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Les groupes Balint dans un monde en évolution accélérée

Le 30 Déc 20

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Je fréquente les groupes Balint depuis peu d’années, et y retrouve avec intérêt des ressemblances et aussi des différences avec ce que j’ai vécu au GERM (Groupe d’Études pour une Réforme de la Médecine). Dans les maisons médicales imaginées par le GERM, le malade bénéficie d’une attention multidisciplinaire, apportée par l’éventail de généralistes, d’infirmières, de kinésithérapeutes, voire de psychologues. Chez les groupes Balint, l’accent est davantage mis sur le vécu psychologique du patient et du soignant lui-même. La distinction entre ces deux approches est à vrai dire artificielle, puisque certains membres d’un groupe Balint pratiquent dans une maison médicale.

Qui était Balint ?

Fils d’un médecin généraliste hongrois le docteur Michael Balint fit carrière en Angleterre où il devint psychanalyste et y développa le concept des groupes qui portent son nom. Parmi les nombreux textes qui exposent ses réflexions, je choisis, en traduction française, Le médecin , son malade et la maladie (1).
En voici quelques phrases clefs. «Le médicament le plus fréquent utilisé en médecine, c’est le médecin lui-même», et «Le patient peut ressortir d’une consultation médicale avec un résultat psychologique peu relié à la prescription de médicaments mise en poche». Mais une autre idée clef ressort: «On se préoccupe moins de la retombée psychologique sur le médecin». De cette philosophie, réduite ici à son essence, naîtront les Groupes Balint , où les soignants se réunissent pour discuter de leurs relations individuelles avec chaque soigné.

Les relations du praticien avec son patient

Au cours de l’entretien

Quelles sont, de façon générale, les situations psychologiques rencontrées par le médecin généraliste? Pour le concevoir, je bénéficie d’entretiens avec le docteur Manoël Le Polain . Il y a d’abord, dans la pratique médicale, une contrainte assez triviale, le «cadre thérapeutique» dont dispose le généraliste: celui-ci ne peut laisser s’accumuler les plaintes diverses d’une personne qui, parfois, recherche avant tout l’occasion de parler d’elle. Mais, plus fondamentalement, il y a la «distance thérapeutique» envers chaque patient. On ne demande pas que le praticien soit dépourvu de subjectivité. D’une part, consciemment ou non, il peut ressentir des forces attractives ou répulsives envers telle personne, mais il doit s’abstenir de juger l’autre, et traiter chacun avec le même respect. D’autre part, inconsciemment, se jouent entre un patient et son médecin des sympathies qui ne peuvent qu’être bénéfiques – à condition, pour le médecin, de ne pas verser dans la compassion car il ne peut porter la souffrance de tout le monde. Et ceci représente sans doute la raison d’être principale des Groupes Balint: la bonne distance thérapeutique .

Aller jusqu’à l’empathie?

L’empathie, c’est quand on fait jouer ses neurones miroirs . Depuis peu, les neurologues s’intéressent à ce phénomène: lorsqu’un singe, ou une personne humaine, exécute un mouvement devant un spectateur, celui-ci allume une même zone dans son propre cerveau. Cette activité cérébrale en miroir est illustrée de façon frappante par les techniques de l’imagerie médicale. Ainsi serait matérialisée l’empathie: la faculté de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. Les sujets les moins disposés à l’empathie, comme les autistes, présentent un déficit des neurones miroirs, ce qui les empêche de se mettre dans la peau de l’autre. Bien plus, certains patients se plaignent d’avoir perdu contact avec eux-mêmes : «Je suis moins que tout seul. Je ne suis plus en compagnie de moi-même.»
Mais jusqu’où le médecin doit-il allumer ses neurones en miroir devant chaque patient ? On imagine aisément l’état du cerveau du praticien, en fin de journée, après ce marathon des neurones en miroir… Mais dans certains cas, l’empathie, se mettre dans la peau de l’autre, peut huiler la relation.

Jusqu’à la curiosité !

Le praticien, face aux diverses personnalités qui défilent devant lui, doit-il s’exercer à ranimer chaque fois sa curiosité, envers chaque patient, comme on s’entraîne à une performance sportive ? Ou bien, est-il vraiment répréhensible de se blinder contre la compassion pour éviter le burn out ?
Il y a une autre face à ce problème: jusqu’où le praticien peut-il se permettre une investigation psychologique chez son patient? Le client n’est pas venu demander aide à un psychiatre. Quel dialogue personnel et discret échanger? Jusqu’où le médecin doit-il se livrer un peu lui-même, pour amorcer la confiance? Car le patient ne va pas dévoiler quelque détail nécessaire, s’il se trouve devant un sphinx. Et ce patient aime personnaliser celui qu’il appelle mon médecin. D’aucuns disent même:«il est préférable que ma femme et moi ne partagions pas le même médecin». Aujourd’hui encore, où la technique prend tellement d’importance, le médecin n’est pas une pièce mécanique interchangeable.

Les activités Balint

(2)
Les groupes Balint sont répartis géographiquement dans la Belgique francophone, et se réunissent une fois par mois, de septembre à juin, sous la responsabilité de deux animateurs : un médecin généraliste et si possible un psychanalyste. C’est alors qu’ils discutent de situations vécues. Là, assis en rond autour d’un animateur, l’un ou l’autre des soignants participants expose une situation clinique qui l’a mis lui-même dans l’embarras, dans un inconfort par rapport à sa relation au patient.
Une fois par an, un Printemps Balint organise des séminaires à thème.
À ceci viennent s’ajouter les journées d’études qui réunissent des conférenciers de grande valeur et d’appartenance intellectuelle variée: la liste de ces conférenciers vous ferait monter l’eau à la bouche. Quelle différence avec d’autres cycles de conférences? Une participation très active du public aux discussions. L’après-midi, on se répartit en petits groupes d’une dizaine de soignants, qui choisissent de participer à l’un des 6 à 10 thèmes proposés.

Mon expérience dans un groupe Balint en mars 2010

On aura deviné à la lecture de ce qui précède que la présence d’une virologue dans un groupe peut intriguer. Gentiment, l’animateur de ‘mon’ groupe souligna que la participation d’un membre de l’ancien GERM était justifiée. Mais j’écris le présent texte avec une expérience très ponctuelle et limitée, et peut-être la relation qui suit donnera-t-elle une idée de ma naïveté.
Lors de ma première participation, j’ai choisi le groupe qui discutera de la question : jusqu’où peut on assumer la souffrance de l’autre ?
Nous nous présentons brièvement; il y a là plusieurs types de praticiens: celui de quartiers urbains pauvres ou privilégiés – et même, encore, des médecins de campagne. Mais aussi une infirmière, un kinésithérapeute. Je me sens un peu ridicule, avec ma spécialité qui consiste à psychanalyser des virus ! Et je tente de me raccrocher au groupe en rappelant que mon intérêt pour les groupes Balint remonte aux réflexions du GERM.
Puis, après un silence un peu timide, l’un d’entre nous annonce qu’il est prêt à tenter d’analyser un problème qu’il a vécu. L’animateur fait un appel pour que le sujet soit traité par une deuxième personne. Silence prolongé. Je finis par me lancer pour proposer l’histoire d’une jeune infirmière qui, au service des maladies infectieuses, où se mouraient les sidéens, sans traitements efficaces à l’époque, assuma tellement les problèmes de chacun d’eux qu’elle en dépérit.
L’animateur me répond que je n’ai pas le droit de parler à sa place. Qu’elle vienne… «Mais elle s’est suicidée». Alors ma proposition est refusée. On m’explique que le processus de ces rencontres, c’est de tenter d’amener le narrateur vers un autre point de vue – par exemple, dans le cas présent, l’aider à accepter «l’injustice» qui accable ces malades. Il faut toujours que le héros de l’histoire soit présent dans le groupe. On ne peut modifier quelqu’un à son insu… a fortiori si ce quelqu’un est mort.
J’acquiesce, évidemment.
Puis, sagement, pour retenir la quintessence de ce qui va se passer, je sors un bout de papier et un stylo pour prendre quelques notes. On me regarde gentiment, mais avec un peu de gêne, comme si je venais de sortir un outil étrange. «On ne prend pas de notes car il est bon de se regarder l’un l’autre.» Effectivement, c’est mieux ainsi. J’observe donc la narratrice qui commence par esquisser le profil psychologique du sujet qu’elle soignait. Mais l’un d’entre nous interrompt et demande «Comment est-il physiquement, votre cas? On a besoin de le voir pour supputer par quel côté il faudrait le prendre ». Toutefois, ce n’est pas l’essentiel, car notre centre d’intérêt se dirige vers celle qui raconte. Pourquoi donc, a-t-elle ressenti un étrange malaise dans cette situation particulière là ? Le groupe tente d’analyser, ose questionner : «Te sentais-tu sous l’emprise d’une réaction psychologique de retrait, de répulsion, ou… d’attrait, envers ce patient?»
LT

Les titres des derniers numéros de la revue Balint en disent long sur les préoccupations des groupes: La relation thérapeutique en médecine et en psychothérapie , Le rêve et l’imaginaire en médecine , Qui me soignera demain ?
Attardons nous à ce dernier. Son premier chapitre s’intitule A t on vraiment besoin de médecins ? Le médecin indien Raj Arol y déclare sans détour que les médecins ne sont pas la solution pour les pays les plus pauvres du monde. Lui-même réussit à assurer à sa région un certain niveau en formant des agents sanitaires recrutés parmi les villageois.
Mais, chez nous, les moyens sont très différents. Notre décor est planté dans le cabinet du médecin, avec un ‘client’ inquiet qui ressent des symptômes et en arrière-plan, hors scène, l’Internet, cette manne de données, avalée avidement, qui a déjà fait sourdre chez le patient quelques inquiétudes. Derrière le bureau du cabinet médical, le profil du médecin face à son ordinateur. Il récolte les chiffres de laboratoire concernant la personne en face de lui.
Puis le film se déroule et voici le même médecin, vu de face. C’est maintenant une vraie personne, qui dialogue avec le patient. Et le flair clinique reprend son rôle.
Cet amalgame entre l’informatique et la relation humaine fonctionne plutôt bien. La maladie est souvent traquée – mais, chez la personne probablement guérie, une angoisse persiste parfois, implantée par l’omniscient Google.

Comment ‘personnaliser’ son patient dans l’esprit balintien?

Un autre numéro de la revue Balint a pour titre, un peu énigmatique, Soigner au delà des preuves . Certes, «l’attitude Balint» accepte que, devant un patient qui pose une certaine énigme diagnostique ou thérapeutique, il faille aller puiser dans les enquêtes scientifiques qui ont porté, dans le monde entier, sur un nombre important de cas semblables – mais ce doit être comme ressource pour les mettre en comparaison avec le cas particulier de votre patient, pour lequel vous avez l’occasion d’approfondir la situation. Car, pour repérer une corrélation statistiquement significative entre des symptômes et un traitement efficace, on publie des méta-analyses dans lesquelles on est obligé de ne retenir que les points communs entre les diverses populations comparées. On néglige ainsi certains aspects des problèmes individuels. L’attitude des groupes Balint, c’est de fonder le comportement médical vis-à-vis d’un cas donné, en faisant une sorte d’intégration entre trois paramètres: les données de la littérature, le contexte clinique particulier à ce cas-ci, et les attitudes psychologiques particulières de cette personne (par exemple ses préférences pour telle action particulière face au problème.) Ce qui peut se résumer ainsi: le patient amène au généraliste son contexte, ses symptômes, le médecin intégre ces données spécifiques à celles de la littérature scientifique, le patient apporte en outre ses préférences pour une action, qui sont à leur tour intégrées pour l’intervention du généraliste.

Le portrait du patient

Sa mémoire implicite

Face au médecin, se trouve une personne qui fut progressivement formée par les souvenirs accumulés dans la mémoire de base appelée mémoire implicite. Elle est tissée par les traces des émotions accumulées dans notre corps. Cette mémoire, si personnelle, ne peut se caractériser par des chiffres et ne peut donc figurer dans les rapports de l’ordinateur, aux côtés des taux de cholestérols. Les psychologues nous disent que certains passages à l’acte, certaines crises de désespoir sine materiae , trouvent leur fondement dans cette mémoire et ne relèvent pas de la folie. Il s’agirait d’un cerveau sain malchanceux qui a accumulé des souvenirs néfastes.

Sa résilience

Le praticien qui reçoit de l’hôpital un rapport sur l’un de ses malades verra-t-il un jour figurer une estimation quantitative de la résilience du patient? En physique, la résilience d’un matériau mesure sa résistance au choc. Chez l’homme, il s’agit d’une attitude qui permet de faire face aux mauvaises fortunes. Aux groupes Balint, on se demande si les résiliences aux traumatismes physiques et aux blessures morales sont liées. Un être humain peut-il résister à un coup de bâton, comme le fait un socle de marbre, mais vibrer dangereusement à une peine sentimentale? Les artistes qui expriment beaucoup de sensibilité seraient-ils peu résilients?

Sa souffrance interne

Se distinguant du Moi cérébral, entre en jeu un troisième personnage: le corps même du malade. Lui seul connaît la douleur ressentie. Le corps s’approprie même la maladie: «Et voilà ma migraine qui vient me revisiter.»
Au lieu d’observer seulement le corps du malade, il faut donner sa place au visage, lequel peut refléter ce que les battements cardiaques ne font pas. Le métier de médecin consiste aussi à dépister la souffrance, et à tenter d’éviter la dérive vers la dépression. Pour ce faire, il faut essayer d’induire le malade à prendre son sort en main, à devenir l’acteur de sa vie.
Par ailleurs, le médecin ne doit pas réduire son rôle à celui de prescripteur de médicaments, mais au contraire, jouer un rôle actif contre la médicalisation des problèmes sociaux. En 2008, le journal Le Monde émettait à ce propos un avis pessimiste: « Les psychotropes ont été détournés de leur usage premier (l’épisode dépressif majeur) pour soigner le mal-être et l’anxiété sociale et en devenir l’unique réponse.»

Son droit à la vérité

Ce corps joue évidemment un rôle dans le diagnostic global. S’il y a une atteinte organique précisée, le médecin doit-il la révéler dans sa sévérité? Lorsque le patient affirme qu’il a droit à toute la vérité, le médecin doit-il s’y laisser prendre? On peut avoir droit à une chose sans vraiment désirer l’avoir. Faut-il distiller progressivement une mauvaise nouvelle, ou bien la faire avaler d’une gorgée? Le problème, avec la vérité, c’est qu’il est impossible de faire marche arrière. En tout cas, il ne faut pas laisser le patient partir à l’hôpital sans qu’il connaisse au moins la vérité contenue dans son dossier. Là bas, le cadre est peu propice aux nuances dans le dialogue. Et les longues nuits esseulées que passe le malade dans un lit d’hôpital sont tout aussi peu propices à l’optimisme.

La personnalisation génétique

Aujourd’hui, une nouvelle donne surgit: les progrès triomphalistes de la chimie dans le séquençage des nucléotides de notre génome. Selon cette tendance actuelle, la personnalité de chacun d’entre nous est entièrement écrite dans cette chaîne de molécules. Et pour quelques centaines de dollars, on va vous proposer ce séquençage.
Francis Collins , l’un des chercheurs les plus brillants dans ce domaine publie un livre (3) (2) dont le titre se traduit en français par Le langage de la vie . L’ADN et la révolution dans la médecine personnalisée (c’est moi qui souligne). Et sur la couverture, ce titre est surmonté d’une phrase de Barack Obama,véritable ode à Collins. Je la traduis: Son travail fracassant a changé nos façons mêmes de considérer notre santé et d’examiner la maladie .
Je lis donc avec avidité ce texte. À chaque chapitre, j’essaie de percevoir en quoi les résultats évoqués pourraient modifier la relation médecin – patient. Certes, chacun de nous recèle, dans son ADN, des petites variations de nucléotides, qui individualisent notre profil chimique. Mais je ne vois pas en quoi les connaître aurait aidé Freud…. En quoi ce paysage détaillé de notre ADN pourrait-il nous faire pencher pour une cause génétique, plutôt qu’environnementale, dans les problèmes dont se plaint celui qui se trouve devant le praticien ? Par exemple, dans notre cerveau, nos 20.000 gènes doivent gérer le fonctionnement de 50 à 100 milliards de neurones, avec l’aide de 38.000 protéines différentes. Mais l’éveil de ces fonctionnements dépend essentiellement de l’interaction de l’environnement avec le cerveau. Chacun sait que cet éveil dépend des stimuli affectifs que le jeune enfant va recevoir, et non de la simple présence de tel ou tel nucléotide. Sans intervention de signaux extérieurs, les nucléotides stagnent dans le retard mental.
Par ailleurs, Collins lui-même admet que toute la science des biochimistes de l’ADN ne parviendra sans doute jamais à déchiffrer les séquences de nucléotides qui seraient caractéristiques de la schizophrénie, par exemple.
Ce «désordre multiple de la personnalité» ne peut être réduit à des phrases chimiques sous un crâne. Alors, pourquoi parler du langage de la vie à propos de la séquence des nucléotides dans nos chromosomes ? Pourra-t-on personnaliser la médecine à partir de ces déchiffrages? Un beau sujet pour une journée Balint ?
Lise Thiry
Avec la collaboration de Manoël Le Polain, médecin généraliste et administrateur de la Société Balint

(1) Michael Balint Le médecin , son malade et la maladie , Éd. Payot, 1966
(2) Pour de plus amples informations, voir le site https://www.balint.be
(3) Francis Collins The language of life . DNA and the revolution in the personalized medicine . Profile books 2010.

Les médias sociaux, une opportunité pour les organismes de santé?

Le 30 Déc 20

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Ne pensez pas que cet article est réservé à ceux et celles qui ont fait du Web 2.0 leur réflexe quotidien. Il s’adresse au contraire aux personnes sceptiques, qui se demandent s’il serait opportun de pousser la porte virtuelle des médias sociaux dans leur cadre professionnel. Deux organismes québécois, parmi d’autres, ont choisi d’exploiter les outils de la nouvelle génération d’Internet au service de leurs missions de promotion de la santé.
Quand on évoque les médias sociaux, le Web 2.0 ou encore le Web social, il est question des sites et applications Internet qui permettent à leurs utilisateurs non seulement de s’informer, mais aussi et surtout de créer et d’échanger leurs propres contenus. Les médias sociaux peuvent prendre diverses formes, plus ou moins connues de l’utilisateur «moyen»: les forums, les blogs, les sites de partage d’image ou de vidéos, les sites de réseautage social, etc. D’un certain point de vue, le courriel et la messagerie instantanée (le «chat») font également partie des médias sociaux puisqu’ils répondent à cette définition de partage de contenus. Quand le média social a pour objectif premier de mettre ses utilisateurs en relation, on parle de réseau social: c’est le cas de Facebook ou Twitter par exemple.

Toucher le public, une nécessité

Marc Drolet est le directeur des affaires publiques de la division du Québec de la Société canadienne du cancer (SCC). Invité dans le cadre des Journées annuelles de santé publique qui eurent lieu en mars dernier à Montréal, il a exposé comment la SCC parvient à faire d’Internet un outil de diffusion d’information et de visibilité bien sûr, mais aussi de dialogue avec son public.
La SCC a pour mission d’éradiquer le cancer et d’améliorer la qualité de vie des personnes touchées. Reposant sur la générosité de ses donateurs et le travail de ses bénévoles, la SCC mène sa lutte en s’engageant dans cinq secteurs: la répartition des fonds recueillis pour la recherche; la prévention par la sensibilisation aux saines habitudes de vie et par le changement des environnements; l’information; l’organisation de programmes de soutien; et enfin la défense de l’intérêt public par la mobilisation de la population en faveur de changements sociaux et politiques. On le constate: qu’il s’agisse d’informer, de mobiliser, de recruter des bénévoles ou de susciter des dons, la SCC Québec a besoin d’être connue et reconnue par son public et l’ensemble de la population. Marc Drolet confirme: « Nous voyons dans les médias sociaux , populaires et gratuits même s’il ne faut pas négliger leur coût en ressources humaines l’opportunité de faire du recrutement de bénévoles , de créer des mouvements , de rejoindre les jeunes et les moins jeunes ( 1 ) et de rassembler des dons

De la diffusion à la mobilisation

Pour la division québécoise de la SCC, l’utilisation des médias sociaux est donc apparue comme un incontournable. Il ne s’agit pas seulement d’un nouveau mode de communication qui s’ajouterait aux méthodes existantes, mais d’un véritable changement de stratégie: de la diffusion d’information par les médias traditionnels, on passe à la mise en réseaux de la population. « Les gens veulent partager leur histoire , indique Marc Drolet. Ces témoignages touchent , rassemblent et incitent à passer à l’action .» En encourageant l’expression de la population, les médias sociaux auraient donc un pouvoir mobilisateur à un degré que l’Internet informatif, émanant principalement de l’organisation elle-même, peine à atteindre.

Réseautage social via Facebook et Twitter

Comme beaucoup d’autres organismes, la SCC Québec s’est créé une page sur Facebook. En un an, 4137 personnes en sont devenues «adeptes», c’est-à-dire qu’elles se sont abonnées pour en recevoir les informations sur leur propre mur Facebook (leur «babillard», en langue de la Belle Province). Des contenus brefs y sont publiés très régulièrement, qui concernent les campagnes en cours, des appels à la mobilisation ou à signer des pétitions, des liens vers divers sites, des sondages, des commentaires de faits d’actualité, des invitations à témoigner… La page offre aussi un onglet «infos», des photos, des vidéos, des forums de discussions thématiques et des articles rédigés. Les participants sont actifs, les échanges sont nombreux et respectueux, les internautes proposent leurs propres sujets ou posent des questions.
Twitter est un site de réseautage social créé en 2007 qui a pour fonction de livrer des informations courtes, fréquentes et instantanées, par Internet mais aussi par messagerie instantanée ou encore par SMS. La SCC l’utilise principalement pour envoyer le signal qu’un nouveau sujet a été publié sur Facebook. Car tout est lié!

Youtube, pour toucher une autre corde

Youtube est un canal gratuit de diffusion de vidéos. Afin d’exploiter le plein potentiel des nouveaux médias, la SCC possède aussi sa propre page sur Youtube ( https://www.youtube.com/sccf), sur laquelle elle publie des spots de sensibilisation, des extraits de discours, des témoignages de personnes touchées par le cancer. On y trouve quelques perles… Il est certain que l’utilisation de la vidéo touche la sensibilité différemment de l’écrit.

Suivre les communiqués de presse grâce à un fil de nouvelles

Un fil de nouvelles, dont le fil «RSS» (Really Simple Syndication) est le format le plus fréquent, est un résumé de contenus Web accompagnés de liens vers les versions intégrales de ces contenus. Les internautes peuvent s’abonner au fil de nouvelles de la Société canadienne du cancer pour recevoir un sommaire des communiqués de presse dès qu’ils sont publiés sur le site https://www.cancer.ca . La SCC propose aussi d’ajouter son fil de nouvelles à iGoogle, une page personnalisée sur laquelle il est possible d’afficher toutes sortes d’informations présélectionnées provenant d’Internet. Pour l’utilisateur, c’est un système pratique qui permet de se créer sa propre page d’accueil, mais qui comporte l’inconvénient de fournir à Google, une firme privée, de nombreuses informations personnelles sur ses intérêts.

Les blogues, ces journaux pas intimes

Parmi les médias sociaux, on compte aussi les blogs (ou blogues, au Québec), des sortes de journaux de bord en ligne proposant des billets fréquents et souvent personnels, auxquels les visiteurs sont invités à réagir. L’Institut Douglas, un institut universitaire situé à Montréal et spécialisé dans la recherche, les soins et l’enseignement concernant la maladie mentale, propose plusieurs blogues organisés en une «blogosphère».
Ils sont alimentés en français ou en anglais par des membres volontaires du personnel de l’Institut qui souhaitent partager leur expertise avec la population en vue de l’éduquer sur les enjeux de santé mentale et de démystifier les maladies mentales, ou avec d’autres intervenants et scientifiques du domaine. Chaque blogueur alimente son propre blogue: les Arts-Santé, le blogue d’Info-Trauma ou encore Soigner entre les lignes…
Voilà une manière originale de donner la parole au personnel et au public parallèlement aux structures traditionnelles de la communication de l’organisation.

Des enjeux à considérer

Il serait possible de rédiger un article, voire un ouvrage – ou un site – entier sur les enjeux liés à l’utilisation des médias sociaux, tant du point de vue des internautes que de celui des organismes qui font le choix de les utiliser. En voici quelques prémices.

Droit d’auteur et confidentialité

Les utilisateurs ne sont pas toujours conscients du fait que leurs écrits peuvent être accessibles au plus grand nombre.
Cet aspect est particulièrement délicat dans le cas de partage de témoignages, quand il est question de santé. Si la règle par défaut est la protection par le droit d’auteur, les conditions acceptées au moment de l’inscription sur un site (généralement sans être lues!) stipulent souvent que le contenu publié devient propriété de la firme. Des options permettant de déterminer les niveaux de confidentialité existent parfois, mais elles ne sont pas connues de tous. La plupart des internautes ignorent aussi que la duplication et diffusion d’un contenu dont ils n’ont pas les droits légaux est (théoriquement) punissable. En pratique, les utilisateurs sont supposés savoir qu’un texte, une vidéo, une photo déposés sur le Web risquent d’être utilisés par les entreprises qui gèrent ces médias ou par d’autres internautes.

Publicité

Notons aussi que de nombreux médias sociaux ne sont pas vierges de publicité commerciale. Sur Facebook notamment, l’organisation n’a pas de pouvoir sur les publicités qui pourraient apparaître en marge de sa page. Les produits vantés peuvent donc aller à l’encontre du message véhiculé par l’organisme, ou pire, en tirer parti.

Contrôle

Ensuite, il faut être conscient que le recours à ces médias participatifs induit l’acceptation d’une certaine perte de contrôle. Les discussions et débats suscités peuvent déraper dans un sens imprévu, voire indésirable. Il est donc nécessaire de prévoir du personnel (et du temps de travail) voué au suivi et à la modération des commentaires des internautes.

Accessibilité

Un dernier enjeu, mais non le moindre, du Web 2.0 comme de l’Internet classique, est son accessibilité. Même si le média se démocratise et intéresse toutes les tranches d’âge, la fracture numérique, c’est-à-dire la différence dans l’accès aux technologies de l’information entre groupes socio-économiques, reste bien réelle. En utilisant ces outils, surtout s’ils remplacent les médias traditionnels, un organisme touche une partie de son public mais en délaisse une autre et prend ainsi le risque important de participer à l’amplification des inégalités entre ces groupes. Un comble pour des organismes qui, visant la promotion de la santé, se doivent d’être engagées dans la réduction des inégalités sociales de santé.

Le pour et le contre, avant le choix

Pour un organisme dont les missions touchent à la promotion de la santé, l’utilisation des médias sociaux est un choix qui ne peut se faire sur un coup de tête.
D’un côté, un intérêt grandissant des publics et des organismes pour ces nouveaux outils, qui ne peut être assimilé à un simple effet de mode, la perspective de rester en contact avec son public et d’en atteindre de nouveaux en quelques clics et un pouvoir mobilisateur fort sont susceptibles de séduire. De l’autre, des enjeux importants comme la confidentialité, le droit d’auteur ou encore les inégalités d’accessibilité ne doivent pas être évacués de la réflexion. Finalement, la question ne porte pas tant sur la manière d’être sur le Web 2.0 – car tout cela s’apprend assez facilement et il existe dans la plupart des organisations des employés familiers de ces nouveaux médias – que sur le choix d’y être.
Pascale Dupuis
Avec l’aimable relecture de Benoît Dassy
(1) Des statistiques d’utilisation de Facebook peuvent notamment être consultées sur le site https://www.checkfacebook.com . Pour la Belgique comme pour le Canada, deux tiers des utilisateurs ont moins de 35 ans.

Le don, l’échange et le marché

Le 30 Déc 20

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“Tout s’achète et tout se vend”, comme le chantait Jacques Brel à l’époque où il croyait que le diable était revenu sur terre. Comment chanterait-il aujourd’hui la course aux profits financiers?
Sous la pression du “marché” et de la logique marchande, la part de l’espace public traditionnellement réservée au don et à la solidarité n’est-elle pas, lentement mais sûrement, en train de se réduire?
Quand on voit “le marché” breveter le vivant, s’emparer de la création culturelle, faire pièce à l’économie sociale, se rendre propriétaire de biens qui appartiennent à tous, privatiser des services collectifs… on se demande quels biens et quels services seront encore capables de résister à toute évaluation marchande.
L’évolution du monde contemporain, tout au moins dans nos sociétés occidentales, ne va-t-elle pas précipiter la fin de “l’esprit du don” et de la solidarité? Cette question est à la base d’une réflexion passionnante de l’anthropologue français Marcel Hénaff (1).
En apparence, dit-il, le débat semble clair: “ Ce qui ne peut se vendre , c’est ce qui doit se donner .” Le don serait ainsi l’antithèse du commerce. Et certains ont même rêvé d’une “économie du don” qui ferait pièce au système capitaliste.
Or, dit-il, cette alternative n’est pas pertinente “ parce que l’on tend ainsi à placer aux deux extrémités d’un même plan le don et le commerce comme s’il s’agissait de deux formes hétérogènes mais symétriques d’échanges de bien . L’une s’impose quand l’autre doit s’effacer …” Mais la relation de don, affirme Marcel Hénaff, n’est pas seulement un transfert de biens, un échange entre un donateur et un donataire, parce qu’elle ne porte pas tant sur les biens que l’on peut donner gratuitement que sur les valeurs de respect, d’attachement, de reconnaissance, de dignité qui y sont liées.
Et, c’est de cela, qui est source de lien social, “ que le processus de marchandisation voudrait nous délivrer’ en nous faisant entrer dans des logiques d’engagements purement contractuels , de risques savamment calculés , d’investissements garantis , de profits assurés et même de générosités rentabilisées .” Autrement dit, la logique du don affirme tranquillement que ce n’est pas de l’échange économique que l’on peut attendre la formation et le maintien du lien social.
Marcel Mauss l’avait bien compris en disant que “ donner n’est pas d’abord donner quelque chose , c’est se donner dans ce que l’on donne .” Voilà pourquoi il faut dire que la relation de don, même si elle se définit comme l’opposé du rapport marchand, n’a pas pour fonction de s’y substituer. Elle se joue sur un autre plan et elle ne cherche pas à empêcher l’échange monétaire dont, par ailleurs, on ne pourrait se passer.
Ce n’est pas l’argent comme outil d’échange qui pose problème. L’argent existe parce que nous avons besoin les uns des autres et qu’il nous permet d’échanger des services, des biens et des compétences selon des règles justes, en principe. Mais l’argent peut aussi être une imposture. L’argent peut rendre précieux ce qui ne l’est pas en lui donnant un prix élevé. L’argent peut donner de l’importance en procurant une position dominante à celui qui ne la mérite pas. Il peut aussi tricher avec le temps et le travail en permettant d’acquérir rapidement, par la spéculation, ce qui exige normalement de longs efforts.
Par ailleurs, “l’esprit du don” ne se réduit pas à une attitude moralisante. Ce n’est pas seulement faire la charité. C’est travailler à rétablir les conditions objectives d’une société juste, dans l’égalité et une chaleureuse solidarité. C’est ici que la marchandisation généralisée que l’on connaît aujourd’hui fait problème.
Marchandisation veut dire que tout a un prix et que tout peut faire l’objet d’une négociation profitable . Ainsi , une multitude de services que , traditionnellement , on se rendait gracieusement les uns aux autres , créant ainsi des liens de confiance et de soutien , tendent à être rémunérés ”.
La plus grave menace de la marchandisation, mais elle est imperceptible, est de fonder une nouvelle normalité: tout ce qui nous concerne peut et doit s’acheter. Tout, selon cette logique devrait être payant: le sport, la fête, la santé, l’enseignement… avec ce corollaire qu’aucune activité ne doit être développée si elle n’engendre pas des profits (privés).
C’est ainsi que l’on fait des économies sur la sécurité parce qu’elle coûte trop cher, que les loisirs doivent être rentables, que la recherche ne doit “trouver” que des produits commercialisables…
Nous risquons alors de vivre dans un monde de plus en plus étriqué puisque le marché ne peut offrir que ce qui peut se vendre.
Christian Van Rompaey
Article paru initialement dans le dossier ‘Soins de santé: un marché lucratif’ de la revue ‘Contact’ publiée par la Fédération de l’Aide et des Soins à Domicile (n° 121, octobre-novembre 2009), et reproduit avec l’aimable autorisation de la revue et de l’auteur. (1) C’est le thème d’un ouvrage essentiel de Marcel Hénaff, Le prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie. Le Seuil (2002).

Grippe A/H1N1. De la désinformation à la peur…

Le 30 Déc 20

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La vedette 2009 aura été incontestablement la grippe A/H1N1v (1), quel que soit le nom que lui ont donné les responsables politiques, scientifiques ou les médias. Mais il est peut-être intéressant de se pencher sur ce succès soudain… Un besoin de catastrophisme, une menace réelle ou la grippe aurait-elle été seulement «première» à un concours de circonstances? Tentatives de réponses…

Une grippe pas comme les autres?

Tout d’abord, qu’a fait cette grippe de si particulier pour avoir suscité un tel émoi? Quelle est sa différence avec les autres?
Pratiquement rien! Cependant, direz-vous, à l’échelle du code génétique d’un virus, il en faut probablement peu pour passer de l’innocuité à la maladie mortelle! C’est vrai. Grosso modo, les virus grippaux sont forgés à partir du même moule. Cependant, il en existe de 3 types: A, B et C. Ils comportent du matériel génétique sous forme de 8 brins indépendants qui sont entourés par une enveloppe. Celle-ci comporte pour tous les types une protéine de type M qui est la base de l’enveloppe. Ensuite, dans les virus A et B, deux protéines doivent être distinguées: les hémagglutinines (H) et les neuraminidases (N). Vu la variation de ces protéines, on leur octroie un numéro selon leur conformation: 1, 2, 3… Chez les virus de type C, il n’y a qu’une seule protéine.
La combinaison des deux protéines pour les virus A renseigne ainsi sur le virus: H1N1, H9N2, etc.
Cette variation est due à des mutations aléatoires des protéines. Parfois ces mutations sont minimes; parfois elles sont plus importantes et sont dites majeures. Ce sont ces dernières qui peuvent donner lieu à une pandémie. En effet, la modification du virus est telle que personne ne l’a jamais rencontré et il constitue donc une nouveauté pour le système immunitaire humain. Le plus souvent cette recombinaison survient chez un animal (canard) qui le transmet à un autre (porc) pour arriver jusqu’à l’homme. Or avant que ce dernier réagisse, il faut un peu de temps. Le virus a alors l’occasion de créer plus de dégâts à l’organisme, mais aussi de se propager dans la population humaine.
C’était le premier motif d’inquiétude des autorités sanitaires concernant le virus A/H1N1. Celui-ci ne correspondait à rien de connu.
Les virus de la grippe sont des Orthomyxovirus du genre Influenzavirus. Ce nom Influenza (qui donne en anglais «Flu», prononcez «Flou») viendrait d’une expression italienne «influenza di freddo», influence du froid, ce qui rend compte du caractère saisonnier de la maladie (même si on peut contracter une grippe en été).
Il s’agit du deuxième motif d’inquiétude: le caractère non saisonnier de cette grippe a fait craindre une transmission très facile du virus. Et c’est effectivement le cas! En Belgique, le premier pic épidémique de cette grippe apparaît à la fin du mois d’octobre 2009 alors que l’épidémie grippale classique atteint son paroxysme en février habituellement.
Les symptômes grippaux sont bien connus: douleurs articulaires et musculaires, fièvre, troubles gastro-intestinaux… Habituellement ceux-ci passent rapidement et la maladie touche principalement les personnes à risque: les personnes âgées, les malades chroniques (cœur, rein, poumons), les diabétiques et les femmes enceintes… Bien sûr, sans surprise la grippe A/H1N1v a atteint aussi ces personnes, mais elle a touché aussi et surtout des jeunes adultes de 30-40 ans en parfaite santé et sans risque ajouté.
La gravité de la symptomatologie chez certaines de ces personnes constitue la troisième raison d’inquiétude, car le mécanisme par lequel agit le virus semble prendre tout le monde au dépourvu. Ce n’est que récemment que cela a été expliqué en partie du moins puisque ce virus s’attaquerait plus facilement aux poumons en provoquant une réaction immunitaire paroxystique détruisant tout sur son passage.
Par chance, cette réaction immunitaire aberrante est rare. Mais elle est suffisamment grave pour faire craindre des conséquences dramatiques au sein de la population. La question des enfants a également été soulevée au cours de cette épidémie. Habituellement, ils sont exclus des programmes de vaccination. Tout d’abord, on considère (à tort) que la grippe ne les atteint pas ou dans une moindre mesure que les adultes. Cette notion est fausse et plusieurs études montrent que les conséquences peuvent au contraire être très importantes allant jusqu’à des méningites. Cependant, les symptômes qu’ils présentent ne sont pas reconnus comme étant ceux de la grippe. Ensuite, il n’est pas matériellement possible de produire autant de doses pour vacciner tous les enfants. Et d’un point de vue économique, le coût ne pourrait pas être supporté par la communauté, ce qui ne serait pas éthique… Notons quand même que pour cette fois, les autorités sanitaires leur ont trouvé des vaccins. Et avec raison. Une étude toute récente publiée dans le très sérieux The Lancet montre que les enfants anglais ont été probablement les plus grands diffuseurs de la maladie dans nos sociétés. La raison est à rechercher d’une part dans le fait que la maladie n’est pas reconnue chez eux, et d’autre part, parce qu’ils restent contaminants bien longtemps après la disparition des symptômes (voir l’encadré pour plus de détails).

Mexicaine ou californienne?

Mais d’où vient ce virus? Voilà la question qui était sur toutes les lèvres lorsque l’épidémie s’est déclarée. Et c’était une quatrième source d’angoisse.
La réponse n’est venue que bien plus tard: le premier cas se situe aux alentours de fin mars 2009, dans l’État de Vera Cruz au Mexique. Cependant, cette découverte est remise en question et le premier cas serait survenu 15 jours plus tôt, voire en janvier 2009.
Cela n’a pas tellement d’importance, car il faut distinguer l’origine du premier cas de l’origine du virus! Concernant celle-ci il y a peu de chance qu’on puisse retracer l’histoire de la recombinaison du virus. Ce que l’on sait est qu’il s’agit d’un virus dont différents éléments viennent de l’homme, du porc et d’oiseau, probablement des canards. Le Center for Diseases Control (CDC) estime qu’il y a 4 virus différents qui ont participé à ce réassortiment, soit du «jamais vu», selon les spécialistes.
Comme le cas a été découvert au Mexique, le qualificatif de mexicaine a été rapidement attribué à cette grippe. Pourtant il faut savoir qu’habituellement, le nom donné au virus vient de la ville ou de la région du laboratoire où il a été isolé la première fois. En l’occurrence, c’était en Californie, la souche actuelle porte d’ailleurs le nom de «California 2009». On aurait donc dû parler de «grippe californienne», ce qui on s’en doute n’était pas bien vu par les autorités sanitaires… américaines.

Pandémie ou pas pandémie

Les mots des maux ne sont pas sans effet secondaire! Et ils s’avèrent même être la cinquième source d’inquiétude.
Par définition, une épidémie est l’émergence de nombreux cas d’une maladie dans une région déterminée tandis que la pandémie concerne de nombreux pays voire une extension au niveau mondial. L’Organisation mondiale de la santé définit 6 phases pour une pandémie (voir tableau ci-dessous)

Tableau: les différentes phases d’une pandémie (Source OMS)

Phase 1

Aucun cas d’infection chez l’homme due à un virus circulant chez les animaux n’a été signalé.
Phase 2 On sait qu’un virus grippal animal circulant chez des animaux domestiques ou sauvages a provoqué des infections chez l’homme et il est de ce fait considéré comme constituant une menace potentielle de pandémie.
Phase 3 Un virus grippal réassorti animal ou animal-humain a été à l’origine de cas sporadiques ou de petits groupes de cas de maladie dans la population, mais n’a pas entraîné de transmission interhumaine suffisamment efficace pour maintenir les flambées à l’échelon communautaire.
Phase 4 La transmission interhumaine d’un virus grippal réassorti animal ou animal-humain capable de provoquer des flambées à l’échelon communautaire a été vérifiée.
Phase 5 Le virus identifié a provoqué des flambées soutenues à l’échelon communautaire dans au moins deux pays d’une même région OMS.
Phase 6 Outre les critères définis pour la phase 5, le même virus a provoqué des flambées soutenues à l’échelon communautaire dans au moins un pays d’une autre région de l’OMS.

Or ce qu’il faut savoir est que dans une définition précédente, le nombre de personnes infectées et le nombre de décès dus à la maladie étaient pris en considération. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Il se fait que les responsables du CDC ont affirmé que sur base des données disponibles au 1/5/2009, il fallait estimer qu’une personne sur 20 infectées était détectée. Si les chiffres obtenus par l’OMS sont multipliés par 20, cela fait froid dans le dos. En fait, rien de neuf sous le soleil: on connaît la même proportion pour la grippe saisonnière.
Les explications des autorités n’étaient pas toujours claires. D’ailleurs, d’autres responsables du CDC annonçaient en même temps que le nombre de cas est sous-estimé, mais que la dangerosité du virus n’atteint pas celle du virus de la grippe de 1918.
Il n’en faut pas plus pour accuser l’OMS de favoriser ainsi l’industrie pharmaceutique (voir «Le grand complot?»). On ne peut pas dire que l’industrie n’a tiré aucun profit de l’opération, mais en l’occurrence il faut savoir aussi que l’OMS avait apporté ce changement de définition à cause de la grippe H5N1 dès 2005.
Par ailleurs, plusieurs voix se sont élevées dès le mois d’avril 2009 estimant au contraire que l’OMS n’allait pas assez vite pour relever le niveau d’alerte. Encore une fois, c’est la peur qui a incité les autorités internationales à agir. La peur, certes mais la pression des États aussi.
En augmentant le niveau d’alerte, l’OMS a permis également à toute une série de mesures préventives d’être prises. Bien sûr, on ne peut pas savoir ce qu’aurait été la pandémie sans celles-ci, plus grave ou identique, mais reconnaissons qu’elles ont probablement contribué à la limitation des dégâts dans nos pays industriels.
Attention en effet! Le virus circule toujours et il risque d’être bien plus mortel dans les populations les plus pauvres de la planète. C’est la raison pour laquelle la vigilance reste de mise et qu’une aide doit être proposée de manière proactive par nos dirigeants aux pays en développement.

Comme un ouragan…

Le tsunami médiatique qu’a soulevé le vent de la grippe A/H1N1v restera certainement dans les annales des écoles de journalisme. Si l’objectif des autorités sanitaires mondiales et nationales était de ne pas engendrer de panique, leur but a été réduit à néant par les médias qui en ont fait leurs choux gras.
Toute proportion gardée, il faudrait analyser le bénéfice net récolté par les médias avec tout ce battage et le mettre en balance avec celui de l’industrie pharmaceutique. Si les derniers chiffres sont potentiellement accessibles, les premiers ne le seront jamais… Transparence?
Peut-on alors en vouloir aux médias? La réponse est évidemment négative pour ceux en tout cas qui ont tenté d’y voir clair dès le départ. Or, et c’est là où le bât a blessé, la plus grande confusion régnait auprès des scientifiques interviewés.
La réponse la plus détestée probablement par un journaliste est quand la personne se trouvant en face de lui avoue honnêtement son ignorance. Or il en est souvent comme cela en sciences: on peut souvent plus qu’on ne sait. Le réflexe journalistique veut, mû probablement aussi par une parano professionnelle et un besoin de scoop, que l’on mette en doute celui qui dit qu’il ne sait pas. Avec un peu de manque de discernement, la nécessité de publier et la pression du rédacteur en chef, le journaliste trouvera «l’expert» qui voudra bien lui révéler quelque chose. C’est évidemment la porte ouverte à un grand charivari où la science n’a finalement plus grand-chose à voir.
Doit-on en vouloir aux journalistes alors? Encore une fois, ils ne sont responsables que de ce qu’ils écrivent, relatent ou narrent et cela, normalement, ils ne l’inventent pas! Face à des communiqués de presse de plus en plus alarmants émanant de différentes autorités, la tendance est forcément de toujours aller vers le pire. Ce «pire» relayé par les médias est amplifié par d’autres et repris par ces mêmes autorités. On arrive très vite à un phénomène similaire à une bombe nucléaire.
De plus, le message manque de cohérence, mais encore une fois, il semble que c’est la crainte d’une violente flambée pandémique mortelle qui dirige la manœuvre. Le premier rapport officiel date du 24/04/2009 et fait mention de quelques cas, 4 jours plus tard, une quarantaine de laboratoires américains confirme avoir retrouvé du H1N1 nouveau variant!
Il y a de quoi perdre son calme même si on ne déplore pas de décès. Le décès du premier patient ajoutera encore à la frénésie de contrôle des autorités. Il faut dire à leur décharge que la mortalité due aux H5N1 était beaucoup plus importante et que la dangerosité du virus n’était pas connue. Si un virus tue rapidement, il ne pourra se répandre que sur un petit nombre de personnes, comme c’est le cas pour le virus Ébola, par exemple. En revanche, s’il provoque des maladies mortelles, mais à long terme, il aura évidemment l’occasion de contaminer un grand nombre de personnes comme pour le papillomavirus humain. Entre ces deux extrêmes, toutes les variantes sont possibles.
Le paroxysme de l’incohérence est atteint lorsque l’OMS décide de relever le niveau d’alerte au maximum tout en demandant aux personnes de ne pas paniquer! Or ce que n’expliquent pas immédiatement (ou mal) les autorités est que ce relèvement de niveau d’alerte répond à une définition mathématique permettant la mise en place d’une surveillance mondiale de la maladie et du virus avec l’accession pour les états à des budgets réservés à cette fin. Il s’agit aussi d’un signal auprès de l’industrie pour le début de la fabrication d’un nouveau vaccin.
Le public comprend, lui, que nous sommes face à une menace imminente de mort!
La nouvelle se répand d’autant plus vite que les réseaux sociaux tels Facebook, Twitter, etc. amplifient une fois de plus la rumeur qui tient plus de la crise de folie collective que de la simple crainte.
La faute à qui? Nous sommes habitués à devoir trouver des responsabilités. Il faut bien avouer qu’au début la crise a été globalement assez mal gérée au niveau mondial. Vu les mutations forcément aléatoires du virus, il est difficile de prévoir la réponse autrement dit le vaccin à fabriquer. Toutes les firmes s’étaient attachées à créer un vaccin anti-H5N1 depuis 2005, d’autres laboratoires cherchaient à créer un vaccin absolu dirigé contre une protéine non variable du virus. Les spécialistes de la grippe estimaient lors du congrès trisannuel de l’European Scientific Working group on Influenza (ESWI, https://www.eswi.org ) en septembre 2008 que la menace viendrait d’un virus H9N2 et non d’un H5N1… Quelques mois plus tard, c’était le H1N1v qui frappait à nos portes. Pas simple!
Par ailleurs, beaucoup se sont plaints du délai qu’il fallait pour élaborer un vaccin. Deux soucis existaient.
D’une part, il fallait concevoir un vaccin inactivé correspondant au virus H1N1v sans entraver la production du vaccin contre la grippe saisonnière qui permet de protéger contre 3 autres types de virus de la grippe. Or à ce moment, il n’était pas possible de créer un vaccin sur cellules, mais uniquement à partir d’œufs fécondés. L’équation pour le vaccin contre la grippe saisonnière est simple: un vaccin, un œuf! En effet, on peut créer trois doses dans un œuf mais comme il y a trois types contre lesquels protéger, il faut donc un œuf par personne. Obtenir des œufs fécondés suppose non seulement d’avoir des poules pondeuses en suffisance, mais aussi des coqs fertiles… La question soulevée par le vaccin contre le H1N1v est d’un autre ordre puisque pour cette grippe pandémique, il fallait obtenir beaucoup de doses de vaccins protecteurs en peu de temps. L’utilisation d’adjuvants (2) était alors très logique. C’est l’option retenue par la firme GlaxoSmithKline, contrairement à Baxter par exemple.
Les firmes productrices comme Sanofi Pasteur, Novartis en plus des deux précédentes, avaient bien auparavant consacré des budgets importants en recherche et développement pour un vaccin contre le H5N1. Ils étaient prêts à réagir mais un vaccin ne se fabrique pas sans précaution et il eut été irresponsable de ne pas lui faire subir les tests habituels de sécurité et d’innocuité même si ceux-ci ont dû être accélérés.
Du côté des autorités publiques en Belgique, le plan était également prêt et a bien fonctionné dans l’ensemble. À posteriori, il apparaît que l’isolement des personnes potentiellement atteintes s’est avéré salvateur et a permis de limiter rapidement la propagation du virus.
Chez nos voisins français, la quarantaine n’a pas été respectée et le nombre de cas par habitant a été proportionnellement bien supérieur.
On peut reprocher un certain cafouillage de communication envers les professionnels de la santé, pharmaciens et médecins. Une fois de plus, cela s’est produit à certains moments de grande tension et quand les discours étaient peu clairs, voire discordants. C’est donc probablement une des leçons à retenir: il faut une communication cohérente et validée tant sur le plan scientifique que politique, ce qui n’est pas toujours facile à concilier.
Si on se place du point de vue des Belges, le CRIOC a publié récemment les résultats d’une enquête très intéressante. Elle se base sur 660 interviews téléphoniques chez des particuliers de 17 ans et plus (avec une marge d’erreur de 3,9%, les résultats peuvent donc être considérés comme significatifs). Elle a été menée entre le 13 et le 28/01/2010, soit après la crise.
Le public semble rassuré par rapport à la grippe dans 52% des cas et pas très inquiet dans 30%. Les personnes interrogées se disent d’ailleurs très bien informées (46%) ou bien informées (42%). Seuls 2% estiment ne pas être informés. Les Belges connaissent d’ailleurs très bien les mesures préventives comme l’hygiène des mains ou éviter un contact avec un malade.
En revanche, seuls 42% estiment que la vaccination contre la grippe est un «geste de prévention». Il y a une nette différence entre francophones (25%) et néerlandophones (55%) qui estiment la vaccination comme utile d’un point de vue préventif. Les trois quarts des personnes vaccinées contre la grippe saisonnière en sont convaincus également.
Près de 90% des personnes interrogées pensent qu’il est important que les personnes à risque se fassent vacciner et aussi que le vaccin contre la grippe A/H1N1v est efficace. Cela dit, la moitié des Belges pensent que ce vaccin comporte un risque pour la santé.
Un tiers des personnes interrogées pensent qu’une cure de vitamine C permet de réduire le risque de grippe (3).
Concernant l’action des autorités, elle est considérée comme trop importante par rapport à la menace réelle par 42% de la population, et 39% des gens estiment qu’elles font ce qu’il faut. Le bilan n’est donc pas négatif de ce point de vue.

Le «grand complot»

La peur engendre des réactions diverses, mais peu cristallisent aussi fort l’attention que celles qui concernent la vaccination, et ce depuis la première expérience de Jenner au XIXe siècle.
Il faut dire que la variolisation importée de pratiques du Moyen-Orient engendrait effectivement des effets secondaires importants, les «variolisés» développant même la maladie.
Pasteur et d’autres à sa suite ont permis la mise au point de vaccins de plus en plus sûrs et de plus en plus efficaces. Malgré tout, les fantasmes et les peurs persistent. Ainsi, ce n’est que récemment que le Lancet a accepté de retirer un article célèbre qui accusait, sur base de 12 cas rapportés, le vaccin contre la rougeole, la rubéole et les oreillons de provoquer un autisme chez les enfants vaccinés… Cet article, publié il y a 12 ans, avait fait l’objet d’une polémique. Plusieurs dizaines d’équipes de chercheurs ont tenté de reproduire les résultats comme cela se fait en science, mais rien à faire! Tous sont arrivés à la même conclusion: il n’y a aucun lien entre vaccin RRO et autisme. Le même type de craintes était apparu entre le vaccin anti-hépatite B et la sclérose en plaques. Encore une fois, aucun lien n’a pu être établi.

Comme Caïn !

Pour en revenir à l’influenza, lors de l’épidémie de grippe due au type New Jersey, un autre A/H1N1 montrant beaucoup de similitudes avec celui que nous connaissons aujourd’hui, la campagne de vaccination a été liée à l’apparition de syndrome de Guillain-Barré (4). Des études rétrospectives menées après l’épidémie ont montré que le risque de développer cette maladie était 10 fois plus important si on était atteint par la grippe ou une autre infection. Il est apparu que le nombre de cas chez les personnes vaccinées n’excédait pas ce qui était attendu dans la population générale. Toutefois, la mise en place d’un réseau de vaccino-vigilance a permis de détecter les cas plus tôt qu’auparavant. C’est notre point de vue qui change et non la maladie elle-même…
En parcourant ce qui est paru sur les blogs et autres réseaux sociaux, on s’aperçoit que la crainte liée au vaccin est liée à celle de l’implantation de micropuces électroniques chargées de nous surveiller, un peu comme l’œil divin sur Caïn!
Pour d’autres professionnels de la presse pseudoscientifique à sensation, la grippe A/H1N1v serait une arme biologique de destruction massive pour «lutter contre l’explosion démographique», explique une certaine Kerry Cassidy (membre fondatrice de Camelot) dans la revue «Dossiers Secrets d’États» de décembre 2009.

Série B

Plus loin dans la même revue, on retrouve une interview de Jane Burgermeister, une journaliste autrichienne. Celle-ci a été au centre d’une polémique lorsqu’elle a mis «au grand jour» un «complot» visant à intoxiquer nos contemporains par un vaccin anti-grippe falsifié de manière volontaire. Il faut dire que son curriculum vitae la place comme journaliste chez Nature et Science. Cela appuie donc forcément ses propos.
Son récit semble sorti de la littérature d’espionnage des années de Guerre froide. Elle voit dans la préparation de l’OMS et des États une opération coordonnée volontaire (jusque-là elle a raison) afin de vacciner les gens avec du matériel contaminé par d’autres virus comme celui de la grippe H5N1 (là, elle dérape…). Elle préconise donc de refuser le vaccin, de porter un masque et de consommer des vitamines C et D3. Elle porte plainte auprès des autorités autrichiennes et fait même enregistrer sa plainte auprès du FBI, incriminant l’industrie pharmaceutique, les dirigeants américains, les financiers, etc. Rien que ça! Elle affirme même que la «population mondiale» a refusé de se faire vacciner, prenant pour preuve des réactions de personnes sur des blogs…
Tout cela prêterait à rire si cela ne contribuait pas à la désinformation globale, probablement plus délétère que la grippe elle-même.
En serons-nous à désirer, pour résoudre la crise économique et démographique qui transparaît en toile de fond de l’argumentation de Burgermeister une «bonne grippe» comme d’aucuns à une époque que l’on espère révolue, souhaitaient une «bonne guerre»?
Cynisme inhumain qui voyait dans la décapitation de villes entières lors des grandes épidémies de peste, l’opportunité de mettre en place de nouveaux gouvernants, voire aujourd’hui un «nouvel ordre mondial»…
Or plus on lutte contre ce genre de théories, plus elles s’en alimentent, renforçant ainsi leurs propres hypothèses paranoïdes. Ne pas les combattre, les ignorer revient à se taire, argument qu’elles n’hésitent pas à utiliser puisque «qui ne dit mot, consent!». Pour Denis Duclos , anthropologue au CNRS, dans le Monde Diplomatique (09/2009), c’est le passage à travers la peau qui engendrerait cette peur, «qui constituerait le noyau du fantasme».

Prix à payer !

Autre aspect polémique né de l’utilisation de ces vaccins, les profits réalisés par l’industrie pharmaceutique grâce à l’aval de l’OMS et de ses experts. Accuser les laboratoires pharmaceutiques d’avoir organisé la crise et la panique qui a suivi est méconnaître l’histoire. Les scientifiques assurent depuis plus de 20 ans que nous devrons faire face à une mutation majeure du virus grippal. A l’époque, nous ne possédions aucune arme de réaction rapide. Avec l’arrivée des antiviraux comme le Tamiflu® et le Relenza®, les cliniciens ont pu un peu respirer, mais nous ne disposons toujours pas d’un vaccin qui serait efficace contre tous les virus grippaux à la fois. Que l’industrie ait fait des profits dans cette affaire, il fallait s’y attendre. Reprocherait-on aux aciéries d’augmenter leur chiffre d’affaires quand la demande en acier se fait plus forte sur les marchés mondiaux?
La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût! De plus, l’industrie du vaccin a payé cher la recherche et le développement de ces vaccins pandémiques. Rappelons qu’au départ, elle travaillait sur le H5N1 et non sur le H1N1.
Que les experts qui ont été appelés par l’OMS soient également impliqués dans la recherche fondamentale ou clinique de ces mêmes vaccins ne peut étonner que ceux qui ignorent que ces experts travaillent bien souvent dans les meilleurs laboratoires de recherche universitaire. Or ils sont obligés de développer des contacts et des contrats avec l’industrie pharmaceutique pour la subsistance même de leur laboratoire. Et c’est parce que ce sont les meilleurs et les plus renommés qu’ils ont été appelés par les instances internationales en tant qu’experts.
Cependant, on ne peut effectivement s’empêcher de penser à l’importance démesurée donnée à cette grippe alors que sa cousine saisonnière fait bien plus de victimes dans le silence, sans même parler de la malaria (plus d’1 million de morts par an) ou d’autres maladies touchant les pays les plus pauvres. La peur comme la vie n’ont pas le même prix partout…

Que reste-t-il alors de toutes les accusations? Une série de faits qui ne peuvent être reliés les uns aux autres, une suite de coïncidences… Que certains lots de vaccins contaminés aient été retirés du marché, c’est certain; que certains aient retiré des bénéfices de la crise, c’est tout aussi probable, mais que l’on estime dès lors qu’il s’agit d’un vaste plan de destruction massive faisant intervenir des illuminati (5) et autres «anges et démons» tient du mauvais roman fantastique.
Que nous restions vigilants, en proie au doute, quoi de plus normal, quoi de plus sain? Toutefois si ce doute se mue en peur, voire en obligation d’avoir peur de l’autre, s’ouvre alors une boîte de Pandore libérant toutes les errances humaines, de celles qui ont mené à la mort de populations entières où la grippe ou d’autres infections n’ont aucune responsabilité…
Pierre Dewaele , journaliste Polyhedra

Grippe A/H1N1 – L’avis du Commissariat belge

Depuis avril 2009, plus personne n’ignore qui est le Dr Daniel Reynders , le coordinateur stratégique de la Cellule influenza, tant il a été sollicité par les médias. Aujourd’hui alors que nous sommes en phase post-épidémique, nous lui avons demandé quelles étaient ses impressions et les leçons à retirer des événements qui ont émaillé l’année dernière.
On sait que la vaccination n’a pas connu le succès qu’on supposait. Pourriez-vous nous dire la quantité de vaccins utilisée en Belgique?
Concernant les doses de vaccins, nous avons commandé à la firme GlaxoSmithKline 12,6 millions de doses. Vu la faible virulence du virus A/H1N1v, une réduction d’environ 30% des doses commandées a pu être obtenue, ce qui nous donne un stock d’environ 8 millions de doses dont 2,2 millions ont été distribuées dans les pharmacies.
Par ailleurs à la demande de l’OMS, la Belgique a donné plus de 1,2 million de doses pour permettre une vaccination gratuite dans les pays en développement. Le choix de la quantité de vaccins à produire a été réalisé en 2005-2006 donc bien avant qu’une pandémie se déclare. À ce moment-là, nous vivions avec le spectre du virus H5N1 qui était beaucoup plus dangereux que celui que nous avons connu en 2009. Il était donc raisonnable de vouloir protéger le plus de monde possible.
Concernant les coûts, il est trop tôt pour pouvoir réaliser un bilan définitif (6). Il faudra attendre les chiffres des mutuelles pour en savoir plus car les médecins apposaient sur le bordereau de consultation les lettres VGA (pour Vaccin Grippe A). La consultation était alors remboursée complètement au patient.
Dans les hôpitaux, la vaccination était totalement gratuite et bien enregistrée, donc nous avons dans ce cas des chiffres précis.
Est-ce à dire que 2,2 millions de résidents en Belgique ont effectivement été vaccinés?
Non, là encore on manque de données puisqu’en dehors des hôpitaux, l’enregistrement des vaccinations n’a pu être effectué de manière suffisamment précise. En effet, certains médecins généralistes ont refusé d’utiliser la plateforme e-Health .
Ce refus dépasse de très loin la problématique soulevée par le vaccin, mais le résultat est que nous n’avons pas de chiffres fiables à l’heure actuelle. Le remboursement VGA nous renseignera mais il est probable que nous n’atteindrons pas les 2,2 millions de personnes vaccinées. Un certain nombre de médecins ont sans doute gardé une réserve de vaccins chez eux; de plus, comme il s’agissait de flacons contenant 10 doses, il se peut que toutes n’aient pas pu être utilisées dans le délai imparti et ont atteint leur péremption avant l’injection. Quoi qu’il en soit, il est raisonnable de penser qu’ environ 2 millions de personnes en Belgique ont effectivement été vaccinées.
Quel est le coût d’une telle campagne?
Le budget qui a été voté devait tenir dans une enveloppe de 110 millions d’euros, dont 80 ont été consacrés à l’achat des vaccins. À cela, il faudra ajouter tous les autres frais de logistique, de communication et, bien sûr, le remboursement des consultations. On dépassera probablement les 100 millions. Cela étant, les consultations remboursées à 100% pour la vaccination des personnes à risque ont permis probablement d’éviter d’autres consultations et la prescription d’autres traitements. N’oublions pas non plus que la grippe est responsable d’un absentéisme important et qu’elle tue aussi par les complications qu’elle engendre. Si celles-ci ne sont, heureusement, pas toutes mortelles, elles induisent une invalidité plus ou moins longue et un taux d’hospitalisations non négligeable. C’est l’ensemble de ces bénéfices qu’il faudra prendre en compte dans le décompte final.
Au moment de la campagne de vaccination, on a connu un certain flottement. Les autorités ne semblaient pas très bien savoir comment gérer cette situation, comment l’expliquez-vous?
Nous avions un plan prévu au départ pour vacciner le plus de monde possible en un minimum de temps. La méthode la plus efficace est de rassembler les personnes et de réaliser une vaccination de masse via un plan communal. Ceci a été décidé sur base d’un virus grippal dangereux et qui se répand vite.
Le plan des hôpitaux a bien fonctionné, mais le virus étant heureusement moins virulent que prévu, les experts ont recommandé de vacciner certains groupes à risque. Nous avons donc dû passer à un autre système impliquant les pharmaciens et les médecins généralistes, ces derniers étant effectivement les mieux placés pour vacciner les personnes à risque dans ce contexte.
Quels sont les enseignements que l’on peut retirer de cette expérience?
Tout d’abord, nous avons découvert avec cette pandémie, et cela se reproduira encore dans le futur, que nous ne pouvons jamais être totalement préparés à ce qui va se passer. Nous pensions le virus plus dangereux qu’il n’était, heureusement. C’est donc un élément important à intégrer dans notre plan d’action et à expliquer à la population. Ceci permet de mieux comprendre ce qui se passe pendant et après la crise. L’investissement qui a été fait paraît peut-être démesuré aujourd’hui, mais il se justifiait parfaitement. Il est très probable que la même prudence serait de mise si une autre crise devait survenir dans le futur.
Ensuite, si on additionne le nombre de personnes qui ont contracté cette grippe (symptomatiques ou non) et le nombre de personnes vaccinées, cela laisse tout de même un grand nombre de personnes susceptibles d’être contaminées lors d’une prochaine épidémie. Le suivi épidémiologique des virus de la grippe nous apprend d’ailleurs que le nombre de personnes atteintes par le A/H1N1v ira croissant pendant quelques années puis sera remplacé par un autre type du virus de la grippe.
Je pense aussi que les autorités sanitaires au niveau mondial comme au niveau national n’ont pas compris l’importance des mouvements d’opinion mettant en doute l’intérêt de la vaccination. On peut s’interroger sur les conséquences de telles mouvances si nous avions été face à une maladie grave. C’est donc un élément à prendre en considération d’autant plus qu’aujourd’hui avec les réseaux sociaux, l’information (quelle que soit sa qualité) circule beaucoup plus rapidement qu’auparavant.
Enfin, les professionnels de santé de première ligne, les médecins généralistes, les pédiatres, les gynécologues et les pharmaciens, devraient peut-être mieux prendre conscience qu’il est essentiel de se préparer à ce type d’événements. Les autorités, de leur côté, doivent mieux organiser leur réponse en tenant compte justement de ces intervenants de première ligne.
Cette crise a permis de créer des partenariats, nous devons entretenir ces bonnes relations.
Propos recueillis par Pierre Dewaele

Et les enfants alors ?

On l’a dit par ailleurs, les enfants sont contaminés par le virus de la grippe, sont malades et la transmettent facilement. Selon le Conseil supérieur de la santé (CSS), il s’agit des vecteurs principaux du virus dans nos populations. Ils peuvent contaminer des personnes potentiellement à risque comme leurs grands-parents.
Si on regarde les chiffres publiés par l’Institut scientifique de la santé publique, on s’aperçoit que le nombre de personnes contaminées est beaucoup plus important chez les moins de 14 ans que dans les autres tranches d’âge. C’est vrai non seulement pour la pandémie de la fin 2009 mais aussi lors du pic épidémique de janvier 2009 où le virus était de type H3N2.
Est-ce à dire qu’il faudrait dès lors vacciner tous les enfants? Aux USA, le CDC d’Atlanta recommande dans sa dernière publication de mars 2010 que le vaccin soit effectivement administré à tous les enfants à partir de 6 mois. En Belgique, le CSS y réfléchit depuis longtemps, mais soyons concret, la vaccination antigrippale des enfants pose plusieurs questions.
Comme on l’a dit, la création d’un vaccin se fait toujours actuellement sur des œufs. Ceux-ci peuvent être difficiles à obtenir. En Belgique, nous n’avons pas moins de 100.000 naissances par an. Il faudrait par conséquent environ 100.000 doses supplémentaires par rapport à ce que nous consommons déjà. Par ailleurs, l’allergie aux œufs semble être de plus en plus importante chez les enfants. Il faudra donc attendre le développement en suffisance de vaccins dits «cellulaires».
Autre question: le schéma vaccinal sera-t-il encore acceptable pour les parents avec un vaccin de plus à faire chaque année?
Côté positif, le vaccin est beaucoup plus efficace chez l’enfant que chez l’adulte ou la personne âgée. D’un point de vue sécurité, il est très sûr d’utilisation même chez les tout-petits.
Nous possédons l’une des couvertures vaccinales les plus fortes en Europe; il serait dommage que cela diminue en raison d’un vaccin de trop.
Enfin et c’est peut-être le plus grand frein, pour être efficace, il faudrait que cette vaccination soit gratuite. Or on voit mal comment la Communauté française pourrait supporter ce coût supplémentaire, alors qu’elle a déjà fortement augmenté son budget ‘vaccinations’ ces dernières années.
Vacciner les enfants contre la grippe se justifie d’un point de vue médical, scientifique et épidémiologique, mais ce bénéfice doit être mis en balance face à d’autres types de prévention tout aussi efficaces.
PDw

La grippe H1N1 et les médias sous la loupe

Une après-midi d’étude organisée à l’initiative de l’Observatoire du récit médiatique de l’UCL (ORM) a décortiqué le traitement médiatique de ce «non-événement» mondial le 26 mars dernier.
Les médias ont-ils été trop loin? Ont-ils espéré le pire? Ont-ils dramatisé l’événement? Ou ont-ils été à la traîne de l’OMS et des services de prévention des gouvernements? Toutes ces questions se posent, au lendemain d’un an de passions médiatiques autour de ce qui aurait dû être un événement planétaire: la grippe H1N1.
Il y a un an, la panique s’abattait en effet sur la planète: une grippe mortelle touchait le Mexique. Le pays était mis en quarantaine, l’OMS tirait rapidement la sonnette de l’alarme maximale et, dans le monde entier, on commençait à compter les morts tout en lançant d’imposantes campagnes de prévention.
L’épidémie annoncée dans nos contrées pour cet hiver n’a toutefois pas eu lieu. Et de drame, la grippe H1N1 est devenue un non-événement significatif du fonctionnement médiatique actuel.
Le traitement médiatique de la grippe a été au centre du travail mené par un séminaire de recherches de 3e cycle en information et communication à l’UCL. Le phénomène a été analysé à travers l’étude de cas précis de fonctionnement médiatique, à la fois en Belgique et dans plusieurs pays étrangers.
Rien de spectaculaire ne sort de l’analyse du ‘Soir’, du JT de France 2, ou du ‘Journal du médecin’, qui ne sont sans doute pas au départ les médias les plus friands d’informations ‘choc’.
Par contre, on observera avec intérêt la présence bien visible de la théorie du ‘complot’ dans la presse francophone canadienne (contamination nord-américaine oblige), la spectacularisation quasi fictionnelle du sort des ‘victimes’ dans les télés turques, et le vocabulaire ‘innocent’ de la chaîne ‘Al Jazeera’, qui qualifia systématiquement la grippe de ‘porcine’ plutôt que de ‘mexicaine’! On trouve parfois le contentieux Orient-Occident là où ne l’attend pas!
CDB
Dossier du n° 45 de Médiatiques – récit et société, une publication de l’ORM. En vente au prix de 6 euros au Département de communication sociale de l’UCL, ruelle de la Lanterne magique 14, 1348 Louvain-la-Neuve. Internet: https://www.comu.ucl.ac.be

(1) Grippe A/H1N1v: le petit «v» se trouvant à la fin signifie simplement qu’il s’agit d’un nouveau variant, une nouvelle variation génétique du virus de la grippe.
(2) L’adjuvant est une substance qui renforce simplement la réaction immunitaire et permet donc de réduire la quantité d’antigènes administrés par vaccin. En réduisant la quantité d’antigènes par dose, on peut donc augmenter le nombre de doses tout en gardant la même efficacité.
(3) Ce qu’aucune étude clinique n’a permis de démontrer à ce jour.
(4) Syndrome de Guillain-Barré: il s’agit d’une atteinte des nerfs entraînant des douleurs et des paralysies partielles, de manière transitoire, mais qui peuvent durer longtemps. La maladie est sévère et invalidante, pouvant aller jusqu’à nécessiter un séjour en réanimation. Traitée, elle peut être guérie, mais pas toujours sans séquelles. On connaît mal son origine exacte mais elle survient le plus souvent après une infection bactérienne, virale, etc.
(5) Il faut entendre ici illuminati au sens de la théorie du complot: organisation conspiratrice supposée, agissant dans l’ombre du pouvoir, contrôlant prétendument les affaires du monde au travers des gouvernements et des grandes multinationales et visant à l’établissement du Nouvel ordre mondial (définition de Wikipédia).
(6) Interview réalisée le 2/3/2010

Est-il éthique de faire de la prévention? Est-il éthique de ne pas faire de prévention?

Le 30 Déc 20

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Certains auteurs frappent les esprits lorsqu’ils arguent que la médecine préventive n’est pas éthique. Leurs arguments portent généralement sur l’inévitable conflit entre la liberté individuelle et les choix imposés par la santé publique. Ils mettent aussi en exergue la difficulté pour les généralistes de consacrer une partie du temps normalement alloué aux soins curatifs pour faire de la prévention. Certains vont même jusqu’à dire que la médecine préventive systématique sert les intérêts financiers des firmes pharmaceutiques (1). Nous vous proposons quelques réflexions à ce sujet.
La question de l’éthique en prévention n’est pas neuve. Plusieurs aspects poussent en effet le corps médical à une saine prudence dans ce domaine. Quatre de ces aspects nous semblent essentiels: la volonté de ne pas nuire; le respect de la liberté individuelle; le désir de justice sociale; la question de la responsabilité de la prévention.

Primum non nocere

Commencer par ne pas nuire à son patient, voici un principe d’Hippocrate bien ancré dans nos mémoires. Il est d’ailleurs régulièrement évoqué en médecine préventive pour justifier l’abstention. Non sans raison d’ailleurs.
Car la prévention s’adresse à des personnes a priori non malades, ou à tout le moins non atteintes de la maladie que l’on veut prévenir. L’acte que l’on pose dans ce cadre ne vient pas soulager une souffrance mais vise à éviter un évènement de santé potentiel. Or qui dit potentiel, dit qu’on n’est pas sûr que la personne qui est en face de nous présentera vraiment un jour ce problème de santé. Avant d’agir, mieux vaut donc être sûr du bien-fondé de cette action.
Des balises existent. Que ce soit en vaccination, en dépistage ou en modifications de comportement, des recommandations sont régulièrement publiées. Celles-ci se basent la plupart du temps sur des analyses coût/efficacité.
En matière de dépistage , le Conseil supérieur de promotion de la santé de la Communauté française a rappelé récemment les critères de l’OMS à appliquer aux examens de dépistage pour de bonnes pratiques (2).
Synthétiquement, on peut dire qu’un examen de dépistage ne se justifie que si la maladie qu’il dépiste est sévère, fréquente, curable, décelable très tôt dans l’histoire de la maladie et si son pronostic peut être amélioré grâce à une prise en charge précoce. Le test de dépistage doit être efficace mais aussi acceptable par la population, continu dans le temps (le test ne peut être pratiqué une fois pour toutes) et d’un coût raisonnable. Les programmes de dépistage doivent par ailleurs répondre à certaines caractéristiques d’organisation (par exemple en termes de délai le plus court possible entre l’examen et la transmission du résultat et entre le résultat et le traitement), de gestion, d’assurance de qualité et de respect de l’autonomie des personnes ciblées.
Il n’est donc pas question de recommander un dépistage de problème de santé que l’on ne peut soigner ou pour lequel le dépistage serait synonyme de diagnostic avancé dans le temps sans modification de l’évolution de la maladie. Il n’est pas question non plus de recommander un dépistage qui entraînerait un coût excessif pour le patient, un taux de faux positifs excessif (avec la batterie d’angoisse et de prise en charge médicale inutile que cela entraîne) ou un taux élevé de faux négatifs (avec la fausse réassurance qui y est liée et qui peut entraîner une perte de confiance dans l’examen, voire un diagnostic trop tardif car différé).
C’est ce qui explique un nombre relativement restreint de dépistages recommandés et une nécessité impérative d’évaluer en continu ces dépistages. Car ce qui semble être une évidence aujourd’hui peut être mis à mal demain.
En matière de vaccination aussi, des balises existent. L’efficacité du vaccin doit être démontrée, avec un nombre et une forme d’effets secondaires acceptables. La faisabilité d’obtention d’une couverture satisfaisante du groupe cible doit également être prise en compte. Car un taux insuffisant de couverture peut avoir des effets délétères sur la population notamment parce qu’il n’empêche pas la circulation de l’agent infectieux. Celui-ci peut alors toucher d’autres groupes non protégés de la population, des personnes plus âgées par exemple.
Dans ce domaine, protection individuelle et protection publique ne vont donc pas toujours de pair et certains actes opportunistes peuvent avoir des effets extrêmement négatifs sur la communauté. Ce fut le cas de la rubéole, dont la vaccination opportuniste ne permit d’atteindre que 60-70% de couverture avec un déplacement de l’infection chez les adultes et une augmentation du risque de rubéoles congénitales par primo-infection chez des femmes en âge de procréer. Une systématisation de la vaccination fut nécessaire et recommandée. La question de l’impact collectif d’une vaccination opportuniste ne peut donc être ignoré (et devrait peut-être être posée pour d’autres vaccins comme la varicelle par exemple).
Outre le dépistage et la vaccination, la prévention peut également appréhender les facteurs de risque des maladies. La consommation d’alcool, de tabac, l’obésité, le manque d’exercice physique ont montré clairement leur impact délétère sur la santé. Oui mais… ces comportements ne sont pas là par hasard et concourent à un certain équilibre de la personne.
Pour ne pas nuire en tentant de modifier ces comportements, il faut aussi des balises. Un savoir, un savoir-faire et un savoir-être mais aussi des relais à qui faire appel en cas de difficulté sont indispensables.

Respect de la liberté individuelle

Notre société a fait de la liberté individuelle une valeur centrale. Et l’on ne peut envisager un acte médical sans que le patient ne puisse y opposer un refus, ou à tout le moins ne puisse donner son consentement éclairé (hormis les situations de grande urgence, ce qui n’est pas coutumier de la prévention, reconnaissons-le). L’adhésion de la personne à qui on propose un geste préventif est cependant perçue comme plus importante qu’en curatif parce que son objet est le futur, le probable même.
En dépistage, trois critères de l’OMS évoquent clairement cette préoccupation.
1) La procédure de recrutement ne doit pas constituer une entrave à la liberté des gens de participer ou non au programme de dépistage.
2) Les participants potentiels doivent recevoir une information adéquate sur le pour et le contre d’une participation. Les bénéfices ainsi que les risques devraient également être bien connus des prestataires de soins.
3) Les campagnes grand public doivent promouvoir une large accessibilité du programme mais sans exercer une pression morale .
Avec ces 3 critères, on aborde donc la possibilité de refus, la nécessité d’informer et le respect de l’autonomie.
Malgré tout, il faut être clair. Pour qu’un programme de dépistage soit efficace, il doit atteindre une couverture suffisante de la population. Sinon, les moyens alloués à ce programme ne sont pas rentabilisés et le rapport coût/bénéfice est négatif. Donc un patient peut refuser mais il ne faudrait pas qu’ils soient trop nombreux à faire de même. En matière de vaccination, le raisonnement n’est pas différent. En cas de refus, non seulement l’objectif de protéger la population risque de ne pas être atteint mais en plus il risque de mettre particulièrement en danger des sous-groupes de population.
Et dans le domaine de la modification des comportements? C’est le domaine où la question de la liberté individuelle se pose de la manière la plus cruciale. Le style de vie est par essence individuel, fruit d’une histoire personnelle, participant (ou non) à l’équilibre de l’individu. Il ne peut être changé qu’avec l’accord, la volonté de l’individu concerné. Il n’est pas question d’imposer du jour au lendemain l’abstinence à tous les patients consommateurs de tabac, l’exercice physique à tous les sédentaires ou l’amaigrissement à toutes les personnes obèses. Et c’est heureux car on plongerait dans un totalitarisme préventif qui ne nous grandirait pas.
Alors comment gérer cette apparente contradiction: systématisation versus respect de la liberté individuelle? En abandonnant tout objectif collectif? Certainement pas. En donnant une information éclairée pour que chaque individu puisse choisir en connaissance de cause? Oui mais sans tomber dans la persuasion ou la pression morale. Alors? Et si nous pensions à la promotion de la santé?
Le concept de promotion de la santé rassemble différents niveaux d’actions: politique, organisation des services de santé, environnemental, communautaire. Certaines de ses caractéristiques peuvent nous être utiles.
Un des objectifs clé de la promotion de la santé est de favoriser la participation des populations. La définition de la promotion de la santé telle que proposée par l’OMS en 1986 est « le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé , et d’améliorer celle ci . Cette démarche relève d’un concept définissant la santé comme la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part , réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et , d’autre part , évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui ci .
La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne , et non comme le but de la vie ; il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles , ainsi que les capacités physiques . Ainsi donc , la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire : elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien être
En promotion de la santé, le citoyen doit recevoir les moyens de prendre une décision sur sa santé en toute connaissance de cause. Cela implique que ce citoyen ait le savoir mais aussi que l’on prenne en compte ses priorités, sa perception du risque, de la maladie, sa représentation de la santé. Cela implique une vision globale et respectueuse de la personne avec laquelle on ouvre le dialogue.
Un meilleur taux de couverture pour les vaccins ou les dépistages ne suffit plus. Aujourd’hui, pour améliorer la santé des personnes concernées, c’est avec elles, dans le colloque singulier, que des décisions réalistes pour leur santé sont réfléchies. Chaque patient peut avoir ses propres priorités et il faut pouvoir en tenir compte: le dépistage et l’attitude à avoir en cas de risque ne doivent pas être mécaniques. L’autonomie de la personne, l’équité ou la bienfaisance ne peuvent se décider de manière unilatérale par les professionnels, mais dans un dialogue permanent où la participation des premiers concernés — les usagers — est encouragée.
En promotion de la santé, le refus d’un acte préventif est clairement envisagé. Il faut l’accepter mais ne pas en rester là. Il faut apprendre à négocier avec le patient, s’accorder sur le fait de pouvoir en reparler plus tard, suivre les étapes du processus de Prochaska. C’est là où le savoir, savoir-faire et savoir-être prennent tout leur sens. Or, une spécificité de la médecine générale est précisément ce travail de fond de rester présent au fil des ans, d’être disponible et de revoir chaque patient autant de fois que nécessaire pour sa santé. Et cela, quel que soi(en)t le(s) problème(s) de santé qui motive(nt) chaque contact. L’autonomie de chaque patient écouté et correctement informé est un objectif éthique des généralistes. Négocier — sans imposer — est une attitude favorisant la participation des patients.

Justice sociale et responsabilité en prévention

Depuis que la santé est devenue un ‘capital à préserver’, la responsabilité des individus est clairement pointée du doigt. Chacun doit en quelque sorte oeuvrer à la préservation de ce qu’il a reçu, en adoptant des comportements sains. Le concept de liberté individuelle est sous pression: on peut refuser un acte préventif, on peut refuser de modifier un comportement mais le risque est grand de se voir alors tenu pour responsable de sa situation en cas de maladie.
Pourtant, on sait que les comportements ne sont pas uniquement le fruit d’une décision raisonnée et individuelle. L’appartenance à un groupe social semble déterminante dans la prise de décision. Pour être juste et équitable, il ne faut pas ignorer les origines sociales complexes des problèmes de santé. Comme le disait déjà un auteur canadien en 1987, « L’accent mis sur le rôle central de l’individu risque de servir d’argument à une société pour fuir ses responsabilités à l’égard des groupes pauvres et culturellement désavantagés »( 3 ).
Pour être équitable, on ne peut donc se baser uniquement sur l’individu. Une vision plus globale s’impose. La prise en compte de l’environnement au sens large, physico-chimique mais aussi socio-économique est indispensable. Le travail en réseau, en collaboration, en partenariat peut s’avérer nécessaire dans ce cadre. Car le médecin ne peut résoudre à lui seul les problèmes sociaux de la communauté dans laquelle il officie. La responsabilité de la prévention ne lui revient pas plus qu’au patient seul. Elle est partagée par tous les niveaux de pouvoirs et d’actions. Elle exige l’action concertée de tous les intervenants. La prévention peut alors devenir promotion de la santé et dépasser le cadre des facteurs de risque pour s’intéresser aux conditions qui font que les gens se sentent en bonne santé et aux facteurs «producteurs» de santé (coping, self efficacity, locus of control) (4). C’est un angle différent de ce pourquoi le médecin est formé: la résolution de problèmes. D’autres partenaires sont dès lors indispensables, y compris des non professionnels de la santé (professeurs, parents, travailleurs sociaux, etc.).

Conclusions

La médecine préventive a des particularités qui font peur. Elle s’adresse à des personnes non malades a priori, alors que le primum non nocere d’Hippocrate est gravé dans nos mémoires. Elle a aussi parfois un objectif plus public qu’individuel. Elle peut culpabiliser, stigmatiser. Mais ne pas prévenir peut aussi être nuisible. Est-il éthique de ne pas évoquer l’arrêt du tabac à un patient fumeur alors qu’on sait que cette simple suggestion sera efficace dans 5% des cas? Est-il éthique de faire courir à son patient mais aussi à la communauté le risque d’une flambée d’infections pour lesquelles on sait qu’il existe un vaccin efficace?
Des balises sont indispensables et elles existent. La promotion de la santé est une piste favorable au respect de l’éthique dans la préservation de la santé. Ce concept modifie les rôles de chacun: individus, médecins mais aussi politiques, enseignants, acteurs sociaux… Il implique pour le médecin généraliste une relation tournée vers le dialogue, la négociation, une ouverture à d’autres intervenants, une approche globale.
En 1999, Axel Hoffman soulignait déjà que, « la promotion de la santé invite à se pencher sur le sens de la santé et de la maladie , tant dans le vécu de l’usager qu’au niveau des représentations collectives , à se détacher des concepts figés pour répondre à la demande de sens » ( 5 ).
À quoi le médecin généraliste faisant de la promotion de la santé doit-il dès lors être attentif pour rester cohérent avec les dimensions de la promotion de la santé (6,7) ?
1) À l’écoute des patients et à la prise en compte de leurs connaissances et expériences antérieures.
2) À l’information, aux avis et conseils adaptés aux patients sur les comportements à risque et les comportements sains.
3) À la connaissance des conditions de la vie quotidienne des patients et des déterminants sociaux qui influencent leur santé: (non)emploi, logement, niveau d’éducation, risque social, situations de précarité.
4) À l’attention particulière à accorder aux populations fragilisées (8).
5) Au suivi dans le temps et à l’accompagnement des patients dans leurs changements de comportement de santé si ceux-ci sont nécessaires. Pour cet accompagnement, le généraliste n’est pas seul. Il peut orienter le patient vers une diététicienne, un club de sport, un groupe d’entraide, etc.
Ce travail pluridisciplinaire en réseau ou en équipe montre sa pertinence et son efficacité (9). Il est d’autant plus efficace quand les différents partenaires se rencontrent et apprennent à se connaître (10).
Pascale Jonckheer , Jean Laperche , Vinciane Bellefontaine , Valérie Hubens , Marianne Prévost , Pierre Legat , André Dufour
Article publié dans la Revue de médecine générale n° 266, octobre 2009, et reproduit avec son aimable autorisation

(1) Eeckeleers P. La médecine préventive est-elle éthique? RMG 2009; 259: 31.
(2) Conseil supérieur de promotion de la santé de la Communauté française. Examens de dépistage – pour de bonnes pratiques. Document approuvé par le Conseil supérieur de promotion de la santé, août 2007.
(3) Doucet H. Médecine et prévention: considérations éthiques. Médecine sociale et préventive 1987; 32: 38-41.
(4) Deccache A. Comment ont évolué les concepts et pratiques de prévention des maladies et de promotion de la santé? Vingt-huit ans après: une relecture de Pierre Mercenier. Santé conjuguée 1999; 10:30-33
(5) Hoffman A. Promenade de santé. Santé conjuguée 1999; 10:34-40.
(6) Provost M-H et autres. Description, impact et conditions d’efficacité des stratégies visant l’intégration de la prévention dans les pratiques cliniques: revue de la littérature. Québec. Ministère de la Santé et des Services sociaux. 2007. 168 p.
(7) Quint-essenz. Développement de la qualité en prévention et promotion de la santé: critères de qualité. Promotion Santé Suisse, version 5. Nov 2007.
(8) Éducation Santé. Réduire les inégalités sociales de santé. 245. Mai 2009.
(9) Giet D. Les grands défis à relever en médecine générale. RMG 2008; 252: 154-156.
(10) Jonckheer P, Hubens V, Laperche J, Prévost M, Legat P, Wathelet T et Dufour A. Les médecins généralistes et les associations de promotion de la santé… RMG 2008; 255: 289-291.

Le bien-être

Le 30 Déc 20

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Il y a déjà belle lurette que l’OMS a défini la santé comme caractérisée par le bien-être.
Mais, lorsque l’on se préoccupe de la santé des gens, doit-on s’en tenir aux signes extérieurs, ou bien aller rechercher quelles angoisses, ou quel problème physique, l’apparence recouvre?
Le cinéaste Luc Dardenne , interrogé sur ce qu’il voulait faire dire à ses personnages, a répondu «montrer ce qui est vécu dans le privé mais n’est pas exprimé».

Faut-il rechercher les besoins cachés du malade ?

En médecine, jusqu’où aller dans l’ indiscrétion ? Tel est le problème que nous discutions déjà au Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM), vers les années 1970, et que nous résumions ainsi:

Le point de vue en A est celui d’un médecin en dialogue avec son malade, au cabinet. Il fait face à des demandes superflues, telle l’avidité de médicaments, mais il ne peut apercevoir des besoins cachés. Ceux-ci seront perçus par l’observateur B, qui serait:
– un membre d’une maison médicale;
– un médecin vigie, qui, au cours de visites à domicile, prend le pouls de la santé globale d’une famille. Et qui reçoit des autorités de santé publique certaines missions spécifiques pour lesquelles il fait rapport (par exemple, il enregistre les tentatives de suicide, indicateurs de mal-être autant que le suicide abouti);
– une aide familiale qui découvre, dans les foyers, les misères cachées, le manque de moyens pour une vie hygiénique.
Mais il y a des zèles abusifs dans le domaine du dépistage: chez des assureurs, des employeurs, voire dans des hôpitaux, qui pratiquent parfois un dépistage à l’insu, par des analyses sur un échantillon de sang ou d’urine.
Quand y a-t-il conflit d’intérêt? L’arrivée du sida, vers 1983, allait illustrer l’importance de ce dilemme. Je me souviens d’un jeune homme, victime d’un accident de moto. Après son entrée dans un hôpital, on avait effectué le test du sida sans lui en parler. Par contre, on jugea bon de lui révéler le résultat, quand le test se révéla positif. La nuit, le blessé se traîna hors de son lit pour se jeter par la fenêtre.
Par ailleurs, des laboratoires d’analyses médicales effectuent dans les urines la recherche de cotinine, dérivé de la nicotine. Le test est donc un moyen de dépister les fumeurs, lors de demandes d’emploi.

La santé des jeunes

Pour mieux la connaître, en Communauté française de Belgique, l’École de Santé publique de l’ULB, a effectué en 2006 une enquête portant sur 11000 jeunes, de la 5e primaire à la fin du secondaire (1). Les résultats furent publiés fin 2008, avec pour certains points, une comparaison avec des résultats déjà récoltés antérieurement. Par exemple, dans le cas des plaintes de fatigue matinale, dont la proportion a été croissante jusque 1998 pour se stabiliser ensuite.

Graphique 1 Évolution de la fatigue matinale au moins une fois par semaine Source: SIPES – ULB Pour tenter d’évaluer le mal-être, une batterie de questions furent posées, dont les suivantes apportèrent une discrimination parmi les groupes: «Vous sentez vous, plusieurs fois par semaine: a) déprimé? b) nerveux? c) incapable de faire face à un problème?» En fusionnant les réponses à ces questions-là, les enquêteurs arrivent à une définition d’un «certain mal-être». Graphique 2 Score de bien-être selon le sexe, la composition de famille et le degré d’aisance matérielle Source: SIPES-ULB Sa répartition parmi différentes catégories d’enfants en âge d’école primaire est montrée ci-dessus. On y donne la notation 1 au groupe «avec le moindre mal-être» (le moins nerveux, le moins déprimé…). Il se trouve que ce sont les garçons et que ces événements de mal-être sont presque deux fois plus fréquents chez les filles. Ce n’est pas vraiment inattendu. La maturité, plus précoce chez les filles, apporte-t-elle déjà des soucis?
Quant au rôle de l’environnement familial, il est, évidemment, le plus favorable dans le cas d’une vie avec les deux parents, et presque trois fois moins bon pour les enfants vivant dans un home. Comparé à celui de ces défavorisés, le sort des enfants élevés dans une famille recomposée ou monoparentale apparaît un peu moins défavorable, mais épouse la même tendance. La ressemblance entre les deux situations se retrouvera tout au long de l’étude.
Enfin, le bloc inférieur de ce même graphique donne le mal-être selon le niveau d’aisance matérielle de l’entourage: ‘télévision(s), auto(s), vacances annuelles. Curieusement peut-être, l’influence très faible de ce facteur se retrouvera dans la suite de l’enquête.

L’influence des addictions

Les questions relatives au mal-être sont ensuite posées aux adolescents du secondaire révélant une addiction envers l’alcool, le tabac, ou… la télévision et les jeux électroniques. L’addiction au cannabis ou à l’ecstasy a été aussi étudiée mais n’est pas montrée ici, car elle concernait moins de personnes et donnait donc des résultats peu significatifs.
Chez les adolescents du secondaire, le pourcentage de ceux qui consomment du tabac ou de l’alcool se trouve influencé par la consommation chez les proches, de la façon suivante:

Addiction

Consommation alcool chez le jeune étudié Consommation tabac chez le jeune étudié
Meilleur ami(e) consommant 41% 46%
Frère ou sœur consommant 29% 29%
Mère consommant 17%22%
Père consommant 16% 20%

Ce sont donc les jeunes qui s’influencent entre eux, plus que les parents, et de façon similaire pour les deux addictions.
Comment se comporte l’adolescent du secondaire à l’égard de l’école? Dans le graphique ci-dessous, la barre supérieure indique le comportement de celui qui fume quotidiennement, et la barre inférieure concerne celui qui ne fume pas.

Graphique 3 Caractéristiques scolaires des fumeurs quotidiens de 12-20 ans Source: SIPES-ULB On voit que 40% des fumeurs brossent l’école au moins une fois par trimestre, et 15% des non fumeurs. Un quart des fumeurs n’aiment pas l’école, mais ne se déclarent pas spécialement stressés par cet environnement. Sans doute l’école est-elle avant tout une entrave à la cigarette.
L’enquête sur les adolescents buvant régulièrement de l’alcool n’est pas montrée ici. Elle révèle le même profil à l’égard de l’école. En outre, une partie de ces élèves fument et boivent.

Les usagers abusifs de TV et jeux électroniques

La surconsommation de TV, étudiée depuis 1994, s’est mise à baisser en 2002 – mais cela paraît être dû à l’engouement pour les jeux électroniques. Serait-ce un bien? Les jeux ne sont-ils pas moins passifs?

Graphique 4 Élèves du secondaire qui ‘abusent’ de TV ou jeux électroniques Source: SIPES-ULB Quels facteurs influencent ces deux addictions? La présente enquête ne relève aucun rôle des facteurs trouvés dans le cas de l’alcoolisme et du tabac. Notamment, le rôle des amis paraît moins grand. Les techniques électroniques feraient leur propre propagande. Seule apparaît pourtant, chez ces passionnés des écrans, la caractéristique fréquente de «ne pas aimer l’école». Les devoirs scolaires feraient obstacle à ces deux addictions.
Le graphique suivant montre que l’addiction à la TV est trois fois plus fréquente pour les élèves de l’enseignement professionnel, par rapport à ceux du général. Une telle influence n’a pas été trouvée lors de l’étude des autres addictions. Graphique 5 Consommation de TV ou jeux les jours d’école par sexe, âge, type d’enseignement et année d’enquête Source: SIPES-ULB

Brève discussion

D’après l’enquête, les enfants qui ne sont pas élevés par leurs deux parents montrent tous un «déficit de bien-être». Et ce déficit est le pire chez les enfants sans parent, élevés dans un home. Dans les situations intermédiaires, le déficit apparaît ici le même si l’éducation de l’enfant s’est déroulée dans une famille recomposée ou bien s’il n’a été élevé que par le père ou par la mère. Ceci n’est-il pas surprenant? Si cela se confirme dans d’autres études, quels éloges nous devons adresser à ces pères, à ces mères qui élèvent seuls leur enfant! Mais pour que le bilan du bien-être global de la famille soit tiré, il faudrait interroger ce père, cette mère, sur le «bien-être» avec lequel ils ont chacun assumé l’éducation de cet enfant, et des frères et sœurs, éventuellement. Si, comme on le soupçonne, les responsabilités ont pesé lourd sur le parent isolé, sans retombées fâcheuses pour l’enfant, alors… coup de chapeau.
Quant aux addictions, on ne les combattra sans doute pas par la peur, (la tête de mort sur les paquets de cigarettes!), car la prise de risque fait partie de la tentation.
Mais faut-il mater ces tentations en bloc? La créativité de la jeunesse, son adaptabilité, son dynamisme, ne sont pas mis seulement au service du nuisible. Mater tout en bloc, pour faire rentrer tous les jeunes dans le carcan des études qu’on leur propose, serait-ce la solution optimale? N’est-ce pas désolant d’entendre certains jeunes aspirer à leur «libération», à 18 ans? J’en entends qui dénombrent avec délice ceux qui ont réussi leur vie à leur gré, tout en ayant raté ou contourné leur bac.
Et que penser de l’addiction aux multimédias? Les adolescents qui sont classés ici comme usagers ‘abusifs’ de télévision et de jeux électroniques ne se montrent pas, dans cette enquête, comme particulièrement déprimés, nerveux, heureux ou malheureux, et ne présentent pas de caractéristique particulière concernant la confiance en soi. Alors, pourquoi ne les laisse-t-on pas tranquilles? Si ces récréations sont nocives, la société doit pour le moins proposer des ‘addictions’ saines: sports, musique, que sais-je… Car la belle enquête commentée ci-dessus comporte pourtant un biais: on ne nous décrit pas à quoi le groupe témoin passe son temps, pendant les heures où la TV et les jeux électroniques lui sont interdits. Si les exclus lisent, que lisent-ils? Les «gadgets modernes» ne contiennent-ils aussi pas de l’information sur le monde?
Enfin, ne serait-il pas amusant de savoir comment les adolescents nous voient? Quel serait notre profil, si c’était eux qui imaginaient une enquête sur nos attitudes?
Lise Thiry

(1) Résultats publiés dans les deux brochure suivantes :
Godin I., Decant P., Moreau N., de Smet P., Boutsen M. La santé des jeunes en Communauté française de Belgique. Résultats de l’enquête HBSC 2006. Service d’Information Promotion Éducation Santé (SIPES), ESP-ULB, Bruxelles, 2008.
Favresse D., de Smet P. Tabac, alcool, drogues et multimédia chez les jeunes en Communauté française de Belgique. Résultats de l’enquête HBSC 2006. Service d’Information Promotion Éducation Santé (SIPES), ESP-ULB, Bruxelles, 2008.
Disponibles sur https://www.ulb.ac.be//esp/sipes/

Réflexion sur la réduction des inégalités en matière d’alimentation saine

Le 30 Déc 20

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La résorption des inégalités en matière de santé de manière générale et d’alimentation saine en particulier est une responsabilité collective. C’est pourquoi il faut encourager ou améliorer les pratiques et optimiser les processus existants en matière de promotion de la santé et d’action sociale en Communauté française et en région wallonne.
Suite à la journée d’échange entre les porteurs des projets sélectionnés par la Fondation Roi Baudouin dans le cadre de son appel lié à l’alimentation saine des publics précarisés, ceux-ci ont émis une série d’idées intéressantes. Éducation Santé en a fait une synthèse pour vous…

La réduction des inégalités en matière de santé, un objectif prioritaire

L’inégalité socio-économique reste la principale source d’inégalités face à la santé. En effet, les populations appauvries, marginalisées ou exclues développent une culture propre, au sens sociologique du terme. L’alimentation saine ne représente pas pour elles une priorité dans l’ensemble des problèmes auxquels elles sont confrontées au quotidien. Se loger, assurer sa sécurité, boire et manger passent avant la préoccupation de consommer une alimentation de qualité. Elles ne parviennent pas à se projeter positivement dans l’avenir, à penser à préserver leur capital santé et sont peu ou pas réceptives aux messages de promotion de la santé.
Pour ces raisons, l’amélioration du niveau de vie et du niveau socio-économique des personnes défavorisées devrait constituer un axe prioritaire pour la Communauté française, même si cette dernière ne dispose pas des principaux leviers politiques en la matière.

Collecter des données

Pour pouvoir réduire ces inégalités, il est nécessaire de se pencher sur la collecte de données concernant ce public particulier, et surtout de pouvoir les exploiter. Une personne ressource pourrait être chargée de mesurer l’impact des politiques menées sur les publics précarisés, avec l’aide des organismes de collecte des données, et de faire des propositions pour ajuster ces politiques.

Messages adéquats

Il s’agit de s’assurer de l’adéquation des messages de promotion de la santé avec les représentations des populations défavorisées. Les nombreuses campagnes autour de l’alimentation saine devraient être pré-testées spécifiquement auprès de ces publics pour s’assurer de la bonne compréhension des messages.

Le ‘nerf de la guerre’

Davantage de moyens devraient être accordés aux programmes de promotion de la santé visant spécifiquement à réduire les inégalités en matière de santé par des stratégies locales ou communautaires qui ont fait leurs preuves. Les conclusions tirées de ces expériences devraient aider les pouvoirs publics à prendre les décisions adéquates.

Augmenter l’offre de produits sains et abordables financièrement

Un grand nombre d’organisations telles que les banques alimentaires ainsi que les épiceries et les restaurants sociaux assurent une offre de produits alimentaires financièrement abordables. En outre, elles apportent une plus-value puisqu’elles donnent l’occasion d’entretenir une vie sociale pour les publics précarisés. On a aussi déjà pu constater l’impact direct et considérable de ces organismes sur la santé.
La plupart de ces initiatives sont pourtant axées sur la «survie». Ici, c’est de tout autre chose que nous parlons, de «vivre sainement».
Les structures d’aide alimentaire ont le souci de distribuer des aliments en adéquation avec les recommandations, en proposant notamment à leur personnel bénévole et salarié, des formations pour la constitution de colis ou repas équilibrés. Mais elles se heurtent souvent à de fortes contraintes d’approvisionnement. Elles sont en effet dépendantes des aides de l’État, des dons des acteurs privés ou de la population. En soutenant ces organisations, le pas de la «survie» au «vivre sainement» pourrait être franchi. Un mode de vie sain pourrait ensuite être plus facilement soutenu par ces organisations auprès des populations.

Recensement

Actuellement, il est difficile de quantifier ces initiatives de proximité en Wallonie et de connaître l’étendue de leur travail. Par conséquent, en faire un inventaire constitue un préalable nécessaire. Les CLPS pourraient prendre ce recensement en charge, chacun pour leur région. Cet état des lieux permettrait une meilleure distribution de ces organisations dans le paysage régional et favoriserait l’émergence de nouvelles initiatives, avec les partenaires locaux.

‘Bonnes pratiques’

Un guide à destination des professionnels sur la qualité et l’accessibilité financière de l’offre alimentaire visant les publics précarisés pourrait valoriser les expériences et démarches les plus intéressantes, comme la Fondation Roi Baudouin l’a fait pour l’alimentation à l’école.

Favoriser la participation citoyenne

Chaque groupe social possède un certain nombre de croyances par rapport à l’alimentation. Ces éléments constituent des déterminants importants en matière de nutrition. Les négliger peut hypothéquer les actions mises en place en faveur de la santé.
Pour chacune des actions visant à favoriser l’alimentation saine des publics précarisés, il conviendrait de prendre en compte les attentes et les résistances éventuelles de ceux-ci. De la définition des besoins et des actions jusqu’à la réalisation et l’évaluation de celles-ci, les populations précarisées devraient être impliquées pour pouvoir atteindre l’objectif ambitieux de faire changer les comportements de santé.
Dans ce sens, la participation des populations précarisées aux programmes / actions en lien avec l’alimentation devrait constituer une priorité stratégique pour les décideurs politiques et les responsables d’associations / d’institutions agissant en leur faveur. Ainsi, comme prévu précédemment par le Programme quinquennal 2004-2008 de promotion de la santé, cette volonté d’impliquer activement les populations devrait très certainement être réaffirmée.

Conclure des partenariats stratégiques…

Sans négliger de mettre en place des politiques / dynamiques interministérielles et intersectorielles.
La promotion de la santé est un jeune secteur en plein développement, confronté à de grandes attentes et auquel beaucoup de problématiques sont soumises.
L’envie ne manque pas de répondre à toutes ces attentes mais les moyens sont limités et des choix parfois difficiles doivent être opérés. Pour cette raison, les acteurs en promotion de la santé devraient privilégier un travail concerté, basé sur une approche stratégique et systématique.

Privilégier une démarche intersectorielle

Un certain nombre de projets ont vu le jour dans des structures telles que les épiceries et les restaurants sociaux, les CPAS… mais il s’agit trop souvent de projets isolés. On sait que la «bonne santé» est multifactorielle. C’est pourquoi il faudrait créer les conditions d’une action plus globale et plus adaptée aux réalités. Pour ce faire, il serait nécessaire de privilégier une démarche intersectorielle et d’opérer un travail de réseau.
Des partenariats devraient être conclus avec des secteurs qui ont une fonction de levier suffisamment importante auprès des publics défavorisés, qui les rencontrent dans leur cadre de vie, afin de déployer des pratiques de prévention proches de la population. Ce partenariat et ce travail de réseau devraient favoriser la responsabilité de chaque secteur d’une part (santé, éducation, politique…) mais également la mise en avant des actions menées par chaque partenaire d’autre part.
Des programmes stratégiques de collaboration au niveau local devraient également être mis en place, afin de viser des objectifs à plus long terme. Ces collaborations viseraient une intégration de la promotion de l’alimentation saine dans tous les secteurs et la création de plaques tournantes locales en promotion de la santé. Il s’agirait également de favoriser la concertation et les partenariats entre les différents pouvoirs publics et privés (fédéral, régional, communautaire, entrepreneurial, communal…).
Ce travail intersectoriel favoriserait le décloisonnement et la mise en commun de ressources.
Les politiques devraient susciter et soutenir la mise en réseau des associations en créant des passerelles entre les secteurs, en créant des points de rencontre entre ces réseaux et en accordant aux projets les moyens humains et financiers nécessaires pour y parvenir.

Mettre en place une dynamique interministérielle

Une approche interministérielle devrait également être privilégiée et l’interaction entre le champ de la santé et les autres champs devrait pouvoir être évaluée. Cette articulation aurait pour but de dépasser les limites des compétences des différents pouvoirs publics. Seule, une politique interministérielle peut tout au moins favoriser les décisions qui ont pour effet de produire de la santé. Mais il est nécessaire d’aller plus loin.
On sait qu’il existe une réelle difficulté de favoriser les approches intersectorielles, faute, notamment, d’accords interministériels. L’implication des acteurs de tous secteurs serait nécessaire, afin de veiller progressivement à ce que chaque législation ou initiative mise en place soit «porteuse» de santé, dans une logique de développement durable. L’enjeu des prochaines années sera d’articuler les différents programmes qui doivent intervenir, le plus possible, en amont des problèmes de santé et de façon globale.

Fixer des objectifs, mesurer l’impact et évaluer

Fixer des objectifs clairs

De bons objectifs devraient être:
– pertinents: cohérents avec l’analyse des besoins (réalisée en association avec la population concernée);
– réalistes: ils devraient, raisonnablement, pouvoir être atteints à l’issue de l’action ou de la recherche;
– acceptables: ils devraient l’être pour les acteurs impliqués et pour la population concernée;
– opérationnalisables: ils devraient être exprimés en termes évaluables.

Permettre l’évaluation des actions

Définir clairement ses objectifs ne constitue pas une garantie de les atteindre. C’est pourquoi la mise en place d’évaluations régulières des politiques serait nécessaire. Cela permettrait de déterminer quels objectifs ont été réalisés, d’identifier la manière dont ils l’ont été, de repérer les difficultés rencontrées et de tendre vers une amélioration constante des processus à mettre en œuvre.
Les stratégies et interventions qui promeuvent un mode de vie sain, visant ainsi la réduction des inégalités, ne sont pas simples à évaluer. L’impact sur la santé ne peut en effet se vérifier que sur du long terme. Cette évaluation de la réduction des inégalités implique donc des techniques spécifiques d’évaluation supplémentaires. Pour pouvoir évaluer l’impact d’une action déterminée, il faut prévoir des évaluations intermédiaires. Il serait donc important d’une part de laisser le temps nécessaire aux porteurs de projets pour mener à bien ces évaluations et, d’autre part, de mettre à leur disposition des outils co-construits avec eux.

Multiplier et ancrer les bonnes pratiques

Beaucoup de projets locaux promouvant l’alimentation saine des groupes défavorisés ont prouvé leur efficacité. Ils devraient être démultipliés à grande échelle et être ancrés structurellement dans le travail quotidien. Les acteurs doivent apprendre de leur expérience et les intégrer dans leur travail.
Plus que de nouveaux projets à soutenir, la valorisation des expériences probantes et de l’expertise devrait être soutenue. Il est plus aisé de travailler à partir de projets existants: ceux-ci peuvent servir de base, de point de départ.
Par exemple, certains secteurs comme les restaurants sociaux sont à peine organisés. Ils devraient, tant au niveau central que local, recevoir plus de soutien pour servir d’exemples.
Il est essentiel que les décisions politiques s’appuient sur les expériences croisées et les bonnes pratiques des professionnels de terrain et mettent en place des mécanismes financiers à cette fin.

Augmenter les compétences par la formation

Une offre de formation continuée pour les relais

Promouvoir l’alimentation demande un travail participatif avec les groupes défavorisés. Les acteurs de terrain doivent donc disposer de compétences leur permettant d’effectuer ce travail. Il est important pour eux de pouvoir partager leurs expériences grâce à une offre de formation, afin d’augmenter leurs compétences et leur capacité d’action en promotion de la santé.
Les politiques devraient s’assurer qu’une offre de formation continuée des acteurs de première ligne soit mise en place.

Former les prestataires de soins

En termes de formation, il apparaît également trop souvent que les médecins, les diététiciens et le personnel infirmier disposent d’une connaissance insuffisante des publics défavorisés. Un effort serait donc à faire pour compléter la formation des prestataires de soins.

Les enfants et les personnes qui les élèvent, un groupe cible prioritaire

Le travail préventif sur l’alimentation saine est plus efficace auprès des jeunes enfants. L’accompagnement des responsables de leur alimentation devrait clairement constituer un axe prioritaire. Celle-ci doit être mise clairement en lien avec l’éducation.
Il s’agit de mener des actions de sensibilisation, d’information et d’éducation à propos des comportements permettant une meilleure santé (alimentation, pas de tabac, activité physique): actions médiatiques, relation interpersonnelle (agir auprès des enfants et de leur famille, via l’école et autres lieux de socialisation), actions de proximité, événements communautaires…
Les acteurs prioritaires identifiés sont:
– les acteurs des milieux de vie (familles, écoles, milieux d’accueil…);
– les membres des collectivités locales (communes et associations locales, notamment sportives);
– les relais auprès des populations les plus vulnérables.
Les lieux de vie tels que les milieux d’accueil des jeunes enfants (accueil de 0 à 3 ans, accueil extrascolaire) mais aussi les lieux de soins et d’hébergement des différentes catégories d’âges se prêtent particulièrement bien à une stratégie de promotion de la santé. Certains milieux d’accueil touchent une population en situation de vulnérabilité et mériteraient, de ce fait, une attention particulière. Cette approche, visant les milieux de vie professionnalisés, ne doit pas faire négliger le milieu familial, source de toute éducation, y compris dans le domaine de la santé.
Le milieu scolaire ferait l’objet d’une attention toute particulière. En effet, la population des jeunes de 6 à 18 ans est soumise à l’obligation scolaire, et la Communauté française rassemble des compétences particulièrement orientées vers ce public. C’est évidemment une opportunité exceptionnelle pour développer des programmes cohérents de promotion de la santé à l’école.
Cette dernière devrait démarrer dès la maternelle dans le cursus scolaire et représenter un des axes de la lutte contre l’inégalité en matière de santé. Il est essentiel de veiller à toucher les parents par ce biais et de les impliquer dans les actions de santé organisées au sein de l’école. Les services PSE pourraient prendre en charge ce type d’initiatives mais cela nécessiterait aussi l’adhésion et des prises de position cohérentes de la part des autorités de tutelle et des pouvoirs organisateurs.

Inclure les personnes âgées dans les actions visant les publics précarisés

Dans les maisons de repos ou autres établissements d’hébergement pour personnes âgées, même si on peut considérer que, dans la plupart des cas, la nourriture est présente en quantité et en qualité satisfaisante, on constate qu’un haut pourcentage de résidents est en état de dénutrition. La dénutrition est une problématique fréquente avec des conséquences considérables sur la santé. Elle est un facteur de risque considérable d’augmentation de la morbidité.
Pour y remédier, conformément aux recommandations du Plan national nutrition santé, il faudrait prévoir des procédures de dépistage et de suivi de l’état nutritionnel des personnes âgées, sensibiliser et former le personnel des MRS/ MRPS à cette problématique et garantir l’accès à une alimentation saine et équilibrée.
La Région wallonne devrait donc poursuivre et renforcer son action en ce sens.En somme, il y a là un magnifique chantier pour les nouveaux responsables politiques à la Communauté française et à la Région wallonne. Gageons qu’ils ne manqueront pas d’entendre les acteurs de terrain.

La prévention des maladies est sous-développée en Belgique

Le 30 Déc 20

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Introduction

La prévention en matière de santé regroupe l’ensemble des activités qui permettent de réduire les risques futurs de maladie. La distinction entre la prévention primaire, secondaire et tertiaire est généralement effectuée, même si les actions de prévention n’appartiennent pas nécessairement de façon exclusive à l’une de ces trois catégories.
La prévention primaire fait référence aux activités qui réduisent la probabilité d’apparition d’une maladie, par exemple arrêter de fumer pour réduire la probabilité de cancer.
La prévention secondaire est associée aux actions qui atténuent la gravité de la maladie lorsqu’elle se déclare, c’est notamment le cas d’une mammographie qui permet de détecter et de traiter plus rapidement et donc plus efficacement un cancer du sein.
La prévention tertiaire regroupe les activités qui visent à réduire les risques de rechutes, par exemple cesser certaines activités à risque ou soigner son alimentation après un infarctus pour éviter qu’il ne se reproduise.
Dans tous les cas, la décision de prévention, qui est prise par les individus ou par la société en dehors d’une maladie effective, se distingue de la médecine curative qui est mobilisée après l’apparition des symptômes. L’activité de prévention revêt à la fois un caractère individuel (pratique du sport, arrêt du tabagisme, attention portée à l’alimentation…) et collectif (organisation de dépistages, de vaccinations, éducation à la santé…).
Mais, même lorsque les décisions qui affectent l’état de santé sont individuelles, un engagement des pouvoirs publics peut aider les individus à infléchir leurs comportements dans un sens favorable à leur santé. À titre d’exemple, l’arrêt du tabagisme est une décision individuelle mais les autorités publiques peuvent aider les individus à arrêter de fumer via différents dispositifs qui peuvent être légaux (interdiction de fumer dans les lieux publics, interdiction de vente aux mineurs…), financiers (taxes sur le tabac) ou autres (aide au sevrage tabagique, information…).

La prévention n’est pas une priorité politique

En Belgique, les compétences en matière de prévention des maladies et de promotion de la santé sont morcelées. Parmi les actions qui affectent la santé publique, certaines relèvent exclusivement du gouvernement fédéral (taxes sur le tabac et l’alcool) alors que d’autres (vaccination contre la polio et contre l’hépatite B, dépistage du cancer du sein…) font l’objet d’une coopération entre le gouvernement fédéral qui finance entièrement ou en partie les programmes et les Communautés qui les organisent. La santé étant une matière personnalisable, ces compétences ont toutefois été en grande partie attribuées aux Communautés. Sans être exhaustifs et sans se focaliser sur les priorités établies par chacune des deux Communautés (1), les actions mises en place, aussi bien en Communauté française que flamande, concernent les programmes de vaccination, les dépistages, les actions anti-tabagisme, la prévention des cancers, la prévention des maladies cardiovasculaires, la prévention du sida et des maladies sexuellement transmissibles, la santé mentale, etc. Il semble néanmoins que, par rapport au budget octroyé à la médecine curative, les efforts entrepris par les autorités publiques belges en matière de prévention des maladies et de promotion de la santé soient minimaux.
Allouer 0,1% de son PIB à de telles activités paraît en effet insignifiant lorsque, dans le même temps, 10% de ce même PIB est consacré à financer le traitement de ces maladies (2). Si le système de santé belge est apprécié pour sa réactivité et sa capacité à rendre disponible des traitements à un coût raisonnable pour les utilisateurs, la politique en matière de prévention – qui exige une vision et la mise en place de stratégies à plus long terme – ne semble pas constituer une priorité politique.
L’attention modeste accordée aux politiques de prévention des maladies et de promotion de la santé n’est cependant pas propre à la Belgique. Le tableau ci-dessous permet de comparer notre dépense publique de prévention par habitant à celle d’autres pays de l’OCDE (3).

Pays

Dépense publique de prévention par habitant (€ PPA) – 2003
Danemark 7,97
République slovaque 9,42
Italie 10,14
Mexique 13,04
Espagne 14,49
Corée 14,49
République tchèque 15,94
Pologne 6,66
Portugal 18,83
Luxembourg 18,83
Japon 21,73
Finlande 26,8
Autriche 27,52
Belgique 28,97
Islande 31,15
Suisse 40,56
Irlande 42,74
Norvège 44,91
France 51,43
Pays-Bas 57,22
Allemagne 68,09
Canada 131,83
Etats-Unis 144,87

Source: OCDE Éco-santé 2006

Selon les statistiques de l’OCDE pour l’année 2003, la dépense publique consacrée à la prévention des maladies en Belgique était de 28€ par habitant. À titre comparatif, la France y consacrait la même année 51€, les Pays-Bas 58€, l’Allemagne 67€, le Canada l’équivalent de 131€ et les États-Unis l’équivalent de 144€.
La Belgique n’est toutefois pas la lanterne rouge de ce classement puisque l’Espagne, l’Italie et le Danemark notamment font encore moins bien en consacrant respectivement 14€, 10€ et 8€ par habitant à des dépenses publiques de prévention.
À titre indicatif, la Belgique devrait augmenter sa dépense publique totale de prévention approximativement de 88 millions d’euros pour s’ajuster sur la dépense moyenne des autres pays mentionnés dans le tableau.
Il serait toutefois erroné de limiter la prévention à une politique budgétaire. La prévention passe aussi par la définition de nouvelles politiques qui ne sont pas uniquement de nature budgétaire. Citons à titre d’exemple la politique des sports, la législation relative au tabac ou les actions menées par les mutualités pour favoriser une meilleure alimentation ou des comportements de vie plus sains.

Les avantages de la prévention

Les activités de prévention présentent de nombreux avantages. Le premier effet de la prévention est d’assurer à l’ensemble de la population une meilleure qualité de vie en réduisant l’occurrence ou la gravité des maladies. Au-delà de ces bénéfices intangibles, la prévention a aussi des effets financiers importants. Une amélioration de l’état de santé général représente d’abord une capacité additionnelle de croissance économique et donc une source supplémentaire de revenus.
En guise d’illustration, 440.000 décès prématurés dus au tabagisme ont été enregistrés chaque année aux États-Unis entre 1995 et 1999 et le coût consécutif à la perte annuelle de productivité a été estimé à 81,9 milliards de dollars US par an (4). Du même coup la prévention permet aussi de réaliser des économies pour la sécurité sociale en réduisant la durée d’indisponibilité des travailleurs.

Qui est Itinera ?

Mission – Identifier, défendre et construire les chemins de réformes qui garantissent une croissance économique et une protection sociale durables en Belgique et dans ses régions.

Le contexte

La Belgique et ses régions réalisent des performances insuffisantes. Malgré des améliorations conjoncturelles, la croissance économique est structurellement limitée et le chômage est structurellement élevé. Notre compétitivité internationale décline régulièrement. Le niveau de taxation approche des records et pourtant notre État-Providence souffre de difficultés budgétaires persistantes. Le niveau de protection sociale s’érode graduellement sur tous les fronts. Les plus faibles de notre société – les personnes âgées, les jeunes, les personnes faiblement qualifiées, les immigrants, les handicapés, les pauvres – sont fortement marginalisés dans notre économie et sur le marché du travail. Alors que notre démographie change rapidement, nous ne réussissons pas à intégrer notre société et nous manquons d’une citoyenneté cohésive commune.
La Belgique est maintenant confrontée aux défis d’une société vieillissante et d’une concurrence internationale dans une économie mondiale dynamique et volatile. Nous devons choisir entre un déclin graduel et relatif ou des réformes structurelles qui rétablissent l’attractivité de notre économie et de notre société au bénéfice de tous. Sans réforme globale, nous risquons d’atteindre un point où le cercle vertueux de la création et de la redistribution de richesses deviendrait un cercle vicieux. Sans réforme globale, les prochaines générations perdront la combinaison entre opportunité économique et protection sociale dont les générations précédentes ont bénéficié après la deuxième guerre mondiale.

L’ambition de l’Itinera Institute

La réforme des politiques n’est pas uniquement de la responsabilité des partis politiques, des groupes d’intérêt ou des centres de recherche financés par le secteur public. Les ‘think-tanks’ indépendants ont toujours joué un rôle dans beaucoup de pays à travers le monde pour alimenter le programme des réformes au-delà des partis et des horizons politiques. Cette longue et prospère tradition d’instituts indépendants a largement dépassé la Belgique.
L’Itinera Institute a été fondé officiellement le 13 mars 2006 comme le premier think-tank et ‘do-tank’ réellement indépendant et professionnel qui se préoccupe spécifiquement de la Belgique et de ses régions. Là où les partis politiques, les organisations professionnelles, les universités et les médias s’arrêtent, l’Itinera Institute commence à défendre les réformes fondamentales pour arriver à une meilleure croissance économique et une protection sociale durable pour tous , particulièrement pour les générations futures .
L’Itinera Institute reste à ce jour la seule organisation de ce type en Belgique. Alors que la dénomination ‘think tank’ est de plus en plus utilisée par toute sortes d’associations et d’activités, aucune autre organisation en faveur de réformes en Belgique ne combine les caractéristiques de l’Itinera Institute: structure professionnelle, couverture nationale et indépendance complète – structurelle et financière – des partis politiques, des organisations professionnelles et des autorités publiques.
La structure et la position de l’Itinera Institute reflètent la tradition vaste et diverse des think-tanks professionnels d’autres pays à travers le monde. Les dimensions ajoutées d’Itinera sont ses divers axes de recherche, sa perspective internationale, son ouverture à tous les points de vue et arguments sans a priori politique ou idéologique et son ambition de promouvoir ses propres propositions politiques en tant que do-tank actif.
L’Itinera Institute est l’idée d’une jeune génération d’entrepreneurs, de professionnels et d’académiques. Avec le soutien d’une génération plus expérimentée dans ses organes et à travers un réseau multinational d’auteurs et d’orateurs, l’Itinera Institute agit par-delà les partis politiques et indépendamment de tout groupe d’intérêt ou organisation professionnelle. L’Institut est indépendant de tout agenda sur la structure de l’état et vise tous les niveaux politiques qu’ils soient internationaux, européens, nationaux ou régionaux.
https://www.itinerainstitute.org
Informations disponibles sur le site d’Itinera Institute – consultation le 22 juin 2009.

Ensuite, une politique de prévention ciblée peut également permettre de réaliser des économies pour l’assurance maladie en tant que telle en évitant ou en réduisant le coût des traitements futurs. Le tabagisme aurait ainsi engendré 75,5 milliards de dollars US de dépenses médicales annuelles supplémentaires durant la période 1995-1999 (4). Ce dernier effet n’est cependant pas toujours présent et dépend du type d’intervention. Dans tous les cas, c’est l’évaluation précise des coûts et des bénéfices (tangibles et intangibles) associés à chaque programme de prévention qui va déterminer la pertinence de sa mise en oeuvre. Car il ne convient évidemment pas d’adopter tous les programmes ou de nécessairement les appliquer à l’ensemble de la population. Allouer d’importants moyens financiers à des programmes de prévention dont l’efficacité est limitée est manifestement inopportun. Et si les analyses économiques ne montrent pas qu’il faille systématiquement allouer les moyens publics disponibles aux activités préventives plutôt que curatives, le déséquilibre actuel dans l’organisation des soins de santé en Belgique est certainement inapproprié.
Il existe en effet un grand nombre de programmes qui présentent un ratio coût-efficacité tel que leur mise en oeuvre soit justifiée. Les pneumonies à pneumocoque sont par exemple responsables de 2.000 décès annuels en Belgique. Une vaccination efficace existe pour prévenir ce type de maladies respiratoires mais ce vaccin est en Belgique uniquement remboursé pour les enfants de moins de 2 ans. Or, de nombreuses études ont montré que cette vaccination mise en oeuvre chez les personnes âgées était coût-efficace (5). Ces travaux invitent donc les autorités publiques à encourager ce type de vaccins pour toutes les personnes âgées de plus de 65 ans (voir par exemple De Graeve et al. 2000 (6)). Il existe de nombreux autres exemples du même type.
Alors que les pressions budgétaires déterminent de plus en plus l’organisation de notre système de santé, une intensification de la politique de prévention pourrait constituer une mesure intéressante en vue de dégager des marges. Il suffit d’examiner les données épidémiologiques pour s’en convaincre.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, sept facteurs de risque expliquent près de 60% de la charge de la morbidité en Europe: l’hypertension (12,8%), le tabagisme (12,3%), l’abus d’alcool (10,1%), l’hypercholestérolémie (8,7%), le surpoids (7,8%), la faible consommation de fruits et de légumes (4,4%) et le manque d’activité physique (3,5%). Ces facteurs constituent en effet les causes majeures des principales maladies en Europe (maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires, problèmes de santé mentale, cancers, diabète…). La lecture de ces facteurs de risque nous indique à quel point la prévention et la promotion de la santé constituent le moyen le plus efficace de lutter contre ces maladies. Car, toujours selon l’OMS, l’élimination des principaux facteurs de risque permettrait d’éviter 80% des maladies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et du diabète de type II, ainsi que 40% des cancers.

Le découpage des compétences n’incite pas à la prévention

Quels sont les éléments qui permettent d’expliquer un tel déséquilibre entre les moyens financiers alloués à la prévention et ceux attribués au traitement des maladies?
Les dépenses effectuées à des fins de prévention présentent un double inconvénient pour les autorités compétentes en matière de santé en Belgique. Le premier problème n’est pas propre à la Belgique et résulte du fait que les effets des efforts de prévention ne se voient souvent qu’à long terme. Les autorités qui se lancent dans un vaste programme de prévention s’exposent donc à ne jamais entrevoir les bienfaits de leur politique (dont les bénéfices vont revenir à leurs successeurs).
L’architecture institutionnelle de notre pays – outre le fait qu’elle favorise les actions dispersées et peu coordonnées – constitue un deuxième frein à l’investissement dans de coûteux programmes de prévention des maladies. Ce domaine est en effet du ressort des Communautés. L’assurance maladie – qui prend en charge la majeure partie des coûts engendrés par les traitements – est quant à elle gérée au niveau fédéral. Ce qui signifie que l’effort de prévention entrepris par les Communautés profite surtout aux autorités fédérales. Bien évidemment, le bénéfice des politiques de prévention ne peut uniquement se réduire à un gain financier prenant ici la forme de coûts évités.
Les Communautés sont chargées des politiques liées aux personnes (et donc à leur bien-être) et sont donc à ce titre tenues de leur éviter des maladies. Elles sont par conséquent aussi jugées sur l’état de santé de la population. Mais le fait qu’elles ne soient pas affectées par toutes les conséquences de leurs politiques crée un sérieux problème d’incitation économique. Étant données les contraintes budgétaires, les autorités ne sont donc pas incitées à investir dans une politique qui ne leur rapporte pas. Comment sortir de cette impasse? Deux solutions – politiquement compliquées compte tenu du contexte institutionnel de notre pays – semblent évidentes. Elles sont basées sur le principe du paquet homogène de compétences que les autorités publiques devraient gérer. Autrement dit, il conviendrait de renvoyer toutes les compétences en matière de santé – y compris la politique de la prévention – soit au niveau fédéral, soit au niveau communautaire.
Une autre solution peut être mise en oeuvre tout en évitant ce débat politiquement sensible dans notre pays. Le gouvernement fédéral, dans la mesure où il bénéficie aussi des politiques menées au niveau des Communautés, devrait inciter ces dernières à effectuer plus d’efforts de prévention.
Par le biais de quels mécanismes peut-il atteindre cet objectif?
Une compensation financière proportionnelle à l’effort de prévention des Communautés peut contribuer à la mise en place d’une politique plus active.
Un des dispositifs suggéré par la théorie économique est celui dit des «matching grants». Suivant ce principe, l’État fédéral devrait octroyer aux Communautés une compensation conditionnelle à leur effort de prévention. La compensation peut par exemple prendre la forme d’un montant de x € accordés par le fédéral aux Communautés pour chaque euro dépensé par ces dernières. Ceci nécessite un effort de coordination entre la politique de la santé et la politique des soins de santé, par le biais de programmes déterminés en commun accord entre les différents niveaux de compétence.
Partant du même principe, on pourrait envisager une compensation conditionnelle non pas à une dépense des Communautés mais aux résultats obtenus par ces dernières en matière de santé publique. La compensation pourrait ainsi être basée sur l’évolution d’indicateurs tels que la proportion de fumeurs dans la population, le taux de survie à 5 ans après le diagnostic d’un cancer, la prévalence de certaines maladies évitables, etc.
Cette politique, plus ambitieuse, aurait le mérite d’inciter les Communautés à utiliser plus efficacement les moyens publics. Une telle mesure – qui ne constitue pour le moment qu’une piste de recherche – devrait néanmoins être appliquée avec précaution pour plusieurs raisons. La première provient de la mesure, parfois contestable, des indicateurs sur lesquels pourrait être basée la compensation. Par ailleurs, les autorités publiques en place ne sont pas les seules responsables de l’état de santé général de la population. Ce dernier résulte en effet aussi, d’une part, des décisions prises auparavant éventuellement par d’autres autorités (les objectifs de santé publics résultent de politiques à long terme) et, d’autre part, du mode de vie des individus sur lequel les gouvernements n’ont pas complètement prise.
Les deux mesures suggérées partent d’un principe commun qui consiste à conditionner le financement du gouvernement fédéral à des actions – si possible efficaces – entreprises par les Communautés. Notons ici qu’il est essentiel que la compensation accordée prenne – fût-ce partiellement – la forme d’une compensation conditionnelle à une action et non d’un montant forfaitaire qui n’aurait aucun effet incitatif pour les Communautés.

Une focalisation quasi exclusive sur la dimension curative

Le contexte budgétaire qui caractérise la Belgique engendre une politique de santé qui se développe presqu’exclusivement autour du traitement des maladies. Dans un environnement où les dépenses sont strictement limitées et où les possibilités d’allocation du budget sont multiples, il n’est en effet pas payant pour les Communautés d’investir massivement dans des activités de prévention dont les bénéfices ne se réalisent qu’à long terme et qui ne leur profitent pas politiquement compte tenu du découpage des compétences en matière de santé dans notre pays. Pourtant, la prévention comporte des avantages. Outre le fait qu’elle permettrait d’améliorer la productivité de travailleurs en meilleure santé et d’éviter le coût de certains traitements, une politique de prévention volontariste engendrerait des gains considérables en termes de qualité de vie pour la population.
François Daue , Senior Fellow à l’Itinera Institute, David Crainich , chargé de recherches au CNRS et professeur associé à l’IESEG School of Management (Université catholique de Lille)
Ce texte est extrait du rapport ‘L’avenir des soins de santé: oser le diagnostic et les thérapies’, publié fin 2008 par l’Itinera Institute. Ce document de près de 300 pages propose une ‘anatomie du système de santé en Belgique’; un ‘diagnostic des forces et faiblesses’ du système, dont est tiré ce chapitre sur la prévention; huit ‘solutions pour le XXIe siècle’.
Adresse des auteurs: Itinera Institute asbl, Bd Léopold II 184d, 1080 Bruxelles. Tél.: 02 412 02 62. Fax: 02 412 02 69. Courriel: info@itinerainstitute.org. Site: https://www.itinerainstitute.org .

(1) Pour plus de détails, voir Corens D. Health System review: Belgium. Health Systems in Transition, 2007; 9 (2): 1-172.
(2) OCDE, Éco-santé 2006
(3) L’OCDE renseigne en fait une dépense publique de prévention de 35 € par habitant en Belgique pour l’année 2003. Mais pour permettre une comparaison entre pays, nous avons utilisé le taux de change PPA (parité de pouvoir d’achat) qui intègre à la fois le taux de change d’une devise à l’autre et le niveau général des prix afin de mieux évaluer les actions qui peuvent être entreprises avec un montant donné dans chaque pays. Ainsi corrigée la dépense publique de prévention par habitant en Belgique est de 28 €.
(4) Morbidity and Mortality Weekly Report Highlights, April 12, 2002, Vol. 51, No. 14.
(5) Ce qui signifie qu’un programme de vaccination des personnes âgées engendrerait, comparativement aux autres programmes de santé entrepris, des bénéfices liés à une meilleure qualité de vie qui justifient son application.
(6) De Graeve, Verhaegen et al., Kosteffectiviteit van vaccinatie tegen pneumokokkenbacteriëmie bij bejaarden: resultaten voor België, Acta Clinica Belgica, 2000, 55,5, pp 257-265.

Comment sont définies les priorités de santé publique?

Le 30 Déc 20

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Il nous paraît intéressant de faire écho à un article de Jeremy Shiffman (Maxwell School, Université de Syracuse, État de New York) publié dans le Bulletin de l’OMS d’août dernier (1). Cet article questionne en effet le paradigme objectiviste qui prévaut dans le champ de la santé et met en avant un paradigme constructiviste pour expliquer les disparités entre les divers problèmes de santé publique selon l’intérêt que leur portent décideurs et donateurs.
Le débat entre ces deux paradigmes – on peut même parler de débat épistémologique – n’est pas neuf dans les sciences humaines mais il pourra paraître audacieux dans le monde médical, toujours soucieux d’objectivité scientifique.
L’article part d’un simple constat: certains problèmes de santé publique drainent l’attention des dirigeants politiques et des financeurs tandis que d’autres restent à l’arrière-plan, sans que ces différences s’expliquent forcément par des facteurs objectifs tels que la morbidité et la mortalité ou par l’existence de moyens d’action efficients (c’est-à-dire «rentables» en termes de coût/efficacité). C’est ainsi, écrit Shiffman , que les programmes portant sur le VIH/SIDA, qui représente environ 5% de la mortalité dans les pays à bas et moyen revenu, recevaient au début des années 2000 plus du tiers de toutes les grandes donations en matière de santé.
De même, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a drainé des ressources importantes alors qu’il n’était responsable que de quelques centaines de décès (2). Inversement, des maladies transmissibles comme la pneumonie ou la diarrhée, qui tuent chaque année des millions de personnes et contre lesquelles on dispose de moyens d’intervention efficients, n’attirent que des financements modestes.
L’idéal objectiviste, selon lequel c’est l’importance rigoureusement mesurable d’un problème (gravité, fréquence, etc.) ainsi qu’une neutralité gestionnaire (calcul coût/bénéfice) qui prévalent dans les décisions en matière de santé publique, est ainsi mis à mal.
Pour expliquer ces disparités, il faut recourir au paradigme constructiviste ( social constructionism ): ce que nous appelons «réalité» n’est pas quelque chose qui serait là, devant et hors de nous, indépendamment de l’observation humaine. La réalité n’est pas un donné objectif mais un construit social; nous la construisons à travers des catégories mentales et des interactions sociales.
Il en va ainsi, par exemple, du «risque» au sens courant du terme (le fait de percevoir tel phénomène, tel comportement comme risqué ou non est sujet à de multiples variations en fonction de facteurs socioculturels) mais aussi au sens médical: un «facteur de risque» est le résultat de la réduction explicite d’une question à certaines variables et du calcul d’associations statistiques entre celles-ci.
L’implication pour la question qui nous occupe ici est la suivante: un problème de santé se voit accorder de l’attention moins en raison de son «importance» objectivable que de la manière dont il est mis en exergue par ceux qui sont convaincus de son importance (et/ou qui y ont intérêt, ajouterons-nous). Cela ne signifie pas, souligne Shiffman, qu’il n’existe aucun lien entre la matérialité des faits et l’attention accordée à un problème, mais que ce lien est distendu et qu’il est toujours influencé par des représentations sociales.
Pour aller plus loin, l’auteur se réfère à une publication précédente (3), qui montrait à quel point il avait été difficile d’attirer l’attention des politiques sur le problème de la mortalité maternelle et, à partir de là, proposait 11 facteurs explicatifs regroupés en quatre catégories: le poids des acteurs motivés par un problème de santé publique; la force de leurs arguments; le contexte politique; les caractéristiques propres du problème de santé. Il se propose ici de centrer son hypothèse explicative sur trois de ces facteurs (mais sans expliciter les raisons de ce choix): les policy communities mobilisées par un problème de santé; les types d’arguments et de représentations du problème qu’elles développent; les institutions qui promeuvent cette argumentation et ces représentations.

Intérêt partagé

La notion de policy community pose un problème de traduction qui n’est pas seulement linguistique mais conceptuel. Shiffman définit en effet ces ensembles comme «des réseaux d’individus (chercheurs, militants, décideurs politiques, fonctionnaires…) et d’organisations (gouvernements, ONG, agences des Nations Unies, fondations…) qui partagent un intérêt pour un problème particulier». L’expression «intérêt partagé» est évidemment assez vague (4) et la polysémie du terme «réseau» n’arrange rien. En tout cas, il ne s’agit pas simplement des lobbies installés auprès des grandes institutions politiques comme l’Union européenne. Alors, faut-il dire simplement «communauté d’intérêts» ou «alliance objective»? Ces formulations sont très générales et n’impliquent pas forcément d’action concertée… Le manque de précision de ce concept nous semble constituer une faiblesse de la démonstration proposée ici.

Représentations sociales

Quoi qu’il en soit, le cœur de l’activité d’une policy community serait de l’ordre des représentations sociales: fixer l’attention de l’opinion (l’opinion publique mais surtout celle des cercles de décision) sur un problème de santé qui doit apparaître comme une problématique sociale crédible, convaincante en soi, mais aussi marquante, importante dans la vie des gens ( salient ).
Par exemple, l’éradication de la poliomyélite a été présentée comme une croisade humanitaire contre un fléau qui a affecté les enfants pendant des milliers d’années. Plus d’un occidental d’âge mûr aura été séduit par la possibilité de débarrasser le monde d’une maladie qui faisait naguère encore des ravages dans son propre pays.
L’enjeu est donc de déceler quelles images, quelles représentations d’un problème de santé sont susceptibles de «faire tilt», particulièrement auprès des relais d’opinion, des élites et des décideurs. Lesquels sont multiples et variés: pensons à un militant des droits de l’homme, à un épidémiologiste, à un ministre des finances… Aussi les problèmes de santé qui ont été le plus mobilisateurs sont-ils ceux qui ont mis en œuvre de multiples représentations: « par exemple , écrit Shiffman, le VIH / SIDA a été dépeint comme un problème de santé publique , une question de développement [ socio économique ], une crise humanitaire , une affaire de droits humains et une menace pour la sécurité ».
Exemples à l’appui, il montre aussi que les discours destinés à promouvoir tel ou tel problème de santé développent presque tous une rhétorique qui se situe sur deux versants. Le premier porte sur le problème, présenté comme grave et sous-estimé: « le problème X reçoit beaucoup moins de ressources financières qu’il le mérite , eu égard aux dommages sérieux qu’il cause ou peut causer à l’avenir ». Le second porte sur la solution, présentée comme réaliste et avantageuse: « le problème X est surmontable ( ou , s’il ne l’est pas encore , le besoin est urgent de trouver le moyen d’y arriver ) et , une fois qu’il sera surmonté , les gains et / ou les dommages évités seront remarquables ».

Institutions porteuses

Mais la qualité de l’argumentation ne suffit pas: encore faut-il que celle-ci soit portée, valorisée et pérennisée par des «institutions». Par ce dernier mot, il faut entendre non seulement des entités organisationnelles bien précises (par exemple l’OMS, l’UNICEF, ONUSIDA ou de nombreuses ONG et associations centrées sur telle ou telle question de santé publique) mais aussi «les règles, les normes et les stratégies adoptées par les individus qui interviennent à l’intérieur des organisations ou de manière transversale ( accross organizations )» (5), ce qui correspond plus ou moins à la notion de «culture institutionnelle». Pour Shiffman, l’existence de telles institutions est cruciale pour que la problématique qu’elles portent parvienne puis reste à l’agenda de la santé dans les cercles de décision politique.

La communication, indispensable

Si l’on suit cette thèse, la communication, loin d’être une activité secondaire en santé publique, apparaît comme une stratégie de premier plan. Les «communautés d’intérêts en matière de politiques sanitaires» devraient dès lors apprendre à communiquer en mettant systématiquement en avant la gravité et la sous-estimation du problème qu’elles veulent promouvoir ainsi que l’efficacité et les avantages des réponses qui peuvent y être apportées.
Il leur faudrait aussi apprendre à présenter leur dossier en fonction des préoccupations des décideurs et en choisissant les représentations du problème le plus susceptibles de retenir leur attention. Elles auraient enfin avantage à fonder des institutions dévolues à plaider en faveur de «leur» problème plutôt que d’espérer voir les institutions existantes s’y intéresser; à défaut, elles devraient tout faire pour que celles-ci créent un département affecté à cette problématique. Reste que tous les problèmes de santé publique ne se prêtent vraisemblablement pas à un tel traitement: ce n’est pas un hasard si Shiffman donne souvent en exemple le VIH/SIDA.
« Mon intention initiale , conclut-il avec candeur ou cynisme, n’était pas de suggérer aux policy communities ce qu’elles devraient faire ni de dire en quoi consiste le comportement le plus approprié en matière de plaidoyer». Précaution oratoire, comme il en est d’autres dans le texte? Mais la suite est plus surprenante car elle semble jetée comme un pavé éthique dans une mare jusque là pragmatique. Nous traduisons quasi intégralement ce passage (6): «Puisque de multiples policy communities luttent pour attirer l’attention en développant des arguments et en créant des institutions pour promouvoir leur propre problématique, les pauvres reçoivent ils leur dû ? Certains observateurs ont exprimé des doutes quant à l’intérêt d’une telle compétition . Ils plaident pour une architecture plus rationnelle , qui soit focalisée sur le bien public dans son ensemble , prenne en compte , pour l’allocation des ressources , des facteurs matériels comme le coût réel de la maladie , et soit attentive aux priorités des citoyens du pays . On trouve ces préoccupations derrière plusieurs initiatives nouvelles visant à promouvoir l’harmonisation de l’aide sanitaire (…) et l’appel à rejeter les initiatives axées sur un problème spécifique , au profit d’une approche intégrée mettant l’accent sur le renforcement des systèmes de santé . D’autres observateurs , par ailleurs , font remarquer que la compétition peut aider à faire surgir des idées et des énergies nouvelles pour affronter les besoins de santé des pauvres , et que les initiatives ciblées sont plus susceptibles d’engendrer résultats , responsabilisation et soutien politique . Ils signalent aussi que l’harmonisation peut conduire à une architecture non pas rationnelle mais autoritaire : une petite élite d’organisations coalisées pour dicter ce qui est le mieux pour la santé des pauvres
Outre que, d’une manière ou d’une autre, c’est toujours une «petite élite», coalisée ou non, qui décide de ce qui est assez bon pour les pauvres, le débat apparaît alors comme un nouvel avatar de l’opposition classique entre planification et libre concurrence. Un débat tranché d’avance dans le monde contemporain, surtout aux USA. Du coup, on se dit que le «pavé éthique» a peut-être surtout une fonction rhétorique. Qu’il a peut-être été jeté essentiellement pour conforter l’option selon laquelle la compétition est bonne en soi parce que c’est le meilleur qui l’emportera pour le bien de tous. Encore une «représentation sociale»?
Alain Cherbonnier , licencié en éducation pour la santé, chargé de projet à Question Santé asbl

(1) A social explanation for the rise and fall of global health issues, Bull. World Health Organ. , vol. 87, 8, 608-13.
(2) Et la même chose a bien l’air de se produire avec l’épidémie de grippe A (H1-N1)…
(3) Shiffman J., Smith S., Generation of political priority for global health initiatives: a framework and case study of maternal mortality, Lancet 2007, 370, 1370-9.
(4) Pas un mot sur les divers intérêts (institutionnels, idéologiques, corporatistes, financiers, carriéristes, politiques stricto sensu ) qui mobilisent toute cette énergie…
(5) Ostrom E., Institutional rational choice: an assessment of the institutional analysis and development framework, in Sabatier P. A. (ed.), Theories of the policy process , Boulder (Colorado), Westview Press 2007, 21-65. Cité par l’auteur.
(6) Traduction dont ni l’auteur ni son éditeur ne peuvent être tenus pour responsables.

APES – ULg

Le 30 Déc 20

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Appui en Promotion et Éducation pour la Santé en Communauté française de Belgique

L’APES-ULg est une équipe pluridisciplinaire intégrée dans l’École de Santé Publique de l’Université de Liège. Elle collabore aux activités du Service de Santé au Travail et d’Éducation pour la santé.
Dans le champ de la promotion de la santé, l’APES-ULg se positionne résolument à l’interface entre les acteurs de terrain, les acteurs politiques ou administratifs et les acteurs de la recherche. Dans cette optique, le soutien, l’accompagnement ou le conseil méthodologique restent au centre des préoccupations de l’équipe. L’expertise se veut une incitation à l’échange de compétences et à la construction collective des connaissances .
Ainsi, les services offerts par l’APES-ULg sont nourris grâce à la synergie entre les différents acteurs : d’un côté, par les références documentaires, les recherches et les contacts scientifiques; de l’autre, par la description des demandes et des pratiques des intervenants et des décideurs, ainsi que par la construction d’outils et de démarches en collaboration avec eux.

Un Service Communautaire de Promotion de la Santé

(SCPS)

L’APES-ULg est un Service Communautaire de Promotion de la Santé agréé par le Ministère de la santé de la Communauté française de Belgique pour vous conseiller et vous aider dans la conception et l’évaluation de vos projets en promotion, prévention et éducation pour la santé. Il apporte ce soutien à la demande.
Depuis 2006, l’APES-ULg accorde une attention particulière à la Promotion de la santé à l’école en développant des outils et des démarches pour faciliter l’application et l’évaluation des projets de services des Services PSE et Centres PMS, mais aussi en soutenant les initiatives visant à promouvoir la santé dans les établissements scolaires.

Une équipe pour la recherche et l’expertise en Promotion et Éducation pour la Santé

.
Les expertises en cours concernent, entre autres, le soutien à la parentalité avant et après la naissance (en collaboration avec l’ONE et avec ETAPE), l’évaluation des pratiques en promotion de la santé mentale (dans le cadre d’un programme Interreg- Grande Région), la formation en matière d’évaluation d’actions et de programmes (en partenariat avec l’EHESP en France), la formation aux approches qualitatives et aux méthodes mixtes en matière d’évaluation, etc. Les études des années précédentes, les communications et articles divers peuvent être téléchargés sur le site https://www.apes.be à la rubrique «expertise-évaluation/articles scientifiques et rapports» ou directement sur le site de l’université https://orbi.ulg.ac.be en recherchant APES-ULg, le nom d’un membre de l’équipe, promotion de la santé ou un thème particulier.

APES-ULg École de Santé Publique de l’Université de Liège, Sart Tilman B 23, 4000 Liège (Belgique). Tél. 32 (0)4 366 28 97. Fax. 32 (0)4 366 28 89. Courriel: stes.apes@ulg.ac.be. Site web: https://www.apes.be

Futur. Actualiser la promotion de la santé à partir des agendas sociaux et politiques

Le 30 Déc 20

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Regard sur les déclarations de politiques régionales et communautaire

En mars dernier, lors de la rencontre proposée par l’APES-ULg, le débat a porté, brièvement, sur la place réelle de la promotion de la santé au sein des politiques menées par la Communauté française… Une grenouille qui voudrait se faire aussi grosse qu’un bœuf?
S’il est possible d’identifier un dispositif administratif et professionnel (législation, budget, instances, services, projets…), il semble bien plus difficile d’analyser la contribution de ce dispositif d’une part aux politiques mises en place et, d’autre part, à la ‘capacité des populations à prendre en charge leur santé’. Néanmoins, on peut avancer, sans grand risque de se tromper, que le débat public et les enjeux politiques négligent la promotion de la santé, comme dispositif.
Pourquoi cette absence d’influence? On peut évoquer plusieurs raisons qui mériteraient développements et analyses nuancées en d’autres lieux:
-la dispersion des compétences en matière de santé entre le fédéral et les entités fédérées;
-la place relative (modeste, voire très modeste) de la prévention dans le système de soins (dit de santé), mais aussi cette même place relative au regard des principaux dispositifs de la Communauté, l’enseignement et la culture;
-la représentation sociale de la santé parmi la majeure partie de la population et donc de ses représentants, qui reste pour l’essentiel l’absence de maladie;
-une difficulté réelle pour la promotion de la santé, au vu de la complexité de son objet, de clarifier ses modalités d’action et ses effets dans le temps et dans l’espace pour faire valoir son efficacité et rendre des comptes sur son action;
-la dispersion des acteurs spécialisés et leur manque d’identité professionnelle (corpus de connaissances et de pratiques entre autres). Pour différentes raisons à approfondir, il n’y a pas de regroupement professionnel, mais une offre de formation initiale dispersée, des origines professionnelles multiples, une offre de formation continuée faible, pas ou peu de recherche scientifique… Certains acteurs, dans le dispositif lui-même, revendiquent d’ailleurs ce manque d’identité au nom d’une approche globale et transversale de la santé;
-la ‘prétention’ de la promotion de la santé (de son dispositif?) à l’universalisme (tout serait matière à santé) au regard de ses moyens et de ses méthodes. La promotion de la santé érige en principes incontournables des finalités sociétales louables telles que la lutte contre les inégalités de santé ou le renforcement du pouvoir de dire et d’agir des citoyens sur leur santé. Cependant le caractère universel et global de ces principes pousserait certains à considérer qu’ il ne serait pas possible, voire contre nature, de se professionnaliser. A force de courir après un modèle holistique de la santé et la multiplicité des déterminants de la santé, le risque est grand de se diluer totalement et de devenir transparent. A force d’être soluble dans la société, la promotion de la santé est devenue indiscernable.

Le manque de participation au débat public

C’est ce dernier point que nous voudrions traiter en proposant de remettre au goût du jour une des pistes déjà bien présente dans la charte d’Ottawa en 1986: le plaidoyer.
Que faire?
Lors de notre rencontre en mars, les représentants politiques nous ont encouragés à interpeller le parlement et sa commission santé et pas seulement le gouvernement. Six mois et une élection plus tard, examinons les déclarations de politique générale de la Communauté et des Régions pour identifier quelques points à leur soumettre sur une contribution du référentiel et du dispositif de la promotion de la santé, mais aussi quelques enjeux de société susceptibles d’interpeller les assemblées.

Premier enjeu: la régionalisation de la promotion de la santé

Poser la question de la place de la promotion de la santé dans le futur paysage institutionnel belge a au moins le mérite d’oser un débat d’actualité. Mais c’est plus que cela!
Nous y voyons de nombreux avantages et, en particulier, une approche cohérente de la lutte contre les inégalités sociales de santé. Les politiques sociales sont régionales. La meilleure manière d’y contribuer, c’est d’en faire partie. Les plans de cohésion sociale des communes initiés, financés et pilotés par la Région ont un volet sur l’accès à la santé. De plus, la régionalisation permettrait d’envisager un renforcement global du dispositif ‘santé publique’ en y associant la santé mentale, le secteur de prise en charge des assuétudes, des centres collectifs de santé, des soins à domicile, des hôpitaux… Un échelon de moins dans la dispersion des compétences. Plus de cohérence, des économies d’échelle, plus de leviers, plus de visibilité, plus d’intérêt de la population, des médias… du politique.
Sur le modèle d’une proposition faite à propos de l’enseignement, la Communauté pourrait garder des prérogatives normatives, mais le pouvoir organisateur serait la Région.
La Région bruxelloise a déjà défini une politique de promotion de la santé et s’est inscrite dans le réseau OMS des ‘villes santé’. Nous attendons, au minimum, que le parlement de la Région wallonne organise un débat au cours de la législature sur son rôle en matière de santé, en particulier dans le cadre de sa politique sociale. La promotion de la santé pourrait y montrer sa contribution en tant que référentiel et que dispositif (en particulier le rôle des centres locaux de promotion de la santé).
Que trouve-t-on sur cette question dans les déclarations de politique?
Au niveau wallon:
Une Fédération Wallonie Bruxelles consacrant la solidarité francophone dans un Etat fédéral belge moderne basé sur trois Régions fortes et égales . […] Un réel pilotage commun qui reposera sur deux Régions fortes composant ensemble une Fédération Wallonie Bruxelles tout aussi forte .’
La Région wallonne propose un chapitre santé (partie II). Son introduction ouvre la voie à un réel débat au parlement sur une région promotrice de santé :
« Prévenir , soigner , guérir les maladies et promouvoir la santé , telles doivent être les missions essentielles de notre système de santé […]. Le Gouvernement s’attellera dans ce cadre à travailler en synergies étroites avec la Fédération Wallonie Bruxelles . […] Il contribuera à la réduction des inégalités devant la santé en développant une réelle politique intersectorielle destinée à embrasser l’ensemble des facteurs déterminants de la santé : ceux d’ordre sanitaire ( le système de soins ) mais aussi ceux qui contribuent à l’amélioration du bien être et de la qualité de vie ( revenu et statut social , environnement social et physique , éducation et formation , habitudes de vie et de santé , emploi , réseaux de soutien social …). […] Le Gouvernement veillera également à promouvoir des lieux de vie favorables à la santé ( villes , villages et communes , hôpitaux , entreprises etc .) en veillant à la participation des populations dans la mise en oeuvre des projets . […]»
La déclaration de la Région bruxelloise (Cocof) propose un chapitre qui joint ‘les politiques sociales et de santé’.

Deuxième enjeu: le réchauffement climatique et plus largement l’environnement voire le développement durable

Si le premier enjeu est surtout institutionnel et belgo-belge, voici un enjeu planétaire, brûlant d’actualité et qui sert de toile de fond à l’actuelle coalition politique. Y a-t-il ici une place pour la promotion de la santé?
Pour faire court, il est évident que les modifications climatiques ont déjà et auront encore plus dans l’avenir un impact important sur la santé des populations. Il est aussi évident que les stratégies de modification des cadres et des modes de vie pour prévenir le réchauffement climatique et préserver notre environnement vont de pair avec celles qui visent à promouvoir la santé.
Les propositions de développement durable abondent dans les déclarations de politique régionale et communautaire, mais la contribution de la santé y est peu apparente. Or, dès la déclaration de Rio, la santé figure comme un enjeu du développement durable dans les textes onusiens.
Une piste parmi d’autres. Dans la troisième partie de la déclaration régionale (point 4), le gouvernement souhaite ‘ une administration qui intègre le développement durable ‘ et propose de ‘ mettre en place une cellule administrative spécifique chargée de formuler des avis sur base d’un examen « développement durable ».’ Voilà une voie possible pour une démarche EIS (évaluation de l’impact santé) telle qu’appliquée au Québec. Il suffirait (!) que le critère ‘santé’ soit reconnu comme faisant partie d’un examen ‘développement durable’.
D’autres pistes régionales: le PCDR (plan communal de développement rural) qui serait plus transversal pourrait intégrer l’approche de la promotion de la santé et de la qualité de vie. La même intégration pourrait être tentée en regard du plan stratégique communal qui doit inclure un volet ‘promotion des lieux de vie favorables à la santé’: aménagement du territoire, environnement, logement, mobilité, accueil des enfants, des jeunes et des seniors, etc.
Au niveau de l’enseignement, pourquoi ne pas croiser le module d’initiation à la citoyenneté, l’éducation à l’environnement et au développement durable, l’éducation à l’interculturalité, l’éducation aux médias, l’éducation à la vie affective et sexuelle, l’éducation à la prévention des assuétudes avec la demande à chaque école d’intégrer dans son projet la notion de promotion du bien-être de l’enfant dans toutes ses dimensions (organiser des cellules ‘bien-être’) avec, en plus, la demande de développer des projets participatifs. Une vision et une approche plus globale des attentes sociétales vis-à-vis de l’école et de l’enseignement, par exemple dans le cadre d’un agenda 21 scolaire alliant développement durable et promotion de la santé, apporterait de la cohérence.
L’action plus transversale dans une dynamique de développement territorial global des centres culturels en introduisant une approche de la qualité de vie et de la santé.

Troisième enjeu: le vieillissement de la population

Cet enjeu occupe peut-être moins la scène médiatique pour l’instant, mais est tout aussi inéluctable, surtout en période d’austérité budgétaire.
Ici aussi la promotion de la santé devrait jouer un rôle essentiel dans la prévention de la dépendance, dans l’ajout de la qualité de vie aux années de vie. Remarquons aussi que les politiques en la matière sont fédérales et régionales et interagissent avec les enjeux de la régionalisation et du développement durable. La Communauté, historiquement orientée vers l’enfance et la jeunesse, a négligé cette population.
Quels leviers trouver dans les déclarations de politique?
Dans le volet régional, au chapitre ‘Assurer une vraie place pour les aînés’, le point 3 porte sur ‘ une politique de prévention des risques de santé liés à l’âge . Favoriser , chez les aînés , toutes les activités leur permettant de conserver une bonne santé physique , […] pratique régulière et adaptée d’un sport […] alimentation équilibrée , sensibilisation au danger de l’automédication et à l’importance de la participation à la vie sociale et culturelle .’ Et pour la première fois, un paragraphe sur la santé des aînés apparaît dans le chapitre ‘santé’ (point 8) de la déclaration de la Communauté (un copié-collé de la déclaration régionale).
Le vieillissement de la population apparaît aussi comme un thème majeur pour la recherche wallonne: ‘ Le vieillissement de la population constitue une thématique de recherche transversale par excellence . Il s’agit d’étudier les nouveaux rôles des personnes âgées dans la société , d’établir les besoins en matière de support aux personnes âgées ( notamment en matière d’autonomie et de soutien aux familles ) et de soutenir la recherche sur le traitement des maladies liées au vieillissement .’ Mais pas de place pour l’instant (et c’est là un enjeu fort) pour une approche large du vieillissement intégrant la prévention et la promotion de la santé. La Région n’envisage la recherche que dans le cadre de ses compétences sociales et économiques (volet pharmaceutique!).

Actualiser la promotion de la santé passe par la confrontation des concepts et des méthodes avec les enjeux sociaux vécus par la population, amplifiés par les médias et saisis par les représentants politiques. Le secteur de la promotion de la santé et les professionnels qui y travaillent doivent amplifier leur plaidoyer. Ce n’est pas une question d’opportunité, la mobilisation sociale fait partie intégrante du concept et des méthodes: renforcer notre pouvoir de dire et d’agir comme acteur, diversifier et approfondir les réseaux, trouver des alliés.
Michel Demarteau , Docteur en santé publique

Synthèse. La promotion de la santé en Communauté française de Belgique: entre enfermements et ouvertures?

Le 30 Déc 20

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Ce compte rendu des échanges menés le 28 mars se propose de restituer les analyses ou les propositions des participants. Il ne mentionne pas les auteurs des propos, il se veut simplement le reflet d’un moment de construction collective. Le débat n’est pas clos, la mise par écrit ne doit pas tuer l’esprit, et il serait heureux que ces idées s’envolent, et ne restent pas lettres mortes…
Suite aux présentations, les participants au séminaire ont engagé une discussion autour d’une même problématique: la promotion de la santé est-elle enfermée dans son décret?
Il y a plusieurs manières d’être enfermés ou de s’enfermer. D’une manière générale, le dispositif mis en place par le décret peine à rencontrer les exigences liées à la multiplicité des déterminants de la santé. Le récent mariage (forcé?) avec la médecine préventive pourrait tout aussi bien être une chance d’augmenter la diffusion de la promotion de la santé, tout comme une malédiction qui la clouerait à jamais dans le préventif et le curatif.
Comme le décrit le texte de Chantal Vandoorne ‘Promotion de la santé, prévention, éducation pour la santé: parle-t-on de la même chose?’, l’écologie des concepts de promotion de la santé et de prévention est fragile. Leur organisation conceptuelle et structurelle relève d’une dialectique dont les conditions de possibilité ne sont pas posées.
Les professionnels de la promotion de la santé se confrontent à un double impératif. D’un côté, la littérature, l’expérience québécoise, les réussites démontrent que les stratégies d’Ottawa sont souvent payantes. La promotion de la santé devrait donc avoir une légitimité et une reconnaissance qui faciliterait le travail des professionnels. D’un autre côté, la promotion de la santé demeure un objet «farfelu» dont les acteurs politiques ne savent que faire. La promotion de la santé ne rentre pas facilement dans les cases et les habitudes de l’action publique. Les balises du débat étant posées, voyons quelles en sont les fermetures et les ouvertures.

Des enfermements

Dans l’exécutif

Dans le processus démocratique, les débats au Parlement sont incontournables. Or, il semblerait que les acteurs de la promotion de la santé ne s’appuient pas suffisamment sur les parlementaires, ne pratiquent pas assez l’interpellation politique. En effet, les actions de promotion de la santé, liées à des subventions publiques, seraient trop enfermées dans leurs liens avec le pouvoir exécutif.
Des contacts plus fréquents devraient être développés avec les hommes et les femmes qui nous représentent au Parlement. Les décisions en matière de santé publique devraient être fondées sur des données fiables et contextualisées, parmi lesquelles les données fournies par les observatoires de la santé. Alors que la bonne gouvernance devient un leitmotiv de l’action publique, une certaine vigilance démocratique consisterait à évaluer la justesse des prises de décision à l’aune de ces données.

Dans les marges de l’action publique

Si la promotion de la santé paraît farfelue, c’est principalement en regard de la logique qui organise l’Etat. Dans un pays organisé selon le principe de la répartition des compétences, la promotion de la santé a peu de chance d’exister en tant que telle. Alors qu’elle propose des stratégies intersectorielles, qu’elle vise un éventail très large de déterminants de la santé et du bien-être, elle se heurte à une culture du «pré carré». L’environnement, ce n’est pas la santé; le sport, ce n’est pas l’activité physique, etc.
L’enfermement se réalise par un rejet de la promotion de la santé dans les marges de l’action publique, alors qu’elle pourrait en être un des axes intégrateurs. Pourtant, ce sont bien les projets qui rassemblent différentes compétences, qui prennent le temps d’organiser le travail et l’action, qui sont porteurs de changements.
En regard de l’expérience québécoise, la promotion de la santé en Communauté française de Belgique devrait «se rénover», c’est-à-dire qu’il est peut-être temps de passer à un véritable secteur d’activité dont les budgets sont exclusivement dédiés à des missions propres et non en partie détournés à d’autres fins, parfois éloignées des stratégies d’Ottawa (d’où l’importance d’un débat sur la dialectique entre promotion et prévention). Comment travailler à réduire les inégalités sociales de santé par une prise en compte des déterminants collectifs? Comment, en l’état actuel, lutter contre les inégalités sociales de santé alors que les déterminants débordent largement l’action médicale?

Par la vision du monde des jeunes médecins

Les rapports entre la prévention et la promotion de la santé se rejoueront indéfiniment tant que la formation des médecins n’intégrera pas les principes de la promotion de la santé. Les programmes des cours demeurent réducteurs et n’osent pas entrer de plein pied dans l’innovation en intégrant réellement d’autres approches de la santé comme par exemple la sociologie de la santé. Sans la pénétration de la promotion de la santé dans les formations initiales, le travail d’argumentation, de conviction que déploient les professionnels sera toujours à recommencer.

Des échappées

Sortir de l’enfermement par la participation

Même si la question de la participation soulève de nombreux enjeux éthiques et politiques, elle demeure un incontournable de la promotion de la santé. Ainsi, la mise en place de réseaux intersectoriels n’est pas suffisante. Les usagers, les habitants… doivent être associés à ces réseaux. Sans cette précaution, les réseaux mis en place risquent de reproduire l’exclusion et de travailler «au-dessus de la tête de la population».

Sortir de l’enfermement par l’inscription du référentiel de la promotion de la santé dans les agendas politiques

En matière d’action publique, les compétences liées aux déterminants de la santé sont dispersées. La promotion de la santé pourrait constituer un référentiel commun qui tisserait des liens entre les compétences. La promotion de la santé gagnerait à s’inscrire dans les agendas politiques des entités fédérées, des Provinces et des Communes. Un effort d’accompagnement devrait être mis en place afin de faciliter la traduction des compétences de chaque institution à partir du référentiel de la promotion de la santé.
La promotion de la santé devrait à l’avenir pénétrer la culture politique, au même titre que le développement durable.

Sortir de l’enfermement en brisant le lien entre le référentiel de promotion de la santé et la compétence institutionnelle en ce domaine

Si la promotion de la santé ne peut remplir son rôle, c’est aussi parce que le concept se confond avec le décret pour de nombreux acteurs. Tant que cette confusion existe, la mise en œuvre de la promotion de la santé rencontrera des difficultés, non pas directement sur le terrain, mais bien au niveau des institutions et des décideurs sans lesquels une action intersectorielle durable ne peut exister.
Un effort de communication devrait être entrepris à propos de la promotion de la santé, tant auprès des décideurs que des professionnels et du grand public. Ce dernier est souvent le récepteur de messages dont il n’identifie pas les liens avec la promotion de la santé.

En guise de conclusion


La promotion de la santé se décrète-t-elle? Il semblerait que la réponse suive deux pistes. D’un côté, la promotion de la santé devrait continuer à faire l’objet d’un décret spécifique qui définit ses contours, institue ses missions et protège son budget – qui par ailleurs gagnerait à être revalorisé. Mais il devient urgent de mettre en place des stratégies légales et institutionnelles pour promouvoir le référentiel de la promotion de la santé dans les politiques et les compétences des autres secteurs. Des mécanismes contraignants, des outillages, des procédures et supports adéquats devraient permettre de développer des cadres professionnels et institutionnels dans les termes d’une promotion de la santé fondée sur les niveaux de preuve et les bonnes pratiques.
Gaëtan Absil , APES-ULg, sur la base de l’enregistrement du débat du 28 mars 2009

Illustrations. Prévention, réseaux et parentalité: l’accompagnement global en consultation prénatale

Le 30 Déc 20

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En France, les sages femmes devraient réaliser un entretien prénatal au 4e mois de grossesse avec les futurs parents. Afin d’envisager la transposition de cet entretien dans les consultations prénatales, le Comité scientifique de l’ONE a financé une recherche action, menée conjointement par les chercheurs de l’APES-ULg et de l’APALEM et les professionnels de trois consultations (deux hospitalières et une de quartier).
Dans le cours de cette recherche action, les professionnels et les chercheurs ont co-rédigé une proposition de référentiel dont voici quelques grandes lignes. L’offre de services aux futurs parents devrait prendre en compte les composantes psychologiques, psychosociales et sociales dans le parcours prénatal. Pour ce faire, l’offre s’articulerait autour de trois finalités (plus une): le soutien à la parentalité, le travail en réseau, la prévention des ‘risques psychosociaux’ (et la prévention des risques professionnels). Les démarches d’intervention seraient différenciées selon les caractéristiques des situations parentales. Enfin le maintien de plusieurs entretiens en contextes variés serait préféré à l’entretien unique inspiré du plan périnatalité français.
Un plan de formation émerge du référentiel; sa logique serait de favoriser la réflexion sur les modes d’apprentissages collectifs dans le cadre du travail d’équipe ou du travail en réseau. Concrètement, les professionnels ont identifié les pistes de formation suivantes: soutenir les pratiques d’entretiens, favoriser l’actualisation et l’harmonisation des référentiels professionnels, choisir des mots pour identifier et exprimer la vulnérabilité, etc.
Comment les stratégies de la promotion de la santé se sont-elles invitées dans cette recherche action? Tout d’abord, le processus de recherche action inscrit la participation des professionnels de terrain comme condition de la réalisation du projet.
Il s’agit bien d’inciter les professionnels à la définition de leur cadre de travail et non de leur imposer un outil. Les connaissances et les compétences mobilisées par les professionnels pour réaliser le référentiel initient un phénomène d’empowerment. Dans ce cas, l’empowerment des professionnels apparaît comme une condition d’un service de qualité ou comme condition de l’empowerment des futurs parents. La prise en compte des inégalités sociales dans le cadre de la parentalité relève à la fois d’une approche globale de la santé et d’un accompagnement sur le long terme par l’action sur les déterminants de la santé des enfants. Enfin, les professionnels ont formalisé le référentiel en tension éthique entre «une nouvelle police des familles» et la prévention de la négligence et de la maltraitance.

Que nous apprend cette recherche action sur le dialogue entre disciplines/professions ?

L’organisation du dialogue entre les différentes professions est cruciale pour optimiser les services offerts aux futurs parents. Ce dialogue s’organise dans un contexte où toutes les professions n’ont pas la même valeur sociale. Cette valeur sociale reproduit la hiérarchie des savoirs et des diplômes, et ne parvient que trop rarement à valoriser l’expertise et le savoir de chacun. Ceci est particulièrement vrai lorsque le dialogue devrait s’instaurer entre professions médicales (ce qui inclut les psychologues cliniciens) et sociales. Pourtant, la parentalité – que l’on ne peut limiter à la question de l’attachement – recouvre un large champ d’événements, dont aucun professionnel ne peut connaître l’étendue sans entrer en dialogue avec les parents et d’autres professionnels. Ce dialogue, qui ne doit pas être confondu avec le recoupement des enquêtes, devrait permettre la rencontre des points de vue de différentes disciplines autour de la parentalité. De part et d’autre, le franchissement ou l’estompement des frontières tracées par un imaginaire attaché aux valeurs sociales, relève de l’empowerment des professionnels.

Les différentes facettes des liens entre la recherche et l’action

La réalisation d’une telle recherche mène à la réalisation d’un projet, lui-même devant mener à certains changements. Or, le projet n’est pas en lui-même le changement. Pour que le changement se produise, le projet doit être reconnu et soutenu à tous les niveaux des institutions. La reconnaissance du projet consiste en la validation sociale de ce dernier. La difficulté consiste alors à jongler entre le temps nécessaire à la validation sociale – source réelle du changement – et l’urgence du changement. En particulier, le temps nécessaire aux changements de culture ou d’organisation insufflés par les stratégies de la promotion de la santé et aux changements liés aux processus de validation sociale du projet se heurte à l’urgence due aux pressions des médias et de l’opinion publique (abandons «sauvages», maltraitance d’enfant… ) relayées par les interpellations politiques.
Cette recherche s’appuie sur un processus de recherche-action ( Barbier ) issu du courant de l’analyse institutionnelle. Si cette recherche permet d’identifier des leviers pour l’action, elle permet aussi l’explicitation de procédures de travail développées sur le terrain par les professionnels. Parmi ces procédures, certaines relèvent de l’innovation face aux changements sociaux principalement liés à la pauvreté et à la précarité des populations.
Le processus de recherche-action devrait continuer, et les professionnels eux-mêmes devraient participer à la diffusion des innovations au sein des services. Considérer les résultats de cette recherche comme un savoir finalisé parce que fondu dans l’écrit, consisterait à briser le processus de participation et d’empowerment en lui substituant un processus ‘descendant’. A la construction en dialogue se substituerait l’imposition d’un savoir formalisé, dont la légitimité reposerait sur l’instrumentalisation du processus de recherche action et du savoir construit sur le terrain, comme garants de l’image de ce savoir (l’innovation ne vient pas de l’institution, mais du terrain).

Le soutien à la parentalité comme support des dynamiques interprofessionnelles et institutionnelles

La notion de soutien à la parentalité représente une occasion de réorienter les services d’aide et d’appui. A condition d’en discuter les tenants et les aboutissants, elle pourrait orienter les actions de professionnels travaillant dans différents secteurs. En effet, d’une part la référence à la parentalité offre la possibilité de construire un sens partagé de l’action, parce qu’elle est en partie indéfinie. D’autre part, elle pourrait s’inscrire dans un dialogue avec les personnes précarisées à condition de ne pas se référer à un modèle unique de «bons parents».
Toutefois, les enjeux qui existent entre les logiques des soignants et les logiques d’intervention psycho-médico-sociales, l’INAMI et les hôpitaux ne sauraient être systématiquement réglés par les professionnels de terrain. Ces derniers pourraient travailler de manière plus sereine et efficace si une part de ces enjeux trouvait des solutions entre les différentes institutions.
Gaëtan Absil (APES-ULg) et Elisabeth Prato (APALEM)

Illustrations. La différenciation du curatif et du préventif au travaers du champ de la santé mentale

Le 30 Déc 20

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Arrivés à mi-chemin d’un projet de recherche européen consacré à la thématique des relations entre les savoirs scientifiques et l’action publique dans le champ de la santé mentale (1), deux constats centraux peuvent d’ores et déjà être dressés. Sans s’intéresser précisément à l’éducation à la santé, l’attention portée aux nouveaux standards internationaux montre la prégnance d’une nouvelle vision des soins de santé mentale dite holistique.
En voulant prendre en compte tous les déterminants de la santé – parmi lesquels, l’éducation à la santé occupe une place de première importance – dans un seul cadre les articulant autour de la notion de «bien-être», cette position innovante, malgré un relatif consensus quant à sa pertinence, constitue un véritable challenge pour notre système de soins de santé. En effet, si l’impératif de coordination qui se dégage de cette nouvelle vision peut déjà poser problème dans un champ où se côtoient de nombreux paradigmes concurrents, la coexistence, en Belgique, de plusieurs niveaux de pouvoirs, et d’une administration bureaucratique complique encore considérablement la donne.
De l’asile à l’hôpital, jusqu’aux nouveaux lieux d’accueil en réseau, le secteur de la santé mentale a connu d’importantes reconfigurations qui témoignent de l’évolution de nos institutions et, corrélativement, de la citoyenneté et ses modèles de subjectivation individuelle. Que ce soit l’impératif sécuritaire du système asilaire ou le développement de services hospitaliers de prise en charge curative des pathologies avec le développement de l’Etat Providence, ces différentes attentes adressées par la société aux professionnels de la santé mentale se retrouvent encore aujourd’hui mises en tension.
Le développement ces dernières années d’une injonction à la responsabilisation des individus et d’un Etat dit «social actif» va s’accompagner d’une redéfinition des objectifs des systèmes de soins de santé mentale. La notion de «bien-être» définissant un état optimal ne se limitant pas à la seule absence de maladie est promue par l’OMS depuis sa fondation. Loin d’être anodin, cet objectif que les différents organismes internationaux tentent de mettre tout en haut de l’agenda politique des différents pays illustre parfaitement les nouvelles attentes qui pèsent sur le champ de la santé mentale. A un individu éduqué et responsable de son bien-être doivent faire face des praticiens moins directifs et dont le rôle s’apparente à une consultance dans différents parcours de vie singuliers (2).
Cette nouvelle vision passe, en Belgique, par une redéfinition du rôle de l’hôpital et son intégration dans des réseaux le reliant à une multitude d’intervenants. Educateurs, assistants sociaux, praticiens de l’hospitalier et de l’ambulatoire doivent pouvoir se coordonner pour faire advenir un modèle où le «care» domine le «cure». Parfois en concurrence, ces différents intervenants relèvent de plusieurs administrations et niveaux de pouvoir gérant eux-mêmes différemment leurs priorités et le contenu de leur politique.
Face aux difficultés de coordination qu’ont pu éprouver des administrations gérant des matières aussi diverses que l’éducation et la promotion de la santé, les services ambulatoires, les institutions hospitalières ou encore les affaires sociales, sont nées des expériences pilotes appelées projets thérapeutiques.

Une explication de la position du chercheur dans cette étude

L’étude de l’action organisée d’une part et des sciences et innovations, d’autre part, nous situe d’emblée dans une posture a-normative. L’armada conceptuel que nous mobilisons ne nous permettant aucunement de juger de la véracité des propos tenus par les acteurs, qu’ils soient scientifiques ou non, cette méthode nous met dans une position particulière que ce soit par rapport aux autres disciplines ou vis-à-vis des liens entre la recherche et l’action. La description et l’explicitation des énoncés scientifiques et des «futurs possibles» qu’ils mettent en œuvre permettent de les rendre plus facilement discutables par les acteurs à qui il revient d’en évaluer la désirabilité. Ainsi, si l’étude de la science rend questionnable certaines innovations dont la nature et les conséquences pouvaient, en d’autres temps, passer inaperçus (par exemple: quels conceptions du monde sous-tend tel instrument de mesure psychiatrique?), l’étude des organisations permet, à contrario, de mettre en lumière les mécanismes inhibant les facultés d’apprentissage et d’innovation des organisations. La mise en œuvre de nouveaux savoirs peut rencontrer de nombreux obstacles et nécessiter un travail de mise à plat des contraintes humaines et cognitives que l’inertie d’une organisation peut faire peser sur ses membres.
Sans aucune prétention de dire le «vrai», la posture méthodologique que nous privilégions tente, par l’investigation des schémas prospectifs que proposent les différents savoirs et l’aide à la prise de conscience des limites organisationnelles, de rendre aux acteurs prise sur leur activité collective. Au-delà d’une intégration des résultats de recherche dans les logiques institutionnelles, c’est à une prise de conscience de ces dernières et à un développement des capacités d’innovation que nous aspirons.
GC et FS

Organisés en deux grandes parties, ces projets visent à la fois à tester et évaluer les possibilités de mise en réseau tout en répondant aux difficultés de coopération éprouvées au niveau central par la mise en œuvre d’une coordination locale des intervenants. La mise en place de ces politiques dites «procédurales» soulève cependant plusieurs questions. Cette forme d’action publique laisse, en effet, et malgré un cadrage partiel, les acteurs locaux définir, pour leur projet, les grands objectifs et les manières d’y parvenir. Souvent utilisées dans des contextes potentiellement conflictuels, ces politiques qui relèvent d’un «Etat réseau» ou post-bureaucratique tranchent avec les pratiques bureaucratiques où l’intérêt général est défini entièrement à un niveau central et dont la seule mise en œuvre laisse une marge de manœuvre aux acteurs locaux. La gestion des soins de santé restant principalement le fait d’une administration bureaucratique centralisée, la tentation de contrôle peut être grande. Pris dans ce contexte, la réussite des projets et de la mise en réseau n’est pas garantie. De fait, entre l’hôpital et les les administrations existent des logiques convergentes (3). Par ailleurs, l’étude de projets particuliers montre que le primat du thérapeutique sur d’autres formes d’actions sociales est régulièrement rappelé. In fine, c’est ainsi la possibilité d’intégration des acteurs relevant de l’éducation à la santé ou de l’action sociale qui pose question et nous rappelle, dans la foulée de divers travaux en sociologie, que la coopération n’est jamais donnée.
Gaëtan Cerfontaine et Frédéric Schoenaers , Centre de Recherche et d’Intervention Sociologique de l’Université de Liège (CRIS) (1) Know & Pol, pour KNOWledge and POLicy making, programme européen s’intéressant par une étude multinationale et multi-niveaux à la question suivante «Comment les différentes sources d’information et les divers modes de connaissance sont-ils mobilisés dans le processus de décision? Douze équipes de recherche spécialisées dans l’analyse de politiques publiques sectorielles posent ces questions à propos des secteurs de l’éducation et de la santé, tous deux soumis aux pressions des gouvernements et des citoyens, et tous deux confrontés à la question de la combinaison des représentations scientifiques, pratiques et gestionnaires.» (www.knowandpol.eu)
(2) Ce travail de mise en perspective historique a abouti à une publication dont nous nous inspirons beaucoup pour ces quelques lignes: DE MUNCK (J.), GENARD (J.-L.), KUTY (O.), VRANCKEN (D.), DELGOFFE (D.), DONNAY (J.-Y.), MOUCHERON (M.), MACQUET (C.), 2003, ‘Santé mentale et citoyenneté : les mutations d’un champ de l’action publique’, Gent, Academia Press, Série: Problèmes actuels concernant la cohésion sociale. p. 180.
(3) Nous rejoignons, sur ce point, le constat qu’avaient déjà pu faire les auteurs mentionnés dans la note précédente.

Petit tour d’horizon des projets retenus

Le 30 Déc 20

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Être en bonne santé cardiovasculaire: vaste programme! Cela implique de manger sainement, de faire de l’exercice physique, de ne pas fumer – le programme 0/5/30 comme on dit à l’Observatoire de la Santé du Hainaut (0 cigarettes, 5 fruits et légumes par jour, 30 minutes d’exercice physique).
Une manière de vivre qu’il n’est pas évident d’adopter sur le long terme, pour beaucoup d’entre nous: la vie moderne favorise plutôt la sédentarité, la malbouffe et la dépendance à divers produits. Encore plus chez les plus vulnérables, ceux qui ont moins de moyens socio-économiques: il est de plus en plus évident que les inégalités sociales face à la santé ne font qu’augmenter et qu’elles sont, notamment, liées à une plus grande difficulté pour ces personnes de vivre en protégeant leur santé.
Favoriser la santé de tous passe par des mesures structurelles relatives à divers domaines: le travail, l’emploi, le logement, la production alimentaire, sans compter le développement d’infrastructures sportives accessibles, d’espaces verts et de plaines de jeux, etc. Et, on ne le dira jamais assez, inciter à des changements individuels que les conditions objectives ne permettent pas ou rendent très difficiles, cela impose beaucoup de prudence et de réflexion éthique: il ne faudrait pas en arriver à «blâmer la victime» comme on a facilement tendance à le faire. L’appel à projets «Bien-être et santé du cœur auprès de la population défavorisée», lancé par la Fondation Roi Baudouin, représente donc un fameux défi.

Des publics diversifiés

Les projets qui ont été retenus ont chacun leurs spécificités, comme on peut le voir dans les présentations de ce numéro; notre propos sera ici de souligner les points communs, les lignes de force qui traversent l’ensemble de ces initiatives.
Ces projets s’adressent à différents publics. La plupart d’entre eux sont indubitablement «défavorisés» – dénomination commode pour classifier, mais qui ne doit pas faire oublier la grande diversité de ceux qui se retrouvent dans cette catégorie… Ils sont migrants (Le Monde des Possibles), détenues (Service Éducation Santé de Huy), habitants de cité sociale ou de quartiers pauvres (Bouillon de Cultures, Intercommunale de santé de Saint Ghislain), élèves d’une école professionnelle (Institut Sainte-Marie, Seraing), apprenants en alphabétisation (Lire et Écrire, Charleroi), stagiaires en formation (Régie des quartiers d’Amay), personnes sans domicile fixe (Comme chez Nous, Charleroi), allocataires du CPAS entrant dans les conditions de l’insertion sociale (CPAS de Namur). Dans ces cas, l’association promotrice s’adresse, en général depuis plusieurs années, à un public précis qu’elle connaît bien et avec lequel elle a déjà, parfois, construit des activités liées au bien-être et au développement de compétences.
D’autres associations s’adressent au départ à un public «général», qui comprend en théorie toutes les gradations possibles entre le «favorisé ++» et le «défavorisé ++». C’est le cas des maisons médicales (même si dans les faits leur patientèle s’avère en moyenne plus défavorisée que la population belge). Dès lors, elles peuvent choisir de cibler un sous-public plus défavorisé: Cité Santé organise ainsi des cours de gym sur la demande de femmes maghrébines socialement isolées. Ou bien, comme l’IGL, Aquarelle, et les maisons médicales qui travaillent avec le GRACQ, elles s’adressent à l’ensemble de leur patientèle, en veillant à l’accessibilité de ce qu’elles proposent. Il y a dès lors, bien sûr, le risque d’attirer au départ ceux qui en ont le moins besoin, mais cela permet parfois de constituer un groupe moteur qui attirera d’autres personnes dans un deuxième temps.
L’équipe de Barvaux représente une situation mixte, puisque, tout en proposant des activités à tous, elle collabore étroitement avec des associations locales visant les plus démunis.
La Maison de l’Éveil et de la Santé représente un autre cas de figure: cette association, qui offre des activités de loisir pour tout public – mais dans une région défavorisée – vise, dans le cadre du projet soutenu par la Fondation Roi Baudouin, à rendre ces activités accessibles au public du CPAS voisin. Enfin, le Plan de Cohésion Sociale de Chimay vise un public très hétérogène, précarisé, étudiants, personnes âgées isolées, sur une zone assez étendue, qu’il semble particulièrement difficile de fidéliser dans une activité soutenue.

Les relais

Plusieurs projets s’adressent à des relais, selon deux cas de figure. Dans le premier, le promoteur du projet appartient au même terrain que ces relais. C’est le cas pour Forest Quartiers Santé (FQS) qui propose aux éducateurs de rue appartenant à des associations locales, une formation relative au développement des compétences psycho-sociales chez les jeunes, dans le cadre du tabagisme. À l’origine, FQS souhaitait s’adresser à un plus grand nombre d’associations, y compris dans d’autres communes de Bruxelles. En fin de compte, la restriction à des associations locales fait que formateurs et formés agissent sur un même territoire, avec un public commun – auquel FQS propose par ailleurs un panel d’activités communautaires.
La formation se déroule plutôt comme une «formaction», les intervenants étant amenés à faire des bilans communs et à tirer de cette expérience des enseignements propres à dégager de nouvelles pistes.
L’IGL et la maison médicale de Barvaux visent aussi leur propre terrain, à la fois les patients et les soignants. Vis-à-vis des soignants, il s’agit de les outiller pour qu’ils développent une approche plus promotrice de santé: des temps de mobilisation, de formation et d’échanges sont organisés. On peut, ici aussi, parler de «formaction», ancrée dans une forte proximité avec le public et les relais. L’intérêt de ces stratégies est qu’elles permettent de construire des compétences qui transformeront la pratique à long terme – et qui, si elles sont particulièrement nécessaires pour toucher les personnes plus vulnérables, sont aussi très utiles dans le cadre d’un travail avec une population tout venant.
L’autre cas de figure, c’est celui des associations qui passent par des relais pour atteindre une population défavorisée qu’elles ne touchent pas habituellement. Ainsi, le GRACQ s’appuie sur les maisons médicales de Bruxelles, et les associe assez vite au projet; pour bien jouer leur rôle, les équipes concernées doivent être très actives, cela s’ajuste en cours de projet. La Maison de l’Éveil et de la Santé passe par les assistants sociaux des CPAS pour promouvoir la participation à ses activités – mais cela n’est pas évident. En effet, ces acteurs rencontrent leurs bénéficiaires dans un cadre professionnel précis : leur proposer des activités de loisir, cela change leur cadre de référence habituel, ils ne voient pas bien comment intégrer ce changement… Dès lors, le promoteur envisage la possibilité de faire appel à d’autres relais.

Travailler la complexité

Un point commun, très intéressant: les projets reposent sur une perception juste de la complexité des modes de vie liés à la santé cardiovasculaire – et à la santé tout court -, et du fait que ceux-ci sont liés à des conditions de vie, à des savoir-être transversaux. On est loin d’une simple transmission de connaissances: tous les promoteurs tentent de munir les gens de compétences nouvelles qui seront mobilisables, accessibles en dehors du projet, et utiles pour bien d’autres aspects de leur vie que la santé cardiovasculaire. Parmi ces compétences, on retrouve en gros celles qu’a définies l’OMS, et autour desquelles FQS a construit sa formation: l’esprit critique, l’estime de soi, le lien social, la capacité de faire des choix, le développement d’une identité collective et de compétences sociales… Il s’agit donc bien d’une approche de promotion de la santé.

Impliquer le public

Travailler de cette manière implique de créer une relation de confiance avec le public; cette relation ne peut s’installer que sur la durée. La plupart des projets sont d’emblée dans ce contexte car leur mission, leur approche générale impliquent une stabilité et parfois un contact soutenu avec un public partageant dès le départ un milieu de vie commun – l’école, la prison, le quartier – ou réuni dans une activité de formation, d’insertion sociale importantes pour leur trajet de vie: c’est le cas pour Lire et Écrire, la Régie des quartiers, Le Monde des Possibles, le Service d’insertion sociale du CPAS à Namur. Dans ces situations, les gens partagent d’emblée des moments collectifs et c’est un atout certain pour les mobiliser dans un projet.
Ce n’est pas toujours le cas: les patients d’une maison médicale, les bénéficiaires d’un CPAS ne sont pas forcément amenés à se rencontrer, ne se considèrent pas forcément comme appartenant à un groupe. La réussite des projets est alors liée à la possibilité de créer du collectif là où il n’existe pas à priori.
Autre point intéressant: la plupart des projets s’attachent particulièrement à développer une approche non normative et à articuler les connaissances médicales avec les représentations, les pratiques de leur public. Ils se basent sur une bonne connaissance des besoins objectifs de ce public, souvent étayée par des données existantes. Cependant, tous n’ont pas la même approche en ce qui concerne l’expression de ces besoins par les gens eux-mêmes: certains passent, plus que d’autres, un temps considérable à faire émerger les attentes, les ressources mobilisables dans leur public. La co-construction apparaît alors comme un élément clé du projet – et devient un gage de sa réussite. Cela peut sans doute ralentir la mise en œuvre de certaines activités, mais celles-ci gagnent souvent en pertinence. Et quand le public s’implique activement, c’est parfois lui qui souhaite que le projet se poursuive – ce qui est très dynamisant pour les promoteurs!
La plupart des promoteurs ont bien sûr le souhait d’impliquer leur public; toutefois, il faut bien dire que le contexte est plus ou moins favorable à une telle collaboration. Notons que certaines associations, qui ont déjà une grande expérience en la matière, ont développé un savoir-faire, des méthodes et des outils bien adaptés sur lesquels les acteurs peuvent s’appuyer.

Une pérennité envisageable, envisagée

La plupart des promoteurs se donnent donc des perspectives à plus ou moins long terme, au-delà du temps défini dans le cadre du subside de la Fondation Roi Baudouin. C’est d’autant plus envisageable lorsque la promotion de la santé faisait déjà partie, avant l’appel à projets, des missions ou des démarches mises en place par la structure. C’est le cas pour FQS et l’Intercommunale de Santé: la promotion de la santé est au cœur de leur mission. C’est aussi le cas pour l’Institut Sainte-Marie de Seraing, dont l’équipe organise depuis quelques années des activités en lien avec la santé des élèves, ainsi que pour les maisons médicales qui ont une mission de santé communautaire et de prévention, ou encore pour le Service d’éducation pour la santé de Huy et l’association Comme chez nous.
Dans certains cas, les promoteurs ont eu d’emblée l’idée de créer des conditions favorables à une pérennisation du projet, notamment en l’intégrant dans un cadre existant, voire dans des activités familières au public concerné. Pour d’autres, cet abord de la santé ne fait pas partie de leurs missions ou de leurs activités habituelles, mais ils ont pu, à travers ce projet, saisir la possibilité et l’intérêt de l’intégrer à plus long terme, éventuellement autour d’autres problématiques – parfois proposées par leur public lui-même. Lire et Écrire, Bouillon de Cultures et Le Monde des Possibles (qui avaient déjà auparavant été subsidiés par la Fondation Roi Baudouin dans le cadre d’un projet sur l’alimentation), en sont quelques exemples.
Les probabilités de pérenniser le projet nous semblent plus fortes lorsque les promoteurs ont d’emblée perçu que l’essentiel était de développer l’autonomisation, l’empowerment, plutôt que de se focaliser sur une modification des comportements liés à la santé cardiovasculaire; la plupart des associations conçoivent leur projet de cette manière, bien qu’elles ne soient pas toutes aussi bien outillées pour le faire.

Partenariats et collaborations

Une manière de donner une plus grande chance de pertinence et de longévité à un projet, c’est aussi de susciter l’intérêt, et d’impliquer d’autres acteurs locaux; on peut observer que la plupart des associations prennent soin d’établir des collaborations, des partenariats et/ou de s’appuyer sur des collaborations déjà actives. Dans un cas, celui de l’Intercommunale de santé, la construction de ce partenariat est l’objectif même du projet: l’équipe porteuse vise à mobiliser, dynamiser des ressources locales autour de l’exercice physique, et non pas à proposer elle-même des activités au public. C’est d’ailleurs dans ce cadre de partenariat qu’est définie sa mission, elle a donc construit son projet en cohérence avec celle-ci et a pu bénéficier d’un ancrage local déjà bien établi.
Globalement, la place effective des partenaires dans le projet est variable; elle est largement liée aux contacts, aux partenariats déjà construits auparavant. Les partenaires sont associés, soit à l’analyse de départ, soit à la construction du projet, soit à sa mise en œuvre, soit à sa diffusion – ou tout cela à la fois, mais c’est très rare.
L’intérêt de ces collaborations apparaît théoriquement clair pour tout le monde – mais tout n’est pas rose, et certaines réticences existent. L’IGL pointe à cet égard un problème sans doute assez général: le fait que la collaboration avec d’autres intervenants, surtout lorsqu’ils appartiennent à un autre secteur, implique l’ouverture à un cadre de référence différent. En l’occurrence, cette association a observé que l’ouverture à une démarche communautaire posait parfois problème, tant aux travailleurs de maisons médicales qu’aux usagers, les uns et les autres se situant habituellement dans une relation individuelle plutôt curative.
Les principales difficultés du partenariat semblent être un manque de définition claire des tâches respectives, ou encore une collaboration établie trop rapidement pour que les partenaires aient pu s’approprier la démarche; ou encore le départ de travailleurs en cours de projet. Ce dernier problème freine le déroulement du projet, surtout lorsque le travailleur qui s’était mobilisé dans un partenariat n’avait pas pu engager vraiment son institution; et, même si l’institution partenaire s’engage suffisamment pour confier le suivi à un autre travailleur, il arrive que la mémoire, le sens du projet se transforme ou se perde en cours de route. La mobilité des travailleurs fait malheureusement partie de la réalité du secteur non-marchand, et freine souvent la durée des projets.
Peu d’associations ont recours à un accompagnement méthodologique, à un regard extérieur – bien que cela semble fort nécessaire dans certains cas. Quelques-unes consultent les CLPS ou l’OSH, d’autres méconnaissent les ressources disponibles ou ne perçoivent pas bien l’utilité d’une aide méthodologique. Peut-être certains craignent-ils un regard extérieur qui pourrait les amener à questionner ce qu’ils ont déjà entrepris? On ne peut que souhaiter voir se développer une plus grande collaboration, dès le départ des projets, entre les intervenants de terrain et les services à même d’apporter un support méthodologique.
La plupart des projets ne sont à l’heure actuelle pas terminés. Une chose est certaine: on peut dès maintenant se réjouir de toutes ces initiatives, qui montrent qu’un travail sur les inégalités de santé est possible sur le terrain, et utile. Nous avons pu constater que ces projets amènent les intervenants à repenser leur démarche, à mieux s’ouvrir aux difficultés et au potentiel des publics concernés. Ils permettent aussi à ceux-ci de prendre une autre conscience de leur santé et des moyens simples qu’ils peuvent développer pour la conserver ou l’améliorer.
Marianne Prévost et Charlotte Lonfils , Fédération des maisons médicales
Adresse des auteures: FMMCSF, Bd du Midi 25/5, 1000 Bruxelles. Courriel: fmmcsf@fmm.be. Internet: https://www.maisonmedicale.org .

Bien-être et santé du coeur auprès de la population défavorisée

Le 30 Déc 20

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La santé et le bien-être sont conditionnés par des déterminants sociaux (en relation avec l’éducation, l’environnement, la situation économique des personnes et des groupes, leur emploi, leur logement…) et par des déterminants individuels (habitudes de vie et comportements favorables et défavorables à la santé). Il apparaît dès lors indispensable de modifier les déterminants qui mettent certains groupes dans des situations d’inégalité sociale face à la santé et de faciliter l’adoption et le maintien d’habitudes favorables à la santé de ces groupes.
La Fondation Roi Baudouin veut contribuer à diminuer les inégalités sociales en matière de santé en Belgique. Après avoir publié en 2007 des recommandations politiques générales, elle a décidé de soutenir des stratégies d’action concrètes sur deux axes: l’appui aux initiatives qui, dans le cadre de politiques visant un public large, s’adressent spécifiquement à des publics défavorisés; l’appui aux initiatives locales.
De son côté, la Communauté française a inscrit la promotion de la santé cardiovasculaire dans ses priorités. La Ministre Catherine Fonck a souhaité combiner cette problématique prioritaire avec une attention transversale aux programmes de promotion de la santé en Communauté française: lutter contre les inégalités sociales face à la santé.
C’est ainsi que l’appel à projets intitulé «Bien-être et santé du cœur auprès de la population défavorisée» a été lancé en 2008 conjointement par la Fondation Roi Baudouin et la Ministre Catherine Fonck. L’appel visait spécifiquement la population adulte – en priorité les femmes et les jeunes parents – de groupes touchés par le chômage, le surendettement, l’emploi précaire, un faible niveau de formation, l’isolement social, des difficultés liées à l’immigration, une perte de repères et d’identité sociale…

Pourquoi un appel à projets spécifique ?

On sait que les actions de promotion de la santé ne sont pas toujours adaptées aux publics défavorisés, avec le risque d’accentuer les inégalités sociales en santé en ayant un impact plus important auprès des groupes plus aisés. Les initiateurs de l’appel ont fait le choix de soutenir des projets mis en place explicitement pour des publics plus difficiles à atteindre.
Mais en plus des résultats concrets pour les bénéficiaires en matière de promotion de la santé, l’objectif principal était de stimuler différents intervenants locaux à développer une approche «santé» et «qualité de vie» dans une perspective intersectorielle. Plus particulièrement, il s’agissait de favoriser la mise en réseau et la collaboration entre plusieurs acteurs locaux actifs dans différents secteurs: social, bien-être, santé, éducatif, culturel, économique, environnemental, etc (1). Il pouvait s’agir d’acteurs qui n’avaient jamais collaboré ensemble ou de partenariats déjà en place mais qui innovaient par rapport à la thématique, à la méthodologie, au public visé…
La nécessité d’une réponse locale et intersectorielle aux questions d’inégalités sociales en santé n’est pas contestée. Mais il faut constater que la mise en œuvre concrète n’est pas aisée pour le terrain. Une des raisons est à chercher du côté des cadres de financement pas toujours appropriés pour mobiliser différents acteurs qui auront à travailler sur des thématiques en dehors de la mission principale pour laquelle ils sont reconnus et éventuellement subsidiés.
Bien entendu, la question du financement n’est pas la seule barrière à l’intersectorialité et il apparaissait primordial de donner une opportunité aux institutions et organisations désireuses de tester de nouvelles formules de collaboration pour mieux en comprendre les mécanismes, les atouts et les difficultés.
C’est dans cette perspective que la Fondation Roi Baudouin a confié à une experte en promotion de la santé un travail d’accompagnement des projets soutenus et d’évaluation des modalités de l’appel et des projets eux-mêmes pour tirer les leçons de l’initiative. Un résumé de ses premières réflexions vous est présenté plus loin.
Dans quelques mois, un an et demi après la sélection des projets, il sera intéressant d’examiner plus en détail qui a répondu à cet appel, avec quel type de partenariat et de projet d’une part et quels ont été les résultats obtenus, ce qui a facilité et freiné les promoteurs d’autre part.

La sélection des projets par un jury indépendant

En décembre 2008, un jury indépendant a sélectionné 17 projets (sur 43 candidats) pour un montant total de 125.000 euros (100.000 euros de la Communauté française, 25.000 euros de la Fondation Roi Baudouin). Il s’agissait de la seconde réunion du ‘comité d’analyse et de sélection’; ce dernier avait en effet déjà été associé en début de processus pour discuter des critères de sélection et valider les deux documents à diffuser (voir encadré).

Critères de sélection

Les projets devaient avoir les caractéristiques suivantes:
-contenir différentes dimensions de la promotion de la santé (pour permettre de renforcer les capacités des personnes à agir sur leur santé);
-reposer sur un partenariat de type intersectoriel;
-impliquer les populations bénéficiaires à différents stades du projet;
-se situer au niveau local (groupe ou communauté de vie spécifique; quartier, village, ville, commune(s));
-prévoir une stratégie d’évaluation dès la construction du projet.
Le jury indépendant a retenu les meilleurs dossiers sur base des critères suivants:
-originalité et caractère novateur du projet;
-plus-value sociale du projet;
-participation active de la population bénéficiaire;
-développement d’un partenariat comprenant au minimum un acteur ne relevant pas directement du secteur de la santé ou de la promotion de la santé;
-éléments montrant que le projet peut s’inscrire dans le temps;
-caractère transposable du projet au-delà de ses initiateurs;
-capacités des partenaires réunis à réaliser le projet;
-faisabilité opérationnelle du projet (plan de travail, calendrier, modalités de travail en commun, moyens humains et financiers).

Composition du jury

Madame Bettina Cerisier , Chef de projet, Question Santé
Monsieur Régis De Muylder , Secrétaire général, ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles
Monsieur Serge Ferdin , Chef de division, CPAS de Charleroi
Madame Valérie Hubens , Coordinatrice, asbl Promotion Santé et Médecine Générale
Madame Chantal Leva , Directrice, Centre liégeois de Promotion de la Santé
Monsieur Roger Lonfils , Directeur, Ministère de la Communauté française – Direction générale de la Santé, Direction de la Promotion Santé (Président)
Madame Annette Perdaens , Directrice administrative, Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale
Madame Caroline Rasson , Responsable du Service Prévention Tabac, Fonds des Affections Respiratoires-FARES

Quelques réflexions du comité d’analyse et de sélection (jury)

Il n’est pas si simple de proposer des appels à projets visant spécifiquement les publics concernés par les inégalités sociales: ces publics sont multiples et ranger dans le pot commun de «défavorisés» les personnes ou groupes de personnes qui font face à de grosses difficultés de façon temporaire ou pas, pour des raisons culturelles, sociétales, de travail, de logement, de rupture individuelle… est une arme à double tranchant.
D’abord, diminue-t-on la stigmatisation et le rejet par ce type d’action spécifique? Pourquoi certains types de publics doivent-ils faire l’objet d’une préoccupation particulière dont le contenu même du projet ne serait pas toujours acceptable par des publics aisés?
Il y a aussi la question de la finalité des activités sélectionnées. Pourquoi des projets? Diminuer l’incidence de pathologies dont sont bien évidemment plus à risque certains types de populations? Diminuer des comportements individuels jugés unanimement inadéquats? Améliorer les conditions de santé ou viser prioritairement les conditions sociales?
N’allait-on pas une fois de plus travailler pour une société qui souvent se dédouane de son rejet presqu’organisé vis-à-vis des publics visés?
Ces questions, les membres du comité se les sont d’emblée posées, même si ce n’était sans doute pas en ces termes exacts. Le fait que le jury était composé de personnes issues de secteurs d’activités différents, également et heureusement hors du champ santé, a permis de fixer d’emblée quelques idées prioritaires.
Les projets visaient bien évidemment les publics défavorisés (c’était le sens même de l’appel) mais ils devaient montrer comment ils mettaient en œuvre quelques axes importants de promotion de la santé, quels atouts ils avaient pour s’inscrire dans la continuité, quels partenariats locaux, comment le public lui-même était acteur dans le projet, quelle était la plus-value sociale du projet (et non le gain en terme de santé sur l’individu).
L’évaluation s’est posée directement comme un élément indispensable et la Fondation Roi Baudouin a rapidement suggéré une évaluation de l’appel à projets, ceci étant important tant pour les promoteurs du projet que pour l’apport plus général que l’on peut tirer de ces petits projets à première vue mais méthodologiquement précieux.
Des membres d’un comité, d’horizons multiples, ont évidemment sur certains projets une analyse ou appréciation différente: un projet écrit est toujours un pari sur l’avenir. Si certains projets ont pu paraître faibles à tous les ‘jurés’ (dans leur écriture ou dans leur réflexion), d’autres ont reçu des appréciations différentes des membres du comité, et c’est bien normal.
Heureusement quand même qu’un bon nombre recueillait un large consensus. Le budget étant limité, et le nombre de candidatures important, le choix devenait malheureusement aisé… Est-ce à dire qu’ils seront tous réussis? Que d’autres ne l’auraient pas été mieux? Bien malin qui pourrait l’affirmer!
Hervé Lisoir , Fondation Roi Baudouin, et Roger Lonfils , Direction générale de la Santé Communauté française, président du jury de l’appel ‘Bien-être et santé du cœur auprès de la population défavorisée’

(1) Il faut noter à ce sujet que l’implication du Centre local de promotion de la santé (CLPS) concerné était souhaitée dans un rôle d’appui, mais celui-ci ne pouvait pas être le promoteur principal du projet. Si ce n’était pas encore le cas, les promoteurs des projets sélectionnés ont été invités à contacter leur CLPS pour la mise en œuvre.

Illustrations. Une démarche d’autoévaluation d’un programme centré sur l’alimentation

Le 30 Déc 20

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Une démarche intitulée «Charte de qualité» a guidé l’autoévaluation de trois ans d’activités autour de l’alimentation dans les maisons médicales de la région liégeoise. Ces activités étaient menées par 15 équipes participant au programme APple, développé de 2005 à 2008, à l’initiative de l’Inter groupe liégeois des Maisons médicales (IGL).
Tant les objectifs poursuivis que les méthodologies travaillées s’appuient sur les lignes de force de la promotion de la santé, par exemple:
-tenir compte des représentations des soignants et des usagers;
-renforcer la conscience et le potentiel des usagers dans leur capacité à faire des choix en faveur de la santé, par l’organisation d’activités de type communautaire;
-proposer aux soignants un programme de type formation-action qui alterne des modules spécifiques (développement de compétences biomédicales, utilisation d’outils interactifs) et des modules en équipes (stimuler le travail intersectoriel en recueillant et intégrant les points de vue et rôles de chacun).

Pourquoi avoir choisi une démarche d’autoévaluation

Plusieurs raisons ont guidé ce choix:
-l’inadéquation d’une enquête pré-post sur les pratiques, vu la complexité des effets produits et l’émergence de bénéfices/effets non attendus;
-la volonté de faire participer les «relais» et de les légitimer dans leur rôle d’évaluation (empowerment);
-le souhait de permettre aux équipes de prendre conscience collectivement de ce qu’elles font «avec les lunettes promotion de la santé» c’est-à-dire en regard de critères de qualité de la promotion de la santé, de se sentir en mouvement par rapport à ce projet.
Ainsi donc l’adhésion à la promotion de la santé a marqué de son empreinte le choix de la démarche d’évaluation à plusieurs niveaux: celui du contenu de l’outil, celui de son mode d’élaboration participatif et concerté (qui se fonde sur et engendre un apprentissage collectif), celui des finalités. Sur ce dernier point, il s’agissait de permettre aux équipes d’orienter et de réguler leur action, en ce compris la réorientation des missions favorisée par l’implication des relais dans la concrétisation des critères et l’appropriation de la Charte.

Les acquis pour le dialogue entre les professionnels

Permettre une prise en compte plus égalitaire de l’apport des différents professionnels (légitimité des relais) grâce à l’aspect inductif de la démarche.
Contribuer à développer une culture d’équipe qui donne cohérence à l’action et maintient le sens partagé.

Les interactions entre recherche et action dans ce projet

La construction de l’outil est expérimentale, les équipes de terrain constituant de petits laboratoires de recherche.
Cette construction montre l’intérêt de développer des actions de qualité sans chercher à mesurer les effets de façon quantitative.
Le travail de recherche devrait être poursuivi pour valider l’outil et le rendre généralisable et utilisable dans d’autres contextes.

Les dynamiques institutionnelles interrogées par ce projet

Le projet sensibilise à l’intérêt d’introduire la démarche «assurance de qualité» dans les programmes des équipes de terrain.
Il pose la question d’un financement récurrent pour soutenir les équipes de soins dans l’amélioration de la structuration de leur travail en promotion de la santé.
Il met en évidence le rôle fécondant du soutien méthodologique, des échanges sur les pratiques de terrain en promotion de la santé.
Marie-Christine Miermans , consultante en évaluation pour l’IGL

Promotion de la santé et agenda politique

Le 30 Déc 20

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Voilà sans doute une tâche bien difficile que celle de conclure et de proposer des perspectives au terme d’une journée entière de réflexion et d’échanges aussi riches qu’intenses à propos de questions aussi passionnantes que fondamentales pour la vie concrète d’un nombre malheureusement croissant de nos concitoyens.
Cette tâche est d’autant plus difficile qu’il ne peut aucunement être question de clôturer, de fermer, enfin d’arrêter un processus qui a commencé il y a une dizaine d’années et dont la vocation est de se poursuivre avec le soutien des acteurs de terrain de la promotion de la santé, c’est-à-dire vous.
Aussi, lorsque les portes de la salle académique de l’Université de Liège se refermeront sur cette journée, elles ne se refermeront certainement pas sur la dynamique dont vous êtes porteurs. Dynamique qui vise à une plus grande cohérence dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques dans le domaine de la promotion de la santé. Le processus entamé par le Centre liégeois de promotion de la santé depuis sa création et auquel vous êtes étroitement associés en est une belle illustration.

Deux difficultés majeures

Cependant, et c’est sans doute la raison pour laquelle un politologue vous adresse ces quelques mots, votre mobilisation et vos projets ont nécessairement affaire au monde politique, que cela soit en termes de financement ou d’élaboration du cadre général dans lequel vos actions prennent place. Si dans vos activités professionnelles, vous avez déjà expérimenté directement ou indirectement le monde politique et ses modes de fonctionnement, il est important d’identifier les principales difficultés de l’action politique dans le domaine de la promotion de la santé, et ce afin de permettre un transfert cohérent de connaissances du terrain vers les décideurs publics.
Car, et c’est là le principal problème, les échanges avec le monde politique dans le domaine de la promotion de la santé se caractérisent par deux grandes difficultés que je vous propose d’explorer.
D’une part, et presque par définition, les questions relatives à la promotion de la santé sont aussi des questions qui débordent largement d’un cadre particulier en interpellant bien d’autres dimensions telles que le sport, la culture, l’environnement, la mobilité et la sécurité alimentaire pour ne prendre que les dimensions les plus significatives.
La promotion de la santé devrait donc être un domaine d’action des pouvoirs publics fondamentalement interdisciplinaire, au sens des disciplines scientifiques mobilisées, et transversal d’un point de vue politico-institutionnel.
Premier écueil, première difficulté irréductible… C’est l’ensemble de ces secteurs qui concourent à l’effectivité de politiques publiques cohérentes dans le secteur de la promotion de la santé. Or, ils font l’objet de partages de compétences complexes entre les niveaux fédéral, régional, communautaire, provincial et communal. Et pour chaque niveau de compétence, nous retrouvons encore une myriade d’intervenants potentiels. Vous l’aurez compris, l’intersectorialité, par ailleurs incontournable dans la promotion de la santé, est un principe extrêmement difficile, voire impossible à appliquer au niveau de l’élaboration des politiques publiques.
En outre, conséquence de cette complexité politico-institutionnelle, l’identification des «bons» interlocuteurs est un exercice délicat qui exige la mobilisation d’une véritable expertise institutionnelle. L’approche nécessairement systémique qui doit présider dans le domaine de la promotion de la santé cadre donc mal avec le découpage morcelé et cloisonné qui caractérise l’organisation institutionnelle de nos sociétés modernes.
D’autre part, la seconde difficulté réside dans l’atomisation des acteurs de terrain face au monde politique. En effet, si le secteur de la promotion de la santé se caractérise par de nombreux intervenants aux compétences diverses mais complémentaires qui s’articulent autour de ce que l’on appelle des «poches de précarité», il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’interagir avec les autorités politiques. Le secteur, loin de s’exprimer d’une seule voix, n’agit pas de manière concertée quand il s’adresse aux politiques. Il perd donc en cohérence et en capacité de persuasion, chaque intervenant étant ramené à ses propres réalités d’existence en termes de financement, de personnel, de public-cible ou encore d’infrastructure.

Un lieu de convergence ?

Ces deux caractéristiques, rapidement esquissées, sont en réalité les deux faces d’une même pièce. D’un côté, un monde politique complexe, cloisonné et confronté à de nombreuses demandes éparses et quelquefois contradictoires, et de l’autre, un secteur diversifié, intersectoriel mais atomisé dans l’expression de ses demandes. Il convient donc de penser l’organisation du dialogue entre ces deux entités.
Une solution pourrait consister à faire remonter les demandes du terrain vers un lieu de convergence qui pourrait alors jouer le rôle d’amplificateur auprès du monde politique. En rassemblant et en harmonisant les demandes particulières du secteur, ce lieu de convergence pourrait formuler des propositions cohérentes et plus claires dans le cadre de l’élaboration de véritables politiques publiques dans le domaine de la promotion de la santé.
Face à l’expression d’une telle demande d’intersectorialité et d’interdisciplinarité, le monde politique sera peut-être amené à être plus réflexif par rapport à ses propres modes de fonctionnement dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques de promotion de la santé.
Bien entendu, cette nouvelle approche ne sera possible que si les acteurs de terrain s’accordent sur cet intermédiaire entre eux et le politique et si surtout, ils acceptent de rentrer complètement dans cette dynamique en unissant leurs forces. Le chemin de la cohérence ressemble un peu à celui qu’emprunte Sancho dans son périple auprès de Don Quichotte…
Prof. Sébastien Brunet , SPIRAL ULg
Ce texte est extrait des Actes de la Deuxième journée liégeoise de promotion de la santé qui s’est tenue dans la (très belle) Salle académique de l’Université de Liège le 7 octobre 2008. Ces actes sont disponibles au CLPS, Bd de la Constitution 19, 4020 Liège. Tél.: 04 349 51 44. Fax: 04 349 51 30. Courriel: promotion.sante@clps.be. Internet: https://www.clps.be