’analyses pour distinguer le cadre légal ( le décret ), le cadre conceptuel ( la charte d’Ottawa et autres documents de référence ), et le cadre empirique ( les pratiques ) de la promotion de la santé.
La deuxième partie du dossier est consacrée aux actions et recherches qui ont servi de support à la discussion. En effet, ce séminaire a été construit de manière collaborative, chacun des participants étant invité à formaliser la manière dont il appliquait le référentiel de promotion de la santé à travers son projet ou ses pratiques. Ensuite, il lui était demandé de commenter trois questions à la lueur de cette expérience: le dialogue entre les disciplines ou les professions; les liens entre l’action et la recherche, et enfin l’inscription dans les dynamiques institutionnelles.
La synthèse des réflexions et débats permet déjà d’enrichir et d’affiner les réflexions de départ. Celles-ci demanderont encore à être nuancées, complétées, débattues et contestées dans le futur.
Parmi les prolongements possibles de ces réflexions, on trouvera, au terme de ce dossier, une analyse critique de la prise en compte de la promotion de la santé dans les récentes déclarations gouvernementales de la Communauté française et des Régions wallonne et bruxelloise.
Chantal Vandoorne et Gaëtan Absil , SCPS APES-ULg

Illustrations. Les associations d’usagers des services de santé à la croisée des participations

Le 30 Déc 20

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Le résultat d’une participation effective

A la fin des années 90, la Ligue des Usagers des Services de Santé (LUSS) a été créée en réponse à la question: «Si on veut connaître et faire entendre le point de vue des patients, à qui s’adresse-t-on?». L’idée de la participation citoyenne dans le domaine de la santé faisait son chemin chez certains acteurs professionnels et politiques, qui cherchaient à encourager l’organisation de cette participation des patients, des usagers.
La LUSS a vu le jour en 1999, après plusieurs années de tâtonnements. L’idée retenue sera celle de fédérer les associations de patients existantes et, par la mise en réseau de celles-ci, de favoriser l’émergence d’une parole construite sur base de la participation de personnes ayant en commun une expérience de la maladie et un intérêt pour la santé. Le soutien apporté dès le départ par les trois ministères de la santé, et donc aussi celui de la Communauté française, nous a probablement permis de ne pas nous cantonner dans la défense des intérêts des malades, mais d’être sensibilisés dès le début aux valeurs véhiculées par la Charte d’Ottawa.

La participation, une valeur sûre

Du côté des patients, la LUSS a mis en place, dès le départ, une méthode participative incluant les personnes concernées dans toutes les étapes nécessaires à la construction d’un point de vue de patient: groupes focalisés pour échanger des expériences, des avis et des idées sur les changements possibles, groupe de travail pour analyser et synthétiser les réflexions émises, et rédaction de constats et des pistes d’amélioration transmis par la LUSS.
Une des premières thématiques abordées de cette manière concernait les coûts restant à charge des patients chroniques et la qualité de vie de ceux-ci, à la demande de Frank Vandenbroucke , Ministre fédéral de la santé de l’époque. Les participants à cette réflexion constituent aujourd’hui le noyau principal de la LUSS, et sont toujours présents, pour la plupart, dans l’Assemblée générale, dans le Conseil d’administration et dans les groupes de travail. Nous avons par ailleurs veillé à apporter la rigueur méthodologique nécessaire à la validité des avis émis par la LUSS, en nous adjoignant la collaboration du Centre d’éducation du patient.
Plus récemment, la LUSS a réalisé, avec l’aide de l’APES-ULg, une brochure intitulée «Qu’est-ce qu’une association de patients?».
Elle a été rédigée en réponse à un besoin exprimé par un grand nombre d’associations. En effet, celles-ci ont des difficultés à se faire connaître et à faire reconnaître la qualité de leurs activités par les professionnels de la santé, et ce principalement parce que ceux-ci ne les connaissent pas. Cette méconnaissance amène de la méfiance, voire des craintes que ces associations puissent venir s’ingérer dans leurs pratiques et perturber leurs patients.
Cette brochure est le résultat d’un travail collectif, impliquant une trentaine d’associations de patients pendant plus d’un an: participation à des tables rondes, discussions autour des résultats, réappropriation des idées émises, participation à la rédaction, aux corrections finales… La collaboration avec l’APES-ULg qui a pris en charge la méthodologie, la rédaction du rapport et du texte martyr de la brochure, a laissé toute liberté à l’expression des idées et aux volontés des participants.

Valoriser l’expérience

La participation à ce processus de définition des points de vue des usagers permet de valoriser l’expérience de chacun, tout en lui conférant le recul nécessaire pour que ces points de vue ne soient pas taxés d’anecdotiques et relayés au rang de simples témoignages. La ‘communautarisation’ des vécus particuliers fait émerger des synthèses sans dénigrer la valeur du vécu et sans déposséder les personnes de leur apport propre. Ce savoir profane élargit les connaissances scientifiques et académiques: nous parlons de «savoirs partagés» basés sur le «savoir partager».

A la croisée des participations

La LUSS s’est trouvée d’emblée à la croisée de deux participations. Il y a celle qu’elle organise pour construire les points de vue des usagers. Et l’autre, où la LUSS se retrouve elle-même en tant que participant, au nom des patients, en tant que membre de Commissions, Conseils et autres groupes de travail ou comités d’accompagnement. Elle se trouve au centre d’un diabolo, véhiculant des informations venant d’un côté, celui du terrain, vers l’autre côté, celui des professionnels et décideurs politiques. Et inversement. Une participation intégrée d’un côté, une participation naissante de l’autre…
Au sein de la LUSS et des associations qu’elle fédère, le principe de la participation s’est développé, a amplifié au fil du temps. Les associations ont mûri, sont devenues adultes, ont de plus en plus confiance en elles-mêmes et conscience que leur participation aux décisions dans le domaine de la santé a du sens.
Ce côté-là du diabolo s’organise, se structure, évolue… Qu’en est-il de l’autre côté?
De plus en plus de lieux ouvrent leurs portes aux représentants des usagers. Inviter les patients à s’exprimer est dans l’air du temps depuis une bonne dizaine d’années, un peu plus dans certains milieux, comme les maisons médicales. Petit à petit, des patients se sont assis autour des tables de discussion, voire de décision. D’abord pour confirmer les bonnes pratiques… ensuite pour apporter d’autres points de vue, voire des critiques. On leur a donné des places, et voilà qu’ils participent…
La participation des usagers peut se faire notamment par le biais des associations de patients, qui ont chacune développé une certaine expertise dans leur domaine propre, et acquis un savoir qu’elles ne demandent qu’à partager. La participation des patients avancera encore d’un pas lorsque les autres acteurs de la santé demanderont à être invités par ces associations, persuadés qu’ils pourront y apprendre quelque chose.
Micky Fierens , directrice de la LUSS, Ligue des Usagers des Services de Santé