Articles de la catégorie : Réflexions

La peur est-elle bonne conseillère ?

Le 30 Déc 20

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L’asbl Question Santé a organisé le 10 décembre dernier une journée de réflexion sur un thème récurrent dans le champ de l’éducation pour la santé: peur et prévention font-elles bon ménage?
Le recours à la peur est plutôt une habitude anglo-saxonne en matière de campagnes d’intérêt général en santé publique, mais cette question a été mise récemment sous les feux de l’actualité avec la campagne ‘Révélation’ de l’Assurance maladie et de l’INPES (1).
La première intervenante de la journée, Marie-Sylvie Dupont-Bouchat , historienne, professeur émérite à l’UCL, nous fit un survol saisissant de quelques siècles d’Histoire, rappelant au passage que la peur de la maladie est un phénomène relativement récent lié à la laïcisation de nos sociétés occidentales. Avant cela, notre passage sur terre était
de toute façon bref, la vie n’avait guère de valeur en soi, et le plus terrifiant était la crainte de la damnation éternelle. Quand les épidémies ravageaient des populations entières, quand deux bébés sur dix seulement échappaient à la mortalité périnatale, quand l’espérance de vie était de 35 ans, la guérison des maladies était plus une question de conviction religieuse que d’hygiène et de prévention!
La conférencière nous rappelait aussi que l’émergence du souci de la santé publique dans le courant du XIXe siècle fut clairement liée à la volonté politique de maintenir sous contrôle les classes laborieuses, de stigmatiser leurs comportements immoraux et délétères (prostitution, alcoolisme), la maladie étant carrément criminalisée. Quant à la peur individuelle de la maladie, qui est le levier de nombre d’actions de prévention aujourd’hui encore, c’est une affaire récente, une préoccupation des pays nantis des ‘trente glorieuses’.
Pour terminer, elle nous faisait part de son sentiment que dans une perspective historique, la peur n’a guère fait avancer la société occidentale. Le ton était donné d’emblée!
Patrick Trefois , directeur de Question Santé , centrait son exposé sur une description des objectifs poursuivis par ceux qui ont recours à la peur dans leur communication, et sur les modèles explicatifs du comportement sur lesquels ils s’appuient. Il insistait à juste titre sur le fait qu’en jouant sur ce registre, les émetteurs de messages ne favorisent pas la construction d’un choix raisonné et éclairé chez le récepteur, mais plutôt une réponse aveugle (et transitoire?) à un stimulus brutal. Il plaidait pour finir en faveur d’une pédagogie du risque, rappelant que les valeurs dans lesquelles s’inscrit la promotion de la santé tablent plutôt sur l’émancipation des individus et leur capacité à poser les choix favorables à leur santé en conscience, individuellement et collectivement.
Jean-Jacques Jespers , journaliste à la RTBF, nous rappelait la différence fondamentale entre information et communication, et ne nous laissait guère d’illusion: la marchandisation croissante de l’information ouvre un boulevard à ceux qui jouent sur les émotions du public plutôt que sur sa capacité à exercer son esprit critique. De quoi nous désoler un peu plus quant aux dérives poujadistes et sécuritaires des grands media…
Jean-Michel Besnier , professeur de philosophie à la Sorbonne, ne dit pas autre chose en appelant à la barre quelques grands philosophes pour argumenter le fait que la peur est un facteur d’inertie plutôt que de progrès (avec une jolie formule très parlante de Freud, ‘la méduse pétrifie d’effroi’).

La lumière médicale

Il semble donc plus logique d’éduquer et de former que d’informer. Mais alors que l’information suppose au moins une certaine objectivité, qu’elle ne se donne pour but que de communiquer des faits et laisse ceux qu’elle a informés libres d’en disposer, l’éducation use de l’autorité morale.
Elle veut influencer le jugement, agir sur les personnes elles-mêmes et non plus sur leur seul savoir, sur leur conduite et pas seulement sur leur raison. Alors on affirme sans vergogne des contre-vérités, ou bien on fait passer des vérités partielles ou provisoires pour des vérités absolues et éternelles.
Nous sommes loin de ce vieux patron, grand médecin et honnête homme, qui disait à ses tout jeunes étudiants: ‘Ne vous scandalisez pas qu’on vous enseigne le doute avant même de vous enseigner ce dont vous avez à douter. Souvenez-vous de vous méfier et d’abord de vous.’
Au lieu de quoi il faut lire aujourd’hui, sous la plume d’un omnipraticien: ‘En l’absence de connaissances, l’homme peut donc s’engager sur des mauvaises voies, génératrices de risques. Ces chemins dangereux s’appellent suralimentation et obésité, tabagisme, alcoolisme, sédentarité, etc. Leur méconnaissance est source de souffrance, d’invalidité, de mort précoce, de coûts sociaux injustifiables car évitables’ (Dr Chicou).
Et, le prolongeant: ‘Premier objectif, modifier les mentalités. Ceci sur deux plans: les patients devront infléchir leur attitude à l’égard de la maladie. Pour cela, il faudra les amener petit à petit à se considérer comme les premiers responsables de leur capital santé. Quel excellent thème d’éducation sanitaire! Les mass media auront un rôle essentiel à jouer, à condition qu’ils coordonnent leur action avec les professionnels de la santé’ (Dr Bouyer).
Ah! Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites! Quelle suffisance dans le «suffisamment», quelle assurance dans le savoir, quel mépris pour les mentalités des patients qu’il va falloir «modifier», «infléchir», «amener petit à petit», quelle hauteur dans le traitement des médias, tout juste bons à répéter ce que leur dictent les professionnels de la santé.
Il fut peut-être un temps où invoquer la responsabilité des personnes c’était leur dire: «Faites ce que bon vous semblera. Vous en avez le droit. Mais vous serez responsable des conséquences éventuelles de vos actes.» Cette responsabilité-là, individuelle, n’est plus de mise. Ce serait compter sans le «capital santé» – cela fait chic, et technocratique -, sans les «coûts sociaux injustifiables». Dire aujourd’hui «vous êtes responsable», cela veut dire tout simplement «vous n’êtes plus libre de faire ce qu’il vous plaît. Si vous n’agissez pas conformément à la règle médicale, vous allez coûter de l’argent».
Laisser entendre que la médecine en sait suffisamment pour dicter sa loi, et que les patients sont forcément coupables (responsables) de ce qui leur arrive, voilà, en fait, le message qu’on enjoint aux media de transmettre. Et c’est, en gros, ce qu’ils font.
L’éducation se fait, comme il se doit, sur deux modes: la carotte et le bâton, la peur et la promesse. La peur n’a pas attendu la médecine pour exister et pour se chercher des apaisements. Mais la médecine a su l’exploiter « à mort ».
Elle dit d’une part: «c’est parce que vous vous conduisez mal que vous êtes malade et que vous mourrez.» Et d’autre part : «suivez les conseils de la médecine.» Le lien entre les deux affirmations n’est pas explicite mais il s’impose de lui même: si vous obéissez, vous serez protégé de la maladie et de la mort. La maladie est la sanction du péché, et la mort la complication terminale de la maladie.
De même que la probabilité ne passe jamais que sous la forme de certitudes, l’éducation ou l’information sanitaires empruntent presque toujours les voies du dogmatisme, comme s’il était impossible de répondre à la peur autrement que par des croyances absolues en des pouvoirs sans faille, en des vérités sans nuances.
La propagande et les institutions, la prévention médicale et le dépistage, la lutte contre les facteurs de risque et 1’hygiène, tout est animé de la même certitude (on sait et on peut) et de la même intention (faire le bien). Et tout est motivé par le même souci: ça coûte trop cher. Or le problème se pose justement de savoir maintenant si cette politique est aussi rentable qu’on le dit, si son coût, sur tous les plans (social, économique, sanitaire, individuel, psycho-social), n’est pas supérieur aux économies qu’elle fait espérer.
La lumière médicale. Les illusions de la prévention, Norbert Bensaïd , Editions du Seuil, 1981, coll. Points , 1982
Les choses ont-elles vraiment changé en 20 ans?

Si certains auteurs estiment que la peur peut être constructrice et mobilisatrice, qu’elle peut nous aider à appréhender les choses, le conférencier du jour mettait en question cette hypothèse, et l’utilité éventuelle de l’usage raisonné de la peur. La peur ne nous aide pas à comprendre ce qui nous arrive, à faire face au danger, à faire preuve d’empathie à l’égard de notre prochain, elle engendre ou maintient l’obscurantisme. Et si la communication de masse doit emporter notre conviction intelligente, Besnier préfère parier sur l’humour comme levier. Les présentations et échanges de cette journée sont loin d’avoir épuisé la question. Une petite frustration toutefois: bien que partageant les réserves éthiques des organisateurs à l’égard du thème du jour, j’étais quand même un peu déçu de ne pas entendre les défenseurs ‘belges’ de l’approche centrée sur la peur (il y en a!) justifier leur démarche. Peut-être ont-ils craint la contradiction?
[gG]Christian De Bock
Cette journée a bénéficié du soutien de la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale
(1) Voir à ce sujet l’article [iPrévention du tabagisme, impact et agrément de la campagne ‘Révélation dans La Santé de l’Homme n° 361, septembre-octobre 2002.

De grands motifs de terreur – de quoi s’agit-il?

Quelques devinettes destinées à stimuler les cellules grises des participants à la journée ‘Peur et prévention’. Serez-vous plus futés qu’eux?
1. Elle est un de ces fléaux qui attaquent et détruisent sourdement l’humanité. A mon avis, ni la peste, ni la guerre, ni la variole, ni une foule de maux semblables, n’ont de résultats plus désastreux pour l’humanité que cette fatale habitude. C’est l’élément destructeur des sociétés civilisées, et d’autant plus actif qu’il agit continuellement et mine peu à peu les générations…
2. Elle est dangereuse, physiquement et moralement pour la femme. Les tissus sensibles sont soumis à une pression dont les effets néfastes ne peuvent encore être évalués.
3. C’est une peste, un mal, un violent destructeur de biens, de terres, de santé; infernal, démoniaque, maudit, c’est la ruine et la défaite du corps et de l’âme .
4. Il corrompt les hommes, il abaisse le civisme et menace les libertés et les institutions de la Nation. Il mine et affaiblit le foyer et la famille, met en échec l’éducation, il s’attaque à une jeunesse qui a le droit d’être protégée. Il porte des coups mortels à la survie de la Nation, voire de la race.
5. Il détruit les familles, gâte, corrompt et anéantit les hommes; le tonnerre, l’éclair, la guerre, le feu, la peste ont moins nui que cette brûlante concupiscence, que cette passion brutale.
6. Il nous faut l’éviter avec soin, lui qui pourrait nous inoculer un tel venin, et le fuir d’homme à homme, de maison à maison, de village à village, de ville en ville.
Réponses
1. La masturbation, Traité d’hygiène et de physiologie du mariage, 1828
2. La selle de vélo, Provincial medical journal, 1895
3. Le tabac, Burton, 1932
4. L’alcool, Hobson, 1914
5. L’instinct sexuel, Burton, 1932
6. L’air (1348)

L’enfant concerné par le VIH et l’école : difficile partage d’un difficile secret

Le 30 Déc 20

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L’indispensable avant-propos

En maintes occasions, il a été observé qu’empêchant toute réflexion sur les besoins sociaux et éducatifs des jeunes affectés par le VIH, l’angoisse de la contamination vient encore trop souvent parasiter la pensée et les attitudes des intervenants du monde scolaire. Avant de pouvoir entendre et intégrer ce qui fait l’objet de ce texte, il faut donc permettre à chacun d’être suffisamment rassuré sur la non contagiosité de cette infection par les contacts habituels de la vie quotidienne. La suite de notre propos suppose que des échanges portant sur les aspects cliniques et épidémiologiques de l’infection VIH chez les jeunes ont pu faire naître cette conviction.

L’infection par le VIH

L’infection par le VIH n’est pas une maladie à déclaration obligatoire.
Elle n’est pas transmissible dans le cadre des contacts habituels de la vie des enfants et dès lors, n’est pas une cause d’éviction scolaire. Il est donc hors de question que l’école puisse interroger à ce sujet les parents, les élèves comme d’ailleurs les enseignants ou le personnel scolaire.
Dans nos pays privilégiés l’enfant séropositif, contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions du monde pour l’adulte et malheureusement parfois pour les jeunes, n’est pas sexuellement actif, n’est pas dépendant de drogues actives par voie intraveineuse et n’est pas vendeur de son propre sang: il n’est donc pas contagieux pour son entourage.
Chez nous, les enfants concernés par le VIH bénéficient précocement de diagnostic et de traitement. L’éventuelle prise de connaissance de leur situation par l’enseignant(e) ou la direction se fait le plus souvent au décours d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique déjà longue et bien antérieurement établie, pour des élèves asymptomatiques ou quasi. Même s’il s’agit d’adolescents, ils sont souvent et depuis longtemps entourés d’une équipe thérapeutique multidisciplinaire qui les accompagne attentivement durant cette période où les risques changent de nature et où ils doivent apprendre le nom de leur maladie, les mesures de précaution qu’elle suppose pour les autres… et pour eux-mêmes.
Découvrir dans la personne d’un jeune côtoyé quotidiennement une telle menace liée à la maladie grave, à la mort, à la sexualité explique sans doute l’intense sentiment d’irritation, de peur rétrospective, de réprobation, de révolte, d’incompréhension qu’éprouvent la plupart du temps, les nouveaux confidents lorsqu’ils apprennent que d’autres, parfois très proches (l’infirmière et le médecin scolaires, la direction, l’enseignant ou la puéricultrice des années précédentes), ont eu accès à l’information et se sont abstenus de la transmettre. Quels que soient les liens, hiérarchiques, amicaux, d’estime professionnelle qui lient les personnes, c’est tout le climat de travail qui en est perturbé: si cette maladie est sans danger pour l’entourage de l’enfant, le fait d’avoir été exclu de la confidence constitue un sacré manque de confiance… Et comment, dans ces conditions, remplir sa tâche sans se sentir dévalorisé(e), comment continuer à collaborer pleinement avec ceux qui sont sensés apporter leur aide, donner des informations crédibles, permettre de gérer les réactions du personnel et d’assumer ses responsabilités vis-à-vis des parents, des enfants, de la hiérarchie?
Les patients eux-mêmes ne prononcent que très rarement ces quatre lettres sida qui impressionnent et sont encore trop fréquemment synonymes de rejet, de mépris et de peur. A l’hôpital, les intervenants, eux-mêmes évitent d’utiliser le mot parce que le plus souvent il ne s’applique ni aux jeunes patients suivis ni à leurs parents: ils sont séropositifs mais n’ont pas développé le stade ultime de la maladie.
La crainte d’être ‘repéré’ séropositif est une préoccupation constante des parents, pour eux-mêmes et pour leur enfant: lors de leur séjour en maternité, les jeunes mères séropositives sont à l’affût du moindre indice (poubelle de couleur différente dans la chambre que l’on recouvre d’un drap à l’heure des visites, pastille colorée sur la porte de la chambre ou le dossier, présence – pourtant superflue – de gants pour les soins de puériculture, etc.) pouvant paraître comme révélateur. Si le bébé s’avère être infecté, à la culpabilité d’avoir rendu le bébé malade et la peur de le voir mourir, s’ajoute la crainte de se voir banni(e) de relations familiales et sociales gratifiantes.

Les risques de l’ignorance

Nous savons tous que l’ignorance est le meilleur allié de la maladie, que la misère et le dénuement de toute nature font le lit du rejet et de la ségrégation.
L’ignorance se méprend sur les facteurs de risque. La misère et le dénuement entravent le diagnostic précoce, le traitement adéquat, l’accès aux moyens de prévention et leur utilisation. Ensemble, ces manques raccourcissent de manière dramatique la durée de la maladie, aggravent définitivement son pronostic et annoncent une mort souvent anticipée par l’entourage.
Il est constant d’observer dans l’histoire de l’humanité, qu’une des manières de se protéger ou de survivre dans ces situations est d’adopter des attitudes d’exclusion, d’opprobre, de moquerie vis-à-vis du malade et de plonger celui-ci dans la relégation, la honte et la culpabilité. Cette ségrégation n’est pas nécessairement liée à la létalité de la maladie (exemples nombreux: la lèpre, la tuberculose, les MST et même la pédiculose, mais aussi l’épilepsie, le handicap mental, etc.).
Dans les pays développés, l’infection par le VIH se soigne par un traitement lourd qui autorise cependant l’espoir d’une survie d’autant plus longue que celui-ci est précoce. Tel n’est pas le cas dans les pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe de l’Est où le poids du rejet social est encore plus dramatique que chez nous. Les faits ont plus d’une fois donné raison aux craintes des patients: la divulgation du secret médical peut entraîner la dislocation familiale, la perte d’un emploi, d’un logement, le refus d’un prêt bancaire, le refus (parfois bien masqué) d’inscription dans un milieu d’accueil ou une école…

Le secret médical

On soigne difficilement quelqu’un contre son gré. Pour qu’il y ait réel accès aux soins, il est aussi constant dans l’histoire des maladies évoquées plus haut que seule la confidentialité du secret médical permet le traitement optimal des malades. Accueillis dans un cadre rassurant et dépourvu de jugement de valeur sur les causes de leur état, ils pourront (alors que la plupart sont encore asymptomatiques) se responsabiliser vis-à-vis de leur maladie et de leur traitement. Ils pourront enfin développer des attitudes et des comportements de prévention pour eux-mêmes et pour les autres.
C’est le sens réel du secret médical exigé par la société de la part du médecin et des professions paramédicales associées à son action.
Le secret médical est ainsi un secret d’utilité publique, sanctionné non pas par le code civil comme tout secret professionnel, mais par le code pénal. Il ne sert pas à protéger le médecin, mais bien à protéger la fonction médicale afin que le malade qui bénéficie de ses effets puisse à son tour directement et consciemment participer à la protection de la société.

Le secret partagé

Comme beaucoup de pathologies majeures, la prise en charge d’un jeune concerné par le VIH est pluridisciplinaire. Elle nécessite souvent le partage du secret médical: ce partage s’impose lorsque le traitement le nécessite, lorsque l’état du patient se détériore momentanément, qu’il lui faut le soutien affectif et pédagogique de son milieu scolaire ou lorsque le traitement doit être donné par des personnes inhabituelles (lors de séjours extra ou parascolaires).
Sous peine d’être un secret médical volé, punissable par la loi, le secret n’est partagé qu’avec l’accord de l’enfant capable de discernement ou celui des adultes responsables de l’enfant.
Et bien évidemment, ce partage fait partie de l’accompagnement psychosocial que réalise l’équipe thérapeutique. En réalité, la nécessité du partage du secret médical dépend essentiellement de la situation du patient et n’a rien à voir avec le degré de confiance, l’estime ou la place hiérarchique accordés aux personnes qui vont le partager.
Cette décision est très souvent source d’angoisses chez les parents: beaucoup d’entre eux ne s’y résolvent qu’après plusieurs entretiens pendant lesquels des conditions strictes de confidentialité leur sont garanties (c’est-à-dire l’information à des personnes formées et sensibilisées aux obligations du secret). Ils passent quelques nuits d’insomnie dans l’attente de la réaction de l’enseignant(e) de leur enfant… pour avoir la joie de le voir participer pleinement à des activités qui lui étaient inaccessibles précédemment.
Les raisons le plus fréquemment reconnues par les parents sont la nécessité d’administrer le traitement médicamenteux à l’école ou durant un séjour parascolaire. Quelquefois même, les parents recherchent le soutien du professionnel de l’enfance pour que leur enfant accepte un traitement qui est particulièrement contraignant.
Le partage du secret n’est admis qu’avec ceux qui peuvent avoir une réelle influence sur la situation du patient. Il ne porte que sur les informations utiles: savoir un de ses élèves séropositif, implique de savoir quels médicaments administrer, quand et à quelle dose, comment le soutenir affectivement et pédagogiquement et certainement pas de savoir comment ni dans quelles circonstances sa mère s’est éventuellement contaminée. Le devoir de discrétion à l’égard de l’entourage ne souffre aucun écart.
Si le partage du secret a des aspects positifs pour l’enfant qui trouve dans son enseignant un soutien quotidien discret, c’est aussi un rude fardeau pour l’enseignant. Il est utile de rappeler ici que la première rencontre avec une personne séropositive éveille toujours des craintes et des incertitudes se manifestant par un sentiment diffus d’appréhension qui ne s’apaisera qu’après avoir eu le temps d’en identifier et d’en exprimer tous les aspects.
Ce n’est qu’après cette étape d’intégration que les intervenants sociaux et éducatifs pourront admettre de ne partager qu’une partie des informations: cette rétention n’est pas un signe de manque de confiance ou l’expression d’un illusoire pouvoir médical bien déplacé au vu de la situation du patient, c’est une obligation légale. Les personnes amenées à partager le secret médical sont soumises aux mêmes obligations et sanctions que celles imposées aux équipes médicales.
Cependant, confrontés à cette situation la direction, les enseignants peuvent et doivent bénéficier d’aide puisque même lorsqu’ils sont bien informés, l’angoisse peut renaître en imaginant des scénarii qui mettraient en jeu une responsabilité envers les autres (enfants, collaborateurs, pouvoir organisateur). Les intervenants du monde éducatif devraient pourtant éviter de rechercher ce soutien auprès de collègues proches et ne devraient les rechercher qu’auprès de professionnels eux-mêmes soumis au secret médical (l’équipe thérapeutique, le médecin et l’infirmière scolaire).
En pratique, après accord des parents, l’équipe thérapeutique prend contact avec le médecin scolaire. Celui-ci pourra avec l’infirmière, s’assurer que des moyens adéquats, quant au respect habituel des règles universelles d’hygiène (voir encadré) et de bonnes pratiques en matière de lutte contre les infections, sont mis en place à l’école. Guidé par l’infirmière, il détermine auprès de qui la maladie de l’enfant doit être identifiée et juge de l’opportunité de sensibiliser le pouvoir organisateur quant aux moyens de faire appliquer les règles universelles d’hygiène.

Le secret intercepté

Il peut arriver que la teneur d’une information couverte par le secret médical soit interceptée, comprise à demi-mot, surprise au décours d’une relation pédagogique avec tout ce que cela suppose d’interprétation personnelle, d’inexactitude ou d’à peu près.
L’information fait dès lors partie du secret professionnel de la personne qui l’a interceptée. Si cette personne n’est pas susceptible d’apporter une aide à l’enfant, cette information exclut la recherche de confirmation (notamment auprès de collègues qui pourraient la connaître et seraient dès lors, mis en difficulté). Ceci n’empêche pas le confident malgré lui, de rechercher, à des fins d’aide personnelle, une écoute auprès des personnels de santé de l’école. Dans tous les cas, il ne peut s’attendre à recevoir, sans l’accord des parents, confirmation de ses doutes.

Plus de discrimination envers les enfants séropositifs

La lutte contre toute forme de discrimination à l’égard des personnes séropositives était au cœur de la journée mondiale du sida du 1er décembre dernier (voir l’article de couverture dans ce numéro).
Nicole Maréchal , Ministre de l’aide à la jeunesse et de la santé, a élaboré une nouvelle circulaire relative à l’accueil des enfants infectés par le VIH dans les institutions dépendant de la Communauté française ou subventionnées par elle.
Cette circulaire, dont le champ a été élargi à l’ensemble des milieux d’accueil, rappelle l’interdiction d’interdire: interdire de refuser l’accès, interdire d’exclure les enfants infectés par le VIH. Ces dispositions se justifient d’autant plus que l’absence de transmission lors d’activités de la vie courante dans la cellule familiale a été prouvée et qu’aucun cas de transmission à l’école ou dans un milieu d’accueil n’a été rapporté. Cette circulaire rappelle aussi la nécessité de protéger le secret professionnel et la confidentialité.

Les atouts de l’école

L’école possède des atouts majeurs pour l’éducation et la formation de l’enfant concerné par le VIH.
C’est une institution dont l’une des raisons d’être est d’offrir à chaque enfant un lieu où il puisse grandir en fonction d’une histoire personnelle, familiale et privée qui soit respectée.
Et de fait, l’enfant concerné par le VIH y trouve, surtout si sa situation reste confidentielle, le seul milieu de vie où il est considéré à l’égal des autres. Aussi longtemps qu’il reste asymptomatique, il peut espérer y jouir du même regard que les autres élèves (sans rejet, mais aussi et bien plus souvent, sans surprotection excessive). Et c’est un bien inestimable car sans exception, tous les autres milieux de vie de cet enfant sont envahis par la maladie et ses conséquences.
A l’école, il vit dans un milieu où, pour lui comme pour les autres, les risques infectieux graves sont contrôlés, où la sécurité physique des enfants est protégée, où les premiers soins sont organisés de manière correcte et où les moyens d’observer et d’appliquer les mesures universelles d’hygiène sont disponibles.
Même si par méconnaissance, par panique ou par désir de partager un si lourd fardeau avec un ami, un secret est divulgué par les intéressés, l’école doit se montrer capable d’induire des attitudes de discrétion et de respect. C’est en effet une institution qui participe activement à l’apprentissage par les jeunes de l’accueil de l’autre. Elle doit aussi permettre que les élèves abordent parmi les autres savoirs, les savoirs de santé, les enjeux de la sexualité humaine, les connaissances, les attitudes et les comportements de prévention qui s’y rapportent. Ce sont les mêmes valeurs d’accueil, de respect de l’autre et de soi-même, de tolérance et d’ouverture aux différences qui sont en jeu, tant dans l’approche de l’éducation sexuelle et affective que dans l’éducation de ces enfants, malades chroniques. Ces valeurs se transmettent dès que l’enfant peut s’exprimer, poser des questions et espérer obtenir des réponses qui ont du sens. On peut avoir la faiblesse de croire que lorsque l’institution scolaire sera capable de développer, en matière d’éducation sexuelle et affective de même qu’en matière de protection personnelle, continuité, progressivité et cohérence, l’accueil de jeunes et particulièrement d’adolescents séropositifs se fera, et pour tous, de manière étonnement simple et sereine.

Les atouts des enseignants

Les enseignants eux aussi, ont bien des atouts: ce sont des adultes qui sont des professionnels de l’enfance, qui ont ou ont eu accès aux savoirs nécessaires concernant le syndrome de l’immunodéficience humaine acquise, qui connaissent les enjeux du secret médical, qui respectent le secret professionnel et qui bénéficient de la collaboration et de l’aide des équipes médicales, qu’elles soient thérapeutiques ou scolaires.
Enfin, ce sont des adultes qui vont soutenir le jeune séropositif et l’autoriser à s’approprier un projet de vie et à y croire.

Le rôle des pouvoirs organisateurs d’enseignement

Le rôle des pouvoirs organisateurs d’enseignement est multiple et essentiel.
Les règles universelles d’hygiène sont ainsi qualifiées parce qu’elles s’appliquent partout, en tout temps et circonstance et pour toute personne. Elles constituent la base de la prophylaxie de la transmission par voie sanguine d’agents infectieux dont certains sont bien plus facilement contaminant que le VIH (ex. le virus de l’hépatite B). Elles sont faciles à respecter, ne dépendent jamais de la personne à qui elles s’appliquent et s’imposent à tout soignant.

Les règles universelles d’hygiène

Pour le patient

La priorité est toujours accordée à l’aide à lui apporter.
En situation d’urgence, on contrôle l’épanchement et la dispersion du sang (par compression au moyen de pansements épais ou de linges propres).
Dès que la situation est sous contrôle, les mesures habituelles d’asepsie sont appliquées (lavage et désinfection des mains avant la poursuite de et après les soins, port éventuel de gants en cas de lésions cutanées chez le soignant).

Pour l’environnement

Décontamination des objets, mobiliers, surfaces souillées (par eau javellisée à 10% préparée depuis moins de 24 h.)
Lavage et rinçage des vaisselles, textiles, linges et literies (par détergents habituels en eau chaude).
Elimination des pansements, linges et chiffons (en sac entreposé à l’abri des éventrations et évacué par la voirie habituelle).
Elimination des seringues et aiguilles (en containers spéciaux évacués par le personnel médical ou infirmier).

Il s’agit dès lors pour les pouvoirs organisateurs de s’assurer que chacun connaisse et applique les règles universelles d’hygiène, d’être ouvert aux besoins personnels de formation et de soutien des agents du monde éducatif, d’encourager la formation continuée du personnel en matière des problématiques de santé des enfants (promotion de la santé).
Il s’agit encore de développer des climats scolaires propices à l’adoption d’attitudes et de comportements respectueux de l’intérêt de chaque jeune. Enfin, il s’agit d’apporter aide et protection aux enfants dans le respect clairvoyant de leur famille et de leur entourage éducatif proche.
Disposer de l’identification des enfants n’est jamais utile pour le pouvoir organisateur, puisque, en tant que tel, il n’est pas nécessaire à l’éventuel soutien quotidien de l’élève.
Cependant, disposer des informations concernant le lieu où se passe l’intégration scolaire de ces enfants, éventuellement leur nombre, peut être utile sinon indispensable au pouvoir organisateur scolaire, dans la mesure où il peut se baser sur ces données quantitatives comme élément de prise de décision dans le choix de ses priorités d’intervention concernant l’hygiène, la salubrité, la sécurité dans les écoles, pour l’évaluation des besoins de formation et de soutien individuel du personnel et des enseignants, des besoins en personnel infirmier, médical et psychosocial, en personnel d’entretien, en produits et matériels de pharmacie, en produits et matériels d’entretien, etc.

Conclusions

Le monde scolaire connaît et organise de longue date la scolarisation de jeunes malades chroniques (diabétiques, épileptiques…).
Les élèves affectés par le VIH rejoignent progressivement cette population d’élèves différents qui a pourtant vis-à-vis de l’institution scolaire les mêmes attentes que les autres jeunes. Les progrès thérapeutiques les amèneront à être plus nombreux et à couvrir l’ensemble des tranches d’âge scolarisées.
Il faut donc veiller à organiser et à entretenir une formation adéquate de tous les adultes du monde scolaire afin de permettre que cette maladie puisse quitter le statut de maladie à danger physique immédiat et à connotation sociale péjorative qu’on lui accorde encore trop souvent. En effet, ce statut risque d’entraver un des fondements majeurs de l’institution scolaire qui est d’assurer à chaque jeune un développement individuel et social optimal et harmonieux.
Marie-Claire Lecroart , infirmière sociale (ONE, CHU Saint-Pierre) et Dr Michèle Meersseman , (médecin coordonnateur des centres IMS – Instruction Publique – Ville de Bruxelles)
Cet article a fait l’objet d’une communication lors de la journée de formation des directions d’établissements scolaires le 28 mars 2002.

La ‘dénormalisation’ de l’industrie du tabac, nouvelle approche pour la prévention chez les jeunes

Le 30 Déc 20

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Afin de lutter efficacement contre le tabac, une congruence entre les initiatives antitabac dans les milieux familiaux et scolaires et les messages véhiculés dans la société en général est essentielle. L’approche de lutte contre le tabagisme doit être une approche globale qui vise avant tout à changer les normes sociétales. Les interventions auprès des jeunes sont une composante importante d’une stratégie de lutte globale contre le tabac, mais la nature de ces interventions est déterminante en ce qui concerne leur impact sur le tabagisme chez les jeunes.

Les campagnes traditionnelles

De fait, les experts s’interrogent de plus en plus sur l’efficacité de l’ensemble des programmes traditionnels de prévention en milieu scolaire, particulièrement celles qui placent la responsabilité de ne pas fumer sur l’individu. Ces campagnes, conçues et véhiculées par les autorités entourant les jeunes (gouvernement, adultes, intervenants en santé), misent sur la prise de décision, l’affirmation de soi et les aspects santé à l’égard du tabac.
Par exemple, une étude montréalaise a révélé un fâcheux paradoxe à l’égard d’un programme pour dissuader les jeunes du primaire de fumer: au lieu de rejeter la cigarette, les jeunes de 9 à 12 ans visés par le programme ont été davantage attirés par celle-ci, trois fois plus pour les garçons et cinq fois plus pour les filles (1). Une autre recherche, réalisée par deux professeurs de l’Université du Québec à Rimouski, conclut que les campagnes gouvernementales ne convainquent que les jeunes non-fumeurs (2), c’est-à-dire des enfants et adolescents déjà «responsables».
La plus récente preuve de l’inefficacité des campagnes traditionnelles est l’étude historique dévoilée en décembre 2000 par le US National Cancer Institute, effectuée sur une période de 15 ans dans 40 districts scolaires et suivant 8.388 étudiants. Cette étude démontre que les programmes de prévention scolaires axés sur les influences sociales n’ont aucun impact mesurable (3).

Constatations des experts

L’inefficacité des initiatives scolaires n’est pas due aux programmes eux-mêmes: pris seuls, ils auraient vraisemblablement des impacts positifs. Mais en réalité, les programmes «santé» font face à des décennies de manipulation des normes sociales en faveur du tabagisme par les multinationales de tabac. Le marketing des produits du tabac, qui réussit à associer les cigarettes à la maturité, à la rébellion, à la popularité et à l’indépendance, a un plus grand impact auprès des jeunes susceptibles de commencer à fumer que les messages véhiculés par les campagnes antitabac traditionnelles (4).
En effet, le ton et la source des messages traditionnels (paternaliste, provenant du gouvernement ou d’éducateurs) ne font pas le poids vis-à-vis du message de rébellion contre l’autorité que prônent justement les campagnes de l’industrie du tabac.
Il est maintenant reconnu dans les revues scientifiques que les campagnes antitabac auprès des jeunes misant, entre autres, sur les effets sur la santé ou le rejet romantique, ne sont pas des stratégies efficaces (5).

L’emphase sur les jeunes

Par ailleurs, lorsqu’on favorise les «activités jeunesse», on met trop d’emphase sur le problème du tabagisme juvénile. Lorsqu’on définit l’épidémie des maladies causées par le tabac comme «le problème du tabagisme chez les jeunes», on risque de renforcer l’acceptabilité sociale de l’usage du tabac par les adultes (6).
Communiquer un message antitabac efficace aux jeunes représente une tâche très difficile: les jeunes sont plus intelligents qu’on ne le pense. Les jeunes n’écoutent pas les adultes qui les sermonnent.
Lorsqu’une campagne est trop orientée vers la jeunesse, ils savent que «quelqu’un» essaie de leur parler, et ce «quelqu’un» est inévitablement une institution «adulte» (7). Ils n’écoutent pas non plus les «jeunes» porte-parole lorsqu’ils savent qu’il y a des adultes derrière leurs discours. Pour eux, c’est un autre moyen de se faire manipuler. Lorsque les adultes disent aux jeunes, directement ou indirectement, «ne faites pas cela», ils vont souvent précisément «faire cela» (8). Bref, le peu de succès de la plupart des campagnes de prévention suggère qu’elles sont habituellement destinées à échouer par le fait même qu’elles proviennent d’adultes et visent les jeunes (9).

C’est pour cette raison que les campagnes d’éducation qui englobent le tabagisme adulte ainsi que les normes sociétales entourant le tabac offrent les meilleures chances d’avoir un impact sur les jeunes (10). Les campagnes antitabac les plus efficaces auprès des jeunes californiens étaient celles qui différaient complètement des autres «campagnes-jeunesse» et qui semblaient entièrement dirigées vers les adultes (11). En d’autres mots, les jeunes écoutent ce que les adultes se disent entre eux.
Il est primordial de reconnaître la différence entre l’objectif et le message. Alors que nous sommes tous d’accord avec l’objectif – les jeunes ne devraient pas fumer—il s’ensuit que le leur dire n’est pas – nécessairement le bon message pour atteindre cet objectif.

Les figures d’autorité

La mobilisation des adultes significatifs dans l’environnement du jeune, notamment les parents, les regroupements de parents, les intervenants scolaires, les animateurs de camps de vacances n’est pas nécessairement une bonne chose.
Quoique ces individus et organismes puissent contribuer à la lutte contre le tabagisme chez les jeunes (en appuyant les hausses de taxes, en offrant des programmes de cessation, etc.), ce ne sont pas des porte-parole ou des promoteurs efficaces pour les campagnes antitabac visant les jeunes.
L’exception, bien sûr, serait leur participation aux activités de dénonciation des tactiques de l’industrie du tabac. En effet, la dénormalisation de l’industrie du tabac reconfigure la dynamique parent / enfant rebelle (ou enseignant / élève rebelle) en offrant aux deux groupes, jeunes et adultes, un ennemi commun (12).
En effet, ces figures d’autorité sont celles qui sont les plus susceptibles d’inspirer la rébellion des adolescents. On ne se surprendra pas si elles figurent précisément parmi les catégories de personnes convoitées par les fabricants de tabac pour participer à leurs «programmes de prévention» (13). Au contraire, lorsque cela compte vraiment, ce sont évidemment les héros des jeunes, comme le pilote de Formule 1 Jacques Villeneuve, que l’industrie utilise pour faire la promotion du tabac.

Une solution

Les campagnes antitabac devraient viser les jeunes qui sont susceptibles de fumer. Les analyses de personnalité des jeunes qui fument montrent que ces derniers sont le plus souvent des individus de nature «rebelle» (14). L’industrie du tabac en est bien consciente: ‘L’adolescent cherche à démontrer son nouveau désir d’indépendance avec un symbole, et les cigarettes sont un tel symbole puisqu’elles sont associées à l’âge adulte et en même temps les adultes s’efforcent de les nier aux jeunes’ (15). C’est donc en ciblant cette catégorie de jeunes et en alimentant leur tendance à se rebeller, que les campagnes antitabac pourront être efficaces.
Essentiellement, il faut rediriger la rébellion des jeunes contre les figures d’autorité traditionnelles, vers les dirigeants de l’industrie. Il faut présenter la décision de fumer comme l’opposé d’une forme de rébellion, soit comme une marque de faiblesse et une abdication face au marketing d’une industrie manipulatrice et sans scrupules.

Dénormalisation de l’industrie du tabac

L’industrie du tabac n’est pas une industrie comme les autres. C’est le seul produit de consommation qui tue lorsque utilisé selon les directives du fabricant. Le fait que le tabac soit légal est un accident historique: un produit aussi létal ne pourrait jamais être introduit sur le marché aujourd’hui. Quand la communauté scientifique a découvert les dangers du tabagisme, il était trop tard: des millions de fumeurs étaient dépendants de la nicotine et l’industrie a utilisé tous les moyens politiques, «scientifiques» et publicitaires pour «normaliser» les cigarettes.
Pendant 60 ans, les fabricants de tabac ont investi des milliards pour créer un environnement social qui normalise le tabagisme et qui empêche les mesures pour réduire et éliminer son usage. C’est pour cette raison que les campagnes d’éducation antitabac ne peuvent pas se modeler sur les autres campagnes de santé publique, soit celles qui encouragent à adopter certains comportements, comme prendre des précautions contre les maladies sexuellement transmissibles ou se faire vacciner. Dans le cas de ces dernières, il n’existe pas d’industrie multimilliardaire qui fait tout pour obtenir des résultats contraires.
Les récents succès américains démontrent qu’une façon efficace de lutter contre le tabagisme chez les jeunes est de dire la vérité sur l’industrie du tabac. Selon l’American Legacy Foundation (fondation créée dans le cadre de l’entente de 1998 entre 46 Etats américains et l’industrie pour produire des campagnes antitabac), une campagne efficace auprès des jeunes doit être «structurée autour de la création d’un mouvement contre le tabac comme le mouvement contre la guerre du Vietnam ou le mouvement contre le système d’apartheid en Afrique du Sud.» (17)
D’où, la notion de la «dénormalisation» (ou dénonciation) de l’industrie du tabac, qui vise à changer les perceptions répandues dans toute la société à l’égard de l’industrie et de ses produits.
L’expérience dans certains États américains montre que ce qui marche le plus auprès des jeunes, ce sont les campagnes agressives qui attaquent l’industrie du tabac et qui défient les normes sociales sur l’usage et la promotion du tabac (18). C’est apprendre aux jeunes que l’industrie du tabac veut leur argent, qu’elle se moque de leur santé, qu’elle a caché et nié les dangers du tabac pendant 50 ans, qu’elle étudie le profil psychologique des enfants de 11, 12 et 13 ans pour connaître les facteurs qui les motivent à fumer et que ses activités de marketing visent les jeunes en positionnant le tabac comme un symbole de maturité. En d’autres mots, il faut dire aux enfants et aux adolescents qu’ils se font manipuler (19).
Une manière de montrer l’aspect manipulateur de l’industrie, c’est de jeter un regard critique sur les efforts de marketing de l’industrie du tabac, et de montrer ce qui est réellement mis en marché: le cancer, l’emphysème, la mort, etc. Il faut prendre les images que l’industrie associe aux marques de tabac et les utiliser contre elle.

Tabagisme passif

Outre la manipulation par l’industrie du tabac, les dangers de la fumée secondaire représentent un deuxième thème qui s’est avéré efficace pour dissuader les jeunes de fumer (20). Ils se préoccupent énormément de leurs amis, dans le sens qu’ils ne souhaitent pas les incommoder ni leur faire du tort. Les messages comme «si vous fumez, vous faites mal à vos amis» procurent aux jeunes une très bonne raison pour ne pas fumer et aident les non-fumeurs à dire «tes actions me font mal» (21).

Efficacité

Les expériences de la Floride, du Massachusetts et de la Californie montrent que c’est un moyen éprouvé de dissuader les jeunes. Par exemple, en Floride, le taux de tabagisme a chuté de 54% chez les jeunes au primaire, et de 24% chez ceux du secondaire… et cela dans une période de deux ans!
L’industrie du tabac reconnaît l’efficacité des campagnes de dénonciation de l’industrie. Dans un document interne tiré des dossiers de la compagnie américaine de tabac RJ Reynolds, la compagnie se plaint de la campagne californienne dont le thème principal est la manipulation par l’industrie du tabac: «La campagne californienne et les autres semblables, représentent une véritable menace… L’effet sur l’estime de soi, l’acceptation sociale et l’usage du tabac finiront par influencer (nos) affaires.» (22)

La «participation» des jeunes

La participation des jeunes dans les campagnes antitabac peut être positive, mais doit être authentique: il ne suffit pas que les messagers soient des adolescents, ou que les campagnes soient simplement «approuvées» par des groupes de discussion de jeunes dans le cadre du processus d’élaboration par une firme de publicité. Les meilleures publicités antitabac de la Californie ont initialement été très «mal» reçues lors des groupes de discussion de jeunes (23). Cela ne veut pas dire qu’elles sont inefficaces. L’implication des jeunes doit être élaborée et sérieuse, et comprendre une éducation exhaustive sur l’historique de l’industrie du tabac et ses pratiques de marketing.
Le projet «SWAT» (Students Working Against Tobacco) en est le meilleur exemple. Ce dernier compte sur la participation intensive d’adolescents pour élaborer ses campagnes antitabac, notamment la campagne «Truth» qui est associée à des baisses spectaculaires du tabagisme chez les jeunes en Floride. Ce qu’il faut noter, cependant, c’est que la clé du succès de cette campagne n’est pas tant que les messages émanent des jeunes, mais que les jeunes ont choisi le thème de la dénonciation de l’industrie. En effet, les principales qualités de la campagne résident dans son attitude audacieuse et provocatrice, ainsi que dans son courage face aux condamnations de l’industrie du tabac (24). Autre point à noter: ces campagnes, bien que «signées» par des jeunes, ciblent l’ensemble de la population.

Activités scolaires de «dénormalisation»

Des initiatives scolaires de dénormalisation de l’industrie pourraient inclure:
– des concours de «contre-publicités» pour les marques de tabac;
– le visionnement de publicités antitabac américaines suivi de discussion pour analyser et critiquer ces dernières (la Colombie Britannique a conçu un tel programme dont un kit pour quatre années du secondaire);
– la recherche et l’analyse des documents internes de l’industrie du tabac (disponibles sur de nombreux sites Internet) sur le marketing auprès des jeunes, la manipulation de la nicotine, la complicité dans la contrebande, la corruption scientifique, la création d’une controverse scientifique à l’égard de la fumée secondaire, les efforts de relations publiques pour se doter d’une image de citoyen corporatif responsable, etc.;
– l’analyse des «programmes de prévention» de l’industrie du tabac;
– des actions politiques pour favoriser l’adoption de mesures de prévention efficaces (hausse des taxes, augmentation des ressources attribuées à la lutte antitabac, restrictions sur la promotion, restrictions sur l’usage du tabac dans les restaurants, etc.);
– l’invitation de militants antitabac pour parler des tactiques de l’industrie du tabac, notamment celles visant à recruter les jeunes.

Adaptation de ce concept à notre réalité en Communauté française

Ce qui a attiré mon attention à la lecture de ces quelques lignes, c’est l’originalité de la démarche, le décalage entre cette démarche et certaines de nos campagnes et enfin de constater la pertinence des questions soulevées dans le projet mené en Communauté française autour du concept «Fumer ou ne pas fumer est-ce la question?» qui visait plus à changer nos mentalités et notre regard sur notre rapport au tabagisme qu’à proposer des pistes de travail. En effet, là ou nous sommes amenés à discuter de l’efficacité de tels ou tels programmes, l’industrie du tabac développe de nouvelles stratégies d’une efficacité surprenante.
Face à la détérioration de leur réputation à l’échelle mondiale, les multinationales du tabac ont multiplié les efforts pour se doter d’une meilleure image. Les «programmes de prévention» des compagnies de tabac constituent une des deux composantes majeures de cette offensive (l’autre étant leurs programmes de sensibilisation concernant la vente de tabac aux mineurs). L’industrie s’en sert, entre autres, pour réfuter les accusations liées à ses efforts de recrutement des jeunes et pour empêcher des contrôles plus sévères sur ses activités de vente et de marketing.
Cependant, les intérêts de l’industrie du tabac sont en flagrante contradiction avec tout présumé désir de vouloir réduire la consommation de ses produits par les jeunes: sa rentabilité – voire sa survie – dépend de l’engouement des jeunes pour le tabac. C’est une question de nécessité économique: la grande majorité des clients (90 %) commencent à fumer lorsqu’ils ont moins de 18 ans.
La Belgique ne fait pas exception. Rappelez-vous la campagne menée par l’industrie du tabac intitulée «Les jeunes peuvent dire non!», la campagne où on proposait aux vendeurs de cigarettes de vérifier l’âge de leurs jeunes clients, etc.
Que dire aujourd’hui des débats autour de la fondation Rodin, des financements directement donnés pour des manifestations sportives ou culturelles? Ou encore de l’exemplaire affaire de Francorchamps, un exemple remarquable de la stratégie des cigarettiers de banalisation de l’usage du tabac et qui a réussi à faire passer l’intérêt de cinq écuries de Formule 1 avant ceux de la santé publique…
Axel Roucloux , conseiller en communication et en promotion de la santé

D’après un article publié par la coalisation québécoise pour le contrôle du tabac. L’asbl Promotion santé et développement durable organisera dans le premier semestre de 2003 un cycle concernant la dénormalisation (application dans notre pratique) et la formation de personnes ressources à l’approche du tabagisme dans leur environnement de travail. Si vous êtes intéréssé n’hésitez pas à nous contacter au 081-81 36 97 ou par courriel: axel.roucloux@skynet.be

Bibliographie

1. DUFOUR V., «Paradoxe antitabac: un programme destiné à de jeunes Montréalais a eu l’effet inverse à celui recherché», Le Devoir, 22 avril 2000. [Article citant Lise Renaud de la Direction de la Santé et des Services sociaux de Montréal-Centre]
2. THÉRIAULT, CARL, «Une lutte antitabac inefficace», Le Soleil, 27 mai 2000, au sujet de l’étude par Arthur Gélinas et Colette Schoonbroodt, «Étude de pertinence des interventions préventives sur le tabagisme auprès des jeunes en milieu scolaire.»
3. NATIONAL CANCER INSTITUTE, «Researchers Complete Extensive Youth Smoking Prevention Study » 19 décembre 2000. [Communiqué de presse. Étude effectuée par le Fred Hutchinson Cancer Center et publiée dans le Journal of the National Cancer Institute le 20 décembre 2000.]
4. «Cigarette Ads Have More Impact Than Anti-Tobacco Effort »,Washington Street Joumal, 11 juin 2001 (Article citant une recherche du Annenberg Public Policy Center de la University of Pennsylvania).
5. GOLDDMAN L. et GLANZ S., «Evaluation of Antismoking Advertising Campaigns», Journal of the American Medical Association, vol. 279, n° 10, mars 1998.
6. SIEGEL M., «Mass Media Antismoking Campaigns: A Powerful Toll for Health Promotion», Annals of Intemal Medicine, vol 129, n° 2, juillet 1998.
7. SILVERMAN B., (vice-président de Western Internal Media Corporation, firme de relations publiques du Département de santé publique de la Californie), entrevue lors d’une conférence de Santé Canada sur la dénormalisation, Ottawa, janvier 1999.
8. SILVERMAN B., voir réf. 7.
9. ACTION ON SMOKING AND HEALTH [UK], «Danger! PR in the Playground», 2000.
10. REID DJ, McNEILL AD, GLYNN TJ., «Reducing the prevalence of smoking in youth in Western countries: an international review». Tobacco Control, 1995; 4:266-277.
11. SILVERMAN B., voir réf. 7.
12 FRIEDMAN M., «Teen Antismoking Strategy Focus Groups, Summary Report », Research Management and Strategic Planning, novembre 1996 et KEYE, P., « What We Know, and When Haven’t We Known It? Remarks for Health Communications Day », John Hopkins University, octobre 1993.
13. ACTION ON SMOKING AND HEALTH, voir réf. 9.
14. The Tipping Point, Malcolm Gladwell, 2000 p.231, cité dans «Danger! PR in the Playground,» Action on Smoking and Health [UK] 2000.
15. KWECHANSKY MARKETING RESEARCH INC., «Project 16», 18 octobre 1977 (Rapport de marketing préparé pour Imperial Tobacco Ltd.).
16. GLANZ S., et al., «The Cigarette Papers», University of California Press, 1996.
17 HEALTON C. (présidente, American Legacy Foundation), citée dans « Big Tobacco Burned by Ciparette Spots», Washington Post, 10 août 2001.
18 SIEGEL M., voir réf. 6.
19. GOLDDMAN L. et GLANZ S., voir réf. 5.
20. GOLDDMAN, L. et GLANZ S., voir réf. 5.
21. SILVERMAN B., voir réf. 7.
22. RJ REYNOLDS, document déposé dans le cas de «Mangini vs Reynolds Tobacco Co.» Civil No. 939359.
23. SILVERMAN B., voir réf. 7.
24. ACTION ON SMOKING AND HEALTH, voir réf.9.

Formation des personnels en PSE

Le 30 Déc 20

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Promulgué fin 2001, le décret relatif à la promotion de la santé à l’école, dit «décret P.S.E.», remplace la célèbre loi sur l’Inspection Médicale Scolaire du 21 mars 1964. Celle-ci avait apporté un progrès médical et social indéniable et avait structuré l’implication de l’Etat dans la prise en compte de la santé des élèves.
Cependant, l’évolution de la société et celle du concept de santé ont conduit les pouvoirs politiques à revoir cette loi pour aboutir au présent décret: il se réfère à la définition d’une santé globale prônée par l’Organisation mondiale de la santé et élargit donc les domaines d’intervention des travailleurs en santé scolaire et les objectifs de leurs actions. De plus, il officialise la place réservée aux actions visant la prévention et l’amélioration des conditions de vie scolaire des élèves.
L’article 2 du décret cite en effet quatre secteurs d’activité:
– la mise en place de programmes de promotion de la santé et de promotion d’un environnement scolaire favorable à la santé;
– le suivi médical des élèves (bilans de santé, vaccinations);
– la prophylaxie et le dépistage des maladies transmissibles;
– le recueil standardisé des données sanitaires.

A nouvelles missions, nouvelles compétences

Les trois premiers secteurs d’activités impliquent de nombreux contacts individuels ou de groupe.
Dans la foulée, le décret relatif à la promotion de la santé dans l’Enseignement supérieur hors universités, dit «décret P.S.E. sup.», modifie les pratiques propres à ce niveau d’études. Il ouvre notamment des perspectives nouvelles par l’instauration des «points de contact santé». Ces lieux d’écoute et de rencontre des étudiants renforcent l’aspect relationnel du travail en santé. On peut par ailleurs émettre dès à présent l’hypothèse selon laquelle les thématiques abordées par les étudiants lors de ces entretiens dépasseront largement le domaine de la santé physique…
L’évolution des concepts et, en corollaire, des modalités de travail et des pratiques, implique impérativement, pour les travailleurs du terrain, non seulement de se former dans le domaine scientifique (mise à jour des connaissances scientifiques et médicales, ergonomie scolaire, contre-indications médicales à certaines professions et risques de maladies professionnelles, etc.) mais également d’acquérir une solide formation à l’entretien, en ce compris l’écoute active, et à l’animation de groupes.
Nous ne nous étendrons pas sur les compétences scientifiques: se tenir au courant des études récentes, des nouveaux traitements, des découvertes, etc. est un minimum indispensable.
Toute situation d’entretien demande des aptitudes au contact et une bonne capacité de pratique de l’entretien. En particulier, entendre la demande explicite mais surtout repérer les demandes sous-jacentes et donc non clairement exprimées sont des capacités qui requièrent sensibilité, perspicacité, finesse et subtilité dans la perception d’autrui.
Un entretien individuel n’est pas une conversation de salon, ni un monologue limité à une série de constats médicaux assénés en rafale et une liste de conseils donnés comme des commandements. Traduire les données médicales en termes compréhensibles par les élèves et les parents, leur donner des informations claires et précises, s’assurer qu’ils ont bien compris, écouter et entendre ce qu’ils expriment, souvent par-delà les mots, prendre en compte leurs émotions, leurs sentiments, leurs difficultés, leurs espoirs, dénicher leurs ressources et les valoriser, s’en servir comme tremplin pour (re)dynamiser la personne, etc. sont autant de composantes indispensables à mettre en pratique au cours d’un entretien pour pouvoir atteindre l’objectif que l’on s’est fixé dans un climat de confiance et de respect mutuel.
Il est également indispensable de bien se connaître et de savoir gérer ses propres difficultés afin que celles-ci n’interfèrent pas avec le vécu des consultants. On touche ici à ce que l’on appelle l’évolution personnelle.
De même, une animation de groupe n’est pas une recette toute faite que l’on applique dans une classe. Entendre et répondre aux attentes du groupe, adapter l’animation aux besoins des élèves et à leur âge, tenir compte du climat de la classe, être attentif aux phénomènes de groupe, au rôle particulier de certains élèves dans la classe, faire preuve de souplesse et d’à propos tout en restant ferme, gérer le groupe classe, etc. ne sont pas des dons innés qui s’activent d’un coup de baguette magique…
De plus, toute animation nécessite une réflexion préalable quant
– au choix du thème,
– de la technique à utiliser,
– aux objectifs poursuivis et aux risques d’effets pervers,
– aux attentes et aux besoins des élèves, leur maturité et leur degré de réceptivité par rapport à l’animation prévue,
– au choix de l’animateur (nous ne sommes pas tous à l’aise pour tous les sujets et avec toutes les techniques),
– aux éventuels partenaires de l’animateur, notamment en fonction de ses implications sociales, éducatives, psycho-affectives, etc. En particulier, le partenariat avec l’équipe P.M.S. sera souvent utile et bénéfique pour l’élève. Il a fait d’ailleurs l’objet d’un autre article (1) consacré aux relations entre les Services P.S.E. et les Centres P.M.S.,
– au suivi à apporter à l’animation.
En particulier, le choix du type d’animation à mettre en place revêt toute son importance et conditionne non seulement le déroulement de l’activité mais aussi les capacités personnelles de l’animateur en charge de l’activité. On distingue en effet, et sans entrer dans les détails, deux grands groupes d’animations: celles qui apportent des informations aux participants et suscitent une discussion générale et celles qui ont un degré d’implication plus grand et s’appuient sur le vécu personnel des participants pour faire évoluer le groupe. Le lecteur comprendra aisément que ces deux méthodologies requièrent des formations différentes de la part des personnels qui les pratiquent.
Enfin, à d’autres moments, le travailleur en santé participera à des réunions de divers ordres (séances d’information, de concertation, de négociation…), avec des partenaires divers (collègues directs, équipes P.M.S., enseignants, autorités scolaires, partenaires extérieurs…) et avec des contenus divers (discuter de l’état de santé d’un élève, organiser une activité en partenariat, négocier un projet, obtenir une plage horaire pour réaliser une activité dans une école…).
Son attitude devra être adaptée à chacune de ces situations et la variété de celles-ci implique également la variété des compétences personnelles à mettre en jeu, compétences qui s’acquièrent pour autant qu’on le veuille et qu’on s’en donne les moyens.
Loin de moi l’idée de faire paniquer les infirmières et les médecins en mettant en évidence les prérequis d’un travail de qualité et en prônant des formations touchant à l’évolution personnelle… Je souhaite simplement les encourager à se perfectionner.
J’ai souvent constaté qu’une part de l’anxiété du personnel face aux tâches multiples qui lui incombent est due à un manque de formation approfondie. Dans le même ordre d’idée, j’ai aussi remarqué que les infirmières qui réalisaient peu d’entretiens individuels et/ou peu d’animations de groupe, sont souvent des personnes qui n’ont pas reçu de formation à ces pratiques et qui craignent la relation avec les consultants. Le choix d’une formation adéquate leur a permis d’exprimer leur vécu et d’acquérir une plus grande maîtrise de ces techniques.
C’est une lapalissade de dire qu’apprendre et se former augmentent la confiance en soi et facilitent la réussite professionnelle, mais il me plaît de le rappeler. Apprendre à connaître l’autre, apprendre à découvrir sa lecture de la réalité, apprendre à mieux le comprendre dans ses réactions et ses émotions, apportent le plaisir de la rencontre, renforcent la relation et aident à atteindre les objectifs fixés.
Loin de moi également l’idée que toute formation est magique: elle ne résout pas toutes les difficultés et l’implication personnelle peut parfois être douloureuse. Elle est cependant toujours source d’enrichissement et d’évolution positive.
La formation des infirmières et des médecins mise en place par la Ministre Nicole Maréchal vise la découverte et l’utilisation d’outils de promotion de la santé. Elle se situe donc à un niveau informatif et fonctionnel visant le « savoir faire ».
Il serait utile de la compléter par diverses formations en rapport avec la pratique de l’entretien individuel et de l’animation de groupe, dans un cadre général et dans une perspective d’évolution personnelle. Ces formations transversales axées sur le « savoir être » pourraient alors se transférer dans n’importe quel entretien et n’importe quelle animation de groupe, quels qu’en soient le thème, les participants concernés et la technique précise développée.
Savoir faire et savoir être garantissent un personnel compétent pour le plus grand bénéfice des élèves et de leur famille.
Le Service d’Inspection P.M.S. est particulièrement attentif à la formation des personnels P.M.S. Dans le réseau de la Communauté française, il recommande vivement aux infirmières de suivre des formations comme celles décrites dans cet article. Vu l’évolution du concept de santé et l’extension des missions telles que définies dans les nouveaux décrets, il lui a paru intéressant de suggérer les mêmes formations aux personnels des Services P.S.E., bien que ces derniers ne relèvent pas des compétences de l’inspection P.M.S. Ces personnels et les autorités dont ils relèvent voudront bien ne voir aucune intrusion de l’inspection P.M.S. dans leurs prérogatives mais simplement un partage de réflexions dont le seul souci est le bien des élèves et de leur famille.
Marguerite Lion-Delahaut , inspectrice coordonnatrice f.f. pour les Centres P.M.S.
Adresse de l’auteur: rue de l’Espinée 1, 6222 Brye
(1) LION-DELAHAUT M., Concertation et collaboration avec les équipes PMS, in Education Santé n° 180, juin 2003, pp. 11-12.

Innover en prévention du tabagisme chez les jeunes: est-ce possible?

Le 30 Déc 20

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Première partie: construction d’une démarche de promotion de la santé

Envisager de nouvelles pistes de prévention concernant les jeunes et le tabac, en situation de vulnérabilité, voilà le défi que s’est donné le Service Prévention tabac de la FARES. Qui plus est, découvrir des pistes en plaçant le tabac dans le cadre plus général des assuétudes et de la promotion de la santé. L’intérêt de décloisonner tabac et autres assuétudes est multiple. Parmi les nombreux aspects dont peut bénéficier la prévention tabac, j’en épingle deux: la consommation et la dépendance.

Consommation et dépendance

Pour des drogues dites dures, des démarches de consommation à moindre risque ont été développées: c’est ce qu’on nomme la réduction des risques (RDR). Cette démarche permet de se situer dans un modèle explicatif des usages de drogues qui tient compte de la personne, de l’environnement, du produit et des interactions entre ces différentes données. Cette démarche n’induit pas une prise de position morale par rapport aux consommations. Depuis quelques années des scientifiques se penchent sur la question de la réduction des risques et du tabac, de nombreuses questions devraient faire l’objet de recherches. L’asbl Modus Vivendi intégrait cette question dans un atelier des Assises de la réduction des risques (RDR) en décembre dernier.
En ce qui concerne la dépendance, la prévention tabac a tout intérêt à bénéficier du travail réalisé depuis de nombreuses années à propos d’autres assuétudes, si l’on postule que la dépendance s’exerce en terme d’intensité des interactions entre une personne, un produit et un environnement. Des organismes s’occupant des drogues ont intégré depuis de nombreuses années ce type d’approche dans une démarche pédagogique. Infor-Drogues et Prospective Jeunesse en font partie.

La construction du partenariat

Le principe d’une recherche-action, menée avec des partenaires reconnus dans la prise en compte des drogues illicites mais aussi la promotion de la santé, a été adopté.
Le partenariat est une des trois stratégies fondatrices de la démarche participative entreprise, avec la mise en réseau et l’accompagnement de projet. Le Service Prévention tabac de la FARES, le Centre local de promotion de la santé de Bruxelles, Infor-Drogues et Modus Vivendi ont voulu apporter un éclairage nouveau à la prévention tabac par un travail spécifique avec les acteurs de terrain.
Les différents partenaires amènent des éclairages et des compétences particulières, les approches ont été considérées comme complémentaires: l’approche méthodologique promotion santé, l’approche prévention des drogues au sens large, l’approche réduction des risques. Deux partenaires viennent de rejoindre le groupe, PROMES-ULB et Prospective Jeunesse pour le travail avec les relais jeunes.
Les partenaires ont été sollicités dès avant l’introduction d’une demande de financement auprès de la Communauté française. Une ou plusieurs rencontres avec chaque partenaire ont permis de placer des balises. Pas évident pour une institution de se positionner face à une démarche dans laquelle presque tout est à construire encore, mais ensemble!
Le partenariat s’est constitué en Groupe de recherche, baptisé GR par analogie avec les sentiers de Grande Randonnée. La collaboration mise en place nécessite en effet une boussole, une bonne paire de chaussures pas trop neuves, la volonté manifeste pour chacun d’aboutir, du leadership aux croisements non identifiés, de l’humour et le dernier ingrédient n’est pas le moins important, du temps pour penser à ce que l’on veut.
A l’évaluation, le climat instauré par le groupe s’est confirmé tout aussi important que les compétences de chacun des partenaires. Des composantes du climat ont été identifiées comme facteurs facilitant le changement et l’innovation(1). Il s’agit de l’humour, la liberté, la confiance, l’implication personnelle, le temps de réflexion, l’absence de conflits, l’ouverture aux idées, le débat, la prise de risques. De même que la concertation avant la prise de décision, la poursuite de résultats tangibles, l’évaluation continue sont des éléments porteurs dans une dynamique de partenariat.
L’élaboration d’un premier référentiel commun a été poursuivie, en déterminant entre partenaires les notions clés à mettre en question avec les acteurs de première ligne.

Démarche participative: l’écoute des acteurs de terrain

Même si, et surtout parce que, beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites à propos du tabac, il a semblé essentiel de revenir à la source même de nos actions, de rencontrer le public des professionnels, d’écouter, ce qu’ils souhaitent dire (croyances, avis, attentes, actions…) par rapport au tabac et à la prévention tabac: le tabac est-il prioritaire pour eux? Savent-ils ce que les jeunes en pensent? Travaillent-ils déjà ces questions avec les jeunes et comment? Comment sont vécues les consommations dans leur institution? Avec le cannabis est-ce la même chose? Le tabac est-il une ‘drogue’? Pensent-ils avoir un rôle à jouer?
Il nous a paru nécessaire de réunir des données qualitatives afin construire un socle de base avec les acteurs de terrain, en vue d’élaborer des pistes d’actions intégrées dans une dynamique de projet. Le travail avec les relais (2) est privilégié afin de pouvoir intégrer la problématique tabac/assuétudes à une dynamique de projet en accord avec les missions des institutions.
C’est avec ces professionnels que nous avons choisi de mener un travail de sensibilisation et d’amélioration des compétences sur la problématique tabac/assuétudes. L’idée n’est pas de donner une mission supplémentaire mais bien d’apporter l’éclairage promotion santé dans les pratiques professionnelles mises en place pour accomplir les missions.
Au travers de ces différents milieux d’action, la famille est également visée et les parents considérés comme des acteurs de santé. Même si la famille n’a pas été interrogée directement comme milieu de vie, l’environnement familial est présent en filigrane dans les différentes démarches de travail des relais: soit directement en vertu de leur mission (milieux résidentiels ou non résidentiels d’aide aux jeunes), soit indirectement comme les écoles, même si c’est pour faire un constat en termes de manque d’interactions avec les parents.
Les milieux de vie considérés ont été choisis de manière précise. En effet, les associations prises comme références accueillent (peu ou prou) des jeunes en situation de vulnérabilité sociale et familiale: Accueil en Milieu Ouvert, services d’Aide à la Jeunesse, internats scolaires accueillant des élèves de l’enseignement technique et professionnel, écoles techniques et professionnelles, centres d’éducation et de formation en alternance (CEFA), maisons de jeunes, centre d’accueil de réfugiés, services sociaux, maisons de quartier, centres de planning familial…
On ne pouvait interroger les adultes sans, à un moment ou un autre, interroger les jeunes à leur tour. La méthode utilisée est celle des ‘focus groupes’ appelés aussi ‘groupes Es-pairs’ (l’expression vient de l’asbl Modus Vivendi et a un double signifié: expert et entre pairs). L’objectif de ces groupes est de confronter les jeunes aux représentations des adultes relais, dans l’hypothèse que leurs points de vue seraient sans doute divergents.
Cette démarche de proximité est mise en œuvre localement avec l’appui des centres locaux de promotion de la santé.
Nous aborderons prochainement de manière plus détaillée la perception qu’ont les acteurs de terrain de la problématique et la construction de la démarche avec les relais.
Cécile Plas , chargée de projet à la FARES

Pour suivre

Un deuxième article explorera les regards des acteurs de terrain, et un troisième sera consacré à la construction de la démarche avec les relais.
(1) EKVALL G., ARVONEN J., WALDENSTROM-LINDBLAD I., « Creative organisational climate: construction and validation of a measuring instrument » Stockholm, Sweden: The swedish Council for Management and Organisational Behaviour 1983.
(2) Relais: acteurs professionnels de première ligne ayant une mission auprès des jeunes dans leurs différents milieux de vie.

De la prévention des risques aux risques de la prévention

Le 30 Déc 20

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Une des caractéristiques de la politique belge en matière de gestion des situations liées aux usages de drogues illicites réside en ce sentiment d’avancée et de recul en même temps. En effet, une fois de plus, des incohérences continuent à courir, sans doute influencées en partie par l’émoi que les drogues suscitent souvent de façon tout à fait irrationnelle.
D’une part, et ce malgré le contexte prohibitionniste, la Ministre francophone de la Santé Nicole Maréchal , prend position en faveur d’une politique de réduction des dommages et des risques liés aux usages des drogues. Elle plaide pour une politique qui vise prioritairement l’amélioration des situations de consommations de produits qui, de par leur illégalité, mettent davantage en danger la vie de leurs usagers.
Quant au Ministre de la Justice, il considère cette démarche comme une autorisation d’usage de produits interdits par la loi. Comment peut-on à la fois interdire la détention de certaines substances et ‘favoriser’ leurs usages dans de bonnes conditions?
Les deux positions sont cohérentes relativement à la logique sur laquelle elles s’appuient, d’un côté les substances sont interdites par la loi (donc, on doit prendre des mesures par rapport à ça), de l’autre, il est essentiel de réduire les dommages liés à leurs usages en termes de santé publique, quel que soit le statut des substances. La cohabitation entre ces deux options ne peut toutefois qu’engendrer la confusion.
D’autre part, nous constatons que, de plus en plus, les policiers entrent dans nos écoles primaires et secondaires pour faire de la prévention auprès des élèves. Il n’est d’ailleurs pas rare de les entendre parler de réduction de risques en parlant de leur travail de prévention. Sans être corporatistes, sans vouloir défendre notre ’bout de gras’, cette évolution nous pose de nombreuses questions.
La santé mentale et physique des individus relève-t-elle plutôt des compétences du ministère de la Santé ou de celui de la Justice ? Tout comme dans le champ éducatif, est-ce aux policiers fédéraux ou aux enseignants (et à l’ensemble de l’équipe éducative) d’occuper une fonction éducative auprès des jeunes?
Par une lecture linéaire et simpliste, ce rapport semble évident: certaines drogues sont interdites, donc la prévention de leurs usages auprès de différents publics revient aux agents répressifs. Cela semble moins évident de penser que, du même coup, le policier doit se substituer à l’enseignant dans son rôle d’éducateur dans le cadre scolaire s’agissant des questions d’usages de drogues. De même, peut-on imaginer que, par rapport au vol (acte illégal), on fasse appel aux policiers pour enseigner la morale?
Pour la plupart des intervenants psycho-sociaux travaillant dans le domaine de la prévention des assuétudes, un des facteurs majeurs produisant nombre des conduites à risques dans nos sociétés occidentales est celui du manque de démarquage clair notamment entre les générations, entre le féminin et le masculin, etc. produisant ainsi de plus en plus de confusion dans les rôles et les fonctions que chacun a à occuper.
De ce fait, la reproduction de cette confusion à d’autres niveaux peut être très dommageable, surtout pour les jeunes en quête de leur identité.
Si l’appel aux policiers dans le cadre scolaire pour parler de leur domaine, leurs missions et leur métier (comme fonction existante et importante pour le fonctionnement de la société) peut avoir un certain sens par rapport à l’apprentissage civique, par contre leur présence comme interlocuteur pour débattre avec les jeunes de ‘l’estime de soi’, de ‘comment faire face à la pression d’un groupe’, etc. produit du non-sens.
La prévention des assuétudes ne s’inscrit-elle pas avant tout dans le domaine des relations humaines, les relations que les humains entretiennent entre eux et avec ‘les choses de l’existence’, donc relevant de l’éducation et du social ?
On se trouve en effet au croisement de deux logiques différentes, voire même opposées. On assiste à une confusion des rôles et des compétences lorsque le policier prend la place du professeur.
Si en matière de réduction des dommages et des risques liés aux usages, on peut se réjouir d’une évolution qui va dans le sens d’une prise en compte de l’intégrité et de la dignité des usagers de drogues, on peut aujourd’hui s’inquiéter d’un retour en arrière dans le domaine de la prévention lorsqu’on accorde la primauté à l’approche sécuritaire au détriment d’une approche éducative et préventive. Azadeh Banaï , Infor-Drogues Article déjà paru dans ‘Brèves de Comptoir, etc.’ de Modus Vivendi

Questions éthiques dans les soins de santé

Le 30 Déc 20

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En tant que principale mutualité de Belgique, co-responsable de la gestion et de l’exécution de l’assurance maladie, la Mutualité chrétienne ne peut rester indifférente face au nombre croissant de dilemmes médico-éthiques.
Toutes les formes de soins peuvent-elles être intégrées dans l’assurance maladie obligatoire? Chacun peut-il de façon illimitée avoir droit aux remboursements? Qui peut faire des choix et selon quels critères? Dans quelle mesure le patient est-il responsable des coûts liés à son mode de vie? Une mutualité ou un assureur privé peuvent-ils procéder à une sélection des risques, et dans quelles conditions? L’information diagnostique doit-elle être mieux protégée?
Ces questions et d’autres ont été abordées lors d’un symposium organisé l’an dernier avec l’aide de quatre experts universitaires en matière d’éthique médicale.
Les lignes de force de cette journée d’études sont résumées dans une brochure qui définit la problématique, aborde le transfert d’informations au patient, et défend le souci d’un accès universel aux soins de santé par la solidarité entre ‘malades’ et ‘bien-portants’. Sur la question de la responsabilité individuelle, la position de l’organisme assureur est sans ambiguïté: ‘La Mutualité chrétienne ne trouve ni souhaitable, ni praticable de priver de soins de santé les patients qui adoptent un mode de vie malsain ou de leur imposer des restrictions en matière de financement solidaire’. Une affirmation qui ne va pas de soi à l’heure où les tentatives de privatiser les grandes fonctions collectives se font de plus en plus insistantes!
Des informations plus détaillées sur ces questions paraîtront prochainement.
La plaquette ‘Questions éthiques dans les soins de santé’ peut être commandée gratuitement auprès de Mme Linda Mahieu, téléphone: 02 – 246 44 84, courriel: linda.mahieu@mc.be

A quand une vraie politique de prévention du tabagisme?

Le 30 Déc 20

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Vingt ans après le lancement du slogan ambitieux et mobilisateur ‘La santé pour tous en l’an 2000’, l’OMS nous rappelle dans son Rapport sur la santé dans le monde 2002 que le tabagisme est toujours en tête des facteurs de risque majeurs.
Si on considère le récent plan français anti-cancer, où le tabagisme figure en bonne place, un investissement de 1.640 millions d’euros est prévu sur 5 ans, en principe financé par les hausses de prix du tabac. Ce plan prévoit une panoplie de mesures associant prévention, interdiction et fiscalité.
La Belgique, est-elle en retard? La réponse doit être nuancée.
La FARES, Fondation contre les affections respiratoires et pour l’éducation à la santé, organisme reconnu et soutenu partiellement par les pouvoirs publics, demande depuis de nombreuses années des moyens supplémentaires pour renforcer la prévention du tabagisme dans tous ses aspects, notamment, par la création d’un fonds public de prévention (à ne pas confondre avec un fonds privé sponsorisé par les industriels de la cigarette!). Rappelons que la Belgique consacre à cette question à peine quelques centaines de milliers d’euros chaque année, alors que l’Académie royale de médecine estime qu’il faudrait au moins 12.500.000 € !
Malgré la modestie des moyens mis en œuvre, des initiatives sympathiques ont été prises récemment par la Communauté française (notamment en matière de dénormalisation) et la Région Wallonne (en matière d’aide au sevrage), en fonction de leurs compétences respectives et après de larges concertations. C’est encourageant.
Il n’en reste pas moins vrai que notre pays, un des derniers de la classe européenne, n’a toujours pas ratifié la première Convention cadre de lutte contre le tabagisme. Cela devient lassant de le rappeler, mais ce n’est pas ma faute! (1) .

Le saviez

vous

?
Parmi les 15 pays de l’Union européenne, 12 ont signé la convention-cadre. Les trois pays qui n’avaient pas encore bougé fin septembre, l’Allemagne, la Belgique et le Portugal, sont les trois où la ‘prévention’ financée par l’industrie du tabac est encouragée par les pouvoirs publics.
Joli, non?

Sauver des vies et préserver les recettes fiscales

Le tabagisme n’est évidemment pas un problème de santé publique étranger à toute dynamique sociale et économique! Dès lors, l’Etat peut et doit légitimement rechercher et soutenir les programmes d’action efficaces établissant des compromis entre recettes fiscales à sauvegarder et diminution du coût social du tabagisme.
Dans de nombreux pays, les pouvoirs publics ont pris diverses mesures fiscales et législatives pour lutter contre la consommation de tabac. Ceux qui ont adopté un programme complet de lutte contre le tabagisme (interdiction de la publicité du tabac, sérieuses mises en garde sur les emballages, restrictions à l’usage du tabac dans les lieux publics, augmentation des taxes sur les produits du tabac, interdictions de vente aux mineurs, programmes d’éducation sanitaire et de sevrage tabagique, etc.) obtiennent des résultats. Les gouvernements qui désirent choisir des interventions couplées correspondant le mieux à leur situation s’intéresseront tout particulièrement à des facteurs tels que l’acceptabilité culturelle, les effets sur la santé de la population et les coûts.
Bien sûr, les campagnes contre le tabagisme se justifient d’abord par le souci d’éviter les maladies et les décès prématurés dus à la cigarette. Leurs enjeux et leurs motivations dépassent toutefois l’objectif de santé publique. Du point de vue économique, elles suscitent d’énormes conflits d’intérêts.
Réduire la consommation de tabac revient, évidemment, à rogner sur les bénéfices des multinationales de la cigarette peu décidées à se laisser faire! (2) Les Etats ne sont pas moins concernés. Habitués de longue date à tirer de substantiels revenus fiscaux du tabac, ils se trouvent dans la position schizophrène de combattre d’une main ce dont profite l’autre (75% environ du prix de vente des cigarettes est constitué de taxes). Sachons par exemple que 3,2% du budget de la France, soit 10 milliards d’euros provient des taxes sur le tabac et qu’en Belgique, 2,6% du total des recettes fiscales provient des taxes liées au tabac. Vous imaginez la catastrophe pour les finances publiques si tous les fumeurs arrêtaient du jour au lendemain!
Relevons pour terminer la conclusion du Bureau fédéral du plan, dans son Rapport fédéral sur le développement durable , qui consacre un chapitre entier à la santé et aux pollutions de l’air dont le tabagisme prend une part importante: « Il faut pour réussir une campagne antitabac, une dizaine de voies en même temps (information, réglementation, aide médicale pour ceux qui veulent arrêter de fumer, soutien aux organisations d’aide au sevrage…) et donc il faut faire travailler de façon coordonnée des politiques relevant de compétences diverses (commerce, agriculture, santé curative, santé préventive, sensibilisation, fiscalité,…). C’est difficile partout et surtout en Belgique où ces compétences sont réparties entre divers niveaux de pouvoir (3)
Ce n’est pas une raison pour désespérer!
Michel Pettiaux , FARES

Initiative parlementaire

Le Dr Catherine Doyen Fonck , députée cdH à la Chambre des Représentants, propose un ‘plan de lutte global et cohérent’ contre le tabagisme. Nous y reviendrons dans notre [L=https://educationsante.be/article.php?id=147]prochain numéro[/L] .


(1) A ce propos, l’appel lancé voici quelques semaines (voir Education Santé n° 181, août 2003) a retenu l’attention du Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Rudy Demotte , qui, dans un courrier du 7/11/2003 nous assure qu’il ‘travaille actuellement à la préparation d’un plan global et intégré afin de lutter contre le tabagisme. Il me semble en effet essentiel d’avoir une telle approche afin d’éviter la prise de mesures successives dont l’impact serait à chaque fois limité.
Dans ce cadre, il est certain que, parmi les mesures que je compte proposer, figure la signature de la Convention-cadre au siège de l’ONU à New York.’
(2) Et qui se portent d’ailleurs fort bien, réalisant des performances boursières très supérieures à la moyenne.
(3) S. VARLEZ, La santé et les pollutions de l’air , in Le Bureau fédéral du plan, pp. 32, 8 mars 2002,

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L’outil ‘animation-santé’, de l’empirisme à l’évaluation

Le 30 Déc 20

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L’animation-santé est une méthode d’éducation pour la santé pédagogique, utilisée par notre association depuis plus de quinze ans (1) avec des groupes de personnes pour qui l’accès à la prévention et aux structures de soin est semé d’obstacles ou d’embûches (2) .
Ces obstacles peuvent être ceux de la langue, de l’analphabétisme, d’une scolarité faible ou inexistante, de conditions de vie précaires, d’une méconnaissance de notre système de soins de santé… et bien souvent plusieurs de ces facteurs à la fois. Pourtant, les personnes vivant dans des conditions difficiles, qu’elles aient ou non franchi les étapes d’un parcours migratoire, possèdent un savoir-faire qui s’est constitué au fil de ces épreuves et force même souvent l’admiration. Ce sont ces ressources que l’animateur-santé veut exploiter: dans l’animation-santé, chacun est appelé à s’exprimer dans le but de mieux comprendre ses besoins, mais aussi de prendre conscience de ses ressources et d’en faire profiter les autres, et enfin, de les amplifier avec l’aide de l’animateur.

Qu’est-ce qu’une animation-santé?

La méthode: interactive, souple… et rigoureuse

Il s’agit donc d’une technique de groupe ayant pour finalité l’augmentation du bien-être. Un groupe (composé d’une quinzaine de personnes) peut être rencontré une fois ou plusieurs fois – cette dernière situation est plus favorable à un travail en profondeur. Le travail d’animation se fait en partenariat étroit avec l’institution demandeuse: maison médicale, maison de quartier, etc. Ce sont ces institutions qui nous contactent lorsqu’elles pensent qu’une ou des animations-santé pourraient concourir à la poursuite de leurs objectifs.
Plusieurs phases
En dépit d’une grande variabilité explicable par la nécessité de s’adapter à chaque groupe particulier, différentes phases peuvent être répertoriées dans l’animation-santé. Ces différentes phases s’interpénètrent dans le temps. Citons: la création d’un climat de confiance, le recueil des besoins, le recueil des représentations, croyances, connaissances et autres ressources, et enfin la poursuite d’objectifs pédagogiques ou communautaires (par exemple, un projet de groupe).
Objectifs pédagogiques: cible mobile
Pour atteindre ses objectifs pédagogiques, l’animateur utilise des procédés et du matériel visuel à trois dimensions adaptés au public non «lecturisé».
Ces objectifs ne seront réellement clairs pour l’animateur que lors de la rencontre avec le groupe, et encore peuvent-ils évoluer au cours de cette rencontre, en fonction de la dynamique du groupe. Un exemple d’une telle évolution est donné dans l’encadré ci-contre. Cette démarche «en cascade» demande autant de rigueur que de souplesse. Changer d’objectif ne signifie pas perdre de vue tout objectif! S’il modifie les objectifs pour lesquels il s’était préparé, l’animateur doit évidemment se contenter des connaissances qu’il possède «au pied levé», et du matériel didactique qu’il avait initialement emporté.

A propos des objectifs pédagogiques: exemple du CO

Un animateur requis pour participer à un programme de prévention des intoxications par le CO, peut, après vingt minutes de discussion en groupe, décider que son objectif du jour se «limitera» à faire comprendre que la quantité de sang prise à chaque prélèvement sanguin est en fait très petite; en effet, il a décelé dans le groupe une forte réticence vis-à-vis de la prise de sang, et la croyance que celle-ci affaiblit et constitue un danger (NB: le prélèvement sanguin est à la base du diagnostic de l’intoxication).
Il passe une heure à écouter les réticences et les croyances, et à faire manipuler aux participants des petits tubes, des bouteilles et de l’eau pour qu’ils prennent conscience de l’importance relative du volume sanguin et du volume d’un prélèvement. Les «Oh, comme il y en a peu!», «C’est tout petit!» lui indiquent que les nouvelles connaissances acquises par le groupe pourraient éventuellement être un facteur de modification de leur attitude vis-à-vis de l’examen sanguin.
Il se peut que cet animateur, en sortant, rencontre l’un des responsables de l’institution qui lui dira: «Alors, vous avez bien passé en revue tous les appareils de chauffage, les raccordements, les chauffe-eau?» «J’ai seulement montré qu’il n’était pas dangereux de subir une prise de sang! », répond notre animateur.
Doit-il en être penaud… ou fier? A vous de juger!

Il arrive que le seul objectif pédagogique que se fixe l’animateur lors d’une séance soit la création du climat de confiance et l’expression de tous les participants; en effet, parmi les personnes en précarité, s’exprimer en groupe peut être devenu très difficile, et faire qu’elles y parviennent est le préalable indispensable à toute autre démarche de promotion de la santé.
L’animation-santé offre aux participants l’occasion d’expérimenter des relations positives avec autrui; cette expérience est potentiellement très bénéfique pour des personnes confrontées à des milieux de vie hostiles. Elle peut se répéter sans danger dans le groupe, jusqu’à ce que la personne se sente capable de risquer de telles expériences à l’extérieur du groupe.
Ni sauveur, ni prof.: accompagnateur
Lors de la poursuite des objectifs pédagogiques, l’animateur se positionne comme un catalyseur autant que comme un expert dispensateur de savoir. Ce positionnement doit permettre aux attentes de s’exprimer et se clarifier, aux questions de se formuler, et aux réponses de jaillir petit à petit du groupe lui-même et de s’ordonner progressivement, avec l’aide et l’accompagnement de l’animateur.

Les contenus: tout l’éventail des déterminants de santé

Ce qui émerge ainsi au cours de l’animation peut appartenir à différents domaines de la santé: connaissance du corps, connaissance des maladies, leur prévention, leur dépistage et leurs traitements, éducation des enfants, bien-être psychique et rapports avec les autres, bien-être au travail, influences de l’environnement, etc.
Selon le cas, un thème principal est ou non défini à l’avance. Dans le premier cas, comme on l’a vu plus haut, l’animateur essaie d’être au plus près des réels besoins des participants; lorsqu’aucun thème n’est défini, c’est de l’analyse des besoins avec le groupe qu’émergera le sujet de l’animation ou de la série d’animations. En essayant de définir ses besoins, il peut arriver que le groupe passe par la définition de situations à problèmes auxquelles il souhaite remédier.
Les réponses que les participants élaboreront ensemble ne seront sans doute pas toujours exactement celles que la science dispense dans les ouvrages ou les conférences académiques. Mais elles ont de fortes chances d’être adaptées aux besoins particuliers des participants et aux situations qu’ils vivent. Le savoir, savoir-être ou savoir-faire révélé, ordonné et produit par l’animation-santé n’est pas du prêt-à-porter… mais bien du « sur mesure »!

Les difficultés

Les difficultés le plus souvent rencontrées lors des séries d’animations sont posées par les groupes ouverts et mouvants. Il est difficile de conserver un groupe stable tout au long de l’année, et ceci peut entraver la poursuite d’objectifs à moyen terme. Nos animateurs essaient de s’adapter à cette réalité; selon les groupes et les institutions, on essaie de poser un cadre plus ou moins strict pour les animations (arriver à l’heure ou non, s’engager pour plusieurs séances ou non…). Cette difficulté se présente moins souvent dans les groupes en formation ou pré-formation professionnelle, plus stables.

Et l’évaluation?

La dynamique des animations est toujours riche et porteuse; beaucoup d’informations s’échangent, des prises de conscience se font, des confiances se reconstruisent. Au delà de cette évaluation subjective, l’animation-santé est un outil difficile à évaluer en terme de résultats: l’adaptation instantanée des objectifs pédagogiques aux besoins des participants, leur manque de connaissance de la langue parlée ou écrite, la mouvance des groupes, la difficulté d’un suivi à long terme rendent l’évaluation pédagogique et l’évaluation de résultat et d’impact particulièrement compliquées sur le plan méthodologique.
Ceci ne doit pas empêcher l’animateur de chercher à s’équiper d’outils rigoureux pour évaluer son action. A Cultures et Santé – Promosanté, nous avons choisi de procéder tout d’abord à une évaluation rigoureuse du processus: que se passe-t-il dans une animation-santé? Quels sont les problèmes rencontrés par les animateurs ou par le public? Quels sont les objectifs de cet outil, et permet-il de les atteindre? De quelles méthodes et techniques est-il constitué? Etc. Ces questions ont été explorées au cours d’une recherche-action d’une durée de trois ans, soutenue par le Ministère de l’Aide à la jeunesse et de la Santé de la Communauté française.

L’évaluation de processus en recherche-action

Cadre de référence: les objectifs des animateurs

Notre secteur d’animation-santé d’adultes s’est fixé une série d’objectifs:
– avec les institutions demandeuses: pour toute demande, un travail d’analyse et de négociation est mené avec les travailleurs et les responsables concernés;
– avec le public-cible: les objectifs se déploient selon cinq grandes orientations: l’instauration de la confiance, la prise de conscience individuelle ou collective des besoins et des problèmes, l’expression de ces besoins et problèmes, l’émergence de démarches actives individuelles et collectives (à l’intérieur ou à l’extérieur du groupe), et enfin l’assurance d’une continuité.
Notre but n’est pas de figer l’animation-santé, mais au contraire de comprendre cet outil dans ce qu’il a de vivant et d’étroitement dépendant du temps, des circonstances et des caractéristiques du public de participants. Pour ce faire, une grille d’observation a été construite en consensus par les animateurs du secteur

Une grille d’observation

Pour établir la grille, les animateurs se sont appuyés sur leurs propres expériences ainsi que sur les nombreux rapports d’animation engrangés par l’institution. Le savoir-faire des acteurs en promotion de la santé extérieurs à l’institution a aussi été exploité, par le biais des rapports d’évaluation de nos cycles de sensibilisation des relais à la pratique de l’animation-santé.
La grille comporte notamment une vingtaine de questions, qui explorent les principales méthodes et techniques utilisées en animation-santé ainsi qu’une série d’effets ou d’événements qui peuvent être observés pendant l’animation.
Après plusieurs phases de test de la grille, un total de 88 animations a été observé. Elles ont concerné 32 groupes. Ceux-ci peuvent se répartir grossièrement en deux catégories: ceux que nous appellerons «groupes d’accueil», par opposition à ceux qui relèvent d’un projet d’insertion socio-professionnelle (pré-formation ou formation). Les «groupes d’accueil» sont formés à l’initiative d’associations d’alphabétisation, de maisons de quartier, de partenariats de quartier, d’associations ouvertes aux personnes en séjour illégal, ou encore sont des groupes de parents d’élèves, ou de parents venant avec leur bébé dans une «maison ouverte» (3) .
Chaque groupe a participé à une animation minimum, jusqu’à une série de dix animations. Le nombre de participants par animation variait entre 7 et 13, avec une moyenne d’une dizaine de participants.

Les résultats

Nous avons regroupé les questions de la grille par grandes catégories, et pour chacune, nous synthétiserons les résultats de la recherche.
L’instauration d’un climat de confiance
Pour prendre la mesure de la confiance ambiante, les observateurs ont utilisé une série d’indices verbaux et non verbaux. Au-delà de l’écoute de l’animateur, les participant(e) témoignent qu’ils sont en confiance lorsqu’ils laissent s’exprimer leurs émotions par des sourires, des rires, des expressions de tristesse… S’ils étaient au départ tendus, repliés sur eux-mêmes, on peut les voir petit à petit s’ouvrir et se détendre. Il arrive que les femmes, se sentant à l’aise, ôtent leur foulard ou leurs chaussures…
La participation verbale est bien sûr un signe déterminant de la confiance: les participants osent poser des questions et donner leur avis, échangent des informations, racontent leurs expériences, et se permettent de dénoncer des faits qui leur posent problème ou d’énoncer des revendications.
Dans toutes les animations, plusieurs de ces indices ont été relevés. En moyenne, cinq de ces signes sont simultanément présents. Dans tous les cas, le climat de confiance s’installe dès la première animation. Des signes indirects de la confiance sont également observables.
Une éthique et des règles
Pour que la confiance persiste, il est impératif qu’une série de règles déontologiques et éthiques soient respectées par l’animateur et par les participants. Par exemple, ces derniers doivent avoir l’assurance que leurs propos ne seront pas divulgués hors du groupe, et que toutes leurs réactions seront accueillies dans le respect. Les observations montrent que l’animateur ressent la nécessité d’énoncer des règles de fonctionnement dans plus de la moitié des animations, souvent lors de la première animation d’une série. La règle la plus souvent énoncée est de s’écouter les uns les autres sans s’interrompre; ensuite vient la règle de confidentialité.
Les techniques de l’animateur-santé
Pour poursuivre ses objectifs, l’animateur-santé utilise différentes techniques. Elles sont reprises à la figure 1. Dans 84% des cas, l’animateur renvoie des questions au groupe , afin d’amener le groupe à utiliser ses propres ressources, dans une finalité de valorisation et d’autonomie. Cette technique laisse aussi le temps au groupe de mieux découvrir ses vrais besoins; parfois, derrière une simple demande d’information, il s’en cachent d’autres, qui touchent de plus près les préoccupations réelles des participants. L’autre technique la plus fréquente est la transmission d’informations au groupe (dans deux tiers des cas).
D’autres techniques viennent régulièrement compléter ces deux premières: l’expression libre (28%), le travail sur les représentations (24%), le recueil des besoins (20%), l’éducation par les pairs (18%), le travail sur les croyances (15%), et l’imagination libre ( ou « brainstorming », 14%). Nous en analysons plus spécifiquement trois ci-dessous.
Le recueil des besoins se fait le plus souvent par un tour de table, parfois par questions-réponses et par l’expression libre.
Les représentations que les personnes ont de tel mot ou concept sont explorées au moyen de questions-réponses, du brainstorming ou de l’expression libre.
Les croyances émises par les participants sont autant de fenêtres ouvertes sur leurs attitudes culturelles, familiales ou personnelles. Il est d’important de les interroger et de les écouter, notamment pour mesurer si elles font obstacle à un comportement de santé (voir l’encadré ci-dessous); dans ce cas, il faut pouvoir les travailler sans les attaquer de front. L’approche positive de la croyance est une alternative à la démonstration scientifique classique: l’animateur commence par chercher dans la croyance émise un élément, si petit soit-il, auquel il puisse adhérer; il peut alors se mettre en accord et non en opposition avec le participant, afin d’utiliser la croyance comme tremplin pour son message d’éducation pour la santé (voir un exemple dans l’encadré ci-dessous). Il peut aussi faire appel aux autres participants ou à une autre expertise, ou encore baser sa démonstration sur des analogies.

Un petit choix de croyances…

– On soigne une plaie avec des cendres de cigarette, et une brûlure avec des épluchures de pomme de terre (exemple d’approche positive: «Il est vrai que les épluchures de pommes de terre donneront une impression de fraîcheur à l’endroit de la brûlure; pour obtenir un véritable refroidissement, le plus radical est de mettre la partie brûlée sous le robinet d’eau froide pendant dix minutes»).
– Je ne veux pas faire de prise de sang: le médecin pourrait trouver des maladies pour lesquelles je ne pourrai rien faire, et je serai encore plus malade.
– On soigne l’anémie avec du vin rouge ou du concentré de tomates.
– Boire de l’eau tiède à jeun fait maigrir car cela dissout les graisses.
– Le lait est bon pour les personnes cardiaques.
– On soigne la toux en avalant de l’huile de palme dans laquelle on a mis une goutte de pétrole.
– La pilule fait fondre les spermatozoïdes.

Les jeux, le photolangage et le travail en sous-groupe sont des techniques plus rarement utilisées. Cette sélection de techniques par l’animateur est fortement influencées par les problèmes de compréhension de la langue, très fréquents parmi notre public-cible. Dans le cadre de cette étude, le travail manuel n’a été utilisé que lors d’une seule animation.
La pédagogie: participation, souplesse et… savoir-faire!
Dans presque toutes les animations, l’animateur se fixe un ou plusieurs (maximum trois) objectifs pédagogiques avant l’animation. Dans plus de la moitié des animations, un participant apporte une question, une histoire vécue ou une information générale qui suscitent de l’intérêt et influencent le déroulement de l’animation.
Des problèmes de compréhension sont observés dans les trois quarts des animations. Dans la plupart des cas, ils sont liés à un manque de maîtrise du français; moins souvent, ils sont de type cognitif. L’animateur doit adapter sa pédagogie et ses outils à cette réalité. Cette réalité explique aussi qu’une évaluation pédagogique par questionnaire est difficile à mettre sur pied avec ce public-cible; nous devons trouver des stratégies spécifiques pour évaluer les animations-santé.

Des exemples d’histoires vécues et racontées par les participants, qui influencent le déroulement et la dynamique de l’animation

Une mère raconte: «Les enfants m’avaient enfermée dans une pièce; j’ai cassé la porte car j’avais peur qu’ils aillent sur la terrasse»; l’histoire introduit un débat sur les accidents domestiques. Un homme explique: «L’un de mes amis s’est fait opérer, il croyait que tout était remboursé par la mutuelle; mais il n’a retouché que 60% d’une facture de 250.000 FB; cela l’a mis sur la paille». Cette histoire suscite des réactions très dynamiques dans le groupe, c’est l’occasion pour l’animateur de vérifier et ordonner les connaissances en matière de coût des soins de santé.

Valorisation et solidarité
Dans plus de la moitié des animations, l’animateur met en évidence des qualités de savoir-être et de savoir-faire des participants. Citons comme qualités relevées:
– le courage, l’honnêteté, le don de soi en situation précaire;
– les capacités de réflexion, d’observation, de perspicacité, de participation;
– des aptitudes (par exemple, un participant montre comment il faut porter de lourdes charges sans se faire mal au dos).
Ce comportement de valorisation est moins fréquent entre participants, mais s’observe tout de même dans 12% des animations. Les qualités relevées sont du même ordre.
Par contre, un soutien entre participants est observé dans 80% des animations. Il se répartit également entre trois formes d’aide: traduire, informer ou expliquer. En renvoyant les questions au groupe, l’animateur encourage ces comportements.
Impuissance et contraintes
Dans plus de la moitié des animations, les participants évoquent des contraintes qui empêchent les comportements de mieux-être, et ceci quel que soit le type de groupe. Il s’agit du manque d’argent, du manque de temps pour se soigner, mais aussi de l’insalubrité et l’étroitesse du logement, du manque de solutions de garde d’enfants, des difficultés pour se soigner quand on est en situation illégale.
Dans près de la moitié des animations, l’un ou l’autre participant exprime son impuissance face à des situations concrètes et personnelles difficiles. Ce sentiment est plus souvent enregistré dans les «groupes d’accueil» que dans les groupes en insertion socio-professionnelle ou en formation.
Ces deux dernières observations indiquent que les contraintes sont aussi pesantes dans les deux types de groupe, mais que les personnes en insertion socio-professionnelle ou en formation les vivent avec un moindre sentiment d’impuissance.
L’émergence de démarches individuelles ou collectives
Dans 13% des animations, des participants expriment spontanément des décisions de démarches actives pour leur santé: perdre du poids, entamer des démarches pour trouver un emploi ou un bénévolat, se rendre dans une institution de soins, écrire une lettre collective à une ambassade… Dans le cadre de cette recherche, il ne nous est pas possible d’évaluer le devenir à long terme de ces démarches.
Dans notre série d’observations, il est arrivé dans 4 des 32 groupes, que l’animateur résume pour le groupe une situation à problème sur laquelle tout le monde souhaitait agir. Parmi deux projets de groupe qui ont démarré, l’un a pu être mené à terme: des mères ont créé un groupe de parole où elles peuvent parler des problèmes d’éducation de leurs adolescents, tout en étant guidées par un spécialiste. Il s’agit là d’une démarche de pouvoir d’agir collective .
L’évocation de ressources extérieures au groupe
Dans les trois quarts des animations, l’animateur mentionne des ressources extérieures: le médecin généraliste, le médecin spécialiste, l’hôpital, les maisons médicales, le SAMU, l’ONE, Médecins sans frontières, les plannings familiaux, les services sociaux… Pour les problèmes psycho-affectifs, il renseigne sur les services habilités, mais insiste aussi sur l’importance du tissu social et notamment de la famille et des amis.

Conclusions

L’animation-santé est un outil de promotion de la santé particulièrement adapté aux personnes peu scolarisées, ne connaissant pas bien les langues nationales, ou vivant dans des conditions difficiles. L’évaluation de résultat pédagogique et d’impact de cet outil n’est pas aisée; en attendant de relever ce défi, nous pouvons néanmoins constater que notre recherche-action, bien qu’elle consiste en une évaluation de processus, nous donne certains renseignements sur l’impact:
– par rapport au premier objectif, instaurer un climat de confiance, nous avons relevé que dans toutes les animations, plusieurs signes verbaux et non verbaux témoignent de cette installation;
– pour les deux objectifs suivants, expression et prise de conscience de besoins, nous avons également noté une série de signes indirects observés plusieurs fois dans chaque animation: les participants posent des questions, donnent leur avis, échangent des informations, expriment des émotions, parlent de leurs expériences, évoquent des vécus personnels, osent dénoncer des faits ou être revendicatifs pour que les choses changent… ou encore expriment un sentiment d’impuissance lié à des problèmes bien précis;
– l’émergence de démarches individuelles ou collectives, quatrième objectif, a également été couvert: des participants évoquent des contraintes qui sont des freins à des comportements qu’ils veulent initier, ils témoignent d’initiatives personnelles, un projet de groupe a été initié;
– enfin, nous avons vu que l’évocation de ressources externes (mise en réseau, personnes-ressources, famille, informations…) est un moyen d’assurer la continuité qui répond à notre cinquième objectif.
Y a-t-il un modèle unique d’animation-santé? Nous observons en fait un continuum entre deux modèles extrêmes: à un bout, une action d’éducation pour la santé pédagogique «classique», et à l’autre bout (quand les conditions le permettent), une action de type communautaire débouchant sur un projet collectif. La limite entre éducation pédagogique et travail communautaire, quoique clairement définie (dans le premier cas, l’animateur détermine les objectifs pédagogiques; dans le second cas, son objectif est de faire émerger des objectifs communautaires), peut se révéler très fine: s’il en vient à accompagner un groupe dans l’exécution d’un projet commun, l’animateur bascule de l’un à l’autre de ces courants de la promotion de la santé.
Tout au long de ce continuum, l’animation-santé apparaît comme un processus très vivant, mouvant, mouvementé, et à tout le moins, participatif. Cet outil suscite la confiance et favorise la valorisation des personnes; il permet l’évocation des problèmes vécus et la prise de conscience des besoins; enfin, il induit l’échange d’informations et d’expériences et l’évocation de ressources extérieures nouvelles. Il réunit donc plusieurs conditions d’atteinte d’un mieux-être, même si la quantification de cet impact reste encore à faire.
Dr Marianne Flament , formatrice
Adresse de l’auteur:
Cultures et Santé – Promosanté ASBL, rue Gallait 60, 1030 Bruxelles
(1) Voir le «Guide de l’animation-santé» de Nicole Tinant, Cultures et Santé – EVO éd., Bruxelles, 1993; et « Information sexuelle; Le guide pratique de l’animation-santé » de Nicole Tinant et co-auteurs, même éd., 1995. Ces deux ouvrages sont disponibles à Cultures et Santé – Promosanté.
(2) Voir le «Guide de l’animation-santé» de Nicole Tinant, Cultures et Santé – EVO éd., Bruxelles, 1993; et « Information sexuelle; Le guide pratique de l’animation-santé » de Nicole Tinant et co-auteurs, même éd., 1995. Ces deux ouvrages sont disponibles à Cultures et Santé – Promosanté.
(3) Lieu d’accueil et de jeu pour les bébés et petits enfants accompagnés d’un ou plusieurs adultes
(4) En éducation pour la santé et dans divers projets de type communautaires, les techniques manuelles et créatives peuvent être utilisées comme «activités-prétextes» permettant de rassembler le groupe autour d’un intérêt commun.
(5) En référence à l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités telle que formalisée par l’équipe de Yann Le Bossé, Université Laval, Québec (voir Decoster B.,
‘Pouvoir d’agir et pratiques sociales: changer le monde au quotidien’ , Education Santé, n’°16 (avril 2002), pp.12-15.

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Typologie de l’utilisation de données épidémiologiques

Le 30 Déc 20

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L’évaluation de la diffusion et de l’utilisation d’informations sanitaires est relativement peu systématisée. L’Observatoire de la Santé du Hainaut gère un système d’information sanitaire provincial. Il s’est penché sur l’utilisation de données issues d’une enquête sur la santé des jeunes, par ses propres services, par d’autres professionnels et acteurs de la santé et par les médias. L’analyse a été réalisée en collaboration avec le Réseau international de la santé du cœur en francophonie. Une proposition de typologie des modalités de diffusion de données épidémiologiques est issue de cette réflexion.
Institution provinciale de promotion de la santé, l’Observatoire de la Santé du Hainaut répartit ses activités en plusieurs pôles: l’information sanitaire, l’éducation pour la santé (y compris la production d’outils), la programmation et la communication. Dans le cadre de l’information sanitaire, l’Observatoire de la Santé du Hainaut recueille et analyse des données existantes et les publie sous forme de «Tableaux de bord». Il réalise aussi ses propres enquêtes, lesquelles sont alors diffusées sous le titre de «Carnets de bord» ou sous forme de monographies. Les utilisations des données se sont révélées au cours du temps nombreuses et variées. Les analyser présentait l’intérêt de les réunir en catégories, de distinguer des exploitations plus courantes que d’autres, d’identifier les canaux de diffusion les plus porteurs, de se questionner sur les canaux sous-utilisés. La communication autour des chiffres allait pouvoir être questionnée grâce à cette analyse.
Enfin, étudier l’exploitation des données d’un système d’information sanitaire permet d’appréhender un des objectifs prioritaires de ce système, à savoir l’aide aux interventions de santé publique.

Méthode

Pour partir d’un exemple concret, l’Observatoire de la Santé du Hainaut a entrepris de recenser toutes les occurrences de diffusion des données d’une enquête sur la santé des jeunes baptisée «La santé au cœur des jeunes». Cette enquête a été conduite au sein du Réseau santé du cœur en francophonie, qui réunit le Hainaut, la Picardie, la province de Québec, le canton de Vaud en Suisse et la région de Sousse en Tunisie. La santé cardiovasculaire constitue clairement une priorité de santé publique dans la plupart des pays industrialisés ou en voie de l’être. Les facteurs de risque modifiables, liés aux conditions et modes de vie, s’installent dès le plus jeune âge. C’est dans le but d’intervenir dans le processus que le programme «La santé au cœur des jeunes» a été mis sur pied.
En Hainaut, l’enquête sur la santé des jeunes a été menée auprès de 4000 jeunes, de 9 à 17 ans. Elle comportait une prise de sang, la mesure de la taille, du poids et de la tension artérielle, un test d’endurance physique ainsi que des questions sur le comportement alimentaire, la pratique d’activités physiques et l’attitude face au tabac. Le questionnaire permettait aussi d’aborder l’influence des pairs, la demande d’aide et les représentations de santé.
Un relevé exhaustif des outils de diffusion et de l’utilisation des résultats a permis d’établir une classification, testée ensuite dans les 4 autres centres du Réseau santé du cœur en francophonie.

Résultats

Depuis la fin de l’enquête, en janvier 98, et jusqu’en décembre 2003, 77 modalités de diffusion ont été recensées en Hainaut. Un classement de ces modalités en cinq groupes et 17 sous-catégories est présenté dans le tableau suivant.

Utilisation des données de l’enquête «La santé au cœur des jeunes»

Productions scientifiques et académiques

19 Monographie – Rapport de recherche 1
Article scientifique 1
Communication scientifique orale 17
Manifestations publiques 3 Séance d’information pour le public enquêté 1
Séance d’information pour un public de professionnels 1
Séance d’information pour le grand public 1
Utilisation des données dans du matériel d’éducation ou de communication 2 Brochure 1
Vidéo ou clip 1
Matériel pédagogique autre
Diffusion médiatique 52 Conférence de presse 1
Communiqué de presse 5
Article de presse, dont presse nationale (1) ou pages régionales d’une édition nationale (11); presse régionale (26) 38
Reportage ou billet radio/TV 8
Diffusion via Internet
Utilisation des données dans des documents d’orientation stratégique ou de programmation de santé 2 Régional 1
National 1

L’analyse de la répartition, en Hainaut, des modalités de diffusion montre que 68,5 % d’entre elles concernent la diffusion médiatique.
Les productions scientifiques et académiques représentent 24 % de la diffusion, soit 18 modalités de diffusion. Elles concernent des productions menées en solo par le Hainaut (9) ou en collaboration avec les partenaires français (7).
Les autres catégories (manifestations publiques, utilisation des données dans du matériel d’éducation ou de communication, utilisation des données dans des documents d’orientation stratégique ou de programmation de santé) représentent, ensemble, 7,5 % des modalités de diffusion.
En ce qui concerne la diffusion médiatique, 2/3 des articles sont parus dans la presse régionale; 90 % de l’information en radio et en télé a été relayée par des chaînes régionales.

Discussion

Le repérage systématique de l’utilisation des données d’une enquête épidémiologique a permis de créer une typologie à vocation opérationnelle. Cette classification permet de calculer le poids relatif des différentes modalités. Elle présente a priori un intérêt pour l’évaluation de la diffusion des données et aussi pour une programmation active de cette diffusion. Elle doit être validée.
L’enquête sur la santé des jeunes a été menée conjointement dans différentes régions par des institutions dont le profil diffère. Pour la Picardie, l’enquête a été réalisée via l’Observatoire régional de la santé; pour le Canton de Vaud, via l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne; pour la Province de Québec grâce à la Direction de la santé publique de Québec; pour la région de Sousse, avec l’implication de la Faculté de Médecine de Sousse et en Province de Hainaut, via l’Observatoire de la Santé du Hainaut.
Le profil des différentes institutions explique les différences observées dans les modes de diffusion des données.
Les productions scientifiques et académiques (monographie, rapport de recherche, article scientifique, communication scientifique) sont d’un niveau équivalent pour les différentes régions: 19 en Hainaut, 15 en Picardie, 16 pour le Canton de Vaud, 17 pour la région de Sousse. Certaines communications scientifiques sont menées en étroite collaboration, comparant des résultats respectifs (c’est le cas pour la Picardie et le Hainaut).
On constate cependant, dans cette catégorie «productions scientifiques et académiques» que les articles scientifiques sont produits en nombre variable (10 pour la Faculté de médecine de Sousse, 10 pour l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive; 1 pour l’Observatoire de la Santé du Hainaut; 1 pour l’Observatoire régional de la santé de Picardie) et logiquement plus nombreux lorsque l’institution dispose d’un profil universitaire.
Par contre, ces mêmes institutions universitaires ont moins recours à la communication médiatique (4 modalités de diffusion sont classées dans cette catégorie pour l’Institut universitaire de médecine sociale et aucune pour la Faculté de Médecine de Sousse).
L’Observatoire de la Santé du Hainaut, par son organisation (secteur éducation santé, cellule communication) apparaît prolifique en utilisation de données dans du matériel d’éducation et de communication (brochure, clip télé). Des données y sont citées. La presse est également sollicitée comme relais de l’information vers la population, ce dont elle s’acquitte bien volontiers.
On notera, en France, une utilisation originale et interactive proposée par l’Observatoire régional de Picardie: la base de données est accessible sur Internet pour les «clubs de santé» des collèges et des lycées. Les étudiants et les enseignants peuvent ainsi se livrer à des «extractions à la carte».
Pour ce qui concerne la typologie, il apparaît qu’elle rassemble à la fois les aspects de diffusion et d’utilisation plus directe des données dans des outils spécifiques et des programmes.
Ce choix est sous-tendu par la conviction qu’une diffusion de qualité contribue à l’utilisation des données épidémiologiques. Bien sûr, les données sur la santé des jeunes doivent déboucher sur des actions. Mais les données elles-mêmes ne méritent-elles pas d’être déclinées sur tous les tons, dans une tentative d’en «imprégner» les acteurs du modèle choisi, à savoir le modèle socio-écologique d’intervention en promotion de la santé avec les acteurs individuels, du milieu de vie et de l’environnement socio-politique?
Ce souci partagé a conduit l’équipe suisse à désigner une personne pour prendre en charge le travail de communication sur les données de l’enquête.
La classification peut certainement être développée. Ainsi, pour chaque catégorie de diffusion identifiée, il serait intéressant d’estimer le nombre final de bénéficiaires de l’information (professionnels et grand public).
Il serait utile aussi de porter une attention spécifique aux dérapages constatés dans l’utilisation de données.

Conclusions

Cette première proposition d’analyse de l’utilisation de données épidémiologiques gagnera à être testée dans d’autres contextes. On peut espérer qu’elle puisse soutenir le développement d’une expertise en matière de communication dans le champ de l’information sanitaire.
L’outil s’est d’ores et déjà révélé un outil sensible pour évaluer des particularités dans la diffusion respective des données par les régions impliquées dans l’enquête «La santé au cœur des jeunes».
L’analyse de la diffusion permet également d’identifier les canaux sous-utilisés.
Les gestionnaires de systèmes d’informations sanitaires, en systématisant l’étude de la diffusion, pourront disposer d’instruments pratiques pour optimiser celle-ci en accord avec les principes de la nouvelle santé publique.
Luc Berghmans , Médecin-Directeur et Véronique Janzyk , Cellule Communication, Observatoire de la Santé du Hainaut

Réceptivité de la presse aux données épidémiologiques

Dans le sillage de l’enquête sur la santé des jeunes, un document d’orientation stratégique, «La santé au cœur des jeunes, de l’analyse à l’action», a vu le jour. Il a été présenté à la presse. L’information a été diversement relayée.
Cette brochure de 52 pages présente les principaux résultats de l’enquête et fait le point sur les groupes de travail initiés suite à l’enquête. Le modèle socio-écologique de l’intervention de santé y est aussi abordé. Le document développe le passage des constats d’enquête à la mise en œuvre de programmes de santé.
Notre communication vers la presse (conférence de presse et communiqué de presse) s’est structurée autour de 10 messages, qui ont été répercutés de façon plus ou moins exhaustive par les journaux suivants: La Province, La Nouvelle Gazette, La Dernière Heure, Nord-Eclair, Le Soir, Le Généraliste (hebdomadaire) et En Marche (bimensuel). Voici ce que cela donne pour chacun des items selon le nombre de journaux qui reprennent l’idée:
– le recueil des données et leur analyse (100% des médias);
– la mobilisation des acteurs (100%);
– la participation des acteurs, dont les jeunes (100%);
– le lancement d’un programme structuré (85,7%);
– la nécessité des partenariats (71,4%);
– l’amélioration et la création d’actions (42,8%);
– le point sur les actions concrètes en cours (42,8%);
– l’inscription du programme dans la durée (42,8%);
– la mise à disposition de la brochure (42,8%);
– le modèle socio-écologique comme cadre de référence (28,5%).
Nous nous sommes livrés au relevé de ces idées dans les articles produits sur ce projet.
De toute évidence, les données sur la santé ont les faveurs de la presse. Le grand oublié se révèle être l’organisation d’interventions basée sur le modèle socio-écologique de la santé, capital à nos yeux, mais de traduction peut-être malaisée en termes journalistiques.
Les actions concrètes en cours et la référence au document disponible «La santé au cœur des jeunes» sont étonnamment oubliées par un média sur deux. Considérant les résultats de cette analyse des articles, nous avons fait l’hypothèse d’un trop grand nombre d’idées que nous aurions voulues clés. Certaines auraient probablement gagné en visibilité à être regroupées.
Il semble évident qu’à partir des données, des vagues successives de communication sont nécessaires pour aborder leurs implications en terme d’intervention.

De données locales à un impact national

Des données de santé de l’Observatoire de la Santé de Hainaut lui ont permis de nouer des collaborations et d’initier des projets dépassant la dimension loco-régionale.
Des données sur la santé cardiovasculaire en Hainaut ont permis à l’Observatoire de lancer une «Chronique santé cardiovasculaire» dans le quotidien La Nouvelle Gazette . Si l’édition de la Région du Centre fut la première à accueillir le rendez-vous santé, l’édition montoise embraya. Entre-temps, la chronique était devenue «Chronique santé». Elle se déconnectait peu à peu de son seul aspect cardiovasculaire.
Des données épidémiologiques ont également servi de démarreur pour un projet mené avec les chaînes de télévision régionales hennuyères. Douze clips de deux minutes ont en effet été diffusés sur ces chaînes. Leur thème ? La santé cardiovasculaire et la prévention des cancers, et plus précisément l’alimentation, l’arrêt tabagique, le contrôle de la tension artérielle par le médecin généraliste, le dépistage du cancer du sein et du cancer du col, la pratique d’une activité physique au quotidien.
Deux volets constituaient chacun des spots, le premier délivrant une information scientifique ou des données chiffrées, le second ouvrant des perspectives pratiques favorables pour la santé.
L’expérience de ces clips a incité l’Observatoire de la Santé du Hainaut à tenter de délivrer le même message en ayant recours aux espaces de diffusion gratuits qui existent, au sein des écrans publicitaires, sur les chaînes de télévision et de radio en Communauté française et ce au prorata de la publicité qu’accueillent ces chaînes pour des médicaments, des traitements médicaux et des boissons alcoolisées. Le format étant différent (30 secondes), le contenu des spots a dû être reformulé, le message final restant lui inchangé. Des spots ont ainsi vu le jour sur l’alimentation (graisses cachées, fruits et légumes, modes de cuisson), l’activité physique au quotidien.
Une autre campagne médiatique, du ressort de la Communauté française, et visant à sensibiliser au surpoids et à l’obésité infantiles, a aussi eu recours à des données sur la santé des jeunes produites par l’Observatoire de la Santé du Hainaut.

Prévention de l’infection VIH: réflexions d’un acteur de terrain

Le 30 Déc 20

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La Journée mondiale du sida nous offre l’occasion de relancer la prévention et d’évoquer la mémoire des disparus. C’est aussi un moment de réflexion sur notre action.
En Belgique, le secteur préventif et le secteur curatif sont séparés par une ligne de démarcation parfois plus infranchissable qu’une frontière. Certains (et nous en sommes) ont un pied de chaque côté de cette barrière . Cette position, parfois un peu inconfortable, nous permet de jeter un regard dans le pré des préventifs et dans celui des curatifs. Tout en constatant que la verdeur de l’herbe est grosso modo la même de part et d’autre mais que les dialogues sont difficiles, nous voudrions nous risquer à quelques réflexions sur trois thèmes récurrents.

L’analyse épidémiologique

Périodiquement, on nous commente les statistiques de l’Institut scientifique de la santé publique en présentant les chiffres des infections par le VIH comme s’il s’agissait de nouvelles contaminations. Or, il s’agit des personnes nouvellement dépistées mais qui sont peut-être infectées depuis longtemps et/ou qui l’ont été hors de Belgique. Il est évident qu’une meilleure (ou moins bonne) efficacité du dépistage entraîne ipso facto une augmentation (ou diminution) du nombre de cas qu’il ne faudrait pas confondre avec une aggravation (ou amélioration) de l’épidémie.
Une analyse plus fine devrait pouvoir montrer si les dépistages sont faits de manière de plus en plus précoce et si les nouvelles infections se font plus rares, deux objectifs de la prévention. Les données disponibles sont fort lacunaires à cet égard. Nous disposons toutefois d’arguments indirects, comme l’analyse (faite par d’autres canaux) de la prévalence de la syphilis.
On ne sait pas ce que deviennent les cas dépistés, du moins pas avant qu’ils n’arrivent au stade du sida. La diminution spectaculaire des cas de sida à partir de 1996-1997 correspond bien à l’apparition des premiers traitements réellement efficaces. La remontée récente des chiffres peut correspondre soit à un épuisement des traitements en cours, soit à un allongement de délai entre l’infection et le dépistage ne permettant pas un suivi à pronostic optimal.
De même, si on compare les chiffres (officiels de l’ISSP) des dépistés et les chiffres (officieux des centres de suivi) des personnes en traitement, on découvre un trou de plusieurs milliers de personnes. S’agit-il de morts? De gens qui ont quitté la Belgique? De gens qui ne se font pas suivre? Comprendre ce phénomène pourrait donner des idées pour améliorer l’efficacité de la politique de dépistage mais aussi de la prévention. Ce devrait être une des missions des centres de dépistage et des centres de suivi.
Enfin, lorsqu’on évoque l’augmentation des nouveaux cas, on a tendance (et on comprend bien le souci louable d’éviter des réactions xénophobes regrettables) à scotomiser le fait qu’une bonne partie sont des migrants récents.
Il serait intéressant d’entendre les centres de suivi nous parler de la population qu’ils voient arriver. Le tableau ci-dessous reprend les nouveaux cas des dix dernières années de notre centre à Charleroi. Ceci ne correspond qu’à environ 200 personnes (soit 2,5 % de la population dépistée selon l’ISSP) mais l’évolution n’a pas de raison d’être fondamentalement différente pour l’ensemble des centres de suivi, même s’il peut y avoir des différences locales. Il est manifeste que le nombre d’homosexuels et d’hétérosexuel(le)s non africain(e)s est à tout le moins stable et ne participe pas à l’augmentation .
Mais, sans nier le fait de la haute prévalence de l’infection par le VIH dans les pays d’origine de ces migrants, c’est peut-être aussi parce que le dépistage est fréquent dans cette population et peu efficient dans la population résidente en Belgique et hétérosexuelle (cf. plus haut).
Le recoupement avec d’autres données laisse toutefois penser que cette population « belge hétérosexuelle » est relativement épargnée mais qu’il y existe des noyaux qui ne sont touchés ni par la prévention spécifique (du milieu gay, drogué, migrant, pour caricaturer la situation) ni par la prévention dite généraliste.

La promotion du dépistage

La définition de la politique de dépistage doit découler d’une analyse de l’épidémiologie tout en sachant qu’on ne dépiste pas pour le plaisir d’enregistrer des données statistiques. L’objectif de cette politique est double: éviter de nouvelles transmissions de virus chez les personnes découvertes séronégatives (sait-on si elles adoptent une attitude plus safe après un tel dépistage?) et bien entendu amener les personnes infectées à un suivi correct, comprenant aussi l’incitation à une sexualité safe (comme il est dit plus haut, on n’a pas beaucoup de données sur ce point). Cette analyse demande vraiment la collaboration du milieu de la prévention et du milieu du curatif.
Mais comment promouvoir le dépistage (et au delà la démarche vers un suivi correct) lorsque la plupart des messages de prévention vous montrent les difficultés multiples que vit la personne infectée par le VIH? A titre de comparaison, la promotion du dépistage du cancer du sein paraît beaucoup plus enthousiasmante!
La technique même de la promotion du dépistage reste à découvrir dans notre pays. Une des raisons de ce retard est probablement le mur entre les acteurs du préventif et ceux du curatif que nous évoquions plus haut. Mais il semble y avoir une percée dans cette direction…

L’intégration de la prévention du sida dans la promotion de la santé en général

Ce thème prend par moment des allures passionnelles. La disparition annoncée du Conseil consultatif de prévention du sida , qui a suivi celle de l’Agence de prévention du sida, a été mal vécue par un bon nombre d’acteurs. Les centres de référence et certaines asbl fondées bien avant l’Agence se sentent dépossédés de leur enfant et ne reconnaissent plus leurs priorités dans les campagnes de prévention tout public. De plus, pour « appeler un chat, un chat », une certaine concurrence, réelle ou ressentie comme telle, entre les structures spécialistes et généralistes n’y est pas pour rien.
Il faut dire que cette intégration de la prévention du sida dans la promotion de la santé en général, ébauchée à la fin du gouvernement communautaire précédent et développée par l’actuel, s’est faite dans le même temps qu’une restriction des subventions pour certaines structures, même si le budget global alloué à la prévention du sida n’était pas modifié de manière substantielle. Et ceci se passe alors que se met enfin en place aux Etats-Unis, à l’image de ce qui était fait dans la vieille Europe, il y a dix ans, un programme de prévention centré sur les personnes infectées elles-mêmes, au départ des centres de traitement.
Cette intégration difficile aurait dû être accompagnée tant du côté des « spécialistes du sida » qui, dans la grande majorité des cas ne maîtrisaient pas le langage et les techniques de la promotion de la santé, que du côté des « généralistes » qui, en coulisse, reconnaissaient un manque de formation dans ce domaine spécifique.
La disparition du Conseil est un fait et nous ne savons pas, à ce jour, qui représentera le secteur «Sida et MST» dans les instances officielles de la Communauté française. Plutôt que de perdre son énergie dans de vaines polémiques, il nous faut travailler à cette intégration qu’à tout bien réfléchir, les acteurs de la prévention du sida avaient déjà accomplie en partie: l’exemple de «Prévention sida prostitution», fondée un soir (si pas une nuit) dans des combles un peu misérabilistes de la rue Duquesnoy (Bruxelles) par des combattants de la première heure et rebaptisée par la suite «Espace P…», est démonstratif: de la prévention du sida chez les prostituées et leurs clients, cette asbl a glissé vers la défense des travailleurs et la protection de leur santé au sens large.
Mais il n’empêche que pour monter un mur, on a besoin d’un maçon et non d’un homme à tout faire. Et donc, les structures « spécialistes du sida » doivent continuer à vivre, comme structures ressources, comme lieux de réflexion mais aussi comme équipes d’intervention directe dans les situations nouvelles, particulières ou difficiles.

Dr Jean Claude Legrand , Président de Sida MST Charleroi

Une politique sociale des soins de santé dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne?

Le 30 Déc 20

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L’Union européenne comptera le mois prochain 25 Etats membres. La plupart des nouveaux pays sont des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) qui transitent d’une économie centralisée à une économie de marché. Ce processus de transition politique, économique et de société a également mené, dans la plupart des pays de cette région, à une réforme ou plusieurs réformes successives des systèmes de santé. Cependant, la redéfinition des politiques de protection sociale et de santé, dominée par une idéologie libérale et individualiste, ne vise généralement qu’à assurer une couverture minimale, une aide qui ne suffit pas à atteindre un niveau de vie décent.
Dans les faits, les systèmes de protection sociale et de santé sont dualistes, la majorité de la population ayant accès à des services plutôt médiocres et limités tandis qu’une fraction privilégiée de la société, ayant les moyens de se payer une assurance complémentaire, bénéficie d’une couverture sociale et de soins de qualité.

Les soins de santé en Europe centrale après la chute du communisme

Après la chute du communisme en 1989, le système social de nombreux pays d’Europe centrale a rapidement changé. Durant l’époque communiste, un réseau de services médicaux et sociaux a été mis gratuitement à la disposition de l’ensemble de la population. Les usagers étaient proches des structures de soins locales et y avaient, en théorie, accès sans distinction ni restriction. Cependant, la réalité était souvent très différente de cette image idéale. De nombreux services n’existaient pas dans la pratique, étaient souvent d’une mauvaise qualité ou ne pouvaient être obtenus que moyennant des paiements “officieux” (dessous-de-table) aux prestataires de soins ou de services.
Depuis, les gouvernements se sont succédé et se sont engagés dans l’économie de marché qui a creusé le fossé des inégalités sociales au sein du pays et entre les pays. Sous la contrainte des organisations internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale), de nombreux pays en transition ont en effet ouvert leur marché aux privatisations et considérablement réduit leurs dépenses publiques au cours de la dernière décennie. Le secteur de la santé n’échappe pas à ce climat de régression. L’ ‘économisme’ marginalise davantage les catégories sociales et les pays les plus défavorisés. L’écart s’est creusé entre ceux qui se sont trouvés dans une situation défavorable dans le nouveau contexte et les élites économiques totalement à l’aise dans l’économie de marché.
Presque dans tous les Etats d’Europe centrale et orientale, le recul des systèmes de protection sociale a ouvert la porte au développement des assurances privées. Les réformes structurelles ne compensent pas le manque de ressources, ce qui encourage entre autres le phénomène des dessous-de-table, déjà endémique par le passé.
Faute d’investissement, l’état de vétusté des hôpitaux ne s’est pas amélioré. Les professions médicales dans le domaine public restent mal rémunérées, provoquant la fuite vers le privé. A titre d’exemple, 95% des dentistes en Pologne sont privés. Si le médecin n’a pas de contrat avec le fonds d’assurance maladie, le patient doit payer la somme intégrale de la consultation. Ce qu’il est parfois obligé de faire pour éviter de longues files d’attente dues au nombre limité de services contractés par la caisse d’assurance publique.
Le prix des médicaments est en augmentation constante depuis le début des années 1990. D’une part, parce que les prix en général ont commencé à s’aligner sur les prix des pays occidentaux, d’autre part parce que la part des médicaments produits localement diminue de manière spectaculaire, les médicaments étrangers occupant des parts croissantes de marché. L’économie de marché a eu pour effet l’introduction de l’importation de produits qui coûtent plusieurs fois le prix de médicaments de même qualité, fabriqués autrefois localement. Le développement économique des pays de l’Est ne peut que souffrir de l’affaiblissement de leur industrie médicale et pharmaceutique.

Des pistes pour sortir de la crise

Des politiques résolument orientées vers la prévention et la promotion de la santé concourraient sans aucun doute à la réduction des dépenses. Du côté des professionnels de la santé, il faudrait diversifier et élargir les missions et les activités des médecins généralistes vers la protection et la promotion de la santé des individus et, d’autre part, favoriser le travail d’équipe. L’introduction de conseils de bonne pratique pour les médecins, combinée à l’accent mis sur la prescription des médicaments génériques, doit également être encouragée.
Le mouvement mutualiste , sur base de l’expérience accumulée dans notre pays en matière de gestion de l’assurance maladie, de l’économie sociale, d’organisation des soins et de services complémentaires, peut constituer une alternative intéressante pour renforcer l’accessibilité aux soins et contribuer à la prise de responsabilités par la population locale.
Depuis 1995, la Mutualité chrétienne soutient des projets mutualistes en Europe centrale, principalement en Pologne, Roumanie et dans les pays baltes. Ces projets visent la mise en place d’organisations mutualistes, qui peuvent assurer un accès plus facile à des soins de santé de meilleure qualité.
Grâce à un projet d’information cofinancé par l’Union européenne, la Mutualité chrétienne a mené une campagne d’information dans sa presse, présentant un ou plusieurs pays d’Europe centrale, ainsi que leur système de sécurité sociale et le secteur de la santé, en faisant également référence aux projets mutualistes. Des soirées thématiques et expositions ont été organisés dans six villes belges (Brugge, Gent, Antwerpen, Namur, Liège et Oostende) par les comités de partenariat mis en place dans les Mutualités chrétiennes qui soutiennent des projets.

Des projets et des résultats

En soutenant des mutualités à l’étranger, l’objectif de la Mutualité chrétienne est de contribuer à l’accessibilité à des soins de santé de qualité. L’accessibilité financière passe par des tarifs maîtrisés pour les médicaments et les consultations. Des cabinets médicaux en région rurale ou des cabinets « itinérants » contribuent à rendre les soins disponibles en les rapprochant des gens. Enfin, de nouveaux services qui n’existaient pas jusqu’alors ont été mis en place, surtout la location de matériel de revalidation ou la mise sur pied d’un service de soins à domicile.
La qualité des soins a pu être améliorée grâce à des investissements dans une infrastructure propre ou des formations dispensées aux prestataires et aux mutualistes.
Alors qu’un «nouveau» modèle de société est apparu après la chute du communisme, basé sur l’individu et dans lequel le «social» est désormais chargé d’une signification négative, c’est un modèle social alternatif et démocratique que promeut la mutualité. Un mouvement fondé sur la collaboration entre organisations sociales, administrations locales et prestataires, sur la responsabilisation et la participation des membres.
Le développement d’un mouvement de bénévoles qui stimule la solidarité et apporte son soutien aux jeunes, aux personnes handicapées et âgées, et ce grâce à des réseaux de partenariat tissés avec les Mutualités chrétiennes de Belgique, revêt une importance capitale pour faire connaître le concept du mutualisme dans ces pays.
Valérie Van Belle , Coopération internationale Mutualité chrétienne
Article publié dans En Marche et remanié par l’auteur

La paille et la poutre

Le 30 Déc 20

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Nous avons reçu à quelques semaines de distance deux contributions abordant la question de la responsabilité individuelle face à la santé avec des points de vue très éloignés sur la question. Le Dr Pieters défend l’idée largement répandue dans l’opinion que notre système de solidarité collective ne peut couvrir indéfiniment les dépenses occasionnées par les conséquences des comportements erratiques de certains individus. Pour sa part, Christian Léonard , un économiste de la santé, plaide pour la conscientisation plutôt que sur une responsabilisation accrue, qui risque de renforcer les inégalités et d’ajouter du malheur à l’existence des plus malheureux.
Le thème est passionnant, et le comité stratégique d’Education Santé n’a pas voulu l’ignorer, au contraire. Il a confié à un de ses membres, le Prof . Alain Deccache (UCL) la tâche d’y apporter quelques nuances supplémentaires.
Si le sujet vous inspire des réflexions pertinentes, ou impertinentes, n’hésitez pas à nous en faire part. Le débat est ouvert…

Christian De Bock , rédacteur en chef

Education et santé

,

entre responsabilité individuelle et responsabilité sociale

Depuis des années, l’éducation pour la santé est au cœur d’un interminable débat, celui de la place des facteurs individuels et des facteurs sociaux dans la genèse des comportements de santé, et plus largement du mode de vie lié à la santé. Il s’accompagne invariablement de la question: «Qui est responsable de la santé et qui doit en assumer le coût?». Ces questions, fondamentales pour les pratiques de prévention des maladies et de promotion de la santé, influencent les orientations des politiques de santé et des programmes d’éducation pour la santé. On connaît les influences réciproques entre les dimensions idéologique (axiologique: au nom de quoi? pour quoi faire?), théorique (ontologique: quoi et sur quoi faire?) et méthodologique (praxéologique: comment faire?) de la promotion de la santé. La réponse à chaque question influence le choix de réponses aux autres, jusqu’à définir le champ des possibles au niveau des actions de promotion de la santé.
La politique actuelle vise une éducation émancipatrice, formant à la responsabilité «citoyenne» (rejetant une éducation qui normalise et rend obéissant), favorisant la lutte contre les inégalités sociales et sanitaires (reconnaissant à la fois que les comportements de santé sont une des composantes de la santé, et qu’ils apparaissent différemment selon les conditions sociales) et intégrant prévention des maladies et maintien de la santé (inscrivant ses actions à la fois dans le moment présent (l’urgence) et dans le temps (prévision)).
Une telle position est de nature idéologique, et son implication sur les actions est évidente: on n’y fera pas la même promotion de la santé que si l’on ne valorisait que la responsabilité et la réponse individuelles dans le domaine de la santé. Cette réflexion ne s’applique d’ailleurs pas qu’à la santé, tous les domaines de la vie sont concernés: emploi, logement, éducation, qualité de vie, sécurité, relations humaines…
Le concept de promotion de la santé, tel que défini par la Charte d’Ottawa, régit aujourd’hui le champ politique et professionnel de la santé, sauf dans le domaine des soins curatifs où il a toutes les difficultés du monde à pénétrer, et pour cause!
Il apparaît utopique parce qu’il implique clairement l’action concertée de tous les domaines de la vie qui influencent la santé, et ils sont nombreux. Au niveau des politiques, nationales, régionales, locales, il nécessite une sérieuse collaboration entre ministères, départements et services, et au niveau des professionnels, entre organisations éducatives, environnementales, de partage de moyens, d’entraide, de pression sociale, etc. On est bien loin du compte.
Mais ce concept a aussi l’immense avantage de résoudre le problème de la part de responsabilité, individuelle ou sociale, de la santé. Il tranche indiscutablement en faveur d’un mélange réaliste des deux! Le débat aberrant qui traîne, parfois sans citer son nom, est ainsi résolu. Du moins en théorie, parce que maintenant la question est: «Comment faire la part entre les enjeux et les besoins individuels et sociaux?» (et comment y affecter les ressources sociales?) , auxquels toute collectivité est confrontée. Cela ne se limite évidemment pas aux questions financières!
C’est sur ce plan que G. Pieters, l’auteur du texte «Responsabilité et santé» a choisi de construire son argumentation en faveur d’une plus grande responsabilisation individuelle en matière de santé et de maîtrise des coûts de santé. Ce faisant, il aborde pêle-mêle dans son constat le déficit grandissant de la sécurité sociale (en particulier de l’assurance maladie), l’inefficacité de la prévention et de la persuasion, la surconsommation de médicaments, l’irresponsabilité de certains vis-à-vis de leur santé, le laxisme légal sur les comportements irresponsables, le flou juridique existant et le danger pour «notre civilisation qui doit rester viable».
Ces arguments sélectifs, soutenant la thèse de la nécessité d’une politique plus répressive (pression constante), et d’une éducation précoce à assumer ses responsabilités en matière de santé, omettent de nombreux autres éléments, que plusieurs chercheurs et auteurs ont mis en évidence, et qui contredisent ou pour le moins atténuent ses constats.

Prévention et déficit du budget de la santé

Il est curieux de lier les dépenses de la santé aux seuls comportements de santé. S’il est clair que ces derniers jouent un rôle important (43% de la mortalité, selon Dever (1) ), ils ne représentent qu’une faible part de l’affectation des ressources de santé (1,5% aux USA selon Dever, 0,1 % en Belgique). Il est indiscutable que la part des dépenses de santé la plus importante et celle qui a le plus «explosé» est celle liée aux soins, diagnostiques, médicaux et chirurgicaux, suivie des dépenses de médicaments.
Pour rester dans les finances, les ressources et investissements devraient aussi être examinés: si les budgets de prévention représentent 0,1% de ceux de la santé en Belgique, la situation est aussi interpellante au niveau européen. Ainsi, la Commission européenne dépense 400 fois plus pour le soutien à l’agriculture du tabac que pour en prévenir la consommation (source: information non publiée CEE DGV 1999).
Les économies de santé réalisables devraient commencer là où elles sont les plus efficaces. 50% des soins de santé et des traitements sont efficaces et utiles, et 50% des dépenses concernent 5% de la population. Cela n’exclut évidemment pas la réduction des risques et de leurs conséquences. Mais à ce jeu on parviendrait à des choix dangereux.

Prévention et efficacité

La mesure de l’efficacité de la prévention et de l’éducation pour la santé dépend de deux choses: d’une part des indicateurs utilisés ou privilégiés (savoirs de santé, facteurs psychosociaux, comportements, compétences, représentations sociales, attitudes, données biologiques, cliniques ou épidémiologiques…), et d’autre part du moment de l’évaluation (immédiatement après, à moyen terme, à long terme…).
On sait que les campagnes antitabac ont diminué la proportion de fumeurs de manière timide (environ 1 à 2 % par an), mais on sait aussi qu’en une génération, on a profondément modifié l’image, la représentation sociale du tabac, ce qui est une étape importante dans le changement. Remarquable victoire, vu que l’information et l’éducation du public luttent à armes très inégales contre les moyens puissants et persuasifs des cigarettiers, soutenus passivement par les pouvoirs publics européens et nationaux.
La situation est la même en matière de consommation de médicaments, tant pour les prescripteurs que pour les consommateurs: il suffit de remplacer cigarettiers par industrie pharmaceutique, et les autres industries assimilées, comme les fabricants d’’alicaments’. En France, les bureaux de tabac se sont qualifiés publiquement de «commerces de proximité» sans que cela ne soulève d’objection. A quand les dealers? Pour le citoyen, il y a de quoi s’y perdre.
On sait aussi que des mesures de réduction brutale de l’accessibilité financière du tabac portent des fruits inattendus (premiers chiffres publics en France fin 2003: 14% de ventes en moins): sur le plan de la psychosociologie de la santé, c’est un levier important, mais il n’est pas le seul, loin s’en faut! Ici aussi, on peut parler de résultats importants, dans un contexte où peu de choses sont favorables à l’arrêt du tabagisme: échanger un plaisir contre d’éventuelles conséquences à long terme? Il faut le vouloir, alors qu’on continue d’être sollicité, visuellement (sport et tabac), physiquement (de l’ammoniac et du cacao dans le tabac pour augmenter la dépendance? Oui, et avec l’approbation silencieuse des pouvoirs publics: Godiva et Galler devraient s’insurger!), psychologiquement et socialement. En vendant du tabac, on a longtemps «vendu» l’image d’être libre, adulte, heureux, etc. Il y a peu, on offrait encore des cigarettes sans risque de procès pour tentative d’assassinat!
Enfin, si la prévention organisée, individuelle ou collective, existe depuis 4 ou 5 décennies, on commence seulement à mieux comprendre les tenants et aboutissants des comportements de santé, et encore plus récemment à élaborer des programmes préventifs ou de promotion de la santé qui intègrent les savoirs scientifiques en question.

Conséquences sociales et responsabilité des risques et des accidents

L’argument de faire porter «indûment et indéfiniment à la société des habitudes à risque irresponsables, et entre autres une consommation excessive de médicaments» nécessite une réponse. Tout d’abord, si la société supporte les conséquences de ces actions, c’est bien chaque victime qui les supporte d’abord et avant tout, dans sa santé, sa vie et son portefeuille. Jusqu’à nouvel ordre, les ressources sociales sont aussi celles de tous et de chacun.
Si la société décide de supporter certains coûts, c’est bien aussi parce que sa responsabilité est engagée. Evidemment, si l’on s’en tient à une vision strictement individuelle de la santé, proche de celle du système américain où chacun doit assumer les coûts de sa santé et son assurance de santé, la part de la société est mise en cause, et l’on aboutit au «victim blaming» que d’aucuns ont annoncé. Cette vision ultra-libérale ne résout rien: les Américains consacrent au final plus de leurs ressources que nous le faisons à la santé, à la différence qu’ils disposent de couverture sociale non-obligatoire.
Sur le sujet des médicaments, s’il est admis que la consommation a atteint, en Belgique comme en France, des sommets dangereux (pour la santé et le budget de l’Etat et des familles), les causes de cette surconsommation sont loin de celle annoncée par le Dr Pieters. En Belgique, 90% des médicaments vendus le sont sur prescription médicale! et 9 consultations sur 10 s’y achèvent par une prescription de médicaments, contre 53,9% aux Pays-Bas par exemple (voir le tableau). Le patient a bon dos! On sait que les Ecoles de médecine ne préparent ni à la prescription de médicaments (aspects relationnels, explications, alternatives…), ni au rôle de soutien – conseil – écoute grandissant des médecins et autres soignants, dont la maîtrise est une alternative crédible à la non-prescription hâtive de la ‘solution’ médicament. Comment aider un patient insomniaque autrement que par des somnifères et autres antidépresseurs, si l’on n’a pas le réseau socio-sanitaire utile, et les moyens d’y faire appel pour comprendre et résoudre le problème (emploi, endettement, solitude, peur existentielle…) du patient?

Part des ventes de médicaments non-prescrits et de consultations médicales sans prescription, en Europe

Médicaments vendus sans prescription (Rosa Rosso, 1986 )
Pays

Belgique France Italie GB Pays-Bas
% ventes 10 23 5 22

Consultations sans prescription de médicaments (IMS Farma Feiten, 1990 )
Pays

Belgique France Italie GB Pays-Bas
% consultations 8,5 21,5 4,2 26 46,1

Irresponsabilité de santé

?
Il y a deux manières de concevoir la responsabilité comme objectif d’éducation. Etre responsable c’est assumer les conséquences d’un acte. C’est, étymologiquement, en rendre compte, répondre de… Cela peut-être aussi, dans la logique de l’empowerment, être capable de répondre à une situation, d’y faire face par des choix et des comportements appropriés. L’éducation pour la santé par « empouvoirement » revient à donner ou rendre à l’apprenant le pouvoir possible sur sa santé, et sur les facteurs et conditions qui l’influencent, qu’ils soient individuels ou collectifs, internes (à l’individu) ou externes (sociaux ou environnementaux).
Dans les deux visions de la responsabilité, un ingrédient est indispensable: la liberté de choix. Et c’est là que la première vision de la responsabilité montre ses limites et son incohérence. Si l’éducation doit être persuasive et normative, elle vise l’obéissance et exclut partiellement la liberté.
On ne peut confondre les règles, coercitives, et dont le respect est attendu et sanctionné (positivement ou négativement), avec les comportements de santé, libres mais dont les conséquences seront assumées, selon les priorités et les possibilités des personnes.
Les deux coexistent et font l’objet d’un apprentissage de nature différente selon le cas.
Enfin, la question soulevée par le Dr Pieters concerne tous les comportements de santé, et plus largement le mode de vie lié à la santé. Lorsqu’il parle «d’une partie de la population désinvolte et socialement immature», il ne se doute probablement pas qu’il parle de tous.
Si les adjectifs qu’il utilise se réfèrent aux personnes qui adoptent des comportements défavorables à leur santé, comment ne pas se rappeler les cordonniers mal chaussés. L’étude la plus citée sur les comportements d’adhésion aux prescriptions de médicaments montre que les soignants sont aussi peu «observants» que leurs patients, lorsqu’ils doivent eux-mêmes suivre un traitement (Haynes et Sackett, 1979 (3) )! Ces mêmes professionnels de santé présentent les mêmes comportements (inadaptés) que leurs patients en matière de mode de vie, de sommeil, d’hygiène, d’alimentation, d’activité physique, de surpoids, etc. Lorsque Pieters reproche à ses concitoyens de ne pas être parfaits, sont-ils pour autant irresponsables? Le débat prend une autre tournure, éloignée des préoccupations de la promotion de la santé.
Les arguments et conceptions que véhicule le texte de G. Pieters peuvent choquer les puristes et les professionnels de la promotion de la santé (qui tous deux connaissent les options et les implications de la Charte d’Ottawa). Toutefois, ces conceptions existent, et sont parfois dominantes dans certains milieux. Il ne faut pas les ignorer, mais par une éducation (encore!?) appropriée, il est possible d’apprendre à les nuancer et les replacer dans leur contexte, et surtout à être capable d’en éviter les écueils et le simplisme, tant dans l’analyse que dans les solutions.
Peut-être faudrait-il accorder plus d’importance à la déclaration préliminaire de la Charte d’Ottawa?
Peut-être faudrait-il qu’Education Santé se livre plus souvent à des débats contradictoires?
Alain Deccache , UCL-RESO- Education pour la santé – Education du patient, Université catholique de Louvain.

Bibliographie


(1)DEVER G.: an epidemiological model for Health Policy Analysis, Soc Ind Res, 2-465, 1976
(2)BURY JA: Education pour la santé, Ed de Boeck-Université, (Ed. 1999), Bruxelles, 1988
(3)BRIAN HAYNES et SACKETT: Compliance in Health Care, John Hopkins University Press, Baltimore, 1979

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La responsabilisation, une conséquence logique de l’individualisme?

Le 30 Déc 20

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Nous avons reçu à quelques semaines de distance deux contributions abordant la question de la responsabilité individuelle face à la santé avec des points de vue très éloignés sur la question. Le Dr Pieters défend l’idée largement répandue dans l’opinion que notre système de solidarité collective ne peut couvrir indéfiniment les dépenses occasionnées par les conséquences des comportements erratiques de certains individus. Pour sa part, Christian Léonard , un économiste de la santé, plaide pour la conscientisation plutôt que sur une responsabilisation accrue, qui risque de renforcer les inégalités et d’ajouter du malheur à l’existence des plus malheureux.
Le thème est passionnant, et le comité stratégique d’Education Santé n’a pas voulu l’ignorer, au contraire. Il a confié à un de ses membres, le Prof . Alain Deccache (UCL) la tâche d’y apporter quelques nuances supplémentaires.
Si le sujet vous inspire des réflexions pertinentes, ou impertinentes, n’hésitez pas à nous en faire part. Le débat est ouvert…

Christian De Bock , rédacteur en chef Il est de ces concepts dont l’ambiguïté est plus porteuse d’inertie que de débats idéologiques. Leur utilisation est d’ailleurs d’autant plus inquiétante que chacun s’accorde à penser qu’ils représentent exactement ce que l’on est prêt à leur concéder comme contenu. C’est incontestablement le cas pour la « responsabilisation ».

Responsabiliser ou conscientiser

?
Dans le secteur des dépenses publiques et tout particulièrement des dépenses sociales comme les remboursements de soins de santé, responsabiliser le patient signifie, dans l’esprit du politique, augmenter le ticket modérateur.
Pour un acteur de la promotion de la santé, le terme responsabilisation fait plutôt référence à une prise en charge, par l’individu, de son capital santé. Pour cela, on est prêt à l’aider, l’accompagner afin qu’il soit conscient qu’il est « acteur » de sa santé et qu’il prenne toutes les dispositions possibles pour la recouvrer ou la garder. Des prestataires de soins, surtout dans les médecines dites alternatives, utiliseront le même concept en mettant l’accent sur l’écoute des signaux que le corps envoie à celui qui en est propriétaire et qui, de ce fait, doit l’entretenir en bon père de famille. L’expression « ce qui vous arrive n’est pas le fruit du hasard » relève de cette approche. Si nous souffrons d’un mal de dos chronique, cela signifie peut-être que nous «endossons» trop les charges qui devraient être mieux réparties au sein de la vie familiale ou professionnelle. Les douleurs, légères au début, sont autant de signaux d’alerte qu’il nous faut prendre en considération. Il ne tient finalement qu’à nous d’alléger la barque, de faire passer un peu plus notre plaisir avant celui des autres, de nous ménager des moments de détente.
De manière presque imperceptible, tous ces discours se rapprochent et se renforcent. Nous devenons indiscutablement les personnes les mieux placées pour agir sur notre santé. Il suffit ensuite de s’appuyer sur quelques enquêtes ou études pour asséner le coup décisif. La santé est liée au mode de vie, à l’hygiène de vie et il est donc hautement conseillé d’en adopter les standards reconnus. Il s’agira donc de ne pas fumer (sauf un petit joint de temps en temps), de ne pas boire (du moins pas plus que la dose reconnue comme bénéfique par les sociétés médicales et œnologiques), faire du sport (mais pas trop pour éviter les fractures de fatigue et les incidents cardiaques), manger sainement (une nourriture variée et certifiée d’origine biologique de préférence) et surtout ne pas céder au stress, car cela risquerait d’annihiler tous les efforts fournis par ailleurs.
Optons donc pour une fonction dirigeante, bien rémunérée et source de nombreuses satisfactions personnelles et pour une vie de famille où l’épanouissement de chacun contribue à l’épanouissement de tous. Il est donc très simple de rester en bonne santé et celui qui n’y parvient pas est responsable de son échec. De nombreuses enquêtes révèlent qu’environ un quart des populations interrogées, quelle que soit la nationalité ou la profession, est prêt à accepter ce que nous nommerons le principe méritocratique.
Nous sommes reconnus responsables de notre santé, il serait donc normal que nous en assumions les conséquences financières. La chirurgie cardiaque serait moins bien remboursée pour ceux qui n’auraient pas fourni d’efforts suffisants pour cesser de fumer, réduire leur taux de cholestérol et augmenter leur activité physique. Comment en effet continuer à justifier l’intervention de la solidarité à l’égard d’un cadre supérieur qui, après un triple pontage, s’empresse de fêter sa sortie de l’hôpital en arrosant abondamment un repas bien lourd qu’il termine par un bon cigare? Une vision extrêmement réductrice et caricaturale qui fait pourtant son chemin lorsqu’on invoque ce genre de « gaspillages » pour expliquer les déficits de l’assurance maladie et les nécessaires mesures d’économie. Heureusement, un autre quart de la population ne se laisse pas prendre au piège de la stigmatisation de ce type de comportement « asocial ». Ceux-là pensent sans doute plus aux laissés pour compte, bénéficiaires d’un revenu d’intégration, chômeurs de longue durée, malades chroniques et autres invalides qui ne disposent ni de la formation, voire de l’éducation, ni des capacités financières pour appliquer tous ces beaux principes de « saine existence ».
Il reste évidemment ce que l’on pourrait appeler « le ventre mou » de la population qui n’a pas d’avis tranché sur la question et qui est prêt à pencher dans un sens ou l’autre au gré de la force de persuasion de l’argumentation utilisée. En période de basse conjoncture, il est toutefois plus aisé de faire porter la responsabilité des déconvenues budgétaires sur les boucs émissaires parfaits que sont les étrangers et les assistés sociaux.
Les conseils ou mises en garde des prestataires et des travailleurs sociaux n’ont évidemment pas pour but de légitimer les hausses de parts personnelles des patients ou l’introduction d’un système méritocratique. Cependant, les contraintes budgétaires et une certaine mauvaise foi pourraient détourner des discours de bon sens pour en faire des recommandations de bonnes conduites contraignantes.
Le fruit est mûr. Tout est en place pour introduire ou accentuer la responsabilisation alors que les graines de la conscientisation n’ont germé que dans les terrains fertiles, chez ceux qui n’ont pas attendu les messages de prévention et de promotion de la santé pour s’engager sur le « bon » chemin d’un comportement « sanitairement correct ».

Comment en est

on arrivé là

?
Dans le cadre du présent article, il ne nous est pas possible de dépasser le stade de l’expression de thèses voire d’intuitions. Prétendre expliquer une situation sociologique d’une telle complexité en quelques lignes relèverait de la prétention ou de l’inconscience. Qu’il nous soit donc permis de procéder à quelques raccourcis afin de saisir pourquoi il semble si naturel d’utiliser ce terme de responsabilisation tant dans des discours politiques que dans des articles scientifiques et jusqu’au fond de la salle du café du commerce.
Les signes d’un individualisme croissant sont nombreux et ce n’est pas l’action de nombreux bénévoles, dont le rôle est du reste très important, qui suffit à démentir une évidence acceptée par tous. Cet individualisme nous semble lié à la transformation du référent, de ce qui présente une valeur, de ce qui peut faire l’objet d’une recherche pour accomplir ce que l’on appelle une « vie bonne ». Depuis fort longtemps, des transcendances ont guidé l’homme dans cette quête d’une vie bonne. Les transcendances cosmologiques et ensuite théologiques ont fait place progressivement à la transcendance des utopies humanistes qui n’ont pu résister à une certaine forme de l’avènement de l’individu nietzschéen souverain. Même si Nietzsche, qui n’apportait de l’importance qu’à la seule intensité de la vie, considérait comme une absurdité la notion de libre arbitre et l’aspiration du sujet concret à la responsabilité.
Ce sont peut-être les psychiatres et psychanalystes qui les premiers ont détecté ce basculement relativement brusque. Il y a quelques décennies encore, leurs patients les consultaient pour ce qui s’avérait être des sentiments de culpabilité. La loi de Dieu et la loi des hommes dressaient il est vrai de véritables obstacles sur la route du futur pénitent. Progressivement, une société de l’interdit ou du permis a laissé la place à une société fondée sur la liberté, le « tout est possible ». Ce qui n’est pas atteint est alors vécu comme un échec, la culpabilisation fait place à la responsabilisation et, dans les termes d’Alain Ehrenberg (1) , à « la fatigue d’être soi ». C’est-à-dire la pression de satisfaire aux standards de vie que les media déversent à longueur de journée en nous proposant des exemples de réussites physiques, financières ou intellectuelles. Dans ce monde, quelle place reste-t-il pour le citoyen lambda, celui qui ne peut s’identifier au mannequin, au capitaine d’entreprise ou au champion sportif?

Une spirale destructrice de santé et de cohésion sociale

L’individualisme croissant aurait donc fait le lit de la responsabilisation, ressentie et vécue comme une progressive inaptitude à satisfaire les exigences d’une société de la consommation et du paraître. Cette responsabilisation se renforce concrètement par l’augmentation de la prise en charge financière de ce qui semble être des choix délibérés. On constate de plus en plus d’exclusions de compagnies d’assurance en raison d’un nombre de sinistres jugés trop important. Des prêts hypothécaires sont refusés ou rendus plus coûteux pour ceux qui n’ont pas « géré » leur taux de cholestérol. Les banques se débarrassent de clients qui ne peuvent assurer des rentrées substantielles régulières. Et enfin, le patient doit supporter une part de plus en plus importante des coûts des soins de santé.
Responsable de son état de santé, il est donc responsable de sa consommation de soins que seul le ticket « modérateur » peut freiner. En outre, les pathologies que cet individualisme génère ne sont que très partiellement prises en charge par la solidarité. Ce qui est sans doute symptomatique d’une part de la manière d’appréhender la responsabilité de chacun dans les maladies mentales au sens très large du terme et d’autre part de considérer comme toute relative l’efficacité des thérapies proposées. Le seul indicateur de la consommation de médicaments psychotropes suffit à révéler un phénomène dont l’ampleur ne peut que nous inquiéter. Entre 1997 et 2001, cette consommation a augmenté de plus de 35 % chez les femmes de moins de 65 ans et de plus de 28 % chez les hommes du même âge. C’est maintenant près de 16 % de la population féminine de moins de 65 ans qui devient dépendante progressivement de ce type de médicaments.
Quelle société étrange où chacun a besoin des autres pour vivre et exister mais où le collectif ne fait plus recette que de manière épisodique. Une cause, même lointaine, à défendre et des centaines de milliers de personnes se mettent en marche, mais de retour chez soi chacun se replie sur son ambition ou son désespoir. On ne peut regretter les sentiments de culpabilité engendrés par la soumission aux différentes formes de transcendances. Cependant, ces dernières constituaient le lot commun du plus grand nombre. Petits et grands se sentaient ou se savaient jugés par le même souverain ou le même Dieu. Une faute restait une faute quel que soit le rang de celui qui l’avait commise. D’ailleurs, la justice divine ne semblait-elle pas plus exigeante envers les nantis pour lesquels l’entrée dans le Royaume de Dieu paraissait si difficile? En outre, les sentiments de culpabilité étaient surtout le fruit d’une mauvaise transmission et compréhension de l’essence même de la transcendance. Sans doute a-t-il fallu beaucoup d’ignorance, et donc de peur, pour susciter et entretenir ce sentiment de culpabilité face à un Dieu d’Amour et de miséricorde.
Quoi qu’il en soit, nous nous transformerons dorénavant en individus atomisés qui vivent les uns à côté des autres et qui s’essoufflent dans des quêtes vaines d’une reconnaissance futile mais nécessaire pour notre équilibre physique et mental.
Aujourd’hui, nous sommes libres mais nous payons immédiatement nos erreurs ou du moins les conséquences de ce qui est considéré comme le fait de notre volonté. Mais sommes-nous réellement les acteurs de notre vie? En ce qui concerne cette responsabilisation des coûts des soins de santé, est-il raisonnable de penser que nous en soyons complètement les initiateurs? Au delà du processus selon lequel l’offre peut, d’une certaine manière, créer la demande, de nombreux déterminants interagissent pour développer ou amoindrir notre capital santé. Ce capital qui, dès la naissance est réparti de manière si inégalitaire et correspond souvent aux inégalités de santé et sociales des générations précédentes. Quel est en outre notre liberté d’action pour modifier notre hygiène de vie tellement liée à notre éducation? Comment pouvons-nous œuvrer pour améliorer notre environnement de travail ou écologique?
L’ensemble des politiques participent pourtant de la même logique « responsabilisante ». Tout ce qui constitue l’Etat social actif mais aussi le contenu et l’ampleur de la réforme fiscale renforcent cette autonomie de chacun rendue nécessaire par la force des choses. En effet, les réductions d’impôts représentent une hausse de pouvoir d’achat que l’homo oeconomicus est sensé affecter de manière optimale à la satisfaction de ses besoins. Libre, il doit choisir par exemple entre une amélioration de son bien-être dans le court terme et une couverture de ses coûts de santé hypothétiques mais probables dans le moyen et long terme. Dans les faits, ce sont ceux qui bénéficieront le moins de cette réforme qui subiront le plus son coût social, c’est-à-dire la réduction des dépenses publiques qui rendaient accessibles des biens publics essentiels à la réduction des inégalités. Ce sont eux également qui devront fournir le plus grand effort pour obtenir et comprendre l’information, forcément imparfaite, indispensable pour effectuer des choix dits optimaux.
Notre propos n’est évidemment pas de prôner l’assistanat généralisé mais plutôt de différencier la responsabilisation de la conscientisation, surtout dans le domaine de la santé. En l’état actuel des politiques d’emploi, de logement, de mobilité, de formation et de santé, il ne serait pas décent de responsabiliser davantage les membres d’une société dont les rouages empêchent si peu la reproduction des inégalités de tous types. La santé qui est en quelque sorte le réceptacle des conséquences de toutes ces inégalités ne doit pas faire l’objet d’une responsabilisation financière ou morale du patient. Cette dernière ne peut qu’exacerber le sentiment d’échec qui accompagne la souffrance de la maladie. Ne suffit-elle pas?
Christian Léonard , Chef du département Recherches & Développement, Alliance nationale des mutualités chrétiennes
Article paru dans La Revue Nouvelle, numéro d’avril 2003

(1) Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, Dépression et société, Odile Jacob, 19988

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Responsabilité et santé

Le 30 Déc 20

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Nous avons reçu à quelques semaines de distance deux contributions abordant la question de la responsabilité individuelle face à la santé avec des points de vue très éloignés sur la question. Le Dr Pieters défend l’idée largement répandue dans l’opinion que notre système de solidarité collective ne peut couvrir indéfiniment les dépenses occasionnées par les conséquences des comportements erratiques de certains individus. Pour sa part, Christian Léonard , un économiste de la santé, plaide pour la conscientisation plutôt que sur une responsabilisation accrue, qui risque de renforcer les inégalités et d’ajouter du malheur à l’existence des plus malheureux.
Le thème est passionnant, et le comité stratégique d’Education Santé n’a pas voulu l’ignorer, au contraire. Il a confié à un de ses membres, le Prof . Alain Deccache (UCL) la tâche d’y apporter quelques nuances supplémentaires.
Si le sujet vous inspire des réflexions pertinentes, ou impertinentes, n’hésitez pas à nous en faire part. Le débat est ouvert…

Christian De Bock , rédacteur en chef Un problème inquiétant pour les sociétés occidentales actuelles est celui du coût croissant des soins de santé et des déficits des systèmes de sécurité sociale. Or, se situant parmi l’ensemble des dépenses sectorielles d’un état, le budget de la santé est, comme tous les autres, défini chaque année et limité. A l’intérieur de son enveloppe propre ce budget doit essayer de répondre à la demande et de tout couvrir. Et les ministères des affaires sociales et de la santé manifestement ne s’en sortent pas.
Les campagnes de prévention, qu’elles ciblent l’alcoolisme et le tabagisme, le sida et les drogues, les accidents de la route et l’abus de médicaments coûtent chaque année beaucoup d’argent. Le drame est qu’elles n’ont que peu d’effet. Les personnes, de toutes classes sociales, se laissant aller à ces dérives ou abus de comportement n’ont cure des avertissements réitérés. Les dégâts qui en résultent pour leur santé, manifestés à court terme ou moyen terme, sont en grande partie à charge de la société toute entière. Ceci au nom d’une solidarité dans le malheur, mais aussi dans l’irresponsabilité individuelle, dans l’égocentrisme asocial de certains… et dans la bêtise.
Maladie virale chronique encore inguérissable, handicap grave ou mort par accident de roulage, les assuétudes et leurs conséquences sont de lourds tributs supportés par toute la société. Alors que faire de ce constat? Le professeur G. Sokal écrivait déjà en septembre 1996, dans le Bulletin de l’Ordre national des médecins : ‘La responsabilité des patients et des patients potentiels joue un rôle important dans le domaine de la prévention et d’une prise en charge personnelle et responsable des problèmes de santé. On ne pourra plus indûment (et indéfiniment ) porter en compte de la société des habitudes à risque irresponsables et, entre autres, une consommation excessive de médicaments…’.
Cet ‘entre autres’ recèle le non-dit qui comprend précisément tous les domaines de la prévention cités plus haut et qui concerne plus généralement la jeune génération d’adultes.
Face aux désinvoltes, le mot ‘persuasion’ est un terme creux; il semble incapable de pénétrer les mentalités. Il n’a jusqu’ici pas eu l’impact que l’on espérait et le coût / bénéfice de la prévention demeure très négatif à lire les statistiques officielles.
Alors que l’on voit de temps en temps des groupes de citoyens se rassembler et manifester contre des pollutions de leur environnement, la pollution volontaire ou dilettante de leur corps dont ils sont responsables n’entre nullement dans leurs soucis.
On déclare sans cesse avec emphase que les citoyens sont des êtres adultes et conscients, qu’ils le sont à partir de 18 ans, qu’ils le sont devant la loi (‘que nul n’est sensé ignorer la loi ‘), qu’ils ont le droit de vote et doivent payer leurs impôts et qu’ils doivent respecter un certain nombre de contraintes de vie communautaire à peine de verbalisation. En fait, on doit reconnaître qu’une partie de la population n’est pas mature socialement: elle ne réagit ou ne se comporte de façon conforme que par la peur du gendarme et la crainte d’une ponction financière dans son avoir. Cette partie de la population, plus ou moins importante, ne sent son comportement engagé et contraint socialement qu’à ce niveau-là et sa sensibilité n’atteint pas non plus le seuil du concept de ‘self respect’. Cependant chez certaines instances supérieures de la santé et dans certaines strates de la population, le concept général de ‘responsabilité vis-à-vis de sa propre santé ‘ et donc par là même vis-à-vis de la communauté fait lentement son chemin.
Alors que, par ailleurs, la déontologie médicale demeurerait inchangée et respectée, il se pourrait qu’une loi vienne à déclarer que ‘Vu les nombreuses campagnes de prévention financées depuis des années par le pays tout entier, tout citoyen est sensé connaître les dangers pour lui-même et pour son entourage de ses éventuels comportements à risque. Il supportera dorénavant financièrement la plus grande part des soins de santé qui en seraient la conséquence’.
L’épargne de fonds importants qui peut en résulter serait une manne pour d’autres problèmes de santé publique fondamentaux: cancers, maladies génétiques, handicaps lourds, diabète, Alzheimer, etc. Face à cette loi, les individus seraient bien forcés de reconsidérer leur responsabilité vis-à-vis de leur propre santé et de leur entourage immédiat.
Au cours des siècles passés on mettait en quarantaine les malades contagieux ou dangereux. Plus récemment ils étaient placés en isolement hospitalier et obligés de se faire surveiller et soigner. En cela on faisait passer logiquement la philosophie de liberté individuelle au second plan par rapport à la sécurité communautaire.
Il est peut-être temps que pour les comportements à risque irresponsables, le laxisme légal en la matière soit revu et que le flou juridique trop fréquemment remis sur le métier soit réexaminé clairement avec compétence et souci du bien-être communautaire.
Le problème demeure cependant complexe car un handicap sérieux à des prises de position européennes efficaces réside dans le fait, malheureusement, que l’Europe est encore, à cette heure, une entité disparate dans laquelle chaque pays défend son ‘exception nationale’ et sa sensibilité particulière.
Misons sur une éducation sociale dès le jeune âge et sur une pression constante sur la maturation des mentalités. Il y va de notre civilisation qui doit rester vivable!
Dr Guy Pieters

La santé des adolescents dans une perspective de ‘promotion de la santé’: quels outils pour quelles actions?

Le 30 Déc 20

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La santé des adolescents

Il existe de nombreuses études portant sur l’évaluation de la santé des enfants et des adolescents, utilisant un grand nombre d’indicateurs. Ces indicateurs sont des outils importants pour l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques. Mais peu s’intéressent aux aspects positifs de la santé et du bien-être. Et si la santé n’est pas seulement «l’absence de maladie, mais un état de complet bien-être physique, mental et social », que savons-nous de la santé des jeunes?
Une approche de la santé des enfants et des adolescents focalisée sur la morbidité, sur l’identification des «facteurs de risque», des «comportements à risque», etc. rend difficile la mise en place d’actions de «promotion de la santé».
Selon la Charte d’Ottawa, la promotion de la santé a pour but de «donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer». Le paradigme de la «salutogenèse», développée par Aaron Antonovsky , permet de comprendre l’approche émancipatrice du concept de promotion de la santé (1): la salutogenèse signifie qu’on s’intéresse en premier lieu aux causes et aux conditions de la santé. On s’éloigne ainsi du paradigme classique de pathogenèse qui, lui, est orienté sur la maladie. L’accent n’est plus mis sur les facteurs de risque mais sur les ressources dont dispose l’être humain pour préserver et développer sa santé.

Tableau I – Pathogenèse vs Salutogenèse (adapté d’après Antonovsky par Gretler Bonanomi S., 1997)

(ayant un effet salutaire)

Pathogenèse (conception traditionnelle de la santé/de la maladie) Salutogenèse (conception de la santé/de la maladie selon Antonovsky)
Définition de santé/maladie Dichotomique: on est soit en bonne santé, soit malade Santé et maladie sont les deux extrêmes abstraits d’un continuum
Focalisation sur Maladie – Patiente/patient – « cas » Tous les êtres humains et leur état de santé
Facteurs actifs Facteurs de risque (dommageables pour la santé) Ressources
Facteurs de stress Les facteurs de stress sont des facteurs de risque nuisibles pour la santé et donc pathogènes Il est normal qu’il y ait des facteurs de stress; potentiellement, ils ont des effets positifs et négatifs sur la santé: ils peuvent être salutogènes ou pathogènes
Traitement Le traitement consiste en une suite de «guerres» contre des maladies spécifiques Le «traitement» implique une confrontation permanente entre les effets positifs et négatifs sur la santé

Les instruments d’évaluation

Dans le champ de la santé mentale, par exemple, les questionnaires utilisés en population scolaire sont souvent des questionnaires de mauvaise santé mentale, qui évaluent le mal-être, la dépression, le stress… Il s’agit par exemple des échelles CES-D (Center for Epidemiological Studies – Depression scale), BDI (Beck Depression Inventory),… (2-3)
L’utilisation de ce genre de questionnaires amène deux types de questions.
La première est d’ordre éthique: ne risquons-nous pas d’induire chez des jeunes en plein développement physique et psychoaffectif un questionnement qui relèverait du bilan existentiel? En effet, certains questionnaires, relativement détaillés et particulièrement intrusifs, sont centrés sur les aspects les plus négatifs possibles de la santé et de la vie. En outre, ils ne s’intéressent pas aux autres domaines de la santé, comme les aspects sociaux, par exemple: les amitiés, la famille, les loisirs, l’école, etc, autant de ressources possibles chez les jeunes en «mal-être», ou encore les aspects physiques.

Deux exemples de questions reprises dans des questionnaires de dépressivité ou de dépression (2-3):
«Pendant la semaine dernière, je pensais que ma vie était un échec»: et l’adolescent de répondre: jamais, un peu, beaucoup, à la folie…
«Coche la case qui décrit le mieux ton état actuel:
( ) je ne pense jamais à me tuer
( ) je pense parfois à me tuer mais je ne le ferai pas
( ) j’aimerais me tuer
( ) si j’en ai la possibilité, je me tue»

La deuxième question est d’ordre pratique: quelle est l’utilité concrète de telles enquêtes menées en milieu scolaire? Ces enquêtes sont probablement utiles pour planifier des programmes éducatifs, à un niveau collectif, mais elles sont rarement utilisées dans un but immédiat de réponse à des besoins individuels qui seraient identifiés. La question est dès lors de nouveau éthique!
D’autres types de questionnaires, comme les questionnaires de santé ou de qualité de vie, par exemple, plus globaux et positifs, semblent précieux en prévention primaire pour identifier les besoins des jeunes à la consultation de médecine scolaire ou chez le médecin généraliste et donner l’occasion de faire une réelle éducation pour la santé sur le terrain, mais ils sont malheureusement rarement utilisés dans la pratique quotidienne.
La mesure de la qualité de vie permet une approche globale (multidimensionnelle) et positive de la santé (4-5). La qualité de vie s’intéresse:
– à la santé physique mais aussi mentale, sociale et à certains comportements de santé;
– à la santé observée mais aussi à la santé ressentie;
– à la santé négative mais aussi à la santé positive.

Exemple de questions d’un questionnaire de qualité de vie pour adolescents (le VSP-A, Vécu et Santé perçue de l’Adolescent) (6):
«Durant les quatre dernières semaines, as-tu
pu discuter avec tes copains, tes copines?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
été optimiste, confiant(e) pour l’avenir?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
eu l’impression que tes parents comprenaient tes soucis, tes problèmes?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
eu tendance à prendre la vie du bon côté?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours
et t’es-tu senti(e) en bonne forme physique?
( ) jamais ( ) rarement ( ) parfois ( ) souvent ( ) toujours»

Tout comme un questionnaire de dépressivité, un questionnaire de qualité de vie utilisé chez des adolescents permet le repérage des personnes en souffrance psychique, ainsi que des lieux ou domaines, de cette souffrance, et des aspects positifs de leur vie, pouvant servir de ressources dans l’accompagnement. Ce dernier permet en outre de s’intéresser aux autres aspects de la santé: physiques et sociaux (relations avec la famille, les amis, bien-être à l’école, etc.). Une étude a montré une forte corrélation négative significative entre les mesures de dépressivité et de qualité de vie d’adolescents en médecine scolaire (7).

Vers une approche globale de la santé

Une approche holistique de la santé des enfants et des adolescents implique que son évaluation utilise, à côté des indicateurs cliniques ou comportementaux classiques, des indicateurs de santé positive et de santé perçue, de qualité de vie, de comportements de santé positifs, de résilience, de développement, de bien-être social…
L’évolution du concept de santé nécessite non pas tant d’élaborer de nouveaux indicateurs éclairant des aspects de qualité de vie, car ceux-ci existent, mais bien de faire le choix de les utiliser, c’est-à-dire de changer notre regard sur la santé des enfants et des adolescents, de s’intéresser aussi aux facteurs de protection et aux ressources mobilisées (facteurs individuels mais aussi facteurs externes, tels que la famille, les amis, les loisirs, les enseignants, etc) et par là, de leur laisser la possibilité de vivre un réel «bien-être» ou de les aider à un «mieux-être».

Tableau II – Définition de la santé des adolescents

La santé des adolescents peut être définie par 4 propriétés qui la résument:
– elle est multidimensionnelle, englobant des dimensions physique, mentale, sociale et spirituelle ( globalité );
– elle peut être appréhendée de manière positive et/ou négative, santé et maladie étant les deux extrêmes abstraits d’un continuum ( bivalence );
– c’est une notion éminemment subjective, l’approche médicale classique objective ne suffit donc pas ( subjectivité );
– enfin les adolescents sont par définition dans un processus «en train de se produire»; les enfermer dans un diagnostic ponctuel de santé ne convient donc pas ( dynamique )

.

Dans la pratique de médecine scolaire

L’utilisation d’un questionnaire de santé globale lors des bilans de santé réalisés dans le cadre des services de «Promotion de la santé à l’école» fournit des informations complémentaires sur la santé des adolescents, permettant d’améliorer les réponses à leurs besoins en termes de prévention et d’éducation pour la santé.
Ce genre d’outil de diagnostic global de l’état de santé des adolescents peut par exemple s’attacher aux sujets suivants:
– santé physique et perception de la santé;
– mode de vie et comportements de santé;
– bien-être et qualité de vie;
– préoccupations de santé;
– recours aux soins.
Florence Renard (1) (2), Alain Deccache (1)
(1) Université catholique de Louvain, Faculté de médecine – Ecole de santé publique, Bruxelles, Belgique
(2) Centre de Santé, Service de Promotion de la santé à l’école, Université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique

Références bibliographiques

(1) Gretler Bonanomi S. «La promotion de la santé dans la formation de base des enseignantes et enseignants», éd. CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique), Berne, 1997, 80p.
(2) Garrison CZ, Addy CL, Jackson KL, McKeown RE, Waller JL. The CES-D as a screen for depression and other psychiatric disorders in adolescents. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991; 30 (4): 636-641.
(3) Winter L, Steer R, Jones-Hicks L, Beck A. Screening for major depression disorders in adolescent medical outpatients with the Beck Depression Inventory for Primary Care. J Adolesc Health 1999, 24(6), 389-94.
(4) Etienne AM, Fontaine O, Le concept de qualité de vie. Revue francophone de Clinique Comportementale et Cognitive 1997, Vol II, n°3, 16-25.
(5) Joliot E., Deschamps J.P. La mesure de la qualité de vie des adolescents: un nouvel outil d’évaluation de leurs besoins de santé pour une nouvelle approche éducative? Promotion et Education , Vol.IV, 1997/4, pp.7-9.
(6) Simeoni MC, Sapin C, Antoniotti S, Auquier P. Health-related quality of life reported by French adolescents: a predictive approach of health. J Adolesc Health 2001; 28: 288-294.
(7) Renard F, Delpire S, Deccache A. Evaluer la santé des adolescents en médecine scolaire: la qualité de vie comme complément aux indicateurs cliniques. Rapport de recherche, UCL – Unité d’éducation pour la santé, Bruxelles, 2003, non publié.

Plaidoyer pour un apprentissage de l’autonomie et de la citoyenneté à l’école (in: Santé publique, du biopouvoir à la démocratie. Une invitation à débattre)

Le 30 Déc 20

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P. Lecorps et J-B. Paturet dressent une analyse critique radicale du behaviorisme qui sous-tend les politiques de santé publique dans leur prétention à contrôler et à maîtriser les comportements ‘déviants’ par des mesures de propagande et de réglementation autour du tabac, du sida, des drogues, de la sécurité routière, etc. au nom de la médecine et de l’économie, en niant l’être humain comme sujet de désir, prêt à s’investir dans ce qui donne sens à sa vie au risque même de sa mort. Ils en appellent à redéfinir des objectifs plus adéquats en termes de développement de l’autonomie individuelle et citoyenne et d’engagement collectif dans l’espace public démocratique (empowerment).
Or les mêmes présupposés contaminent les pratiques des éducateurs à l’école. Le plaidoyer des deux auteurs vient légitimer et conforter le travail actuellement mené dans l’enseignement secondaire de la Communauté française par les professeurs de morale: sous l’impulsion de l’Inspection, ils ont mis en œuvre de nouvelles pédagogies d’éducation morale qui, au lieu de ‘moraliser’, permettent d’accompagner les jeunes dans la construction de leur identité, de leurs valeurs et de leurs choix afin de les amener à être acteurs de leur vie personnelle et sociale. (1)
Une attention particulière a été portée à la capacité de s’impliquer dans la discussion philosophique et la délibération politique, compétences au cœur même de la démocratie. Car c’est ensemble, dans l’incertitude de repères assurés, que se débat la question du sens et que s’élaborent des significations et des projets communs. Le théâtre-forum, parce qu’il met en scène une situation d’injustice et convoque le public à trouver dans l’improvisation des solutions nouvelles, est aussi fréquemment utilisé dans les classes pour stimuler l’audace de transformer le monde (cf la pièce ‘Partir’ (2) sur le droit de mourir dans la dignité).
Récemment, l’Observatoire de la Santé du Hainaut, à l’initiative de Geneviève Houioux , a organisé un stage d’initiation aux exercices de la ‘Clarification des valeurs’ que j’ai animé pour des formateurs afin de les adapter ensuite plus précisément à des problématiques de santé publique. Cette initiative devrait déboucher sur une publication à usage des intervenants auprès des jeunes. Il s’agira là d’une première esquisse de mise en pratique concrète dans le domaine de la santé publique de cette ‘pédagogie de la citoyenneté’ proposée par P. Lecorps et J-B. Paturet.
Cathy Legros , inspectrice du cours de morale – formatrice et conseiller pédagogique à Entre-vues
(1) Résultats d’une longue recherche qui s’étend sur une quinzaine d’années de dispositifs, de démarches et d’outils diversifiés favorisant la prise de responsabilité morale et la citoyenneté, qui ont été publiés dans Entre-vues, revue trimestrielle pour une pédagogie de la morale, depuis 1989.
c/o CAL Brabant wallon, rue Provinciale 11, 1301 Wavre. Tél. 010 40 19 67. Fax 010 41 16 37.
Tous les numéros sont encore disponibles; un catalogue peut être envoyé sur simple demande.
(2) Partir, par Cathy Legros, pièce de théâtre-forum, Editions Entre-vues.

Education pour la santé à l’école: peut mieux faire!

Le 30 Déc 20

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Je souhaiterais vous faire part d’un constat plutôt décevant en matière de pratique préventive. Celui-ci concerne la façon dont certains établissements scolaires français répondent à la mission de prévention qui leur incombe au travers des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté.
Ces comités ont été mis en place dans les établissements scolaires depuis 1998. Complément à l’éducation transmise par les parents, ils répondent à la nécessité d’intervenir auprès des jeunes adolescents, afin de les aider à appréhender leur rôle de citoyen et à prévenir les conduites à risques. Ils ont également pour autres missions de développer le partenariat. Cette démarche, bien que répondant à un réel besoin, est loin d’obtenir le succès escompté, notamment en matière d’éducation pour la santé.
Publics captifs, les jeunes jouent le jeu, sont présents sur les actions et participent avec spontanéité. Les difficultés sont plus ressenties au niveau des équipes d’encadrement, dont la motivation et le degré d’implication font souvent défaut. Par équipe, il faut comprendre l’ensemble des personnes intervenant dans l’établissement scolaire: la direction, les professeurs, les conseillers pédagogiques, les surveillants et la médecine scolaire.

Les attentes de l’école: une action « clés en mains»

J’ai été amenée à faire ce constat sur le terrain alors qu’au titre de « conférencière » pour un centre de prévention: « l’Espace prévention », j’anime auprès de publics d’âges scolaires, des interventions de type débat, sur des thèmes de santé ayant un lien avec les cancers (MST-Sida, tabac, alcool, drogues, alimentation, etc.). Ces interventions, j’en suis bien consciente, ne représentent pas la panacée en matière d’action d’éducation pour la santé, surtout lorsqu’elles sont ponctuelles (durée 1h30) et menées auprès de groupes d’au moins 25 à 30 jeunes (une classe). Par ailleurs elles ont le très grand avantage d’être gratuites ; les organismes de lutte contre le cancer à l’initiative de ce centre de prévention, les finançant en totalité.

Danielle Forgeot nous montre une nouvelle fois les limites, souvent dénoncées, d’actions éducatives ponctuelles visant à prévenir des problèmes de santé. Elle remet en évidence la nécessité d’une approche globale de la santé mobilisant l’ensemble des acteurs (élèves, enseignants, professionnels de la médecine scolaire mais aussi parents et intervenants extérieurs) et partant de leurs représentations de santé, de leurs attentes et besoins.
Entre les actions ponctuelles d’information préventive et le développement d’une école en santé (voir notre dossier du n° 158), de nombreux paliers d’investissement sont possibles. L’essentiel est et reste de garantir au mieux un renforcement des compétences ‘santé’ (au sens global) de chacun des acteurs et partenaires.
B.T.

Bon nombre d’établissements scolaires ont donc trouvé dans ce service, une solution très pratique pour répondre à leur mission d’éducation pour la santé. Pour quelques trop rares établissements scolaires, ces interventions composent un temps particulier d’un programme plus ou moins développé, résultant d’une démarche pensée et soutenue par toute ou une partie de l’équipe d’encadrement. Nos interventions trouvent alors tout leur sens, car elles s’intègrent dans un ensemble d’actions complémentaires et propices à la prise de conscience des jeunes en matière de santé.

Un réel manque de savoir-faire

Les conditions d’intervention sont néanmoins loin d’être idéales. Les élèves sont trop nombreux et contraints d’assister à la séance. La salle réservée à cet effet, est souvent une salle de classe qui reproduit le rapport professeur-élèves, alors que l’on souhaite amener une dimension éducative différente. La présence d’un représentant de l’établissement, souvent nécessaire pour limiter les débordements des jeunes, est soit absente laissant le groupe livré à lui-même, soit trop perçue et bloquant alors la spontanéité de réaction des jeunes.
Mais la plupart du temps, notre centre de prévention est utilisé comme un simple prestataire de service, en réponse à une exigence d’action de santé du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Dans ce cas l’intervention fait si peu l’objet d’une réflexion préalable, que les conditions d’intervention sont encore plus inadaptées. Les établissements n’hésitent pas à réduire la durée de la séance pour passer le plus de classes possible, ou surchargent les groupes pour rentabiliser la location d’un car lorsqu’ils se déplacent jusqu’au centre.
L’organisation dans l’établissement scolaire laisse également à désirer: salle non réservée ou non adaptée, horaires non respectés, plannings oubliés, interruption inopinée de l’intervention par du personnel peu ou pas informé. Je passe ici les détails concernant l’accueil qui nous est parfois réservé, et qui reflète également le degré d’implication de l’établissement dans la mise en place de ces actions.
Certes l’éducation nationale ne donne peut-être pas toujours suffisamment de moyens aux établissements scolaires pour mener à bien leur mission d’éducation à la santé. Bien que faisant preuve de bonne volonté, les membres des équipes enseignantes chargées de ces actions, ont un manque évident de savoir faire. Les services de promotion de la santé des élèves (médecine scolaire) sont surchargés de travail et la formation des infirmières et des médecins scolaires n’est pas systématiquement assurée dans ce domaine.

Des moyens pour éveiller les consciences

Même si l’équipe de notre centre de prévention fait des efforts et s’adapte à certaines contraintes liées à l’organisation des établissements scolaires, il nous paraît également important d’éveiller la conscience des professionnels de l’éducation sur la pratique préventive.
Tout d’abord, les méthodes employées par les intervenants en éducation pour la santé n’ont rien à voir avec celles des enseignants. Bien que le terme ‘éducation’ soit commun aux deux fonctions, le type de relation instaurée avec le public dans une action de prévention positionne les participants en tant qu’acteurs. L’intervenant prend alors la place d’un meneur de jeu qui amène les participants à s’exprimer et à réfléchir sur leur propre prévention. Le fait de mener une action de santé dans un cadre différent de celui de la classe habituelle, permet de donner à l’intervention une dimension particulière où les participants se trouvent au même niveau que l’intervenant, facilitant ainsi tous les types d’échanges.
De plus, agir sur les populations nécessite, pour la personne ayant en charge les actions de santé, d’avoir mené au préalable une réflexion sur sa propre vision de la santé. La motivation et l’implication en résultant sont de précieux atouts pour la réussite de l’action; les jeunes sont particulièrement sensibles au fait qu’une action à laquelle ils participent, soit reconnue et soutenue par les adultes qui les entourent.
Bien utilisées dans le cadre d’un programme d’actions, les interventions que nous proposons, sont un bon outil car elles viennent en complément d’autres outils tels que les expositions ou les vidéos (plus souvent utilisées), permettant aux jeunes d’exprimer verbalement leurs préoccupations, d’échanger avec d’autres, de vérifier leurs connaissances et d’en acquérir d’autres. Mais trop souvent, elles sont utilisées seules, sans être rattachées à aucune autre démarche. Elles sont alors dénuées de tout sens en matière d’éducation pour la santé, et ne constituent qu’une réponse à une demande administrative.
Pour amener les professionnels de l’éducation à réfléchir à l’importance de leur place dans cette démarche, l’équipe de notre centre de prévention élabore actuellement une charte de partenariat. Destinée à créer un lien avec les établissements scolaires qui nous sollicitent, cette charte permettra de mesurer l’engagement de chacun des partenaires. Ainsi les responsables de l’action devront préciser les motivations sous-tendant leur démarche et le cadre dans lequel elle s’inscrit. Elle sera doublée d’un cahier des charges précisant les modalités de mise en place des interventions.

Conclusion

En l’absence d’une réelle prise de conscience des professionnels de l’éducation dans ce domaine, et de la mise en place d’une formation adaptée à ce type de mission, il était important que notre centre réagisse contre le laisser faire du « tout et n’importe quoi » en matière d’action d’éducation pour la santé, et permette une ouverture sur des pratiques plus appropriées. Souhaitons que cette charte que nous avons pensée comme une aide pour les établissements scolaires, mais qui, nous en sommes conscients, peut être perçue comme une contrainte, amène une réflexion et donne un cadre spécifique indispensables à l’impact que ces actions doivent avoir sur les jeunes.

Danielle Forgeot , infirmière de santé publique, conférencière

L’espace prévention

« L’Espace prévention » est un centre de prévention qui a ouvert ses portes en janvier 1995.
Il a été créé à l’initiative d’un hôpital spécialisé dans le traitement des cancers: le Centre René Huguenin de St Cloud (92), en partenariat avec une association de lutte contre le cancer: la Ligue Nationale Contre Le Cancer. Seule structure de ce type en Ile de France (Région comprenant Paris et les départements l’entourant), il s’inscrit dans le champ de la prévention primaire et offre à tout public, la possibilité de s’informer sur la survenue des cancers. Il a toutefois pour priorité de toucher les jeunes.
Grâce à une équipe pluridisciplinaire (médecin, psychologues, infirmière de santé publique), il propose des conférences débats à tous les publics scolaires, de la maternelle à la terminale. Les thèmes le plus souvent traités sont: les toxicomanies, l’hygiène de vie, l’équilibre alimentaire, les MST, le sida, le sommeil, le soleil. « L’Espace prévention » offre également à ses visiteurs, la possibilité de s‘informer par le biais d’expositions permanentes et de bornes interactives.
A l’heure actuelle, « l’Espace prévention » élargit sa démarche de prévention au champ de l’éducation pour la santé et s’inscrit en tant que promoteur et conseiller méthodologique, partenaire d’actions de terrain où les jeunes se positionnent en tant qu’acteurs de leur propre santé.
Complémentaire aux activités préalablement citées, une consultation de sevrage tabagique a été ouverte depuis un an, dans les locaux de « l’Espace prévention ». Sa présence dans le centre réaffirme la volonté d’agir dans le sens de la prévention et lui confère une dimension supplémentaire.
Espace prévention, 9 rue Gaston Latouche, 92210 Saint-Cloud, France, tél.: 01.47.11.15.44, fax: 01.47.11.15.43